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Paroles d'Actu
15 novembre 2022

Jean-Daniel Belfond : « Il y avait autour de Barbara, comme un fil invisible... »

Le 24 novembre 1997 disparaissait Monique Serf, plus connue sous le nom de Barbara. La chanteuse, qui n’avait pas 68 ans, laissait derrière elle des fidèles inconsolables, et une œuvre considérable qu’on ne cesse de redécouvrir, d’analyser, de reprendre. L’admiration qu’elle suscitait, elle l’inspire encore 25 ans après, et nombreux sont celles et ceux, y compris parmi les jeunes, qui l’écoutent toujours, qui la citent parmi leurs sources d’inspiration. Et qui la lisent aussi : dans ses textes celle qui aimait se parer de noir corbeau se mettait parfois à nu, elle s’y racontait beaucoup, y compris sur des aspects très intimes, douloureux de sa vie.

Ces textes - qui n’ont pas vocation à se suffire à eux-mêmes - sont à découvrir ou redécouvrir, posément, dans un ouvrage qui vient de paraître, Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022) et qui rassemble aussi des documents rares ou inédits signés de la plume de Barbara, et des analyses de son œuvre. Parmi les contributeurs, l’éditeur Jean-Daniel Belfond, patron de l’Archipel et grand amateur de Barbara : il a accepté de répondre à mes questions, l’interview s’est déroulée début novembre. Je l’en remercie, et effectivement, pour qui voudrait approfondir le sujet Barbara, c’est un livre à parcourir... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Daniel Belfond : « Il y avait

autour de Barbara, comme un fil invisible... »

Barbara l'intégrale

Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).

 

Jean-Daniel Belfond bonjour, merci d’avoir accepté de m’accorder cet entretien. Quel souvenir gardez-vous de ce matin de novembre 1997, il y a 25 ans donc, où fut annoncée la disparition de Barbara ?

J’avais entendu la veille, sur France Musique, une dépêche : elle avait été admise d’urgence à l’hôpital américain de Neuilly. Là, j’ai senti qu’on allait apprendre rapidement une mauvaise nouvelle. La mort de Barbara, d’une toxi-infection, a été annoncée peu après. Par la suite, son frère Jean m’a dit qu’elle avait connu le même type d’infection, et une hospitalisation d’urgence, six mois plus tôt. Elle n’était absolument pas prudente en matière alimentaire : elle décongelait puis recongelait des plats, chose qu’il ne faut jamais faire. C’est une infection alimentaire qui l’a emportée...

 

Et quelle a été votre réaction ?

J’étais un fan depuis 25 ans. J’avais vu tous ses spectacles depuis celui de Pantin en 1981. Alors, bien sûr, une grande tristesse m’a envahi. Mais Barbara nous avait prévenus. D’abord, elle avait annoncé qu’elle arrêtait la scène, qu’elle n’en avait plus la force. Elle ne s’interdisait pas de faire un dernier disque, ce qu’elle a fait - une sorte d’adieu, mais aussi un disque un peu expédié, pas entièrement satisfaisant. J’ai su après, par son directeur musical chez Universal qu’une version bien plus belle du même album, avait été enregistrée… et perdue. Bref, on devinait qu’elle arrivait au bout de son chemin. J’ai eu pas mal de contacts avec elle... sans pour autant pouvoir prétendre l’avoir bien connue.

 

 

Justement, dans le texte que vous écrivez en introduction du recueil paru aux éditions de l’Archipel, vous évoquez vos échanges avec elle, des projets en commun, et je rappelle ici que vous avez été l’auteur en 2000 d’une biographie, Barbara l’ensorceleuse, aux éditions Christian Pirot. Comment qualifier les rapports que vous avez eus avec elle, professionnellement parlant, et avez-vous des regrets en la matière, sur des choses qui n’ont pu se faire ?

D’abord, très jeune, de retour de coopération, j’ai eu envie d’écrire un livre sur Barbara. J’avais eu l’accord de Frédéric Ferney, qui travaillait chez Sand et Tchou, mais sans l’accord de la principale intéressée ça n’a pu se faire. J’ai ensuite proposé à Fred Hidalgo, le fondateur de Paroles et Musique, le mensuel de la chanson, de réaliser le dossier Barbara avec Cécile Abdesselam. Nous avons alors recueilli le témoignage de gens qui l’avaient connue tel le photographe Jean-Pierre Leloir, ou son premier bassiste, Michel Gaudry. Le dossier a paru en janvier 1985. Nous n’avons pu la rencontrer, malgré nos demandes à son agent, Charley Marouani, qui faisait écran. A l’époque on n’avait aucune idée précise de ce qu’avait été la vie de Barbara avant la notoriété. On savait qu’elle était devenue la "chanteuse de minuit" à la fin des années 50 lorsqu’elle se produisait dans ce cabaret mythique du quai des Grands-Augustins, l’Écluse, mais sans avoir de détail sur son enfance ou ses années de jeunesse. Sur le piano de sa prof de piano Madeleine Dusséqué trônait une photo encadrée de l’immédiat après-guerre où elle était… très ample. Ca m’avait marqué  ! On savait aussi qu’elle n’aimait guère qu’on écrive sur elle. Bref, il y avait bien des zones d’ombre… En dépit des trous dans son parcours, on s’est évertué à reconstituer une chronologie. D’ailleurs, Barbara elle-même n’avait pas de mémoire ! Lorsqu’à l’instigation de Jacques Attali elle a entrepris de rassembler ses souvenirs à la fin de sa vie, elle a dû faire appel au meilleur spécialiste de son œuvre, Jean-François Fontana, et à ses proches (dont son mari Claude Sluys !) pour compléter son livre !

Ma première rencontre avec Barbara s’est produite quelques années après, fin 1988. Par le plus grand des hasards. J’étais parti sac au dos faire le tour d’Israël. Sur le principal boulevard de Tel-Aviv, je vois des affiches annonçant qu’elle se produit en concert, le 28 décembre. Bien sûr, je suis allé prendre une place et ai vu ce spectacle, magnifique. Elle était "en voix". C’était un an après son premier Châtelet. Ils louaient des jumelles à l’entrée de la salle, de sorte que j’ai vu Barbara comme si elle était à deux mètres de moi. N’oubliez pas que j’étais un fan absolu. À la fin du spectacle je suis allé la voir. Je me suis présenté à elle et lui ai expliqué avoir rédigé le dossier qui lui avait été consacré dans Paroles et Musique. Elle m’a répondu qu’elle l’avait bien aimé, et de là nous nous sommes mis à parler. Elle était très impressionnante. Elle m’a dit cette phrase, qui m’a marqué : "Vous viendrez un jour à Précy, nous dînerons devant un grand feu de bois". Il émanait d’elle un magnétisme très fort. Je n’ai ressenti cela qu’avec deux ou trois personnes dans ma vie  : elle dégageait comme une chaleur, un fluide. Elle m’a parue très grande. Cette rencontre m’a tellement impressionnée que j’en ai encore des frissons...

Il y a eu donc, par la suite, d’autres contacts et, comme je suis éditeur, tout naturellement, je lui ai dit un jour : "Barbara, il faudrait publier une intégrale papier de vos chansons". Je le raconte dans l’avant-propos du livre. Elle m’a répondu qu’elle n’était pas un poète, que les textes de ses chansons elle aimait les chanter à son public mais qu’ils ne "tenaient" pas à la lecture. Impossible d’avoir son accord.

En revanche, un jour elle m’appelle, et me dit : "Que diriez-vous de rassembler les photos de Lily Passion ?" Lily Passion, c’est son opéra-rock de 1986, qui a connu toutes sortes d’aléas, avec trois metteurs en scène successifs, et qui finalement avait été monté avec deux personnages seulement, elle et Gérard Depardieu. C’était un très beau spectacle, mais qui n’a pas rencontré son public, avec une tournée un peu catastrophique en France. Là, je l’avoue, j’ai commis une énorme erreur, je n’ai pas donné suite à sa proposition. Cela fait partie de la vie d’un éditeur, on prend de mauvaises décisions. A plusieurs reprises il m’est arrivé de dire "non" à des projets et de m’en mordre les doigts. Cela aurait été l’occasion de la rencontrer plus souvent, de la connaître mieux... Mais on s’est revu, on s’est parlé plusieurs fois au téléphone. Elle appelait le matin à 9 heures précises. Au standard de la maison d’édition elle disait toujours "C’est Barbara la chanteuse". Et, quand elle voulait quelque chose, c’était un bulldozer. On ne pouvait même imaginer la contredire.

 

Ce recueil pour lequel elle disait ne pas être poétesse, vous pensez que c’était vraiment de l’humilité, une forme de manque de confiance en soi ?

Non, elle était sincère. Elle m’a dit une autre chose qui m’a énormément surpris : "Je ne pourrai pas empêcher qu’un jour il y ait des dizaines de livres sur moi". On était au début des années 90, deux livres lui avaient été consacré. Et on savait qu’elle voulait tout contrôler  : les photos, les parutions… Comment pouvait-elle imaginer qu’il y aurait un jour une ribambelle de livres sur elle ? Une fois de plus, elle avait raison. Quand je les recense dans ma bibliothèque, j’arrive à plus de soixante-dix ouvrages de tous formats…

Bref, comment en sommes–nous venus à publier l’intégrale de ses chansons ? Par un incroyable concours de circonstances. Ce livre aurait dû paraître chez Fayard, qui avait publié ses mémoires posthumes inachevés, Il était un piano noir, en septembre 1998. Un jour, je reçois un appel de Jean Serf, le frère aîné de Barbara qui était son ayant-droit. Il m’explique qu’il ne s’est pas mis d’accord sur le taux de droits avec Fayard. Il me demande si ce projet m’intéresse. J’ai couru, j’ai bondi  :  bien sûr, nous étions d’accord ! Le livre est ainsi né et, tous les cinq ans depuis, à chaque anniversaire, il reparaît dans une version enrichie. L’ouvrage a existé en grand format à partir de 2000, puis au format poche, puis en livre illustré enrichi d’articles de presse, tout cela avec le soutien de Bernard Serf, le fils de Jean, qui accomplit un beau travail de mémoire autour de Barbara.

 

Et cette histoire d’album photo sur Lily Passion, même si Barbara n’est plus là, ça reste une idée que vous pourriez reprendre ?

Bien sûr. J’ai écrit à Gérard Depardieu, pour qu’il écrive un livre, le "Barbara de Depardieu" illustré de photos. Il ne m’a pas répondu. Je crois qu’il y a de la souffrance chez lui. Barbara a joué un grand rôle dans sa vie, il lui rend hommage en lui consacrant un superbe tour de chant tout en émotions. Il y a du non-résolu dans sa relation à Barbara. On ne sait pas tout. Il s’est opposé à ce que Universal réédite ses duos avec Barbara dans Lily Passion, ce qui est vraiment dommage, ils sont magnifiques. Je crois qu’il ne s’est pas remis de la fin de leur travail en commun. Vous savez : avoir côtoyé, avoir vécu, ri, partagé tant de choses avec un être humain si exceptionnel, on n‘en sort pas indemne. Il a même inauguré à Nantes, avec Barbara, la rue de la "Grange-au-loup"  : un nom qu’avait inventé Barbara dans sa chanson Nantes (1964), où elle évoquait la mort de son père.

 

 

Concernant Depardieu, il y a dans le livre, parmi les textes divers de Barbara qui y sont reproduits, un très beau texte dans lequel elle décrit très bien le personnage, alors oui certainement il y aurait certainement à creuser là...

Il ont vécu quelque chose d’extraordinaire, et j’en reste persuadé oui, ce Lily Passion qui a connu tellement de vicissitudes, d’aléas, Depardieu pourrait en parler très bien...

 

Barbara Depardieu 1 Barbara Depardieu 2

Extrait de Barbara - L'intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).

 

Barbara n’a, depuis 1967, cessé de répéter à son public qu’il était sa "plus belle histoire d’amour". Quelle est "votre" histoire personnelle, comme auditeur et comme spectateur, avec elle ?

Enfant, à l’époque où mes copains étaient fans de Johnny et des Beatles, mes idoles à moi se nommaient Brassens et Anne Sylvestre, que mes parents m’avaient fait découvrir. J’ai 11 ans, en 1970. Mon meilleur ami, avec qui nous chantions Brassens à tue-tête, me fait écouter un 33 tours de sa grande sœur : Barbara, récital Bobino 1967. Dernière chanson de l’album : Les Rapaces, enregistrée le jour où l’artiste vient de la composer. Cette chanson m’a sidéré. J’ai écouté, j’ai été comme captivé par ce personnage.

 

 

Comme je suis compulsif dans ma passion pour la chanson, j’ai tout voulu écouter, tout voulu connaître. Petit à petit je suis rentré dans son univers, qui est magique... Les années 1965-1975 sont les plus marquantes de sa carrière. Sa voix est d’une pureté absolue  ; ses albums de l’époque sont d’une force envoutante. J’ignorais que j’habitais alors à cent cinquante mètres de chez elle, rue Michel-Ange…

 

 

C’était une évidence pour vous, que les éditions de l’Archipel, que vous dirigez, publient quelque chose pour les 25 ans de sa disparition...

Oui, j’ai du reste publié plusieurs livres sur elle au fil des années. La première biographie de Sophie Delassein, Barbara, une vie, dès 1998. Mais aussi les mémoires posthumes d’Hubert Ballay, qui lui avait offert son appartement de la rue de Rémusat et à qui elle aurait écrit deux cent lettres (perdues  ?). Un homme d’affaires pour qui a été écrit en 1962 Dis quand reviendras-tu ?, son premier grand succès, titre devenu celui du livre.  J’ai aussi fait paraître Vingt ans avec Barbara, les souvenirs de Roland Romanelli, qui fut son homme-orchestre et son compagnon. Et, cet automne, deux longs chapitres sont consacrés à la dame en noir dans Mes années lumière, le livre de Jacques Rouveyrollis, qu’elle appelait le "magicien des lumières".

 

Le vôtre, Barbara l’ensorceleuse, en 2000 ?

Il était paru chez Christian Pirot, fou de chansons et excellent éditeur, hélas disparu trop tôt. Un texte où je raconte comment Barbara m’a ensorcelé.

 

Que retenir de cette nouvelle édition de Barbara, l’intégrale des chansons ?

Parmi les nouveautés, une étude de son univers scénique, par Sébastien Bost. Les cent cinquante chansons que Barbara a écrites sont classées chronologiquement, présentées et replacées dans leur contexte par le directeur d’ouvrage, Joël July, qui signe en outre une étude sur l’univers poétique de Barbara. Le livre indique les variantes connues des chansons. Il inclut de nombreux textes manuscrits de Barbara. Il y a une annexe assez volumineuse avec les textes écrits par Barbara pour accompagner ses spectacles, notamment. Puis une chronologie détaillée de sa vie et de son après-vie, une discographie et une bibliographie mises à jour.

Nous avons failli avoir un scoop pour cette réédition  : un poème inédit  ! Un collectionneur avait acquis, lors d’une vente aux enchères en 2000, un lot de textes et scripts de Lily Passion annotés par Barbara. Il m’a adressé le scan de quelques pages. Parmi elles le tapuscrit d’un poème inconnu écrit pour cet opéra-rock : La Mer du Nord. Un très beau texte, avec des réminiscences de l’univers de Barbara. Par acquis de conscience, on a interrogé Luc Plamondon,  qui avait collaboré à la première version de Lily Passion. Alors que l’on bouclait le livre, Plamondon a confirmé qu’il était bien l’auteur de ce texte et… qu’il en interdisait la reproduction ! Je me suis souvenu qu’il avait souffert lors de l’accouchement difficile de Lily Passion et ne devait pas en avoir gardé un bon souvenir.

En couverture figure une très jolie photo, peu connue : elle est datée de 1967 et on voit Barbara toute jeune, à l’arrière de sa voiture, en tournée. Le fan de Barbara ne peut pas passer à côté !

 

Lire des textes de chanson est un exercice bien différent de la simple écoute d’une chanson, qu’on imagine plus distraite. Est-ce à dire que le texte se suffit à lui-même dès lors qu’il est poétique ?

Question difficile : le texte d’une chanson se suffit-il à lui-même ? Si l’on part du principe qu’une chanson est un composé de texte et de musique, on serait tenté de répondre non. Mais le premier plaisir très égoïste qu’on a avec un recueil, c’est d’entonner les chansons qu’on aime, seul ou en groupe, peut-être même en les jouant avec un instrument. Le plaisir de retrouver des refrains qu’on a en tête. Indépendamment de tout jugement sur la qualité poétique de la chanson. Quand je disais à Barbara que ses fans seraient heureux de disposer du recueil de ses textes, je n’émettais pas de jugement sur leur valeur poétique. Barbara, elle, avait un doute sur la qualité intrinsèque de ses textes, sur leur postérité. Quand on voit que Brassens ciselait ses chansons, recherchant des rimes riches à chaque vers, des enjambements d’une créativité extraordinaire... Quand on constate la puissance poétique des vers de Léo Ferré, on peut comprendre les craintes de Barbara, pour qui les textes sont le support d’une émotion davantage que le fruit d’un travail très élaboré. Elle avait peur de voir ses textes souffrir de la comparaison avec ceux de Brassens ou de Brel, qu’elle avait jadis chantés. Maintenant, ses chansons sont si chargées de moments forts, d’amour qu’on leur pardonne leurs imperfections, leur côté parfois inabouti. 

 

 

Une vraie manque de confiance en soi malgré tout... On a tous un peu de Barbara l’image sombre qu’elle s’est toujours donnée, sur la forme et souvent sur le fond. Mais quelques textes prêtent aussi à sourire, et entre des blocs d’ombre jaillissent des rayons de lumière. D’après ce que vous en percevez, comment se situait Monique Serf entre l’optimisme volontariste de Le jour se lève encore (1994), et le pessimisme sans recours de Fatigue (1996), pour ne citer que deux textes parmi ses derniers ?

Barbara a souvent été questionnée sur son côté "aigle noir", "mante religieuse". Elle avait énormément d’humour. Elle avait cette phrase : "Je ne veux pas qu’on me voie de profil, je risque de faire peur aux enfants" (rires). Elle était le contraire de ce qu’on croit  : elle était en noir, parce que c’était la couleur qui lui allait, la couleur du personnage qu’elle s’était façonné, mais elle était le contraire d’un personnage sombre. J’ai souvent parlé d’elle avec Georges Moustaki, il me disait qu’il n’avait jamais ri avec personne comme avec Barbara. Elle était gaie. Mais je pense qu’elle était aussi sujette à des moments de détresse, avec une humeur pouvant varier... Elle parle de la tentation du suicide dans ses chansons, et elle ne triche jamais dans ses écrits. Elle n’était pas quelqu’un de linéaire. C’est aussi une femme qui s’est beaucoup vouée aux autres, aux rêveuses de parloir, ces femmes qui venaient écouter les prisonniers... Elle a consacré des nuits entières aux malades du Sida, elle a chanté bénévolement en prison. Elle a donné beaucoup de son temps et, comme elle était insomniaque, elle appelait des gens la nuit. Un être généreux, désintéressé. Le contraire de l’image vénéneuse... D’ailleurs il y a un texte reproduit dans le livre où elle écrit qu’elle n’est pas une "tulipe noire". Mais ce cliché court toujours sur elle... Si on gratte un peu, ça ne tient pas.

 

 

N’avait-elle pas compris, aussi, que pour la postérité, dans l’art le noir et blanc s’abîmerait moins vite que la couleur ?

C’est une jolie formule, je pense qu’on peut la garder. Je peux la signer, et je vous l’emprunte!

 

 

Quelles sont les chansons de Barbara qui vous ont personnellement le plus touché, sur le moment ou après redécouverte ? Ces titres, connus ou mieux, moins connus, que vous aimeriez inciter nos lecteurs à écouter, et aussi à lire ?

Plusieurs titres sont poignants. Celui qui me bouleverse le plus, c’est Mon enfance (1968). Elle retourne dans ce petit village dans le Vercors où elle a passé plusieurs mois à la fin de la guerre, et qui ont été douloureux, comme tout le conflit où, petite fille juive, elle n’a cessé de fuir l’occupant. Elle en parle de façon très émouvante, la musique est magnifique... C’est un texte autobiographique, un peu comme Nantes. De manière générale, ce sont les chansons où elle parle d’elle de façon très directe, comme Rémusat (1970), évocation du deuil de sa mère, ou Drouot (1971), salle des ventes qu’elle a beaucoup fréquentée, qui sont aussi très prégnantes. Et il y a cette chanson sombre qu’on n’a décodée qu’après sa mort et qui s’appelle Au cœur de la nuit (1966). Si on l’écoute et qu’on la lit bien, c’est au cœur de la nuit que les choses se passent et que son enfance est à jamais détruite...

 

 

L’Aigle noir (1970) aussi, de ce point de vue-là ?

C’est sa chanson la plus populaire. Elle l’avait ajoutée en dernière minute à l’album paru en mai 1970. Cette chanson est devenu son plus grand succès malgré elle tant elle a tourné en radio au cours de l’été suivant. Il y eu énormément d’interprétations psychanalytiques de la chanson. Peut-être veut-on lui faire dire trop de choses. Comme pour le tableau d’un peintre où celui-ci découvre qu’il a représenté des concepts qu’il n’avait pas imaginés. L’Aigle noir, on lui a trouvé tant de sens cachés ! Je ne sais si tout cela a lieu d’être, mais encore une fois, pour décoder le viol il faut surtout écouter Au cœur de la nuit.

 

 

Quand on songe à Barbara, à son public, il y a comme une forme de communion qui reste forte. Vous l’évoquiez, est-ce que ça tient à l’espèce d’intimité née, collectivement et individuellement, entre elle et chacun de ses auditeurs, à sa manière à elle de se mettre à nu ? Barbara écrit : "Voilà tu la connais l’histoire..." dans la touchante Nantes...

L’émotion vous prenait, au spectacle, dès qu’on arrivait au théâtre. Quelque chose de très prégnant, une atmosphère très particulière qui faisait battre le cœur avant même que le rideau ne se lève. Comme si tous les gens présents appartenaient à une sorte de communauté, liés par un fil invisible, une expression qu’elle utilise dans la chanson Vienne (1972). Un groupe d’êtres humains reliés à elle, à ses notes, à sa respiration. Certains fanatiques la suivaient en tournée, certains se couchaient sur son paillasson rue Rémusat comme elle le raconte dans Les Rapaces. Sa façon de chanter, l’intensité de ses phrases, de ses histoires étaient telles que les gens se sentaient concernés de façon très intime par ce qu’elle racontait. Après sa disparition j’ai retrouvé cette atmosphère si particulière, lorsque Marie-Paule Belle a donné un spectacle hommage où elle a fort bien chanté Barbara. On ne retrouvait pas cela chez d’autres artistes : Brassens, en spectacle, créait une atmosphère de complicité, Ferré un élan vital d’adhésion à ses mots, Anne Sylvestre un plaisir intense, une adhésion à la beauté de ses textes, de ses musiques et à sa générosité.

 

 

Quel regard portez-vous sur la carrière de Barbara, sur son parcours de vie aussi ?

Son parcours de vie est très intéressant. Quand on regarde de près la vie de Barbara, ça commence par beaucoup de souffrance, vingt premières années assez terribles... Elle grandit sans père, suit des cours de piano, de chant lyrique, puis se rend compte que sa voix n’est pas de celles qui conviennent pour mener carrière à l’opéra... Elle a crevé de faim en Belgique pour essayer de monter un cabaret, elle a été à deux doigts de se prostituer pour pouvoir manger... Elle s’est faite seule, malgré le père absent, malgré la misère. Un parcours assez extraordinaire, avec aussi elle a la capacité de subjuguer les hommes. Elle ne dit pas qu’elle écrit des chansons, elle ne les signe pas tout de suite, une sorte de pudeur. À partir de la fin des années 1950, elle se rend compte que la scène de l’Écluse est trop étroite pour elle, qu’elle a en elle une force incroyable, elle invente des jeux scéniques dès qu’elle ose quitter son piano. À partir de 1963, de sa première scène en solo au Théâtre des Capucines, elle passe dans une autre dimension...

 

En quoi est-elle une source d’inspiration pour vous, et en quoi peut-elle inspirer ceux qui prêtent attention à son œuvre ?

Par sa générosité, Barbara nous montre l’exemple de quelqu’un qui a beaucoup fait, sur bien des sujets, par exemple pour prendre conscience qu’il fallait mettre des préservatifs, se protéger contre les MST, avoir un regard généreux sur les gens qui sont fragiles, sur les infirmières, les prisonniers aussi... Elle le dit elle-même, elle a voulu rendre aux gens tout ce qu’ils lui avaient donné. Elle disait que ce qui la motivait le plus, c’était le plaisir du spectacle. Je pense qu’elle sentait la ferveur du public, qu’elle comprenait à quel point les gens comptaient sur elle et ça l’a émue, elle a voulu rendre tout ce qu’elle avait reçu d’amour de son public, un amour plus intense que celui qu’elle a pu recevoir d’un homme...

 

Il y a des artistes qui vous font penser à elle en 2022, retrouveriez-vous en eux ce qui vous a fait aimer Barbara ?

Oui, il y a une jeune artiste qui a un talent fou, une voix très différente de Barbara et une grande sensibilité, c’est Pomme. Je retrouve beaucoup de choses en elle, elle a aussi un vécu très original. C’est une fille qu’on sent mal dans sa peau, dans l’ambivalence... Elle a une voix vulnérable, et elle dégage beaucoup de choses. Parmi les artistes d’aujourd’hui j’aime aussi Barbara Pravi qui a une belle voix et la merveilleuse Clarika, qui excelle aussi bien sur scène qu’en disque. Ces femmes ont un talent barbaresque, mais il ne faut pas essayer de copier. Que chacun suive sa route... Certes, je n’ai jamais ressenti une telle intensité entre un artiste et son public qu’avec Barbara. J’imagine que les fans Mylène Farmer vivent ce phénomène de communion, qui relie beaucoup d’artistes, notamment anglo-saxons, à leur public...

 

 

Une forme de religion quelque part...

Oui, une forme de religion. Mais chacun trouve ce qu’il cherche. Mon déclic en matière de chanson c’est vraiment la musique. C’est d’abord elle qui me fait aller vers un artiste. Si je n’ai pas le plaisir du son, c’est fini, je suis hors course. Si, par contre, la musique me plaît, je peux accepter une certaine imperfection, une facilité dans les textes.

 

Si, par un improbable prodige, vous pouviez vous retrouver face à Barbara, lui poser les yeux dans les yeux une question, quelle serait-elle  ?

Comme je l’ai dit, Barbara était quelqu’un d’impressionnant. Pourtant, je ne suis peu impressionnable. Elle dégageait quelque chose de magnétique... J’aurais aimé l’interroger sur les histoires cachées derrière ses chansons, tout en sachant qu’elle aurait refusé de répondre. J’ai essayé de convaincre Anne Sylvestre de raconter les histoires qui étaient en filigrane cachées dans ses textes, mais j’ai vu très vite qu’il y avait beaucoup de souffrance là-dedans. Elle aussi a connu des drames dans sa vie ; elle n’a pas voulu les revivre.

 

Trois qualificatifs, pour décrire au mieux Monique Serf alias Barbara, telle que vous croyez l’avoir comprise par ses attitudes, par ses textes et parce qu’il y avait entre les lignes ?

La passion de convaincre : elle était dotée d’une force extraordinaire de ce point de vue. La passion de transmettre. Et une vraie bienveillance envers autrui.

 

 

Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée, en tant cette fois qu’éditeur, pour l’Archipel ? Le marché du livre se porte-t-il plutôt plus ou moins bien qu’avant la crise Covid ?

Disons qu’on a été un peu leurrés par l’année 2021, qui a été celle  de la fin du Covid. Les gens, ayant été frustrés de livres, se sont précipités en librairie. Le marché a connu une année anormalement faste, et la plupart des éditeurs ont vu leur chiffres d’affaires faire un bond. On a pu croire qu’il était facile de vendre des livres... 2022 nous a cruellement ramenés à la réalité, on est revenu à un marché plus difficile, avec trois phénomènes qui se sont additionnés : la guerre en Ukraine, avec cette peur du nucléaire en Europe qui a noué pas mal de ventres ; l’année politique avec les incertitudes qu’elle a générées ; dernièrement l’inflation disparue depuis quarante ans à ce niveau qui revient et impacte le budget culture des ménages.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?

Je fais un métier qui me permet de rencontrer des gens passionnants, de tous horizons. On ne s’ennuie jamais, on est toujours dans la curiosité, dans la découverte. Une grande partie du plaisir de l’éditeur, c’est de travailler les textes avec les auteurs. Le plaisir de découvrir une plume de talent, c’est quelque chose dont on ne se lasse pas. J’aime féliciter les auteurs qui nous enchantent par leur talent de plume. C’est l’aventure de faire des livres, des livres qui vous intéressent, vous passionnent parfois. Dans le domaine de la chanson, j’ai publié deux témoignages cet automne. Les souvenirs de Françoise Canetti, la fille de Jacques Canetti. Elle raconte le parcours de cet extraordinaire découvreur de talents que fut son père. Ensuite, les mémoires du plus grand éclairagiste de la scène, Jacques Rouveyrollis : il a connu tant d’artistes depuis un demi-siècle et les raconte avec beaucoup d’humour. Je signale aussi un livre très différent signé Philippe Di Folco, qui recense les impostures littéraires. On se rend compte qu’il y a ceux qui écrivent, ceux qui s’inspirent et ceux… qui trichent !

 

Jean-Daniel Belfond

 

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23 décembre 2022

Françoise Piazza : « Mieux qu'un poète, Barbara est une effleureuse d'âmes »

Barbara nous quittait il y a vingt-cinq ans, en novembre 1997, une disparition et surtout une œuvre, une vie déjà évoquées dans Paroles d’Actu ces dernières semaines : il y a eu l’interview avec Jean-Daniel Belfond, puis celle avec Alain Wodrascka. Pour compléter cette espèce de trilogie qui n’était pas prévue, et alors que l’année touche à sa fin, j’ai le plaisir de vous présenter, au travers de cet article, un ouvrage original, riche source d’infos et de témoignages inédits sur cette "longue dame brune" que chanta en son temps, en duo avec l’intéressée, Georges Moustaki.

La biographe Françoise Piazza a dirigé ce Barbara à livre ouvert produit de manière participative, avec à ses côtés le jeune Thomas Patey, grand amateur de chanson française qui avait déjà contribué à notre site, pour un hommage à Charles Aznavour (2019). Je les remercie tous deux pour les réponses qu’ils ont bien voulu me faire, je remercie aussi Frédéric Quinonero pour le tuyau. L’ouvrage mériterait bien d’être lu par toute personne aimant Barbara. Lisez, écoutez de la musique, évadez-vous... Joyeux Noël à toutes et tous ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Barbara à livre ouvert

Barbara à livre ouvert

https://helloasso.com/associations/la-saisonneraie/paiements/barbaraalivreouvert

ou

La Saisonneraie - 32 rue du Russon- 60350 Cuise la Motte (chèque).

29 euros, frais denvoi inclus.

 

 

I. Françoise Piazza, interview 

Françoise Piazza bonjour. Quelle a été l’histoire de cet ouvrage Barbara à livre ouvert, qui est riche en informations biographiques et en témoignages inédits, alors qu’on commémore en ce moment les 25 ans de la disparition de Barbara ? Publier quelque chose pour cette occasion, c’était comme une évidence pour vous ?

Il y a quelques années, "les Oiseaux" évoqués dans cet ouvrage (un groupe de fans de Barbara, ndlr) m’ont confié un dossier avec des lettres écrites à Barbara au lendemain de sa disparition, et quelques dessins, me demandant si "on pouvait en faire quelque chose". C’était très inabouti, très brouillon, je l’ai laissé dans un tiroir. Et le temps a passé.

Le 9 juin, jour de naissance de Barbara, j’ai recherché ce dossier et presque tout éliminé, avec l’envie soudaine d’écrire sur elle, un petit signe 25 ans après sa disparition. Trop tard sur le plan du calendrier de mon éditeur ! J’ai donc élaboré seule le fil conducteur, puis contacté Thomas Patey, dont j’aime la plume, et qui avait écrit l’avant-dernier chapitre de mon livre Cora Vaucaire en clair-obscur, en 2021. En laissant à Thomas toute liberté.

 

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez eu le livre terminé entre les mains ? L’aboutissement d’une belle aventure, longue, parfois difficile aussi ?

Un vague à l’âme, comme toujours quand le livre s’en va vivre sa vie, une certaine mélancolie...

 

Vous l’évoquiez à l’instant : racontez-nous la rencontre avec Thomas Patey, tout jeune amateur de chanson française que j’avais eu moi-même la chance d’interviewer un an après la mort de Charles Aznavour ? Comment vous êtes-vous "trouvés" autour de Barbara, et autour de ce projet ?

Lorsque j’ai publié Juliette Gréco - Entrer dans la lumière en janvier 2020, aux Éditions de l’Archipel, Thomas avait 20 ans. Il s’est passionné pour mon livre (la chanson est sa passion vous l’avez dit) et m’a écrit sur les réseaux sociaux. Une correspondance s’est établie au fil des semaines. Juliette est partie. Elle était ma soeur d’élection depuis notre rencontre, en 1968. J’avais 19 ans, et elle 41. Thomas m’a demandé si je pouvais l’aider à entrer à l’église de Saint-Germain-des-Prés , la cérémonie était sur invitation. Nous nous sommes donné rendez-vous là. Après, tout s’est enchaîné, nos rencontres, nos échanges écrits, nos passions communes...

 

Parmi les témoignages recueillis, ceux d’artistes illustres comme Anny Duperey ou Béatrice Agenin, ceux de proches collaborateurs, et aussi d’anonymes, ces "Oiseaux" donc, restés fidèles à Barbara. Comment les uns et les autres ont-ils reçu votre démarche ? Ça a été compliqué parfois d’en faire convaincre certains, peut-être parce que l’exercice peut supposer de toucher une corde sensible, de retirer un voile de pudeur ?

Je n’ai rencontré aucune difficulté . J’en ai d’abord parlé à Martine Chevallier et Anne Delbée qui sont des amies. J’ai écrit à Anny Duperey et à Béatrice Agenin, toutes les deux très touchées qu’on pense à elle. J’ai envoyé Thomas rencontrer Mine Verges que je connais bien pour être allée parfois chercher les robes de Juliette dans son atelier, et Marie-Thérèse Orain, que je connaissais par Cora Vaucaire. Pour les "Oiseaux", j’ai gardé les lettres les plus marquantes, dont celle de Marie-Claude Semel, illustratrice aussi, que je connais depuis Mogador (1991). Jack Gabriel Le Gall, que je connaissais aussi, m’a offert un dessin pour la couverture. Jean-François Fontana ne devait, au départ, que vérifier les dates et les lieux (Barbara l’appelait "ma mémoire") et il a eu envie d’"écrire quelques "Je me souviens", jusqu’à en écrire 50 ! En fait 100, mais il a élagué ! Les témoignages des "Oiseaux" et de Jean-François Fontana, essentiels, apportent un éclairage nouveau à ce portrait à quatre mains.

 

 

Dans ce livre, vous évoquez parmi d’autres vos moments partagés avec Barbara, les émotions qu’elle vous a inspirées et qu’elle inspire encore. Comment qualifieriez-vous la place particulière qu’elle tient dans votre vie, et qu’est-ce qui la rend aussi chère à votre cœur ? Barbara c’est aussi, une source d’inspiration ?

J’ai rencontré Barbara lorsque j’avais 16 ans et, sans avoir jamais été de ses intimes, je l’ai toujours connue. Ses chansons ont bercé mes nuits adolescentes et guéri mes premiers chagrins d’amour. Ma mère lui a demandé si elle pouvait donner à sa maison le nom de La Saisonneraie, titre de l’une de ses chansons. J’habite à mon tour une Saisonneraie, dans l’Oise, et c’est le nom que nous avons choisi pour l’association qui a publié ce livre... Sa mort a été un déchirement, ma mère a versé à sa disparition toutes les larmes retenues à a disparition de ses proches au fil du temps.

 

Touchant témoignage... Nous évoquions Thomas Patey tout à l’heure, il y a une section du livre qu’il a écrite et qui s’appelle "Le bel âge", recueil de témoignages de très jeunes amateurs de Barbara, tous nés après le grand départ de la dame en noir. Comment expliquez-vous, notamment après avoir dirigé ce livre et recueilli toute cette parole, qu’elle nous "parle" toujours autant, aux anciens qui l’ont aimée "avant" comme aux jeunes qui ne l’ont pas connue, contrairement par exemple à une Juliette Greco ?

Elle seule a su - par quel miracle ? -, trouver les mots qui bouleversent, qui consolent, qui guérissent, qui font chavirer Thomas quand il avait 7 ans, la lycéenne que j’étais alors, et les jeunes gens d’aujourd’hui. Juliette, dont j’étais bien plus proche, n’écrivait pas ses textes et on a parfois donné d’elle une image tantôt lointaine , tantôt sulfureuse, elle qui n’était que douceur, rires et tendresse. Juliette était plus discrète, éteignait les applaudissements en glissant sur la chanson suivante, alors que Barbara les entretenait par une frénésie qui électrisait son public et ça devenait la messe !

Juliette Gréco

Impossible de comparer ces deux univers. J’ai écrit trois livres sur Juliette : De Juliette à Gréco, en collaboration avec Bruno Blanckeman, à présent spécialiste de la littérature contemporaine à la Sorbonne (Éditions Christian de Bartillat, 1994), Juliette Gréco, merci !, illustré de centaines de photos, un livre qu’elle a défendu et adoré (Éditions Didier Carpentier. 2009 ). Elle disait "Ce n’est pas un livre pour un livre, c’est un livre pour dire Je t’aime, et c’est bouleversant", et le dernier, à l’Archipel, en 2020. On lui a lu , car elle ne pouvait plus lire ; Ce ne sont pas des biographies, même s’il y a un fil conducteur, ce sont des portraits littéraires et des reflets de vie.

 

Je sais qu’on n’aime pas trop ce genre de question en général quand on aime un artiste, mais je vous la pose quand même : pas vos chansons préférées, non, mais disons, si vous deviez recommander des chansons de Barbara qui vous touchent particulièrement à quelqu’un qui serait curieux de la découvrir, quel serait votre choix ?

Chapeau bas. La Saisonneraie. Coline. Gauguin. La solitude. Il automne. L’île aux mimosas...

 

 

Sa place au panthéon des grands de la culture française, peut-être même de nos poètes authentiques, elle l’a à votre avis ?
Elle n’aimait pas que l’on dise d’elle qu’elle était un poète, elle parlait volontiers de ses "petits zinzins"... Elle est mieux qu’un poète, elle est une effleureuse d’âmes.

 

Trois adjectifs pour qualifier Barbara telle que vous croyez l’avoir comprise ?

Solitaire. Excessive. Imprévisible.

 

Les idées reçues que vous voudriez casser pour de bon avec ce livre ?

Que ses chansons sont noires et désespérées, et qu’elles foutent le bourdon !

 

Si vous aviez pu lui poser une dernière question, savez-vous ce que vous lui auriez demandé ?
Voulez-vous venir fleurir mon jardin ?

 

Vos projets, surtout vos envies pour la suite Françoise Piazza ?

J ’aimerais écrire sur Serge Reggiani !

 

Un dernier mot ?

J’aimerais la croiser dans l’au-delà, et lui dire à quel point je l’ai aimée.

 

Françoise Piazza

Réponses datées du 8 décembre.

 

 

II. Thomas Patey, interview

 

Bonjour Thomas et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Comment t’es-tu retrouvé dans cette aventure Barbara, à livre ouvert ? Vous vous connaissiez auparavant, avec Françoise Piazza ?

J’ai écrit à Françoise pour la première fois il y a trois ans. Elle venait de publier un ouvrage sur Juliette Gréco et j’avais voulu discuter avec elle à ce sujet. C’est d’ailleurs lors des obsèques de Gréco que nous nous sommes rencontrés physiquement, quelques mois plus tard, à Saint-Germain-des-Près sous un ciel de pluie. Au fil du temps une amitié est née et rares sont les jours où nous ne discutons pas ensemble. J’ai beaucoup de chance d’avoir rencontré Françoise, elle m’a beaucoup aidé à mon arrivée à Paris, sans pour autant qu’elle y habite. Nous partageons elle et moi, la même passion pour la chanson française, à la différence que Françoise a eu pour amis d’immenses noms de la chanson et du théâtre.

Cette aventure Barbara, à livre ouvert nous est venue au printemps. Nous avons eu envie de rendre hommage à Barbara, disparue il y a vingt-cinq ans. Françoise m’avait déjà demandé d’écrire modestement un texte pour son livre Cora Vaucaire, en clair-obscur et un chapitre dans Francesca Solleville, contre vents et marées, mais là, et je le dis avec un profond sentiment de gratitude, elle a souhaité que nous signions ensemble le livre, en me désignant auteur de plusieurs chapitres. Ça m’a beaucoup touché, et rapidement j’ai eu très envie de le faire. C’était un peu inconscient parce les études me prennent déjà du temps, mais l’idée de rendre hommage à Barbara était importante pour moi. Et donc nous l’avons fait. Quand je pense à ça, je suis assez fier, et je me revois à Calais, acheter l’ouvrage de Françoise consacré à Juliette Gréco, et je me dis que la vie, et les rencontres, ça réserve de jolies surprises.

 

 

Le chapitre "Le Bel Âge", qui reprend le titre d’une chanson de Barbara, est écrit par toi et rendu vivant par la multitude de témoignages de jeunes que tu as recueillis. Il y a le tien, celui de ta sœur aussi d’ailleurs. Je sais déjà ton amour pour la chanson française ancienne époque : Barbara, ça a vraiment été, parmi tous ces artistes, une révélation, un choc particuliers pour toi ?

Ce chapitre est l’un des petits bijoux de ce livre, j’ose le dire. Il rassemble en effet des textes écrits par d’étudiants tous nés après la disparition de Barbara. Je voulais montrer que Barbara continuait sa route auprès de la jeune génération, j’espère avoir réussi. C’était en tout cas très émouvant de recevoir ces témoignages – tous remarquablement écrits d’ailleurs – de jeunes d’horizons très divers. J’ai quand même reçu le texte d’une élève du conservatoire de Montréal, c’est incroyable.

