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Paroles d'Actu

28 mai 2015

Pascal Légitimus : "Je n'ai pas à me plaindre : franchement, quel beau métier..."

Demain et après-demain, les 29 et 30 mai à 21h00, Pascal Légitimus se produira à Bobino pour deux représentations exceptionnelles de son spectacle Alone man show dans lequel il évoque ses origines métissées et se livre comme rarement jusque là. L’an dernier, peu avant la sortie du dernier film des Inconnus, Les trois frères : le retour, il avait répondu avec beaucoup de gentillesse à mes questions pour Paroles d’Actu. J’ai eu envie de renouveler l’exercice cette année, de l’inviter à une nouvelle interview. Une fois de plus, il a pris de son temps, précieux cette semaine, et accepté de jouer le jeu. Ses réponses me sont parvenues le 27 mai, cinq jours à peine après la rédaction des questions. Je l’en remercie, vous souhaite à toutes et à tous une bonne lecture... et vous invite à aller l’applaudir à Bobino ce week-end, il reste des places ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Pascal Légitimus : « Je n’ai pas à me plaindre :

franchement, quel beau métier... »

 

Alone man show

 

Paroles d'Actu : Bonjour Pascal Légitimus, je suis ravi de vous retrouver pour cette nouvelle interview pour Paroles d’Actu. Votre actu immédiate, c’est Alone man show, votre spectacle sur le métissage, que vous reprenez pour quelques dates en ce mois de mai. Quels traits de caractère pensez-vous avoir reçus de vos héritages antillais (par votre père) et arménien (du côté de votre mère) ? Et à propos d’Arménie, justement, vous avez exprimé il y a peu le souhait de jouer ce spectacle en terre arménienne, avec à l’esprit le centenaire du Génocide. En quoi la conscience de cette tragédie, de cette mémoire a-t-elle contribué, elle aussi, à vous « forger » ?

 

Pascal Légitimus : On est toujours forgé avec les racines de son passé. Les présences, les absences nous forgent. Et tout ce qui nous entoure : les personnes, les odeurs, les images, fortes ou moins fortes, les ressentis, l’éducation, la religion, la nourriture, j’en passe. Tous ces ingrédients formatent un être humain, quel qu’il soit. En l’occurrence, mon arménité, c’est ma partie féminine, et les Caraïbes, la masculine. La douleur, les blessures de ces deux peuples me touchent car elles posent le problème de l’injustice, de la trahison, de la lâcheté, de la bêtise humaine. On touche ici aux notions de liberté, d’égalité, de respect aussi. Tout cela me rend sensible à ces maux.

 

PdA : La question du génocide arménien m’incite à évoquer un autre drame qui, pas très loin dans la région, se déroule sous nos yeux à peu près impuissants : la progression continue des criminels de Daech dans leur marche folle vers l’établissement forcé d’un califat totalitaire et intolérant. J’imagine qu’à au moins trois titres - comme descendant d’Arméniens, comme catholique et comme citoyen - le sort des Chrétiens d’Orient, si précaire en ce moment, ne doit pas vous laisser indifférent...

 

P.L. : Comment peut-on penser que l’exterieur est plus fort que l’interieur; que l’aspect d’un homme, la couleur de sa peau ou sa religion puisse le qualifier comme cible en 2015, à l’âge de l’insémination artificielle... En fait l’Homme n’a pas fait de progrès, ni évolué. Le constat, c’est qu’il est toujours cupide, avide de pouvoir; que son égo dirige encore sa cervelle. Daech, la CIA, la NSA, les hommes politiques et autres dirigeants, les industries agroalimentaire et pharmaceutique, Monsanto, les sectes et les Églises, l’argent-roi des banques et des compagnies d’assurance, etc. sont tous, chacun à leur manière, coresponsables des drames d’aujourd’hui.

 

PdA : Un journaliste vous faisait remarquer récemment qu’avec votre Alone man show, vous parliez étonnamment de vous, vous qui êtes d’ordinaire si discret personnellement. Vous dévoiler, vous confier à un public qui vous aime depuis tant d’années, c’est quelque chose, une envie, un besoin que vous sentez croissants avec le temps ?

 

P.L. : Me dévoiler à cinquante-six ans est important afin que les gens me connaissent davantage, et peut-être un peu plus en profondeur. Derrière l’artiste, il y a l’homme, et avec tous ces journaux people truffés de mensonges et, de surcroît, la télé qui déforme tout, j’ai trouvé quil etait important pour moi de rétablir certaines vérités, y compris pour que la relation que j’ai depuis quarante ans avec le public reste vraie.

 

PdA : Bon, on n’a pas été ultra-légers jusqu’à présent. Je vais tâcher d’y remédier mais d’abord vous poser une vraie question de fond. Je n’aime pas les clichés à trente centimes d’euros, encore moins contribuer à les colporter mais tout de même, les lecteurs ont le droit de savoir : les descendants d’Arméniens sont-ils forcément obligés d’être des inconditionnels d’Aznavour (qu’on salue par ailleurs, il vient de fêter ses 91 printemps) ? ;-)

 

P.L. : Il est un des premiers plénipotentiatres et porteurs de nos racines, son succès rejaillit sur la communauté. Nous avons besoin de référents de qualité; dans beaucoup de domaines, les Arméniens brillent et, avec mon spectacle, mon témoignage humoristique vient ajouter une pierre à l’édifice. Les Arméniens, c’est un peuple courageux, battant, fier et qui relève la tête sans cesse, malgré le déni du gouvernement turc, qui fait comme si rien n’avait existé.

 

PdA : L’an dernier, lors de notre premier entretien, le gros de mes questions avait porté, à la veille de la sortie en salle des Trois frères : le retour, sur la pérennité du succès du premier et la puissance de votre popularité auprès du public. Quelque jours plus tard intervint ce flot de critiques assassines dont on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il a contribué à gâcher vos retrouvailles avec le public. « La critique est aisée, mais l’art est difficile » : on connaît le dicton, les coulisses un peu moins. Vous avez déjà évoqué un peu le sujet mais j’aimerais vous demander, sincèrement, comment vous avez vécu tout cela, tous les trois ?

 

P.L. : Moyennement et, à la fois, on s’en fout car nous avons fait du bien pendant trente-cinq ans et les critiques intello du cinéma nous ont fait beaucoup de mal en une journée par jalousie, médisance, suffisance. Dire que nous sommes de mauvais acteurs, que le film est une succession de sketches et qu’il n’y a pas d’histoire, c’est ridicule; d’ailleurs, quand on compare les critiques qu’avait reçues Les Trois frères en 1995 et celles du retour, ce sont les mêmes ! Alors que dire... Flûte ! zut ! crûte !

 

PdA : Est-ce que, depuis ces moments, vous avez évoqué l’idée de retravailler ensemble, avec Bernard Campan et Didier Bourdon ?

 

P.L. : Ce n’est pas au programme. Tant que nous n’aurons pas une bonne idée, il ne se passera rien, et il faut être motivés tous les trois en même temps... Patience. Sinon, pas grave; chacun vaque à ses occupations personnelles.

 

PdA : On entre dans une zone de turbulences. Les questions risquent d’être un peu décalées ou loufoques. Ouch... on est prévenu... Au mois de mai, traditionnellement, Cannes tient son festival et la Croisette s’amuse. Quels sont les films qui, plus que tous les autres, vous ont marqué dans votre vie jusqu’à présent en tant que spectateur ? Et que vous aimeriez nous inviter à visionner - légalement of course ?

 

P.L. : La Chevauchée fantastique, de John Ford (1939). Les Dix commandements (Cecil B. DeMille, 1955). Collision (Paul Haggis, 2004). Punch-drunk love (Paul Thomas Anderson, 2002). Et la saga du Seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2001 à 2003).

 

PdA : Une pièce, un spectacle à voir en ce moment ? (hors le vôtre bien sûr ^^)

 

P.L. : Made in Chollet, de Christelle Chollet. Le spectacle d’Alexandre Astier. Et tous ceux avec Michèle Bernier.

 

PdA : Cette question, j’aime bien la poser et l’ai déjà soumise à certains de vos confrères. Un savant un peu ouf, qu’on appellera Doc’, vient de mettre au point son prototype de machine à voyager dans le temps. Elle fonctionne, sans trop de pépins, ne vous inquiétez pas. Bref. Chacun a droit à un voyage : un aller-retour ou un aller simple, à l’endroit, à l’époque de son choix. En 2012, Jean-François Derec m’avait fait cette réponse : « Début du XXème à Hollywood, les débuts du cinéma burlesque ! Laurel et Hardy, Keaton, Chaplin... » Vous choisissez quoi ?

 

P.L. : Pas celle de l’esclavage en tout cas... La naissance du cinéma, à l’époque de Charlie Chaplin, comme Derec. Les premiers films muets... Et le 18e siecle en France, le siècle des Lumières.

 

PdA : Suite à l’évocation citée plus haut, celle précisément de ces débuts du cinéma qu’il aurait aimé vivre, tout comme vous, Jean-François Derec ajouta la phrase suivante : « Je suis malheureusement né cent ans trop tard ! ». Est-ce que, Pascal Légitimus, vous vous sentez bien dans vos baskets par rapport à la pratique de votre art, à la vie tout court à notre époque ?

 

P.L. : Je suis heureux dans tous les domaines; je fais tout pour et m’arrange pour que mon entourage le soit, c’est ma priorité. Je joins l’utile à l’agréable, et puis, faire rire les gens, les divertir, les émouvoir et, dans la foulée, les faire réflechir un peu, franchement, quel beau métier... Si en plus on peut enrichir son inspecteur des impôts...

 

PdA : Bon, celle-ci, c’est une gourmandise assumée de fan des Trois frères. Vous croisez Bernard Farcy - l’inénarrable Steven - de temps en temps ? Certaines mauvaises langues affirment qu’il aurait pris le melon depuis votre rencontre, on l’aurait même croisé déguisé en De Gaulle. Mais je ne prête pas foi aux rumeurs, cela ne me regarde pas...

 

P.L. : On était en fac ensemble. C’est un bon gars, avec quelques névroses. À part ça, joker. ;-)

 

PdA : Un scoop, une info jamais révélée à aucun journaliste, en exclu pour Paroles d’Actu ?

 

P.L. : Je prépare mon nouveau spectacle. J’ai déjà soixante dates dans toute la France, de janvier à mai 2016, et Paris en octobre. Alors là, ça va faire mal, un rire toutes les quinze secondes... tenez-vous prêts !

 

PdA : Que pouvez-vous nous révéler de vos envies du moment, de vos projets à venir ?

 

P.L. : Je pars en Guyane tourner un long métrage en tant qu’acteur  sur un film d’Antonin Peretjatko, celui qui avait réalisé La Fille du 14 juillet. Un petit tour au festival d’Avignon pour voir des potes jouer. Et ensuite, wakans en famille somewhere...

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter, Pascal Légitimus ?

 

P.L. : Que ça dure... avec moins de contraintes absurdes, moins de violence dans le monde... en résumé : faites l’humour, pas la guerre.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

P.L. : Youpi !

 

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Vous pouvez retrouver Pascal Légitimus...

 

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21 mai 2015

"Programmes d'histoire : Le choc des mots, le poids de l'erreur", par Pierre Branda

La réforme annoncée du collège n’en finit pas de susciter des débats, souvent passionnés ; de soulever des inquiétudes, parfois vives. Plusieurs questions sont en cause : l’avenir des classes bilangues, le devenir de l’enseignement du latin et du grec, le nouveau cadrage des programmes d’histoire, notamment... Dans ce contexte, et sur ce dernier point en particulier, j’ai souhaité donner une tribune à M. Pierre Branda, historien et chef du service « patrimoine » de la Fondation Napoléon (M. Branda a déjà participé au blog : il y a deux mois, il avait accepté de répondre à mes questions portant sur quelques aspects économiques et financiers de la gestion par Bonaparte des affaires de l’État). Je le remercie vivement pour la qualité de son texte, qui m’est parvenu le 21 mai ; et dont je ne doute pas qu’il constituera une pièce de grand intérêt pour alimenter les débats, les réflexions de chacun. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

 

« Programmes d’histoire : Le choc des mots, le poids de l’erreur »

par Pierre Branda, historien et chef du pôle « patrimoine » de la Fondation Napoléon

 

La sémantique peut parfois se révéler amusante. On a beaucoup glosé sur les perles de ce que certains ont appelé la « novlangue » dans les projets de programmes pour le collège récemment rendus publics par le Conseil supérieur des programmes. Dans leur jargon, la piscine est devenue un « milieu aquatique standardisé » et le terrain de football, un « milieu » lui aussi « standardisé ». On aime aussi cette définition de l’art plastique : « Explorer différentes modalités de représentation par des mediums et techniques variés pour jouer des écarts et des effets produits à des fins expressives ». On n’ose envisager cette recherche linguistique comme une simple illustration d’une forme aboutie de pédanterie moderne. Elle est à plusieurs égards fortement signifiante. Elle prouve le soin voire l’obstination qu’ont mis les rédacteurs de ces textes à vouloir redéfinir des concepts que l’on croyait pourtant bien connaître. On ne s’étonnera pas du reste du mauvais traitement réservé par ailleurs au latin et au grec, matrices essentielles de notre langue, quand celle-ci est à ce point malmenée. En histoire, on pouvait s’attendre au pire. Et le pire est survenu. Si le langage est moins abscons pour ce qui concerne l’histoire, la sémantique est revanche pernicieuse.

 

Rappelons d’abord que l’enseignement de cette discipline s’articule entre sous-thèmes obligatoires, imprimés en caractère gras dans les textes du Conseil, et optionnels, publiés eux en caractère neutre. Evidemment, l’œil se focalise sur les premiers, ce qui est du reste l’effet recherché. Le premier thème proposé pour la classe de cinquième s’intitule « La Méditerranée, un monde d’échanges et de cultures » avec pour sujet d’étude obligatoire « L’Islam, débuts, expansion, sociétés et cultures ». Les mots choisis sont plutôt neutres et l’approche imposée semble essentiellement culturelle et sociétale. C’est un point de vue, au fond pas plus critiquable qu’un autre. Il devient cependant suspect quand on lit la suite. Comme second thème, l’élève est amené à étudier « Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident chrétien XIe – XVe siècle », comprendre le Moyen-âge, avec pour point d’orgue « La construction du Royaume de France et l’affirmation du pouvoir royal ». Sans la moindre nuance, religion et politique sont donc liés par l’association des mots Église, pouvoir politique, chrétienté, royaume et à nouveau pouvoir. L’Occident apparaît ici comme une civilisation soumise à une chrétienté complice du pouvoir royal. L’approche peut se défendre mais reconnaissons qu’elle est plus engagée que la précédente. Comme si la religion de Mahomet n’avait pas été elle aussi une alliée déclarée des potentats locaux. Continuons avec la Renaissance et les périodes qui suivent, du moins ce qui en tient lieu. Le thème suivant paraît d’emblée plus séduisant : « XVème – XVIIème siècles : nouveaux mondes, nouvelles idées ». L’Occident serait-il sur le chemin du progrès ? L’enthousiasme retombe immédiatement quand nos yeux sont attirés pas le sous-thème en gras : « L’émergence du roi absolu ». On comprend l’idée, la France commence le XVIIIème siècle corseté par un roi tout puissant. Drôle de « nouveau monde ».

 

En principe, devrait suivre le siècle des Lumières. Voltaire et Rousseau vont-ils enfin faire briller la civilisation ? La réponse est donnée à l’intérieur du thème « L’Europe et le Monde XVIIe – XIXe siècle ». Voici le premier passage obligé : « Un monde dominé par l’Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières ». Doit-on désormais désigner le XVIIIème siècle comme le siècle des Ténèbres ? Un élève pourrait à priori le penser. Le second sous-thème obligatoire « La Révolution française et l’Empire » rappelle néanmoins, une fois n’est pas coutume, nos anciens manuels d’histoire. Ne nous réjouissons pas trop vite. L’enseignant n’aura guère de temps pour le traiter, à peine deux ou trois heures à la fin du premier trimestre. Ajoutons qu’en primaire, Napoléon Ier comme Napoléon III sont totalement occultés. Le risque d’un « Napoléon ? Connais pas ! » est donc bien réel parmi les jeunes générations. Ensuite, pour le XIXe, deux sujets uniques doivent être traités : « L’industrialisation : économie, société et culture » et « Conquêtes et sociétés coloniales ». Privilégier le colonialisme et l’industrialisation au siècle de Victor Hugo n’est sans doute pas innocent. À la lecture du premier thème, on songe déjà aux gueules noires de Germinal si chères à Zola. Quand au second, il reprend l’idée de domination européenne déjà soulignée plus haut. Ainsi, aux dominations religieuses et absolutistes succèdent ainsi d’autres formes d’exploitations, celles-ci capitalistiques et universalistes. Toujours aucun progrès décidément sous le ciel européen. Le troisième trimestre de la classe de quatrième débute par la consolidation de la République. Comment pourrait-on l’oublier ? Puis l’année se termine par l’exposé de « La Première Guerre mondiale et les violences de guerre (inclus le génocide des Arméniens) ». La Première Guerre mondiale connut certes des horreurs sans nom mais pourquoi n’envisager que ce seul lien ? Le premier conflit mondial est ainsi réduit à sa seule dimension sanglante. En outre, la précision entre parenthèses concernant le génocide des Arméniens sonne faux. Cet « inclus » est même presque blessant tant il fait penser à un devoir de mémoire hâtivement placé.

 

L’élève de troisième débute son année par les années 30 et la Seconde Guerre mondiale. Deux nouveaux sous-thèmes sont abordés : « L’Europe entre démocratie et régimes totalitaires » puis « La Seconde Guerre mondiale ; génocides des Juifs et des Tziganes ; déportations et univers concentrationnaires ». Un premier trimestre chargé donc et nécessairement démonstratif à propos des abominables crimes contre l’humanité qui furent commis. S’il faut combattre l’obsession malsaine du « détail » que certains répètent en boucle et les révisionnistes de tous poils, doit-on pour autant reléguer au second plan ceux qui se sont dressés contre la barbarie ? Quid de la Résistance ? Quid de l’appel du 18 juin ? Le chant des partisans est-il condamné à retourner à la clandestinité ? Dira-t-on seulement que grâce à de nombreux Français, comme l’a rappelé récemment Serge Klarsfeld, deux tiers des Juifs ont été sauvés dans l’hexagone ? Relisons à nouveau les mots mis et évidence dans ces propositions de programme et relatifs à l’histoire européenne : domination, traites, roi absolu, pouvoir, industrialisation, conquêtes, guerres, violences et enfin génocides. Cette lecture est à la fois fausse et injuste. À force de n’insister que sur les abominations de nos ancêtres, quel avenir construit-on ? Si la jeunesse est amenée à mieux connaître Hitler que Napoléon, que peut-elle en penser ? À l’heure où il nous faut intégrer de plus en plus de jeunes esprits venus d’ailleurs dans la communauté nationale, comment les intégrer sur de telles bases ? Ce serait peut être faire injure aux travaux des historiens contemporains que de revenir sans changer une virgule au roman national d’autrefois. Non, le vase de Soissons ne fut jamais brisé et oui, nos ancêtres étaient si peu gaulois. Mais pour autant, faut-il déconstruire jusqu’à l’écœurement ce qui fut un ferment d’unité nationale ? Ce serait une grave erreur. Une erreur de civilisation même.