Pour répondre à ta question, oui. Je ne me souviens plus de comment j’ai découvert Aznavour par exemple. Barbara oui, avec la chanson Nantes, j’avais sept ans. C’est un souvenir ancré au plus profond de moi, presque douloureux, mais je suis persuadé que ce moment précis a déterminé tout le restant de ma vie. Ce jour là, j’ai compris, je ne saurais pas te dire quoi, mais j’ai compris... Avant, je n’avais que Piaf pour idole, puis Barbara est venue déposer son piano noir auprès de moi. Crois-moi, quand enfant on a Barbara auprès de soi, on grandit plus vite que les autres camarades de la cour de récréation...

 

Barbara a à ton avis une place à part dans le patrimoine de la chanson française ? Qu’est-ce qui la rend différente à cet égard ?

L’œuvre de Barbara n’est pas immense quand on se penche sur le nombre de chansons, et pourtant, elle incarne à elle seule une certaine idée de la chanson française. Elle est je crois la seule à se livrer à ce point dans ses textes. Là est la différence entre elle et les autres à mon avis  : son œuvre est essentiellement autobiographique là où Ferré, Brel ou Brassens chantent leur vision du monde. C’est évidemment à nuancer mais il faut savoir que Barbara ne pouvait pas écrire sans que quelque chose ne lui soit arrivé, comme si elle prenait son cœur pour l’étaler sur le piano. Elle est ainsi plus qu’une immense interprète, elle est cette femme qui chante en nous offrant le plus profond d’elle-même. C’est pour ça qu’elle nous touche autant. C’est pour cette même raison sans doute que son œuvre est à ce point homogène.

 

Comment expliques-tu, tête froide, que Barbara "parle" autant à tant de jeunes, bien plus sans doute que nombre d’artistes, même auteurs-compositeurs-interprètes, de sa génération ? Qu’avait-elle en plus, et comment ont réagi la plupart des jeunes dont tu as sollicité le témoignage ?

C’est une question très difficile, c’est le mystère et la magie de Barbara. Elle est en effet une des rares de sa génération dont la carrière se poursuit aujourd’hui, malgré son absence. Alors pourquoi  ? Son "mal de vivre" y est sans doute pour quelque chose, il est vécu par de nombreux jeunes, et de plus en plus par les temps qui courent. Tous ces étudiants qui m’ont écrit répètent à quel point la sincérité de Barbara les a bouleversés. C’est vraiment troublant et je ne sais pas si cela demande une explication. C’est un fait, cela existe... Barbara est toujours écoutée, et c’est trop beau pour en chercher la cause.

 

Parmi cet emballant patchwork d’articles, il y a les récits de tes entretiens avec des gens ayant côtoyé Barbara, notamment "Mine" sa costumière, et la chanteuse Marie-Thérèse Orain. Que gardes-tu de ces rencontres ? De tous, c’est encore l’exercice que tu préfères ?

Oui, on est dans le vrai lors de ces entretiens. C’est un véritable travail de journaliste auquel je me prêté pour la première fois... et je me suis beaucoup amusé. C’était passionnant. Avec Mine notamment, j’ai passé un moment hors du temps dans les jardins du Palais-Royal. C’était délicieux de drôlerie et tellement émouvant de l’écouter me raconter ses souvenirs avec Barbara. Ce genre d’exercice, comme tu le dis si bien, m’a permis, à travers la voix des autres, d’être au plus proche de Barbara. Je ne pensais pas rire autant. Je remercie vraiment Mine et Marie-Thérèse pour ces souvenirs magnifiques et leur amitié. Vous verrez en lisant nos échanges que Barbara était un vrai clown.

 

T

Thomas Patey avec Mine.

 

Parmi les artistes d’aujourd’hui, ceux que les jeunes de ton âge écoutent plus volontiers, quels sont ceux qui arrivent à trouver grâce à tes yeux ? Des coups de cœur récents ?

En arrivant à Paris, j’ai découvert de jeunes artistes débordants de talent. À titre d’exemple, un garçon nommé Samuel Devin mérite bien un peu de lumière. J’espère que ça va décoller pour lui. Il écrit magnifiquement, dans la pure tradition de la chanson française tout en osant la moderniser. Si vous aimez la chanson, courez l’écouter, vous ne serez pas déçus. Puis en vous promenant dans les rues de la capitale le soir, vous pouvez rencontrer dans quelques cabarets ou restaurants des chanteuses ravissantes comme Angelina Wismes, qui a d’ailleurs enregistré un album hommage à Barbara, ou Donamaria à la voix envoûtante.

J’essaye de suivre l’actualité des nouvelles têtes d’affiche, mais je ne m’intéresse qu’aux artistes ayant une véritable singularité. Beaucoup de chanteurs de la nouvelle génération se ressemblent encore trop les uns les autres et proposent un art similaire, je trouve cela dommage. Après, parmi ceux qui ont véritablement percé ces dernières années, je dois avouer mon petit faible pour Clara Luciani.

 

Si un savant un peu fou te proposait un voyage dans le temps, aller-retour ou aller simple, pour aller vivre ta jeunesse dans les années 50, ou 60, ou 70, tu signerais ? Où et quand voudrais-tu aller passer tes 20 ans ?

J’ai longtemps souffert de ce que Woody Allen appelle le «  syndrome de l’âge d’or  », moins aujourd’hui. Cependant, je ne pense pas que je refuserais un voyage dans le Paris des Années Folles aux côtés de Joséphine Baker, Ernest Hemingway, Kiki de Montparnasse ou Maurice Chevalier, tout comme je ne pourrais pas résister à une nuit dans un cabaret de la Rive Gauche dans les années 50. Je suis de ceux qui regrettent de ne pas avoir pu fréquenter ou voir sur scène les légendes du music-hall. La mémoire a le défaut sans doute de mystifier un peu ces époques, ça ne me dérange pas... on a le droit de rêver un peu  !

 

 

Si tu devais faire découvrir Barbara à quelqu’un de vingt ans qui aurait cette curiosité, sur la base de ton ressenti et de tes préférences à toi, quelles sont, disons, les cinq chansons que tu lui recommanderais d’écouter ?

À mon sens, la chanson la plus adéquate pour découvrir Barbara c’est Mon Enfance. C’est peut-être la plus belle de son répertoire. Je laisse le soin à nos lecteurs de l’écouter pour qu’ils comprennent.

Ensuite je réponds rapidement sinon je ne saurai plus te répondre tant de titres se bousculent dans ma tête. Gueule de nuit est un de mes préférées, tout comme Parce que je t’aime. Puis, pour prouver que Barbara est une femme délicieusement drôle, je dirais la chanson Hop là !, mais à écouter lorsque Barbara la chante en public en introduisant le texte d’une façon magistrale. Enfin Gauguin chanson rarement évoquée dans l’œuvre de Barbara. Tout d’abord parce que pour l’étudiant au Louvre que je suis, c’est un titre sublime, parce c’est un des textes les mieux écrits de Barbara et qu’il est dédié à Jacques Brel. C’est quand même pas mal d’imaginer Gauguin peindre Amsterdam non  ?

 

 

Si tu avais pu rencontrer Barbara (pas de regret, vous vous êtes ratés de loin), et si tu avais pu lui poser une question, sais-tu ce que tu lui aurais demandé ?

Je lui aurais demandé son numéro de téléphone pour pouvoir la rappeler, tout simplement...

 

Trois adjectifs pour la qualifier au mieux par rapport à ce que tu crois avoir compris d’elle ?

Barbara était une femme généreuse, cela ne fait absolument aucun doute. C’est le sentiment qui est le plus apparent lorsque l’on discute avec ses proches. Roland Romanelli raconte souvent cette anecdote de Barbara offrant une girafe en peluche géante à un petit garçon qui la regardait derrière une vitrine. Son engagement contre le SIDA, ses récitals en prison sont aussi indissociables de cette générosité exceptionnelle. Je pense que Barbara était très drôle, on devait beaucoup s’amuser avec elle. Marie-Thérèse Orain présente Barbara comme une femme intelligente, en y réfléchissant je pense qu’elle a raison. L’intelligence à la fois de réussir une telle carrière, en se créant elle-même, puis cette intelligence dans l’écriture que personne ne peut lui contester.

 

Tes projets, et surtout tes envies pour la suite ?

C’est une aventure formidable d’écrire un ouvrage, je ne serais pas contre en écrire de nouveaux dans les années à venir... tu en seras informé  ! J’ai de nombreuses idées en tête, je pense même que tenir une émission radiophonique ou télévisée pour discuter musique, peinture, littérature, avec des cinéastes, des écrivains, des danseurs, ça me plairait beaucoup.

En ce qui concerne ma passion pour la chanson, là aussi un projet plus concret est en train de se construire. Avec Carla Scalisi, ancienne étudiante à Science-Po, nous mettons en œuvre une initiative de protection et de sauvegarde du patrimoine musical français avec la création du Panthéon de la Chanson, un projet porté par des institutions, ayants-droits et descendants d’artistes qui, nous l’espérons, deviendra le lieu de mémoire de la chanson française, telle que nous la définissons. Nous espérons que notre projet séduira du monde et aboutira à deux choses, l’ouverture d’un «  Musée de la chanson française  », et élever la chanson française au rang du Patrimoine immatériel de l’UNESCO.

 

Un dernier mot ?

Je tiens vraiment à remercier Françoise Piazza de m’avoir cru capable d’écrire à ses côtés, et de son amitié. Il ne me reste plus qu’à te remercier toi, à souhaiter à tous ceux qui nous lisent de très belles fêtes de fin d’année... avec Barbara qui chante si joliment «  Il s’en allait chez Madeleine près du Pont d’l’Alma / Elle aurait eu tant de peine qu’il ne vienne pas / Fêter Noël, fêter Noël  ». À très bientôt pour la suite des aventures  !

 

Thomas Patey 2022

Réponses datées du 21 décembre.

 

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28 mars 2023

Gonzague Espinosa-Dassonneville : « La dislocation de l'empire espagnol n'était pas inéluctable »

Qui parmi le public français connaît, dans son détail ou même dans les grandes lignes, les circonstances de la dislocation de l’empire espagnol qui, de l’Atlantique Est jusqu’au milieu du Pacifique, fut un des plus considérables que le monde ait connu ? Le gros des évènements décisifs de cette histoire - soit, la séparation effective des territoires américains d’avec la métropole - fut contemporain des époques Premier Empire, puis Restauration ; s’agissant de l’épopée napoléonienne, on en a peu conscience, mais on tient là, dans cette affaire hispano-américaine, une des retombées les plus importantes et durables des guerres européennes de ce début du XIXe.

Pour nous raconter tout cela, j’ai la joie de recevoir, pour cet article, M. Gonzague Espinosa-Dassonneville, docteur en Histoire ayant récemment signé l’ouvrage qui a servi de base à notre entretien, La chute d’un empire - L’indépendance de l’Amérique espagnole (Passés composés, mars 2023). Je le remercie pour le temps qu’il m’a accordé et pour ses réponses précises. Et j’espère que la lecture de cette page vous donnera envie de vous plonger dans son livre : il fourmille de détails tout en restant très vivant. En le lisant vous apprendrez, beaucoup, et vous saisirez certainement quelque chose de l’ADN d’une Amérique latine qu’on connaît finalement souvent mal.

 

8 jours en mai

 

Je souhaite enfin, avant d’entrer dans le vif du sujet évoqué à l’instant, mettre un coup de projecteur sur un second ouvrage histo lui aussi paru chez Passés composés tout récemment: 8 jours en mai, de l’historien allemand Volker Ullrich, nous plonge dans les derniers jours et dans les dernières heures d’un autre empire, le Troisième Reich, qui lui devait "durer mille ans" mais qui tomba par le feu et dans le sang après douze années. Du suicide d’Adolf Hitler jusqu’à la fin de la guerre en Europe, on assiste avec effarement à l’agonie d’un régime, dont certains membres sauraient tirer leur épingle du jeu auprès des vainqueurs, tandis que le peuple allemand, hier assimilé aux brutes qui le dirigeaient, se retrouve en proie à la faim, à la misère et à la terreur - celle liée, principalement, à la perspective de tomber entre les mains de soldats soviétiques revanchards. Un livre d’une grande force pour mieux visualiser et ressentir, à hauteur d’hommes et de femmes, des évènements que pour le coup on croyait bien connaître. Là encore, à lire !

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Gonzague Espinosa-Dassonneville: « La dislocation

de l’empire espagnol n’était pas inéluctable »

La chute d'un empire

La chute d’un empire - L’indépendance de l’Amérique espagnole (Passés composés, mars 2023).

 

Gonzague Espinosa-Dassonneville bonjour. Qu’est-ce qui, dans votre parcours et dans votre vie, a fait naître et croître en vous cet intérêt vif pour le monde hispanique et l’histoire de ses peuples ?

pourquoi le monde hispanique ?

Je me suis toujours passionné pour l’Histoire, depuis mon enfance. Ma mère a toujours su cultiver chez moi cette passion. Aussi loin que je me souvienne, cet intérêt pour le continent américain remonte à la série d’animation Il était une fois… les Amériques d’Albert Barillé diffusée dans les années 1990, une des déclinaisons des Il était une fois…, séries ludo-éducatives à destination des enfants. Mon patronyme espagnol pourrait laisser croire que j’ai toujours été immergé dans la culture et le monde hispaniques, mais c’est en réalité l’histoire napoléonienne qui m’a rapproché de l’Espagne et des Amériques. De plus, ma thèse sur le général Lamarque m’a fait découvrir l’existence de fronts périphériques encore mal connus et des ramifications mondiales des guerres napoléoniennes, ce qui est le cas des indépendances sud-américaines.

 

 

Pourquoi cet ouvrage, La chute d’un empire - L’indépendance de l’Amérique espagnole ? N’est-ce pas, comme vous le suggériez, un sujet finalement très méconnu en France, comme semble être méconnue, négligée chez nous, c’est mon impression en tout cas, l’Amérique hispanophone (hors Brésil donc) ?

l’Amérique latine, grande inconnue ?

Effectivement, le temps des indépendances reste méconnu du public français qui est plus sensibilisé à l’Amérique latine des années 1960, 1970 et 1980, marquée par la révolution cubaine, par le coup d’État au Chili qui a porté au pouvoir le général Pinochet ou par la junte argentine et la guerre des Malouines. Mais en tant que dix-neuvièmiste, j’ai toujours été intrigué par la rupture des liens qui unissaient l’Espagne à son empire américain et par la formation chaotique des nouveaux États. Certes, il existe en français des synthèses, quoiqu’anciennes et parfois dépassées, ou des histoires générales mais il manquait réellement une étude sur ce moment important de l’Amérique du Sud prenant en compte l’évolution de l’historiographie –sud-américaine, espagnole, anglo-saxonne mais aussi française – qui a beaucoup évolué depuis la fin de la Guerre froide et qui a renouvelé la perception de ces indépendances. Pour autant, je n’ai pas écarté de mon étude le cas brésilien, car peu de choses distinguaient finalement l’empire espagnol de l’empire portugais. Mais la conduite de leur monarque respectif face à l’invasion napoléonienne a été différente, ce qui a entraîné par conséquent des réactions dissemblables.

 

Peut-on dire que, parmi ce qui rapproche les mouvements d’indépendance des Treize Colonies et ceux de l’Amérique espagnole, il y a la question de la représentativité des citoyens (question fondamentale également lors du déclenchement de la Révolution française), et que parmi ce qui les distingue il y a d’un côté, le rejet d’un roi jugé tyrannique (George III), de l’autre un légitimisme affiché en faveur d’un souverain en exil (Ferdinand VII) ?

l’Amérique espagnole et les Treize colonies

Oui et non, car le contexte et les raisons sont différents. La rupture des Treize colonies anglo-américaines avec leur métropole a surtout pour origine des contentieux fiscaux. Les caisses britanniques étaient vides après la guerre de Sept Ans. Londres avait alors décidé de multiplier les taxes à l’endroit de ses colons américains. Elles avaient fini par provoquer leur mécontentement et la revendication d’une représentation politique au Parlement de Westminster. Ces taxes étaient d’autant plus inacceptables aux yeux des colons que la menace française au Canada avait disparu. Le refus de la métropole et la guerre qui en a découlé ont associé le roi George III à la répression.

En Amérique du Sud, les élites hispano-américaines étaient mécontentes des réformes opérées par la monarchie au cours du XVIIIe siècle, les privant de l’autonomie dont elles jouissaient depuis environ deux siècles. Ce mécontentement n’a pourtant pas débouché sur une sécession d’avec la métropole – il faudra attendre les années 1808-1809 – tout simplement parce qu’à la différence des Treize colonies anglo-américaines, la société sud-américaine était multiethnique. Ses élites blanches se savaient en minorité et avaient peur d’une submersion indienne ou noire. Elles ont alors surtout cherché à conserver ce qui leur restait d’autonomie et de leurs droits qu’à larguer les amarres.

L’invasion de l’Espagne par l’armée napoléonienne, la captivité du roi et la nécessité de créer un gouvernement coordonnant la résistance et conduisant la guerre ont, en revanche, poussé les Espagnols d’Europe à associer ceux d’Amérique aux affaires de la monarchie, chose que n’a jamais proposée le Royaume-Uni. Cette résistance à l’envahisseur français a été faite au nom du «  roi absent  », Ferdinand VII, dont la personne a suscité une unanimité quasi-générale jusqu’en 1814 parce que peu de monde ne le connaissait en vérité. On le pensait libéral parce qu’il s’était opposé à Manuel Godoy, le principal ministre de son père Charles IV, alors que ce n’était que pour des griefs d’ordre personnel. C’est en fait un «  roi imaginé  », pour reprendre l’expression d’Emilio La Parra, qui a servi toutes les causes jusqu’à que ses sujets comprennent sa véritable nature à son retour de captivité.

 

La question de l’égalité entre les sujets du roi, entre la métropole et les colonies, et parmi les différentes catégories d’habitants des territoires d’Amérique (péninsulaires, créoles, Indiens et Noirs), a joué un rôle fondateur dans toute cette histoire. De quel poids ont pesé, plus particulièrement, les politiques commerciales voulues par le pouvoir central espagnol entre métropole et Amérique  (forte restriction du libre-échange notamment) dans le mécontentement général ? Et de ce point de vue, les rapports de Londres et de Madrid à leur empire respectif étaient-ils comparables ?

la question du commerce

Ce mécontentement s’est, en effet, nourri du durcissement des politiques commerciales voulu par Madrid au XVIIIe siècle, même s’il a surtout concerné les élites urbaines. Le pouvoir central s’était aperçu de la grande disparité entre l’essor des îles à sucre des Antilles françaises et britanniques et la faible rentabilité de son empire. La seule Saint-Domingue (actuelle Haïti) rapportait quatre fois plus à la France que toute l’Amérique à l’Espagne. S’ajoutait à cela la contrebande croissante de la Grande-Bretagne qui rêvait d’une ouverture des ports sud-américains pour déverser ses produits manufacturés bon marché.

Le «  commerce libre  », amorcé par Madrid dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, visait à avantager les négociants de la péninsule Ibérique pour détruire l’autosuffisance des Hispano-américains, et de faire en sorte que l’économie coloniale travaille directement pour l’Espagne et lui expédie l’excédent de production qui jusque-là restait en Amérique. En retour, elle ne devait consommer que les produits manufacturés espagnols, puisque le commerce avec l’étranger restait interdit. Cette politique ne la distinguait guère de celle de l’empire britannique aux XVIIe-XVIIIe siècles, qui a été édifié comme un système d’échanges aussi clos que possible, assujetti étroitement aux intérêts de sa métropole. Seuls l’indépendance de ses Treize colonies américaines et les progrès de sa révolution industrielle lui firent abandonner peu à peu cette vision mercantiliste. Toujours est-il que cette nouvelle politique apporta à l’Espagne une nouvelle ère de prospérité, mais nuancée par le fait que sa propre industrie ne pouvait pas satisfaire toute la demande américaine, l’obligeant à délivrer des autorisations aux navires étrangers et à subir une recrudescence de la contrebande.

La rupture des liaisons entre l’Amérique et l’Espagne durant les guerres de la Révolution et l’Empire fit voler en éclats cette armature contraignante. Pour continuer à commercer, les élites urbaines hispano-américaines ont ouvert leurs ports aux navires britanniques et étasuniens notamment. Madrid tenta d’accompagner ce mouvement avant de l’interdire, mais il était trop tard. Ces élites avaient pris goût au libre-échange tandis que l’Espagne, faute de marine après 1797 et 1805, ne pouvait de toute façon ni satisfaire la demande, ni empêcher ces échanges.

 

S’agissant des mouvements d’indépendance de l’Amérique espagnole, considérez-vous que les actions successives de Napoléon Ier, puis de Ferdinand VII, ont provoqué l’éclatement, ou bien n’ont-elles fait qu’accélérer quelque chose que la propagation des idées nouvelles avait rendu inéluctable ?

inévitable effondrement ?

Rien n’était inéluctable. Très peu en Amérique était pour une sécession d’avec l’Espagne avant 1808. Les préoccupations des Hispano-américains étaient plus pragmatiques qu’idéologiques. Ils revendiquaient plus d’autonomie locale en raison du tour de vis administratif imposé par l’État royal au XVIIIe siècle. La grande majorité des Hispano-américains prêtait peu d’attention aux efforts d’exilés comme le jésuite Viscardo qui promut l’indépendance dans sa Lettre aux Espagnols américains (1799) ou comme Francisco de Miranda, qui après avoir pris une part active dans la Révolution française, échoua en 1806 et en 1811 à susciter l’adhésion des populations du Venezuela. Les idées des Lumières étaient certes arrivées en Amérique du Sud, mais leurs thuriféraires étaient très minoritaires parce que ces mêmes Lumières étaient très critiques à l’égard de l’Espagne et du Nouveau Monde, en plus d’être jugées trop radicales et antichrétiennes. La monarchie espagnole tirait encore une grande partie de sa légitimité de la tradition. En revanche, les nombreux textes publiés, en réponse aux attaques des Lumières, par des Hispano-américains conservateurs et désireux de montrer l’importance de la nature des ressources américaines ainsi que de son potentiel au monde entier, ont été plus importants pour prédisposer les esprits de la population au moment de l’effondrement de 1808. L’onde de choc provoquée (involontairement) par Napoléon, les maladresses de la Régence de Cadix et la politique répressive de Ferdinand VII, une fois de retour de captivité de France, ont plus joué dans la débâcle finale.

 

Si, hypothèse loufoque, vous pouviez à la faveur d’un voyage dans le temps intervenir dans cette histoire que vous contez, à quel moment et avec quel acteur chercheriez-vous à interagir dans l’optique d’une sauvegarde de l’empire espagnol ? Par exemple, suggéreriez-vous aux Bourbons d’Espagne de s’établir en Amérique, comme les Bragance du Portugal le firent au Brésil ?

un conseil à un acteur du drame ?

Il est toujours difficile pour un historien de verser dans l’uchronie, car beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte. Mais cela ne l’empêche pas de constater que certaines décisions importantes, prises autrement, auraient pu changer le cours des événements. Au cours du XVIIIe siècle, les cercles éclairés à Madrid ont proposé, à plusieurs reprises, de réformer profondément cet empire gigantesque en le transformant en un «  Commonwealth  » à l’espagnole, c’est-à-dire de ne garder sous son contrôle direct que les points jugés stratégiques pour sa défense et son commerce, et diviser l’Amérique espagnole en régences autonomes dirigées par des princes de la famille royale sous l’autorité du roi d’Espagne. Cela aurait été un moyen rationnel de répondre aux attentes locales et de régler les pesanteurs administratives liées aux distances de part et d’autre de l’Atlantique. Jusqu’à la fin des guerres d’indépendance, cette solution a ressurgi à plusieurs reprises, preuve s’il en est, qu’elle était partagée par un certain nombre parmi les élites hispaniques.

L’exemple portugais de 1808 laisse en effet entrevoir ce qu’aurait pu advenir de l’empire espagnol si Charles IV avait écouté son principal ministre et favori Manuel Godoy. Mais il aurait fallu pour cela que ce roi, faible de caractère, réglât plus tôt ses problèmes avec son fils Ferdinand, dont les partisans en avaient fait le champion des anti-Godoy. Au lieu de cela, une révolution de palais força Charles IV à abdiquer et le projet d’exil, vu comme une fuite de Godoy et non comme un moyen de protéger la famille royale d’une capture, fut abandonné. Même en faisant abstraction des problèmes internes à la famille royale, il n’est pas du tout sûr, qu’à long terme, l’empire espagnol aurait pu subsister tel quel. Une nouvelle fois, l’exemple portugais nous a montré qu’une longue absence de l’appareil de l’État de sa métropole, avait fini par distendre les liens entre le Portugal et son empire, conduisant ainsi à l’indépendance du Brésil.

 

Simon Bolivar

Simón Bolívar, portrait. Par Arturo Michelena.

 

Une fois l’indépendance de la, ou plutôt des Amériques espagnoles actée, les particularismes locaux semblent avoir repris leurs droits, et rendu illusoire toute idée d’unité au sein de la nouvelle Amérique hispanophone indépendante. Quelques tentatives, dont celles de  Bolívar, ont échoué, vous racontez très bien tout cela. La constitution de tous ces États indépendants et parfois rivaux les uns des autres a-t-elle été liée davantage à des particularités sociologiques locales, ou bien aux choix politiques des élites ?

un ex empire éclaté

Il faut d’abord avoir à l’esprit l’immensité de l’empire américain de l’Espagne pour comprendre que cet ensemble était difficilement gouvernable d’un seul tenant. C’est pour cela qu’il avait été divisé à l’origine en deux vice-royautés puis quatre au XVIIIe siècle (Nouvelle-Espagne, Pérou, Nouvelle-Grenade, Río de la Plata), en capitaineries générales (Guatemala, Venezuela, Chili, etc.) et en Audiencias, entités juridico-administratives qui faisaient office de provinces. Ce découpage respectait en général la logique des espaces et des peuples. Ces différentes entités n’avaient pas véritablement de liens entre elles en raison des distances, d’un manque de voies de communication (Gabriel García Márquez le montre très bien dans son roman Cent ans de solitude) mais aussi par l’interdiction par l’Espagne d’un commerce intra-américain.

La seule chose qui les réunissait était la personne du roi, incarnant l’union des royaumes composant la monarchie catholique. Celle-ci une fois disparue, il fut difficile de conserver une cohésion, faute d’une autorité de substitution unanimement reconnue. Chaque entité avait ses propres intérêts qui divergeaient de ses voisines, entité souvent incarnée par un homme fort issu des guerres d’indépendance. Certes, il y a bien eu des tentatives pour constituer de grands ensembles  comme la grande Colombie de Bolívar (Panama, Venezuela, Équateur et Colombie actuelle) puis son projet de «  confédération des Andes  »  ; la Fédération centroaméricaine réunissant le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica  ; le désir de Buenos Aires de reconstituer à son profit l’ex-vice-royauté du Río de la Plata (Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie) et même, plus tardivement, l’union (éphémère) du Pérou avec la Bolivie (1836-1839), mais ces structures trop vastes, trop artificielles ou hétérogènes implosent pour laisser place à des structures plus homogènes. Finalement, les frontières actuelles (même si elles ont fluctué jusqu’à nos jours) respectent assez bien celles des anciennes Audiencias.  

 

Existe-t-il aujourd’hui, en-dehors bien évidemment de la langue commune, quelque chose qui, de manière plus ou moins consciente, diffuse, rassemblerait encore les Espagnols et les Sud-Américains hispanophones dans le cadre d’une communauté particulière, de solidarités et peut-être, de destins communs ?

une communauté ?

Les relations entre l’Espagne et l’Amérique latine sont toujours restées contrastées depuis les indépendances. Une partie des élites dirigeantes des nouveaux pays (libéraux) ont voulu rompre avec leur passé hispanique, jugé «  archaïque  », pour entrer dans la modernité incarnée par la Grande-Bretagne et la France au XIXe siècle. Une autre, conservatrice, a, au contraire, voulu perpétuer cet héritage. Le Jour de la Race (ici signifiant le rassemblement de toutes les communautés hispaniques, surtout celles issues de la fusion entre Indiens et Espagnols) illustre bien la persistance de ces liens culturels qui se veulent aussi défensifs face à la puissance étasunienne. Célébré chaque 12 octobre dans toute l’Amérique et en Espagne – jour de la «  découverte  » du Nouveau Monde par Christophe Colomb –, cette journée a pris d’autres noms plus «  consensuels  » à la suite de choix politiques opérés ces vingt dernières années  : «  Jour de l’Hispanité  » (Espagne), «  Jour du respect de la diversité culturelle  » (Argentine), «  Jour de la nation pluriculturelle  » (Mexique), «  Jour de la résistance indigène  » (Venezuela), etc.

Néanmoins, l’Espagne est toujours perçue comme l’ancienne puissance coloniale, au point d’être parfois taxée de «  néo-colonialisme  » ou accusée d’ingérence après avoir beaucoup investi dans les économies sud-américaines à la fin du XXe siècle. Pour autant, chefs d’État sud-américains et de la péninsule Ibérique se réunissent de façon biennale lors de sommets ibéro-américains, réunissant les pays qui partagent les mêmes liens historiques, culturels et économiques, pour traiter de questions centrales.

Dans les faits, ces relations hispano-américaines sont ainsi loin du caractère romantique ou consensuel que nous pouvons parfois imaginer. Elles tendent surtout à rejeter l’Espagne comme figure d’autorité mais non comme un partenaire ou un membre d’une communauté historique partagée, d’où la persistance de riches liens culturels, linguistiques, économiques et politiques entre les populations, rappelant l’interdépendance entre les deux rives de l’Atlantique que les hispanophones appellent symboliquement charco (la flaque) pour en signifier l’étroitesse sur le plan culturel.

 

Vos projets et envies pour la suite ?

Mon prochain projet aura encore pour théâtre l’Amérique du Sud. Ce sera une biographie sur un acteur des indépendances.

 

Gonzague Espinosa-Dassonneville

 

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5 octobre 2022

« The Gracious Queen », par Hélène de Lauzun

La disparition d’Elizabeth II, le 8 septembre, a comme on s’y attendait entraîné une vague d’émotion qui a déferlé bien au-delà du Royaume-Uni et des terres du Commonwealth : elle était, parmi nos contemporains, la femme la plus connue au monde, et une des figures les plus respectées du monde occidental. Elle a, sept décennies durant, assumé sa charge avec rigueur et sens du devoir ; elle fut pour pas mal de jeunes femmes (et pas que !) qui ont grandi et vieilli avec elle, une source d’inspiration. Disons-le, gracious, comme chanté dans le God save the Queen, cet hymne qu’on n’entendra plus pendant longtemps, elle l’était, elle l’était vraiment. C’est d’ailleurs sous cet angle qu’Hélène de Lauzunhistorienne et auteure d’une Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021) chroniquée sur Paroles d’Actu il y a un an, a souhaiter évoquer sur ma proposition, et avec un peu de recul, la souveraine défunte. Je l’en remercie et vous invite également à relire mon interview de mai avec Elizabeth Gouslan. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

The Gracious Queen

« The Gracious Queen »

par Hélène de Lauzun, le 3 octobre 2022

 

Le tourbillon médiatique mondial qui a suivi l’annonce de la mort de la reine Elizabeth II est désormais retombé, et a laissé la place à d’autres soucis et à d’autres ombres. Par ces quelques lignes, alors que la presse s’est déjà emparée du nouveau souverain et de son héritier pour scruter leurs moindres effets et gestes, distribuant bons et mauvais points, nous souhaiterions rendre un ultime hommage à la gracieuse reine.

«  God save our gracious Queen  »  : la formule tirée de l’hymne britannique appartient désormais au passé et pour longtemps, car la succession de la couronne d’Angleterre sera masculine pour quelque temps. Honni soit qui mal y pense  ! Après Charles, viendra William. Après William, George.

Gracious est le terme que l’on retiendra aujourd’hui dans ce billet pour qualifier la reine. Les rétrospectives photographiques n’ont pas manqué pour revenir à travers quelques images sur ce règne si long. Alors que nos contemporains ont en mémoire la vieille dame, gentiment voûtée mais jamais courbée, revêtue de ses tailleurs impeccables et dûment chapeautée, on se prend à rêver devant les images de sa jeunesse, quand elle avait toutes les apparences d’une princesse de conte de fées.

Elizabeth a vingt-cinq ans quand elle monte sur le trône, en 1952, à la mort de son père George VI. Sa jeunesse est alors merveilleusement mise en valeur par la délicieuse mode des années cinquante. La taille fine et les amples jupons tournoient tandis qu’elle valse dans les bras de son prince Philip, ou en compagnie de chefs d’État. À cette époque bénie, l’art de vivre et l’élégance alliés au protocole donnaient à une jolie souveraine la possibilité de faire de la politique en dansant sur un rythme à trois temps, comme lorsqu’elle esquissa, en 1961, quelques pas avec le Ghanéen Krumah, lui ôtant l’envie de quitter le Commonwealth pour céder aux sirènes de Moscou.

Une reine est faite pour attirer les regards. Les années ont passé, et les robes de la reine se sont assagies. Mais elle est restée gracious aux yeux de ses sujets, car la grâce n’est pas qu’une affaire de jeunesse, mais d’état d’esprit, et la beauté trouve toujours refuge dans ce qui a de l’âme. Certains esprits chagrins – bien peu en vérité – se sont offusqués des cérémonies qui ont entouré la dépouille de la reine. Trop d’ors et trop de fastes… Il ne s’agit pourtant pas d’un vain gaspillage. Comme le disaient les anciens Grecs, le beau est l’éclat du bien. L’incarnation du pouvoir dans des formes policées par les siècles apaise, rassure et donne l’espérance. D’autres sont venus, des milliers en cohorte, avant nous. D’autres suivront. Ce n’est pas un hasard si plus de quatre milliards de personnes se sont inclinées devant la gracieuse reine, elle qui pourtant s’est évertuée à incarner jusqu’au bout tout ce que le torrent de boue parfois charrié par la vie contemporaine s’acharne aujourd’hui à vouloir emporter  : le sens du devoir plutôt que la poursuite de la jouissance immédiate, la stabilité et la sérénité plutôt que l’anarchie ou la dictature, l’oubli de soi plutôt que la glorification de l’ego.

Le lecteur français pardonnera-t-il le ton quelque peu nostalgiquement monarchiste de ces lignes  ? Faire de l’histoire donne le pli du passé, ce qui laisse nécessairement quelques traces… Mais le merveilleux de l’actualité, c’est qu’elle ne cesse de renouveler l’histoire. Charles III, en choisissant ce nom comme souverain – il aurait pu en choisir un autre, à l’exemple d’Albert qui, succédant à Edouard VIII, se transforma en George VI – enjambe sans sourciller trois siècles et demi et montre qu’entre Charles II et Elizabeth II, il n’y a finalement qu’un instant, mais un instant d’éternité. En avoir conscience est le meilleur des remèdes contre la pesanteur du temps présent.

 

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun est historienne et auteure

d’une Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021).

 

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4 décembre 2023

« Mon regard sur Kissinger », par Gérard Chaliand

Le 29 novembre 2023 disparaissait, à cent ans et six mois, une des personnalités les plus controversées du dernier tiers du XXème siècle. Henry Kissinger fut conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis auprès des présidents Nixon et Ford (1969-1975), une fonction qu’il cumula même, sous Gerard Ford, avec celle, en pleine lumière, de secrétaire d’État (1973-1977). Conseiller de l’ombre et diplomate en chef. Un théoricien passé à la pratique. Pour certains un authentique criminel de masse, et à cet égard le bilan qu’en feront les historiens ne pourrait que difficilement être tout blanc ; pour d’autres un génie de la géostratégie, un maître de la Realpolitik, terme qu’on croirait inventé pour lui, et dont on rappelle au passage qu’il fut co-lauréat d’un très controversé prix Nobel de la Paix en 1973.

J’ai proposé à Gérard Chaliand, grand spécialiste de la géopolitique et fin connaisseur des guérillas, notamment celle au Vietnam - qui eut beaucoup à voir avec Kissinger -, d’écrire quelque chose à propos du défunt dans un texte libre. Le fruit de son travail m’est parvenu le 1er décembre. Je le remercie d’avoir accepté de se prêter au jeu, un peu plus de dix mois après notre interview qui portait sur son récent Atlas stratégique paru chez Autrement et toujours disponible. Une exclu Paroles d’Actu.

 

H

Henry Kissinger, avec Richard Nixon.

Crédits photo : Air Force Magazine.

 

« Mon regard sur Kissinger »

par Gérard Chaliand, le 1er décembre 2023

Pour situer Kissinger avant de l’encenser ou de le critiquer, il faut rappeler son originalité dans le contexte américain.
 
Longtemps, comme le rappelait Stanley Hoffmann, grâce à une rhétorique moralisatrice issue du protestantisme et d’un projet universaliste, les États-Unis ont connu une "virginité historique constamment renouvelée" (pas de colonies, pas d’États voisins capables de rivaliser avec eux, une démocratie à forte mobilité sociale - pour les Blancs) qui les a encouragés à ne pas participer aux querelles européennes pour se consacrer au commerce et à l’édification de leur espace.
 
Lorsqu’ils se retrouvent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en charge des relations internationales, leur provincialisme leur fait considérer la paix comme l’état normal des relations internationales, d’autant plus que l’expérience du désastre leur est étrangère.
 
Kissinger note dans son livre Nuclear Weapons and Foreign Policy (1957) que les personnalités qui occupent des fonctions politiques aux États-Unis sont issues des milieux d’affaires ou du droit, et que d’une façon générale elles manquent de cadres conceptuels, de vision d’ensemble, habituées qu’elles sont à traiter de cas souvent individuels.
 
Le biographe d’Henry Kissinger, Walter Isaacson, écrit à propos de ce dernier : "He had a worldview that a born American could not have" ("Il avait une vision du monde qu’un natif américain ne pouvait avoir"). En effet, né en Allemagne en 1923, juif de surcroît, et ayant dû quitter son pays natal à 15 ans, le jeune Kissinger devenu citoyen américain était, culturellement dedans-dehors, comme un certain nombre de minoritaires, marqué par une culture européenne qui lui sera fort utile à Harvard...
 
C’est en 1969 (il a 46 ans) qu’il devient, sous la présidence de Richard Nixon, responsable de la National Security Affairs (conseiller à la Sécurité nationale, ndlr). On le dit réaliste, stratège et tacticien, plutôt pessimiste sur la nature humaine et partisan du contact direct. Mais c’est deux années plus tard, en 1971, en pleine querelle sino-soviétique, qu’il devient célèbre en prenant contact, à Pékin avec Chou En-lai (le Premier ministre de Mao à l’époque, ndlr).
 
Son récent décès a été l’occasion, bien sûr, d’une foule d’articles établissant des bilans fort contrastés : d’une part son rôle éminent, tout au long du dernier demi-siècle, de façon directe ou indirecte ; d’autre part des critiques sévères de son action au Cambodge, au Pakistan... Tony Greco écrit par exemple : "Dans un monde juste, Henry Kissinger serait mort en prison (ou il aurait été exécuté)".
 
Où est ce monde juste en politique ? Il ajoute : "On ne peut espérer d’une nation qui célèbre Kissinger qu’elle mène une politique étrangère décente". On croit rêver : il y a aux États-Unis, et aux États-Unis seulement, ce mythe de la nation décente et moralement rigoureuse face en général à des adversaires présentés comme indécents ou criminels. Or, il faut rappeler que la politique menée chez soi, en général démocratique, n’a que peu de choses à voir avec ce qui si souvent est pratiqué ailleurs, chez l’adversaire.
 
Oui, Kissinger a beaucoup contribué à envenimer des conflits, à cet égard l’exemple du Cambodge est particulièrement tragique. Il est indirectement responsable de la montée au pouvoir des Khmers rouges...
 
Sans doute faudra-il attendre que s’éteignent les passions pour une appréhension plus réaliste, et moins indignée, du bilan forcement sanglant de qui s’occupe de relations internationales de façon concrète, c’est-à-dire cruelle, comme ce fut le cas au Pakistan, au Chili, au Timor est, etc...
 
 
La question en +
 
Auriez-vous aimé rencontrer Henry Kissinger ? Si vous aviez pu, les yeux dans les yeux, lui poser dans les dernières années de sa vie une question, une seule, quelle aurait-elle été ?
 
Il y a cette question : "Que regrettez-vous ?" Et en même temps je ne me vois pas la poser à Kissinger. Il répondrait encore par une pirouette...

 

G

 

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28 août 2018

Alain Pigeard : « La Confédération du Rhin n'a jamais eu d'autre vocation que de servir les plans de Napoléon »

J’ai eu la joie de pouvoir lire, récemment, L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), un ouvrage d’une grande richesse autour d’un chapitre de l’histoire napoléonienne qui, bien que d’importance majeure, a été relativement peu étudié par les spécialistes, et demeure largement obscur pour le grand public. M. Alain Pigeard, historien spécialiste du Consulat et du Premier Empire, a dédié à cette construction française - à la fois par l’intimidation et par la persuasion - d’une tierce Allemagne (entendre : ni autrichienne ni prussienne) une étude très fouillée (Éditions de la Bisquine, 2013), nous présentant par moult détails chacun des États composant cette Confédération du Rhin. Je le remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions et vous engage, chers lecteurs, à vous intéresser à ce livre et aux travaux, passés et à venir de cet historien qui est aussi un authentique passionné. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 13/08/18 ; R. : 20/08/18.

Alain Pigeard: « La Confédération du Rhin n’a jamais eu

d’autre vocation que de servir les plans de Napoléon. »

L'Allemagne de Napoléon

L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), Éd. de la Bisquine, 2013.

 

Alain Pigeard bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, autour de votre ouvrage L’Allemagne de Napoléon : La Confédération du Rhin (1806-1813), publié aux Éditions de La Bisquine en 2013. Voulez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ? D’où vous vient ce goût prononcé pour l’Histoire en général, et pour l’épopée bonaparto-napoléonienne en particulier ?

Difficile de parler de soi. Je suis passionné d’histoire depuis ma petite enfance. J’ai découvert Napoléon chez des amis de mes parents dans le Jura (j’avais deux ans) en regardant une très grande statue de Napoléon. Depuis cet homme ne m’a plus jamais quitté !

 

Le livre qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une présentation riche de l’architecture d’ensemble, et surtout de chacun des États constituant la Confédération du Rhin. Pourquoi avoir voulu consacrer une étude à ce sujet précis ? Diriez-vous qu’il a été, jusqu’à présent, sous-étudié ? Et comment avez-vous convaincu M. Jean Tulard, un des plus éminents spécialistes de cette époque, de vous préfacer cet ouvrage ?

J’ai beaucoup voyagé en Allemagne (y compris pour mon service militaire), et je me suis rendu compte qu’il n’existait rien en langue française sur le sujet ! J’ai donc décidé d’écrire ce livre pour combler cette lacune. Jean Tulard était heureux de le préfacer car il savait qu’il n’y avait rien sur ce sujet et pour lui c’est le meilleur de mes livres...

 

Où sont les sentiments francophiles dans l’espace de la future Confédération du Rhin avant et au moment de la Révolution ? Où est-on progressiste, et où est-on conservateur en ces temps troublés ?

Certaines régions allemandes seront favorables à la Révolution, notamment celles qui sont proches de la France. D’autres, hostiles (le Mecklembourg notamment). La Prusse restant à part.

 

Trouve-t-on dans cet espace des zones clairement définies comme étant d’influence autrichienne ? prussienne ? voire, française ? britannique ? russe ?

La zone d’influence autrichienne est surtout la Bavière, qui a été en partie annexée à l’Autriche à la fin de l’Empire. Le Hanovre a toujours été proche de l’Angleterre. Le Mecklembourg était proche de la Russie pour des questions dynastiques et de mariage. Les États rhénans seront plus proches de la France. La Prusse va quant à elle étendre son influence sur l’Allemagne du nord puis, après 1870, sur toute l’Allemagne.

 

La Confédération du Rhin en tant qu’organisation a-t-elle été généralement imposée par les Français, ou bien a-t-elle été véritablement consentie par certains princes allemands ? Quid des populations : des fractures nettes quant aux sentiments des opinions, ici ou là, sont-elles perceptibles ?

Jusqu’en 1806 (décret de création), les souverains sont libres d’adhérer. Après cette date, ils entreront en partie par obligation dans la Confédération, mais ils la quitteront tous à la fin de 1813, surtout après Leipzig. Pour les populations, le sentiment d’appartenance à une entité linguistique a été un facteur d’union et d’appartenance. Mais on percevait bien que les intérêts de la France n’étaient pas les mêmes que ceux des populations germaniques.

 

Le Royaume de Westphalie, construction nouvelle née d’une recomposition d’espaces allemands, a été conçu par Napoléon comme un îlot progressiste devant projeter, auprès des populations et gouvernants allemands, un modèle de gouvernement libéral. Son frère Jérôme fut placé à la tête de cet État. Comment regarde-t-on, au-dedans comme au-dehors, cette entité nouvelle, et le fait d’avoir placé un Bonaparte à sa direction ? Le Royaume de Westphalie, ça aurait pu fonctionner dans la durée ?

La Westphalie n’a pas de frontières naturelles et il n’y a pas un sentiment d’appartenance comme en Bavière, en Saxe, au Wurtemberg. De plus, Jérôme n’avait pas les qualités pour gouverner... Il était plus porté sur le faste et les femmes.

 

Vous le montrez très bien dans votre ouvrage : beaucoup, beaucoup de personnages sont acteurs de cette histoire de la Confédération du Rhin. Quelques figures à retenir particulièrement ?

Parmi les plus importants, Dalberg, prince primat de la Confédération du Rhin, et le souverain hessois, très attachés à la France. Pour l’anecdote, les princes de Salm refuseront de servir contre la France en 1914 et se battront contre les Russes. Ils savaient ce qu’ils devaient à Napoléon et à la France.

 

Les revers militaires de la Grande Armée, en Russie et ailleurs, et le reflux général français, ont-ils rendu inéluctables la dislocation de la Confédération du Rhin, et le "retournement" de bon nombres d’Allemands ? Ou bien, cette histoire-là a-t-elle, elle aussi, été plus nuancée ?

La campagne de Russie est un des facteurs majeurs d’abandon des Allemands vis-à-vis de Napoléon. À partir de 1813, les alliances se brisent et les abandons à la Confédération se multiplient.

 

Lors d’une interview qu’il m’avait accordée en 2013, Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon, avait défendu cette idée à laquelle il avait beaucoup réfléchi : Napoléon n’a jamais conçu sérieusement la Confédération du Rhin autrement que comme une entité vassale, un pourvoyeur de troupes sans s’en soucier véritablement comme partenaire (sur ses préoccupations commerciales notamment). Êtes-vous d’accord avec cela ? Napoléon a-t-il, par manque de vision politique, ou peut-être parce qu’il n’a pas eu le temps de penser une organisation de temps de paix, raté une occasion de construire, en la parrainant, une tierce Allemagne qui ne soit ni autrichienne ni prussienne, ce qui eût pu annuler pour longtemps les dangers venus d’outre-Rhin ?

Il est évident que la Confédération du Rhin était pour Napoléon une sorte de "glacis protecteur " (idem pour la Pologne). Des pays alliés qui fournissaient des troupes aux armées de Napoléon. Les souverains allemands n’étant en place que pour exécuter les ordres de l’Empereur. L’histoire va se répéter. Ce sera d’ailleurs la même chose après 1870, où toute l’Allemagne sera sous le joug prussien !

 

///

ARCHIVE: Thierry Lentz sur la Confédération du Rhin, in Paroles d’Actu, 28 décembre 2013...

Napoléon manqua avec les États allemands une alliance stratégique, en raison d’une sorte de préjugé qui voulait que la France soit plus forte contre l’Autriche ou la Prusse si l’Allemagne restait divisée. Mais ce qui était vrai en un temps où aucune force n’était en mesure de fédérer la « tierce Allemagne », l’était moins lorsque la France dominait à ce point l’Europe. Napoléon aurait pu créer puis soutenir une entité politique solide dans la partie sud de l’espace germanique, avec les États les plus ouverts à l’influence française : Bavière, Bade, Wurtemberg, les deux Hesse, voire la Saxe. Il eût fallu pour cela assigner des buts finis au système napoléonien et avoir une vision de l’Europe future. Napoléon n’avait pas clairement cette vision et c’est pourquoi il ne s’éloigna pas des traditions diplomatiques, alors même que les États qui auraient pu constituer le socle d’un accord de grande ampleur ne demandaient qu’à se rapprocher de lui.

Leur premier objectif était de se débarrasser du Saint-Empire, ressenti comme un obstacle à leur indépendance. Mais l’empereur ne sut pas approfondir les rapprochements franco-allemands. Il voulut seulement les mettre au service de ses propres desseins. Le renoncement à la couronne impériale par François d’Autriche (1806) permit pourtant une redistribution des cartes : Vienne était exclue de l’Allemagne, avec la complicité des États moyens. C’est alors que Napoléon tenta d’organiser la coopération au sein de la Confédération du Rhin créée par le traité du 12 juillet 1806. Elle compta une quarantaine d’adhérents autour de la France. L’empereur en était le « protecteur ». Les premiers fruits de l’accord furent récoltés sur le terrain de la guerre franco-prussienne (1806) et de la paix de Tilsit (1807) : après avoir confiné l’Autriche au sud, l’empereur des Français rejeta la Prusse vers le nord.

Un espace politique et géographique s’ouvrait. Il aurait fallu l’occuper et en renforcer les composantes. On put le croire avec cette Confédération, dont le texte fondateur prévoyait des institutions politiques communes : l’archevêque de Mayence, Dalberg, fut désigné prince-primat et président d’un « collège des rois », d’une diète confédérale qui aurait dû s’assembler à Mayence… mais ne fut jamais réunie. La Confédération du Rhin ne fut qu’un outil militaire, permettant certes aux alliés de se protéger les uns les autres mais servant surtout à appuyer les projets napoléoniens : il y eut environ 125 000 Allemands dans la Grande Armée de 1812. L’historien Michel Kerautret a pertinemment comparé ce montage à l’Otan. Les autres domaines de coopération restèrent du ressort des relations bilatérales, ce qui avec l’empereur des Français était synonyme de dialogue entre fort et faible.

Finalement, Napoléon se servit surtout de la Confédération du Rhin pour maintenir la division de l’Allemagne, désormais sous autorité française, et non tenter une « union » politique autour de la France. La dureté des règles du Blocus continental, le favoritisme commercial, les tentatives d’imposer des solutions juridiques et administratives auxquelles toutes les élites allemandes n’étaient pas favorables, le mépris manifesté aux princes confédérés n’étaient sans doute pas de bonne politique pour souder la tierce Allemagne à la France. L’effondrement de l’Allemagne « napoléonienne » en 1813, le retour à l’incertaine bascule entre l’Autriche et la Prusse allaient s’avérer à long terme une calamité pour le continent. En ayant sanctionné aussi durement la Prusse après 1806 et en ayant manqué l’Allemagne, Napoléon en porte une part de responsabilité.

///

 

Quelle postérité pour la Confédération du Rhin ? Pour le Royaume de Westphalie et les principes qu’il était censé porter ? Qu’a-t-on retenu et gardé de Napoléon dans cette Allemagne-là ?

De nombreux États se sont inspirés des réformes napoléoniennes (Westpahlie, Anhalt, Bavière, Bade, Hesse), comme par exemple le Code civil, l’organisation administrative, les Universités, etc.

 

Napoléon au faîte de sa gloire a mis à mort l’antique Saint-Empire romain germanique, que dominait l’Autriche, mais qui était tout de même bâti de manière à assurer certains équilibres en Allemagne. Est-ce que son bilan en Allemagne, ce n’est pas, finalement, une destruction de ces équilibres, au profit de l’Autriche mais surtout d’une Prusse avide de grandir et autrement plus aventureuse que son voisin du sud ? L’Allemagne n’est-elle pas plus dangereuse après Napoléon ?

Le Saint-Empire était une institution totalement sclérosée en 1806 et qui avait près de 1000 ans d’âge ! Son système électoral était devenu obsolète et la bataille d’Austerlitz va le renverser. Napoléon a sous-estimé la Prusse après sa déroute de 1806-1807. Elle va se mobiliser et présenter une armée plus moderne en 1813.

 

Quelles sont à votre sens les pistes de travail qui mériteraient d’être explorées pour mieux comprendre encore l’époque napoléonienne ?

Elles sont très nombreuses : il n’a a pas grand chose sur Haïti, sur certains personnes (on peut penser à une biographie de Brune, de Mortier...), et de nombreux civils. La période est si importante que beaucoup de choses seraient à publier.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

J’ai une seconde édition du Dictionnaire de la Grande Armée à paraître en 2019. La première édition date de 2002 et depuis, les bicentenaires ont apporté un lot de publications important. À paraître également à la même période, une biographie de Pauline Bonaparte. N’oublions pas également la quatrième édition du Guide touristique napoléonien... La "Bible" pour voyager quand on s’intéresse à cette époque.

 

Un dernier mot ?

Ce livre sur l’Allemagne a été présenté dans la presse d’une manière généreuse. C’est actuellement le seul ouvrage sur ce sujet publié en langue française et citant les trente-neuf États qui formèrent la Confédération du Rhin.

Au sujet de l’Allemagne, il est intéressant de noter que dans la Rhénanie, après l’Empire, se créèrent de nombreuses sociétés d’anciens soldats de Napoléon dont les monuments existent encore de nos jours. La notoriété de Napoléon est également très grande dans le monde de la reconstitution, et nombreux sont les Allemands qui enfilent avec fierté l’uniforme (souvent français) de l’époque napoléonienne ! En 2006, il y eut des milliers de personnes acclamant Napoléon à cheval suivi de son état-major (l’Américain Mark Schneider jouait le rôle de l’Empereur). Le cortège passant sous la porte de Brandenbourg, comme en 1806... Étonnant.

 

Alain Pigeard

 

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7 octobre 2023

Clément Camar-Mercier : « L'écriture est en moi depuis que j'ai des souvenirs »

Le Roman de Jeanne et Nathan (Actes Sud) compte parmi les ouvrages de fiction qui ont fait parler en cette rentrée littéraire. C’est un premier roman, écrit par quelqu’un qui, d’ordinaire, écrit plutôt des pièces de théâtre, quand il n’est pas occupé à traduire Shakespeare. Pour un coup d’essai, Clément Camar-Mercier a frappé fort : fort pour les qualités littéraires et narratives de ce livre (ne me croyez pas sur parole, je ne suis pas critique littéraire, allez y jeter un oeil) ; fort surtout parce qu’il aborde cash des thèmes qui dérangent, la drogue, la pornographie, deux cache-sexe pour nous parler en fait de nos addictions, donc de nous dans ce qu’on peut avoir de très intime. Dérangeant donc. Parfois très cru. Tendre aussi. Et de temps à autre, de vrais chocs qui vont faire ressentir au lecteur un attachement véritable envers les personnages (allez jusqu’à la fin, vous me comprendrez).

Comme chez Shakespeare, auquel Clément Camar-Mercier n’entend pas se comparer, mais dont il revendique qu’il l’a inspiré, on passe assez vite du tragique au comique, sans oublier de retourner au tragique. À la fin de notre entretien téléphonique, que j’ai pris le parti de retranscrire tel qu’il fut, vivant et détendu, je lui ai demandé si le livre se vendait bien, aidé par les très bonnes critiques qu’il a reçues ; il m’a répondu avoir compris une chose, un mois après la rentrée littéraire : la critique ne fait pas vendre. Sujets touchy, on y revient. Mais il faut gratter, voir ce que cachent ces thèmes qui grattent : la drogue, le porno, presque des prétextes. Encore une fois je ne suis pas critique, je ne lis pas tant de romans que ça, mais je crois que celui-ci mérite d’être lu, a fortiori parce que c’est un premier roman. Surtout parce qu’il est chouettement bien écrit et parce qu’après l’avoir reposé, on réfléchit. Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Clément Camar-Mercier : « L’écriture

est en moi depuis que jai des souvenirs »

Le Roman de Jeanne et Nathan

Le Roman de Jeanne et Nathan (Actes Sud, août 2023).

 

Clément Camar-Mercier bonjour. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce premier roman, et en quoi l’activité du romancier diffère-t-elle de celle du dramaturge ? Quelles difficultés, contraintes, libertés nouvelles avez-vous rencontrées ?

L’idée du roman, je l’ai depuis très longtemps. J’ai su depuis petit que j’écrirais un jour un roman, ou qu’en tout cas j’essaierais d’en écrire un. Je ne peux pas dire que l’exercice diffère réellement de la manière dont j’exerce la dramaturgie : le travail est un peu le même, je suis dans un bureau, avec un crayon, un ordinateur. Le moment clé, ça a été ce jour, je ne sais plus exactement quand, où j’ai imaginé ces deux personnages, sans savoir au départ si ce serait pour une pièce de théâtre ou autre. Ces personnages sont nés avant toute chose, et je me suis dit assez vite qu’ils feraient de bons personnages de roman. Je me suis lancé, j’ai pris une année sabbatique pour essayer d’écrire leur histoire, finalement pas sous la forme d’une pièce de théâtre mais d’un roman.

La grande différence avec mon travail de dramaturge, c’est que, comme il s’agissait d’un premier roman, je n’avais pas d’éditeur du tout. Quand j’écris pour le théâtre, je sais que la plupart du temps quelqu’un m’attend, j’écris donc en pensant à cette personne, à une mise en scène... Là j’étais vraiment seul, j’ai écrit pour moi, sans contrainte. Écrire sans se soucier de ce que ça allait donner.

 

Au niveau d’une mise en scène, etc...

Oui, vraiment, personne ne m’attendait. J’ai écrit ce roman comme je le voulais. Écrire pour le théâtre suppose de vraies contraintes...

 

Le Roman de Jeanne et Nathan (Actes Sud) nous fait rencontrer les deux personnages-titres, deux êtres toxicomanes et surtout malheureux dans leur vie, avant qu’eux-mêmes ne se rencontrent et forment un couple : Jeanne, une actrice porno réputée dans son milieu et qui, cela n’est pas incompatible, est aussi d’une grande culture ; Nathan, qui enseigne le cinéma à l’université. Ça a été quoi, la genèse de cette histoire ?

Je savais ce que je voulais raconter à la base : une histoire d’amour entre deux personnes qui ne se croient plus capables d’aimer. Et qui, donc, vont à un moment retrouver cette possibilité d’aimer. Une fois que j’ai eu ça en tête, j’ai essayé d’imaginer le pourquoi de leur blocage. Assez vite est venu un autre thème, celui des addictions. Alors, pour eux en particulier, il s’agit de la drogue, mais d’autres addictions sont évoquées dans le livre. Je ne voulais pas tant faire un livre sur la drogue que sur l’addiction en général. En montrant ce que fait la drogue dans le corps, dans la psyché des personnages, j’ai voulu que tout le monde puisse se reconnaître dans ces comportements addictifs, même si le lecteur ne prend pas telle ou telle substance que le gouvernement a décidé d’appeler "drogue". Il y a aussi cette idée que la manière d’être addict aujourd’hui nous empêche d’avoir un contact à l’autre et donc à l’amour. J’en ai donc fait des drogués.

Il a ensuite fallu leur trouver un métier. J’ai trouvé l’idée de la pornographie intéressante par rapport à cette histoire d’addiction : le rapport à la sexualité, à la pornographie aujourd’hui coupe souvent de la possibilité d’un amour. Dans cette consommation sexuelle, il y a l’idée d’un contact à l’autre, une idée de l’amour qui se perdent. J’ai donc pensé qu’il serait bien que Jeanne soit actrice pornographique. C’est d’ailleurs un métier dramaturgiquement intéressant pour le roman. Et j’ai souhaité aussi que le cinéma soit présent dans le livre. J’ai fait des études de cinéma, et j’ai voulu que Nathan travaille dans ce domaine, sans forcément être un artiste. Il y a chez Nathan quelque chose de manqué, un échec : il n’a pas réussi à faire des films, et se retrouve donc à faire une thèse en cinéma, à enseigner.

Tout cela, leurs métiers, leur addiction, pose le décor, j’ai trouvé intéressant de raconter sur cette base leur vie d’avant, leur rencontre, et tout ce que vous savez...

 

Effectivement on comprend bien, à la lecture de votre roman, que le sujet n’est pas tant celui de la drogue, drogue telle qu’on l’entend au sens premier du terme en tout cas, que celui de l’addiction, de la dépendance à quelque chose qui sert de béquille pour qui a du mal à affronter la vie. Tous dépendants à quelque chose ? Vous aussi ?

Oh oui. Je ne m’exclus absolument pas sur ce point du reste de la société. Après, est-ce qu’on est tous dépendants à quelque chose ? L’idée d’être dépendant n’est pas en soi forcément quelque chose de grave, on va tous l’être, ça peut être une passion, un emploi du temps, on a tous nos petites névroses... Le problème c’est l’addiction, stade qui vient après la dépendance me semble-t-il. Finalement, affronter la vie c’est accepter qu’il y ait un manque. Il y a des questions auxquelles on ne peut pas répondre, un trou, un gouffre. Ces moments d’ennui, et un manque ne pouvant être comblé : il peut être spirituel, philosophique, transcendantal, appelez-le comme vous voulez. La toxicomanie, l’addiction, ça vient à partir du moment où on ne supporte plus le manque. On est toxicomane dès lors que ce manque doit être rempli. Ce n’est plus l’effet qui est recherché, mais la prise est censée combler ce manque. À partir du moment où on refuse qu’il y ait un manque ontologique dans la vie, où on n’en supporte pas l’idée, alors fatalement on devient tous addict à quelque chose.

 

Des paradis artificiels...

Oui mais pas que. Songez aux téléphones portables dans le métro, dans la queue à la boulangerie... Aujourd’hui, l’ennui, s’ennuyer est devenu péjoratif. On ne supporte plus le vide. La peur du vide, c’est la condition humaine, il faut l’accepter. À partir du moment où vous acceptez qu’il y ait ce vide, je crois que vous pouvez être dépendant de manière tout à fait légitime, parce que la vie tout de même nous amène à des dépendances, ne serait-ce qu’affectives, avec l’amour, c’est là une autre question du livre. Mais vous ne tombez pas dans une addiction perpétuelle à une consommation pure.

 

Une question d’équilibre à conserver.

C’est cela, un équilibre qui est rompu, encore une fois parce qu’on refuse cette idée que dans la vie il y a un trou mais qu’il ne faut pas le remplir. Si on le remplit on devient addict.

 

Cette question est un peu personnelle, mais l’interview suppose aussi de permettre à celui qui est interrogé, s’il le souhaite, de se dévoiler un peu. Est-il possible de décrire aussi bien que vous le faites les affres de la drogue sans en avoir jamais senti les effets dans son corps et dans son esprit ?

Ça c’est la grande question de la littérature. Je répondrai de manière un peu plus générale évidemment, en me dévoilant un peu, mais pas trop non plus. Pour une raison simple, qui est inscrite dans le titre du roman, et je tiens à ce titre : c’est un roman. Il y a une fiction. Je pense que la fiction doit être au-dessus de la réalité de celui qui l’écrit. Quand vous écrivez un livre, vous êtes Tolkien, Lovecraft, etc... vous n’avez pas besoin de vous renseigner, vous créez un monde avec ses propres lois physiques, donc il n’y a pas de problème. Dans un autre cas, qui est le mien, le plus courant, surtout que j’écris sur la période actuelle, avec des événements liés à l’actualité, il s’agit de rendre crédible, d’une certaine manière, l’histoire. Même si elle n’est pas vraie, elle doit s’inscrire dans une forme de réalité. Dans ce cas, deux possibilités : soit vous avez vécu certaines choses, vous les avez vécues intimement, vous pouvez alors les retranscrire en les transformant dans la perspective de la fiction ; soit vous vous renseignez très profondément, en rencontrant des gens qui ont vécu des choses, vous lisez, vous observez...

Dans ce livre il y a un grand mélange : tout est moi, rien n’est moi. Tout est renseigné, ce qui ne l’est pas est vécu. Tout ce qui n’est pas vécu est renseigné.

 

Parce que c’est vrai qu’on peut se poser la question par rapport à cette connaissance qui semble être la vôtre quant à nombre de sujets, à chacun de ces mondes un peu impitoyables que vous décrivez : la drogue donc, le porno, le monde de l’université, de la mode aussi, celui de l’agriculture...

Voilà. Je vous réponds sans vous dire lesquels de ces domaines sont renseignés, lesquels sont vécus. Parfois on a de grandes surprises : des gens qui ont vécu des choses écrivent des livres qui ne sonnent pas forcément justes, et d’autres qui inventent tout sont très crédibles, prenons l’exemple de Shakespeare que je connais très bien, il n’a jamais mis les pieds en Italie et pourtant, nombre de ses pièces sont imprégnées de cette culture italienne. Et parfois la connaissance intime peut aussi nous éloigner de notre sujet.

Si je vous répondais : oui, j’ai été acteur porno / oui, j’ai été drogué, etc... il y aurait une forme de déception, puisqu’on se dirait que je n’ai rien inventé. Et si je disais que je me suis simplement renseigné sans avoir rien vécu de tout cela, il y aurait aussi une forme de déception. Voilà pourquoi je crois qu’il ne faut pas répondre à cette question, pour ne rien enlever à l’imagination du lecteur. La mode est aujourd’hui à l’autofiction, c’est quelque chose que je respecte, mais j’ai eu envie de me démarquer. Dès le titre : c’est une histoire fausse, les personnages eux-mêmes ont conscience d’être dans un roman, mais ça n’est pas parce que c’est faux que ça ne nous émeut pas. Je crois à la fiction avant toute chose, que ce soit dans le cinéma, dans le théâtre, dans le roman, dans la musique d’une certaine manière. Ma foi la plus complète est dans la fiction, et j’ai fait une fiction !

 

Chacun se fait sa propre idée, peut fantasmer à sa guise.

Voilà, ce qui est beau, c’est aussi de ne pas savoir : a-t-il vécu ça ou non ? Moi, quand je lis des livres, j’aime ne pas savoir, ça fait partie de la littérature.

 

Je vous rejoins sur ce point. Une de vos phrases prises dans le livre m’a fait réfléchir, disant en substance, je n’ai pas noté la page, qu’on appréciait la musique autrement sous coke. La créativité, le génie créatif tiens, s’expriment-ils plus facilement quand on est chargé ?

Absolument pas. Je pense que ça peut peut-être désinhiber, débloquer des moments-clés de l’existence, en somme aider, un peu comme tous ces médicaments qui, disons-le, sont au fond des drogues. Un anxiolytique bien dosé et raisonnablement pris peut, à un moment de votre vie, vous aider, c’est une aide, il n’y a pas de honte à utiliser de petites béquilles comme ça. Encore une fois, il faut faire attention au mot "drogue". Quatre millions de Français sous antidépresseurs, ça fait partie des toxicomanes... Ceci dit, ce n’est pas du tout un livre à charge, contre la drogue, n’importe laquelle, contre les antidépresseurs... On en revient à ce qu’on se disait tout à l’heure sur la dépendance, l’addiction, et le pourquoi de ces prises.

Pour répondre précisément à votre question, sur l’histoire du génie, à supposer qu’on puisse le définir : parfois la drogue, les médicaments, l’alcool, qui est une vraie drogue dure, peuvent nous faire croire qu’après prise on est plus intelligent, mais en réalité on n’est jamais autant productif, éclairé, intelligent que sobre, bien alimenté, à une température idéale. On retrouve tout cela très bien chez Nietzsche, qui racontait exactement les bonnes conditions d’écriture et de philosophie. Il disait ce qu’il fallait manger, boire, à quelle température, etc... Ça j’y crois ! Il n’y a pas de problème à s’aider parfois pour surmonter les problèmes de la vie en utilisant des substances, licites ou illicites, qui sont du domaine des transformateurs de la perception, mais au niveau du travail créatif, on ne fera jamais mieux que sobre, complètement face à soi-même.

 

Une réponse qui a quelque chose de rassurant, peut-être... Sans trop dévoiler l’intrigue, j’indiquerai simplement que dans votre récit, l’amour va permettre à Jeanne et Nathan de trouver une forme d’apaisement, de se désintoxiquer. La solitude est-elle souvent à votre avis une des causes principales des engrenages d’addiction ?

Il faut voir ce qu’on appelle solitude. Quand on songe à l’amour que vont trouver Jeanne et Nathan, disons qu’il y a aussi une manière d’être seuls à deux. Il y a deux solitudes. Et en même temps, je ne pense pas du tout qu’être seul est un problème en soi. On peut être extrêmement seul dans le métro bondé, entouré d’amis avec qui on ne parle plus, dans une famille dans laquelle ça se passe mal... Être accompagné physiquement ne va pas forcément permettre de vaincre une certaine solitude de l’esprit. Et on peut passer de beaux moments amoureux en ne se disant rien, simplement en étant côte à côte, dans une forme de solitude. Il ne s’agit pas dans de la solitude au sens où "je suis seul", mais plutôt dans ces cas où le rapport à l’autre est complètement bouché. Il y a des gens, mais malgré cela, il n’y a personne. C’est cette solitude-là qui est un problème, quand on ne regarde plus le visage de l’autre.

Aimer quelqu’un c’est forcément prendre en considération l’autre. À partir du moment où vous êtes centré uniquement sur vos désirs, là c’est une solitude. Si vous prenez en considération quelqu’un d’autre, l’amoureux, l’amoureuse, ou n’importe qui, un animal, un voisin, quelqu’un de la famille... dès lors que vous vous occupez de quelqu’un, de savoir ce qu’il désire, la solitude se perd. La question n’est donc pas d’être seul ou en nombre, mais de savoir ce que l’on fait de l’autre. La toxicomanie des personnages leur enlève toute possibilité de penser à l’autre, puisqu’ils sont centrés sur eux-mêmes.

 

Souvent on retrouve cette volonté, chez l’une et chez l’autre, d’emmerder ouvertement la bourgeoisie, le conformisme, la bien-pensance ambiante. S’agissant de la politique et du monde, Nathan semble assez désabusé, Jeanne paraît plus volontariste, moins cynique. Duquel êtes-vous plus proche sur ce point ? De manière générale, qu’est-ce qu’il y a de vous en Nathan, en Jeanne ?

Ça dépend des jours. Je suis proche des deux, comme deux facettes de ma personnalité. Quand je suis de bonne humeur je suis plutôt comme Jeanne, quand je suis de mauvaise humeur plutôt comme Nathan. Je voulais effectivement qu’à cet égard les deux personnages ne se ressemblent pas : Jeanne a encore beaucoup d’espoir, elle veut sauver l’humanité, et d’ailleurs dans la dernière partie du livre c’est ce qu’elle tente de faire. Nathan lui est beaucoup plus résigné. Il pense que s’il arrive à être heureux, et peut-être elle avec lui ça devrait suffire. Mais ça ne lui suffit pas, à elle. On est toujours partagé : est-ce que mon bonheur doit me suffire, ou bien pour être heureux faut-il que je donne de mon énergie pour les autres aussi ? Un peu comme les deux faces d’une même médaille...

 

Vous avez mis pas mal de vous dans Nathan non ? Vous avez fait des études de cinéma vous aussi, c’est une clé ?

Effectivement, il a fait des études de cinéma, moi aussi. Mais il y a de moi dans tous les personnages, les principaux et les secondaires, forcément, c’est moi qui ai écrit le livre. Je vous dirais que la personnalité de Nathan à proprement parler n’est pas du tout la mienne, je peux clairement le dire, même s’il a des traits de caractère que j’ai. Je pense même être un peu plus proche de Jeanne à cet égard. J’ai parfois forcé le trait sur certains traits de caractère justement, chez Nathan notamment ; moi pour ce qui me concerne je ne suis pas quelqu’un de très extrême, il y a de moi chez lui mais chez lui les traits sont beaucoup plus exacerbés...

 

Effectivement, ne pas chercher des clés partout...

Oui, mais quelque part aussi, tout ce que mes personnages pensent, je l’ai pensé aussi puisque je l’ai écrit. Ou en tout cas je me suis questionné dessus. Pour moi il n’y a pas de message dans le livre, c’est au lecteur de se faire son propre message. Les personnages que j’ai créés nous permettent de décentrer notre regard sur la réalité pour mieux s’interroger sur notre propre vie.

 

Vous parliez tout à l’heure de la dernière partie du roman, dans laquelle effectivement Jeanne va chercher un peu plus à aider l’humanité. La fin du roman est choquante, sur le fond et dans la forme aussi. Comme un malaise quand on lit ça. Vous saviez dès le début où vous vouliez arriver ? Avez-vous eu la main hésitante parfois avant de valider certains éléments d’intrigues, certaines descriptions ?

Oui, je savais que je voulais arriver à ça. Pour deux raisons.

Je crois profondément à la catharsis grecque : pour qu’on apprenne des choses sur la vie, il faut forcément que les personnages aillent dans des tréfonds, que ça se termine finalement mal pour eux pour que nous dans notre vie on puisse avoir l’espoir que finalement ça aille bien. J’ai une distance avec cette époque où les gens se disent : "Je vais mal, j’ai envie de lire un roman où tout va bien". Moi quand je vais mal, j’ai besoin de lire des choses où ça va mal pour pouvoir aller mieux. C’est là un trait de ma personnalité qui influe cette volonté d’une troisième partie plutôt sombre, c’est un euphémisme. Pour aller mieux j’ai besoin d’aller au fond du mal.

Deuxièmement, toute la pensée de la première partie sur la pornographie ne pouvait déboucher que sur cette fin : ce moment de confusion entre les pratiques pornographiques et la réalité nous amène à une violence extrême. Je pense que celle-ci est partout dans la société, et pas simplement à cause de la pornographie, contre laquelle je n’ai rien personnellement. Mais à force de mettre autant de violence dans les images quelles qu’elles soient, la violence de ces images va forcément se répercuter dans la réalité. Et c’était important pour moi de le signifier.

 

Comme pour dire qu’il n’y a pas d’espoir, ou qu’en tout cas les choses se paient forcément à un moment ou à un autre ?

Ma première intention n’était pas là. Peut-être dans la fiction... Effectivement, pour eux, ça va se payer. Pour qu’on s’en sorte, il faut qu’eux ne s’en sortent pas. Au fond c’est une fin pessimiste pour les personnages, mais elle est optimiste pour le lecteur.

 

Parce que vous, si vous sortez de votre corps pour lire le roman comme pur lecteur, cette fin-là vous donnera à avoir une pensée optimiste ?

Une pensée optimiste, ou en tout cas un regard lucide qui me dise : d’accord, je vois quels problèmes il y a dans la société et que je peux contribuer à changer. Je suis quelqu’un de fondamentalement optimiste dans la vie. Cela dit c’est sûr que, si je sors de mon corps et que je lis ce livre, je ne vais pas me dire que, "wow, il m’a fait du bien ce livre, je suis tellement heureux, c’est formidable". Mais je vois vers où on va si l’on continue ce chemin. Je ne me dis pas qu’on ne peut pas changer ce chemin... J’essaie de montrer au lecteur vers où on va. Au lecteur d’en tirer ses conclusions, moi je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autre chemin possible...

 

Et si, à quelque moment du récit vous aviez pu, par extraordinaire, vous retrouver à pouvoir interagir avec un des personnages, notamment Jeanne, vous lui diriez quoi, vous lui donneriez quel conseil ?

Un peu comme Nathan, à Jeanne j’aurais essayé de dire : peut-être que toi, tu ne peux pas prendre sur les épaules le fait de devoir changer le monde. On a envie de lui dire ça, à Jeanne : elle veut se sacrifier pour le monde, et elle se met trop de poids sur les épaules, depuis sa carrière pornographique jusqu’à sa carrière politique, à la fin. Et à Nathan on a envie de dire que ça n’est pas grave, que ça va aller, et qu’il est temps quand même de se relever...

 

"Ça va aller", comme lui disait son directeur de thèse...

Oui tout à fait (rires).

 

Vous avez choisi de situer une partie importante de l’intrigue au moment de la crise Covid, ou bien de quelque chose qui s’en rapproche en tout cas, mais qui évoque notamment ce premier confinement strict qui, au printemps 2020, a bloqué une bonne part du pays et chamboulé pas mal de monde. Quels souvenirs gardez-vous à titre personnel de ce temps si particulier ? Êtes-vous de ceux qui en ont été ébranlés dans leurs convictions, dans leur chemin de vie?

Il se trouve que j’ai commencé à écrire ce livre le 3 février 2020. À l’époque il devait n’y avoir que quelques cas de Covid en France. J’avais pris une année sabbatique, je l’ai dit : l’année précédente j’avais beaucoup travaillé, ce qui m’a permis d’avoir les ressources pour envisager d’écrire ce livre en ayant beaucoup moins de revenus pendant un an. Et un mois après donc, je me suis retrouvé confiné chez moi. J’en garde un souvenir mémorable : au moment où j’ai décidé que j’allais m’extraire du monde pour écrire, le monde s’est arrêté... J’ai pris ça un peu comme un signe, parfois un peu vexé, pensant : "c’était mon idée !", voyant que finalement tout le monde faisait comme moi...

Parfois je me disais aussi que quelque chose se passait : je décide d’arrêter tout pour écrire ce roman, et tout s’arrête naturellement. J’ai donc intégré à l’intrigue une épidémie, celle du Covid, même si je ne la nomme pas, pour ne pas que ce soit un livre "sur le Covid". Dans bien des cas, les gens ont commencé à écrire pendant le confinement, moi je l’ai fait juste avant. Mais c’est vrai que cette période du premier confinement notamment a posé des questions que je pose aussi dans le livre : la question de l’autre, la question du temps, de s’arrêter un petit peu, celle de l’ennui, qui revient, du moment pour soi... On est sorti de la grande machinerie, de la roue du hamster qui nous prenait tous.

 

Je reviens à votre ouvrage, page 163, je cite un morceau de phrase : "comme dans un premier roman, une envie débordante de tout mettre". Et de fait, dans le roman énormément de sujets sont abordés au fil des discussions, des digressions : de hautes questions sociales, politiques, philosophiques, des considérations sur l’histoire et l’architecture, le consumérisme effréné, j’en passe... N’avez-vous pas Clément le sentiment d’avoir cédé à cette envie débordante de tout mettre dans ce premier roman ?

Si bien sûr, si je l’écris c’est que j’y ai cédé (sourire). Et encore, j’en ai enlevé ! Il y a là une distanciation, qu’on a déjà évoquée : on est dans un livre, c’est du faux et on le sait, mais partant du faux on peut réfléchir au vrai. En cela je crois profondément. Je ne m’excuse pas d’avoir mis beaucoup de choses. Je reconnais une envie de mettre beaucoup de choses, une envie forcément liée au fait que c'est un premier roman. C’était nécessaire pour moi.

 

Ce n’était pas un reproche vous l’aurez compris.

Je sais. J’aime les digressions, etc... Reprenant votre question : ai-je vécu ce qu’ont vécu les personnages ?, moi j’ai envie d’y répondre à nouveau, en disant que ce livre me ressemble énormément. Mes amis, mes proches me l’ont tous dit après l’avoir lu. Parce que des digressions, des théories, parce que plusieurs humeurs différentes, etc...

 

Ce qui marque aussi, quand on vous lit, c’est la qualité de votre plume. Vous m’avez dit tout à l’heure avoir eu tôt l’envie d’écrire un roman. Quand avez-vous commencé à écrire ?

Merci pour le compliment. Dès tout petit, j’écrivais des bandes dessinées, des nouvelles, beaucoup de scénarios de film aussi, ado, pour des courts métrages. Des plans de longs métrages, de romans aussi. Rien de jamais abouti, mais toujours un peu d’écriture, des journaux par-ci par-là, des carnets de voyages aussi. Beaucoup de lettres, de correspondances. L’écriture est en moi depuis que j’ai des souvenirs, depuis que j’ai appris à écrire. Mais l’envie surtout était de raconter des histoires, via la fiction : le théâtre, le cinéma, puis donc le roman, un peu comme un aboutissement. J’ai trouvé là une forme qui me convenait parfaitement pour raconter mes histoires, c’est le roman.

 

Vous avez affirmé lors d’une interview vous être beaucoup inspiré de Shakespeare, que vous vous attachez à traduire actuellement, pour écrire ce roman : comme dans du Shakespeare, on passe chez vous du tragique au comique, sans oublier de revenir au tragique, et comme dans du Shakespeare, vos personnages sont conscients de n’être "que" des personnages de roman. Qu’est-ce qui vous inspire tant dans Shakespeare ?

Tout ! Quand je dis que je m’en suis inspiré, c’est vraiment inévitable : ça fait dix ans que, tous les jours, je passe du temps avec lui, dix minutes quand j’ai peu de temps, cinq heures quand j’ai du temps. Il était forcément là. J’aurais du mal à dire ce qui ne m’inspire pas chez lui. Effectivement, il défend que le théâtre soit faux, et c’est grâce à cette distance, au fait que des acteurs jouent, qu’on va pouvoir ressentir des émotions paradoxalement : l’acteur joue quelque chose de faux, mais vous vous allez ressentir quelque chose de vrai. J’en parle dans le livre, mais Shakespeare est celui qui, dans le théâtre, l’a le plus utilisé. Évidemment, ce passage comique/tragique est très présent chez lui. Ses tragédies sont hilarantes, et ses comédies très souvent tragiques. On rigole énormément dans ses tragédies, et ses comédies sont assez peu drôles... La vraie différence entre les deux c’est que dans ses tragédies quelqu’un meurt à la fin, alors que dans ses comédies à la fin il y a un mariage... Il s’amuse à mêler les genres.

Ce que j’aime aussi chez Shakespeare, c’est qu’il ne hiérarchise aucune culture. C’est un vrai théâtre populaire, dans le sens où il est fait pour les nobles autant que pour les ouvriers, les artisans... Vous avez de tout dans ses œuvres : de grandes réflexions philosophiques, des blagues et jeux de mots, des pensées très terriennes, et il ne hiérarchise pas, considérant que les grandes pensées philosophiques seraient supérieures aux pensées des paysans qui réfléchissent à comment bien employer la terre pour faire pousser leur blé. J’aime ça et je le fais aussi, dans le roman. Ce mélange entre art populaire et art élitiste. Le contraste dans les langages employés aussi, parfois il va dans des choses très vulgaires, et parfois au contraire utilise un langage très noble. C’est baroque : aucune contrainte, ce sont des œuvres-monde. Loin de moi l’idée de me comparer à lui, même pas à sa cheville, mais cette idée shakespearienne du monde qui est un théâtre, j’essaie de l’employer dans mon écriture, qu’elle soit pour le théâtre ou pour le roman.

 

D’ailleurs, s’agissant de vos traductions en cours de Shakespeare, est-ce que vous estimez qu’on peut le traduire parfaitement, sans rien perdre de la force des écrits originaux, en anglais donc ?

Non, forcément. C’est pour ça qu’il faut le traduire tout le temps, que plusieurs personnes s’y attellent. Pour moi, assez peu de textes sont comparables à ceux de Shakespeare, sauf peut-être l’hébreu de l’Ancien Testament, le grec des Évangiles, l’arabe du Coran, éventuellement la poésie d’Homère. Ce sont des textes où la langue originale est tellement pleine de sens différents que vous êtes obligé, en traduisant, de choisir une interprétation. Donc une traduction de Shakespeare, ce n’est qu’une interprétation possible du texte de Shakespeare. Il y en a je pense autant que d’êtres humains sur la planète.

 

Si par extraordinaire, via une invention fabuleuse, ou juste un voyage dingue que permettrait la drogue, vous pouviez le rencontrer, Shakespeare, et lui poser une question, une seule, ce serait quoi ?

[Il hésite] Je réfléchis... Ce seraient des questions biographiques. Qu’a-t-il fait entre ses 18 et ses 26 ans ? On ne sait pas ? Autre question : pourquoi a-t-il arrêté d’écrire ? Son œuvre s’arrête après La Tempête, non pas parce qu’il est mort, mais parce qu’il est rentré chez lui, il a arrêté... Il a pris sa retraite ! Pourquoi ?