 

Pierre Branda

 

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Vous pouvez retrouver Pierre Branda...

19 mai 2015

Regards sur l'état du monde... et de la société française : printemps 2015

Fin mars, fidèle à mon habitude d’inviter de jeunes citoyens engagés en politique à s’exprimer sur des questions d’actualité, j’ai proposé à cinq d’entre eux, de familles de pensée différentes, de coucher sur papier numérique un texte imprégné de leur sensibilité propre autour de la thématique suivante : « Regards sur létat du monde (et de la société française) ». À la date de cette publication, le 19 mai, quatre textes m’étaient parvenus. J’entends renouveler cet exercice régulièrement, avec des panels de contributeurs à chaque fois différents. Le prochain sera un peu moins masculin. Merci à vous, Benoit, Arthur, Vincent, Arnaud, pour vos textes qui, tous, méritent lecture. Pour ce premier numéro de Regards sur l’état du monde... et de la société française, jai pris pour illustration une image d’actualité : une photo du site antique de Palmyre, menacé d’extinction par les tristes sires qui portent l’étendard du soi-disant État islamique. 19 mai 2015. Ainsi va le monde... Une exclusivité Paroles d’ActuPar Nicolas Roche.

 

Regards sur l’état du monde...

et de la société française

Palmyre

Illustration : Joseph Eid/AFP

 

 

Parler de la situation de la France et du monde aujourd’hui, c’est bien souvent dépeindre des souffrances, des renoncements, notre déclin. Et pourtant !

Mon statut de jeune entrepreneur me fait rencontrer chaque jour des hommes et des femmes qui créent ou développent leurs entreprises et essaient dans chaque situation qui pourrait survenir de retirer un maximum de positif. Agir pour ne pas subir. C’est cet optimisme qui m’entoure dans l’entrepreneuriat que j’ai décidé d’adopter aussi dans mon combat politique et de transmettre.

Si, fin février 2015, le nombre de chômeurs s’élevait à 5 561 000, toutes catégories confondues, la France est, après les États-Unis, le pays où se créent le plus de start-ups dans le monde, le pays où le taux de start-ups ayant atteint le seuil de rentabilité sur cinq ans avoisine les 80%, le pays où sera réalisé, bientôt, le plus grand incubateur au monde !

Si l’économie française souffre et subit des turbulences, elle est surtout en train de se métamorphoser : la « destruction créatrice » chère à Schumpeter est en marche ! Le rôle du politique ne doit pas être alors de freiner cette entrée de notre pays dans une nouvelle ère technologique, industrielle et sociétale mais de l’encourager. La reconversion, si elle est douloureuse, est nécessaire et plutôt que de maintenir sous perfusion des activités, que l’État investisse massivement dans la recherche et le développement ou la formation professionnelle serait plus bénéfique à mes yeux. Comme le disait le Général de Gaulle dans un discours du 14 juin 1960 : « On peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »

Il n’y a pas que l’économie qui évolue, la société française elle-même change aussi. Et s’il faut accompagner ce changement, il faut cependant prendre garde à ne pas faire disparaître toutes les structures. L’Homme a besoin de cadres pour se construire et se développer et il en existe deux pour moi : le cadre familial et le cadre national.

Si tous deux sont menacés en France, ils seraient pourtant simples à remettre en place par quiconque aurait un peu de courage politique : réaffirmer que chaque être humain doit savoir d’où il vient pour savoir où il va et en tenir compte lorsque l’on légifère, redonner la fierté d’être français par les programmes scolaires mais aussi par la mise en œuvre d’un grand projet national.

Pour mener à bien tous ces changements et combats, j’ai remarqué, dans mes rencontres de terrain chaque jour, que je pouvais compter sur les jeunes. Les jeunes, loin de se désintéresser de la politique, ont leur mot à dire. En 2007, 67 % des 18-30 ans se disaient intéressés par la campagne présidentielle et, en 2014, ils étaient tout de même 83% à déclarer suivre régulièrement l'actualité politique. Si les jeunes s’abstiennent, ils sont donc loin d’être dépolitisés.

Si je n’ai pas peur pour la démocratie française, il est temps pourtant pour les partis politiques de se remettre en cause s’ils ne veulent pas disparaître et être remplacés par de nouvelles structures. La mise en place et la multiplication des primaires au sein des partis, que ce soit pour le candidat aux élections présidentielles ou pour les candidats aux élections communales, est un exemple. Il faut plus de transparence, de démocratie, d’écoute et, ne vous inquiétez pas, les partis l’ont bien compris. Les jeunes d’ailleurs engagés au sein de ces partis commencent à faire bouger les lignes.

Parler de la France amène naturellement à parler aussi de la situation mondiale. Le monde doit relever aujourd’hui trois enjeux : le problème du terrorisme, la question environnementale et la gestion des flux migratoires. Et là encore je suis optimiste ! 

La communauté internationale, si je regrette son inaction et sa lenteur face à la barbarie terroriste, ne pourra pas se permettre de ne pas intervenir si elle ne veut pas que l’ensemble des pays du globe et notamment les pays occidentaux soient touchés à leur tour massivement. Il en est de même pour la question environnementale. Quant à la gestion des flux migratoires, il est temps d’aider les pays du Sud à se développer, cela est dans notre intérêt comme dans le leur. Le monde ne peut pas être stable si 50% de la population mondiale regarde les 50% autre profiter des richesses et ne pas les redistribuer. Nous avons su inventer la redistribution au sein d’un État, pourquoi ne pas le faire à l’échelle planétaire.

J’ai d’ailleurs de grands espoirs pour un continent comme l’Afrique ! L’Afrique dispose d’une jeunesse éduquée, de ressources importantes; elle est un marché en pleine expansion. Tout le monde en prend conscience et en particulier aujourd’hui les entreprises asiatiques. Elle ne sera pas laissée sur le banc de touche de la prospérité économique au 21ème siècle si elle s’affirme et sait tirer profit de l’attrait qu’elle représente.

Il ne s’agit pas de nier les souffrances et les difficultés qu’il peut y avoir aujourd’hui mais les solutions pour sortir de ce marasme existent. Alors plutôt que de commenter, agissons, ayons du courage et surtout, soyons optimistes, on a toujours raison d’avoir foi en la France !

 

Benoit Vergeot

 « Restons positifs ! »

par Benoit Vergeot, le 8 avril 2015

 

 

 

Parce qu’il faut bien un mot pour commencer un article, j'en prendrai un : terrorisme. Relativement à la mode depuis un certain temps. Seulement, qu'est ce que le terrorisme ? En voila un concept large, sans définition précise mais pourtant omniprésent dans le discours médiatico-politique. Le terrorisme serait aujourd'hui compris avant tout comme l'usage de la force, de manière illégale et non conventionnelle, afin de générer un sentiment de peur sur une population ciblée et porter ainsi certaines revendications, peu importent ces revendications ou la personne qui emploie ces méthodes (cela peut être une organisation, un État, etc.)

Dès lors, comment entendre ce discours bien pensant et politiquement correct de la “nécessaire” et “inévitable” “guerre contre le terrorisme” ?

Comment peut on penser faire la guerre à un concept, qui plus est aussi large et peu précisément définissable ? Le terrorisme est un mode d'action. Il nest pas porteur en soi d'une identité, si ce n'est la lâcheté de ceux qui s'attaquent à des populations ou des personnes sans défense dans le but d'atteindre un objectif qui leur est supérieur. Il nest pas non plus en soi porteur de revendications, si ce nest celles de refuser de sinscrire dans la légalité pour porter ses revendications.

Alors que l’on parle depuis plusieurs mois et années d'un terrorisme “islamiste”, il faudrait rappeler qu'en France, depuis les années 2000, l’immense majorité des attentats a été perpétrée par des nationalistes, corses et basques, qui représentent près de 78% des attentats perpétrés sur le territoire national depuis lan 2000. Est-ce à ce nationalisme que lon prétend faire la « guerre » ?

Les incantations répétées à mener une guerre contre le terrorisme ont un but politique très clair, pour ne pas dire politicien. Si certains pensent sincèrement, et naïvement, que cest une « guerre » dont nous avons besoin, la majorité du personnel politique qui sinscrit dans ce flot dincantations perpétuelles ont conscience de la portée belliciste de leurs propos. Ainsi, pour faire un parallèle avec lactualité, quand Christian Estrosi se prend dune envolée contre lislamo-fascisme et la guerre quil faudrait lui mener, il ne fait rien d'autre que crier avec les loups, prêts s’il le faut à déclencher une guerre civile dans le pays. Car, quest-ce dautre quune proposition ouverte de guerre civile ?

Dans lHistoire, les grandes tirades sur la guerre contre le terrorisme ont souvent ajouté de la confusion et de la destruction plutôt que constitué de véritables solutions à des problèmes bien réels. Pour ne pas évoquer un exemple qui est largement connu de tous (la stupidité de Bush, des néo-conservateurs états-uniens et de leurs quelques caniches européens dans les interventions en Afghanistan et en Irak), je parlerai de la situation qua traversée un pays que je connais bien : le Pérou.

Dans les années 80, puis dans les années 90, le pays a connu une vague de violence interne, initiée dans les Andes péruviennes par un groupe, le Sentier lumineux, rapidement classé sur la liste des organisations terroristes. À maints égards, ce mouvement, qui nest absolument pas assimilable aux guérillas qui se sont développées en Amérique latine à la même époque, utilisait largement des méthodes terroristes. En réponse à cette violence, les gouvernements péruviens qui se sont succédé ont déployé des solutions de répression aveugle, facilitées par un état de racisme ambiant qui imprégnait la classe politique à lencontre des populations andines. Lapogée de cette violence d'État fut atteinte sous le gouvernement Fujimori, qui utilisa la répression systématique comme mode de légitimation de son gouvernement.

Seulement, alors que le président en question roulait des mécaniques et que larmée employait des techniques anti-subversives extrêmement violentes à l'encontre des populations « suspectes », un groupe de renseignement créé bien avant l'arrivée au pouvoir de Alberto Fujimori infiltrait et démantelait les principaux réseaux dirigeants du Sentier lumineux. La dénommée « Opération victoire » procédait ainsi à l'arrestation du chef du mouvement, Abimael Guzmán, le 12 septembre 1992 alors que le-dit « sauveur de la nation », Alberto Fujimori, sen était allé à la pêche, preuve sil en fallait de son absence totale dimplication dans ce qui fut lun des événements les plus décisifs dans l'élimination de la violence du Sentier lumineux. Plus tard, la Commission de la Vérité de la Réconciliation admettra, après plusieurs années d’enquête, après avoir recueilli plusieurs milliers de témoignages, que lattitude des gouvernements successifs avait aggravé de manière considérable le conflit.

Quest ce que j’entends démontrer par cet exemple ?

Simplement que lefficacité des politiques destinées à éliminer la violence exercée par des « groupes terroristes » est souvent inversement proportionnelle aux grandes incantations politiciennes et aux déclarations de guerre. Déclarer faire la « guerre » au terrorisme est aussi inefficace quirresponsable. Inefficace parce que ce n’est pas avec les techniques de guerre que lon met un terme aux actions terroristes. Irresponsable parce que ces déclarations nont comme seule et unique conséquence quune aggravation du problème qui est posé.

Ainsi, les véritables laxistes en terme de politique de sécurité sont ces marabouts de la solution sécuritaire. Rouler des mécaniques, appeler à faire la guerre, renforcer des mesures de répression sans aucune compréhension des phénomènes que lon a en face de soi est autant une preuve de stupidité intellectuelle que de lâcheté face à ceux que lon prétend « combattre ».

Dans le contexte actuel, le pays ne peut se passer d'un véritable débat sur les méthodes à adopter pour relever ensemble la situation. Une chose est certaine : cela ne passera pas par lutilisation dune procédure accélérée dans l'examen au Parlement de la prochaine loi de renseignement, ni par l'utilisation de vocables bellicistes qui sont le comble de lirresponsabilité et sacrifient la sécurité des Français sur lautel de la compétition politique.

 

A

 « “Guerre” contre le terrorisme ? »

par Arthur Morenas, le 29 avril 2015

 

 

 

Notre génération a peu de repères. Elle nen voit pas la nécessité. La paix, la mondialisation, la crise et, paradoxalement, un certain individualisme fractionnent la société en petits égoïsmes préoccupés par leur futur proche, mais pas vraiment concerné par leur devenir commun. 

Les troubles contemporains, aux causes complexes et aux conséquences imprévisibles, entretiennent en effet un climat absurde dans lequel la survie individuelle prime. 

Le mal-être est flou, persistant, usant. Des forces sopposent à chaque être humain sans que celui-ci soit capable de les comprendre, donc de les affronter. Le terrorisme international, la finance dérégulée, la crise écologique sont autant de menaces auxquels lHumanité nencore jamais eu à lutter. Comment, dailleurs, faire face à un ennemi invisible ? À la fois sourds, aveugles mais paniqués, nous attendons que le salut vienne à nouveau dun Grand Homme qui montrera la voie.

Par le passé, les combats que livraient les Hommes étaient primaires : un adversaire clairement identifié, des impacts directs, un duel manichéen. La victoire ne nécessitait quun courage particulier, ce qui était à la fois terriblement exigeant et diaboliquement simple.

Ces conditions ont favorisé pendant des siècles lémergence de Grands Hommes. Les guerres, les discriminations raciales, les colonisations ont fait naître des De Gaulle, des Mandela ou des Gandhi. 

Pour deux raisons, ce nest plus d'actualité.

D'abord, parce que ces personnages ont été statufiés, figés dans un au-delà a priori inatteignable pour le commun des mortels. La déification des Grands Hommes empêche leurs semblables de comprendre que leurs actes étaient à la portée du moindre individu, quils étaient des exemples avant d'être exemplaires (ce quils n'étaient jamais totalement).

Ensuite, parce que la globalisation des problèmes auxquels les Hommes font face aujourdhui n'exige quune réponse collective. Toute initiative individuelle est désormais imperceptible, quand elle nest pas tuée dans l’œuf. Les mouvements de foule, de soutien ou dindignation nont plus de leaders – Je suis Charlie et les Anonymous en témoignent. Au lieu de venir den haut, les changements doivent donc émerger de la base. Lopinion publique remplace désormais lHomme providentiel. La contestation est devenue anarchique.

Cette reconnaissance de l'intelligence collective découle, on le comprend aisément, du pouvoir attribué au citoyen par ses rôles délecteur et de consommateur. Chaque individu étant un faiseur de rois politiques et commerciaux, les responsables des deux branches ne reconnaissent alors comme légitimes que les critiques portées par un certain nombre de leurs clients.

Il devient donc de plus en plus difficile de protester dans un système qui pousse à la survie individualiste mais ne reconnaît que la contestation collective. 

On peut comprendre que notre génération vive ainsi avec une perception inutile de la révolte dont découle un complexe dinfériorité vis à vis des Grands Hommes du passé, capables de prouesses aujourdhui irréalisables.

Mais, au contraire, il me semble essentiel de rappeler que nous détenons tous une part de Grand Homme. Il y a, même dans la personne isolée, la plus misérable – ou qui s'imagine l'être – de quoi améliorer le monde. Au lieu d'attendre la personnification de notre salut, nous devons chacun et chacune dentre nous faire appel à ce que nous avons de meilleur et mettre collectivement à profit ces forces individuelles.

En cela, jappelle tous les lecteurs de ce billet à donner un peu de leur temps et de leur énergie à une activité publique. Les possibilités ne manquent pas : parti politique, association, service civique, volontariat, etc.

Si nous ne sommes pas à la hauteur des Grands Hommes du passé que nous admirons tant, prenons au moins notre part dans laction collective. Alors, ensemble, nous serons les Grands Peuples de demain.

 

V

 « Des Grands Hommes aux Grands Peuples »

par Vincent Fleury, le 9 mai 2015

 

 

 

Qui ose prétendre que l’idee de nation est ringarde ? Tant de personnes se sont battues, tant d’êtres humains sont morts pour que survive la leur.

On a souvent, dans nos sociétés modernes, une impression culpabilisatrice lorsque l’on défend l'idée du patriotisme, en dehors de toute notion politique. On discute avec des amis, des connaissances, des membres de notre famille : un certain nombre nie la nécessité de la nation.

Alors certes, la nation ne fait plus rêver : il est devenu loin, le temps où, de la Révolution jusqu’à De Gaulle, on se sentait appartenir à une grande nation, une et indivisible. La notion de fraternité, notamment, a disparu : en même temps qu’au sommet on prône un universalisme inavoué, on détruit des liens forts, millénaires presque - ceux-là même qui faisaient notre unité.

Presque étrangers les uns des autres, les nationaux d’un même pays sont parfois devenus étrangers à eux-même : on doit renier notre appartenance nationale, puisque l’on doit se fondre dans une masse mondialisée, sous la coupe de l'universalisme, dénuée de toutes les valeurs que l’on a mis tant de temps à mettre en place : la liberté, l’égalité et la fraternité en font partie.

Les acquis révolutionnaires, et les acquis sociaux de ces dernières décennies se voient fondre au sein d'un régime juridique de plus en plus large, qui nie les particularismes nationaux : pourquoi, par exemple, la France devrait-elle payer de lourdes amendes lorsqu’une de ses lois n’est pas la même que celle voulue par l'Union européenne ? Quel serait, également, le SMIC européen que tous nous promettent, sans - évidemment - nous en donner le montant ?

Plus que jamais, ces acquis sociaux sont en danger; plus que jamais, nous devons avoir foi en notre nation, nous devons faire en sorte qu’elle (re)devienne protectrice pour nos concitoyens : aucun de nos dirigeants ne devrait pouvoir rompre avec cet objectif.

Il y a là la condition sine qua non d’une société internationale qui fonctionne correctement. Nous devons respecter notre nation, mais également celle des autres. Jaurès disait que c'est le bien de ceux qui ont tout perdu. En d’autres termes, nous devons reconnaître à ceux qui nous entourent le droit d’être fiers de leur patrie.

Mais certains liens, il est vrai, dépassent l'idée de nation ou de patrie. C'est le cas de la langue, par exemple. Si les Anglais l’ont déjà compris, la France doit également sauter le pas et recréer du liens avec les autres pays francophones. Nous pouvons trouver, en Asie, en Afrique, aux Amériques, des amis solides qui parlent notre langue mais que le gouvernement traite actuellement comme des États lambda. C’est vraiment dommage.

Il est donc possible de repenser notre monde, d'apporter un nouveau souffle patriote et pacifique. Nous devons dire haut et fort qu’on peut être fier de son pays sans faire la guerre ! L'avenir de notre monde sera, je l’espère, le patriotisme.