 

Avez-vous le projet, plus ou moins avancé, possiblement comme metteur en scène de porter sur les planches, ou peut-être au cinéma, votre roman ? Et si vous deviez en être, comme acteur, vous seriez Nathan, forcément ?

Alors, je ne suis pas metteur en scène. J’ai fait une mise en scène il y a longtemps. En tant que dramaturge j’ai vraiment besoin d’un metteur en scène. S’agissant d’une adaptation, j’attends des propositions et je serais prêt à les accueillir avec joie. J’aime les adaptations de littérature, que ce soit pour le cinéma ou le théâtre. J’attends mais surtout je ne voudrais pas m’en mêler ! Si quelqu’un me propose un projet d’adaptation, il aura les mains libres, l’auteur doit laisser cette liberté au metteur en scène, un peu comme pour la traduction de Shakespeare, pour qu’il interprète lui, pour ne rien fausser.

 

Vous n’avez pas le goût de la mise en scène donc ?

Non. Il faut avoir l’humilité de se retirer quand on est dramaturge.

 

Vous ne seriez pas acteur non plus, vous ne joueriez pas le rôle de Nathan ?

Non plus. Acteur je l’ai fait une fois. Je suis beaucoup trop terrifié à l’idée de monter sur une scène...

 

Justement en tant qu’homme de théâtre j’avais cette question un peu provoc mais qui a du sens par rapport au roman, je pense. Est-ce que le porno c’est de l’art ? Est-ce incompatible avec le théâtre ?

Tout dépend de quel porno on parle. De manière générale, la production pornographique actuelle paraît n’être pas une bonne définition de ce qu’est l’art. Après, faire des films pornographiques de manière artistique, c’est sûrement possible. Ce qui pour moi fait la nature artistique d’un objet, c’est la vision de l’artiste. Pour le cinéma, c’est la mise en scène, le montage, les mouvements de caméra, l’agencement de l’image et du son... Il y a des cinéastes qui sont allés jusqu’à cette frontière : Gaspar Noé, Lars von Trier... Un film uniquement pornographique serait compliqué à rendre artistiquement, me semble-t-il. Mais pourquoi pas. Je ne dis pas que le porno ne peut pas être de l’art.

Pour le théâtre, c’est tout à fait possible d’y faire des scènes d’actes sexuels non simulés, ça s’est déjà vu, j’en ai déjà vu...

 

Si vous deviez rédiger le post-it des libraires pour promouvoir Le Roman de Jeanne et Nathan, quel texte écririez-vous ?

N’ayez pas peur des sujets

Un livre important pour sortir du déni

Et parce que l’amour vaudra toujours le coup.

 

Vos envies et surtout, vos projets pour la suite ? Un nouveau roman est en cours je crois.

Oui, j’ai déjà des personnages, certains commencent déjà à prendre forme. Je commence toujours par les personnages. Il y aura un deuxième roman c’est sûr. Et pour le théâtre, je continue à traduire Shakespeare, là trois nouvelles traductions m’attendent, commandées par des metteurs en scène pour 2024, 25 et 26...

 

Entretien daté du 3 octobre 2023.

 

Clément Camar-Mercier

Crédit photo : Gilles Le Mao.

 

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1 novembre 2023

Dominique Trinquand : « Face aux puissances antagonistes, l'Europe doit avoir son propre chemin »

Le général Dominique Trinquand, bien connu de ceux qui écoutent ou regardent les chaînes info, est un spécialiste réputé des questions de défense et de diplomatie. Il fut notamment chef de la mission militaire française auprès des Nations unies. Son ouvrage Ce qui nous attend : L’effet papillon des conflits mondiaux vient de paraître chez Robert Laffont. Dans ce livre, il mêle souvenirs personnels et récits d’actualité, analyses et préconisations quand à l’état actuel de notre monde et ses perspectives. Une lecture enrichissante pour mieux comprendre les enjeux de la géopolitique d’aujourd’hui, et réfléchir à sa suite à ce qui peut être fait pour que la France et l’Europe tirent leur épingle du jeu dans ce monde compliqué. Je le remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions (réponses datées du 1er novembre) et renvoie le lecteur à une autre interview sur le même thème, celle que jai faite avec Gérard Chaliand en janvier dernier. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Dominique Trinquand : « Face aux

puissances antagonistes, l’Europe

doit avoir son propre chemin »

Ce qui nous attend

Ce qui nous attend (Robert Laffont, octobre 2023)

 

4 questions à Dominique Trinquand

 

Les États-Unis ont, vous l’expliquez bien, largement perdu du crédit dont ils jouissaient et de la confiance qu’ils inspiraient en-dehors de leurs frontières, singulièrement depuis 2003 : on peut citer l’invasion illégitime de l’Irak bien sûr et le chaos qu’elle a entraîné, la « ligne rouge » finalement franchie sans conséquence par le régime syrien (2013) ou encore la déroute afghane après tant de vies humaines et de milliards déversés (2021). Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, ils ont retrouvé un sens à leur rôle de gendarme du « monde libre », mais cela suffira-t-il à enrayer, sinon leur déclin, en tout cas leur perte d’influence au niveau global ?

Non, remonter la pente sera difficile car la perte de crédibilité suite aux mensonges sur l’Irak et la défaite en Afghanistan ont initié un mouvement anti américain/Occident facile à alimenter. La crise actuelle concernant la bande de Gaza l’illustre parfaitement. Le soutien américain à Israël alimente l’antagonisme des populations arabes et de pays comme la Russie ou la Turquie pendant que la Chine observe pour récolter. Le rôle de «  gendarme du monde  » concerne surtout les pays occidentaux et assimilés. L’extension du conflit Palestine/Israël pourrait devenir incontrôlable et abonder les antagonismes. Toutefois il convient de noter que les oppositions se retrouvent face aux États-Unis mais n’ont pas forcément d’autres choses en commun que l’opposition. En revanche l’instabilité de la politique intérieure américaine conduit à se poser la question du rôle des États-Unis sur le long terme.

 

La Russie, qui s’est considérablement abîmée depuis 2022 et son coup de force raté contre l’Ukraine, est-elle entrée durablement dans la sphère d’influence de la République populaire de Chine ? Celle-ci est vue comme l’adversaire numéro 1 par les États-Unis, autre superpuissance à visée hégémonique : l’Europe a-t-elle à votre avis les mêmes raisons, les mêmes intérêts objectifs à considérer la Chine comme l’adversaire numéro 1, et si oui pourquoi ?

Non, l’Europe doit avoir une position différente car elle ne brigue pas le leadership mondial. La Chine et l’Europe ont besoin l’une de l’autre d’un point de vue économique. L’Europe doit combattre pour ses propres intérêts qui ne sont ni ceux de la Chine ni ceux des États-Unis, même si d’un point de vue sociologique ou politique l’Europe est naturellement proche des États-Unis. L’Europe ne peut pas se contenter des liens amicaux avec les États-Unis quand ceux-ci sont une menace pour l’économie européenne (voir la loi IRA de 2022) et ne peut pas accepter l’idéologie totalitaire chinoise. L’Europe doit avoir son propre chemin, un modèle de paix et de développement.

 

L’émergence d’une communauté internationale véritable passera-t-elle nécessairement à votre avis, par une réforme de l’ONU et en particulier du fonctionnement, de la composition surtout de son Conseil de Sécurité ? Est-il illusoire de penser une telle évolution possible alors que plusieurs de ses membres permanents sont en situation de guerre froide à peine voilée ?

Oui, il faudra réformer le système de gouvernance mondial qui date de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est à souhaiter que ceci ne passera pas par une nouvelle confrontation mondiale comme semble le souhaiter monsieur Poutine. En l’état actuel des choses, et compte tenu de la Charte de l’ONU, avec la prééminence du Conseil bloqué par ses membres permanents, je suis bien incapable de donner des pistes de réforme. Seule la victoire d’un camp sur l’autre, comme dans les années 90, changerait le système. Pour paraphraser le Prince de Lampedusa  : «  Il faut que tout bouge pour que rien ne change  ».

 

À la fin de votre ouvrage vous pointez l’individualisme qui gagne et qui gangrène la France et, au-delà, les sociétés occidentales : l’idée de sens commun, de sentiment d’appartenance  collective serait de moins en moins ancrée dans les esprits de nos jeunes. À cet égard, vous proposez un long développement sur les vertus qu’avait à vos yeux le service militaire obligatoire (instruction civique, mixité sociale...) et sur les propositions que vous aviez faites au candidat Macron pour recréer quelque chose qui s’en rapproche. Est-ce que cette apathie que vous semblez percevoir chez nos jeunes et peut-être au-delà, dans notre population à l’égard des questions de défense et de luttes entre puissances, nous place à votre avis en position de difficulté face aux régimes autoritaires ? Quel message au fond voudriez-vous faire passer à l’ado ou au jeune adulte qui tomberait sur cet entretien ?

Mon message serait que la jeunesse de France a toutes les qualités pour pouvoir lutter contre le totalitarisme. L’éducation et la volonté de vivre libre doit la conduire a prendre son destin en main et ne pas attendre d’être menacée directement. Le péril est à nos portes et parfois en la demeure. Il faut reprendre la maxime de Thucydide  : «  Il faut choisir, se reposer ou être libre  ». Notre peuple gaulois doit moins se regarder le nombril et regarder les menaces pour renforcer sa capacité de résistance.

 

Dominique Trinquand

 

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2 janvier 2024

« Jacques Delors, un homme d'exception, une trace pour demain », par Pierre-Yves Le Borgn'

Le 27 décembre dernier disparaissait Jacques Delors à l’âge de 98 ans. Il ne fut pas « le » père de l’Europe communautaire, mais sans conteste « un de ses pères ». Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, il tint un rôle moteur dans la mise en place de l’accord de Schengen, de l’Acte unique européen, du programme Erasmus et, last but not least, de la monnaie unique, notre Euro. Inutile de préciser donc, que la vision qu’il porta ne fait pas davantage l’unanimité aujourd’hui qu’en son temps, tandis qu’en France, comme partout en Europe, se renforcent les courants contestataires de ce qu’il est convenu d’appeler l’intégration européenne. Mais sans doute, au soir de son décès, ses adversaires ont-ils au moins reconnu à Jacques Delors une cohérence dans ses engagements, et une intégrité personnelle.

Lorsque j’ai appris la disparition de M. Delors, je me suis dit que l’évènement méritait un article. J’ai tout de suite eu l’idée de proposer une tribune libre à Pierre-Yves Le Borgn (qui répond régulièrement aux questions de Paroles d’Actu, encore tout récemment) : ancien député socialiste et européen convaincu, il s’inscrit volontiers dans l’héritage politique et, je crois, spirituel du défunt. Il a accepté ma proposition, et m’a livré le 1er janvier un texte où il est question de notre histoire commune depuis 1981, de leur parcours respectif aussi. Un texte où analyse érudite et émotion s’entremêlent. Un témoignage riche, dont je conçois évidemment qu’il ne fasse pas non plus l’unanimité : puisse-t-il être versé au dossier dans lequel les uns et les autres puiseront pour débattre de la place et de la trace de Jacques Delors, qui vient de faire son entrée dans l’Histoire. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Jacques Delors, un homme

d’exception, une trace pour demain »,

par Pierre-Yves Le Borgn’

Jacques Delors

Jacques Delors. © HALEY/SIPA

 

J’ai l’impression d’avoir grandi politiquement, humainement avec Jacques Delors. Le premier souvenir que j’ai de lui est celui d’une grande affiche de la campagne présidentielle de François Mitterrand. J’avais une quinzaine d’années. Derrière Mitterrand apparaissait une série de visages, qui m’étaient inconnus pour la plupart. Ils étaient ceux des conseillers et soutiens du candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1981, ceux qui deviendraient ministres quelques mois après. Il y avait Haroun Tazieff, Edmond Hervé, Alain Bombard, Nicole Questiaux, Claude Cheysson, Catherine Lalumière. Et Jacques Delors. Je n’avais pas la moindre idée de qui il était. Mais son nom, comme cette belle affiche dont le slogan était «  L’autre chemin  », m’était resté en mémoire. Mon second souvenir, c’est celui du ministre de l’Économie et des Finances qu’il était devenu réclamant une pause dans les réformes au printemps 1982. La gauche, au pouvoir pour la première fois depuis 23 ans, se heurtait rudement au mur des réalités. Son programme de relance de l’économie par la consommation creusait les déficits et la balance du commerce extérieur. Les dévaluations s’enchaînaient. La France filait un bien mauvais coton. L’air du temps était pourtant encore à changer la vie. Pour une part des militants socialistes, Jacques Delors était un briseur de rêves. Confusément, je sentais pourtant qu’il avait raison.

Je n’étais alors qu’un adolescent qui s’éveillait à la politique. Mon cœur était à gauche. L’économie m’intéressait. On parlait alors d’expérience socialiste – expression que je trouvais incongrue – pour décrire les premiers mois du mandat de François Mitterrand. Que resterait-il de cette «  expérience  » si l’économie devait s’affaisser et la France terminer au FMI  ? Le mandat de François Mitterrand devait s’inscrire dans la durée, au prix d’un changement de politique, pensais-je alors confusément. Longtemps, François Mitterrand, qui n’avait pas grande appétence pour l’économie, hésita. Il avait envie d’aller au bout du défi au capitalisme. Ses convictions européennes, en revanche, étaient profondes. C’était l’émotion contre la raison. Ce fut Jacques Delors – et la raison – qui l’emportèrent finalement. La France ne larguerait pas les amarres avec l’Europe, elle resterait au sein du Système monétaire européen. La lutte contre l’inflation serait la priorité et le maintien d’une parité fixe avec le Mark l’objectif. Il ne manqua pas grand-chose, en cette fin d’hiver 1983, pour que Jacques Delors succède à Pierre Mauroy à la tête du gouvernement. François Mitterrand se méfiait de lui. Il n’aimait pas beaucoup, je crois, cet homme pudique et modeste, à l’écart du happening permanent des premières années du septennat. Jacques Delors resta au gouvernement de Pierre Mauroy, mais il était clair que son histoire s’écrirait ailleurs.

Ce fut Bruxelles et la Commission européenne. J’étais entré à l’université et j’avalais des tas de livres sur l’Europe. Le charisme de Jacques Delors, sa personnalité, son engagement me touchaient. Son parcours, depuis des études somme toute modestes, par la formation, l’éducation populaire, le syndicalisme et la fidélité au mouvement personnaliste m’impressionnait. Dans la France des années 1980, celle de mes études, il n’était question que de diplômes ardus, d’individualisme, de parcours exceptionnels et de crânes d’œuf aussi brillants que déconnectés de la vie de millions de gens. Chez Jacques Delors, c’était tout l’inverse  : il était quelqu’un qui s’était élevé par le travail, le sens du collectif, l’abnégation, le partage et le dépassement aussi. Jacques Delors avait contribué à la naissance de la CFDT, cheminé avec le PSU. De la Banque de France, il était passé au Commissariat général au Plan. Une certaine gauche n’avait pas aimé ses années auprès de Jacques Chaban-Delmas à Matignon, au cœur du projet de «  nouvelle société  ». Jacques Delors n’avait pourtant rien renié de qui il était. L’époque était au clivage gauche-droite, aux excommunications sévèrement prononcées. Delors était suspect, et plus encore à son arrivée au PS en 1974. Tout le monde s’était empressé d’oublier qu’il fut pourtant celui qui porta la loi fondatrice sur la formation professionnelle continue.

Avec le recul, je sais que c’est d’avoir suivi Jacques Delors durant ses années à la Présidence de la Commission européenne qui ancra définitivement mes convictions européennes, puis me mit sur le chemin du Collège d’Europe. J’admirais son courage et sa manière de faire. L’Europe était à plat lorsqu’il prit ses fonctions en janvier 1985  : plus d’idées, plus de jus, des égoïsmes nationaux débridés et Margaret Thatcher à l’ouvrage pour tout détricoter. Son projet de faire tomber les barrières entre États membres pour fonder un grand marché intérieur fut décisif. À la fois parce que l’Europe touchait enfin son objectif et parce qu’il créait une dynamique politique irrésistible, soutenue par une méthode originale, profondément sociale-démocrate  : expliquer, convaincre, rallier les États membres, les parlementaires européens, les partenaires sociaux, les corps intermédiaires, les citoyens. Ce fut une époque formidable, que je vivais passionnément entre mes livres et les journaux à Nantes, puis Paris, avant de découvrir Bruges, puis Bruxelles à l’approche de 1992. J’étais touché aussi par la volonté de Jacques Delors de développer le dialogue social européen et sa détermination à renforcer la politique régionale dans une perspective de solidarité intra-européenne. Vint en 1987 le programme Erasmus, l’une des réussites les plus emblématiques de l’Europe. Et la convention de Schengen.

Sans doute y avait-il moins d’États membres qu’aujourd’hui, moins de complexité, un écart encore large avec le reste du monde. Je suis persuadé malgré tout que l’engagement de Jacques Delors, sa détermination à lever les obstacles, posément, clairement, fut décisif. Il refusait la caricature, la facilité. Delors inspirait la confiance, essentielle pour rassembler diverses histoires nationales et de fortes personnalités. Sans le lien que Jacques Delors avait su construire avec le Chancelier Helmut Kohl, jamais l’Euro ne serait né. Et jamais le Traité de Maastricht n’aurait été le changement décisif qu’il fut pour le projet européen. Avec le temps, sans doute a-t-on oublié l’immense travail de fond que nécessita une telle perspective. À la manœuvre, parlant inlassablement aux uns et aux autres, aux gouvernements et aux parlements, mais aussi aux gouverneurs des banques centrales des 12 États membres, il y avait Jacques Delors. Ce moment de bascule dans l’histoire de l’Europe lui doit beaucoup. Delors apparaissait régulièrement dans les médias, parlait de l’Europe, simplement et passionnément. Il incarnait le projet, cette nouvelle frontière pour des tas de gens et en particulier de jeunes dont j’étais. Nous avions le sentiment que tout était possible, que les atavismes de l’histoire européenne n’étaient peut-être plus fatals, qu’une autre perspective s’ouvrait, liant le marché et les solidarités, et que nous en serions.

La toute première carte d’une organisation que je pris fut dans un club créé autour des idées de Jacques Delors. Et aussi de sa méthode. Ce club s’appelait Démocratie 2000. Il était présidé par Jean-Pierre Jouyet, qui serait le directeur de cabinet de Jacques Delors à la Commission européenne, et animé par Jean-Yves Le Drian, alors maire de Lorient. Il y avait là des politiques, mais aussi des dirigeants d’entreprise, des syndicalistes, des journalistes. Le club était très «  deuxième gauche  », mais il s’ouvrait aussi à des personnalités venues du centre-droit. Nous avions chaque mois de septembre deux jours de travail à Lorient. Jacques Delors en était bien sûr, et nous pouvions alors échanger avec lui. J’étais impressionné, parlant peu et écoutant beaucoup. Je me souviens d’y avoir croisé Simone Veil et Adrien Zeller, qui serait plus tard le Président de la région Alsace. J’admirais aussi Michel Rocard. Leur relation était complexe, je crois. Pour moi, pourtant, ils se complétaient. Michel Rocard avait une fulgurance, un côté ingénieur social et professeur Nimbus, une manière inimitable de produire des tas d’idées que n’avait pas Jacques Delors. Mais il n’avait sans doute pas l’organisation, le sens de la persévérance et la capacité de fédérer qui distinguait Delors. Je ne sais pas s’ils furent rivaux. L’un était en Europe, l’autre était en France. J’imaginais que l’un ou l’autre écrirait la suite, après François Mitterrand.

La suite, beaucoup encore s’en souviennent. Rocard hors-jeu après les élections européennes calamiteuses de 1994, toute la gauche de gouvernement et une petite part du centre-droit se mirent à rêver d’une candidature de Jacques Delors à la Présidence de la République. Cette candidature, je l’espérais moi aussi, mais je n’y croyais pas trop. Je ressentais qu’il y avait chez l’homme Delors une part de raison, un défaut de folie, une réticence intime à ne pas se jeter dans un combat qui n’était pas totalement le sien. Et je ne fus pas surpris de sa décision, annoncée à des millions de Français à la télévision à la fin 1994 de ne pas se présenter. Sans doute fus-je un peu déçu, mais je la compris aussi. Jacques Delors n’avait pas rêvé toute sa vie d’être Président. Son militantisme et son idéal s’étaient exprimés ailleurs, dans les faits, par les résultats. Il s’était réalisé, il n’avait plus rien à prouver, sinon à partager – et il le fit, autant à la fondation Notre Europe qu’au Collège d’Europe. Delors était un homme politique différent, difficile à imaginer aujourd’hui, quelque 30 années plus tard, à l’âge des réseaux sociaux, de l’instantané, des commentaires plutôt que des idées, des ambitions débridées et d’une certaine médiocrité aussi. Le quinqua que je suis devenu mesure la chance qu’il a eu de suivre le parcours, le sillon de Jacques Delors. Cela aura sincèrement marqué ma vie.

L'unité d'un homme

Dans mon petit bureau, sous les toits de Bruxelles, j’ai plusieurs livres de Jacques Delors, et notamment ses Mémoires. Il y a également un beau livre intitulé L’Unité d’un homme, sous forme d’entretiens avec le sociologue Dominique Wolton. C’est ce livre que je préfère. Je le rouvre encore de temps à autre. Je ne peux réduire Jacques Delors à l’Europe seulement. Sa trace et son engagement sont beaucoup plus larges. Les entretiens avec Dominique Wolton révèlent la profondeur de l’homme, sa complexité, ses failles, son humanité, sa part de mystère également. Jacques Delors aura vécu presque un siècle. Il nous laisse une histoire, un leg intellectuel, un espoir en héritage. Delors n’était pas un homme de rupture, il était un artisan de l’union, des femmes, des hommes et des idées. Il pratiquait le dépassement et savait, dans l’action, le faire vivre pour le meilleur, sans jamais nier les différences, dans le respect de chacun. Il n’ignorait rien des petitesses de la vie publique et a su toujours s’en défier. Je crois que cet exemple, cette trace, ce message auraient bien besoin d’être revisités. A gauche, cet espace qui m’est cher, et au-delà aussi. La France rendra hommage le 5 janvier à un homme d’exception. Notre pays a changé depuis les années Delors, l’Europe également. Puissions-nous cependant nous souvenir de Jacques Delors, de ce qu’il nous laisse, pour agir demain, ensemble.

Texte daté du 1er janvier 2024.

 

PYLB 2023

Pierre-Yves Le Borgn’ a été député de la septième circonscription

des Français de l’étranger entre juin 2012 et juin 2017.

 

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11 juillet 2021

Ramon Pipin : « J'aime qu'un roman soit transgressif, qu'il m'emmène loin... »

Alain Ranval, alias Ramon Pipin, est de ces artistes dont il serait difficile de résumer la carrière en un, deux, trois ou même sept mots. Durant ses plus de 50 ans de parcours artistique (et c’est pas fini !), il a chanté, écrit des chansons, beaucoup composé (chansons, BO de films ou séries), sorti pas mal d’albums en groupe(s) et en solo. Ça, vous connaissez forcément, c’était en 1973, avec "Au Bonheur des Dames" :

 

 

Son actu du moment, c’est la parution de son premier roman, Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021). Je l’ai lu, sans trop savoir à quoi m’attendre au départ, et j’ai été séduit par l’histoire et les atmosphères changeantes dans lesquelles il nous fait baigner, un fond de l’air déjanté ici, là touchant, parfois les deux d’un coup. Je remercie Ramon pour cette agréable rencontre, pour ce qu’il est, et pour l’interview grand format qu’il m’a accordée en ce début juillet. Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Ramon Pipin: « Jaime quun roman

soit transgressif, qu'il memmène loin... »

Ramon et son livre

Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021).

(Sisi c’est bien, lisez-le ! Il est dispo sur Amazon ou sur ramonpipin.fr...)

 

Bonjour. Déjà, comment je dois vous appeler ? Ramon (Pipin), ou Alain (Ranval) ? Où est l’un, où est l’autre ?

Comme vous voulez ! Mon vrai nom est plutôt réservé à ma sphère privée encore que de nombreux proches, à mon grand dam, m’appellent Ramon, nom dont on m’a affublé en 1972 et dont personne ne connaît l’origine.

 

Première question d’une actu évidente : comment avez-vous vécu, et vivez-vous toujours cette crise dite du Covid ?

Les restrictions m’ont assez peu pesé. Je n’ai aucunement le profil itinérant de Vasco de Gama et j’en ai profité pour créer tous azimuts : musique, écritures diverses, tournages à l’arrache, etc.

 

Vous êtes un touche-à-tout qui a touché à plein, plein de choses. Racontez-nous l’aventure du roman ? Cet exercice-là a-t-il été plus ou moins difficile que d’autres ?

À force de lire des scénarios mal foutus en tant que compositeur de BO, je me suis dit : "Pourquoi pas moi ?". J’avais en effet réalisé un court métrage dont je ne rougis pas, dans mon registre caustique : Et tu récolteras ce que tu as semé avec Jacky tout droit sorti du Club Dorothée. J’ai sué sang et eau pour parvenir à quelque chose de satisfaisant. J’ai tenté de monter ce film — j’avais un joli casting avec Eddy Mitchell en tête — mais cela n’a pas abouti. Après 8 ans d’efforts j’ai rangé ce script, puis l’ai ressorti du tiroir, hanté par cette histoire, pour en faire un bouquin, qu’a préfacé Tonino Benacquista. Il est sorti en 2015 mais la maison d’édition a déposé le bilan 2 mois après... Je l’ai repris l’année dernière à l’occasion de cette longue hibernation et minutieusement réécrit.

 

Je ne vais pas raconter l’intrigue, qui est riche, je laisse aux lecteurs le plaisir de la découvrir. C’est quoi les livres que vous aimez lire ? De quoi vous êtes-vous inspiré pour composer cette histoire-là ?

L’idée de départ vient d’une scène de Pastorale américaine de Philip Roth, l’un de mes auteurs de chevet. Après j’ai laissé mon imagination dériver pour construire cette histoire qui, sous couvert d’un polar, embrasse des thèmes qui me sont chers : l’humour, l’exclusion, le vieillissement, la sexualité, la famille... les lacets. J’aime être malmené et surpris, quelle que soit la forme artistique.

Je lis surtout des romans car j’aime la transgression, qu’on me prenne par la main pour m’emmener loin, les mots choisis et le style.

En vérité je ne me suis inspiré de personne. Le creuset fumant où crépitent mes nombreuses lectures m’a nourri de ses effluves. Et mon histoire personnelle quelque peu, mes rencontres, bien que ce ne soit pas autobiographique.

  

Parmi les protagonistes, Paul, flic mélomane à la retraite ; Naj, jeune tornade sensuelle et complexe ; le fils et la femme de Paul, Fabien et Julie, et quelques slaves hauts en couleur. Est-ce que vous avez mis de vous dans ces personnages justement, Paul mais pas que ? Est-ce que vous avez dessiné en eux des personnes que vous avez réellement rencontrées ?

Je n’ai pas rencontré de Potok ni de Naja. j’aurais aimé, c’est sans doute pourquoi je les ai imaginés ! Pour Paul, quelques lointaines résonances personnelles.

  

Votre plume est agréable, pas mal d’éléments d’immersion, de références, des sourires et aussi de vrais moments d’émotion. Je pense à ces mots touchants qui décrivent le départ de la mère de Paul, Rachel. Ou à ce qu’évoquent les derniers mots du livre. Parfois, il faut composer avec sa pudeur, quand on écrit ce genre de chose ?

Les mots sont venus, puis je les ai repris, modifiés, triturés sans relâche, je crois avoir fait plus de 100 relectures de la dernière édition. Je ne me suis pas autocensuré. Lorsque la situation m’emportait vers l’émotion, pas de barrières. Vers l’humour ou le zizi-panpan non plus.

 

Page Ramon Pipin

 

Vous connaissez bien le milieu du cinéma : si vous aviez carte blanche et budget illimité, quels acteurs engageriez-vous pour interpréter les rôles principaux de votre récit ?

J’ai beaucoup travaillé en ce sens comme vous l’avez vu ci-dessus. Jean-Pierre Bacri aurait été le personnage mais il l’avait souvent joué, cet atrabilaire misanthrope. C’est pourquoi Eddy Mitchell me semblait correspondre. Depardieu également. Pour Potok, j’avais en scène depuis l’origine Patrick Eudeline, que j’aurais volontiers casté ? Après les acteurs anglo-saxons me ravissent : James Gandolfini ? Ou Robert Carlyle ? Pour Naja, un casting s’imposait. La sublimement touchante Nastassja Kinski de Maria’s Lovers ? J’aime bien celle qui joue dans Scènes de ménages, bizarrement, sur M6, Claire Chust qui me semble avoir un joli potentiel, en-dehors de sa fantaisie.

 

Premier petit décrochage justement : si vous deviez n’en choisir que cinq, ou six ou sept je ne suis pas un tortionnaire, ce serait quoi votre top films, tous confondus ?

Très très dur, je suis un cinéphile assidu. Néanmoins, j’ai adoré le cinéma coréen des années 90-2000 avec un chef-d’œuvre absolu : Oasis de Lee Chang-dong. Ainsi que Memories of murder de Bong Joon-ho. Également sur le podium Sur la route de Madison de Clint Eastwood. Dans un autre genre l’inénarrable Spinal Tap de Rob Reiner. La vraie dernière claque que je me suis prise c’est The Painted Bird du réalisateur tchèque Vaclav Marhoul d’après le roman de Jerzy Kosinski, d’une noirceur étouffante à la limite de l’insoutenable. Ah, je dois citer également le film russe The Tribe de Miroslav Slaboshpytskiy, histoire de bullying dans un internat pour sourd-muets sans sous-titres (non ce n’est pas une blague et c’est génial). Et me revient ce film américain Thunder Road de Jim Cummings avec une scène d’ouverture mémorable.

 

  

Vous avez pas mal côtoyé Coluche, dont on commémore cette année les 35 ans de la disparition. Que retenez-vous de lui, de cette rencontre ? Coluche, Desproges, le professeur Choron (avec Hara-Kiri), des figures d’un temps révolu, peut-être plus léger et ou la parole était plus libre, la bien-pensance, moins pesante ?

Oui certes. Cependant des artistes comme Gaspard Proust perpétuent cet état d’esprit. Je fréquentais Coluche, Desproges, Choron mais il était difficile d’en être proche.

Il est sûr que certaines des chansons interprétées par "Odeurs" à l’époque, voire "Au Bonheur des Dames" auparavant, qui parlaient de nécrophilie, de tournantes, de déviances sexuelles, de religion seraient infaisables aujourd’hui et parfois j’évoque ces moments avec nostalgie et regret. Mais je continue, en essayant de ne pas sortir des rails, à exprimer ce qui me passe par la tête, comme sur mon dernier album la haine, l’indifférence, le mirage de l’ascenseur social ou le groove français !

 

Est-ce que vous lui trouvez des charmes, à notre époque ?

Pour en revenir au cinéma coréen, le dernier plan du 4ème film de Lee Chang-dong, Secret Sunshine, l’histoire magnifique d’une femme qui tente de se reconstruire après la perte de son mari ET de son enfant, nous montre une petite flaque d’eau où se reflète le soleil. Mon interprétation, — peut-être erronée d’ailleurs — est que le réalisateur veut nous montrer que la beauté du monde réside même dans l’infiniment banal. Donc j’y trouve de l’horreur, beaucoup, mais aussi des trésors qui m’enchantent parfois. Ce que j’ai traduit dans ma chanson Qu’est-ce que c’est beau de l’album éponyme.

 

 

J’aimerais aussi vous interroger sur Renaud, avec lequel vous avez beaucoup collaboré, notamment lors de ses premiers albums. Comment avez-vous vécu ces années-là ? Quel regard portez-vous avec le recul, sur sa carrière ?

J’étais simplement un musicien réalisateur. De complicité, nenni. J’ai eu la chance de collaborer avec lui, d’avoir de solides responsabilités artistiques qui se sont soldées par d’énormes succès en le faisant aller vers des contrées moins balisées — un peu — musicalement. Mais ce sont des souvenirs un peu froids en vérité, qui m’ont assez peu fait vibrer.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

La démocratie, c’est quand on sonne chez vous à 6h du matin et que... c’est le laitier (Henri Jeanson).

 

Quelles sont, parmi vos chansons à vous, groupe ou solo, celles que vous aimeriez nous recommander, à ma génération, pour les découvrir ?

Période "Odeurs" : Couscous boulettium, Que c’est bon, Le stade nasal, Je m’aime. Mes albums : Nous sommes tous frères, Je promène le chien, Qu’est-ce que c’est beau, Stairway to eleven et avec "Au Bonheur des Dames", Mes funérailles.

 

 



Votre top chansons, tout confondu, et hors les vôtres ;-) ?

Alors là impossible. Trop ! Disons que dans mon Olympe se trouvent XTC, les Beatles, Gentle Giant. Disons que Stupidly Happy de XTC c’est tout là-haut et God only knows des Beach Boys aussi. En ce moment c’est I disagree de Poppy.

 

 
Qui trouve grâce à vos oreilles en 2021, parmi les artistes mainstream et plus underground ?

Poppy. Leprous. The Moulettes. Brad Mehldau. Michael League. Mainstream ? Connais pas...

 

L’évolution de l’industrie du disque, c’est quelque chose qui vous paraît inquiétant pour la suite ? Ou bien pour le coup, internet et les réseaux permettent-ils une plus grande démocratisation de la production de musique ?

J’ai eu l’extrême chance de vivre de ma musique. Ce ne serait plus possible aujourd’hui. L’offre incommensurable me désole d’un côté et me réjouit d’un autre car elle permet à des créateurs talentueux, s’ils parviennent à maîtriser leur communication, de s’exprimer et de se faire entendre. Mais ma chanson Une chanson ennuyeuse résume parfaitement ma pensée.

 

 
Quelques mots pour inciter nos lecteurs à se précipiter sur Une jeune fille comme il faut ?

C’est un roman qui marie l’humour et l’émotion, ancré dans une réalité intemporelle sans ordis ni smartphones et qui j’espère pourra toucher au cœur avec ces personnages déjantés ou profondément humains. On a évoqué Frédéric Dard mais je me retrouve bien plus dans Jean-Paul Dubois. L’humour y est présent certes, mais il y a, comme dans mes chansons toujours (ou à peu près) un fond de mélancolie ou d’humour allez, juif new-yorkais, gaiement désespéré.

 

Ramon Pipin souriant

Photo : Thierry Wakx.

 

De quoi êtes-vous le plus fier, quand vous regardez derrière ?

De pouvoir me retourner sans rougir.

 

 

Des regrets ?

De n’avoir pas pu faire le film Une jeune fille...

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Nous sortons à la rentrée le CD des "Excellents", 3 millions de vues sur FB. L’album massacre menu nombre de tubes pop des 50 dernières années. L’accueil est réjouissant.

  

Un dernier mot ?

« L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. » (Charlie Chaplin)

Interview : début juillet 2021.

 

Ramon Pipin seul

 

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21 novembre 2022

Alain Wodrascka : « Barbara était en couleur, il faut arrêter de la voir en noir et blanc ! »

On commémorera ce 24 novembre les 25 ans de la disparition de Barbara. Elle était déjà évoquée il y a quelques jours sur Paroles d’Actu lors de l’interview avec Jean-Daniel Belfond, patron de L’Archipel et amoureux de la "longue dame brune". Je vous propose ce nouvel article, fruit d’un long entretien daté du 15 novembre avec le biographe et chanteur Alain Wodrascka, qui vient de publier tout récemment Barbara - Un ange en noir (Éditions City). Barbara, lui aussi la connaissait bien, il l’aime depuis plus de 40 ans, et celle qu’il nous dépeint ici s’éloigne un peu de l’image qu’on peut en avoir habituellement. Car il est vrai que les extraits qu’on nous présente souvent datent du temps de la télé en noir et blanc, alors qu’elle est partie en 97 et qu’elle a été très active entre-temps...

Il faut dit-il rendre à cette Barbara qu’on voit toujours en noir et qu’on croit toujours sombre, sa part de couleur et de fantaisie qui était réelle. En somme, la femme complexe et contrastée qu’elle était, tout sauf monochrome. Il nous présente aussi une Barbara aimant jouer de son image, convoquant volontiers y compris dans son art, l’imagerie gothique, aimant provoquer aussi : un peu la grande sœur de Mylène Farmer. À lire, entretien rendu tel quel, tout comme l’ouvrage de Wodrascka, pour connaître le regard personnel d’un passionné, et se saisir peut-être d’une part supplémentaire de la vérité d’une Barbara qui inspire toujours le mystère... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Alain Wodrascka: « Barbara

était en couleur, il faut arrêter

de la voir en noir et blanc ! »

Barbara un ange en noir

Barbara - Un ange en noir (Éditions City, novembre 2022).

 

Barbara est morte il y a 25 ans, vous vous souvenez de ce moment-là ?

Il y a les histoires de biographe et les histoires personnelles. Je n’y ai pas cru, c’était tellement violent... Et je n’en rajoute pas : ça a été pour moi, un des décès les plus difficiles à accepter. Il y a eu une annonce en deux fois. La veille de son décès, on a préparé le terrain en annonçant qu’elle n’allait pas bien. La veille, je n’y croyais pas. Je ne pensais pas que c’était possible, qu’elle puisse mourir...

 

 

Quelle est votre histoire avec elle ?

Je l’ai connue le 11 février 1984, j’étais très jeune et je lui avais envoyé une cassette. Et pour être précis, en 1990, elle m’avait aidé personnellement parce que je n’étais pas dans une période très facile, et elle a contribué à m’en sortir, en me téléphonant tous les jours, et en me disant des phrases qui me sont restées. Une en particulier est restée gravée en moi : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs".

Elle m’a été d’une aide précieuse à ce moment-là. Rôle artistique aussi, elle s’est penchée sur mes chansons, parmi les premières. Quand j’ai vraiment compris qu’elle n’était plus là, j’ai réellement eu l’impression que la vie s’arrêtait, et que tout ce qu’elle m’avait dit était faux, parce qu’elle partait. Pour moi, et je suis prudent dans ce que j’affirme, d’ailleurs je n’affirme rien, c’est un départ volontaire. D’où l’aspect impossible, parce que je l’ai pris comme ça, sensiblement, instinctivement. Tout ce qu’elle avait pu me dire ne tenait plus debout...

 

Aucun des éléments qu’on a connus depuis ne vous a fait dévier de cette conviction personnelle ?

Quel que soit le motif médical, il me semble que c’est l’interruption volontaire d’un chemin. On peut parler de décongélation d’un mauvais surgelé, mais pourquoi à ce moment-là ? C’était une femme hors du commun et une très grande artiste : avec Véronique Sanson, elle est en France la principale femme auteur-compositeur-interprète avec un répertoire et un style. Je parle vraiment de ces femmes qui ont apporté une musicalité et un langage. Il n’y a que ces deux-là, je crois. On peut dire qu’elles sont les deux femmes-piano de la chanson et de la pop actuelles. Parce que Barbara était aussi une chanteuse pop : à partir des années 1970, elle a changé de cap, trouvé une musicalité nouvelle, en travaillant avec William Sheller, François Wertheimer, etc... Et Jean-Louis Aubert sur son dernier album. C’est quelqu’un qui suivait les nouveautés musicales.

 

 

Elle était exceptionnelle du point de vue de l’intelligence, de la carrière. Pour moi, et ça va peut-être étonner, une de ses héritières c’est Mylène Farmer. Pourquoi ? Parce que la stratégie de communication est la même : on nourrit le mystère, et ça a toujours marché chez l’une et l’autre. Barbara était totalement pionnière en la matière : hormis elle, personne ne se serait permis, en 1987, de faire une rentrée au Châtelet sans affichage. Mylène Farmer n’a rien copié, simplement, ce qu’elle a fait en matière de stratégie de communication a fonctionné et nourri le mythe, comme Barbara. Ce sont deux femmes qui conjuguent un aspect intime et une forme de provocation élégante. Bref, Barbara était très importante pour tout le monde. Sa façon de respirer, c’était de chanter. Par manque de chance, comme Maria Callas en son temps, elle a perdu son organe - quand on chante de l’opéra c’est encore pire, parce qu’on ne peut pas s’amuser à chanter l’air d’opéra sans avoir la technique. Mais Barbara a malgré tout chanté pendant 15 ans à peu près avec une voix malade, et arrivé à un moment, ça n’a plus du tout été possible de chanter. Donc, par rapport à l’importance fondamentale qu’elle accordait à la chanson, dont elle ne pouvait plus faire usage, il était un peu normal qu’elle s’en aille. Parce que c’était sa vie... Elle a essayé de faire des mémoires, ça a duré un certain temps, puis elle est partie...

 

 

Pourquoi cette nouvelle bio, qu’apporte-t-elle ? Et pourquoi ce titre, "un ange en noir" ?

Ce sont les 25 ans, donc c’est important de penser à elle. Ce n’est pas moi qui ai trouvé ce titre, mais l’éditeur. Je l’ai trouvé bien. Un "ange en noir", ça fait forcément référence à L’Aigle noir. Mais je pense aussi à la mythologie de Federico Garcia Lorca, à ses "anges noirs de la mort". Tout cela lui correspond bien. Elle n’était pas la seule à chanter en noir, Juliette Gréco l’a fait avant (elle avait trois ans de plus et a chanté très jeune). Gréco chantait en noir par rapport à Cora Vaucaire, parce qu’elle n’avait pas d’argent et que le noir était moins salissant que le blanc qu’arborait Vaucaire. Je pense que Barbara a chanté en noir au départ parce que c’était plus facile et plus pratique. Après, c’est devenu quelque chose de légendaire. Elle a dit plus tard après que ça n’était pas pour elle couleur de deuil, mais quelque chose d’élégant, d’érotique aussi quelque part. Et, avec le recul, on va s’apercevoir que ça correspond aussi à l’univers gothique. Barbara est une chanteuse gothique à mon sens, elle en utilise l’imagerie, celle qu’on retrouve dans la littérature du XIXè siècle, du Portrait de Dorian Gray au Dracula de Bram Stoker, tout ce mélange où l’art se marie à l’aspect maléfique. Barbara avait dans sa bibliothèque notamment des traités de magie noire, non qu’elle y croyait mais pour alimenter son personnage. Elle a arrêté la télé en 1975, j’étais petit à l’époque. Quand on la voyait chez les Carpentier à l’époque, entre Johnny et Sylvie Vartan, les enfants que nous étions avions très peur. Je regardais cette femme sur un rocking chair avec ce regard qui semblait jeter des sorts. Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles elle a arrêté la télé : elle a su qu’elle faisait peur aux enfants.

 

Sur le fond et la forme, le noir c’est vraiment ce qui la caractérise, ou bien c’est plus nuancé ?

On en a beaucoup parlé. Elle est quelqu’un qui a exprimé les sentiments de l’être humain, et elle l’a très bien fait. Sentiments de bonheur, d’émotions. Dis, quand reviendras-tu ?, son premier succès, raconte l’absence. Il est question du tourment amoureux, mais aussi de la difficulté d’être avec Le Mal de vivre, de la solitude... Assez rapidement, les médias en ont fait une chanteuse "triste", pour prendre un mot un peu simpliste, et on a associé cela à la couleur noire de ses tenues. Pourquoi n’a-t-on pas retenu à ce point cette noirceur chez Juliette Gréco ? Sans doute L’Aigle noir, le plus grand tube de Barbara, a-t-il joué...

 

 

Peut-être aussi que Gréco jouait moins de l’ambiguïté de son personnage...

Oui c’est vrai. Elle chantait des choses diverses, mais on retient surtout d’elle des choses plus légères, plus malicieuses comme Jolie môme. Mais encore une fois, ce sont beaucoup les médias qui ont entretenu cela. Je me pose aussi cette question : chaque fois qu’on fait un bouquin sur Barbara, elle est toujours en noir et blanc. Je rappelle qu’elle nous a quittés en 1997. Michel Berger est mort en 1992, Daniel Balavoine en 1986, ce n’est pas pour autant qu’on les représente tout le temps en noir et blanc. Et quand on fait une émission, on nous colle toujours des archives des années 1960, de chez Denise Glaser généralement, donc en noir et blanc. On alimente un peu des clichés. Barbara est beaucoup plus complexe que ce que certains prétendent : Barbara est aussi en couleur ! Il y a du noir, mais il y a aussi du rouge, songez à ses lèvres rouge carmin, etc... D’ailleurs, si elle a arrêté de faire de la télé en 1975, il y a eu pas mal de concerts filmés, en couleur, par la suite.

 

Ce qui s’appelle alimenter une légende noire...

Oui, alors évidemment, elle aimait le noir, mais pour elle, c’était vraiment de l’ordre de l’anecdote.

 

La guerre est évoquée dans des chansons bouleversantes comme GöttingenMon enfance, ou Il me revient. En quoi ce temps-là l’a-t-il marquée ?

Forcément, quand on est né en 1930, on n’a pas pu échapper à la Seconde Guerre mondiale. Ça l’a d’autant plus marquée qu’évidemment, elle était juive. Sa guerre, ce fut une vie d’errance où il a fallu déménager dans la clandestinité avec ses parents : Marseille, Saint-Marcellin où elle est restée plusieurs années, Tarbes... Ce fut pour elle un déménagement perpétuel la nuit, avec des gens qui par bonheur ont été là pour protéger cette famille. Dans Mon enfance elle dit : "La guerre nous avait jetés là / Nous vivions comme hors-la-loi / Et j’aimais cela quand j’y pense". Les enfants aiment bien le danger dont ils n’ont pas complètement conscience, je pense que c’est dans ce sens qu’il faut lire ces mots. Elle évoque ici son séjour à Saint-Marcellin, dans le Vercors, où elle a été réfugiée avec ses parents, et cette chanson retrace son retour sur les "lieux du crime" si je puis dire. Cette maison-là, je suis allé la voir, c’est très émouvant parce que la chanson prend un autre sens quand on va la voir. J’étais aussi allé voir ses camarades de classe.

 

 

On peut considérer que c’est dommage, d’ailleurs, qu’on n’en fasse pas un musée Barbara ?

Vous avez raison. En revanche, Saint-Marcellin tenait un festival pour lui rendre hommage, je crois que c’est toujours d’actualité. Mais cette maison qui ne paie pas de mine pourrait bien devenir un musée en effet.

 

Il y aussi ces textes où le rapport au père est évoqué...

Il y a évidemment Nantes, le père y est évoqué sans que les choses soient vraiment claires. C’est l’histoire de ce père dont on apprend la disparition et qu’on va, la mort dans l’âme, enterrer dans une ville inconnue et pluvieuse. La chanson qui évoque les relations incestueuses, puisque c’est le sujet sur lequel vous m’interrogez, celle que Barbara a revendiquée comme telle, c’est bien Au cœur de la nuit. D’ailleurs elle a arrêté de la chanter sur scène, parce que personne ne comprenait. Mais on peut comprendre cette incompréhension, parce qu’il n’y a pas vraiment de clé si on ne sait pas... À propos de cette histoire : elle avait porté plainte, à l’époque, quand elle avait atteint l’âge de l’adolescence. C’est très rare, surtout à cette époque-là, les enfants victimes qui vont jusqu’à faire cela. Beaucoup de relations inappropriées et criminelles restent tues dans des secrets de famille. Ça n’a pas été son cas, elle a tout de suite eu ce réflexe de se défendre, d’aller voir les gendarmes pour en parler. Ils ne l’ont pas vraiment crue, mais en tout cas psychologiquement il y avait une démarche de survie. Tout le monde ne l’a pas crue en France, ce n’est qu’à partir de l’affaire Dutroux qu’on a commencé à prendre au sérieux tout ce qui était crimes sexuels contre l’enfance. Claude Sluys, qui a été son mari dans les années 1950, se destinait à la profession d’avocat tout en étant artiste. Il m’avait dit que lui-même n’y avait pas cru au départ, beaucoup de gens se posaient la question, mais les enquêtes menées ont confirmé la chose. À l’époque on ne croyait pas ce que les enfants racontaient...

 

 

Pour ce que vous en savez, elle s’était remise de ses blessures d’enfance ?

Je pense que personne ne se remet d’une chose pareille, ce n’est pas possible. Mais on peut composer avec. S’agissant de L’Aigle noir, elle-même n’a jamais confirmé qu’elle y évoquait l’inceste, mais comme le climat est le même que pour Au cœur de la nuit, je comprends bien qu’on puisse le prétendre.

 
Quel regard portez-vous sur le parcours d’artiste de Barbara ? Quelle est sa patte singulière dans le patrimoine culturel francophone ?

Le regard que je porte, c’est vraiment celui, encore une fois, sur une femme auteur-compositeur et interprète aussi, elle était une grande interprète. Elle conjuguait des qualités incroyables. Il y a un personne, une femme très belle avec un physique très particulier, une prestance, un charisme très forts. Sa voix aussi était très particulière, elle l’a travaillée au fil des années pour se libérer du chant classique - au départ elle avait fait des études de chant classique, ce qui sonnait un peu lourd dans les premières chansons. Elle s’est libérée de ce point de vue à partir des années 1970. Et elle était aussi un poète. Elle ne choisissait pas forcément la facilité, elle pouvait écrire paroles et musique en même temps. Elle n’écrivait pas non plus de la rédaction chantée, elle écrivait bien de la poésie. Écoutez Vienne. Gauguin. Nous sommes dans le sillage de Verlaine. Je peux citer quelques passages de Vienne : "Une vieille dame autrichienne / Comme il n’en existe qu’à Vienne / Me loge, dans ma chambre / Tombent de pourpre et d'ambre / De lourdes tentures de soie". C’est l’expression d’une poésie réelle, spontanée, lyrique et pourtant très simple. Son écriture est restée très simple, aussi par volonté. Elle ne voulait pas frimer avec l’écriture. D’ailleurs un éditeur a créé dans les années 1960 une collection consacrée aux chanteurs, on y trouvait Brel, Brassens, Anne Sylvestre. On a proposé à Barbara de faire partie de cette collection en 1968, elle n’était pas très chaude pour ça. L’appellation "Chanteurs poètes" est devenue "Chanteurs d’aujourd’hui", mais elle a refusé l’appellation de poète, alors qu’elle en était vraiment une. Il faut dire aussi qu’elle avait pu, grâce à son mari et à sa période belge, fréquenter pas mal de poètes surréalistes : si elle n’a pas fait d’études, elle a eu le bonheur de rencontrer des artistes prestigieux dans son jeune âge, et notamment ces poètes surréalistes.

 

 

D’ailleurs elle a chanté Aragon à ses débuts...

Oui tout à fait. Et il faut noter qu’elle a été aussi une vraie femme de scène, ça s’est exprimé de plus en plus et sa carrière a pris un nouvel essor à Pantin en 1981. C’était quelqu’un qui mettait sa vie en jeu, comme un Johnny au féminin. On l’entend pas trop, ça. Ses spectacles, avec elle derrière son piano, c’était vraiment des shows. Moi je l’ai vraiment découverte dans les années 1980, notamment au Châtelet en 87, puis à Mogador en 90, Paris encore en 93... Je suis allé la voir souvent à Mogador en 90, c’est là que j’ai eu ce petit accident de vie dans lequel elle m’a aidé. Elle avait acquis, notamment à partir des années 1980-90, un nouveau public de jeunes qui était très fan et exprimait son enthousiasme comme on savait le faire dans ses années. J’y suis allé notamment un dimanche, et je me souviens d’un groupe de gens de sa génération à elle qui était venu, et je les entendais râler parce qu’on n’entendait pas les paroles, se plaindre parce qu’on n’était pas "à un concert de rock"... À partir des années 80, on retrouvait chez Barbara une ambiance comparable à celle des concerts de rock. Sa musicalité n’était pas du rock, l’esprit si. Il y avait une énergie, une façon de se mettre en scène comme si sa vie en dépendait proches du rock plutôt que de la chanson française.

 

Et cette espèce de communion particulière entre elle et son public...

Oui, ce genre de communion qu’on trouve dans l’univers du rock, aussi. Mais clairement, ses derniers concerts étaient plus proches de Janis Joplin que de Gréco. L’évolution avait été extrême, ce qui explique aussi que certains aient été agacés, parce que ceux qui l’ont vue à Bobino, bien sagement assis, ne retrouvaient plus cette ambiance : les rappels commençaient à partir de la cinquième chanson... Moi j’adorais ça, elle sortait du cadre, un peu provocatrice et insolente aussi par rapport au métier. Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, la chanson date de 66, enregistrée en 67, ça voulait vraiment dire qu’il y avait un lien, quelque chose de l’ordre de l’orgasme dans les concerts. Ce n’est pas juste un mot, une formule, il y avait dans cette communion quelque chose de l’ordre du sexuel, du sensuel. Pas très catholique si je puis dire !

 

 

Sa vie, c’est une source d’inspiration pour vous ?

C’est quelqu’un qui pouvait n’écrire que si elle avait vécu la chose. Elle prétendait en tout cas qu’elle n’avait pas d’imagination. Toutes ses chansons sont nées d’une histoire vécue. On retrouve des prénoms, des lieux (parfois ils sont inventés), des choses qu’elle a vécues, elle se racontait complètement. Vienne c’est l’exception confirmant la règle, elle n’y était pas allée, c’était une Vienne imaginaire suite à une crise sentimentale avec la personne avec qui elle était, elle avait besoin de prendre le large. Mais sinon, même la comédie musicale Lily Passion est liée à la réalité... On pourrait penser que c’est de la fiction pure, parce que ça met en scène une chanteuse et un meurtrier, mais c’est aussi autobiographique. D’ailleurs c’est assez amusant, on a plutôt eu tendance à prêter à Gérard Depardieu des séquences autobiographiques dans cet opéra-rock, alors que ça parlait plutôt de son vécu à elle. Il y a une chanson dans ce spectacle qui s’appelle Qui est qui et qui joue un peu de cette ambiguïté entre les deux personnages. C’est aussi une chanson sur l’ambivalence sexuelle, il faut dire qu’à l’époque elle était un peu une pasionaria des homosexuels et du Sida.

Je ne pense pas que Barbara ait été meurtrière (rire) mais quoi qu’il en soit, il faut raconter qu’elle a rencontré Jacques Mesrine à l’occasion d’une tournée qu’elle a faite avec son ami Jean-Jacques Debout en 1970 (elle était aussi l’amie de Chantal Goya). Jean-Jacques Debout avait eu Jacques Mesrine comme camarade de classe, et ils étaient restés amis proches. Il savait que Mesrine se cachait au Canada. Ils sont allés un soir dîner chez lui. À la fin du repas, Mesrine demande à Jean-Jacques Debout de chanter quelque chose, puis il demande la même chose à Barbara. Celle-ci lui a répondu qu’elle ne chantait pas sur commande, que ça n’était pas son truc... Et il menace de l’étrangler pour qu’elle chante. Jean-Jacques Debout est rentré en scène pour essayer de le calmer, puis ils sont partis. Quelques jours plus tard, pour se faire pardonner, Jacques Mesrine est venu dans la loge de Barbara lui apporter une rivière de diamants. Elle n’a pas osé la lui rendre (rire), il faut dire qu’elle avait eu une vraie frayeur, elle en a finalement fait profiter quelqu’un de sa famille qui était dans le besoin. Voilà l’histoire. Jean-Jacques Debout est quelqu’un d’adorable qui a vécu des choses incroyables.

 

 

Ce qui est bien avec ce genre d’histoire, c’est qu’elle casse un peu plus l’image trop sombre de Barbara...

Oui, c’est bien parfois d’éclaircir un peu le personnage, on dit tellement de choses sur elle qui ne sont pas en couleur... On ne peut pas dire qu’elle était sinistre ou dépressive. Son côté gothique, c’est une esthétique artistique, pas de la tristesse. Est-ce qu’on dit que Mylène Farmer est triste ? Elle parle pourtant de choses parfois très provocatrices. Elles ont en commun de parler du suicide, de la mort... il y a une volonté de dire la vérité. Et la volonté de provocation, Barbara l’a aussi à coup sûr. Après, il est vrai que la musicalité est différente. Une chanson comme La Mort, de Barbara, une de mes préférées d’ailleurs, est complètement gothique. Sa musicalité est très étrange, il y a des accords de synthé, l’atmosphère incroyable... Mylène Farmer aurait très bien pu chanter ça, elle aurait sans doute mis une rythmique différente ce qui en aurait changé la couleur. Je pense que Mylène Farmer est l’héritière de Barbara. Peut-être sa seule héritière...

Son inceste, Barbara a essayé de composer avec, elle a même fait une chanson qui s’appelle Amours incestueuses, issue d’un album du même nom paru en 1972. À cette époque, les gens étaient beaucoup trop inconscients de tout ça, maintenant on ne pourrait plus appeler un album comme ça. Et dans cette chanson elle dit : "Les plus belles amours / Sont les amours incestueuses"... Je pense que c’était là une façon d’inverser le dramatique de son histoire. Parce qu’il faut bien le vivre, alors parfois on essaie de le sublimer. Barbara n’a fait qu’un clip, question de génération, mais ceux de Mylène Farmer sont très axés sur Eros et Thanatos, l’érotisme et la mort qui sont les deux pôles du gothisme qui sera très présent dans la pop anglo-saxonne, puis chez les punks. Barbara a été pionnière en matière de gothisme musical, mais effectivement ceux deux-là traitent des mêmes thèmes, et personne n’avait vraiment réfléchi à ça...

 

 

Et la vie de Barbara, c’est quelque chose qui vous inspire, vous ?

Une source d’inspiration je ne sais pas, mais les réponses par rapport aux problèmes, que j’ai entendues et intégrées. L’intelligence de son regard sur la psychologie, aussi. Souvent, il m’arrive de penser à ce qu’elle dirait par rapport à telle chose, lorsqu’il y a un obstacle dans la vie. Elle avait tout compris du fonctionnement humain et devinait très rapidement comment fonctionnait quelqu’un, on ne pouvait pas lui cacher quelque chose à cette femme... Certains vont dans le mysticisme, Jean-Jacques Debout qu’elle était une voyante. Je n’irais pas jusque là, je suis plus intéressé par la psychologie que par la parapsychologie, je dirais simplement qu’il y avait une énorme intelligence et un art d’associer les choses. Il y a des gens qui devinent parce qu’ils maîtrisent cet art-là, c’est une question de vivacité d’esprit, de logique aussi. Et ça, ça m’inspire beaucoup parce que c’est très rare, ces personnes-là.

Sa vie elle-même m’inspire oui. À un moment, j’ai voulu écrire une pièce de théâtre inspirée d’elle-même. Il y a eu depuis le film d’Amalric. C’est difficile... un biopic ça ne me semble pas très intéressant, on va y rencontrer une forme de "religion"... Mais c’est un personnage exceptionnel, très riche et qui ne ressemble à aucun autre, à aucun niveau. Très inspirant !

 

 

Peut-être faudrait-il contrebalancer un peu, justement, le film d’Amalric, belle œuvre mais qui peut-être, charrie encore quelques clichés ou tend à statufier Barbara...

Sans doute. Après, il faut avoir les moyens. Être suivi par la famille aussi, ce n’est pas simple. Alors, je la fais connaître autrement. Autre chose : c’était quelqu’un qui était féministe sans le dire. Une féministe qui aimait les hommes. Dans chaque cause il y a des gens un peu extrêmes qui assument ces positions parce qu’ils espèrent faire bouger la cause. Dans son cas c’était une féministe qui aimait les hommes, elle disait d’eux d’ailleurs qu’ils l’avaient accouchée. Au lieu de faire des chansons sous forme de règlements de comptes sur la place de l’homme et de la femme, elle a toujours prôné naturellement sa liberté. Dans une chanson comme Vienne elle dit : "Je suis seule et puis j’aime être libre / Oh que j’aime cet exil à Vienne sans toi". Dans Dis, quand reviendras-tu ?, elle dit que si l’amant en question voyage tout le temps et ne la rejoint jamais, elle ira voir ailleurs avec ce vers très emblématique : "Je n’ai pas la vertu des femmes de marins". C’est une façon beaucoup plus efficace à mon avis d’être féministe que de prôner cette liberté. Elle ne se serait pas revendiquée comme "féministe", parce que les mots en -iste, ça n’était pas son histoire. Prôner cette liberté, ça permet de convaincre l’ennemi, parce que vous le séduisez en même temps...

Autre chose, qui sort un peu du cadre habituel, cette image un peu "bobo", convenue, d’un personnage surfait qui a des codes parisiens. Ce n’est pas ça du tout : elle était quelqu’un qui aimait bien se marrer, elle ne rentrait pas dans des cases. Songez qu’elle a chanté en duo avec Johnny Hallyday pour une émission des Carpentier, et c’est Jean-Jacques Debout (encore lui !) qui avait voulu créer l’évènement. Barbara et Johnny s’aimaient et s’estimaient énormément, d’autant plus qu’ils avaient eu tous les deux un problème par rapport au père (pas d’inceste mais un abandon côté Johnny). Ils venaient d’un milieu de saltimbanques et ont tous les deux vécu avec un père vagabond... Bref, c’est un peu marrant, la façon dont ils se sont retrouvés. Barbara ne supportait pas qu’on arrive en retard. C’était même excessif, j’imagine, parce que c’était à 5 ou 10 minutes près. Certains évènements professionnels n’ont pas eu lieu parce que des équipes sont arrivées avec 10 minutes de retard. Et donc, pour l’enregistrement, pour cette rencontre artistique provoquée par Jean-Jacques Debout, Barbara arrive au rendez-vous, et Johnny se fait attendre, donc elle commence à vouloir s’en aller... Et Debout a fait en sorte que l’ascenseur tombe en panne (rire), ce qui l’a contrainte à rester. Ils se sont finalement bien entendus, et il est allé chercher un bon Bordeaux pour la mettre à l’aise. Voilà pour l’anecdote qui tranche un peu avec l’image un peu sinistre. Souvent on dit, soit qu’elle était très désespérée, soit qu’elle était une grande farceuse. Comme tout le monde, il y avait des deux.

Une deuxième anecdote que j’aime bien. Nous sommes au début des années 80. Il faut savoir que Barbara aimait les potins, ça l’amusait beaucoup. Elle était amie avec Michel Sardou notamment - tout le monde ne va pas le dire, parce que ça ne fait "pas bien", alors que Sardou est quelqu’un de respectable qui souvent s’amuse à en rajouter. Elle voulait entendre ce que les gens du show biz disaient, parce qu’elle fréquentait peu ce milieu, surtout depuis qu’elle avait déménagé à Précy-sur-Marne, à une quarantaine de kilomètres de Paris. Donc, pendant que Michel Sardou dédicaçait des disques dans sa loge, elle s’est enfermée dans un placard. Elle écoutait, ça la faisait marrer, c’était une complicité entre eux bien sûr. Sauf qu’un soir Michel Sardou quitte les lieux, et il se rend compte une ou deux heures après qu’il a oublié Barbara dans le placard ! Ça ne s’invente pas...

 

Photos livre A

Barbara en couleur... Photos extraites du carnet central du livre d’A. Wodrascka.

 

Encore une fois, de quoi casser un peu cette image triste ! Vous avez déjà un peu à cela, mais quelles chansons d’elle vous touchent le plus ?

(Il hésite) Comme je l’ai dit tout à l’heure, ce serait plutôt celles des années 70, parce que je préfère sa façon de chanter de cette époque, et même sa façon de s’exprimer, plus actuelle. Il y a des chansons que j’aime beaucoup. Vienne, je l’aime énormément, elle concilie l’amour avec la description d’une ville magnifique, un texte d’une extrême poésie et en même temps, très simple. Une musique superbe, pour une chanson intemporelle. Mon enfance, parce qu’effectivement celle-ci joint l’intime et l’universel, le retour sur les "lieux du crime", son enfance, tout ce qu’elle a ressenti et que chacun peut ressentir, magnifiquement exprimé. Et, donc, La Mort, chanson très peu connue, pour son aspect gothique merveilleux, elle y décrit la mort comme un personnage surnaturel comme dans cette littérature-là. On touche au tabou suprême...

 

 

Mais elle s’en amusait un peu, vous le disiez, elle-même jouait un peu la petite sœur de Dracula...

Bien sûr. Sa façon de s’habiller, ses poses étaient très en relation avec tout ça. L’ambiance de L’Aigle noir est complètement gothique, il y a un lac, une voix avec plein de réverbes... Cette imagerie elle en jouait, mais elle disait aussi à qui voulait l’entendre qu’elle ne se baladait pas "avec un corbeau sur l’épaule".

 

 

Ce côté joueur de Barbara transparaît pas mal de notre échange finalement...

Oui, on pense toujours qu’elle est dépressive et que, posée devant un piano, on ne sait même pas si elle ira au bout de la chanson.  C’est un peu ce qui est véhiculé. Or, c’est quelqu’un qui avait un contrôle absolu sur tout : sa carrière, ses musiciens, etc... Elle avait vécu des choses difficiles, avait de vraies séquences de mal de vivre, c’est humain, mais elle était quelqu’un qui était dotée d’une grande force vitale.

Elle s’amusait à mettre en scène cet aspect gothique. Son album le plus gothique au niveau de l’aspiration, c’est La Louve, en 1973. On y trouve des chansons comme Le Minotaure, La Louve donc, Marienbad dans laquelle on retrouve le vers suivant : "C’était un grand château, au parc lourd et sombre / Tout propice aux esprits qui habitent les ombres"... Pas mal de chansons sont conçues selon cette esthétique. Ce qui est drôle, c’est que les textes ne sont pas d’elle mais de François Wertheimer, un homme plus jeune qu’elle avec qui elle était à cette époque-là. Et finalement il a été plus loin que ce qu’elle avait pu faire sur le plan de l’imagerie gothique. Il a pris l’esthétique gothique de Barbara et il l’a façonnée avec une culture plus grande qu’il avait sur ce terrain. Elle est complètement en phase avec ça. Écoutez Ma Maison, autre texte complètement gothique : "Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin / Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante". C’est donc par un autre qu’elle, un jeune auteur, qu’elle avait à l’époque sublimé cette esthétique. Il faut dire que Barbara avait du mal à écrire. Ses textes sont magnifiques, mais elle n’avait pas la facilité d’écriture que lui par exemple avait, il y a énormément de mots et d’images dans ses chansons. C’est du Barbara plus gothique que nature ! Avec évidemment, sa bénédiction.

 

 

Vous aviez écrit une bio précédente de Barbara qui s’intitulait N’avoir que sa vérité. Quelle est finalement la vérité de Barbara telle que vous croyez l’avoir comprise ?

C’est une bonne question... Sa vérité, c’est qu’il faut être soi-même à 300%, ne pas tricher. Il ne faut pas essayer d’aller contre les choses. Je reprends cette phrase citée au début et qu’elle m’avait adressée à un moment difficile de ma vie : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs". Toute sa vérité est là-dedans : s’il y a un obstacle dans la vie, il ne faut pas aller "contre" l’obstacle, mais "avec", faute de quoi on a une double peine, celle d’être embêté, et celle d’être embêté d’être embêté.

 

D’ailleurs dans son dernier album il y a une chanson qui s’appelle Le Couloir, il y a des choses angoissantes qui s’y passent, mais aussi des moments de vie et d’espoir, le cadre c’est un service de réanimation...

Oui, absolument. Et on revient là au gothisme. Barbara ne s’interdisait rien. Très peu de chanteurs et de chanteuses de sa notoriété se sont permis d’aborder des thèmes aussi durs avec une telle dureté. Le Couloir ou Fatigue, dans cet album de 1996, ce sont des textes qui sont à la limite de l’insoutenable, par rapport à ce que ça exprime. Mais du moment que c’était vrai, il fallait le faire, et c’était sans doute ça son souhait. Quand dans Le Couloir elle évoque "La chambre 12 qui s'en va", ça n’est pas rien...

 

 

Quel regard portez-vous sur son dernier album de 96, au passage ?

(Il soupire) En pensant à cette question, je pense aussi à Jacques Brel. On ne peut que les comparer, ils avaient un an de différence et étaient très proches, d’ailleurs ils se sont connus avant d’être reconnus. Leur démarche était similaire, comme leur conception de l’existence où il faut foncer carrément. D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’ils sont morts prématurément l’un comme l’autre. Sans doute n’étaient-ils pas faits pour vieillir... Ils ont connu des parcours de fous, en une vie ils en ont vécu cinq...

Le dernier album de Brel est paru en 1977, un an avant sa mort, même chose pour Barbara. Aussi bien le dernier album de Jacques Brel était un chef-d’œuvre, aussi bien ne dirais-je pas la même chose de l’album de Barbara, pour plusieurs raisons. Elle a voulu être arrangeuse elle-même, or les artistes ont besoin me semble-t-il d’un regard extérieur. Les producteurs, les arrangeurs ont un rôle. Les arrangements, elle les faisait déjà pour la scène, et elle faisait ça très bien. Mais faire du studio c’est autre chose, et je trouve que les arrangements de cet album ne sont pas à la hauteur de ceux, par exemple, de ceux de Michel Colombier, son meilleur arrangeur à mon avis. C’est un peu une musicienne qui a fait des arrangements de chanteur. Les instruments, on ne les entend pas bien, et pourtant il y a des pointures. Je sais qu’au départ l’album avait été fait d’une certaine façon, avec un mixage traditionnel, et à la toute fin ça lui a pris, ça c’est Barbara, son côté un peu fantasque, impulsif, elle a refait toutes les voix les unes après les autres, très vite, et le nouveau mixage donne une voix très en avant, on n’entend quasiment pas les musiciens... C’est dommage. Il faut se souvenir qu’elle avait fait beaucoup de choses pour les autres, elle était allée visiter des prisons, et un de ses arguments a été de dire qu’il fallait une voix forte pour qu’on entende, les femmes dans les prisons notamment, ce qu’elle avait à dire. Moi je pense que cet album aurait pu être meilleur, il y avait la matière au niveau des chansons. Mais à la réalisation, il manque quelqu’un... Après, je respecte le choix de Barbara. Cet album était devenu autre chose, peut-être plus celui d’une femme qui s’occupait des autres que d’une chanteuse. Elle voulait se faire entendre plutôt que de faire quelque chose d’artistiquement bien léché, voilà.

 

Dans l’interview que j’ai faite avec Jean-Daniel Belfond il y a quelques jours, lui aussi insiste beaucoup sur la dévotion de Barbara pour les autres...

Oui, c’était toute sa vie de s’occuper des autres. Elle disait que si elle n’avait pas été chanteuse, elle aurait été assistante sociale.

 

Si par extraordinaire (hypothèse un peu gothique pour le coup !) vous pouviez là, les yeux dans les yeux, poser une question à Barbara quelle serait-elle ?

Je n’aurais pas de question à lui poser. Ou plutôt je lui demanderais si j’ai suivi le chemin qu’il fallait suivre. Je lui demanderais si le bilan, le mien, est bien par rapport aux conseils qu’elle m’avait donnés. Ai-je été à la hauteur de ce que j’ai entendu ?

 

D’accord... Peut-être aussi lui demander ce qu’elle pense de la manière dont on l’a statufiée, recréée, reconstruite ?

Je ne sais pas si ce serait si important que ça pour elle, finalement. Par rapport à sa génération, Brassens l’air de rien, derrière sa modestie légendaire, était très soucieux de sa postérité. Pour prendre quelqu’un de plus proche de nous, Michel Berger évoquait aussi la sienne à travers Starmania. Elle, à moins que quelque chose m’échappe, je ne l’ai jamais entendue évoquer cette chose-là, je crois qu’elle n’en avait absolument rien à faire. Donc je ne dis pas que ça n’est pas important, mais si à ses propres yeux ça ne l’était pas, alors... Une de ses phrases était : "On est tous des passants, l’essentiel c’est de passer le mieux possible". Mais je ne sais pas si les choses l’intéressaient une fois le passage fini...

 

 

Ce qui ressort de cette interview en tout cas, c’est cette idée qu’il faudrait recoloriser Barbara...

Lui redonner de la couleur bien sûr. C’était quelqu’un qui existait en couleur, elle était très vivante, très drôle. Encore une fois, quand on revoit ces archives en noir et blanc où elle chante Le Mal de vivre derrière son piano, avec un son qui d’ailleurs n’est plus celui qu’elle ferait 15 ans plus tard, on se dit que c’est dommage. Parce que le son ça existe. Elle a un son qui ne correspond pas aux archives des années 60, Barbara. D’ailleurs elle a réenregistré certaines de ses chansons, comme La Solitude ou Les Rapaces dans les années 70, avec des instruments différents, une coloration beaucoup plus pop. C’est important parce que sans cette mutation, il y a tout un public qu’elle n’aurait pas eu. Comme moi. La Barbara des années 60, je l’écoute parce que je connais celle d’après. Mais s’il y avait eu tout le temps ce personnage piano/contrebasse/accordéon tout le temps, je ne m’y serais pas intéressé parce que c’était vraiment d’une autre époque pour moi. Pas mon truc. Mais je pense que ça n’était plus son truc non plus, dans les années 70-80-90. C’est pour ça qu’elle a fait autre chose.

Elle a évolué, là où des gens de sa génération n’ont pas du tout évolué et sont restés à ce qu’on faisait avant 68. Je ne crois pas qu’elle écoutait les Beatles toute la journée, mais le fait est qu’ils ont révolutionné la pop mondiale, et de ce point de vue Sgt. Pepper’s est peut-être l’album le plus mythique dans le monde. Et il y a des gens qui ne se sont pas rendus compte de ça. Même au niveau de l’écriture, elle a évolué. Dans les années 60, elle évoque la solitude dans La Solitude. En 1981, elle évoque ce même sujet avec Seul, chanson qui donne son nom à l’album d’ailleurs. Ce n’est plus la même écriture, c’est beaucoup plus contemporain, il y a moins de mots, avec un synthé un peu bizarre... Elle était ouverte aux changements musicaux à tous les niveaux. Ils ne sont pas si fréquents, ces artistes qui évoluent. Je pense que Barbara ne serait pas devenue une légende si elle n’avait pas évolué. Elle serait devenue une nostalgie. On citait Gréco tout à l’heure. Dans ses déclarations publiques, Gréco était très en phase avec le monde. Musicalement, c’était très bien, très bien fait, mais très daté.

Jusqu’à la fin, Barbara a écouté ce qui sortait, elle s’intéressait. On en revient à l’aspect en couleur du personnage : elle a reçu deux Victoires de la Musique, une en 94, une en 97. Elle ne s’est déplacée pour aucune, mais dans une de ces cérémonies elle était en concurrence avec Ophélie Winter et Zazie. Barbara au téléphone avait dit qu’elle avait bien compris qu’on lui avait donné la Victoire de la Musique parce qu’elle était "la plus vieille", mais elle avait assuré qu’elle aimait beaucoup les autres chanteuses. Il y avait aussi Valérie Lemercier dans l’émission, elle avait improvisé une chanson qui s’appelait Poussin Coin-Coin. Et Barbara a exprimé son envie de continuer la chanson avec Valérie Lemercier, parce qu’elle trouvait pas mal qu’il y ait une chanson qui s’appelle comme ça. C’était sa dernière apparition médiatique. Et ça montre bien sa distance par rapport au show biz aussi, elle n’était pas dupe, elle considérait sincèrement que Zazie comme Ophélie Winter ne lui étaient pas inférieures, elle les respectait complètement. Et en même temps il y avait de l’humour.

 

 

Elle restait ouverte, curieuse des autres...

Exactement. Je pense qu’elle aurait aimé des gens comme Stromae, certains rappeurs comme Orelsan... Certains chanteurs de sa génération faisaient semblant d’aimer les rappeurs, mais chez elle la démarche était sincère. Bref, il ne faut pas la figer dans une époque, c’est quelqu’un d’intemporel. Les gens qui l’ont rencontrée gardent toujours un peu cette impression de personne très vieille et très jeune à la fois... On en revient au gothique, à une forme d’immortalité pour quelqu’un qui avait traversé le temps. D’ailleurs on peut dire qu’elle a eu 50 ans toute sa vie : elle n’a jamais eu recours à la chirurgie esthétique et a gardé un visage très lisse, même à la fin. Peut-être était-elle une créature surnaturelle finalement ?

 

Un mot sur ses passages au cinéma ?

C’était plutôt bien. Elle a joué sous la direction de Jacques Brel dans le film Franz. Et dans un film de Brialy qui s’appelait L’Oiseau rare. Dans ce film-là elle a complètement changé le scénario et les dialogues, elle a raconté sa vie à la place. C’est intéressant : elle devait y jouer le rôle d’une diva déchue, finalement elle joue un peu le sien. C’est très drôle, et très en couleur pour le coup. Je crois qu’elle n’avait de frontière ni dans l’humour ni dans la gravité. Elle bousculait les tabous naturellement, c’est son côté Rock’n’roll. Et en développant ça, je pense à Bashung. La nuit je mens, c’était déjà un peu du domaine de la folie. Elle, c’est quelqu’un qui a raconté la difficulté d’être, mais elle était tout sauf folle. Loufoque, fantasque, perchée si vous voulez, mais tout le contraire d’une folle. Tout ce que j’ai pu entendre sur le plan de la psyché sont des paroles de la personne la plus lucide, en phase avec les choses humaines qui soit.

 

 

 

Vos projets et vos envies pour la suite ?

Je prépare un livre sur Brigitte Bardot, avec sa contribution comme pour tout ce que j’ai fait en ce qui la concerne. Donc on passe du "B" à "BB". Parallèlement à mes concerts. Et je prépare un album qui sortira au printemps prochain.

 

Alain Wodrascka

 

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26 mai 2021

Jean-Daniel Belfond (l'Archipel) : « Pour favoriser la lecture, étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Alors que, crise Covid oblige, on a réévalué, classé même, les activités économiques selon leur utilité pour la société, les libraires, après s’être battus pour faire valoir la leur, ont à raison obtenu gain de cause : ils ont désormais le statut de commerces essentiels. J’ai la joie, pour commenter cette actu, et surtout, placer la lecture au coeur, de recevoir Jean-Daniel Belfond, fondateur et directeur des éditions l’Archipel, pour une interview inédite. Je l’en remercie et en profite pour saluer Christel Bonneau, qui a rendu cet échange possible, sa collègue Sarah qui m’a aiguillé vers elle, ainsi que Frédéric Quinonero, auteur régulièrement publié par l’Archipel et fidèle de Paroles d’Actu. Lisez, lisez encore, et vous verrez qu’à force, vous aimerez ça ! ;-) Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Daniel Belfond: « Pour favoriser la lecture,

étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Jean-Daniel Belfond

Jean-Daniel Belfond. Photo : Jenna de Rosnay.

 

Jean-Daniel Belfond bonjour. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a fait aimer les livres, et conduit à devenir éditeur ?

Fils d’éditeur, j’ai baigné dans le monde du livre depuis l’enfance, et croisé beaucoup d’écrivains.

J’ai travaillé trois ans aux éditions Belfond, à partir de 1988, pour apprendre les bases du métier, avant de créer en 1991 les éditions de l’Archipel, peu après que mes parents ont vendu leur entreprise au Groupe Masson. Belfond est du reste l’un des labels du Groupe Editis que nous avons rejoint en 2019.

 

L'Archipel

 

Quelle est l’histoire de l’Archipel, maison que vous avez fondée en 1991 ? Comment définiriez-vous son identité, quels traits communs au-delà d’une diversité revendiquée (« un archipel de collections, un archipel de livres »), et cette réponse sur l’identité serait-elle la même qu’il y a trente ans ?

Une maison d’édition c’est en effet à mes yeux un archipel de collections, une collection, un archipel de livres. Après le navire-amiral généraliste l’Archipel (fiction, essais, récits, biographies, guides…), j’ai donc créé au fil des années trois autres labels pour publier des livres visant des publics spécifiques : Écriture (1992) : romans et essais littéraires ; Presses du Châtelet (1995) : religion, spiritualité, bien-être ; Archipoche (2005) : ouvrages grand public au format poche, et Archidoc : ouvrages de référence au format poche. Une diversité en effet revendiquée avec un constant souci de qualité éditoriale, même pour les livre destinés à un large public. De nouveaux thèmes et collections sont apparus, mais l’esprit des débuts a perduré. Je m’interroge toujours avant la signature d’un contrat sur la conformité du livre aux thèmes intéressant l’Archipel, à notre capacité à lancer le livre et à le publier dans un contexte médiatique favorable.

 

Au départ, l’idée de cette interview m’est venue de la lecture de Promets-moi, papa, l’ouvrage touchant de Joe Biden. Le texte date de 2017 mais il est apparu en France, sous vos couleurs, cette année, après son investiture comme président des États-Unis. Joli coup : vous nous en racontez les coulisses ?

Un partie du travail de l’éditeur est de se propulser à neuf ou dix-huit mois de distance et de  se dire : lorsque nous publierons ce livre, serons-nous pertinents ? En l’occurrence, j’ai recherché les écrits du candidat démocrate parus en anglais ; nous avons acquis en juillet les droits de ce récit émouvant du challenger de Donald Trump, ainsi que ceux des mémoires de son épouse Jill Biden. C’était un pari, mais raisonnable : j’étais convaincu que Trump serait battu à la présidentielle.

 

Promets-moi papa

Promets-moi, papa, de Joe Biden (l’Archipel, mars 2021).

 

En quoi le métier d’éditeur, votre métier, a-t-il changé en trente ans ? Sur quels points son exercice est-il plus aisé, ou au contraire plus compliqué ?

Le métier n’a pas vraiment changé. Il y a d’un côté la nécessité d’avoir une entreprise bien gérée, en d’autres termes de publier des livres bien édités, bien soutenus par le distributeur et susceptibles d’intéresser un public assez large. De l’autre le désir d’accompagner des auteurs au fil des années et, si possible, d’élargir leur lectorat. Il y a toujours le plaisir de la découverte d’un texte qu’on voudra défendre, faire connaître. Ce qui a changé hélas c’est la baisse des mises en place et des ventes moyennes au titre, d’où la nécessité impérieuse de bien choisir les livres, bien les traduire, ou les peaufiner s’il s’agit d’ouvrages de commande d’auteurs français. Une chose est certaine : la qualité « paie ». Hier indépendant et aujourd’hui filiale d’Editis, le deuxième groupe français d’édition, nous n’hésitons pas à différer la parution d’un livre qui n’est pas au point sur le fond ou la forme ; voire à renoncer à publier (la chose est rare) si on n’arrive pas à un niveau de qualité qui nous satisfasse. J’ai toujours souhaité que le logo Archipel sur un livre soit garant pour l‘acheteur d’un bon niveau de qualité éditoriale.

 

« Une chose est certaine : en matière

d’édition, la qualité "paie". »

 

Comment avez-vous vécu, personnellement et sur le plan professionnel (je pense à vos éditions et au secteur du Livre en général), la crise Covid-19 et toutes ses retombées ? Quelles leçons en tirerez-vous ?

Une grande tristesse, en 2020, de voir souffrir le réseau des librairies, qui sont nos partenaires et sans qui nous n’existerions pas. Ensuite, on n’imaginait pas que l’entreprise continuerait à être aussi performante en télétravail, chose qu’on n’avait jamais expérimentée. C’est un métier qui se prête bien au travail à distance. Nous sommes dix personnes dans l’entreprise et bien sûr heureux de se retrouver en présentiel deux jours par semaine pour confronter nos points de vue sur les maquettes de couverture, les actions marketing... Mais sinon, nous sommes tous connectés, tous solidaires, disponibles pour échanger en visio. La crise aura changé, dans mon cas, à 180° mon sentiment sur le travail à distance.

 

Il y a un an, vous disiez pour Papier Culture l’importance, à votre sens, d’ « inciter les enfants à lire pour leur donner le goût de la chose imprimée ». Quelles idées, à l’ère du presque-tout-numérique, pour favoriser cela, au-delà de l’éducation, des initiatives individuelles ? Comment les maisons d’édition peuvent-elles, à leur échelle, y contribuer ?