 

A

« La nation comme avenir de notre monde »

par Arnaud de Rigné, le 17 mai 2015

 

 

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22 avril 2015

Frédéric Quinonero : "Julien Doré a mérité sa Victoire de la musique"

J’ai, pour la troisième fois, la joie d’accueillir M. Frédéric Quinonero, auteur de biographies réputées de vedettes de la chanson et du cinéma, dans les colonnes de Paroles d’Actu. Il a accepté, le 21 avril, de répondre aux questions que je lui ai préparées autour de la sortie de son nouvel ouvrage, Julien Doré, LØVE-Trotter (éd. Carpentier), consacré comme son nom l’indique à l’ex-vainqueur de l’édition 2007 de la Nouvelle Star. Depuis, ce dernier a fait du chemin : le 13 février dernier, il était consacré artiste masculin de l’année lors de la cérémonie des Victoires de la musique 2015. Merci à Frédéric Quinonero pour ce nouvel échange. Pour son travail, qui véritablement vaut d’être découvert. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES DACTU

Frédéric Quinonero : « Julien Doré a mérité sa Victoire de la musique »

 

Julien Doré

Éd. Carpentier

 

Paroles d'Actu : Bonjour Frédéric Quinonero, je suis ravi de vous retrouver pour cette nouvelle interview pour Paroles d’Actu. L’objet de notre entretien du jour, c’est la biographie que vous venez de consacrer à Julien Doré (Julien Doré, LØVE-Trotter, aux éd. Carpentier). J’ai d’abord envie de vous demander à quel moment vous l’avez découvert, et ce que vous en avez pensé les premiers temps ?

 

Frédéric Quinonero : J’avais un peu suivi la Nouvelle Star et sa personnalité m’avait séduit. J’aimais son côté décalé et sa façon de détourner les chansons, comme Mourir sur scène ou Moi Lolita. Comme souvent chez ce genre d’artistes révélés par un télé-crochet, j’ai moins adhéré à son premier album (Ersatz, sorti en 2008, ndlr). Mais je trouvais sa démarche ambitieuse et intelligente. J’ai vraiment découvert son univers avec l’album LØVE (sorti en 2013, ndlr).

 

PdA : La démarche d’une biographie de Julien Doré peut étonner, à ce stade de son parcours : certes, il s’est fait une place dans le paysage musical, mais il est encore très jeune... D’où est venue cette idée ?

 

F.Q. : Comme je l’écris en avant-propos, il y avait cette idée d’écrire sur un enfant du pays. Quelqu’un de chez moi. Nous avons tous deux grandi entre le Gard et l’Hérault et je pensais que cela créait un lien, une sorte de parenté géographique. Et c’était à la fois sympathique et pratique de mener un travail d’investigation du côté de Nîmes et de Lunel. Ensuite, il me semblait que Julien Doré était parvenu à une étape-butoir de son parcours : son album LØVE, le plus abouti à mes yeux, venait de remporter un gros succès, conforté par une longue tournée de plus d’un an, et marquait l’affirmation d’une identité musicale et poétique. Et partant, la confirmation d’une carrière. Alors, je trouvais intéressant de dresser un premier bilan et de le faire mieux connaître au public par le biais de ce livre.

 

PdA : Julien Doré n’a, disons, pas exactement regardé ce projet de bio avec une bienveillance aveugle. Ça a été compliqué de rencontrer ses proches, de composer cet ouvrage ?

 

F.Q. : Disons le clairement : Julien Doré a rejeté carrément le projet. Ma première démarche vers lui – un petit mot privé sur son Facebook officiel où je lui exposais humblement le motif de ma démarche et avançais éventuellement la possibilité d’une rencontre – demeura lettre morte. Dans le cas d’un silence prolongé, on applique l’adage « qui ne dit mot consent ». J’ai alors commencé mon travail d’investigation dans ma région et recueilli quelques entretiens. Jusque là, rien de très compliqué. Au contraire, c’était fort agréable de rencontrer ainsi des gens sympathiques qui m’ont fait part d’anecdotes amusantes. Prévenu par l’un de ses amis proches, Julien Doré a soudainement réagi en me demandant de renoncer au projet. Après concertation avec mon éditeur, il a été décidé que non.

 

PdA : On découvre dans votre livre les premières années du parcours de Julien Doré : un garçon qui se cherche pas mal au départ et apparaît plutôt touchant. Mais il y a aussi, ressortant de certains propos recueillis, cette image tenace d’un manipulateur, quelqu’un qui a tout compris en termes d’image et de marketing, et dont on pourrait douter de la sincérité (même si c’est une thèse qui n’est pas forcément la vôtre et que les quelques articles déjà parus sur ce livre lui accordent une couverture amplement disproportionnée). Ma question est : quelle image vous êtes-vous forgée de l’artiste, de l’homme Julien Doré au terme de cette étude ?

 

F.Q. : Il n’est pas le seul artiste à gérer sa carrière en termes d’image et de marketing. Prenez Stromae, Christine & The Queens… C’est une attitude qui répond parfaitement à l’époque. Et même, si l’on remonte un peu le temps, quelqu’un comme Claude François maîtrisait déjà parfaitement ces outils-là : rien n’était laissé au hasard et ne sortait du cadre… Son expérience aux Beaux-Arts a formé Julien Doré à ces outils de communication indispensables aujourd’hui pour durer dans ce métier. Ceci étant, il a su intelligemment construire une carrière et imposer un style, une vraie démarche artistique, ce qui n’est pas donné à tout le monde et encore moins aux ressortissants de talent-shows que les maisons de disques ont plutôt tendance à manipuler, à formater, et qui s’essoufflent vite.

 

PdA : Julien Doré a été consacré « artiste masculin de l’année » lors des Victoires de la musique 2015. C’est une consécration méritée pour vous ? Vous lui auriez apporté votre voix ?

 

F.Q. : Oui, sans doute. C’est une consécration méritée pour les raisons déjà énoncées. Julien Doré est une personnalité artistique qui sort du lot. Quelqu’un dont on peut présager qu’il va durer encore longtemps. C’était le moment pour lui donner ce trophée : il confirme son élan et promet un bel avenir.

 

PdA : Je ne suis pas a priori un grand amateur de Julien Doré mais je suis toujours très curieux et ouvert à la découverte. Pour préparer cet échange, j’ai écouté un peu ce qu’il avait fait. Et suis tombé notamment sur une chanson puissante, qui m’a beaucoup plu, Corbeau blanc (version LØVE live).  Bref... S’il fallait conseiller à nos lecteurs quelques titres, quelques « incarnations » de titres préexistants pour mieux découvrir Doré, quel serait votre choix ?

 

F.Q. : Mon Top 5 : Corbeau blanc, Les bords de mer, Paris-Seychelles, Mon apache, Glenn Close.

 

PdA : À défaut d’avoir reçu quelque signe que ce soit de sa part, avez-vous eu des retours de ses proches par rapport au livre ?

 

F.Q. : Ceux qui ont témoigné et à qui j’ai fait parvenir le livre l’ont aimé et trouvé très respectueux de l’artiste.

 

PdA : Lors de notre précédente interview, datée de novembre dernier, vous me disiez vouloir, après cet ouvrage, lever un peu le pied niveau écriture pour travailler à l’obtention d’un emploi moins précaire en parallèle. Où en êtes-vous de vos projets ?

 

F.Q. : Pour l’instant, j’ai d’autres projets d’écriture. Mon livre sur Johnny (Johnny, la vie en rock, aux éd. de lArchipel, ndlr) a été un succès, donc il est important de rebondir sur un succès.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter, Frédéric Quinonero ?

 

F.Q. : Que ça dure.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

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Pour aller plus loin...

21 avril 2015

"Éloge de la flânerie", par Rémi Tell

J’inaugure avec cet article une nouvelle rubrique informelle du blog qui, je l’espère, sera amenée à croître. Appelons-la : « Paroles de passionnés ». L’actualité est souvent brutale; quant à la vie, elle sait parfois se montrer cruelle et terriblement déprimante. Bref. J’entends, par cette initiative, mettre l’accent sur du positif en donnant la parole à des passionnés. Notamment à des intervenants du blog qui, déjà, se sont exprimés sur des sujets totalement différents. Plus sérieux et, de temps en temps, franchement clivants. Je pense en particulier aux jeunes engagés en politique, que j’aime à faire s’exprimer sur Paroles d’Actu. Je suis ravi, pour ce premier texte (daté du 11 avril), d’accueillir le jeune Rémi Tell, un fidèle du blog. Ce jeune étudiant et conseiller municipal des Yvelines a choisi de nous gratifier d’un bel « éloge de la flânerie ». Je l’en remercie. Une exclusivité Paroles dActu. Par Nicolas Roche.

 

« Éloge de la flânerie »

par Rémi Tell

 

Mes vingt ans sont autant dannées de flâneries. Petit, déjà, je remplissais la triste fin des dimanches de tours, de détours, dans notre modeste jardin. Pour échapper aux aiguilles de l'horloge, seul dans la chambre, et trouver le réconfort dans le vent tiède qui chatouille le visage, caresse la peau et ébouriffe les cheveux.

Cette habitude ne ma plus quitté dès lors, et aussitôt que le moment sy prête, je me plais à la retrouver. Je sors dans les rues. Pour observer le mystère des vies qui défilent sur le trottoir, des singularités qui passent, et qui sans le savoir animent une scène dont elles sont le plus curieux des décors.

Ne sous-estimons pas les vertus de la flânerie pour le repos de l'âme. Et cest sur les sentiers des Landes que cette vérité m’apparaît à chaque fois le mieux. Peu importe la saison, été ou hiver : cest dans la forêt, au milieu des pins et de leur odeur que jai été le plus heureux. Dans ces moments de plénitude où lon en vient à se dire que, ça y est, on pourrait presque mourir sans trop ressentir la honte de ne pas avoir assez vécu.

Et de mes promenades solitaires, je tire mon inspiration. Mes projets les plus fous, mes rêves les moins raisonnables sont tous nés au bord dun chemin.

Je nai pas fini d'arpenter le bitume, comme les allées de terre. Et un jour, quand le temps aura passé, jespère pouvoir leur rendre de plus beaux hommages.

 

Rémi Tell 

 

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20 avril 2015

Pascal Cyr : "N'en déplaise aux Britanniques, ce fut Blücher qui vainquit à Waterloo"

   Le 18 juin prochain marquera, outre le 75ème anniversaire du fameux cri de ralliement que lança, depuis Londres, le général de Gaulle aux forces françaises désireuses de continuer la lutte contre l’Allemagne nazie, le bicentenaire d’une bataille épique, tragique et fondatrice d’un nouvel ordre européen - donc mondial. Revenu au pouvoir après un périple appelé à s’inscrire à jamais parmi les pages les plus romanesques de lhistoire nationale, Napoléon comprit fort bien que les couronnes européennes qui l’avaient combattu sans relâche des années durant n’étaient en rien disposées à le tolérer sur le trône à peine restauré d’un des leurs; qu’il ne pouvait être des plans tout juste conçus à Vienne d’une Europe de l’équilibre et de la conservation. LEmpereur connaissait l’état de fatigue de la France; il savait que, face à une ultime coalition des mers et du continent contre lui, il n’avait aucune chance de l’emporter. Son seul espoir : jouer contre la montre. Des victoires rapides et décisives contre des armées pas encore réunies pour pallier une infériorité numéraire criante. Après, il pourrait négocier. L’Autriche et la Russie ne seraient pas prêtes avant plusieurs semaines. Restaient les Prussiens et les Anglais, toujours les Anglais... La confrontation décisive se tiendra à Waterloo, en terre belge, le 18 juin 1815...

   La thèse de doctorat de M. Pascal Cyr, intitulée Waterloo : origines et enjeux, a été publiée en 2011 aux éditions LHarmattan. Le 4 mai, son nouvel ouvrage, Grouchy est-il responsable de la défaite ? sortira en librairie (éd. Lemme edit). Début février, je lui ai demandé s’il accepterait d’écrire un article inédit pour le blog. Au départ, l’idée était d’évoquer la place de Waterloo, qui marque la fin de la prépondérance française en Europe, dans la psyché nationale. Puis nous avons convenu d’une alternative mutuellement considérée comme étant plus intéressante : une chronique mise en perspective de la prise de la Haye-Sainte, un point capital - et méconnu - de la bataille, qu’il a relativement peu traité dans son livre. Son texte, dont j’espère qu’il agira comme un trailer pour son ouvrage, m’est parvenu le 19 avril. Il est passionnant pour qui s’intéresse à la tactique et à lhistoire militaires, à l’Histoire tout court. Et aux grandes tragédies. Merci mille fois, M. Cyr, pour cette contribution d’exception. Une exclusivité Paroles dActu. Par Nicolas Roche.

 

PAROLES DACTU - LA PAROLE À...

Pascal Cyr : « N’en déplaise aux Britanniques,

ce fut Blücher qui vainquit à Waterloo »

 

Waterloo

 

« La Haye-Sainte, là où la bataille de Waterloo aurait pu être gagnée »

par M. Pascal Cyr, docteur en Histoire et enseignant

 

Au matin du 18 juin, dans son quartier général du Caillou, Napoléon établit son plan de bataille. Très simple comme toujours, il explique à ses subordonnés qu’il compte percer au centre. Mais pour forcer Wellington à dégarnir le centre de son dispositif, il compte effectuer une diversion sur la gauche où se situe la ferme fortifiée de Hougoumont. À ces mots, [le maréchal] Soult reste dubitatif. Il connaît bien le Mont-Saint-Jean puisqu’il s’est battu au même endroit en 1794. Mais à l’époque, si l’armée française l’avait pris d’assaut et repoussé les Autrichiens, il sait que les soldats anglais sont d’une tout autre trempe. Comme il réitère ses observations à Napoléon, celui-ci s’emporte et lui rétorque : « Parce que vous avez été battu par Wellington, vous le regardez comme un grand général. Et, moi, je vous dis que Wellington est un mauvais général, que les Anglais sont de mauvaises troupes, et ce sera l’affaire d’un déjeuner. » Si Napoléon sous-estime grandement les qualités professionnelles de l’ennemi, il en est de même de la position qu’il a choisie. Wellington s’est retranché derrière le plateau du Mont-Saint-Jean. Son dispositif de défense repose sur trois fermes fortifiées : Hougoumont, sur la gauche, Papelotte, sur la droite et la Haye-Sainte, au centre. Quelques minutes plus tard, alors que Napoléon donne ses instructions, le général Reille, commandant du 2e corps d’armée et Jérôme Bonaparte, le frère de l’empereur, entrent au QG du Caillou. Napoléon se retourne vers le premier afin de lui demander son avis sur l’armée anglaise. Vétéran des guerres d’Espagne, Reille connaît lui aussi la solidité des soldats anglais.

 

« Bien posté comme Wellington sait le faire, et attaqué de front, je regarde l’infanterie anglaise comme inexpugnable en raison de sa ténacité calme et de la supériorité de son tir. Avant de l’aborder à la baïonnette, on peut s’attendre que la moitié des assaillants sera abattue. Mais l’armée anglaise est moins agile, moins souple, moins manœuvrière que la nôtre. Si l’on ne peut vaincre par une attaque directe, on peut le faire par des manœuvres. »

 

Mais Napoléon ne fait pas attention aux observations de Reille et de Soult. À 11 h 30, il lance les hostilités. La grande batterie, composée de 80 canons, ouvre le feu sur les positions anglaises. Le général Reille lance ses troupes contre Hougoumont. Très vite, le boisé qui couvre la position anglaise est conquis. Or, Jérôme Bonaparte, qui commande la 6e division, décide de lancer ses troupes à l’assaut de la ferme. En ce sens, il désobéit aux ordres du général Reille. Depuis les hauteurs des murs et derrière les meurtrières qu’ils y ont préalablement percées, les Anglais ripostent furieusement. Les pertes sont lourdes. Après deux assauts, Jérôme comprend qu’il ne lui sera pas possible d’emporter la position. Même si le général Foy s’empare du verger sur la droite, même si Hougoumont est bombardée et incendiée, les Anglais ne cèdent pas. De son côté, Wellington n’a pas mordu à l’hameçon tendu par Napoléon. Il reste sur ses positions.

 

  1. Premier assaut contre la Haye-Sainte

 

À 13 h 30, Napoléon lance le corps de Drouet-d’Erlon à l’attaque. Formés en phalange, les hommes marchent vers le centre anglais. Seule la brigade du général Quiot est légèrement détachée de la phalange afin de se porter sur la gauche vers la ferme de la Haye-Sainte. C’est la première unité qui entre au contact de l’ennemi. Comme à Hougoumont, la ferme est fortifiée. Il aurait fallu battre en brèche les murailles or, Napoléon et l’état-major ont opté pour un bombardement des lignes anglaises. Par conséquent, Quiot et ses hommes se butent à la résistance opiniâtre de la King’s German Legion commandée par le major Baring. Malgré la grêle de projectiles qui s’abat sur eux, les hommes de Quiot tiennent bon et repoussent les compagnies allemandes qui sont en position dans le verger situé devant la ferme. Entre-temps, un bataillon de la brigade contourne le bâtiment principal, escalade le mur du potager et déloge les défenseurs qui battent en retraite vers les dépendances. Depuis sa position à l’ouest de la route de Bruxelles, Wellington constate que les Français entourent la ferme. Il comprend la réelle possibilité de voir cette position clef tomber entre leurs mains. Inquiet pour l’ensemble de son dispositif de défense, il ordonne au général Ompteda d’envoyer un autre bataillon de la K.G.L au major Baring afin qu’il puisse repousser les assaillants.

 

Les Allemands descendent la pente par la gauche et chassent les hommes de Quiot du potager. Ils poursuivent plus en avant afin de s’avancer vers le verger. C’est à ce moment qu’ils sont chargés par les cuirassiers du général Travers détaché du corps de Milhaud par l’Empereur afin de soutenir l’infanterie. Sabrés par la cavalerie, les soldats allemands doivent battre en retraite et rejoindre le plateau. Du même souffle, les cuirassiers les poursuivent jusqu’au bord de ce même plateau et sabrent les tirailleurs de la brigade du général Kielmansegge. Malgré cette belle action des cuirassiers de Travers, la Haye-Sainte reste aux mains des troupes de Wellington. Certes, le duc a fait décimer un bataillon, mais il a réussi à gagner du temps, ce qui manque le plus à Napoléon. Pendant que la brigade Quiot se bat autour de la Haye-Sainte, le corps d’armée de Drouet d’Erlon marche aux cris de « Vive l’Empereur » vers les positions anglaises. Leurs batteries ripostent et provoquent des pertes sensibles dans les rangs français. Néanmoins, les artilleurs anglais ne peuvent ajuster le tir de façon précise puisque les canons français opèrent eux-mêmes un tir de contrebatterie.

 

Mais les évènements commencent à mal tourner. Si Drouet d’Erlon progresse, les rangs qui composent sa phalange s’emmêlent et la confusion s’installe. Alors que les troupes de Picton résistent, Wellington lance la cavalerie qui attaque les Français par les flancs. Devant l’impossibilité de se former en carré, c’est la débandade. Les cavaliers poursuivent les fuyards jusqu’à la grande batterie, mais Napoléon fait intervenir les lanciers et la cavalerie anglaise, notamment les Scots Greys et les Life Guard, est presque décimée. Tout doit être recommencé. La situation est d’autant plus critique que les Prussiens sont signalés sur la droite, à Chapelle-Saint-Lambert.

 

  1. Deuxième assaut et prise de la Haye-Sainte

 

Alors que la brigade Quiot est toujours engagée devant la Haye-Sainte, la grande batterie intensifie le rythme de son tir sur les positions anglaises. À ce moment, les choses semblent mal tourner pour Wellington. Les blessés et les morts s’accumulent, les caissons de munitions se vident et de nombreux fuyards gagnent la forêt de Soignes par la route de Bruxelles. Afin de soustraire son armée aux tirs dévastateurs de l’artillerie française, Wellington ordonne à ses officiers de la faire reculer de cent pas. De l’autre côté de la plaine, alors qu’il observe le mouvement de repli de l’armée anglaise, Ney croit que Wellington se retire. Il estime que le temps est venu de lancer une charge de cavalerie. C’est à ce moment que survient l’un des épisodes les plus curieux de la bataille de Waterloo, car la question qui demeure consiste à savoir si l’Empereur était informé des intentions de Ney.

 

Selon le général Delort, l’aide de camp du maréchal s’est rendu auprès du général Farine pour lui ordonner de mettre ses deux régiments en marche. C’est alors que Delort intervient pour faire stopper le mouvement : « Nous n’avons d’ordre à recevoir que du comte Milhaud. » Très irrité de ne pas voir les cuirassiers se mettre en marche, Ney se rend lui-même auprès du général Delort et lui ordonne à nouveau de se mettre en marche. Delort objecte que cette manœuvre est prématurée et fort imprudente. Ney lui répond qu’il s’agit des ordres de l’Empereur. Suivies des lanciers rouges et des chasseurs à cheval de la Garde, les deux divisions de cuirassiers, soit 6000 cavaliers environ, partent au grand trot vers les lignes anglaises. Bien que l’Empereur ait eu l’intention de faire exécuter une charge de cavalerie pour briser définitivement l’armée anglaise, il n’a pas donné l’ordre à Ney de s’exécuter, mais contrairement à ce que certains disent, il est impossible que le déploiement d’une telle masse de cavaleries se soit effectué à son insu. Donc, même si l’initiative vient de Ney, Napoléon l’a sans doute approuvée puisqu’il n’a pas tenté de l’arrêter. Tout indique qu’ils ont tous deux sous-estimé la position de Wellington, car, dans le mémorial, Napoléon sous-entend que Murat aurait très certainement pu enfoncer les carrés anglais, ce qui jette le discrédit sur le maréchal Ney.

 

« Je ne me crus pas assez puissant pour l’y maintenir, et pourtant il nous eût valu peut-être la victoire; car que nous fallait-il dans certains moments de la journée ? Enfoncer trois ou quatre carrés anglais; or Murat était admirable pour une telle besogne; il était précisément l’homme de la chose; jamais à la tête d’une cavalerie on ne vit quelqu’un de plus déterminé, de plus brave, d’aussi brillant. »

 

Ney s’élance à la tête de la cavalerie dont les escadrons sont disposés en échelon, les cuirassiers à droite, les chasseurs et les chevau-légers à gauche. Il va tenter de percer le front ennemi entre le chemin d’Ohain et la ferme d’Hougoumont. Depuis les hauteurs qui dominent la plaine, les Anglais ne s’inquiètent pas outre mesure. Ils savent que la cavalerie française, sans appui de l’infanterie, n’a que très peu de chance d’entamer des bataillons qui n’ont pas encore été ébranlés. Wellington fait intervenir ses réserves et toutes les batteries pointent sur les cuirassiers considérablement ralentis par les terres grasses et détrempées. À ce moment, plus de vingt bataillons forment deux lignes de carré qui se positionnent en échiquier. Alors que Ney fait accélérer le mouvement, les canons anglais augmentent la cadence de tir. Alternant les tirs de shrapnels, de boulets ramés, de boulets ronds et de paquets de mitraille, les artilleurs anglais creusent des brèches béantes à l’intérieur des escadrons français. Sans se soucier des pertes, Ney et ses cavaliers réussissent à aborder les canons anglais et à sabrer les canonniers. L’artillerie se tait, mais les cuirassiers font maintenant face aux carrés. Disposés sur trois rangs, ne laissant aucune ouverture, les Anglais ouvrent le feu. Les balles frappent et ricochent sur les cuirasses, ce qui rappelle, selon les témoins de l’époque, le bruit de la grêle qui ricoche sur la tôle. Mais en dépit de leur vaillance et de leur rage de vaincre, les cavaliers français ne sont pas en mesure d’enfoncer les lignes anglaises. L’élan initial étant passé, ils doivent se contenter de tourbillonner autour des carrés afin d’y chercher une ouverture. Entre 15 h et 17 h, Ney a fait attaquer le plateau à quatre reprises sans obtenir d’autres résultats que de faire massacrer ses cavaliers.

 

De par son impétuosité à vouloir percer les lignes anglaises, Ney a oublié l’objectif principal, la ferme de la Haye-Sainte. Obéissant aux ordres de Napoléon, après avoir fait décimer sa cavalerie, le fougueux maréchal repart en avant et entraîne avec lui le 13e léger de la division Donzelot ainsi qu’un détachement du 1er régiment du génie qui se lance contre la ferme. À l’abri derrière les murs, à l’aide des meurtrières, les hommes du major Baring tirent sans discontinuer sur les assaillants. En quelques minutes, plus de soixante-dix Français tombent sous leurs feux. Les corps s’entassent en tas au pied du mur est. Sans échelles, les soldats de Donzelot grimpent sur les morts pour escalader l’obstacle. Depuis le sommet du mur, ils fusillent les chasseurs de Baring qui sont dans la cour tandis que d’autres se hissent sur le toit de la grange. Au même moment, de l’autre côté de la ferme, un détachement français s’attaque à la porte principale qui cède sous les coups de hache des soldats. Ceux-ci pénètrent dans la cour et acculent les Allemands aux bâtiments. Sans munitions, ceux-ci chargent à l’arme blanche.

 

Avec quarante-deux soldats, Baring réussit à s’extirper de la ferme pour rejoindre le plateau du Mont-Saint-Jean. Profitant de l’avantage, Ney fait établir une batterie à cheval sur un monticule près de la Haye-Sainte et d’un même élan, il dépêche un régiment à côté de la sablonnière toujours défendue par le 95e régiment anglais. Sous le feu de la batterie et des restes des divisions Allix, Donzelot et Marcognet, les hommes du 95e doivent abandonner leurs positions. À l’autre extrémité du champ de bataille, Durutte et ses hommes reviennent à la charge et repousse les Nassauviens du Prince de Saxe-Weimar. La ferme de Papelotte est de nouveau assiégée.

 

Dès lors, après la conquête de la Haye-Sainte vers 18 h, la ligne anglaise menace de s’effondrer. Les divisions sont rendues à l’état de brigades, et les brigades à l’état de compagnies. Sur le centre gauche de la ligne anglaise, les brigades Kempt, Pack, Lambert, Best et Winke tiennent toujours, mais Wellington n’a plus de réserve à lancer dans la bataille. Faute de servants et de pièces en état, l’artillerie ne tire presque plus tandis que les fuyards abandonnent le champ de bataille par centaines. Quant à la cavalerie, elle n’est guère mieux lotie que celle des Français, ses pertes sont énormes et ses chevaux sont fourbus.

 

Les officiers accourent auprès de Wellington afin de lui demander des ordres, mais ne sachant trop quoi faire, il se contente d’ordonner aux troupes de mourir sur place. S’il voit les Prussiens débouler sur le champ de bataille en direction de Plancenoit, ceux-ci n’arrivent pas à percer le flanc droit de l’armée française, ce qui n’atténue en rien son état d’anxiété de plus en plus persistant. De son côté, voyant la ligne anglaise vaciller, Ney réclame le soutien de l’infanterie pour donner le coup de grâce. Lorsqu’il reçoit le message porté par le colonel Heymes, Napoléon s’écrie : « Des troupes ! Où veut-il que j’en prenne ? Voulez-vous que j’en fasse ? » Or, Napoléon dispose toujours des bataillons de la Vieille Garde en réserve, mais sans cavalerie pour les appuyer, il hésite avant d’engager l’élite de l’armée. De plus, les soldats de Bülow mettent davantage de pression du côté de Plancenoit. Il lui faut d’abord stabiliser la droite avant de tenter un nouvel assaut.

 

  1. Les Anglais reprennent la Haye-Sainte

 

Avec des éléments de la Jeune Garde et de la Vieille Garde commandées par le général Duhesme, Napoléon réussit à contenir les Prussiens à Plancenoit. À 19 h, il en profite pour lancer la Garde contre Wellington afin de porter le coup décisif. Empruntant la même route que la cavalerie deux heures plus tôt, les Grognards marchent sur un sol labouré et encombré de cavaliers et de chevaux morts. Leur progression s’en retrouve par conséquent ralentie, ce qui permet à Wellington de gagner du temps afin de ramener au centre tous les bataillons qui lui restent. Alors que les grognards progressent avec assurance vers le sommet du plateau, Wellington donne l’ordre de passer à la contre-offensive. Sous les tirs anglais, les divisions Allix, Donzelot et Marcognet, du moins ce qui en reste, perdent pied et se retirent vers la Haye-Sainte. Appuyée par l’artillerie de la grande batterie, la Garde, enveloppée par la fumée, entreprend l’ascension du versant. Lorsqu’ils apparaissent au sommet du plateau, les grognards sont happés par un violent tir de mitraille.

 

Afin de faire face, ils se déploient en échelon et culbutent deux bataillons de Brunswick ainsi que les 30e et 73e régiments de la brigade du général Halkett, lui-même blessé en tentant de rallier ses hommes. Ce sera le seul succès de la Garde, car dès cet instant, elle tombe sur la brigade du général Maitland, alors embusqué dans les blés. Lorsque les grognards surgissent au sommet de la crête, Wellington, qui se tient près de Maitland, lui donne l’ordre d’ouvrir le feu. Aussitôt, près de trois cents hommes sont fauchés par les balles. Au même moment, lord Saltoum, lieutenant-colonel du 1er Foot Guard, ordonne à ses hommes d’attaquer à la baïonnette. Mais les grognards n’abandonnent pas le terrain aussi facilement. Ils reculent pied à pied vers le verger d’Hougoumont. C’est à ce moment que le 3e chasseur de la Garde reçoit le renfort de l’unique bataillon du 4e chasseur alors en position sur la gauche. Cette intervention permet au 3e chasseur de se soustraire au feu des hommes de Maitland. Les bataillons se reforment et les grognards reviennent à l’assaut. Mais, saisissant l’instant décisif, le lieutenant-colonel Colborne arrive à propos avec le 52e en soutien. Formés en potence avec la brigade Maitland, ils tirent sur les flancs du 3e chasseur et les chargent à la baïonnette.

 

Wellington fait soutenir Colborne par le 95e Rifles. Accablés de toutes parts, les chasseurs doivent revenir en arrière. Le duc profite de ce moment afin de déstabiliser la Garde et l’empêcher de reformer ses rangs. Il ordonne à la brigade du général Adam ainsi qu’à la cavalerie de Vandeleur de soutenir Halkett. Au moment où les grognards amorcent un nouveau mouvement de repli, le cri fatidique circule d’un bout à l’autre du champ de bataille : « La Garde recule ! » Tous savent que la bataille est perdue, car de gauche à droite, le mouvement de recul gagne toute la ligne de front. À la vue des troupes de Ziethen au lieu de celles de Grouchy, les soldats s’estiment trahis, c’est le sauve-qui-peut général. L’infanterie de Reille bat en retraite et abandonne ses positions près d’Hougoumont. Au même moment, la Haye-Sainte est abandonnée. Elle est reprise par les Anglais vers 20 h.

 

L'assaut de la Haye-Sainte

L'assaut de la Haye-Sainte, par Richard Knotel

 

  1. Conclusion

 

Sous la pression des Prussiens et de ce qui reste de l’armée anglaise, l’armée française s’effondre. C’est la déroute. Napoléon quitte le champ de bataille vers 21 h 15. Dans la précipitation, ses bagages seront pris. Il laisse sur le terrain 7000 morts, 18 000 blessés et 7000 prisonniers. Devant l’ampleur du désastre, la Chambre des représentants, conduite par Fouché, demande son abdication. Il s’exécute le 22 juin.

 

Au cours de cette journée où les erreurs se sont enchaînées, Napoléon, lors de la prise de la Haye-Sainte vers 18 h tenait la victoire du bout des doigts. Les Anglais étaient sur le point de céder. À cette heure, Wellington sait que si les Prussiens n’arrivent pas en masse sur le champ de bataille, il devra ordonner la retraite. Les officiers et les hommes de troupe sont démoralisés, les fuyards se multiplient dans la forêt de Soignes, sa cavalerie est presque décimée et son artillerie, sans pièces et sans servants, est réduite au silence. Il suffisait à Napoléon de donner le coup de grâce. Mais, comme une bouffée d’oxygène, Blücher est arrivé sur le champ de bataille. Napoléon a dû parer à cette menace du côté de Plancenoit. Un temps précieux perdu par l’empereur que Wellington a mis à profit afin de renforcer son centre. Lorsque la Garde attaque les Anglais vers 19 h, progressant entre La Haye-Sainte et Hougoumont, il est trop tard. Il n’est plus possible de percer. Ainsi, quoi qu’en disent certains auteurs britanniques, Blücher a sauvé l’armée anglaise de la défaite et par conséquent, il est le véritable vainqueur de la bataille de Waterloo.

 

Pascal Cyr

Photo : Marianne Deschênes

 

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30 mars 2015

Pierre Branda : "Avant Bonaparte, l'État empruntait à 40%"

   Écrire pour Paroles d'Actu, c’est d’abord une histoire de rencontres. Enrichissantes, toujours, et parfois franchement agréables. Ce fut le cas s’agissant de celle dont il est question aujourd’hui. Mais commençons... par un petit retour en arrière. J’ai réalisé et publié, avant le présent article, trois interviews relatives aux deux Bonaparte qui dirigèrent la France, au tout début et dans le troisième quart du dix-neuvième siècle (voir : les entretiens avec Thierry Lentz, en décembre 2013 et septembre 2014 ; celui avec Éric Anceau en septembre 2014). Ces publications, j’ai essayé, comme pour toutes les autres, de les faire découvrir à des personnes qu’elles étaient à mon avis susceptibles d’intéresser - Facebook est fort pratique pour cet exercice.

   La voie des amis d’amis sur le célèbre réseau social m’a conduit - heureux atterrissage ! - sur la page d’un certain Pierre Branda. Je ne le connaissais pas mais ai vite compris qu’il était historien. Je me suis renseigné sur ses écrits ; ai découvert qu’il est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé Le prix de la gloire : Napoléon et l’argent (Fayard, 2007). Je l’ai aussitôt contacté (20 mars) pour lui proposer de lui soumettre par mail quelques questions touchant aux finances de la France, époques consulat et Empire. Le 21 mars, je lui envoyai mes questions ; ses réponses me sont parvenues le 29. Je tiens à le remercier de nouveau ici pour la générosité et lextrême courtoisie quil m’a témoignées. Pour ses réponses, passionnantes et dont la lecture vous donnera je l’espère envie à vous aussi de vous procurer son ouvrage. Et de continuer à suivre ses travaux. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Pierre Branda : « Avant Bonaparte,

l’État empruntait à 40% »

 

Le prix de la gloire

Éd. Fayard (2007)

 

Paroles d'Actu : Bonjour Pierre Branda. S’il est un héritage qu’on ne conteste guère à Bonaparte, Premier Consul puis empereur, c’est celui d’avoir restauré ordre et autorité de l’État en France après de longues années de troubles. Cette affirmation vaut-elle pour les grands équilibres structurels des finances et des budgets de la nation, cette question majeure qui a contribué à faire chuter la monarchie et à ôter de leur crédibilité aux premiers gouvernements nés de la Révolution ?

 

Pierre Branda : La période consulaire est en effet un moment d’exception dans l’histoire de France. Elle l’est tout autant et peut être davantage sur le plan financier. La plaie de finances avait condamné l’Ancien Régime et la Révolution n’avait fait qu’empirer les choses. Si Bonaparte ne donnait pas à la France une véritable organisation fiscale, son régime se serait effondré comme les autres avant lui. L’État empruntait alors au taux usuraire de 40 % par an ! On était dans un état de faillite quasi-permanent. Deux ans après sa prise de pouvoir, la France équilibrait ses finances publiques au million près. Quelles furent les recettes de ce « miracle » ? Elles tiennent en trois mots : volonté, ordre et centralisation. Aucun impôt nouveau ne fut instauré. En revanche l’organisation de la collecte de l’impôt fut profondément transformée. Confiées aux administrations municipales, l’établissement des rôles d’impôt accusait trois ans de retard.

 

Pour mettre fin à cette impéritie, le Premier Consul créa un mois après son installation au pouvoir une administration fiscale centralisée et à la hiérarchie pyramidale, ancêtre de notre Direction générale des impôts. Ce que l’on a appelé parfois l’ « armée fiscale » de Bonaparte réalisa un travail formidable permettant au régime de survivre. Les années suivantes, les règles de la perception furent également changées si bien que progressivement l’administration des finances publiques passa entièrement dans les mains de l’État. À partir de 1807, les agents du ministère des Finances arpentèrent la France pour créer un cadastre général dans le but de rendre l’impôt foncier le plus juste possible. Napoléon souhaitait un système fiscal efficace mais refusait l’arbitraire. À l’évidence, il perpétuait là l’idéal révolutionnaire. Ajoutons que le régime rendait exactement compte de l’emploi qu’il faisait de l’argent collecté. Ce souci de transparence sans être totalement nouveau visait à établir un réel lien de confiance entre le pouvoir et les Français.

 

PdA : Sait-on estimer les bénéfices engrangés par les expéditions militaires victorieuses et conquêtes de Napoléon ? Quelle est la part de fantasme dans le cliché somme toute assez répandu du « trésor de guerre » motivant - pour partie - et supportant d’incessantes fuites en avant ?

 

P.B. : Avec toutes les réserves qu’il convient, des estimations sont possibles. Compte tenu du désordre inhérent à la guerre, elles restent bien sûr imprécises. Néanmoins, des chiffres existent, notamment ceux qui étaient présentés régulièrement à l’empereur. Quand on connaît son souci du détail, ils ne pouvaient être totalement faux. En les étudiant, on constate que Napoléon tenta d’appliquer systématiquement et avec méthode le vieux principe « la guerre paie la guerre ». Une fois armées et équipées aux frais du Trésor public, les armées napoléoniennes devaient en effet vivre aux dépens des pays traversés, qu’ils soient alliés ou ennemis. Le pillage n’était pas la règle mais les prélèvements effectués pouvaient heurter les peuples. Grâce à ce système, Napoléon finança une petite moitié de ses dépenses de guerre.

 

Les premières campagnes avec leur cortège de victoires furent « profitables » mais celles d’Espagne et de Russie ne purent s’autofinancer. Aussi, au fil des années, la pression fiscale s’accentua irrésistiblement. Les taxes sur le tabac, l’alcool et le sel, dénommées alors « droits réunis », furent réintroduites, ce qui eut un coût politique pour Napoléon. Dans les campagnes, on criait : « À bas la conscription, à bas les droits réunis ! » Dans le même temps, en Europe, d’autres taxes notamment douanières renforcèrent les sentiments anti-français. La pression fiscale de l’époque (entre 10 et 15 % du revenu national) n’a toutefois rien de comparable à la nôtre (plus de 46 % en 2014). À croire que l’on s’habitue à l’impôt.