Le covid de la lecture s’attrape dès 3 ou 4 ans, dès ce jour où on a le droit d’apporter à la maison un livre pris dans la bibliothèque de la classe. Ce covid-là n’a pas besoin de vaccin : il se diffuse dans le cerveau et génère des endorphines en la présence d’un livre, qu’il soit au format papier ou sur un écran. Tout ce qui peut être fait pour inculquer à l’enfant l’idée que lire est un plaisir doit l’être. Une idée : étendre le pass culture à toutes les classes d’âge, pas seulement aux ados de 18 ans. Il y a ce terrible no man’s land des 13-18 ans où les garçons, davantage que les filles, se détournent du livre, pour la facilité : l’absorption d’images sur les écrans. Pour promouvoir la propagation du covid de la lecture à cette tranche d’âge, une idée toute simple : encourager au collège la lecture d’un roman par mois, et la fourniture au professeur d’un résumé, dès la 6e. Attention : il faut proposer aux élèves des livres captivants. Ils resteront dans leur esprit toute leur vie, comme les pierres fondatrices d’un édifice. Un mal incurable et un formidable incitatif à en lire d’autres.

 

Êtes-vous vous-même un « gros » lecteur ? 100% papier, ou bien panachez-vous un peu avec du numérique ?

Durant l’année, je lis essentiellement « utile » : les manuscrits d’auteurs que l’on va publier, ou qu’on pourrait publier. Je lis sur écran les textes en anglais. Comme j’annote les textes en français, il est plus agréable et commode de disposer d’un manuscrit papier. En vacances, j’emporte les textes d’auteurs que j’aime pour leur talent de plume : Balzac, François Nourissier, Jérôme Garcin, Frédéric Beigbeder…

 

Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué, ceux que vous aimeriez inciter à découvrir ou redécouvrir ?

En trente ans d’édition, on a publié quelques romans hors du commun : L’Orgue juif, de Ludwig Winder (1993), K-Pax, de Gene Brewer (1995), Histoire de la poupée, d’Emile Brami (2000), À deux pas de nulle part, de Michel Embareck (2002), La Corde, de Stefan aus dem Siepen (2014). Ces auteurs n’ont pas à ce jour rencontré le succès public ; ce sont peut-être leurs romans qui resteront, dans cinquante ans, parmi les quelque trois mille titres parus dans notre groupe.

 

L'orgue juif

L’Orgue juif, de Ludwig Winder (Écriture, 1993).

 

Vous avez ainsi publié, en tout, quelque 3000 ouvrages. Et l’écriture ? C’est quelque chose qui vous chatouille, qui vous tente, ou pas plus que ça ?

Les auteurs ont horreur, et c’est normal, des éditeurs qui publient des livres. On devient tout à coup des rivaux alors qu’on est là pour les accompagner. Je n’ai écrit qu’un récit sur la chanteuse Barbara, en 2000. Bien sûr, j’aime écrire, et j’écrirai sans doute plus tard, quand je ne serais plus éditeur.

 

Barbara JD Belfond

Barbara, l’ensorceleuse, de Jean-Daniel Belfond (Christian Pirot Éditions, 2000)

 

Interview : 24 mai 2021.

 

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1 décembre 2019

« Ma Fête des Lumières... », par Yann Cucherat

Issu de et vivant dans la région lyonnaise, je n’ai finalement consacré que très peu des pages de ce site à l’ancienne capitale des Gaules, qui pourtant le mériterait à bien des égards. Je suis heureux de pouvoir réparer une partie de cette injustice avec la publication, ce soir, de cet article rendant compte d’un échange en deux temps avec Yann Cucherat. Ce Lyonnais d’origine, qui fut un grand champion de gymnastique, officie désormais en tant qu’adjoint auprès du Maire de Lyon pour les Sports, les Grands événements et le Tourisme. Je lui ai proposé d’évoquer par un texte de son cru la Fête des Lumières, célébration en sons et en couleurs construite autour de (mais pas en opposition à) la fête religieuse locale du 8 décembre (en vertu de laquelle, selon la tradition, les Lyonnais rendent grâce à la Vierge Marie d’avoir mis fin à une peste dévastatrice au milieu du 17è siècle). Au fil des ans, la Fête des Lumières est devenue de plus en plus populaire, attirant les foules bien au-delà de la ville, de sa région, ou même de nos frontières. Dans un second temps, j’ai interrogé M. Cucherat sur le bilan qu’il tire du mandat écoulé, sur les élections à venir et ses projets pour la suite. Je le remercie d’avoir joué le jeu dans les deux cas, et d’avoir accepté de se confier. Bonne lecture, et venez à Lyon... vous verrez, c’est bien ! ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

partie 1: le texte de Yann Cucherat

« Ma Fête des Lumières... »

La Fête des Lumières, ce fut pendant longtemps, pour moi, une seule et unique date : celle du 8 décembre… Lorsque j’étais enfant, seuls les lumignons scintillaient dans la constellation de notre belle ville, et sur les trottoirs gelés fleurissaient les sculptures de glace et les étals de marrons ou de vin chaud des commerçants… Les rebords des fenêtres s’illuminaient, quadrillant les chemins de la nuit noire et glacée, la féérie opérait, indéfectiblement, et poussaient tous les habitants au-dehors de chez eux, pour vibrer à plusieurs, ENSEMBLE, sous le ciel d’une chaleur fraternelle qui brillait jusque tard dans la nuit…

En venant faire mes gammes à la Convention gymnique de Lyon, j’ai connu par la suite l’excitation fébrile des premières sorties entre copains, après l’entraînement, dans une ville de plus en plus festive et enflammée, depuis l’indéfectible inscription embrasant la colline de Fourvière (‘Merci Marie’), en passant par l’enhardissement potache qui gagnaient certains d’entre nous, jetant des œufs ou de la farine sur les badauds s’entassant à Saint-Jean… Même l’Hôtel de ville, imposant édifice entouré de mille et un mystères, jouait le jeu lui aussi, orné de lueurs surplombant majestueusement une place des Terreaux résonnant de rires et de cris… Jusqu’à perdre ses amis pour de bon, à la moindre inattention, tant la foule se pressait au carrefour des festivités… Nostalgie d’une époque pourtant bien moins pratique : si vous égariez en route la moitié de l’équipe, impossible alors de se retrouver au simple détour d’un SMS… !

Jamais je n’aurais pu imaginer remplir les fonctions qui sont les miennes aujourd’hui, alors que l’esprit de la Fête se prolonge désormais sur plusieurs jours, drainant des flux de populations déferlant du monde entier, tandis que le savoir-faire lyonnais se propage lui aussi aux quatre coins du globe !

La Fête des Lumières est devenue une marque de fabrique, un rendez-vous immanquable, qui émerveille petits et grands, parfois pour toute une vie, aux confins de l’art et des technologies dédiées au service de la lumière, celle qui fait rayonner notre territoire sur la planisphère !

Et je suis on ne peut plus ému, et on ne peut plus fier, en tant qu’adjoint délégué aux ‘Grands événements’, de veiller à ce que l’esprit originel de cette célébration mythique, se fonde au mieux avec les attentes d’un futur qui se vit dès aujourd’hui, sous les yeux émerveillés des enfants qui reprendront le flambeau dès demain…

Yann Cucherat, le 26 novembre 2019.

 

Lumières 2018 1

Lumières 2018 2

Lumières 2018 3

Photos Fête des Lumières, le 9 décembre 2018, N. Roche.

L’édition 2019 se tiendra du jeudi 5 au dimanche 8 décembre.

 

partie 2: l’interview avec Y. Cucherat

Quel bilan politique et humain tirez-vous de votre expérience au sein de la majorité municipale de Gérard Collomb depuis 2014 ?

Je suis très fier de la politique sportive que je suis parvenu à mettre en place avec mes collègues. Parce qu’une ville qui bouge est une ville en bonne santé, je me suis moi-même mis en mouvement avec mes équipes pour proposer à tou(te)s les Lyonnais(es) une offre de qualité, tant au niveau de la pratique encadrée que de la pratique libre et informelle. Dans une période de contrainte budgétaire poussée à l’extrême, je suis également parvenu à maintenir le volume d’aides apportées, tant à nos associations sportives, qu’à nos athlètes de haut-niveau, voire même, à mettre sur pieds de nouveaux dispositifs financiers pour accroître ce soutien. Étant moi-même issu du tissu associatif local, j’ai pu prendre la mesure de l’engagement sans relâche de nos bénévoles, qui force mon admiration depuis toujours, encore plus aujourd’hui qu’auparavant. Et puis, quelle chance de travailler avec tous ces passionnés ou avec des acteurs tels que Jean-Michel Aulas, Olivier Ginon, Tony Parker, madame la ministre des Sports ou encore, Tony Estanguet, dans le cadre exaltant des J.O 2024 !!! Que de belles victoires à célébrer avec nos filles de l’OL, de l’ASVEL, ou avec une championne telle Melina Robert-Michon (vice-championne olympique de lancer de disque).

Quelle chance également d’avoir accueilli l’EURO 2016 ou encore la Coupe du monde féminine de football 2019….

En ce qui concerne la délégation ‘Grands événements’, j’ai également été verni de pouvoir mener une politique sur un territoire aussi riche de talents et de créativité que notre belle terre lyonnaise. Des événements nombreux, multiples, d’une qualité relevée, et des rencontres inoubliables avec des artistes de renom, qu’il s’agisse de James Ellroy, Brian de Palma, Francis Ford Copolla, ou encore Éric Cantona (car oui, Éric Cantona est un excellent acteur de théâtre)…

Et puis, et c’est la raison pour laquelle vous m’interrogez en premier lieu, la ‘Fête des Lumières’ ! En tant que Lyonnais pur souche, je ne pouvais pas rêver mieux que de me retrouver dans les coulisses de cet événement indétrônable dans le cœur de chaque Lyonnais, mondialement connu, indéboulonnable et unique au monde ! Quant à la délégation ‘tourisme’, qui m’a également été dévolue… Lyon a été désignée destination préférée en Europe sur les séjours courts, elle est classée 4ème au classement des destinations préférées des étrangers, capitale européenne du tourisme intelligent en 2019 avec Helsinki… Je suis comblé, et en plus nous y mangeons bien.

Donc oui, ce mandat politique a été d’une grande richesse au niveau professionnel.

Sur le plan humain, ce fut également riche en enseignement. Évoluer aux côtés d’une personne aussi brillante que le maire de Lyon Gérard Collomb m’a énormément appris. Après, c’est un milieu très difficile, dans lequel faire sa place n’est pas une mince affaire. Mais je viens du monde du sport de haut-niveau, et je connais les vertiges et les abysses du monde de la compétition.

Quel regard portez-vous sur les élections du printemps prochain à Lyon ? Avez-vous envie d’en être ?

Je soutiens Gérard Collomb, maire sortant, en tant que candidat à la Métropole et/ou à la Ville de Lyon, car je pars du principe qu’il est un candidat expérimenté, de grande qualité, ce qu’il a prouvé en transformant radicalement notre ville. J’ai envie de lui être fidèle tout comme lui n’a de cesse d’être fidèle à la Ville que j’aime ainsi qu’aux Lyonnais. Il est le seul à avoir une vision aussi pertinente des enjeux actuels et de la manière d’y répondre. Je ferai parti de ceux qui autour de lui proposeront un projet ambitieux pour notre ville.

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ?

J’en ai plein. En premier lieu, celui de poursuivre les politiques publiques que nous avons engagées en les adaptant aux enjeux de notre société en mouvement. Je souhaite également contribuer à la réussite des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et tout particulièrement de la gymnastique, ma famille sportive. Mais avant tout, j’aimerais parvenir à voir grandir mes enfants… Car entre la gym (je suis sélectionneur des équipes de France masculines), mon engagement aux côtés de Roxana Maracineanu (la ministre des Sports, ndlr) sur la question épineuse des ‘Cadres sportifs d’État’, ou encore, mes missions en tant qu’élu, j’ai parfois été éloigné de ma famille. J’apprends donc à répondre à mes objectifs et aux attentes de chacun, sans oublier les miens. C’est ça, ma véritable envie et mon véritable projet pour la suite…

Vos arguments pour inciter nos lecteurs, notamment parisiens mais pas que, à venir découvrir Lyon le temps d’un week-end ? ;-)

Paris est une ville incroyable. Lyon est une ville incomparable… Délicieusement mystérieuse, malicieusement dynamique, au patrimoine incommensurable, et cité internationale de la gastronomie de surcroît… À vous de voir, amis d’ailleurs… et si vous en doutez, je vous invite à venir passer un 8 décembre chez nous…

Interview du 28 novembre 2019.

 

Yann Cucherat©Muriel Chaulet

Photo de Yann Cucherat, par Muriel Chaulet.

 

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20 février 2024

Clément Lagrange : « C'est dans le rôle du messager que Florent Pagny se dévoile le plus »

Il y a trois mois et demi, je publiai sur Paroles d’Actu une interview avec Frédéric Quinonero, auteur que les habitués de ce site connaissent bien. Il venait de consacrer un bel abécédaire à un de nos chanteurs les plus populaires, Florent Pagny. De Florent Pagny, il est à nouveau question aujourd’hui, avec un ouvrage signé Clément Lagrange, auteur que j’ai connu en marge de mon entretien avec Benoît Cachin (il avait assuré l’iconographie de l’ouvrage de ce dernier sur Mylène Farmer). Ce nouveau livre, analyse détaillée de l’ensemble de la discographie de Pagny, s’inscrit dans la collection L’intégrale des éditions EPA - pour cette même collection, pour son "Cabrel", j’avais interviewé en octobre 2022 Daniel Pantchenko.

Bon, je vais arrêter un peu avec le name dropping, ça fait beaucoup pour une petite intro. La lecture de ce livre, fruit de pas mal d’heures de travail, plaira à coup sûr à celles et ceux, et ils sont toujours aussi nombreux, qui aiment Pagny. À recommander, sans aucun doute, en plus du livre de Quinonero, de l’autobio du chanteur, et bien sûr de l’écoute, à côté, de toute son œuvre. Merci à Clément Lagrange, pour nos échanges, et pour cette interview, réalisée mi-février. Florent Pagny, l’intégrale sera dispo dès demain, 21 février, dans toutes les bonnes librairies. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Clément Lagrange : « C’est dans

le rôle du messager que Florent

Pagny se dévoile le plus »

Florent Pagny L'intégrale

Florent Pagny, l’intégrale (EPA, février 2024)

 

Clément Lagrange bonjour, peux-tu nous parler en quelques mots de ton parcours, et aussi de tes premiers émois musicaux ?

Bonjour ! J’ai le plaisir de participer à des livres ou magazines depuis bientôt 20 ans, que ce soit en tant que documentaliste, iconographe ou auteur. J’aime beaucoup travailler avec un auteur, me mettre au service de son projet pour y apporter ce qui est dans mon champ de compétences. Je n’ai aucun problème à ne pas être au premier plan, bien au contraire même : je me suis épanoui dans ce rôle-là.

En dehors de quelques articles pour des magazines il y a un moment, le fait de signer moi-même seul tout un livre est plus récent : il y avait probablement une question de confiance en soi à régler. Pas sûr qu’elle le soit totalement, mais un petit bout de chemin a été fait !

 

Avant ce livre sur Florent Pagny, tu en as écrit un sur Céline Dion en 2020, et réalisé l’iconographie de celui que Benoît Cachin a consacré à Mylène Farmer (dont tu connais très bien l’œuvre par ailleurs) l’an dernier. Trouves-tu spontanément des points communs à ces trois artistes ? Qu’est-ce qui, a contrario, les distingue ?

Leurs carrières à chacun se calquent d’une certaine manière, ils ont tous les trois commencé plus ou moins à la même période, même si quand Céline Dion et Mylène Farmer chantaient déjà, il n’était pas encore question de chanson pour Florent Pagny mais plus de cinéma. Ils ont ce point commun d’être monté très haut et de n’avoir jamais été boudé par le public dans leur rôle de chanteur. Florent Pagny a bien connu le creux de la vague au début des années 1990, mais c’est une partie du métier qui l’avait lâché, pas le public !

Ce qui les distingue est probablement de l’ordre de la personnalité, et c’est très amusant de constater que c’est tout et son contraire ! On aime Florent Pagny comme on aime Céline Dion parce qu’ils sont un caractère entier et sont volontiers expansifs, très transparents. A contrario, si on aime Mylène Farmer, c’est beaucoup pour sa réserve, qui la rend d’autant plus attachante qu’on la sent elle aussi très sincère.

 

Céline Dion et la France

 

La maladie de Florent Pagny et celle de Céline Dion ont provoqué de forts élans de sympathie de la part de ceux qui les aiment et du public en général. Quel regard portes-tu sur cette séquence de leur carrière, et qu’est-ce que cela dit, justement, du lien que l’un et l’autre a établi avec son public ?

Passé le choc de l’annonce pour l’un et l’autre, il faut reconnaitre que ce sont des moments très forts. C’est délicat d’en parler car on manque encore de recul, même si Florent Pagny a donné des nouvelles rassurantes avant les fêtes avec l’espoir d’une rémission complète et que Céline Dion nous surprend avec quelques apparitions publiques qui envoient des signaux encourageants.

Le regard que je porte sur ce moment de leur vie à l’un comme à l’autre est qu’il est finalement dans la continuité du reste : d’autres pourraient se mettre en retrait et évoquer leur combat contre la maladie une fois qu’elle se conjugue au passé, eux font le choix de la partager avec le public, très certainement avec la conscience que leur propre expérience peut donner du courage à ceux qui en auraient besoin - et c’est tout à leur honneur - mais peut-être aussi un peu pour eux : Florent Pagny l’a d’ailleurs exprimé ainsi en déclarant que la vague d’amour qu’il avait reçue du public avait incontestablement contribué à sa guérison.

 

 

Ça a été quoi l’histoire de ton ouvrage sur la discographie de Florent Pagny pour EPA ? Pagny, quand as-tu commencé à l’écouter, à l’aimer ?

La collection L’intégrale des éditions EPA est une très belle collection qui parcourt la carrière d’un artiste francophone sous l’angle de sa discographie. Avant Florent Pagny, il y a eu Johnny, Francis Cabrel, Serge Gainsbourg, France Gall… bref, autant d’artistes aux longues carrières et à la discographie très riche. Le nom de Florent Pagny s’est imposé l’été dernier car le succès de son autobiographie parue au printemps 2023 a remis en lumière son parcours. Sa discographie est atypique puisqu’il aime alterner les albums de variété traditionnels avec des projets plus étonnants : en cela, ça a été un vrai plaisir de se plonger dedans.

Avant cela, j’ai le souvenir d’un 45-tours à la maison, au tournant des années 1980/1990, puis de l’album Savoir aimer, incontournable dans tous les foyers français. J’aimais beaucoup l’écouter à l’époque car j’y retrouvais des signatures que j’aimais par ailleurs : Obispo bien sûr, Zazie mais aussi Erick Benzi ou Jacques Veneruso. Et puis étant passionné de partitions, chez moi s’approprier une chanson passe beaucoup par lire sa partition, l’interpréter… et j’avais acheté le recueil de partitions de l’album Savoir aimer à l’époque. C’est une autre façon de rentrer dans le disque, ça permet de se construire un autre lien avec les chansons, peut-être plus intime.

 

Mais est-ce que réaliser un tel travail sur un artiste, un travail aspirant à l’exhaustivité, ne pousse pas fatalement à devoir écouter dans le détail tout ce qu’a fait l’artiste, peut-être jusqu’à l’overdose ?

La rédaction du livre s’est faite dans un délai assez court, en tout cas bien plus court que ce qui est habituel pour ce type de projet, donc il y aurait pu avoir ce sentiment d’overdose, mais non. Déjà parce que je n’y allais pas à reculons, mais aussi parce que la discographie de Florent Pagny prend plein de chemins différents ! Qu’il s’agisse d’un album symphonique, de reprises de Brel, d’une collaboration avec Maître Gims ou d’un projet dance, on n’écoute jamais la même chose.

Là où j’aurais pu avoir ce sentiment de saturation, c’est sur l’étape de documentation, en amont de l’écriture, où j’ai recherché puis écouté et visionné des dizaines et des dizaines d’interviews de la moitié des années 1980 à 2023. J’avais collecté une telle somme de documents que ça aurait pu donner le tournis, mais c’était indispensable d’avoir la voix et les mots de Pagny pour rendre vivant tel ou tel texte. J’ai échappé à cette overdose en fin de compte parce que quand bien même ça a été beaucoup de travail, il est très agréable à écouter s’exprimer et souvent surprenant, puisqu’il ne manie pas la langue de bois, loin de là !

 

 

Distingues-tu plusieurs périodes bien définies dans la carrière de Florent Pagny (collaborations majeures, colorations musicales, tranches de vie) ?

Oui, clairement. Le livre suit d’ailleurs ce découpage avec les débuts, où Pagny écrit et compose puis estimant avoir atteint ses limites dans le domaine, il se met au service d’auteurs-compositeurs qui renouvellent son répertoire. Bienvenue chez moi et Caruso constituent un réel tournant où le regard qu’on pose sur lui change, et le succès extraordinaire de Savoir aimer qui suit prolonge ce changement. À partir de là, Florent Pagny gagne non seulement une légitimité après laquelle il courait peut-être, mais surtout une liberté qui lui permet de s’épanouir pleinement en tant qu’artiste. Evidemment, cela se calque aussi sur sa vie personnelle.

La suite de sa discographie illustre justement cette liberté, qu’il s’agisse de projets étonnants pour un artiste de son rang ou d’albums nés tout à fait spontanément, avec de nouvelles collaborations notamment Calogero qu’il retrouve ponctuellement ou Marc Lavoine qui n’est jamais très loin.

 

 

Quels sont les titres de Pagny dans lesquels à ton avis il se dévoile le plus ?

Dur à dire, car outre le fait qu’il ne signe plus ses chansons depuis un moment, j’ai fait le constat qu’autant Florent Pagny n’est pas avare de sa parole et dit franchement ce qu’il pense, autant il reste un grand pudique dès qu’il s’agit de sujets plus personnels. Il cache d’ailleurs cette pudeur sous son côté "grande gueule" !

Il y a bien sûr des textes très personnels qu’il a signés dans ses premiers albums, mais je pense qu’ils appartiennent vraiment au passé. On n’est clairement pas la même personne à 60 ans qu’à 25 ans et ce qu’il a pu ressentir à ce moment-là au point de le coucher sur le papier n’a probablement plus le même écho en lui aujourd’hui, et c’est bien normal.

Depuis qu’il a abandonné l’écriture, Pagny se revendique régulièrement comme "messager" : il porte les textes des autres pour les amener jusqu’au public, où tout un chacun peut se reconnaître. L’image est très jolie, simple et sincère, et lui convient à merveille : c’est probablement dans ce rôle plus que dans une chanson précise qu’il dévoile vraiment qui il est.

Cela étant, quand il précise que Et un jour, une femme est le titre de son répertoire qu’il préfère et qu’il pense toujours à son épouse quand il l’interprète nous dit aussi qui il est.

 

 

Ceux qui, toi, te touchent le plus ?

Je fais partie de ceux qui sont infiniment plus sensibles à une composition, une production, une atmosphère qu’à un texte. Je ne mets pas de côté les paroles, mais ça me touche différemment.

Dans ce registre, j’ai toujours beaucoup aimé Dors. Et pour parler strictement de production, j’adore la reprise de Les parfums de sa vie qui me transporte !

 

 

C’est quoi la place particulière de Florent Pagny dans le paysage musical français ?

Incontestablement il a acquis une place unique au fil de sa carrière. Florent Pagny c’est en quelque sorte l’ami des Français. Il y a quelques semaines, il a même été consacré deuxième personnalité préférée des Français, toutes disciplines confondues, preuve non seulement de sa popularité mais aussi de l’empathie qu’il dégage.

 

Florent Pagny a récemment sorti des enregistrements de ses titres en duos, avec des vétérans de la chanson mais aussi avec de nouveaux venus. Sens-tu une filiation artistique entre lui et certains jeunes chanteurs ?

À ses tout débuts, Pagny avait l’image d’un ‘loulou’, un mot qu’on n’emploie plus : blouson de cuir, boucle d’oreille, mèche devant les yeux… D’ailleurs, avant la chanson, quand il jouait au cinéma ou à la télévision, c’était la plupart du temps pour incarner des jeunes voyous. En ce sens, aujourd’hui non, personne n’incarne cette image-là ou en tout cas ne s’en revendique. Les choses sont bien plus sages. En revanche, incontestablement il s’est entouré de toute la famille The Voice pour partager des duos sur cet album. Son rôle dans cette émission et le fait de convier autant d’artistes issus du programme prolonge son statut de messager qu’on évoquait il y a quelques instants en lui donnant une dimension supplémentaire, celle de la transmission.

 

Petit fantasme, on imagine un moment de duo rassemblant Mylène Farmer et Florent Pagny : quelle chanson de l’une, et quelle chanson de l’autre ?

Allons bon ! Voilà quelque chose qui ne m’avait jamais traversé l’esprit, je dois avouer ! Je cherche, je cherche mais pour l’un comme pour l’autre, je n’imagine rien donc je les laisse me surprendre !

 

 

Que t’inspire le tour Nevermore de Mylène Farmer ? Ton intime conviction : never more ?

Je prends toujours un grand plaisir à découvrir ses spectacles. Sur celui-ci, la direction musicale m’a un peu moins emballé, disons que j’y trouve moins mon compte sur la globalité. En dehors de ça, mon émerveillement est intact, j’aime toujours comment elle parvient à conserver une dimension très humaine au milieu d’un immense show.

Pour le reste, je dois avouer que je ne me suis jamais pris au jeu de savoir si oui ou non tel ou tel spectacle serait le dernier. Je les prends comme ils viennent. Je crois avoir compris que l’envie de celui-ci lui est venue très spontanément : rien n’est jamais gravé dans le marbre.

 

Trois adjectifs pour qualifier Mylène Farmer, Céline Dion et Florent Pagny ? Dont si possible, un en commun pour les trois ?

Mylène Farmer est inqualifiable (clin d’œil à l’une de ses interviews au JT de France 2 en 1996 : "Je préfère qu’on ne me qualifie pas !"), Céline Dion est hors-normes et Florent Pagny est résolument libre.

Tous les trois sont fondamentalement artistes, en ce sens qu’ils se servent de tout ce que leur art leur offre à la fois pour s’exprimer et pour partager. Je trouve ça merveilleux.

 

Savoir aimer

 

Quand on aime et quand on suit les artistes comme toi tu le fais, on n’a pas un peu le désir de faire ce métier-là ?

Oh lala, absolument pas ! Question de personnalité, déjà. Et puis un détail qui n’est pas des moindres : autant j’ai le bonheur d’avoir une excellente oreille musicale qui me sert à décortiquer ce que j’écoute, autant je suis incapable de produire une seule note juste ! L’oreille et la voix ne vont pas de pair chez moi…

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? Un nouveau projet Farmer je crois ?

On m’a souvent poussé à faire mon propre livre sur Mylène Farmer, c’est vrai et j’ai toujours repoussé l’idée, pour x ou y raison. Il y a une littérature conséquente sur le sujet, avec plusieurs livres qui paraissent tous les ans depuis des années et des années donc il faut trouver une idée qui sorte de l’ordinaire. Et là, en effet je suis en train de monter un projet éditorial autour d’une idée originale qui rassemble ce que j’aime - et que les fans aiment aussi - à savoir les petits détails et les anecdotes. C’est beaucoup de travail donc je croise les doigts pour que cela aboutisse. Et cela me permettra de retrouver les photographes de Mylène Farmer avec qui j’ai toujours eu beaucoup de plaisir à travailler au service d’autres livres !

 

Sur qui d’autre aimerais-tu pouvoir écrire à l’avenir ?

La collection "L’intégrale" manque de figures féminines jusqu’ici. Il y a sans doute quelque chose à creuser de ce côté-là… En écrivant sur la discographie de Florent Pagny, je suis quelque peu sorti de ma zone de confort, comme on dit, mais l’objectif a été tenu. Donc je suis prêt à retenter l’expérience.

 

Un dernier mot ?

Mon crédo : quand on aime la musique, on aime toutes les musiques !

 

Clément Lagrange

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10 avril 2024

Jean-Dominique Brierre : « Alain ​​​​​​​Souchon s'est longtemps vu comme étant 'absent au monde' »

Après Françoise Hardy mi-janvier, c’est un autre artiste emblématique, Alain Souchon, qu’on célébrera dans un mois et demi, à l’occasion de ses 80 ans. Demain 11 avril sort justement une bio fort intéressante qui lui a été consacrée par Jean-Dominique BrierreAlain Souchon, « La vie, cest du théâtre et des souvenirs » (L’Archipel). L’auteur, qui a déjà brossé le portrait de Johnny, de Ferrat, de Bob Dylan ou encore de Leonard Cohen, s’appuie ici sur un matériel précieux, unique : de longs entretiens qui lui ont été accordés sur la durée par Souchon himself. L’occasion de rendre hommage à un de nos auteurs et chanteurs les plus attachants, de ceux qui, l’air de rien, nous racontent le monde avec une implacable lucidité. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

>>> Foule sentimentale <<<

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (ITW : 10/04).

Jean-Dominique Brierre : « Alain

 

Souchon s’est longtemps vu comme

 

étant "absent au monde"... »

 

Alain Souchon, « La vie, cest du théâtre et des souvenirs »

(L’Archipel, avril 2024)

 

Jean-Dominique Brierre bonjour. (...) Dans votre livre sur Alain Souchon, vous racontez que c’est lui qui vous a contacté au départ : il avait lu votre bio de Fabrice Luchini, elle lui avait plu, il avait eu envie de vous le dire, et peut-être de faire quelque chose avec vous. Le début d’une relation particulière, qui va un peu au-delà de la « simple » interview ?

 

Ce n’est pas une simple interview puisque, pendant une année entière, nous nous sommes vus presque chaque semaine, à chaque fois deux heures. Au fil des semaines, une vraie relation s’est forgée. Je dirais une complicité.

 

Cette relation de confiance qui s’est établie, vous êtes-vous pris à espérer qu’elle devienne de l’amitié ? Ça vous est déjà arrivé avec d’autres « sujets d’étude » ?

 

Se pose le problème de la célébrité. La célébrité a tendance à fausser les relations. C’est pourquoi il serait imprudent de parler d’amitié.

 

>>> J’étais pas là <<<

 

Dans quelle mesure diriez-vous que son enfance, un peu instable parce que ballottée entre deux pères, deux familles pour deux cultures différentes, a contribué à forger en lui son sentiment d’être désaxé - ou mieux, « misfit » - par rapport aux autres et à la société ?

 

C’est ce qu’il explique à longueur de pages dans mon livre. Il dit même que s’il n’avait pas eu cette enfance tourmentée il n’aurait peut-être pas été chanteur. Il n’a jamais eu le sentiment d’être « un désaxé », plutôt d’être absent au monde.

 

Alain Souchon s’est cherché assez longtemps, avant même de déceler en lui une fibre artistique empreinte de sa sensibilité, et surtout d’oser la présenter à d’autres. Il aurait fort bien pu n’être jamais artiste, mais travailler de ses mains, dans la nature et avec plaisir ?

 

Oui, avant d’être chanteur, pour gagner sa vie, il a exercé différents métiers manuel : peintre en bâtiment, menuisier. Ce côté matériel lui servira par la suite à trouver des métaphores dans certaines chansons : L’amour à la machine, Caterpillar, Les filles électriques.

 

>>> L’amour à la machine <<<

 

La rencontre avec Laurent Voulzy, autre être timide, constitue le point de départ de ce qui restera probablement comme la plus belle et fertile « bromance » artistique de la chanson française. On présente souvent un peu rapidement Souchon comme l’auteur et Voulzy comme le compositeur, mais vous expliquez bien que c’est plus subtil que ça. Qu’est-ce l’un apporte à l’autre dans le fond ?

 

Quand ils font une chanson ensemble, il y a un échange constant entre Souchon et Voulzy. Par exemple pour des raisons de rythme de la phrase, Laurent peut demander à Alain de changer un mot. Celui-ci s’exécute.

 

Vous illustrez ce point à plusieurs reprises : souvent il a tendance à laisser le bénéfice du doute aux gens, à voir eux ce qu’il y a de bon, et ça lui a parfois été reproché. Misanthrope, on ne peut pas dire qu’il le soit ?

 

C’est Voulzy qui a tendance « à voir le bon chez les gens ». Souchon n’est pas vraiment misanthrope, je dirais plutôt lucide, pour ne pas dire désespéré.

 

>>> Allô, maman, bobo <<<

 

Point également bien documenté dans votre ouvrage, son agacement parfois face à une vision un peu biaisée qu’on peut avoir de lui. Par exemple, qu’on le voie trop uniformément comme un petit être fragile, sur la base d’une vision caricaturale de Allô, maman, bobo, alors que lui n’hésite pas à parler de sa virilité, de son goût pour les activités physiques. Est-ce qu’il a du mal avec l’image qu’il peut, comme toute vedette, renvoyer ?

 

Il a longtemps été agacé par l’image « d’homme fragile ». Il trouvait cela réducteur. Avec le temps il a compris qu’il était difficile de contrôler l’image qu’on renvoie. Ce n’est plus un problème pour lui.

 

Sa vision du monde, telle qu’il l’exprime dans ses chansons, est-elle à votre avis pessimiste, ou carrément désespérée ?

 

Plutôt sans illusions.

 

Françoise son épouse, ça aura été un pilier essentiel pour lui, y compris dans sa quête d’une confiance en soi ?

 

Elle l’a toujours encouragé, conseillé. Elle est sa première « auditrice » quand il fait une nouvelle chanson.

 

J’ai eu le privilège, fin mars, d’interviewer Serge Lama. Parmi les artistes qu’il admire, il a cité spontanément Cabrel et Souchon, qu’il admire, reconnaissant à ce dernier d’avoir su et pu créer un univers bien à lui. Vous diriez cela, que Souchon a créé un univers qui ne ressemble à celui d’aucun autre ?

 

Chaque chanteur a un univers spécifique. Celui de Souchon mêle mélancolie et élégance.

 

Il a été acteur un temps avant de revenir à la chanson. L’exercice lui a moins plu ?

 

Pour lui le cinéma cela a été surtout des rencontres importantes, avec des actrices notamment : Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, Jane Birkin. Mais il ne s’est jamais vraiment senti comédien. Il avait l’impression de tricher, c’est pour cela qu’il a arrêté.

 

C’est un poète Souchon ? Qu’est-ce qui au fond caractérise son art, sa place dans la chanson française ?

 

Lui même ne se considère pas comme un poète. C’est plutôt un « écrivain de chansons », un « songwriter », comme disent les anglo-saxons.

 

>>> Dix-huit ans que je t’ai à l’œil <<<

 

Quelles sont à votre avis les chansons dans lesquelles il se dévoile le plus, lui qui est si pudique ?

 

Dix-huit ans que je t’ai à l’œil, qui fait référence son père mort quand il avait quatorze ans. Ou encore J’étais pas là, sur cette absence au monde dont je parlais.

 

Qu’est-ce qui anime cet homme-là à votre avis ?

 

Exister grâce à ses chansons.

 

Alain Souchon aura 80 ans le 27 mai prochain. Ce serait quoi, le cadeau idéal pour lui ?

 

Pouvoir retourner quarante ans en arrière.

 

Trois qualificatifs pour brosser au mieux le portrait d’Alain Souchon, tel que vous pensez l’avoir compris ?

 

Nostalgique, élégant, taquin.

 

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23 août 2014

UMP : Paroles de jeunes militants

« Si l'on en croit un sondage récent (Le Parisien-CQFD-iTélé ; 10-11/07/14), un tiers des sympathisants UMP seraient désormais favorables à une dissolution du parti, une proportion qui aurait doublé en deux semaines. En cause : les révélations touchant au train de vie de certains des cadres de l'UMP et qui suivent de peu le scandale Bygmalion. Ce sur fond de difficultés financières majeures : la dette du parti s’élèverait à 74,6 millions d'euros... Les militants, eux, sont souvent déboussolés : le nombre de ceux à jour de cotisation est en forte baisse... Pour le député-maire de Nice, Christian Estrosi, 'le parti est déjà mort'. J'aimerais vous demander ce que vous inspire la situation de votre formation politique, savoir comment vous envisagez son avenir ? » Voici, sur la base de cette question que j'ai rédigée le 14 juillet dernier, quelques réflexions signées par de jeunes militants de l'UMP, ici disposées par ordre de réception. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D'ACTU

UMP : Paroles de jeunes militants

 

 

Pierre-Henri Bovis

Pierre-Henri BOVIS

P.-H. Bovis est adjoint au maire d'Achères (78) et délégué national des Jeunes populaires.

 

« Tout est à reconstruire »

 

Après la défaite aux présidentielles et la débâcle que nous avons vécue, il existe quelque chose de merveilleux : il y a tout à reconstruire. C’est un message d’espérance à adresser à nos militants et à tous ceux qui n’ont jamais franchi le pas. C’est le moment d’apporter sa pierre pour construire un nouvel édifice avec de nouvelles fondations, de nouvelles idées et une nouvelle dynamique.

 

À ceux qui ont profité de l’étiquette UMP pour être élus et qui aujourd’hui pilonnent le parti et ses responsables : il faut savoir se regarder dans une glace. Fuir l’orage sans l’affronter, c’est lâche, irresponsable et irrespectueux envers les militants et les électeurs qui vous ont accordé leur confiance. Les élus qui ne paient pas leur cotisation n’ont, quant à eux, plus rien à faire au sein du parti, selon moi.

 

Mon expérience de campagne me fait dire aussi qu’il faut laisser la place à la jeune génération, propre de tout soupçon. Elle a des idées, de l’ambition pour son pays. Que ce soit Nicolas Sarkozy ou un autre, le chef de l’UMP devra se rapprocher et s’entourer inéluctablement de la jeunesse, qui n’a pas été assez écoutée. Elle en a assez que l’on parle en son nom avec des idées qui ne sont pas les siennes.

 

Les Français veulent voir de nouvelles têtes prendre les commandes. Toutefois, c’est bien l’expérience qui fait la différence, et c’est pourquoi un Nicolas Sarkozy aujourd’hui me paraît tout à fait légitime pour reprendre les rennes.

 

C’est bien le politique qui doit ciseler l’opinion générale et non l’inverse ; je vois là l’une des difficultés de notre société, où l’inquiétude du passage devant les urnes force certains à adopter des positions parfois contraires à leurs convictions… La force des idées doit suivre la force des convictions pour mener une politique forte, sans peur ni crainte, sans tabou. La nouvelle génération saura y faire face.

 

Et s’il doit y avoir un nouveau parti, il faudra rebattre les cartes des dirigeants politiques avec un nouveau système qui inclue plus de transparence sur la gestion du parti et l’attribution de ses comptes. Une erreur, pas deux. Les jeunes du parti doivent être mieux considérés et avoir plus la parole. C’est à eux d’aller devant les urnes désormais, y compris sur les terres de reconquête.

 

La jeunesse n’est pas le monopole du Front National !

 

Propos recueillis le 24/07/14

Retrouvez Pierre-Henri Bovis sur Twitter, sur Paroles d'Actu...

 

 

Jonas_Haddad

Jonas HADDAD

J. Haddad est adjoint au maire de Bernay (27) et délégué national des Jeunes populaires.

 

« Nous devons nous réinventer »

 

Comme dans toute organisation, il peut exister des déceptions, des désillusions même. Pourtant depuis cet été, il me semble que l'UMP a retrouvé de l'attrait, peut-être tellement d'attrait que les candidatures se multiplient...

 

Au-delà de ces questions de personnes et d'ambitions, la vacuité tient lieu de programme au Gouvernement et l'incantation est le seul levier du FN.

 

En réalité, je sens à Bernay, comme ailleurs en France, que nos concitoyens seront extrêmement exigeants à l'égard de l'UMP et ils ont raison : nous devons nous réinventer.

 

Comme Refonder la Droite, de nombreux groupes de réflexion se créent à l'initiative de la nouvelle génération. Tous ces projets me rassurent pleinement sur notre capacité à recréer un projet 2.0 pour la France : modernisé et mieux connecté aux réalités du pays !

 

Propos recueillis le 21/08/14

Retrouvez Jonas Haddad sur Twitter, sur son site, sur Paroles d'Actu...

 

 

Pierre_Gentillet

Pierre GENTILLET

P. Gentillet est président des Jeunes de la Droite populaire.

 

« L'UMP devra clarifier sa ligne »

 

Clairement la situation n'est pas au beau fixe. Notre parti traverse une crise très grave, sur le fond comme sur la forme.

 

Sur le fond, le parti est entaché de scandales financiers, mais aussi d'une dette colossale, de plus de 70 millions. D'après moi, la vraie crise n'est pas là. On a voulu nous faire croire que les problèmes liés à la gestion du parti étaient la raison du score décevant de l'UMP aux européennes. En réalité, on a exigé la tête de Copé pour éviter de regarder la vérité en face. La raison essentielle pour laquelle nous avons fait un score si décevant, il faut bien le dire, c'est la ligne idéologique adoptée au moment des élections. Notre électorat attend depuis plus de dix ans une véritable politique de droite, c'est à dire gaulliste, souverainiste et réformiste. C'est cette politique-là que nous aurions dû mener au moment des européennes pour arriver en tête. Au lieu de cela, nous avons préférer mener la campagne sur une ligne centriste, libérale et euro béate. Au final, la droite a fait 20% et le Front national a atteint 25%.

 

J'aurais beaucoup aimé que nous puissions avoir à l'UMP un débat sur les raisons de cet échec, il faut bien le dire, aux dernières élections européennes. Au lieu de cela, on s'est contenté de remercier Jean-François Copé.

 

L'avenir de l'UMP ne doit pas passer par des règlements de comptes et de l'étalage d'ambitions personnelles. Les Français s'en moquent complètement. Ce qui les intéresse, c'est de savoir comment on va pouvoir changer leur quotidien, rétablir l'autorité et la souveraineté de l'État, résoudre les problèmes de chômage, d'insécurité dans des quartiers désormais assimilables à des territoires non-français, redonner à la France la place qui devrait être la sienne dans le concert des grandes nations, rendre les Français fiers de leur appartenance à la communauté nationale.