 

PdA : L’Angleterre, « âme des coalitions » anti-napoléoniennes, en fut également, de loin, le financeur numéro un. La tâche fut titanesque mais sa détermination ne faiblit pas : elle savait ce que lui eût coûté une fermeture complète des marchés continentaux ; avait conscience du péril qu’une victoire française en Russie aurait signifié pour elle. Par quels mécanismes Londres a-t-elle pu dégager d’aussi colossaux moyens ? La réponse à cette question - celle, au fond, du « carburant » de la « cavalerie de Saint George » - aurait-elle quoi que ce soit de comparable avec celle touchant aux efforts que devrait consentir, bien des années plus tard, un lointain successeur de Pitt, Winston Churchill, dans sa lutte contre le péril nazi dans les années 1940 ?

 

P.B. : À tous points de vue, l’effort anglais fut considérable, comme si le pays se sentait en danger de mort. Pitt le jeune et ses successeurs multiplièrent les impôts par trois, par quatre et même par dix. Ils créèrent l’impôt sur le revenu qui n’existait nulle part ailleurs et empruntèrent également des sommes incroyables. J’ai pu calculer que leur endettement représentait quatre à cinq fois tout l’or qui existait alors dans le monde. Ils ont atteint là des niveaux comparables à ceux des grands conflits mondiaux du XXe siècle. Un seul mécanisme explique leur réussite : la confiance. La finance mondiale se réfugia en Angleterre et la place de Londres devint la première de la planète. Avec cette manne, le cabinet anglais put financer toutes les coalitions, développer et entretenir la première flotte de guerre et dépêcher un corps expéditionnaire au Portugal et en Espagne commandé par un certain duc de Wellington.

 

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Churchill fit preuve de la même détermination que ses lointains prédécesseurs. Comme eux, il était résolu à l’emporter quel qu’en soit le coût. Financièrement, New-York avait cependant supplanté Londres depuis longtemps. Ceux qui disposaient des leviers financiers les plus importants n’étaient plus les Anglais mais les Américains. Leur entrée dans le second conflit mondial après Pearl Harbor fit à l’évidence basculer le cours de la guerre.

 

PdA : Dans quel état les finances publiques d’une France vaincue et exsangue se trouvent-elles en 1814-15, soit, à l’aube de la Restauration ?

 

P.B. : Le trou financier fut jugé énorme par les successeurs de Napoléon. Politiquement, ils y avaient tout intérêt. La réalité était tout autre. Le régime napoléonien laissa un déficit équivalent à une année de recettes fiscales. Il résultait essentiellement de l’invasion du territoire national. C’était certes important mais pas insurmontable surtout après vingt ans de guerre. Peu de belligérants peuvent se vanter d’un tel bilan. Napoléon était presque obsédé par l’équilibre des comptes. Force est de constater que son obstination fut couronnée de succès. Le problème fut différent après Waterloo. Pour nous punir, les Alliés nous infligèrent d’importantes contributions de guerre. Les Cent-jours peuvent ainsi être vus comme les Cent-jours les plus chers de l’histoire de France. Néanmoins, la seconde Restauration réussit à s’acquitter de cette dette assez facilement grâce à un indéniable retour de la confiance. Le crédit public moderne était né.

 

PdA : Napoléon fut un enfant des Lumières mais aussi d’une tradition étatique française bien ancrée. Sa vision très administrative de l’économie, fort éloignée des conceptions britanniques sur cette question, a-t-elle, de votre point de vue, contribué, d’une manière ou d’une autre, à le perdre - et l’Empire avec lui - dans cette lutte sans merci entre deux titans, deux systèmes ?

 

P.B. : Le système napoléonien de finances n’a pas démérité, loin de là. L’Empire britannique fut le plus fort, c’est certain. L’explosion de leur dette et l’incroyable développement de leur papier monnaie constituèrent des phénomènes tout à fait nouveaux et même inattendus. L’économie britannique et surtout sa monnaie entrèrent à ce moment-là en terre inconnue. Aucun pays n’avait pu auparavant s’affranchir ne serait-ce que partiellement de l’étalon-or ou argent. En 1797, malgré un certain fléchissement, la livre papier accomplit ce « miracle » sans que personne n’en comprenne alors vraiment les mécanismes.

 

Dans le même temps, la France venait d’échouer avec son papier monnaie, l’assignat. Ce papier d’État imprimé à foison et déconnecté de l’activité économique fut un échec cuisant, plongeant l’économie française dans une récession d’une rare ampleur. Sous l’Empire, les billets de la Banque de France furent mieux appréciés mais leur nombre resta modéré. Compte tenu du lourd héritage des régimes précédents, Napoléon ne pouvait guère aller plus loin et copier le modèle anglais. Ajoutons que tous les banquiers ou presque pariaient sur le dynamisme économique anglais. Ils étaient persuadés que, quelle que soit l’issue de la guerre, l’Angleterre restait le pays le plus attractif. Contre cette réalité, Napoléon ne pouvait rien. Une décennie de paix aurait sans doute pu changer le cours des choses mais on ne refait pas l’histoire.

 

PdA : J’ai souhaité axer cette interview autour de questions économiques et financières époques consulat et Empire, étant entendu que vous leur avez consacré un ouvrage qui fait référence, Le prix de la gloire : Napoléon et l’argent (Fayard, 2007). J’aimerais tout de même rappeler, à ce stade de notre entretien, que vous avez écrit bien d’autres livres sur Bonaparte, dont vous êtes un spécialiste éminent. Et vous inviter à évoquer pour nous les points le concernant que vous souhaiteriez porter à notre connaissance - ou à notre bon souvenir ?

 

P.B. : Oui, je vous remercie. Je me suis intéressé aussi à la Maison de l’empereur, cette institution plutôt méconnue qui l’entourait et le servait. Aidé par le dépouillement de nombreuses archives, j’ai pu découvrir un homme parfois différent, ce qui m’a conduit ensuite à développer de nombreux aspects de sa personnalité dans Les secrets de Napoléon (éd. La Librairie Vuibert, 2014). Plus récemment encore, j’ai étudié son séjour à l’île d’Elbe et surtout les motivations de son retour dans un ouvrage intitulé La guerre secrète de Napoléon (éd. Perrin, 2014). J’ai voulu comprendre comment cet homme qui venait de tout perdre, son empire, sa famille, son entourage, avait pu renaître à l’histoire de manière aussi flamboyante. Une nouvelle fois, il sut faire face au danger et prendre ses adversaires de court.

 

PdA : Voulez-vous nous entretenir de vos projets, Pierre Branda ?

 

P.B. : Je termine actuellement une biographie de l’impératrice Joséphine. Une femme fascinante mais au total méconnue tant la légende a pris le pas sur la réalité dans son cas. Avant d’entreprendre ce travail, je n’imaginais pas à quel point et j’en ai été même le premiers surpris. En s’attachant à retracer exactement son histoire, on découvre une femme complexe, forte et ambitieuse. Loin des poncifs habituels, son histoire est encore plus incroyable.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

P.B. : Dans l’épopée napoléonienne, la réalité est encore plus enthousiasmante que la fiction !

 

Pierre Branda

 

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26 mars 2015

Michel Goya : "Combattre Assad nourrirait la lutte contre Daesh"

   Le 19 mars, Daesh revendiquait l’attaque meurtrière contre le musée du Bardo, à Tunis (21 victimes). Le lendemain, plus de 130 personnes perdaient la vie lors d’attentats perpétrés par le groupe d’al-Baghdadi à Sanaa, la capitale du Yémen. La Tunisie, au centre du Maghreb ; le Yémen, à l’extrême-sud de la péninsule arabique : deux localités fort éloignées du cœur de cible traditionnel de l’organisation terroriste (les terres sunnites dIrak et de Syrie). Un constat, amer : s’agissant de Daesh, de sa force d’attraction et de sa capacité de nuisance, plus grave, des racines du mal qui font pour elle office de carburant, rien, absolument rien n’est réglé.

   Le 19 mars, peu avant de prendre connaissance d’un article mentionnant la revendication de l’attentat du Bardo, et cinq mois après la mise en ligne de notre première interview, jenvoyai trois nouvelles questions à M. Michel Goya, docteur en histoire et écrivain militaire de renom (outre ses nombreuses parutions physiques, il alimente régulièrement son blog que je vous invite à parcourir, La Voie de l'épée). Ses réponses, érudites et très éclairantes sur une situation bien sombre, me sont parvenues le 25 mars. Une fois de plus, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Michel Goya : « Combattre Assad

nourrirait la lutte contre Daesh »

 

ISIS

Source : lungchuak.com (septembre 2014)

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Michel Goya. On ne compte plus les atrocités, les crimes contre l’humanité et la culture perpétrés par l’État islamique. Les armées gouvernementales et coalisées semblent en mesure de reprendre l’initiative, ici ou là, mais, dans le même temps, l’organisation paraît confirmer son assise sur des portions vastes de l’Irak et de la Syrie. Que sait-on de la manière dont les populations sunnites de ces terres reçoivent et perçoivent ce groupe, dont on sait qu’il a pu prospérer du fait des postures pro-chiites à l’excès de l’ancien gouvernement irakien ? L’EI est-il en passe de réussir à se constituer, par le clientélisme sectaire dont il sait faire preuve, par la terreur qu’il fait régner auprès de qui s’oppose à lui, une assise populaire pouvant préfigurer la formation d’un État-nation ?

 

Michel Goya : Bonjour. Rappelons pour commencer une évidence. Daesh, comme tous les groupes armés, fonctionne par adhésions individuelles et allégeances collectives. Sa première force provient du désarroi de la population sunnite, syrienne et irakienne, persécutée par les régimes chiite ou alaouite de Bagdad et de Damas mais aussi menacée par les Kurdes. Cette communauté sunnite a besoin de protecteurs et parmi tous les groupes disparates qui sont apparus, Daesh est celui qui est visiblement le plus organisé et le plus puissant, accessoirement un des rares qui apparaisse aussi comme honnête. Bien plus que l’idéologie, c’est cette force, manifeste surtout depuis la prise spectaculaire de Mossoul (en juin 2014, ndlr), et cette capacité de protection qui ont séduit. À partir de là, c’est un cercle positif qui s’est mis en place pour lui, le succès attirant les allégeances qui elles-mêmes ont favorisé le succès.

 

L’Organisation État islamique (OEI) a bénéficié également du vide politique régional et des contradictions ou faiblesses de ses ennemis. Assad est un allié objectif de l’OEI, qui lui permet de s’afficher comme un rempart contre le terrorisme alors qu’il ne la combat pas. Il préfère la laisser prospérer à l’encontre de celles qu’il combat réellement. L’OEI ne s’y pas trompée qui effectivement ne combat non plus guère le régime de Damas. Le gouvernement irakien s’est perdu dans son sectarisme et apparaît désormais dans les provinces sunnites comme une puissance étrangère et hostile soutenue par l’Iran. Le Kurdistan et les organisations kurdes comme le Parti de l’Union démocratique (PYD) apparaissent de leurs côtés comme des rivaux dans la maîtrise de ressources locales, mais ce sont aussi des rivaux voire des ennemis de Bagdad et d’Ankara. Hostile aux groupes kurdes mais aussi à Assad, la Turquie a été très bienveillante vis-à-vis de Daesh tandis que les États et riches particuliers du Golfe, souvent concurrents entre eux, se sentant menacés par le développement du « Croissant chiite » et favorisant le radicalisme ont fini par aider aussi, au moins indirectement, à l’établissement du l’OEI.

 

L’OEI a ainsi pu relativement facilement s’imposer dans une grande partie des provinces sunnites avec maintenant la possibilité de s’y installer suffisamment durablement pour, à la manière d’un véritable État, s’y procurer des ressources endogènes durables, par l’endoctrinement des jeunes dans les écoles par exemple. Il est donc urgent d’enrayer cette dynamique mais, pour l’instant, la Coalition manque trop de volonté et de cohérence pour cela.

 

PdA : Au début du mois de mars, l’organisation terroriste nigériane Boko Haram, elle aussi de sinistre notoriété, prêtait officiellement allégeance à l’État islamique et à son chef, le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. La réalisation d’un califat appliquant à la lettre une lecture ultra-rigoriste de l’Islam compte parmi les objectifs communs à bon nombre de groupes de ce type, partout dans le monde. Faut-il redouter une généralisation de ces hommages portant soumission à l’EI et, de fait, front commun ? Quid d’Al-Qaïda : est-il réaliste d’imaginer al-Zaouahiri ou certains de ses agents locaux prêter allégeance à al-Baghdadi ?

 

M.G. : Il y a effectivement une concurrence entre les deux grandes organisations, à la manière de deux grandes entreprises se disputant un marché. Cette concurrence n’est pas nouvelle en réalité. La ligne du groupe d’Abou Moussab al-Zarquaoui, devenu après de nombreuses hésitations la filière irakienne d’Al-Qaïda avant de devenir l’État islamique en Irak en 2006, tranchait déjà avec celle de Ben-Laden et surtout d’al-Zaouahiri. Le fait est qu’Al-Qaïda a perdu de son aura depuis la mort de Ben Laden en 2011 et un certain nombre d’échecs. L’OEI, par ailleurs beaucoup moins regardante sur les adhésions, est désormais l’étoile montante. L’allégeance de Boko Haram, au-delà du monde arabe donc, et de plusieurs groupes en Afrique du nord ou au Yemen témoignent de cette influence croissante. À la manière de l’URSS et de l’internationale communiste, il y a, et c’est nouveau, conjonction d’un territoire et d’un réseau, et alors même que l’expansion territoriale en Irak et en Syrie marque le pas, celle du réseau semble s’accélérer. On peut imaginer des conversions de groupes affiliés à Al-Qaïda ou des scissions internes. Si la marginalisation d’al-Zaouahiri, qui n’a pas le charisme de son prédécesseur, est peut être concevable, sa conversion paraît en revanche très peu probable. Cette expansion de l’OEI est une preuve par ailleurs de la faible efficacité, voire de la contre-productivité de la stratégie appliquée par la Coalition. Les allégeances se sont multipliées depuis la début de la campagne aérienne en août 2014.

 

Pour autant, les deux organisations rivales peuvent coopérer sur le terrain et plus on s’éloigne du centre de l’action et plus les frontières sont poreuses, pour preuve les actes terroristes du 7 au 9 janvier à Paris, perpétrés par des individus coopérant entre eux et se réclamant simultanément des deux obédiences.

 

PdA : La victoire surprise du Likoud lors des législatives israéliennes du 17 mars annonce une continuation de la politique d’intransigeance de Benyamin Nétanyahou vis-à-vis de la question de l’État palestinien. Voilà qui vient compléter un tableau qui, pour l’heure en tout cas, ne prête guère à l’optimisme quant à l’avenir de la région. Quel regard portez-vous, précisément, sur ce tableau ? « What’s next ? », diraient les Américains : avez-vous quelques intimes convictions ou, en tout cas, des craintes ou - pourquoi pas - des espoirs bien ancrés sur cette question ?

 

M.G. : La situation ne porte effectivement pas à l’optimisme. Plus de vingt ans après l’espoir des accords d’Oslo, la situation des territoires palestiniens paraît bloquée pour de longues années, les principaux protagonistes semblant finalement s’en satisfaire, prisonniers par ailleurs de processus politiques internes qui empêchent des ruptures courageuses. À moins d’évolutions internes profondes dans la société israélienne et une pression forte de la communauté internationale, des États-Unis, en premier lieu, on ne voit pas comment cela pourrait changer.

 

Le retour à la paix en Syrie et en Irak paraît encore plus problématique. La clé réside sans doute dans la sécurité de la population sunnite locale. Cela peut passer par la création d’un nouvel État, un Sunnistan, dont il faut espérer et tout faire pour qu’il ne soit pas aussi un Djihadistan. Cela peut passer, et ce serait sans doute préférable, par la transformation radicale des régimes de Damas et de Bagdad en systèmes réellement pluralistes et ouverts. Il est de bon ton de critiquer l’intervention occidentale contre Kadhafi. Je pense que c’est surtout la gestion ou la non-gestion de l’après Kadhafi qu’il faut critiquer. La non-intervention en Syrie a abouti finalement à une situation bien pire. Peut-être n’avons-nous saisi l’occasion, lorsqu’il était temps, d’aider militairement une rébellion syrienne qui n’était pas encore radicalisée. Il n’est peut-être pas encore trop tard et l’action contre l’OEI n’exclut pas la lutte contre Assad. Je pense même qu’elles se nourriraient l’une, l’autre. C’est peut-être la première priorité, la seconde étant d’empêcher à tout prix la prise de contrôle de l’État irakien par les partis chiites soutenus par l’Iran. On aurait pu y penser avant du côté américain car il n’y a guère de surprise dans cette évolution depuis 2004. En résumé, la solution est d’abord politique avant d’être militaire, sinon la disproportion immense des forces entre l’OEI et la Coalition aurait permis de résoudre le problème depuis longtemps.

 

Michel Goya

 

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10 mars 2015

Jean Besson : "Tout doit être tenté pour sauver ERAI"

   Il y a deux ans, j'invitai M. Pierre-Jean Baillot, directeur général adjoint de l'association de développement économique Entreprise Rhône-Alpes International (ERAI), à nous présenter les activités de cette structure d'exception et à partager avec les lecteurs de Paroles d'Actu quelques unes de ses convictions fortes quant à la capacité de la France à réussir dans la mondialisation. En ce mois de mars 2015, ERAI, dont les finances dépendent largement de subsides versées par le Conseil régional rhônalpin, affiche des perspectives singulièrement dégradées depuis le rejet par une alliance composite d'élus de sa dernière subvention en date.

   Sa disparition est désormais devenue une hypothèse hautement plausible. C'est dans ces conditions, étant entendu - et assumé - que je tiens en haute estime ce que font ERAI, son président Daniel Gouffé et ses équipes, que j'ai proposé à M. Jean Besson, sénateur honoraire, administrateur de l'association et ex-vice-président de la Région, d'écrire une tribune pour le blog sur cette question précise. En 2012, il m'avait déjà accordé une première interview. Cette dernière contribution, passionnée et résolument engagée, m'est parvenue ce jour, le 10 mars 2015. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil DeferEXCLU

 

PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...

Jean Besson: « Tout doit être tenté

pour sauver ERAI »

 

Jean Besson

 

« Mort annoncée d'ERAI : Du gâchis »

 

   Gâchis. C'est le mot qui me vient pour qualifier la situation. Les élus qui ont rejeté le financement d'ERAI portent une lourde responsabilité. Ont-ils mesuré les conséquences de leur vote et de cette alliance contre nature, UMP-EELV-FN ? Et pourtant ERAI ne fait pas de politique, son parti c'est l'entreprise. Créé par Alain Mérieux sous la présidence du regretté Charles Béraudier, cet outil performant à l'international que beaucoup de Régions nous envient, a été soutenu et développé sous toutes les majorités qui se sont succédées à la Région.

   Alors oui, c'est du gâchis : 126 collaborateurs sacrifiés, des femmes et des hommes d'un grand professionnalisme. Des centaines d'entreprises rhônalpines lâchées dans la nature avec l'arrêt des contrats et la fermeture des antennes qui les hébergent à travers le monde. À l'heure où tout doit être fait pour développer notre commerce extérieur, c'est un message particulièrement négatif qui est envoyé aux investisseurs et aux PME-PMI qui ont plus que jamais besoin d'exporter.

   Comme l'a dit le Président (PS du Conseil régional de Rhône-Alpes, ndlr) Jean-Jack Queyranne, ces élus régionaux ont pris une décision grave qui met un terme brutal à un savoir-faire de plus de vingt ans.