 

Hélas, on risque de se retrouver dans la même situation que la gauche en 2012. Les Français qui voteront UMP ne le feront pas pour les idées mais uniquement pour évacuer le pouvoir en place. À terme ce désamour croissant de la politique peut s’avérer fatal. L'UMP doit donc se repenser, clarifier sa ligne et choisir pour de bon entre une vraie politique de droite et une politique du centre. C'est à cette seule condition que nous récupérerons un véritable vote d'adhésion des Français.

 

Dans le cas contraire, notre parti, et la droite française, courront un grave et réel risque de disparition.

 

Propos recueillis le 22/08/14

Retrouvez Pierre Gentillet sur Twitter...

 

 

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Rémi TELL

R. Tell est conseiller délégué à la Jeunesse de Conflans-Sainte-Honorine (78).

 

« Les militants doivent

reprendre la main »

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à première vue, la situation de l'UMP n'est guère reluisante. Affecté par les scandales financiers, par la guerre des chefs, et par l'absence d'une ligne politique claire, notre parti semble être complètement exsangue. Nous avons beaucoup promis, mais très peu fait. Nous en payons aujourd'hui le prix. Ne nous voilons pas la face, notre famille politique est discréditée de ne pas avoir su répondre aux attentes de nos compatriotes, quand nous étions encore aux responsabilités. Mais la crise que nous traversons est une crise qui, j'en suis convaincu, sera une crise salutaire. Et plus que jamais, il y a toutes les raisons de croire en l'UMP. C'est un parti d'avenir. Parce ce que c'est le parti de la jeunesse.

 

En mars dernier, ce sont des dizaines de jeunes maires, certains d'à peine 30 ans, qui ont été élus sous nos couleurs pour agir dans nos villes. Ils ont mis en place des équipes renouvelées qui apportent un grand vent d'air frais dans les localités de notre pays. Si nous avons perdu notre crédibilité au niveau national, nous déjà sommes en passe de la regagner au niveau local. L'UMP est un parti d'avenir, parce que c'est aussi une force militante considérable, Malgré les scandales, malgré leur écœurement légitime, les militants sont restés fidèles à leur engagement. Chaque soir, ce sont des centaines, des milliers d'entre eux qui vont à la rencontre des Français, qui vont frapper à leurs portes, distribuer des tracts dans leurs boites au lettres pour défendre leurs convictions. Ce week-end encore, ils étaient nombreux au campus du Touquet. Leur enthousiasme et leur détermination forcent le respect et l'admiration.

 

La crise, c'est donc celle de l'UMP d'en haut, pas celle de l'UMP d'en bas. Celle des cadres, pas celle des militants. Nous avons un grand rendez-vous à ne pas manquer pour cette année 2014, celui de la désignation de notre président lors du congrès de l'automne. Bruno Le Maire me paraît être le mieux à même de porter ce renouveau dont nous avons tant besoin. C'est un homme droit, sincère, et qui a démontré qu'il était capable de donner la parole aux jeunes, de leur donner une chance. Il est sans conteste l'homme de la situation, et a donc tout mon soutien dans cette campagne qui commence. Après viendra le temps du projet pour la présidentielle de 2017. Quelle France voulons-nous dans dix ans ? Voilà la question à laquelle il va falloir répondre. Les militants devront incontestablement y être associés, car si ils sont déjà le cœur et le poumon de notre mouvement, il est désormais temps d'en devenir la tête.

 

Propos recueillis le 30/08/14

Retrouvez Rémi Tell sur Twitter, en lisant son livre publié chez EdiLivre...

 

 

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4 février 2015

Alain Duverne : "Libérons-nous de nos attaches affectives d'enfance !"

   Il y a deux ans, Alain Duverne, géniale « maman » des Guignols (le papa étant Alain de Greef, pour qui n'aurait pas suivi), m'offrait par ses réponses un des plus beaux articles de Paroles d'Actu. Ses mots nous contant la naissance, la vie de ses enfants de latex (et pas mal d'à-côtés), la tendresse qui transpirait de l'évocation de son équipe m'avaient enthousiasmé autant que touché (c'est à moi, petit bloggeur amateur, qu'il a confié tout ça !). J'avais également été frappé, alors, par la liberté de ton, par l'indépendance d'esprit dont témoignait chacune de ses phrases (ou à peu près).

   Les discussions et débats ayant suivi l'effroyable massacre dont a été victime une bonne partie de l'équipe de Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier, ont souvent tourné autour de cette question vieille comme la caricature : « Peut-on rire de tout ? » On en a noirci, des pages, à disserter sur les contours « acceptables » de la liberté d'expression ; ceux, par exemple, touchant au blasphème. Alain Duverne, lui, a toujours eu à cœur de rejeter les tabous - et notamment ceux dont il considère qu'ils ankylosent la société.

   Je ne pouvais pas ne pas lui proposer quelque chose, ces jours. Le 1er février, j'ai invité Alain Duverne à rédiger pour le blog un texte qui serait une réponse, sa réponse personnelle à la question citée plus haut (« Peut-on rire de tout ? »). Le 4, il était dans la boîte (mail ; dans sa version définitive le 6). Je lui envoie ici tous les signes de ma gratitude. Et suis sûr que ses propos vont en intéresser, en interpeller plus d'un. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil DeferEXCLU

 

PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...

Alain Duverne: « Libérons-nous de nos

attaches affectives d'enfance ! »

 

Alain Duverne

Alain Duverne dans l'intimité du pape François. Source de l'illustration : Ouest France.

 

   Peut-on « rire de tout » ? Derrière cette question maintes fois posée, on entend en fait : « Attention, joyeux boute-en-train de fin de mariage, humoristes de choc, chansonniers, comiques de télé : malgré vos talents, vous risquez d’ébranler les blindages protecteurs d’un château de cartes d’illusions germés dans la petite enfance, enfouis ensuite dans l’inconscient et les labyrinthes des arrières-pensées, et enfin affinés dans les grottes des émotions et des attaches affectives.

   Avant l’âge de raison, l’affectif, c’est la voie royale de la petite enfance pour découvrir le monde. Elle est la seule. Sur ce mode affectif, le petit enfant ressent, de ses parents, un amour éternel, absolu et sécurisant. Dans la plupart des cas, l’avenir lui donnera raison ! Mais s’il exige plus tard la même montagne de bienfaits, même venue de son mari ou de sa femme, il y a de fortes chances qu’il vive une belle désillusion !

   Pour savourer ses émotions et ne plus en être esclave, l’enfant, en grandissant, doit donc s’armer de raison, de savoir et de lucidité, et il se stimulera d’attaches affectives seulement là ou sa raison le lui dictera. Ce choix lui permettra d’accéder à un quatrième pouvoir : l’humour. Plus question alors d’affectif, mais de sentiments. Avoir la maîtrise de nos sentiments c’est parfait, mais rester esclave du mode affectif et absolu de notre petite enfance c’est benêt.

   D’ailleurs, la langue française est perspicace : elle a utilisé le même mot pour l’affectif qui comble de bien-être la vie de l’enfant mais l’adulte ”affecté” est incapable de s’inventer des solutions souples, rationnelles et intelligentes devant l’obstacle, parce qu’il est resté englué dans ses attaches affectives.

   Les peuples, dans leur intégralité, n’ont jamais su s’armer d’assez de raison souple, rationnelle et d’intelligence. En échange, ils ont su inventer des attaches affectives pour la vie entière : il se sont inventés des dieux, des croyances absolues, des rituels, des religions, des dogmes, des recettes de vie prémâchées, qu’ils impriment dans les neurones toutes tendres des jeunes cervelles. Ces recettes affectives imaginaires sont des rails pour se tranquilliser toute une vie et ne plus se prendre la tête avec les déconvenues de la réalité. Des rails sans terminus, pour promener éternellement ses illusions affectives d’enfance, même au-delà de la mort.

   Voulez-vous vous libérer de vos névroses ? Chouette, les provocations des moqueries et des rires des humoristes, des auteurs perspicaces vont vous aider à faire le ménage dans vos affects. Mais si vous avez une trouille viscérale que ces rires vont vous faire dérailler de vos illusions, alors, restez soumis et attachés à vos rites, à vos dogmes religieux et attaches affectives.

   Les humoristes professionnels, édités ou vus à la télé, tous dans la pensée unique, sont censés mettre en lumière les défauts de ceux qui nous gouvernent et les problèmes présents de la société ; ils s’appuient sur le politiquement correct et les idées qui circulent dans la doxa, ils les mettent en exergue sur tous les sujets, même ceux qui fâchent, se contentent trop souvent de s’attaquer à des cibles consensuelles qui confortent leur auditoire dans leur auto-satisfaction. Seuls quelques savants libres-penseurs et philosophes donnent aux gens qui aiment penser, les pépites de leur stimulants d’esprit.

   En démocratie, il y a la liberté de s’exprimer. Même les oiseaux, les chiens, les poules s’expriment, mais la liberté de penser, surtout de penser contre la pensée unique et de l’exprimer, est de plus en plus contrôlée dans les rédactions, et sévèrement montré du doigt par une majorité de nos concitoyens.

   Peut on « rire de tout » ? À cette question, je préfère celle-ci : « Quels sont les blocages et les tabous très malfaisants dans notre pays que seul l’humour peut attaquer ? » Sur ce terrain, Charlie ne s’est jamais exprimé.

   Le premier tabou, la grosse tache affective française qui attache, c’est le bizutage rituel orthographique totalitaire et irrationnel qui dépouille les enfants d’un temps précieux dans leur initiation scolaire. Le pouvoir de nuisance névrotique de ce bizutage mental nationaliste est pire que la religion, parce qu’il est déguisé en culture. En fait, c’est un obstacle à la culture.

   Trois phrases pour commencer à réfléchir à ce tabou :

1 - La langue appartient au peuple, l’orthographe appartient à l’État.

2 - Les idées, les pensées de la langue française sont intelligentes, elles se traduisent universellement. En revanche, son code orthographique, grammatical et lexical alambiqué reste dans le fantôme de l’inconscient collectif hexagonal.

3 - « L’orthographe n’est ni réactionnaire ni progressiste, elle est tout simplement fasciste… le fascisme ce n’est pas empêcher de dire, c’est obliger à dire. » (Roland Barthes)

   À suivre… pour découvrir les autres tabous qui découlent de ce premier. On entend depuis peu des enseignants qui proposent d’ajouter ceci ou cela dans le programme scolaire, mais dans quelles matières vont-ils retirer des heures ?

 

Alain Duverne

 

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4 juillet 2016

« J'aurais tant aimé qu'il fût Président », Michel Rocard vu par Jean Besson

La disparition de l’ex-Premier ministre Michel Rocard (il officia à ce poste sous la présidence de François Mitterrand, entre 1988 et 1991), figure de la gauche dite « réformiste » en France et, jusqu’à la fin, infatigable militant pétri de convictions fortes, a suscité de nombreux hommages, y compris de la part de ses adversaires qui ont, a minima, reconnu de vraies qualités à l’homme. Le 3 juillet, j’ai proposé à M. Jean Besson, ex-sénateur socialiste de la Drôme (1989-2014) qui avait répondu à une longue interview pour Paroles d’Actu en 2012, d’écrire quelques lignes pour évoquer Rocard. Son texte m’est parvenu le lendemain, peu avant midi. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Photo Jean Besson M

« Ma photo : avec Rodolphe Pesce, lui aussi rocardo-mauroyiste, au milieu des années 80, accueillant Rocard

qui avait démissionné du Gouvernement Fabius et préparait sa candidature à la Présidentielle de 1988. »

 

« J’aurais tant aimé qu’il fût Président »

L’annonce de la mort de Michel Rocard me laisse un sentiment de très grande tristesse et le regret d’un destin inachevé.

Cet homme d’État restera comme une figure de la politique française, inventeur de la « deuxième gauche ». Il a été le premier à gauche à introduire la notion de rigueur financière. Un homme du siècle dernier mais tellement tourné vers l’avenir, qu’aujourd’hui encore ses idées sont non seulement d’actualité mais pourraient inspirer bon nombre de nos hommes politiques. Cette « gauche moderne », résolument réformiste, il l’aura conduite pendant trop peu de temps à Matignon entre 1988 et 1991. Mais assez de temps pour ramener la paix en Nouvelle-Calédonie et mettre en place le RMI et la CSG, pour ne citer que ses plus grandes réformes.

Je n’étais pas ce que l’on appelait un « rocardien » mais mes engagements à la CFDT m’ont naturellement conduit à être très proche de Michel Rocard. C’est un peu de la préhistoire politique et ceux qui n’appartiennent pas à ma génération ne comprendront pas trop de quoi nous parlons, mais disons que j’ai appartenu à ce qu’on a appelé à l’époque les courants rocardo-mauroyiste puis jospino-rocardien. Une anecdote : j’ai toujours eu parmi mes plus proches collaborateurs des rocardiens ! Comme militant socialiste et comme parlementaire je l’ai soutenu et j’aurais tant aimé qu’il fût président de la République.

L’amateur de voile qu’il était a aujourd’hui pris le large, il va manquer à la politique française et au débat d’idées.

par Jean Besson, sénateur honoraire

6 mai 2018

« Le nouveau monde, un an après », par Philippe Tarillon

Philippe Tarillon a été le maire socialiste de Florange (Moselle) de 2001 à 2014. De sa position d’observateur très au fait des questions démocratiques et de gouvernement, il a assisté comme nous tous à l’émergence objective, sinon d’un monde nouveau, en tout cas d’un paysage politique complètement recomposé suite à l’élection d’Emmanuel Macron. Militant, il a aussi assisté, dans la douleur, à l’effacement quasi total de sa famille politique, le PS, qui incarna quarante années durant la gauche dite de gouvernement. Comme il y a un an, après la fin de la saison électorale de 2017, il a accepté la proposition que je lui ai faite de coucher sur papier numérique ses réflexions quant aux douze derniers mois, décidément pas tout à fait comme les autres. Qu’il en soit, ici, remercié. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

E

E. Macron, président de la République. Source de la photographie : Atlantico.

 

« Le nouveau monde, un an après »

Par Philippe Tarillon, ancien maire

socialiste de Florange (2001-14).

Texte daté du 6 mai 2018. 

 

À la demande de Nicolas Roche pour Paroles d’Actu, je livre mes impressions un an après l’élection d’Emmanuel Macron.

C’est le regard d’un observateur engagé, socialiste déçu, meutri par certains choix et certains comportements, mais resté fidèle, toujours «  hollandais  » de cœur, malgré les déceptions d’un quinquennat que l’histoire jugera sans doute avec plus d’équité et qui ne peut se résumer au goût d’inachevé, voire de gâchis qu’on en a retenu.

L’an dernier, j’ai voté et avais appelé à voter Emmanuel Macron au second tour. Même s’il n’y avait pas de danger d’une victoire de Marine Le Pen au second tour, il était important, comme en 2002, que le score de l’extrême-droite soit le plus faible possible, ne serait-ce que pour l’image de la France. J’ajoute, plus localement, au vu du score élevé que le FN avait obtenu au premier tour dans ma commune, que je ne voulais pas que Florange fasse, à nouveau, la une des medias en devenant une commune symbolique qui accorderait la majorité à l’extrême-droite. Nous avons pu éviter cela, même si le FN y a obtenu un score élevé, à plus de 41% au second tour. Pour en finir sur le local, je note que le barrage à l’extrême-droite n’a pas bénéficié, à la différence de ce que j’avais fait en 2002, du moindre geste républicain du «  plus jeune maire (filloniste) de France  », élu par le conseil municipal en décembre 2016.

« J’ai gardé un goût de cendre envers tous ces "barons noirs"

qui ont lâché le candidat officiel du PS, ont soutenu Macron,

allant jusqu’à quémander une investiture aux législatives. »

Contrairement à bien d’autres, je n’avais pas rallié Macron au premier tour, faisant campagne pour Benoit Hamon, quand bien même celui-ci n’avait pas été mon candidat au premier tour des Primaires de la gauche. C’était là aussi une leçon de loyauté, car, quand on est membre d’un parti politique, la moindre des choses est de soutenir son candidat, tout particulièrement quand sa désignation est le fruit d’un processus démocratique. J’ai gardé un goût de cendre envers tous ces «  barons noirs  » au sein de l’appareil socialiste, qui, plus ou moins discrètement, ont lâché le candidat officiel du PS, ont soutenu Macron, allant jusqu’à quémander une investiture aux législatives. Le comble est qu’aujourd’hui beaucoup de ces gens continuent à tirer les ficelles au sein du PS et cherchent à se refaire une virginité en étant, selon la formule consacrée, «  plus à gauche que moi, tu meurs  ».

Au-delà du principe de fidélité, j’avais refusé au premier tour à la fois les sirènes macroniennes et l’impasse mélenchoniste, ce que le candidat de La France insoumise avait appelé la tenaille.

Je n’insisterai pas davantage sur le rejet de l’illusion tribunitienne de Jean-Luc Mélenchon car elle représente une impasse totale dans un contexte européen que la France ne peut ignorer, sauf à tourner le dos aux réalités. Même si la France n’est pas la Grèce, Tsipras a illustré ce qu’il en coûte d’aller dans ce sens.

« Macron partage sur bien des points le logiciel

idéologique de la droite, qui est devenu, il faut bien

le reconnaître, l’idéologie dominante. »

Le sujet de ce papier, c’est Macron, puisque c’est lui qui détient tous les leviers du pouvoir jusqu’en 2022. J’ai refusé à l’époque sans hésiter ses «  sirènes  », au-delà d’un discours souvent habile et d’une campagne dynamique. Je l’ai récusé en prenant en compte la réalité d’un programme d’inspiration libérale, et disons-le, partageant sur beaucoup de points le logiciel idéologique de la droite, devenu, il faut bien le reconnaître, l’idéologie dominante. C’est une pensée où le mot «  réforme  » devient synonyme de régression sociale, où les droits nés de longues luttes sont décrits comme des archaïsmes voire des privilèges, ou bien encore, au service public, on préfère la concurrence, naturellement «  libre et non faussée  ».

De ce point de vue, je reconnais à Macron qu’il ne m’a pas déçu. Il applique son programme et sa politique est à l’image de celui-ci  : «  et de droite, et de droite  ». Cela est particulièrement vrai pour la politique fiscale, qui, entre l’augmentation de la CSG qui touche durement de petits retraités et les nombreux «  cadeaux  » faits aux plus privilégiés, ont établi durablement l’image d’un «  Président des riches  ». Il en est de même pour la politique sociale, où les Ordonnances sur le code de travail poursuivent le chemin hélas ouvert par la loi El Khomri, au nom de la flexibilité.

Certes, le macronisme n’est pas que cela. Je reconnais au Président qu’il est brillant et volontaire, qu’il est un bon tacticien, avec le sens de la formule. Son «  en même temps  » et son «  ni gauche, ni droite  » ont bénéficié d’un contexte où l’un et l’autre camp qui ont alternativement gouverné le pays depuis près de quatre décennies souffrent d’un profond discrédit, semblent avoir échoué les uns et les autres et ont été incapables de renouveler à temps leurs visages et leurs discours.

Emmanuel Macron n’est pourtant avant tout que le produit de circonstances exceptionnelles, au point qu’on a pu parler d’un alignement des planètes. Qui aurait pu imaginer François Fillon englué dans les affaires ou encore François Hollande empêché de se représenter, ouvrant ainsi la voie à jeune candidat encore inconnu deux ans auparavant ?

Quant au rejet du clivage droite-gauche, opportun au regard de la perception de l’opinion publique pour qui il s’est peu à peu brouillé, la formule «  ni de gauche, ni de droite  » me fait naturellement penser à ce qu’en disait dès 1925 le philosophe Alain (1868-1952) : « Quand on me demande si la division entre partis de droite et de gauche, entre gens de gauche ou de droite, a encore une quelconque signification, la première chose qui me vient à l’esprit est que quiconque pose la question n’est certainement pas de la gauche.  » (Éléments d’une doctrine radicale).

« Sur le plan sociétal, il ne semble pas que ce soit clairement

tranché entre une ligne progressiste, et la tentative d’apaiser

les franges les plus conservatrices de l’opinion. »

Dans d’autres domaines, les choses sont plus nuancées. Sur le plan sociétal, il ne semble pas que ce soit clairement tranché entre une ligne progressiste, prolongeant ce qui a été acquis lors du quinquennat Hollande et la tentative d’apaiser les franges les plus conservatrices de l’opinion, comme en témoigne le stupéfiant discours du président de la République devant les évêques de France. L’Assemblée nationale vient en outre d’adopter un texte qui fait, dans presque tous les domaines, reculer les droits des migrants et des demandeurs d’asile. Ce texte a d’ailleurs, pour la première fois, réveillé quelques consciences au sein d’une majorité jusque-là aux ordres.

Il reste aussi à savoir, au-delà de la tactique, jusqu’où ira la moralisation de la vie politique. Les premiers textes sont clairement décevants, avec notamment une dose de proportionnelle annoncée mais qui sera très symbolique. L’Assemblée Nationale est muselée comme aux temps les plus classiques de la Vème République et il n’y aura pas de frondeurs chez les Marcheurs. Le point-clé à mes yeux sera la volonté de mener à bout la limitation du cumul des mandats dans le temps, qui permettra un profond renouvellement de la classe politique.

J’ajoute enfin qu’il est des domaines où l’action, ou au moins le discours du Président de la République, suscitent un réel intérêt. Il a su par exemple trouver les mots pour que soit mené à terme le processus dit de Matignon en Nouvelle-Calédonie. Il en est de même sur la relance de la construction européenne ou encore quand il faut faire preuve de fermeté, au moins symbolique, face à l’usage de l’arme chimique par le dictateur syrien. Cela ne veut pas dire que la politique étrangère et européenne de Macron suscite une adhésion d’ensemble, mais chaque avancée mérite d’être relevée.

Alors, quel futur pour le macronisme ?

Il faut d’abord dire qu’il continue à bénéficier du paysage politique qui a fait son succès de 2017. L’extrême-droite se remet mal de la prestation catastrophique de sa championne au second tour de l’élection présidentielle. La droite parlementaire a fait le choix du repli conservateur, incarné par la ligne Wauquiez, libérant ainsi un boulevard pour le centre macronien. La gauche est éclatée, entre un parti socialiste qui se remet difficilement d’une débâcle historique et une France insoumise, dotée d’un leader charismatique, mais tellement clivant qu’il ne saurait être le rassembleur capable de porter une stratégie d’alternance.

Du point de vue du mouvement social, face à des syndicats divisés et affaiblis, Macron semble réussir à faire passer en force ses réformes d’une ampleur, je dirai d’une brutalité inédite. Il bénéficie en outre de l’impact sur l’emploi d’une conjoncture économique plutôt favorable et des effets des mesures structurelles prises sous le quinquennat précédent en faveur de la compétitivité de l’économie.

« Sans réelle opposition forte, Macron jouit d’un contexte

très favorable. Cela étant, il serait bien inspiré de freiner

sa tendance naturelle à une certaine arrogance... »

Ce contexte si favorable ne devrait pourtant pas aveugler le président de la République, qui devrait freiner sa tendance naturelle à une certaine arrogance. À cet égard, il devrait méditer les leçons de la consultation récente du personnel d’Air France, qui semble montrer qu’il n’est pas forcément bon de chercher à contourner la démocratie représentative.

De même, il devrait cesser cette politique, certes engagée avant lui, consistant à étouffer la démocratie locale par le biais du garrot financier.

Emmanuel Macron est arrivé à la tête du pays avec une image de réformateur dynamique. Et pourtant, comme l’a dit le nouveau Premier Secrétaire du PS, Olivier Faure, «  on attendait Mendès-France, on a eu Giscard d’Estaing  ».

Nul ne peut imaginer où ira le pays dans la suite du quinquennat et au-delà. Il ne faut pas cacher qu’un profond mécontentement existe, d’autant plus inquiétant que, s’il s’exprime, il n’aurait pas de traduction syndicale et encore moins politique. La situation serait alors difficilement contrôlable et ferait le lit des populismes, des deux côtés de l’échiquier politique.

Le pire, heureusement, n’est jamais sûr. Mais pour l’éviter il serait bon que le président de la République ne s’abandonne pas à l’arrogance de ses succès, rééquilibre sa politique vers plus de justice sociale et redonne plus d’espace aux corps intermédiaires, au Parlement, aux contre-pouvoirs. Ce n’est pas ce qui dessine à ce jour, mais n’avons-nous pas le devoir de l’espoir et de l’optimisme ?

« Je ne désespère pas que puisse se reconstruire une force

de progrès qui aspire à gouverner le pays et à le rendre

plus juste, tout en tirant les leçons du passé... »

En ce qui me concerne, ayant donné la priorité de mon engagement politique à l’action locale, je ne désespère pas pour autant que puisse se reconstruire une force de progrès qui aspire à gouverner le pays et à le rendre plus juste, tout en tirant les leçons du passé. C’est loin d’être gagné et cela prendra du temps, beaucoup de temps. Cela vaut pourtant la peine d’y croire et d’y contribuer.

 

Philippe Tarillon 2018

 

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22 mai 2018

Olivier Gracia : « Gardons-nous de juger le passé à la lumière de la morale d'aujourd'hui. »

Olivier Gracia, essayiste passionné d’histoire et de politique, a cosigné l’année dernière avec Dimitri Casali, qui a participé à plusieurs reprises à Paroles d’Actu, L’histoire se répète toujours deux fois (chez Larousse). Quatre mains et deux regards tendant à éclairer les obscures incertitudes du présent et de ses suites à l’aune de faits passés. Une lecture enrichissante, en ce qu’elle invite à considérer avec sérieux une évidence : si l’histoire ne se répète pas nécessairement, mécaniquement, on perdrait en revanche toujours à négliger d’en tirer les leçons pour comprendre et appréhender notre époque. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 16/01/18 ; R. : 14/05/18.

Olivier Gracia: « Gardons-nous de juger

le passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. »

L'histoire se répète toujours deux fois

L’histoire se répète toujours deux fois, Larousse, 2017

 

Olivier Gracia bonjour. (...) Comment en êtes-vous arrivés à publier, avec Dimitri Casali, cet ouvrage à quatre mains, L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017) ? Et, dans le détail, comment vous y êtes-vous pris, pour la répartition des rôles et tâches ?

avec Dimitri Casali

J’ai rencontré Dimitri Casali lors du «  procès fictif  » de Napoléon Bonaparte organisé par la Fédération Francophone de Débat. Alors que je plaidais la défense de Napoléon avec une poignée d’avocats corses, Dimitri était membre du jury «  impérial  » aux côtés d’Emmanuel de Waresquiel. De cette première rencontre éloquente est née une véritable amitié intellectuelle et un premier ouvrage ! Nous sommes vus à plusieurs reprises depuis et avons manifesté ce souhait commun de confronter nos deux cultures afin d’écrire ce livre à mi-chemin entre la politique et l’histoire. Pour l’écrire, nous avons débattu de longues heures tout en échangeant nos différentes conclusions écrites.  

 

Tout l’objet de votre livre est de démontrer que l’histoire, bien loin de n’être que la science de ce qui a été, doit être un outil censé nous éclairer sur ce qui pourrait advenir. À notre charge alors, d’œuvrer à éviter de reproduire le mauvais, et à favoriser ce qui a marché, en tenant compte des réalités du temps présent. Mais cela suppose un regard éclairé, empreint de toutes ces expériences justement, de la part des élites qui gouvernent notre monde, mais aussi de la part des citoyens qui votent. Sincèrement, et sans langue de bois, diriez-vous que les premiers et les seconds l’ont globalement, ce regard éclairé ?

les Français, leurs gouvernants, et l’histoire

Les Français sont de véritables passionnés d’histoire, il suffit d’observer le succès des émissions d’histoire et ou même des livres spécialisés. L’histoire de France, dans sa grande complexité, est néanmoins toujours victime de nombreux débats qui trouvent leur reflet dans l’actualité où nos anciens sont jugés à l’aune des moeurs et valeurs d’aujourd’hui, sans aucune remise en contexte d’époques suffisamment différentes pour en apprécier la diversité et la singularité. L’histoire se répète toujours deux fois met surtout l’accent sur les grands bouleversement de l’histoire contemporaine avec des outils d’analyse qui permettent d’en apprécier la redondance.

 

Question liée : dans votre livre, vous fustigez nos élites, notamment politiques, qui sont aujourd’hui incapables d’« inspirer » les citoyens, du fait d’une pureté d’engagement, d’une érudition admirable, qui les feraient rayonner positivement, mais qu’ils n’ont plus tout à fait. Est-ce que ce point, qui sans doute nous différencie des temps passés, contribue à saper notre respect pour le politique, et par là même l’autorité du politique ? Et quelles sont aujourd’hui, à votre avis, les personnes qu’on respecte et qui « inspirent » ?

les politiques comme source d’inspiration ?

Alexis de Tocqueville analysait très finement la déliquescence de l’Ancien Régime et la fin de l’élitisme aristocrate en écrivant : «  Une aristocratie dans sa vigueur ne mène pas seulement les affaires ; elle dirige encore les opinions, donne le ton aux écrivains et l'autorité aux idées. Au dix-huitième siècle, la noblesse française avait entièrement perdu cette partie de son empire  ». Les mots d’Alexis de Tocqueville sont toujours d’actualité avec ce sentiment que la classe politique se contente de «  gérer les affaires  », sans vision, sans inspiration et sans références fortes au passé. L’homme politique moderne est abreuvé de fiscalité et de sociologie électorale, il n’imagine plus le monde de demain, il le régente comme une entreprise.

 

Le système politique de la Ve République tel que façonné par de Gaulle, qui octroie au Président de la République des pouvoirs et une importance déséquilibrés pour une démocratie (une tendance aggravée par le quinquennat et la concordance des scrutins présidentiel et législatif), ne nous enferme-t-il pas dans une quête permanente, et sans doute illusoire, d’homme providentiel en lieu et place d’une hypothétique prescience de l’intelligence collective (une sorte de « despotisme éclairé panaché de démocratie représentative ») ? Diriez-vous de la République version Ve qu’elle est, tout bien pesé, un point d’arrivée honorable et globalement satisfaisant eu égard aux multiples expériences de gouvernement tentées depuis la Révolution ?

la Vème République, compromis ultime ?

Emmanuel Macron a eu le courage et l’honnêteté de dire que «  la démocratie comporte une forme d’incomplétude  » et qu’il y a «  dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Cet absent est la figure du Roi  » tout en reconnaissant qu’on a essayé de réinvestir ce vide pour y «  placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste.  » En cela la Ve République cherche à réinvestir ce vide depuis la mort du Roi, en plaçant la fonction suprême un arbitre au dessus de la mêlée, d’essence quasi-royale mais avec une élection au suffrage universel afin de conférer un esprit presque providentiel à ce nouveau monarque. Les Français, du fait de leur histoire monarchique, sont exigeants et cherchent une personnalité forte. Par la formule politique d’une République mi-présidentielle, mi-parlementaire, le Général de Gaulle a élaboré un régime de synthèse à mi-chemin entre l’incarnation monarchique et la souveraineté populaire.

 

Autre point (lié ?). Depuis 1981, il y a eu neuf renouvellements de l’Assemblée nationale en France, mais la majorité sortante n’a été reconduite qu’une seule fois (la droite, en 2007). C’est beaucoup plus chaotique que dans, à peu près, toutes les démocraties normales. Est-ce là le signe d’un malaise réel, d’une inconstance, voire pourquoi pas d’une immaturité spécifique des Français vis à vis du politique et de « leurs » politiques ?

alternances et (in)stabilité

L’important nombre de transitions politiques est aussi le fruit d’un malaise idéologique où les électeurs se reconnaissaient simultanément dans les valeurs de gauche et de droite, avec une volonté constante de sanctionner l’échec d’une majorité par le vote d’une nouvelle. Le génie politique d’Emmanuel Macron est d’avoir fait converger toutes les aspirations républicaines, de gauche comme de droite au sein d’un même élan politique qui s’affranchit des ruptures idéologiques, qui selon lui, n’avaient plus lieu d’être, afin de créer un mouvement pragmatique, qui a pour mot d’ordre de mettre la France en marche vers plus de modernité, plus de croissance et plus d’optimisme. Le succès d’Emmanuel Macron est la suite assez logique d’alternances politiques, aussi incohérentes qu’infructueuses qui trouvent enfin un point de convergence. Le quinquennat d’Emmanuel Macron est en quelque sorte le dernier rempart contre une victoire possible des extrêmes.

 

(...) Les bémols de rigueur ayant été posés sur la personnalité et les inclinaisons du Président, est-ce que vous considérez qu’il incarne raisonnablement l’État, qu’il représente correctement la France et les Français ? Qu’il a su trouver, davantage peut-être que ses deux prédécesseurs, l’équilibre entre figure du monarque constitutionnel et premier gouvernant ?

le cas Macron

Contrairement à son prédécesseur François Hollande, Emmanuel Macron a un sens de l’histoire et une idée assez précise de ce doit être un Président ! Il en comprend l’essence monarchique et le prestige. En cela, Emmanuel Macron incarne raisonnablement l’État et représente assez bien les Français, qui perçoivent en lui les qualités d’un véritable chef d’État. Si le Président Macron réussit tout ce qu’il entreprend grâce à un double discours gauche-droite assez redoutable, il est fort à parier qu’il fera un second mandat.

 

Est-ce qu’on a besoin, nécessairement, d’un storytelling collectif puissant (le roman/récit national ?), sous peine d’en voir d’autres, plus segmentants et pas toujours bien intentionnés, prendre le pas chez certains esprits paumés (les embrigadés « chair à canon » qui se sentaient n’être "rien" mais à qui  Daech a vendu du rêve, par exemple) ? Si oui, n’est-ce pas (on y revient) un signe d’immaturité, en cette époque censée être éclairée ? Ou bien y a-t-il, de manière plus profonde, et diffuse, une espèce de perte de sens, de « crise de foi » que l’idéal républicain, à supposer qu’il existe toujours, ne parvient plus guère à combler ?

storytelling national

Jean-Michel Blanquer est le premier à dire qu’il faut réapprendre aux Français à aimer la France par l’enseignement d’une histoire équilibrée et non culpabilisante. L’idéal républicain d’aujourd’hui n’est plus aussi fort que celui que nous avons connu sous la IIIe République où l’enseignement rigide et minutieux des hussards noirs avaient su convaincre les citoyens d’une appartenance forte à une communauté nationale !

 

On ne va pas regretter, bien sûr, les heures sombres des mobilisations générales (1914, 1940), quand tout un pays se mobilisait comme un seul homme autour d’une cause, la défense de la patrie et de la nation. Mais on peut constater qu’aujourd’hui, l’individualisme est de plus en plus ancré : il n’est guère plus que les grands événements sportifs (finale de coupe du monde de foot), les grands drames (les attentats de 2015-16) ou les deuils nationaux (Johnny Hallyday) pour donner, un moment, cette impression de communion à l’échelle de la nation. Que recoupe aujourd’hui, dans la réalité des faits, le principe de « fraternité », fondement de notre devise ?

derrière le principe de fraternité ?

De la liberté, l’égalité et la fraternité, la liberté est de loin le principe le plus palpable, le plus réel ! C’est seulement en 1848 que le principe de fraternité est inscrit dans la constitution. Les jacobins préféraient la devise : «  liberté, égalité ou la mort  ». L’idée républicaine de fraternité est née lors de la révolution de 1848 qui avait une vocation redoutablement sociale ! Le principe de fraternité est néanmoins un principe vivant, qui a du sens pour tous les citoyens engagés dans des missions humanitaires, tant sur le sol français qu’à l’international. L’égalité est de loin le principe le plus utopique !

 

En 1789, la société d’Ancien Régime, de classes et de privilèges, laisse place, au moins sur le papier, à l’égalité civile entre tous les Hommes, devenus citoyens ; à une égalité de devoirs, de droits, et d’opportunités. L’égalité civile ne fait plus débat, mais pour le reste, au vu des inégalités inouïes de situations qui existent dans notre monde et au sein même de notre société, êtes-vous de ceux qui considèrent qu’il n’y a jamais eu autant « de boulot » qu’aujourd’hui ? Car, vous l’expliquez bien dans votre livre, l’ascenseur social (avec l’instruction publique)  fonctionnait mieux en d’autres temps…

l’égalité, vraiment ?

Si l’égalité civile est devenue une réalité, permise par les différentes grandes révolutions française, l’égalité sociale est une utopie difficilement conciliable avec l’idée d’un libéralisme économique. La IIIe République, par la force de son instruction élémentaire a permis l’émergence de grands talents issus de milieux modestes, Charles Péguy en est l’illustration la plus notable. Si l’école redouble toujours d’efforts pour permettre à chacun de s’épanouir dans la société, la mobilité sociale est aujourd’hui contrainte par une phénomène de reproduction des élites, tant dans l’administration que dans l’accès aux grandes écoles.

 

La France peut-elle encore tirer son épingle du jeu, faire entendre sa voix de manière déterminante dans un monde qui inquiète ? Vous êtes raisonnablement optimiste, vous qui vous faites on l’aura compris une « certaine idée de la France » ?

les chances de la France

Il faut être optimiste et ne pas sombrer dans une forme de déclinisme, réservée à quelques spécialistes ! La France a tous les atouts pour réussir, surtout dans un monde en constante ébullition. Si la France a perdu une grande partie de son empire économique, l’esprit français demeure et continue d’enchanter des générations entières au-delà de nos frontières naturelles. Il suffit d’observer l’indicible passion internationale pour des personnages comme Napoléon et Marie-Antoinette !

 

Où se trouvent aujourd’hui, au niveau global, les poudrières potentielles type « Sarajevo 1914 » qui pour vous, peuvent inquiéter ?

poudrières modernes

Elles sont nombreuses et constamment alimentées par les propos provocateurs et dangereux de Donald Trump, qui menace la sécurité internationale à longueur de tweet. L’Iran et la Syrie constituent des points de tensions où les conflits débordent déjà de leur contexte régional !

 

Si vous pouviez voyager à une époque de notre histoire, laquelle choisiriez-vous, et pourquoi ?

voyage ?

Excellente question ! Idéalement, la Révolution française, le Premier Empire ou même la Monarchie de Juillet ! Ce sont des périodes passionnantes de grands changements politiques et institutionnels.

 

Si vous pouviez vous entretenir avec un personnage du passé, quel serait-il ? Que lui demanderiez-vous ; que lui conseilleriez-vous, à la lumière de votre connaissance des faits à venir ?

intrusion dans l’histoire

Henri IV et Napoléon, le premier pour le prévenir de son assassinat imminent et le second pour lui révéler le désastre de la campagne de Russie. Henri IV est à mon sens le meilleur des Français et très certainement le plus grand Roi. Il avait un sens de l’État, une amitié toute particulière pour la paix et un contact chaleureux avec les Français. Il demeure toujours aujourd’hui le bon Roi Henri. Pour Napoléon, j’aime son audace et j’admire sa détermination ! Il est l’exemple le plus illustre de son fameux mot : «  Impossible n’est pas français !  »

 

Pour quels moments de faiblesse de notre histoire avez-vous, instinctivement, de l’indulgence ? Un regard de sévérité ? Et quels sont les épisodes de hardiesse qui vous inspirent la plus grande admiration ?

regards sur l’histoire

C’est toujours difficile d’avoir de l’indulgence pour les fautes ou les erreurs de nos ancêtres, surtout quand elles sont meurtrières et dévastatrices. Le rôle de l’historien n’est pas de juger l’histoire mais de l’interpréter à la lumière des pièces à conviction de l’époque. L’erreur est précisément d’aujourd’hui réinterpréter les comportements ou les décisions des hommes du passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. On a hélas l’impression que les hommes du passé sont jugés par un tribunal redoutablement contemporain qui jugent leurs crimes à la lumière de la législation d’aujourd’hui. C’est un exercice dangereux qui nous condamne à faire table rase du passé. L’exemple le plus frappant est celui de Colbert, qui est aujourd’hui traité de criminel ! Pour les épisodes les plus sombres, j’ai évidemment un regard critique sur la Terreur et les massacres à répétition, où des Français assassinent d’autres Français ! Pour les épisodes de hardiesse, je songe immédiatement au courage des résistants français qui ont pris les armes au mépris de leur vie pour défier et terrasser l’idéologie la plus effroyable de l’histoire de l’humanité.

 

Un mot, pour les gens, et notamment les jeunes, qui n’auraient pas encore pleinement conscience de l’intérêt (et aussi du côté agréable !) que peut avoir la connaissance des faits historique ?

pourquoi l’histoire ?

L’histoire permet d’en apprendre beaucoup sur soi et notamment pour savoir où l’on va. De façon assez paradoxal, connaître son passé, c’est mesurer son avenir ! Dans une période avec une forte perte de repères, l’histoire permet aussi d’apprendre le sens du courage, de la détermination et saisir le goût de la liberté !

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Olivier Gracia ? Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

projets et envies

J’aimerais me lancer dans d’autres projets littéraires dans l’idée de confronter toujours l’actualité et l’histoire afin d’en démontrer l’utilité ! L’histoire est un science vivante et mouvante.

 

Dimitri Casali et Olivier Gracia

 

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17 janvier 2019

« Président, voici ma réponse ! », par François Delpla (Grand Débat)

Avec sa Lettre aux Français diffusée massivement depuis le 13 janvier, le président Emmanuel Macron, mis en grande difficulté avec l’exécutif qu’il dirige et, dans une certaine mesure, l’ensemble de la classe politique traditionnelle, par la crise dite des "gilets jaunes", entend reprend la main et l’initiative. En proposant d’ouvrir en grand (premier débat ?) les fenêtres de la discussion, il espère apaiser les colères et miser sur les aspirations populaires à la (re)prise de parole, tant et tant exprimées ces dernières semaines, sur les ronds-points et ailleurs. Qu’adviendra-t-il des conclusions de ce "grand débat national" ? L’exercice est à peu près inédit, faut-il par soupçon le crucifier avant même de lui avoir donné sa chance ? À l’évidence, non. J’ai proposé à François Delpla, historien spécialiste du nazisme, citoyen engagé, et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer sa réponse au président de la République et, surtout, ses réponses aux questions proposées. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D’ACTU

« Président, voici ma réponse ! »

GRAND DÉBAT NATIONAL

 

Le premier sujet porte sur nos impôts,

nos dépenses et l’action publique...