   Mais aujourd'hui il faut rester encore optimiste et parler d'avenir. Tout doit être tenté pour assurer la survie de cet outil. En tant qu'ancien vice-président de la Région chargé des affaires européennes et de l'international, membre du conseil d'administration d'ERAI, je ne peux me résoudre à cette disparition.

   Les acteurs de bonne volonté doivent se mettre autour de la table et trouver des solutions pour continuer l'accompagnement des entreprises à l'export. Soyons-en convaincus, avec la fusion des Régions Rhône-Alpes et Auvergne, demain, les besoins seront encore plus grands.

 

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27 février 2015

Dix ans après Charlie, retour sur les années 2015-2025

« Janvier 2025. La période est propice aux échanges de bons vœux, aux projections ; les rétrospectives, on nous les sert plutôt en fin d'année, en général. C'est pourtant à cet exercice particulier que j'ai choisi de convier nos invités. Au moment du "massacre de Charlie Hebdo", événement que l'on commémore, ces jours, à l'occasion de son dixième anniversaire et qui, à l'époque, avait chamboulé tout un pays, eux étaient, déjà, en dépit de leur jeune âge, des citoyens résolument engagés dans la vie de la cité. C'est avec ces yeux-là ; acteurs parfois, spectateurs souvent, qu'ils ont vécu ces dix années marquantes. Chacun d'eux a accepté d'en faire une synthèse et de nous les conter, en exclusivité pour Paroles d'Actu. » Ce projet a été initié à la fin du mois de janvier. Au 27 février, date de parution de l'article, ils étaient huit, parmi celles et ceux sollicités, à m'avoir fait parvenir leur texte. Les contributions sont présentées par ordre chronologique de réception. D'autres suivront peut-être. À toutes et tous, pour avoir joué le jeu ou, en tout cas, en avoir manifesté l'intention... merci ! Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D'ACTU

C'était il y a dix ans : Charlie

Retours sur les années 2015-2025

11 janvier

Illustration : AP/Peter Dejong

 

 

Nous avions tellement raison d'y croire !

Je me souviens de mes quinze ans, campagne de 2007, brevet des collèges et coupe au carré. À l’époque quand on me parlait de l'avenir, quand on me demandait comment je me voyais en 2020, je répondais « morte ». J'étais persuadée de mourir jeune, dans une manif, dans le feu d'une révolution ou dans le chaos d'une guerre civile. Je me voyais en Gavroche moderne, persuadée - je le suis encore - que c’est sans doute la plus belle des morts.

Aujourd'hui nous sommes en 2025, et Dieu que je suis vivante ! Mais il a longtemps fallu agir dans l’urgence, toujours ; toujours se dépêcher d'éveiller les consciences face aux lâchetés dangereuses de nos dirigeants, toujours essayer de sauver des bribes de l'héritage splendide de nos grands-parents. Toujours essayer de ne pas perdre la face devant les générations à venir. « Il n’y a plus d’espoir », nous disaient les cons. Mais nous nous sommes battus, à la sueur de notre Front. Nous avons suivi notre idéal contre vents et marées, et nos efforts ont payé.

Au soir du 1er tour des présidentielles de 2017, nous étions à bout de souffle. Aucun homme ne peut s'imaginer ce que c’est que de militer comme nous l’avons fait durant toutes ces années, et même, je crois qu’aucun militant politique éphémère et de salon comme nous en fournissent la « droâte » et la « gôche » par dizaines ne peut s’imaginer ce dont les militants du Front national sont capables durant une campagne électorale.

Dans ma famille nous militons depuis trois générations, et la réalité des campagnes électorales, laissez-moi vous la conter : on tracte dans le froid, sous la neige et la pluie ; on colle des affiches jusqu'à 7h du matin pour être au boulot ou en cours à 8h (mention spéciale à la présidentielle de 2012…), on se casse la voix sur les banquettes arrière en chantant du Piaf et du Brel, on survit à grands renforts de café et de casseroles de spaghetti, quand on a cinq minutes à perdre on dort à même le sol, entre deux rendez-vous médiatiques on hurle ses tripes sur l’unique militant d’extrême-gauche qui a le mauvais goût de s’interposer sur notre chemin et au final, on va jusqu'à n'avoir absolument plus aucun souci de son apparence, traînant ses cernes et ses bras pleins de colle dans les couloirs de la fac. Et on adore ça.

La campagne de 2017 fut, dans la forme, égale à toutes les autres, si ce n'est que nos adversaires redoublèrent de mauvaise foi et de bassesses, tant ils savaient leurs petits privilèges menacés par notre grandiose ascension. Quant à nous les militants, nous avions perdu cinq kilos et avions des valises sous les yeux, rien n'avait changé à ce niveau-là. Mais l'enjeu, lui, était tout autre : 2017 devait être l'accès au pouvoir de Marine Le Pen. C'était une promesse que nous faisions aux retraités en souffrance, aux mères de famille qui devaient se priver pour élever leurs enfants, aux jeunes qui ne trouvaient pas et pensaient ne jamais trouver d’emploi. C'était une promesse que nous avions faite à la France, la promesse que Jean-Marie Le Pen avait faite en créant le Front national en 1972. Depuis 2015 et les attentats de Charlie Hebdo, tout s'était enchaîné. Les Français laissaient exploser une saine colère qui n'était pas tant dirigée vers les extrémistes religieux que vers nos dirigeants politiques qui nous avaient menés dans cette situation et étaient désormais incapables de nous protéger.

Ce soir du printemps 2017, je m'en souviendrai toute ma vie.

Avec 55% des suffrages exprimés, Marine Le Pen est élue présidente de la République française.

La suite vous la connaissez : comme toujours dans l'Histoire, la France a montré la voie. Partout en Europe, les mouvements patriotes ont connu des poussées spectaculaires et ont pris le pouvoir dans leur pays. En Autriche d'abord, puis en Italie, en Suède, en Grande-Bretagne. Je ris en me souvenant de l’argument des non-spécialistes politiques des années 2010 : « Si vous êtes élue, Madame Le Pen, la France sera en autarcie, isolée des autres pays de l'UE. » La réalité c'est qu'au contraire, nous avons montré la voie de l'affranchissement et entraîné avec nous tous nos compatriotes européens à se libérer du carcan imposés par les banksters de Bruxelles. Pauvres « spécialistes politiques », ils ont toujours tort avant tout le monde.

Jean-Marie Le Pen rit encore à gorge déployée, du haut de ses quatre vingt dix-sept ans, en se réécoutant les analyses politiques foireuses des Aphatie, Duhamel et autres.

Aujourd'hui je n'ai pas peur de le dire : Marine nous a fait relever la tête. Nous contrôlons nos frontières. Nous produisons et consommons français. Nous créons de l'emploi. Ça ne tenait à pas grand-chose de relancer ce cercle vertueux - du courage, peut-être ?

Quand je dis aujourd'hui à mes enfants qu'il y a dix ans encore, on pouvait acheter des habits fabriqués en Asie par des petits gamins de leur âge, ils croient que je me fiche d'eux.

D'ailleurs, en parlant de mes enfants, je crois que c’est là ma plus grande fierté : pouvoir me dire chaque matin en me levant que j'aurai permis un peu, à ma façon, de leur offrir l’avenir dont je rêvais pour eux. Cette France sublime que jadis quelques escrocs avaient voulu détruire.

 

Julia Abraham

 

« Nous avions tellement raison de nous battre... »

par Julia Abraham, le 4 février 2015

 

 

 

Janvier 2015, comme cela semble loin maintenant... Dix ans ont passé, mais les plaies ouvertes par les attentats de Paris ne sont toujours pas refermées. Ouvertes certes, mais en train de suturer. L'arsenal antiterroriste s'est fait plus efficace, a permis des arrestations en amont, a évité d'autres drames et rassuré la population. Évidemment, l'émotion populaire qui avait suivi ces événements a mis en lumière le besoin toujours plus criant d'une parole laïque forte. Il ne s'agissait pas de punir l'islam, d’œuvrer comme certains à maintenir des amalgames mais à appeler les choses par leur nom et de reconnaître que si la grande majorité des musulmans de France aspiraient à la paix sociale et n'étaient pas bien différents d'un juif ou d'un catholique, les discours vengeurs et fanatiques de certains prêcheurs islamistes étaient bien la source du problème. Il n'était plus permis de fermer les yeux.

Pendant dix ans, le monde a continué à s'embraser. La Syrie, la Libye et l'Irak sont soit des champs de ruines, soit des pays en état de mort clinique. Les minorités religieuses ont fui, l'État islamique, pourtant pourchassé, contrôle toujours une partie du Moyen-Orient. Il n'est plus question là-bas de tolérance religieuse. Les chrétiens qui sont restés se sont fait massacrer, le conflit israélo-palestinien n'est toujours pas réglé et les régimes militaires succèdent dans cette région du monde aux dictatures religieuses. Les haines se cristallisent et la sortie du tunnel semble bien loin. Bien sûr, le paysan d'Irak ou le maraîcher du Pakistan est aussi la victime de ces barbares, à qui l'on renie le droit de vote, pille les richesses et impose une loi religieuse insoutenable. Tout comme dix années plus tôt, les musulmans restent les premières victimes de l'islam radical.

La France a pourtant pris le problème a bras le corps. Et si François Hollande n'a pas été réélu en 2017, son successeur a poursuivi son travail, qui faisait globalement consensus dans la communauté nationale. Des mosquées ont été construites afin que les musulmans n'aient plus à prier dans la rue. Pas des bâtiments massifs, avec de fiers minarets, mais des édifices discrets, s'acclimatant parfaitement à l'urbanisme. Les règles de financement de ces bâtiments ont été durcies, et il n'est dorénavant plus possible que des théocraties étrangères financent la construction de ces édifices. Les imams, désormais tous français et formés à l'université, se réunissent régulièrement, comme le font les catholiques avec leur conférence des évêques. S'ils ne sont pas littéralement "excommuniés", les prêcheurs de haine sont désormais interdits d'exercice. De nombreuses initiatives œcuméniques ont vu le jour, mêlant lors de rassemblements religieux importants pour les trois monothéismes, musulmans, chrétiens et juifs. La déchéance de nationalité pour les binationaux et la privation de droits civiques des intégristes religieux, appliquées avec sévérité, ont permis de réduire drastiquement le nombre de fanatiques. De nouvelles prisons ont été construites, où les islamistes sont désormais placés à l'isolement, seuls, empêchant ainsi de propager leur haine et de faire des émules.

Un véritable plan de rénovation urbaine a été mené dans les banlieues. Les yeux se sont ouverts : s'il n'est plus permis d'expliquer la radicalisation par des causes uniquement économiques et sociales, il a été admis que celles-ci participaient à les accentuer. Les grands ensemble urbains des années 1960 ont tous été détruits, laissant place à des immeubles de faible hauteur ou à des pavillons accessibles financièrement. Une politique de tolérance zéro au niveau de l'insécurité a été mise en place, partant du principe que la petite incivilité amène la grande. Les trafics de drogue ont été stoppés, les caches d'armes démantelées et il fait désormais bon vivre en Seine-Saint-Denis. Les maires communistes, qui avaient laissé filer les problèmes par aveuglement et laxisme pendant des décennies ont été au fur et à mesure remplacés par des élus responsables, ne tolérant plus l'imbrication du religieux dans la sphère publique.

Le retour d'un programme scolaire fort, mettant l'accent sur les fondamentaux, un apprentissage constant des valeurs républicaines et un certain récit historique ont participé à rendre d'anciens jeunes désœuvrés fiers de leur pays, tout comme leur pays était fier d'eux : le service civique obligatoire, mêlant adolescents des beaux quartiers et enfants des cités a porté ses fruits, et il n'est pas rare de croiser dans des associations, pendant les six mois de mission, un gosse de grand patron en train de travailler avec un gamin de banlieue. Les cérémonies patriotiques sont devenues une habitude, et il est commun, comme dans les villes américaines, de voir des drapeaux français accrochés aux fenêtres.

Désenclavés, les quartiers sensibles désormais proches de nombreux sièges de grandes sociétés ont participé à régler le problème du chômage. Le retour de la croissance, à la suite des réformes du marché du travail et d'une priorité nationale autour des nouveaux métiers (numérique, écologie, services à la personne) ont permis d'embaucher à tour de bras.

Grâce à l'alliance objective d'une amélioration des conditions économiques, d'une rigueur éducative, du choix d'un islam de France et d'une sévérité avec l'islamisme radical, 2025 permet de dresser un bilan positif des années écoulées. Tout le monde se serait bien passé de ces tristes journées qui avaient ensanglanté la France dix ans plus tôt. Mais cela a agi comme une prise de conscience : conscience du danger du djihadisme, nouvelle fierté nationale et surtout attachement des musulmans à la République. Non pas qu'ils aient eu besoin de se justifier, sommés de se désolidariser de fanatiques avec qui ils ne partageaient rien. Non, spontanément, dans les médias, dans les meetings, de nombreuses prises de paroles ont mis en lumière leur amour de la laïcité. Le dicton "À Rome, fais comme les Romains" est désormais employé de manière courante, et cela ne choque même plus de voir des étudiantes musulmanes enlever spontanément leur voile avant d'entrer à l'université, bien que celui-ci y soit toujours autorisé.

Dix ans après ces attentats, le monde reste donc toujours une poudrière, mais la France fait figure d'exemple. Loin du multiculturalisme anglo-saxon qui fracture la société et entretient l'idée qu'il existe plusieurs communautés, la France au contraire fait bloc. Dix ans après, les Français ont à nouveau défilé entre République et Nation, drapeaux au vent, sous le froid hivernal. Ils n'étaient pas chrétiens, juifs, musulmans ou athées ; ils n'étaient pas rabbins, évêques ou imams ; ils ne venaient pas de Neuilly, de Clichy ou de Clermont-Ferrand. Dix ans après, ils étaient tout simplement des Français, unis, fiers de leur pays et déterminés à propager des valeurs de paix contre la barbarie religieuse.

 

 

« 2015-2025 : chronique d'une prise de conscience »

par Arthur Choiseul, le 6 février 2015

 

 

 

Dix ans déjà. Dix ans que les attentats de Charlie Hebdo ont secoué la France. Dix ans depuis ce séisme et ses quelques répliques un peu partout en Europe. Dix ans que les peuples du vieux continent, soutenus par un collège international, se sont élevés pour défendre la liberté d'expression contre l'obscurantisme barbare...

Dix ans d'oubli.

Les seules traces de ces événements se retrouvent désormais dans les livres d'histoire, dans quelques lois prises à la va-vite en réponse aux attentats (mais dont les décrets d'application n'ont jamais été publiés) et dans nos greniers où s'entassent des dizaines d'exemplaires de Charlie Hebdo post-traumatiques, jamais ouverts, encore moins lus.

Ce constat est sans doute sévère, car nous nous souvenons tous de ce qui s'est passé début 2015, d'où nous étions, de ce que nous faisions quand nous avons appris la nouvelle. Nous savons notre révolte et notre sentiment de fraternité immédiat. Ce souvenir est vif, encore. Mais que vaut un souvenir qui ne trouve pas d'écho dans le présent ? Qui peut dire, aujourd'hui, que sa vie quotidienne est impactée par ce qui s'est passé il y a dix ans ?

Nous avons stagné. Notre capacité de résilience, si souvent admirée, vire à l'amnésie collective dès lors qu'il s'agit de tirer les leçons du passé. La liberté d'expression est aujourd'hui un concept vide de sens plus qu'une réalité, la défiance envers les musulmans (ou assimilés) est aussi vive qu'au début du siècle, et on se demande où est passé le sentiment d'union nationale, revendiqué tant par les citoyens que par les politiques de l'époque.

Cette incapacité à se poser les bonnes question en se reposant sur le passé n'est pas nouvelle. Au XXème siècle, par exemple, l'inventaire de la collaboration n'a jamais été réalisé, ne permettant pas aux générations suivantes de s'identifier à ceux qui avaient aidé les nazis ou fermé les yeux, donc de comprendre et de corriger les mentalités. Plus tard, les révolutionnaires de Mai 68 ont jeté des pavés dans des mares qui en avaient sans doute bien besoin, mais sans s'inquiéter des remous créés et en s'y baignant des années plus tard, faisant les mêmes erreurs (ou des erreurs contraires, c'est pareil) que ceux qu'ils critiquaient alors... Plus près de nous, au début des années 2000, les électeurs continuaient d'élire des présidents de la République leur promettant de creuser la dette française alors que cette dette avait déjà commencer à détruire la société française et qu'un autre candidat à la présidentielle les prévenait du danger désormais décuplé.

Dans le flot de l'Histoire, qui ne nage pas, coule. La France et l'Europe se noient désormais de concert, faute de n'avoir su se remettre en question. Cette noyade est politique, certes, mais surtout citoyenne. Le peuple a, dans une démocratie, le pouvoir et tous ses instruments. C'est finalement lui qui tire les ficelles, lui dont tout dépend, lui qui gouverne. Tout le travail des politiciens et de nombreux médias a été de le lui faire oublier. Or, avec cet oubli, le sens commun s'est perdu, et l'individualisme a pris le pas sur la responsabilité individuelle. Chaque membre de la communauté vit désormais sa vie dans son coin, trop peu conscient de faire partie d'un ensemble, et donc incapable d'en apprendre quoi que ce soit. Dilué dans les mémoires solitaires, Charlie Hebdo n'est plus qu'un soubresaut de l'Histoire, alors que c'était à l'époque un formidable prétexte à un aggiornamento salvateur. Quel gâchis !

Désormais, notre vieux continent n'a jamais semblé autant sur le déclin malgré la tutelle asiatique, et nous n'arrivons plus à faire face au défi écologique. Il devient donc urgent sortir de nous plonger dans notre passé, tous peuples d'Europe confondus, d'ouvrir les yeux et de regarder où nous avons péché. Faire ce devoir d'inventaire et en tirer des leçons sera déjà un bon moyen de sortir la tête de l'eau avant d'espérer reprendre pied.

 

Vincent Fleury

 

« La noyade des autruches »

par Vincent Fleury, le 15 février 2015

 

 

 

Je remercie la rédaction de me donner une nouvelle fois la parole et tiens à renouveler mes souhaits à l'ensemble de l'équipe ainsi qu'à tous ses lecteurs pour la nouvelle année.

Ce dixième anniversaire est l'occasion pour rappeler la nécessité de préserver notre presse, symbole de liberté et de démocratie.

Depuis presque quinze ans que je suis engagé en politique, j'ai pu observer, et parfois, comme beaucoup d'autres, vivre, les changements profonds de notre société et son évolution.

Les attentats de 2015 ont marqué un tournant sévère mais nécessaire dans la manière de faire de la politique, s'agissant notamment de la notion de laïcité. Restée floue et indéfinissable, cette notion a, semble t-il, enfin trouvé sa voie depuis qu'il a été avoué que seule la République devait être laïque - et non le peuple. Les tensions dues à la montée du communautarisme ont malheureusement provoqué un inévitable repli sur soi, une exacerbation des réflexes frisant la haine de l'autre, tout cela sur fond de climat de peur. La montée de l'extrémisme, en France comme en Europe, s'est produite sous nos yeux ébahis sans que nous ne réagissions. Pourtant, depuis les années 90, la seule "solution" apportée a été de marginaliser mordicus le principal parti d'extrême-droite (dont le programme économique se rapproche d'ailleurs dangereusement de celui porté par l'extrême-gauche) ; cela a eu pour effet, comme une réaction naturelle, d'offrir à ses dirigeants un boulevard pour s'imposer comme l'un des partis les plus influents de la scène politique. Ce qui est extrême est pourtant excessif. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les citoyens se sont éloignés de la politique, au regard de la démagogie aberrante de ces programmes, dont le seul but est le saupoudrage qui tend à donner des espoirs aux gouvernés sans apporter jamais la moindre solution d'avenir crédible.

Ce repli identitaire a montré les limites du « village-monde », relevant la notion restée longtemps tabou de « frontière » qui est pourtant ancrée anthropologiquement dans nos racines. La religion, alors qu'elle lie entre eux des millions d'hommes, fait l'objet de questionnements importants, précipités par les avancées décisives qu'a connues la science, celle qui touche aux origines de la vie en particulier. Les tensions sont exacerbées entre science et religion : la première a sapé dangereusement quelques piliers de la deuxième, ce qui a provoqué de graves troubles. Rappelons-le : la religion est un élément indispensable de cohésion entre les hommes, elle ne peut être écartée au profit de la science. Pour des millions d'êtres, elle représente toujours un idéal commun vers lequel aspirer. À ce propos, nous ne pouvons que nous féliciter de l'apprentissage du fait religieux à l'école de la République, enseignement qui contribue d'ailleurs à aider nos jeunes à une meilleure compréhension de l'Histoire.

S'il est nécessaire de proposer une vraie alternative au projet de l'extrême-droite, c'est aux partis responsables de proposer des solutions d'avenir qui soient bénéfiques pour l'intérêt général et non des réponses aux intérêts particuliers de quelques-uns. La e-citoyenneté, bien que très controversée, est présentée aujourd'hui, avec son avatar le plus connu qu'est la carte d'identité numérique, comme un rempart pour un meilleur contrôle des flux migratoires. Le stockage des fiches citoyennes, longtemps pointé du doigt comme un risque de dérive totalitaire, a semble t-il permis un meilleur contrôle, favorisant en conséquence l'« assimilation républicaine » via le respect accru des normes et des valeurs. Cela dit, les tensions sur le plan éthique restent vives.

La technologie est au cœur du processus d'évolution ; certains parlent de progrès, de résolution des problèmes sociaux. De nombreux logiciels ont, c'est une réalité, permis la réduction des inégalités d'accès à l'éducation.

Malheureusement, la technologie, à l'image de Janus, a un double visage ; elle a entraîné des dérives graves soulevant de nombreuses questions éthiques et juridiques, comme le montre très bien la généralisation des e-bébés. Ce nouveau marché provoque des débats inédits entre « conservateurs » et « progressistes ». Le capitalisme à outrance a son pendant : celui de la libéralisation à outrance où tout se vend, où tout a un prix, même la vie.

La réduction de la mortalité infantile, grâce au développement et à une accessibilité accrue de la médecine, a soulevé des problématiques mondiales qu'on entrevoyait déjà dans les années 2000, dans les « objectifs du millénaire ». Même si l'autosuffisance alimentaire de l'Afrique est atteinte, les conflits autour des denrées et des ressources naturelles sur Terre devront être résolus dès 2030. La démographie est telle que l'aménagement des territoire doit devenir aujourd'hui, ici comme ailleurs, l'un des axes prioritaires des politiques publiques.

 

Pierre-Henri Bovis

 

« Dix années de bouleversements »

par Pierre-Henri Bovis, le 16 février 2015

 

 

  

La stupeur. Le choc. Et, toujours, cette sensation de brûlure interne, sorte de veille traumatique quand je repense au matin où j'appris la nouvelle.

Charlie Hebdo. 

Les visages des collègues de travail, blêmes, douloureux et impuissants, frappés d'effroi mais ne sachant que dire, moi-même, muette, tant les mots paraissaient désuets et inadéquats face à cette tragédie collective que nous étions entrain de vivre. 

La place de la République, ce soir-là, noire de monde sous un vent glacé. Tous ces stylos pointés en l'air, comme un cri général  retentissant dans un ciel lourd.

Et puis le 11 janvier. Ce sentiment de vivre un moment historique. Ce sentiment d'être, plus que jamais, française. Cette fierté d'être là, parmi tant d'autres, résistants. Cette foule qui communiait, parfois en silence, parfois en scandant « Je suis Charlie » à l'unisson. Quelque chose est né ce jour-là, quelque chose de rare et précieux, de presque inespéré, eu égard aux événements et à la situation du pays alors, et nous n'en avions pas encore conscience. Ce n'est que dix ans après, aujourd'hui où nous nous apprêtons à nous rendre à cette marche commémorative, que j'en discerne pleinement l'ampleur.  

Je pose sur mes genoux ma tablette recyclable (eh oui, l'on s'est enfin préoccupé de l'obsolescence programmée de nos objets électroniques, qui l'aurait cru !) sur laquelle je lis le journal et me laisse aller à regarder les gens dans le métro. À côté de moi, une adolescente tapote frénétiquement sur son iPhone 14 en mâchonnant un chewing-gum au goût whisky coca/ginseng et programme l'enclenchement de son aspirateur robot pour 10h30. Je ne peux m'empêcher de sourire en pensant à mes parents qui, lorsque j'avais son âge, m'envoyaient sempiternellement ranger ma chambre d'un air exaspéré. Je programme également mes appareils ménagers, et les progrès de la domotique, je dois l'admettre, sont un réel gain de temps. En face de moi, un couple discute, une petite fille se tenant sagement sur les genoux de son père. Son regard croise le mien et elle me lance d'un ton fier dans lequel je décèle une pointe de frime : « Ce soir ce sera mon premier match ! ». « Ah oui ? Et tu pratiques quel sport, dis-moi ? » « Le roller derby ! », m'annonce-t-elle joyeusement. « Oh, c'est amusant, j'en ai fait moi aussi ! Mais quand j'avais ton âge, ça n'existait pas en France ». Elle me dévisage avec de grands yeux, et j'ai soudain la sensation, pas tellement agréable, il faut bien le dire, d'être reléguée dans la catégorie des brontosaures. « Ah ouiiiii, et même que vous écoutiez de la musique sur des CD !!! » ajoute-t-elle en partant d'un grand éclat de rire, probablement dû à l'imagination de cette scène qui doit lui paraître ubuesque. « Ça ne fait pas si longtemps que ça hein », tempère gentiment son second papa, tentant (vainement) de me faire oublier qu'une bonne partie des choses qui configuraient mon quotidien lorsque j'avais son âge sont aujourd'hui soit totalement obsolètes, soit d'un has been achevé.

Devant nous, se tenant à la barre, un jeune homme m'adresse un signe de tête et un sourire timide. Où l'ai-je donc rencontré ? Ah oui, c'est un petit nouveau de ma section, Gaëtan je crois. Le PS, qui, il y'a dix ans, disons-le sans langue de bois, se débattait avec lui-même, s'est depuis transformé et renouvelé. L'on voit aujourd'hui beaucoup plus de jeunes qui s'intéressent à la politique et aux enjeux de citoyenneté. J'en compte d'ailleurs bon nombre dans mon conseil de quartier, là où, à l'époque, ceux-ci avaient, c'est le moins qu'on puisse dire, des allures de club du 3e âge.

Je crois qu'il y'a une chose très forte qu'a induit cette marche du 11 janvier : la réalisation de la puissance du collectif, du fait que chaque Français était une pierre dans l'édifice et, par conséquent avait un rôle à jouer, une place à prendre. Ce qui en découla fut aussi formidable qu'inattendu, pour les gens qui se souviennent de la situation ambiante de l'époque, oscillant entre désespérance, lassitude, montée des extrêmes et du rejet de l'autre.

La majorité des partis politiques connurent une mutation conséquente, allant parfois du nom - au PS nous avons gardé notre appellation de « Parti socialiste » qui nous paraît toujours adéquate, mais l'ancienne UMP se nomme aujourd'hui l'UPR, « l'Union pour la Rente » (effectivement plus pertinent au regard de leurs propositions actuelles) - à la forme du jeu politique. Les cumuls des mandats (en nombre et dans le temps) n'existent plus et la parité est atteinte (notamment grâce aux actions savamment initiées par le ministère, puis le secrétariat des Droits des femmes). Et puis il y a eu des mouvements de fond : chez les socialistes, nous nous sommes fédérés autour d'une vision majoritaire internationaliste ; de l'action en faveur de l'égalité réelle et son corollaire, le combat contre la rente collective ; de la régulation du capitalisme et d'une transition énergétique à grande échelle. À l'initiative des harmonisations qui ont lieu actuellement en Europe dans bon nombre de domaines, et notamment en termes de fiscalité (ce qui nous a permis de récupérer des capitaux et de les réinjecter ingénieusement dans l'économie réelle), nous avons su, via un réformisme radical, prendre toute notre part au sein de cette réhabilitation du politique qui est en cours et à la construction de la société à laquelle nous aspirons, portée par nos valeurs qui sont celles du progrès social, de l'émancipation des peuples et de la République comme rampe d'accès à l'égalité.

Le FN, dont nous craignions, autour des années 2015, une montée spectaculaire, fut vite démasqué dès qu'intervint le temps de dresser les bilans - calamiteux - de leurs actions à Béziers, Fréjus, Beaucaire, Villers-Cotterêts, Hayange, le Pontet et autres… Ces villes malheureuses sont désormais reprises en main par divers partis qui ont cependant tous un point commun : un profond respect des valeurs républicaines et autre chose que l'obscurantisme et la démagogie de bas étage comme boussole. 

L'arrêt du métro me tire soudainement de mes pensées - il est vrai que ceux-ci vont beaucoup plus vite qu'il y'a dix ans -, et je réalise que je suis déjà arrivée place de la République et qu'il est temps, encore une fois et pour longtemps j'espère, d'aller marcher aux côtés de mes compatriotes français, avec enthousiasme, détermination et confiance en l'avenir.

 

 

« La France retrouvée »

par Stéphanie V., le 18 février 2015

 

 

 

Sa fille, Alma, sauta sur le lit. « Maman, maman ! mon lait ! » Elle attrapa sa fille de six ans et descendit à la cuisine. Arthur était déjà debout, en train de parler avec son père via visioconférence. Il devait être 19h30 là-bas et son mari racontait sa journée avec les réfugiés climatiques.

Elle ne put s'empêcher de sourire. Pour ses enfants, les écrans dématérialisés faisaient partie du quotidien. Pour elle, utiliser un collier intelligent à la place d'un smartphone était toujours une surprise. Voir les gens interagir avec un mur ou leur avant-bras, sur lequel était projeté l'image, l'amusait. Les enfants regardaient leur parents avec de grand yeux lorsqu'ils leur racontaient le monde sans Internet, avec des téléphones fixes énormes dotés de combinés. Sa fille adorait l'histoire de l'avènement « des téléphones sans queue ».

En quelques années, les pays « développés » s'étaient convertis au tout-connecté. Les plus riches se faisaient implanter des micro-puces mesurant leurs constantes médicales. Ils surveillaient leurs enfants grâce à une micro-puce implantée sous leur peau. Du frigo au pot de fleur, l'ensemble de leur maison était connectée : de la notification sur la date de péremption du beurre à celle de la fréquence d'arrosage des plantes, tout y passait. La contraception hormonale était aussi diffusée par micro-puce. De la chirurgie esthétique, on était en phase de passer à la chirurgie bionique, qui permettrait aux aveugles de voir et aux paraplégiques de marcher, mais aussi aux sportifs d'augmenter leurs performances discrètement. Les gens n'avaient jamais autant été dépendants de la technologie.

- Maman, maman, est-ce que je peux mettre du chocolat dans mon lait, aujourd'hui ?

- Oui, ma chérie.

Depuis qu'elle avait expliqué à sa fille les problèmes de pénurie qui menaçait le cacao et faisait monter les prix, Alma se tracassait pour cette gourmandise qu'elle adorait.

Une inquiétude maternelle transparut sur son visage. Elle trouvait ses enfants beaucoup trop sérieux pour leur âge. Peut-être que son mari et elle leur parlaient trop des combats qu'ils avaient menés. Peut-être qu'ils étaient nés à une mauvaise époque. Les périodes de transition étaient souvent les plus violentes. Quoi qu'il en soit, elle se sentait responsable.

Elle prépara le bol de ses enfants et appela son fils : « Chéri, il est tard, viens manger avec ta soeur... »

Elle en profita pour dire bonjour à son mari. Il était tendu. Voir la misère des gens aggravée par l'inaction des gouvernements le révoltait profondément. En plus de la douleur de devoir partir, des milliers de personnes se retrouvaient sans endroit où aller. Les États voisins faisaient leur maximum pour filtrer les demandes de visas. La communauté internationale, incapable de mettre en oeuvre les décisions prises à Paris pendant la COP21, commençait seulement à prendre la mesure de la crise écologique, y compris en France.

- Tes articles ont bien été publiés par Le Monde, mon amour. Ils sont bons. 

- Merci. Je suis épuisé. C'est si dur ici…

- Comment ça se passe pour les habitants ?

- Les îles voisines, qui sont également touchées par le dérèglement climatique, ne veulent pas accueillir les migrants. La France fait de grands discours mais elle a accordé très peu de visas via la Nouvelle-Calédonie ou Wallis-et-Futuna. Des familles ont été séparées entre Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie et Papouasie-Nouvelle-Guinée… Les gens ne savent plus où aller. Bref, on est en train de fabriquer un désastre humain.

- Vu nos gouvernements, cela ne m'étonne pas.

- En effet... La seule bonne nouvelle, c'est que dans soixante-douze heures, je serai auprès de vous.

- Tu nous manques. J'irai te chercher à la gare, comme prévu.

- Oui… on se recontacte. J'ai rendez-vous avec des journalistes du coin.

- Bonne nuit mon amour.

- Bonne journée, mon amour...

Elle se tourna vers ses enfants. Arthur écoutait la radio tout en surveillant sa soeur, qui avait une fâcheuse tendance à laisser tomber la confiture de sa tartine. Elle se dirigea vers Alma et lui dit : « Allez, hop, on va s'habilller ma chérie ! ». Elle avait préparé sa tenue la veille et laissa donc sa fille s'habiller. Elle-même revêtit ses vêtements de travail. Elle s'occupait de la micro-ferme naissante du village.

Après les brossages de dents quotidien, les bottes et les manteaux, Clémence lança le top départ. Les autres enfants à emmener étaient déjà tous sortis. Sa grande pote, Aline, la charia : « Oh la la, mais c'est que la conductrice est presque à l'heure, aujourd'hui ! Que se passe-t-il ? »

Elle rigola. «  Allez, les enfants, tous dans le minibus. C'est parti pour l'école. »

- Tu peux aller retirer mon colis au point relais, s'il te plaît ?

- Bien sûr. Je serai à la ferme ensuite, jusqu'à la fin de l'école. T'es pas trop pressée pour ton colis ?

- Non, c'est de la vaisselle.

- Ok, à tout à l'heure.

- Travaille bien.

- Oui, toi aussi.

Elle embarqua les enfants et les conduisit à l'école. Elle passa par le point relais et récupéra le colis puis reprit la direction du village. Un reflet du soleil avait percé les nuages et illuminait une partie de la montagne. Elle repensa aux événements qui l'avait conduite à cet instant, sur cette route de campagne, en ce mois de novembre 2024.

Paradoxalement, la clé de voûte de ce changement de vie était le progrès technologique. Face au tout-connecté, face à la surconsommation, face à la pollution, face aux ghettos de riches qu'étaient devenues les grandes villes, une frange de la population avait choisi de revenir vivre à la campagne. On assistait à un mouvement de décentralisation, portée non pas par les plus aisés mais par ceux dotés d'un capital culturel ou manuel. À l'exode rural du XIXe siècle se succédait l'exode urbain du XXIe siècle. La multiplication des puces et des robots, ainsi que le début du transhumanisme, qui avaient pour vision de soustraire par les sciences et la technologie toute imperfection à l'être humain, avaient apporté leur lot d'angoisse et d'interrogations éthiques. Certains avaient refusé la manipulation génétique des embryons, l'implantation de micropuces partout et pour tout. "Les sans fils", comme on les appelait, avaient progressivement décidé de revenir à la nature. Clémence était fière d'être l'une d'entre eux.

Ce retour à la nature avait été favorisé par une des seules lois sociales des dix dernières années. Celle-ci avait abaissé la durée légale du temps de travail. Les politiques s'étaient, difficilement, rendu à l'évidence : avec la robotisation, il n'y avait pas assez de travail pour tous, il fallait le partager. Le télétravail s'était alors démocratisé ainsi que les mini-espaces de coworking où des graphistes, consultants et artisans se côtoyaient. Certains faisaient le choix de changer de carrière et s'occupaient d'épiceries locales sans emballages, de micro-fermes, de loisirs itinérants, d'éco-construction... À partir du moment où il y avait une connection internet performante et un axe de transport efficace vers une des dix premières villes de France, les campagnes et petites villes se repeuplaient petit à petit.

Clémence avait toujours voulu quitter Paris. Mais elle n'imaginait pas déménager à la campagne : les insectes, l'ennui, prendre sa voiture constamment, les longues soirée d'hiver et la monotonie du paysage lui faisaient peur. Et puis, par hasard, avec son amie Aline, elle s'était retrouvée dans un hameau participatif en plein hiver. Elles avaient apprécié l'atmosphère… et construit leur projet. Il avait fallu convaincre. Le climat les avait aidés. Plusieurs canicules, en 2017, 2019 et 2020, avaient fait de la capitale un espace irrespirable pour les enfants et les seniors.

Après pas mal de recherches (et un peu d'économies), elles avaient finalement trouvé un terrain immense, pas cher, aux abords d'un village pas trop loin de la ligne de train Paris-Clermont. Le projet avait rassemblé six familles à la sensibilité écolo. Aménagé par un architecte qui avait su préserver leur intimité respective, les familles partageaient un grand jardin, une salle de jeu et de détente, trois chambres d'ami ainsi qu'un atelier et un garage. Les maisons étaient toutes à énergie positive, de petite taille, bien agencées et lumineuses. L'isolation était primordiale du fait des nouvelles amplitudes de température qui affectaient la France. Les familles mutualisaient une solide connection à Internet, un immense sèche-linge et faisaient du covoiturage. Au milieu du village, l'ex-attachée de presse du groupe avait ouvert un espace bar/épicerie/petit resto/co-working qui permettait de mélanger autochtones et néo-ruraux. L'objectif du village étaient maintenant d'attirer du personnel médical.

Clémence bifurqua à l'entrée du village et se gara à côté de la petite cabane où elle entreposait ses outils. La micro-ferme, qu'elle bâtissait selon les principes de la permaculture, commençait à prendre forme. Avant de travailler sous serre non-chauffée, elle parcourut le jardin pour voir si son plan d'optimisation de l'eau fonctionnait et nota les correction à apporter. Elle fit le tour des buttes, vérifia l'état des plantes et des arbres qu'elle avait plantés avant l'hiver et ramassa les courges mûres.

Prise d'une envie subite, elle leva les yeux au ciel, comme lorsque sa mère lui disait que la pluie était bonne pour la peau, et sourit. Elle se sentait heureuse.

 

Clarisse Heusquin

 

« Les Sans-fils »

par Clarisse Heusquin, le 18 février 2015

 

 

  

7 janvier 2025. Comme dix ans auparavant, ils marchent. Le soleil aveuglant du nord réchauffe leur visage fouetté par le vent glacial qui souffle dans le port de Boulogne-sur-Mer. Marins, pêcheurs, poissonniers, habitants, promeneurs, tout le monde est là autour. Ils avancent main dans la main dans le tumulte du marché au poisson bondé, grisés par l'odeur de poissons ruisselants que l'on nomme la breule, par là-bas. Personne ne se retourne sur leur passage. Aucun murmure à l'oreille d'un éventuel compagnon de promenade. Pas d'injure. Plus de honte. Non, rien de tout ça. Uniquement l'immense jetée vers la mer ; le soleil, le vent, et la breule.

Lui est ouvrier, lui est marin. Ils parviennent jusqu'à la plage, bondée elle aussi. L'immensité de la mer devant eux les renvoie à ces années d'invisibilité forcée, de double vie, de mensonges. Ce que Didier Eribon décrivait comme le « ghetto mental » [1] dans lequel les homosexuels, astreints à l'invisibilité et à l'espace privé, étaient enfermés depuis toujours, est en phase d'explosion. Les portes et fenêtres sont désormais grandes ouvertes et le vacarme des vagues s'écrasant contre les digues qui entourent le vieux phare leur rappelle le chemin parcouru depuis toutes ces années.

Tout commença à Paris. Comment aurait-il pu en être autrement, tant cette capitale est un symbole rayonnant d'une infinie liberté de pouvoir vivre sa vie comme on l'entend, qui que l'on soit et d'où que l'on vienne, avec ses lieux de socialisation, sa diversité, ses espaces de liberté sociale, culturelle et sexuelle. Mais Paris a toujours été une ville aux multiples visages, dont les plus sombres pouvaient exercer une violence, une oppression inouïes.

Une période politique morose suivie d'une campagne politique glauque et désintéressée installa aux reines du pays un nouveau chef de l'État élu à bout de souffle avec seulement 20% de suffrages exprimés. Mais c'était suffisant. Ainsi allait la vie politique française, à l'apathie générale. Mode de scrutin et calendrier électoral obligent, le nouveau gouvernement en place disposait d'une (courte) majorité absolue, et la tyrannie de celle-ci ne tarda pas à s'exprimer.

Quelques mois après cette élection, qui semblait ne jamais avoir eu lieu, on vit pointer, dès les premières heures du matin, un soleil rouge comme pour annoncer les prémices d'une journée sanglante. La France, frappée par le chômage, les inégalités, l'exclusion, la déprime, se réveillait comme à son habitude, ivre et sans but. Comme prêchant au milieu d'un infini désert, le Premier ministre annonce par voie de presse, qui ne touchait plus grand monde, qu'il engagera la responsabilité de son gouvernement en usant de l'archaïque article 49-3 de la Constitution (dont il avait demandé sa suppression quelques années auparavant) sur un projet de loi. Peu en avaient entendu parler, beaucoup s'en fichaient pas mal, la plupart même.

Ce fut une déferlante. Fermetures de lieux de socialisation, interdictions d'associations de défense des droits de l'homme, arrêt total des régularisations administratives et des naturalisations, inscription du pays d'origine et obligation de mention de l'orientation sexuelle sur la carte d'identité, retour du crime « d'immoralité » qui avait condamné Oscar Wilde à la prison et à la mort sociale plus d'un siècle auparavant. La légende devint une rumeur. La rumeur devint un bruit qui se répandit comme transporté par le vent, jusque dans les plus petits villages et campagnes de France. Les cris de douleur du pays résonnaient en chacun de nous dans les grondements incessants du ciel. L'identité de la France et sa devise furent piétinées et balancées par le vide-ordures en moins de temps qu'il ne faut pour ne serait-ce que l'imaginer.

En quelques heures, tout était détruit. Il ne resta plus qu'un pâle espoir de sursaut populaire. Et la rue. Mais ils y descendirent. Ils étaient tous là, ou presque. Par milliers. Par dizaines, puis centaines de milliers, puis par millions. Dans chaque ville, chaque village, chaque campagne de France, des foules immenses tinrent rues, boulevards, avenues et impasses, bravant les interdictions et les couvre-feux imposés par le ministre de l'Intérieur. Plus personne n'était là pour les faire respecter d'ailleurs. Policiers, gendarmes et militaires avaient rejoint chômeurs, ouvriers, employés, artisans, agriculteurs cadres, et tous les autres finalement, dans la rue.

Le gouvernement pouvait bien enfoncer à grands coups de pied les portes de toutes les chaînes de télévision en même temps pour s'expliquer, il n'y avait désormais plus personne ni pour regarder, ni pour écouter, ni pour les interroger, d'ailleurs. Ils devaient parler, tremblant, seuls dans de gigantesques studios vides, devant des caméras et des micros éteints. Ou peut-être étaient-ils allumés, personne n'en sut rien.

Le siège du peuple français contre son gouvernement oppresseur dura des mois. La masse finit par s'organiser. Assemblées citoyennes et associations délibératives fleurirent dans tout le pays. Le gouvernement, impuissant, démissionna au bout de quelques mois et une assemblée constituante fut convoquée par le peuple lui-même, le 7 janvier 2019. Pendant plusieurs années, une totale mais tranquille confusion allait régner dans le pays mais qu'importe, nous étions libres. Et la reconquête de la liberté valait bien cette joyeuse confusion.

La nuit tombe sur la plage. Que s'était il réellement passé durant les années qui suivirent cet élan populaire ? Les longues heures de contemplation de la mer, en cet après-midi d'hiver, ne sauraient suffire pour en faire ressurgir les détails. Tout ce que l'on a besoin de nous rappeler à cette heure, c'est que la conquête de la liberté et sa sauvegarde sont des batailles d'une guerre qui ne prendra jamais fin.

Rentrons, il pleut maintenant.

1   p. 156. Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, nouvelle édition revue et corrigée Flammarion, 2012

 

Hugo Hanry

 

« Il ne resta plus qu'un pâle espoir de sursaut populaire... »

par Hugo Hanry, le 19 février 2015

 

 

 

Paris, le 11 janvier 2025. La commémoration du dixième anniversaire de la grande marche républicaine va débuter. Qu'est-ce qui m'a poussé à venir ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être l'espoir de retrouver un sentiment qui m'avait traversé ce jour-là, l'impression inédite que des millions d'esprits s'étaient retrouvés. J'avais alors 22 ans. J'avais la conviction que ma génération avait le pouvoir de conquérir son avenir. Ce jour-là, elle s'était renforcée.

Je me suis installé au milieu de la foule rassemblée derrière les barrières dressées pour l'occasion sur la place de la République. De l'autre côté des barrières, le Premier ministre, entouré de plusieurs centaines d'écoliers, s'apprête à lire son discours. Derrière lui, les membres du gouvernement, parfaitement alignés, précèdent une cohorte de personnalités, journalistes, artistes, femmes et hommes politiques de tous les partis, Parti des possibles, la coalition centriste République-Unie... tous à l'exception, cependant, du Front national.

Les images de ce jour du 11 janvier 2015 me revenaient comme des souvenirs lointains. Je cherchais à comprendre. Que s'était-il passé depuis pour que tout cela perde de son sens ?

Commençons par le début. Il y a dix ans, deux millions de personnes étaient rassemblées sur cette même place et dans Paris. quatre millions partout en France. Elles étaient venues honorer la mémoire de Charb, Cabu, Tignous, Wolinsky, Ahmed et tous les autres. Journalistes satiriques, habitants de confession juive ou policiers, ils avaient été assassinés parce qu'ils représentaient tout ce que le fondamentalisme religieux rejette : la liberté d'expression, la liberté de pratiquer un culte différent, la sécurité pour garantir l'accès de chacun à ces libertés.

La Liberté « avec un grand L » avait été attaquée. La vague d'émotion avait largement dépassé les frontières du pays. Peut-être parce que c'est dans ces moments-là qu'il est facile de comprendre son importance. Comprendre que la liberté est ce par quoi l'humanité s'affirme en tant que telle. Mais avec elle, il y a avait surtout la volonté d'ébranler la République, d'affaiblir un modèle de cohésion sociale afin de fragiliser le pays tout entier.

Battre le pavé, montrer que nous étions debout, ensemble, fut alors la réponse qui s'imposait. Ce fut la première, mais ce ne fut pas la seule.

Peu de temps après, des voix dissonantes se firent entendre. Le slogan « Je suis Charlie » avait du mal à se décliner à toutes les personnes. Car la République était aussi synonyme d'exclusion pour une partie de la population. Quel paradoxe ! En défendant la République, nous défendions une conception égalitaire et fraternelle de la communauté nationale ! Car l'histoire de la République française s'était mêlée à une conception de la communauté nationale qui s'opposait au nationalisme racial pour promouvoir un modèle contractuel de la nation. Une conception basée sur la volonté de partager un legs commun de souvenirs et d'appartenir à une communauté de destins, selon les mots du philosophe français Ernest Renan, à la fin du XIXe siècle.

Pour elles, pour eux, la République devait donc devenir une volonté, alors qu'elle était un découragement. « Aimez la France pour qu'elle vous aime en retour » entendaient-ils. Alors même que l'école reproduisait les inégalités déjà existantes à l'extérieur de ses murs, que la police représentait une menace aux yeux des uns, que l'accès à un emploi de qualité n'était qu'un rêve inaccessible pour les autres…

C'est en cela que le 11 janvier 2015 devait marquer une rupture.

Après trois années à attendre que la gauche redevienne synonyme d'espoir, j'y croyais encore. Je n'attendais pas le grand soir. Je savais qu'il était difficile de résoudre sa principale contradiction : celle de résorber les inégalités sans remettre en cause la dynamique libérale d'extension des mécanismes de marchés à l'ensemble de la vie. Dynamique qui ne fonctionne que par le retrait de la puissance publique et la stratégie du moins disant social et environnemental. Mais nous attendions qu'elle donne une place privilégiée à l'audace, aux idées neuves et hétérodoxes.

Vu d'aujourd'hui, le problème était simple : les contraintes imposées par la globalisation économique étaient perçues comme indépassables. La gauche était au ralenti dans la marche du progrès humain parce qu'elle était incapable d'apercevoir le chemin à prendre. Elle marchait dans tous les sens, un coup en avançant par la concrétisation de grands progrès qu'elle avait défendus depuis plusieurs années, à l'image du mariage pour tous ; un coup en reculant sur de grands combats tels que la réduction du temps de travail.

D'abord le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), vingt milliards pour les entreprises sans contreparties, alors que la disette budgétaire concernait l'ensemble de l'action publique et rendait chaque denier précieux à investir efficacement. Ensuite la loi Macron, pour, notamment, étendre le travail le dimanche. Elle n'était que le début d'une longue remise en cause de la réduction du temps de travail.

Voilà les marqueurs principaux de l'action de la gauche au pouvoir. Ils ne constituent pas l'ensemble de son action, bien des progrès ayant été réalisés à côté. Mais nous nous éloignions dangereusement des rêves et des promesses de la campagne présidentielle.

Cette loi Macron, soit dit en passant, « grande loi du quinquennat » selon certains pour «déverrouiller l'économie française », n'était parvenue qu'à raviver les tensions au sein de la gauche sans abolir les privilèges de la rente ou les corporatismes, ni même créer un seul petit point de croissance. Quel gâchis ! À se demander si l'objectif de Manuel Valls n'était pas de diviser…diviser pour mieux régner. Son score de 5% lors des primaires en 2011, seule consultation démocratique du PS à laquelle il participa, laissaient penser qu'il n'était pas en capacité d'être, dans un futur proche, la figure de tête du Parti socialiste. Il devait dès lors changer le parti. 

Les divisions n'ont cessé de s'accentuer au sein de la gauche, beaucoup dénonçaient la « trahison » du gouvernement vis-à-vis de son électorat, jusqu'à ce que l'union devienne inconcevable. Nous assistions au suicide lent et douloureux du Parti socialiste. Mais ces divisions étaient bien éloignées des préoccupations des Français. Elles paraissaient puériles et intéressées, alors que l'enjeu était bien plus grand.

La gauche du Parti socialiste, à qui l'on adossait facilement l'image de la fronde, ne parvenait pas à être audible alors qu'elle était la seule à chercher à donner du sens au socialisme. En fait, nous aussi étions démunis face aux effets complexes de la globalisation libérale. D'autres discours parlaient au peuple de gauche. Rendez-nous les frontières ! Rendez-nous la monnaie ! Rendez-nous le capitalisme industriel qui permettait les avancées sociales dans le rapport de force avec le capital ! Rendez-nous la société salariale dans laquelle les classes moyennes finissaient par s'épanouir ! 

Nous devions employer notre énergie à penser un modèle alternatif sans nier les contraintes existantes pour l'ancrer dans le réel. Nous devions mettre en réseau ceux qui innovent, qui inventent des méthodes d'action politique plus ouvertes, des modèles d'action publique plus démocratiques, des instruments de solidarité dans les territoires, travailler avec ceux qui pensent des modèles macro-économiques où la prospérité ne passe plus par la possession de biens, où les technologies émergentes permettent d'accroître le bien-être collectif.

Car la crise que nous vivions et que nous vivons encore, s'inscrit dans le temps long. Elle n'est rien d'autre que les conséquences de l'épuisement du système dominant. Le capitalisme avait atteint son apogée en réussissant à faire de l'argent avec de l'argent. La crise ne provient pas du manque de contrôle des institutions capitalistiques mais bien de l'incapacité du capitalisme à se reproduire. Il ne se perpétue que sur des bases fictives de plus en plus précaires. C'est ce que nous a montré la crise de 2008. C'est ce que nous montre aussi l'échec du principe de compensation environnementale qui avait triomphé suite à la Conférence Climat de Paris en novembre 2015. Les marchés éco-systémiques et les systèmes de quotas d'émissions de gaz à effet de serre se sont considérablement développés. Il s'agit de donner un prix à la nature pour la protéger et limiter les émissions de gaz à effets de serre. En réalité il n'en fut rien. Nous comprenons aujourd'hui que les multinationales ont pu ainsi continuer à faire du profit sur son dos. Cela n'a pas permis non plus de limiter le réchauffement climatique à 2°C. Ce plafond a été jugé clairement inatteignable d'après le dernier rapport du GIEC publié il y a un mois. 

Ce sont finalement les crises des dettes souveraines en Europe qui ont affaibli le plus les valeurs dominantes. Propriété, possession, individualisme…tout cela n'avait plus de sens quand la pauvreté et les inégalités ne cessaient de croître. Aujourd'hui les valeurs d'entraide, de partage et de solidarité gagnent du terrain face aux risques de plus en plus clairs que présentent le dérèglement climatique et l'affaiblissement de l'économie européenne face aux nouvelles puissances (anciennement « émergentes »).

La révolution lente des nouvelles économies, c'est-à-dire le développement en Europe des modèles micro-économiques solidaires y contribua.

Mais tout cela ne fut pas sans peine. L'extrême droite aussi a continué à progresser partout en Europe, en particulier au Sud où les inégalités sont les plus grandes et le désespoir le plus fort. En France, le Front national est devenu le premier parti d'opposition.

Il faut dire que la déflation fut sans précédent à partir de 2016. L'opération de « quantitative easing » de la Banque centrale européenne en 2015, censée réinjecter des liquidités dans l'économie réelle pour contrer la déflation, n'avait suffi qu'à faire monter les prix des actifs pour en faire profiter ceux qui n'en avaient pas vraiment besoin…

Cela dit, la victoire de Syriza en Grèce, également en 2015, avait ouvert la brèche à un discours hétérodoxe assumé au sein du débat européen. La renégociation de la dette grecque, l'assouplissement des règles de stabilité et l'abandon du plafond de l'inflation ont précédé l'augmentation du budget européen sur de nouvelles bases fiscales. Car le regain de la demande intérieure était plus que nécessaire. Les déficits extérieurs des pays européens ne cessaient de se creuser. Les factures énergétiques ont explosé ces cinq dernières années. Après la baisse importante des prix dans un premier temps, liée à la compétition entre l'essor des gaz de schistes et le pétrole, la perspective de plus en plus proche du peak oil et les conflits géopolitiques autour de la zone d'influence russe et au Moyen-Orient ont mené à l'augmentation rapide des prix.

Par ailleurs, les conséquences sociales et environnementales désastreuses de l'exploitation des hydrocarbures de schistes en Pologne et en Espagne surtout, ont obligé l'Europe à investir dans les énergies renouvelables, dans les réseaux pour lisser l'offre énergétique à l'échelle européenne et dans le stockage de l'énergie. L'Europe était considérablement en retard. Certaines nouvelles puissances comme l'Inde avaient réduit par vingt le coût de la fabrication des panneaux solaires entre 2009 et 2020.

Aujourd'hui, nous comprenons que le réalisme a changé de camp. Qu'il ne consiste plus à vouloir gérer ce qui existe mais à imaginer, anticiper et amorcer les transformations fondamentales dont la possibilité est inscrite dans les mutations en cours. 

Il est désormais clair que l'écologie passera par la transformation des rapports sociaux. Le travail ne doit plus être un lieu de pression et de menaces permanentes ou un moyen d'exclusion sociale quand on n'en a pas. Le lieu de vie ne doit pas être trop isolé du lieu de travail et des lieux de distraction pour éviter les modes de vie individualistes. Les institutions ne peuvent plus être des machineries complexes aux yeux des citoyens.

C'est ainsi que la mort prématurée du socialisme français a donné vie à une autre gauche de transformation sociale derrière l'égide du Parti des possibles. Comment cela s'est-il passé ? Le congrès du Parti socialiste de 2015 n'a mené à rien. La majorité n'existait déjà plus avant. Le système des coalitions propre à la Quatrième république renaissait à ce moment-là.

Marine Le Pen est parvenue au second tour face à François Hollande en 2017. L'UMP, affaiblie par les nombreuses affaires pesant sur ses cadres et son président Nicolas Sarkozy, s'est déchirée au moment de ses primaires et s'est dissoute peu de temps après les élections. Le Front national a recueilli une bonne moitié des voix et des élus de l'UMP.

Il aura fallu attendre 2020 pour que soit menée dans la douleur la réforme constitutionnelle que tout le monde attendait. L'abolition de la Cinquième république s'est faite par l'introduction de la proportionnelle à l'Assemblée nationale. Le président de la République a aujourd'hui moins de pouvoirs qu'auparavant.

C'est suite à tout cela que le Parti socialiste se scinda. Les sociaux-libéraux ont choisi de s'allier au MoDem et à l'UDI dans une grande coalition nommée République-Unie, qui prit le pouvoir grâce au mode de scrutin proportionnel.

Le Parti des possibles, coalition de gauche réunissant des anciens socialistes avec des écologistes, des communistes et des anticapitalistes, est devenu le principal parti à gauche. Il est encore très instable.

Je comprends mieux. Nous avions perdu tant de temps, tant de progrès, tant d'espoirs en route. La République n'était restée qu'une incantation. Et notre avenir nous ne l'avions pas conquis. Voilà pourquoi cette cérémonie a perdu de son sens.

Tenant la main de mon fils de cinq ans, je me demandais s'il verrait un jour cette démocratie sociale et écologiste si chère à mon cœur…

 

Lucas Trotouin

 

« Le réalisme a changé de camp »

par Lucas Trotouin, le 21 février 2015

 

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