 

"(...) Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les travailleurs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin. Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?"

1°) On convient en général que ce paragraphe exclut du "grand débat national" toute remise en cause de la suppression de l’ISF et des ordonnances sur le travail. Or il est singulier de placer ces dernières dans la rubrique "impôts" ! Cela porte un nom : la contrebande. Et mérite une explication : on n’aura pas trouvé, pour caser cet interdit, d’endroit plus adapté.

2°) Même si une majorité parlementaire servile s’est laissé, dans l’été 2017, dessaisir de ses prérogatives, il est singulier de prétendre que des mesures prises par ordonnance ont été votées. Une faute de frappe pour "volées" ?

3°) Il devient envisageable ou du moins il n’est pas interdit, même par ce dirigeant très imbu de lui-même, d’assortir les cadeaux faits aux riches et aux entreprises de conditions en matière d’emploi, ce à quoi s’étaient obstinément refusés le président Hollande et son conseiller économique, aux initiales identiques à celles de l’expression "en marche".

4°) Des mesures aux effets désastreux, reposant sur des analyses tendancieuses, contestées dès l’origine par des économistes compétents, ne doivent surtout pas être remises en question, du moins avant un "recul indispensable". La Liberté inscrite au fronton de nos mairies exige qu’on les laisse produire tous leurs dégâts. Leurs responsables sont, dans l’intervalle, dispensés de toute argumentation.

5°) La discussion sur la fiscalité se voit canalisée dans un sens unique : les citoyens sont invités à proposer des baisses et non des hausses d’impôts, pour quelque catégorie de contribuables que ce soit. Le fait d’engager plus de moyens, en personnel comme en démarches diplomatiques, dans la traque des fraudeurs fiscaux et le démantèlement de leurs paradis ne fait pas non plus partie des options proposées.
Cependant, un rééquilibrage entre l’impôt indirect, payé également par tous, et l’impôt direct, modulable en fonction des revenus, n’est pas frappé d’interdit : oubli, ou imprudente glissade vers plus de justice ?

 

Le deuxième sujet (...), c’est l’organisation

de l’État et des collectivités publiques.

 

"Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux" : précieux aveu du continuateur de Sarkozy et de Hollande... conseillé par Macron -un homonyme sans doute -, dans la baisse du nombre des fonctionnaires, au nom d’une logique comptable et sans la moindre étude prévisionnelle de ses effets. Comme devait être homonyme celui qui déplorait que la politique sociale coûtât "un pognon de dingue", et faisait fièrement fuiter vers les réseaux sociaux un enregistrement où il le disait.

Dans les solutions suggérées, on n’est pas trop surpris de ne pas trouver un mot sur le nombre des fonctionnaires, et de lire seulement de vagues considérations sur l’organisation de l’État.

 

La transition écologique est le troisième thème.

 

"Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses."

Quel aveu encore ! Ici, l’auteur ne cherche même pas à donner le change sur la politique déjà menée. En écrivant comme s’il partait de zéro, il donne raison à Nicolas Hulot d’avoir démissionné et ne prétend même pas que son successeur Rugy ait entrepris la moindre action.

S’agissant de l’avenir, les "solutions concrètes" se bornent au remplacement des vieilles voitures et des chaudières anciennes : on croirait lire les annonces faites en catastrophe par Édouard Philippe à quelques jours du premier samedi des Gilets, dans l’espoir d’étouffer le mouvement dans l’oeuf.

Puis il est question des "solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir" afin d’"accélérer notre transition environnementale". Le grand absent ici est l’aménagement du territoire, tant français que mondial, pour redéployer l’activité au plus près des habitants. Une question jusqu’ici ignorée des conférences internationales sur le climat. Dame, si les multinationales ne sont plus libres d’investir où cela leur chante, où va-t-on ? En attendant, ce sont les oiseaux qui chantent de moins en moins.

 

La lorgnette n’est toujours pas dirigée du bon côté lorsqu’on lit :

"Comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous devons faire [à l’égard de la biodiversité] ? Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et international pour que nos agriculteurs et nos industriels ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?"

Ce n’est pas trop tôt pour parler de l’Europe ! Hélas, elle n’est mentionnée que pour absoudre les reculades françaises, par exemple sur l’interdiction du glyphosate ou le contrôle des OGM, en suggérant que, sans des accords internationaux, on ne peut rien faire.

 

Enfin, il (...) nous faut redonner plus de force

à la démocratie et la citoyenneté.

("à la démocratie et la citoyenneté" : quel niveau de français !)

 

"Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représentation est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des élections."

Ici, le problème n’est pas trop mal posé. Quant aux solutions suggérées, il est à noter qu’elles ont peu à voir avec une certaine réforme constitutionnelle, que le scribe était sur le point de faire prévaloir à grandes enjambées de ses "godillots", quand l’affaire Benalla (que rien n’évoque ici, de près ni de loin) l’a obligé à colmater d’autres brèches. À peine retrouve-t-on son dada de la réduction du nombre des députés.

Les limites imposées au débat n’en sont pas moins sévères. Rien n’est dit du pouvoir présidentiel ni, à plus forte raison, du numéro de la République, alors même que, si certaines des mesures évoquées entraient en vigueur, elles justifieraient qu’on l’appelât Sixième. Il manque aussi le référendum révocatoire, permettant d’écourter le mandat des élus incompétents ou, par rapport à leurs engagements de campagne, excessivement amnésiques. On cherche tout aussi vainement une mention du lobbyisme des intérêts privés auprès des élus, que ce soit par la corruption (un mot absent) ou par la désinformation. Et surtout, peut-être, l’effort annoncé pour "rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative" ignore entièrement la question du rééquilibrage entre la logique nationale ou "jacobine" et la prise en main de leurs affaires par les habitants.

Comme est ignoré le droit de manifestation, si utile pour parer aux abus gouvernementaux. J’ajouterai donc aux suggestions de ce point quatrième, et censément dernier, un modeste codicille :

Souhaitez-vous que, pour que force reste à la loi, la police mette en garde à vue les porteurs d’un vêtement que la loi rend obligatoire, et leur tire dessus sans sommation avec des armes en principe non létales, sauf regrettable malchance ?

 

C’est alors que l’immigration s’invite...

(et que, par une inflation semblable à celle des mousquetaires de Dumas, les quatre questions se retrouvent cinq)

 

"La citoyenneté, c’est aussi le fait de vivre ensemble. Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les persécutions et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le droit d’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration.

Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation ? En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?"

Le fossoyeur du plan Borloo ne manque pas de toupet. Car ce travail était déjà un "grand débat national", d’un meilleur aloi que celui qui s’annonce. Il regroupait, autour de l’ex-ministre, des maires de toutes tendances à la tête d’agglomérations de toutes sortes, pour accoucher de propositions tendant à une meilleure intégration, justement. La crise des banlieues n’est d’ailleurs évoquée ici qu’en filigrane.

Une politique de quotas ? Le projet en avait été esquissé par Sarkozy, dans le sens d’un écrémage des compétences du Tiers-Monde pour compléter celles qui manquaient à la France. C’est évidemment l’inverse qu’il faut faire... et que n’induisent pas les questions. Souhaitons que des suggestions intelligentes sur le développement économique des pays d’émigration éclipsent les considérations oiseuses que ne manqueront pas de nourrir les approches proposées.

 

La laïcité, raccordée de façon malsaine à l’immigration, ferme la marche :

"La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants débats. La laïcité est la valeur primordiale pour que puissent vivre ensemble, en bonne intelligence et harmonie, des convictions différentes, religieuses ou philosophiques. Elle est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix. Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs intangibles de la République ?"

Les valeurs de la République seront mieux gardées, avant tout, quand les autorités seront plus républicaines, les pouvoirs mieux séparés, les puissants punis à l’égal des gueux, et surtout quand le locataire de l’Elysée, soit par un changement de personne, soit par une conversion radicale de celui qui est en place, sera enfin conscient de ses devoirs envers tous, y compris sur le plan de la correction verbale. N’a-t-il pas, dans les jours mêmes où il rédigeait ce texte, trouvé encore le moyen de mettre en doute le "sens de l’effort" de "beaucoup trop de Français" ? Et dès le début de sa tournée de propagande, le 15 janvier, appelé à rendre "responsables" les pauvres "qui déconnent" ? 

En matière d’efforts, il lui reste, à lui, beaucoup à faire, et sa capacité dans ce domaine n’est pas encore démontrée.

François Delpla, le 15 janvier 2019.

 

François Delpla 2019

François Delpla (2014, photo : Paolo Verzone).

 

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28 juin 2019

Bruno Birolli : "Tout était compliqué à Shanghai dans les années 30..."

Deux ans après notre dernière interview, au cours de laquelle fut évoqué son premier roman Le music-hall des espions, livre un de sa série « La suite de Shanghai », je suis heureux d’accueillir à nouveau l’ex-grand reporter spécialiste de l’Asie Bruno Birolli dans les colonnes de Paroles d’Actu. Dans le second opus, Les terres du Mal, paru il y a peu chez TohuBohu, on retrouve quelques uns des mêmes acteurs, et le même cadre, le Shanghai oppressant de ce début des tragiques années 30, nid d’espions et champ de bataille entre nationalistes, communistes, et impérialistes japonais en embuscade. Quelque chose d’envoûtant aussi, très jazzy, très film noir, alors que l’intrigue de celui-ci se déroule en bonne partie autour du milieu local du cinéma. Les romans de Bruno Birolli, c’est d’abord une atmosphère, et une plongée dans des pans d’histoire trop peu connus ici car loin de nos contrées. Donnez sa chance à « La suite de Shanghai » ! En attendant, souhait perso, qu’on la retrouve adaptée en images ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Les terres du mal

Les terres du Mal, éd. TohuBohu, 2019.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Bruno Birolli: « Tout était compliqué

à Shanghai dans les années 30... »

 

Bruno Birolli bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. Il y un peu plus de deux ans, je vous interrogeais sur votre premier roman, Le music-hall des espions (éd. TohuBohu), partie une de la série "La suite de Shanghai" - dont le deuxième opus, sujet de notre échange, vient de sortir. Quels retours aviez-vous eu suite à la parution du premier livre, et en quoi cette expérience a-t-elle influencé les choses pour le deuxième ?

Quelqu’un m’avait fait la remarque que Le music-hall des espions manquait de personnages féminins. L’intrigue le commandait. Avec Les terres du Mal, je me suis rattrapé. Les personnages chinois sont plus nombreux aussi.

 

Qu’est-ce que vous mettez de votre expérience, de vos réflexes de journaliste, ancien grand reporter en Asie, dans votre travail d’écriture de fiction ?

Il y a une certaine influence dans l’écriture sèche, la méfiance à l’égard des adjectifs et des adverbes, le souci des descriptions… Cependant le journalisme diffère du roman dans la mesure où le journaliste met l’accent sur les évènements, il est très rare qu’un article de presse s’intéresse aux individus, ils sont présentés en quelques mots alors que l’essence même d’un roman sont ses personnages et les situations qui les révèlent.

 

L’intrigue de ce deuxième roman, Les terres du Mal (éd. TohuBohu, 2019), suit de près celle du premier. On y retrouve quelques uns des personnages rencontrés précédemment, dans ce Shanghai "nid d’espions" du début des années trente : l’espion britannique Swindon, son quasi-homologue français Desfossés, avec sa compagne Yiyi... La ville, sans doute le personnage principal du livre comme relevé par un de vos interviewers, se trouve comme une bonne partie de la Chine de l’époque divisée en zones d’influence (gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek, concessions étrangères, militants communistes et appétits japonais en embuscade...). Qui contrôle quoi, à l’heure où vos personnages prennent vie ?

Shanghai, début des années 30

Il y avait un morcellement du pouvoir, une concurrence des pouvoirs, chacun cherchait à tirer la couverture à lui que cela soit les Britanniques dans le Settlement - la Concession internationale -, le gouvernement de Tchang Kai-shek, les communistes et les services secrets japonais. Les terres du Mal se déroulent entre mai 1934 et mars 1935. On ne sait pas encore à l’époque qui va l’emporter, ni quelle sera l’issue de ces rivalités qui prennent la tournure d’une lutte à mort.

 

Une grande partie de l’histoire se joue au cœur de ou autour de la problématique des concessions étrangères, en l’occurrence ici le Settlement international, et la Concession française de Shanghai. Quels étaient alors les intérêts défendus par ceux qui travaillaient à leur sauvegarde ? Dans quelle mesure ces réminiscences des vieux impérialismes européens ont-elle alimenté les colères des uns et des autres ? Et que reste-t-il de la structure et de l’esprit de ces concessions étrangères, aujourd’hui 

la Chine des concessions

Les concessions étaient un legs de l’histoire, une sorte d’aberration. On peut chercher l’origine de ce genre d’organisation dans les villes libres de la Hanse du Moyen-Âge. Les Européens avaient d’ailleurs imposé à l’Empire ottoman un système d’extraterritorialité judiciaire qui ressemble assez aux concessions en Chine à travers le système des capitulations. Leur origine en Chine était double : insérer de force la Chine alors fermée dans le commerce international, et mettre à l’abri les étrangers de la Justice impériale qui fonctionnait selon des principes contraires à la conception du droit occidental hérité des Lumières : recours à la torture, absence d’équilibre des pouvoirs, règles assez particulières (le plaignant et l’accusé étaient punis de façon égale car ils n’avaient su régler leurs différends et troublaient l’harmonie de la société en portant l’affaire devant un tribunal, etc...) L’extraterritorialité a été très abusée, par exemple lorsque le gouvernement de Tchang Kai-shek adopte des lois du travail limitant la durée quotidienne à 8 heures, interdisant le travail des enfants… les propriétaires étrangers des usines textiles de Shanghai ont prétendu que ces lois ne s’appliquaient à leurs usines car elles bénéficiaient de l’extraterritorialité. D’un autre côté, l’extraterritorialité a eu des effets bénéfiques : il suffisait de placer à la tête d’une revue ou d’un journal un étranger pour que ce titre échappe à la censure, d’où la floraison de publications, certaines remarquables pour leur qualités littéraires ou politiques, dont Shanghai a été le berceau.

Concrètement, il ne subsiste rien de l’époque des concessions. Par contre il reste un fonctionnement particulier de la justice en Chine : détentions arbitraires pouvant durer des mois sans être inculpé, constitution des dossiers toujours à charge, extorsion des aveux de culpabilité et pour les obtenir recours à la contrainte, aux pressions sur les familles, soumission des juges au pouvoir politique... D’où la contestation de masse à Hong Kong du projet de loi d’extradition que le gouvernement assujetti à Pékin veut introduire et dont on parle beaucoup ces jours-ci.

 

On retrouve, en toile de fond, et omniprésents en cette intrigue, les militants communistes en embuscade, et notamment le mystérieux Hannah. Infiltrés dans pas mal de milieux, et notamment celui, on y revient dans un instant, du cinéma, ils sont prêts à tout pour faire avancer leurs pions : leur univers est sans foi ni loi, ou plutôt pourrait-on dire que leur foi les dispense de toute loi. Quels sont leurs objectifs principaux : saper le régime de Tchang Kaï-chek ? lutter contre les influences étrangères ? Ils sont des militants qui croient en une idéologie ; sont-ils aussi des patriotes ?

nid de communistes

C’est bien résumé : leur foi les dispense de toute morale, la fin justifie les moyens, seule la victoire compte, qu’importe les moyens pour y parvenir. Le personnage de Chao Long m’a été inspiré par Kang Sheng qui contrôlait les services secrets du Parti communiste chinois. Il fut l’organisateur des multiples purges qu’a connues le PC, et l’un des cerveaux de la Révolution culturelle. Il avait les mains couvertes de sang. Il a été exclu du PC en 1980, après sa mort survenue en 1975. Chao Long était d’ailleurs une des fausses identités qu’il a utilisées dans sa jeunesse. Son influence a été considérable grâce à ses liens avec Jiang Qing - la fameuse Veuve Mao - qui fut sa maîtresse avant d’entrer dans le lit de Mao. Il semble d’ailleurs, et cela apparaît en filigrane dans Les terres du Mal, que Kang Sheng avait prise sur Jiang Qing parce qu’il savait qu’elle avait dénoncé à Shanghai des communistes pour sauver sa peau dans les années 1930. Bref, tous deux ne sont pas des personnalités sympathiques. Mais si on peut percevoir bien la psychologie de Lan Ping – pseudonyme qu’utilisait là encore Jiang Qing –, celle de Chao Long reste assez énigmatique. Kang Sheng était d’une intelligence criminelle supérieure mais dont il est difficile de percer le secret. Dénoncer à Tchang Kai-shek les gens qui gênaient à l’intérieur du parti pour qu’ils fussent liquidés était courant chez les communistes.

 

Lan Ping

Lan Ping, la future Veuve Mao. Source : Wikipedia.

 

Le monde du cinéma nous ouvre ses portes dans votre roman, riche de personnages à la fois colorés, et sombres. On y fait la connaissance d’une actrice ultra-populaire et touchante, d’une médiocre aux dents longues (on l’a évoquée...), et d’un scénariste aux obédiences floues a priori. Qu’est-ce qui caractérise le cinéma du Shanghai de ce temps-là ? Est-il vivace ? Quelles ont été vos documentations en la matière ?

hollywood en Chine ?

Je ne partage pas votre opinion sur Sun, le scénariste. Il a des obédiences très nettes comme beaucoup d’intellectuels de cette époque : il croit que le communisme libérera la Chine. C’est un homme intelligent, sincère, engagé, et comme beaucoup d’idéalistes, il paye très cher ses illusions. Il est beaucoup plus ancré dans la réalité que Desfossés qui lui, parce qu’étranger en Chine, flotte si on peut dire et ne sait pas dans quel camp se situer.

Le cinéma était en plein boom à Shanghai. Les années trente ont été dans ce domaine un âge d’or. Le cinéma avait d’abord une fonction de divertissement, le public se pressait dans les salles pour oublier son quotidien mais à mesure que la guerre avec le Japon se rapprochait, les films ont pris une coloration très politique. Le régime de Tchang Kai-shek avait mis en place un bureau de la censure qui veillait à ce que les films le servent, mais comme les studios étaient à gauche, il y avait constamment un jeu du chat et de la souris qui d’une certaine façon a stimulé la créativité. Notez que comme le régime de Tchang Kai-shek avait certaines affinités avec l’URSS, le cinéma soviétique a eu une influence sans doute aussi grande que Hollywood ou les films français. Le Isis Theater dans Chapei – zone administrée par la Chine - s’était spécialisé dans les œuvres soviétiques alors que ce genre de film était censuré dans les concessions. Comme on peut voir, tout était compliqué à Shanghai, ce qui faisait que cette ville bouillonnait d’idées nouvelles et audacieuses.

 

Loin de dévoiler ici les éléments clés de l’intrigue (je laisse à nos lecteurs le plaisir de découvrir le livre), je fais tout de même ce constat : si le tout est très vivant et animé de mille détails réjouissants, l’ambiance générale elle est sombre, presque désespérante. Quel que soit le blason, la cause à défendre passe quasiment toujours avant l’humain, et nombreux sont ceux qui y laisseront leur peau. Beaucoup de cynisme, et un monde de désabusement, même s’il y a de vrais morceaux de bravoure humaine. Votre travail d’écrivain pour dessiner un monde brutal d’espionnage et de guerre de clans, ou bien de manière plus profonde, une transcription de votre regard porté sur l’âme, les rapports humains ?

nuances de gris

A la différence disons du crime, l’espionnage n’est pas une lutte entre le bien et le mal mais une lutte pour des intérêts politiques, à telle enseigne que tous les pays criminalisent l’espionnage et un espion arrêté risque de longues années de prison, voire l’exécution, tout en le pratiquant à l’étranger. L’espionnage est une forme de guerre. Il est symptomatique que l’espionnage relève en France du militaire alors que le contre-espionnage lui est confié à la police. En Angleterre, le MI5 n’a théoriquement pas le droit de procéder à des enquêtes et ni à des arrestations, c’est du ressort de la Spécial Branch, le service politique de Scotland Yard. Aux États-Unis, le FBI a la charge du contre-espionnage, la CIA des opérations secrètes à l’étranger… C’est cette confusion qui rend le monde des services secrets si fascinant d’un point de vue littéraire. Dans Le music-hall des espions chaque personnage doit trouver sa voie dans le vide moral que représente les services secrets : le colonel Chu agit par nationalisme, la vertu cardinale du commandant Fiorini est la camaraderie, y compris envers l’ennemi… Les terres du Mal explore un autre aspect du monde des services secrets : le vrai et le faux s’entremêlent si intimement qu’il est parfois impossible de les distinguer, c’est pour cela que l’intrigue se déroule dans les studios de cinéma, domaine de la fiction, et qu’il y a une référence à la photographie - qui est une autre forme d'illusion - à travers le personnage d’Iva, la réfugiée juive…

  

Vous me l’aviez confié lors de notre interview pour le premier ouvrage : vos influences sont plus cinématographiques que littéraires, et vos récits, vous les envisagez pas mal en images. Ce serait un film noir à l’évidence, de ceux qui fleurirent dans les années 30 et 40. On imaginerait un personnage à la Humphrey Bogart dans Casablanca, façade impassible mais pas imperméable à la survenance d’une passion. Je vous propose de vous mettre, ici, dans la peau d’un chef de casting : quels acteurs, passés ou présents, pour chacun des personnages principaux de votre roman ?

Je n’ai pas vraiment d’idée. La seule association assumée est celle de Fiorini qui serait très bien joué par Lino Ventura, sinon les personnages sont les portraits composites de gens que j’ai croisés en Asie.

 

Comme la dernière fois : un focus sur l’un de vos personnages, que vous aimeriez ici présenter à nos lecteurs ?

J’attirerais l’attention sur les personnages secondaires chinois. Ils forment une sorte de galerie de portraits, que ce soit le policier Petit Tai, son collège plus âgé Tizzy, l’actrice Ling Yu, le père de Yiyi… Des personnalités très diverses. Une ville n’est pas seulement des immeubles, elle est d’abord des gens et c’est ce que j’ai essayé de restituer.

 

Ruan Lingyu, qui m a inspiré à Bruno Birolli le personnage de Ling Yu.

 

Et vous, dans ce Shanghai du début des années 30, dans quelle peau vous verriez-vous bien ?

Le personnage qui m’est le plus proche est Desfossés. Il est encore jeune et cherche à découvrir ce qui fera de lui un homme. Il en est encore aux questions, il tâtonne, essaye, il a environ 35 ans, le temps de la connaissance de soi et du désenchantement ne sont pas encore venus. Dans mes souvenirs j’étais comme ça à cet âge, je crois qu’alors, qu’importent l’endroit et l’époque, cette attitude fait partie du processus naturel de la vie.

 

Quelques films, parmi vos favoris, noirs ou pas, à nous conseiller ?

J’aime beaucoup Sydney Lumet, pas assez reconnu, pour sa façon de placer le mal à l’intérieur de l’institution sensé le combattre : la police. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, y compris les films de Hong Kong, ou coréens. D’une façon générale, je suis sensible aux films noirs américains et à leur façon de fouiller l’âme humaine, pour montrer ce qu’elle a de plus dangereux, et leur sens du dialogue.

 

Quelle playlist à écouter pour accompagner la lecture de votre ouvrage ?

Je donne des titres de chansons de l’époque dans mes deux livres, c’est ma play-list.

 

À quand une adaptation ciné ou animée (type Corto Maltese) de vos romans ? C’est en cours d’examen ou pas du tout ? Prendre les choses en main, cet aspect-là, réa et technique, ça vous amuserait ?

Cela ne dépend pas de moi.

 

Quels sont vos envies, vos projets, Bruno Birolli, pour la suite ? Le roman, vous y avez vraiment pris goût ?

inventer un nouveau réel

Je suis en train de réfléchir à un roman qui se passerait dans une autre ville que Shanghai mais qui aurait une référence à l’entre-deux-guerres et qui lui aussi reposerait sur la confusion entre l’imaginaire et le réel. Je fais une pose parce que le roman historique demande un fastidieux effort de documentation. Par exemple au début, j’avais placé le bureau de Swindon dans le commissariat central de Shanghai (Central Station), or ce bâtiment n’a été inauguré qu’en mai 1935, alors que l’histoire se conclut en mars 1935. Tout est à l’avenant. Écrire une histoire qui ne fait appel qu’à l’imagination est une sorte de détente avant de poursuivre La suite de Shanghai.

 

Un dernier mot ?

au tour du lecteur !

Ce qu’a à dire un auteur n’a pas un grand intérêt, ce ne sont que des remarques après coup parce qu’un roman est le reflet du regard qu’on porte sur le monde et c’est instinctif, relève du subjectif et non de l'analyse objective. Or, le lecteur procède de même, il adapte une histoire selon son humeur, ses goûts, ses expériences, met tel ou tel point en avant alors qu’ils peuvent être mineurs pour l’écrivain. Le lecteur fait comme un cinéaste qui adapte en film un livre. Je ne crois pas qu’un livre appartienne à son auteur, mis à part les droits d'auteur - parce que tout travail mérite salaire. Mais, mis entre les mains d’un lecteur, le livre ne lui appartient plus. C’est au tour du lecteur de parler.

 

Bruno Birolli 2017

Bruno Birolli, ancien grand reporter et auteur de romans.

 

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5 janvier 2021

« Entre tempête et temps long, être élu maire en juin 2020 », par Daniel Cornalba

L’année 2020 ne sera sans doute pas de celles dont le plus grand nombre se souviendra avec nostalgie : la crise sanitaire, qui a dominé l’actualité, a endeuillé des millions de familles partout dans le monde, entraînant dans son sillage de graves situations de détresse humaine, et de troubles économiques. On ne sait de quoi sera fait 2021, mais gardons la prévision optimiste : l’épidémie de Covid-19 devrait pouvoir être un peu mieux maîtrisée cette année. Quoi qu’il arrive, cette année 2021, qui sera aussi celle des 10 ans de Paroles d’Actuje vous la souhaite heureuse autant que possible, dans la santé et la chaleur humaine.

Pour cet article, j’ai choisi de donner la parole à Daniel Cornalba, jeune maire de L’Étang-la-Ville (Yvelines). Élu en juin dernier, il a connu, comme bien d’autres édiles, un début de mandat particulier : face à une situation trouble et anxiogène, la commune, collectivité de proximité par excellence, a souvent joué un rôle de pôle rassurant. Son témoignage est éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Entre tempête et temps long,

être élu maire en juin 2020 »

par Daniel Cornalba, le 31 décembre 2020

 

Daniel Cornalba

 

Vous avez été nombreux ces dernières semaines à demander comment les maires géraient la crise actuelle : sommes-nous informés en avance des mesures sanitaires ? Quelle relation avec les services de l’État ? Quelle marge de manœuvre pour les communes ?

J’essaie ici de donner quelques éléments de réponse à ces questions, tout en proposant des pistes pour coordonner action locale et nationale et rendre les décisions sanitaires plus compréhensibles par les citoyens, et donc plus à même d’être acceptées.

Ce texte donne quelques intuitions de ce que peut être une action locale qui articule urgence et temps long, impératifs municipaux et coopération entre acteurs publics.

*** 

«  Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va  » disait Sénèque.

La crise sanitaire, économique, sociale actuelle a incontestablement été une déflagration pour tous, bouleversant notre quotidien et démultipliant les incertitudes. La remontée du niveau d’urgence Vigipirate, le même jour que l’annonce du deuxième confinement, a accru cette cristallisation des urgences auxquelles il est demandé aux élus de répondre.

Élu en juin 2020 maire de ma commune, L’Étang-la-Ville (Yvelines), ce «  gros temps  » a imposé une gestion de crise permanente, sans perdre de vue notre cap : le programme pour lequel nous avons été élus.
 

Gérer la crise au quotidien

Dès l’élection en juin dernier, le suivi de la situation sanitaire est devenue une préoccupation permanente des nouvelles municipalités. De nouveaux enjeux apparaissent, alors imprévisibles quelques mois auparavant : approvisionner les stocks de gels et de masques dans les équipements municipaux, informer au fur et à mesure la population des mesures à prendre, créer par exemple un conseil réunissant les professionnels de santé pour répondre au mieux à ces nouveaux besoins sanitaires. Sans parler de l’accompagnement des entreprises et des associations culturelles ou sportives dans la reprise de leurs activités, accompagnement rendu indispensable pour favoriser le maintien du lien social et du dynamisme local. L’intégralité des événements sur l’espace public ou dans les équipements municipaux ont rapidement fait l’objet d’un système d’autorisation par la préfecture, afin de garantir le respect de la distanciation physique, fonctionnement qui n’aurait pas été pensable encore quelques temps auparavant. Il faut saluer ici l’inépuisable énergie des citoyens et la remarquable capacité d’adaptation des associations pour maîtriser la jauge du nombre de participants, pour décaler leurs horaires lorsque le couvre-feu fut annoncé, pour développer des activités de plein air…

La décision du deuxième confinement, nous l’avons découverte en direct à la télévision, comme tous les Françaises et les Français. Ses modalités précises, soumises à décrets, ne nous sont parvenues que le surlendemain, tandis que les questions des habitants, des commerces, des associations affluaient déjà.

La commune reste en effet l’instance de proximité par excellence et de référence pour les citoyens. C’est dans sa mairie que l’on se marie, que l’on enregistre les naissances comme les décès, dans sa commune que l'on apprend à aller à l'école et que l'on vote. Et c’est tout naturellement vers la mairie que les regards se tournent quand il faut adapter au niveau local les mesures qui viennent de nous être annoncées au niveau national.

J’ai donc immédiatement réuni la cellule du plan communal de sauvegarde, qui rassemble les têtes de l’administration municipale, la police municipale, ainsi que les principaux élus dont le secteur est frappé par les mesures mises en place. En un délai extrêmement rapide et à partir des informations à notre disposition, il a fallu arbitrer la fermeture ou non des équipements municipaux, fixer les modalités du travail des agents et des élus de la commune. Ces informations, c’est en dialogue constant avec les communes voisines et les services de la sous-préfecture que nous les avons obtenues. Et c’est avec l’ensemble du conseil municipal, le centre d’action sociale, les agents, les associations et les commerçants que nous nous efforçons, souvent dans l’urgence, de les partager et de les concevoir.

Dans le flou sur les commerces autorisés à ouvrir ou non, nous nous sommes attachés à éclaircir pour les entreprises les règles s’imposant à elles, tout comme les aides dont elles pouvaient bénéficier. La mairie se retrouve également en première ligne pour coordonner les mesures d’aide aux plus fragiles, le suivi par téléphone des seniors et des personnes isolées, les bons alimentaires, la mobilisation des bénévoles, l’appel à la bienveillance des bailleurs vis-à-vis des impayés…

Face à des règles changeantes et des textes administratifs parfois complexes et fastidieux, ce sont les communes et les maires qui à la fin sont ce relais d’information et d’explication indispensable.
 

Agir dans la tempête dans un esprit de coopération

Passée l’urgence des premières semaines, il faut se rendre à l’évidence que nous n’en avons pas tout à fait fini avec ce virus, que la pandémie se combattra dans la durée. Avec mes adjoints et mon administration, nous avions tiré un premier bilan des mesures déployées pour étudier les scénarios pour la suite, en nous efforçant d’anticiper le risque d’un second confinement dans le cadre d’une période sanitaire durablement complexe. À titre d’anecdote, le vote en septembre d’un budget supplémentaire pour dégager les moyens de financer l’équipement des agents pour le télétravail nous a permis d’obtenir ces outils nécessaires… le jour de l’annonce du deuxième confinement  !

De même, la commune a très tôt candidaté pour accueillir sur son territoire une box de tests PCR gratuits, financée par la région Île-de-France  : pendant un mois, de novembre à mi-décembre, ce sont ainsi plus de 70 tests par jour que nous avons pu garantir à la population pour casser les chaînes de transmission et nous inscrire dans la stratégie nationale de dépistage. Opération qu’avec souplesse et réactivité nous sommes parvenus à étendre pour couvrir la période des fêtes en mutualisant nos efforts avec les communes voisines.

Je tiens d’ailleurs à saluer le travail constant de coordination des collectivités territoriales entre elles, si souvent caricaturées dans des batailles de clochers. Dans la gestion de cette crise, les solidarités sont au rendez-vous, du coup de main de la commune voisine au soutien financier de l’échelon régional et de l’agglomération pour obtenir des masques ou des tests, en passant par les boucles WhatsApp entre maires pour s’informer sur les décisions prises localement et s’échanger de bons conseils. Et même si une petite musique entendue dans la presse a beaucoup joué de l’opposition entre l’État et les collectivités, il faut reconnaître la réactivité des services de l’État déconcentré (préfecture, sous-préfecture), qui, apprenant visiblement les décisions nationales en même temps que les élus, se sont évertués malgré tout à nous accompagner dans les circonstances.
 

Quelles leçons tirer de cette période dont nous ne voyons pas encore le bout  ?

Il est souvent dit lors des compétitions sportives internationales que la France dispose de 65 millions de sélectionneurs nationaux. De la même façon, on pourrait dire avec humour que depuis la crise sanitaire, chaque Français cache en lui un expert sanitaire.

Je ne m’avancerai pas à distribuer les bons et les mauvais points sur la gestion compliquée d’une crise qui est elle-même profondément complexe et qui a évidemment bousculé l’ensemble du pays, son administration, ses acteurs économiques, culturels, sociaux et au-delà, l’ensemble de la communauté internationale.

Mais il apparaît essentiel de tirer quelques leçons de cette gestion de crise. Alors que l’urgence pousse souvent à resserrer le cercle de la décision et la courroie de transmission, c’est précisément dans la coopération que nous avons été les plus efficaces. Cela vaut à l’échelle européenne, nationale, mais évidemment à l’échelon local.

Les échanges entre maires et avec les professionnels de santé existent déjà, et j’ai donné plus haut quelques exemples de leur efficacité. Les formaliser au sein d’un conseil de santé par bassin de vie ou à l’échelle d’une intercommunalité qui se réunirait à intervalle régulier - la visio le permettant aisément - contribuerait à faire circuler l’information et à harmoniser les prises de décision, alors que les décrets et arrêtés peuvent parfois porter à des interprétations contradictoires  : fermeture d’un stade ici car la pratique sportive collective des adultes n’est pas autorisée, autorisation là-bas car le stade inclut une piste d’athlétisme permettant la pratique individuelle, obligation du port du masque en centre-ville là-bas, souplesse ici, rendent les règles peu lisibles pour les habitants.

Ces conseils de santé, regroupant les maires du territoire concerné, éclairés par les données de l’Agence régionale de santé (ARS) et de la préfecture, et en lien avec des professionnels de santé installés sur le territoire, pourraient en connaissance de cause favoriser des prises de position harmonisées à l’échelle d’un bassin de vie, des lieux de la vie de tous les jours, et ce dans le respect du pouvoir de police des maires : ouverture sous réserve de certains commerces de proximité, maintien de solutions de dépistage de proximité, et, espérons à l’avenir, réponse aux besoins des plus fragiles, accompagnement des établissements de santé et médico-sociaux du territoire, ciblage des lieux possibles de vaccination sur le territoire...

Une telle démarche, qui irait au-delà des strictes compétences intercommunales, dans une logique souple de coopération et d’échanges, nécessiterait évidemment l’aval des représentants de l’État localement, qui pourraient toutefois l’accompagner, limitant ainsi pour eux-mêmes l’engorgement face à l’afflux des demandes émanant des territoires. Cette même logique de bassin de vie s’avérerait utile au long cours pour affronter les problématiques communes. Je pense notamment à la lutte contre la désertification médicale, d’une importance vitale - y compris en région parisienne - comme nous le montre la période que nous vivons.
 

Garder notre boussole et préparer le temps long

Si la crise de la Covid va durablement marquer de son empreinte les prochaines années de la mandature, elle ne doit pas faire oublier les autres enjeux qui s'imposent à nous et pour lesquels les électeurs se sont déplacés. C’est en ce sens que nous avons fait le choix, durant le confinement, de maintenir l’ensemble des activités municipales - à l’exception du foyer des seniors, remplacé par un portage de repas dédié -, pour assurer la continuité du service public, voter les crédits pour la transformation en maison de santé d’un bureau de poste abandonné, assurer le suivi des travaux du secteur du BTP, etc.

Ces problématiques entrent indéniablement en résonance avec la crise que nous traversons  : redéfinir notre rapport au local, penser des territoires résiliants, anticiper des bouleversements plus grands dont la Covid n’est peut-être que la première manifestation. Je pense ici au formidable essor du télétravail et aux opportunités qu’il présente ; à la nécessité de redévelopper l’activité commerciale en cœur de ville et de revitaliser les marchés de proximité et les circuits-courts ; au besoin de favoriser des transports doux et en commun entre villes voisines, pour sortir d’une stricte logique pendulaire entre lieu de travail et banlieue dortoir. L’attrait renouvelé de la grande couronne verdoyante pour les jeunes couples bouscule la démographie locale et invite à adapter nos services, nos modes de gardes comme nos activités associatives, tout en devant préserver à tout prix nos terres agricoles, lorsqu’elles subsistent encore, et nos espaces de biodiversité, à commencer par nos forêts franciliennes, fragilisées par le dérèglement climatique. La Covid ne doit pas nous faire oublier la nécessité de tenir nos engagements pour les générations futures, et à vrai dire pour les générations actuelles qui nous le disent avec force.

Ce sont aussi ces aspects qui devront irriguer les Plans Climat que nos agglomérations sont amenées à adopter, en faisant preuve d’ambition et de volontarisme. La réduction des dotations de l’État est de ce point de vue un défi immense pour les petites communes comme la mienne, que la démultiplication de financements spécifiques autour de projets aux nombreuses conditions ne pourra pas entièrement compenser. L’isolation du bâti - public comme privé -, la végétalisation de nos territoires, les investissements du quotidien –trottoirs, voiries, éclairage public, assainissements-, l’adaptation de nos équipements sont autant d’opportunités pour relancer l’économie. Les partenariats entre collectivités et, je l’espère, l’État, seront ici déterminants pour accélérer les potentialités de nos territoires et favoriser les effets de levier.

Ces premiers mois de mandat m’ont convaincu de l’utilité des petites communes dans notre pays  : leur souplesse, la polyvalence des équipes, la connaissance du terrain y sont des atouts décisifs pour créer des solidarités nouvelles, faciliter la participation citoyenne, l’écoute des habitants et conjuguer transition écologique et relance. Le développement de ceintures maraîchères autour de producteurs locaux, la transition énergétique, l’installation d’espaces de coworking et de services nouveaux en cœur de ville pour tous les âges de la vie, tout comme l’apaisement de l’espace public, le soutien résolu à l’action culturelle et à la pratique sportive nécessitent un travail fin et de proximité qui fait précisément l’âme de nos petites communes.

En ces temps de tempêtes et de bourrasques, la proximité reste une valeur sûre pour répondre aux défis du présent et préparer l’avenir. C’est ce qui fait aussi la noblesse de l’engagement en tant que maire.

 

Quelques photos commentées par D. Cornalba

 

MobilTest Covid

Illustration du partenariat local entre collectivités face

à la pandémie : ici, la Région, ma ville et la ville voisine.

 

D

Rentrée des classes à L’Étang-la-Ville.

 

L'Etang-La-Ville centre

Illustration du cœur de ville, son patrimoine historique - ici l’église

Sainte-Anne -, et un exemple d’extension des terrasses pour permettre

l’activité en centre-ville dans le respect des gestes barrières.

 

L'Etang-La-Ville

Illustration de la commune et d’espaces de biodiversité à préserver.

 

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21 juin 2020

« Les peintres naissent poètes », par Silvère Jarrosson

Quelques jours après nous avoir offert un texte intitulé L’artiste endormiSilvère Jarrosson a accepté cette fois de nous livrer une réflexion « colorée » sur la frontière parfois ténue, et la navigation dangereuse pour un artiste, entre poésie et folie. Merci à lui ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Les peintres naissent poètes »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans son clip Money Man, le rappeur américain Asap Rocky met en scène une jeunesse fictive, désœuvrée et aux prises avec une drogue hallucinogène issue d’un mélange d’ailes de papillons et de peinture acrylique. Durant ce court-métrage, le portrait social de ces jeunes à l’abandon est progressivement remplacé par l’étrange univers coloré dans lequel ils évoluent (celui des ailes de papillons, de la peinture et des hallucinations qui en découlent).

Avaler des ailes de papillons pour se sentir voler : parfois le rap oublie la vulgarité pour se réfugier dans la poésie.

Les ailes de papillon sont complémentaires de la peinture acrylique comme moyen d’échapper à la réalité — les jeunes d’Asap Rocky l’ont bien compris, qui en font une mixture. L’un comme l’autre manifestent, à leur façon, l’irrationnel et le poétique, par le jaillissement d’innombrables motifs colorés. Aristote appelait justement la couleur une drogue (« pharmakon »). Dans le cas des ailes de papillons, c’est le monde naturel même qui est source de ce jaillissement. La nature est en plein délire. Les papillons ont investi la poésie comme une niche écologique parmi d’autres. Leur génome a évolué vers une réalité qui semble folle, des fards et des poudres de couleurs irréalistes. L’irréalité s’est faite réalité, la folie est devenue la raison.

Chez les papillons, l’évolution vers ce monde coloré et poétique remplit une fonction biologique au service de leur survie et de leur existence. Comme on aimerait que la poésie soit, pour nous aussi, un indispensable de l’existence.

Il me semble que la poésie ne se distingue de la folie que par son degré de persistance. Chez le fou, l’abandon de toute rationalité au profit d’une réalité concurrente est durable, l’esprit ne parvient plus à s’en échapper. Chez le poète, cet état d’éloignement n’est que passager (bien que l’on ignore tout du chemin retour du délire à la réalité).

Les jeunes de Money Man ignorent eux aussi le chemin qui ramène au réel, et finissent perdus dans la folie. Durablement égarés dans leur monde coloré, sans échappatoire, ils ne sont plus poètes temporaires mais fous permanents. Comme les papillons, naviguer en plein délire est devenu, pour eux, la seule façon d’exister. Un indispensable de l’existence. À la fin du clip, à force de laisser leur regard plonger dans celui, factice, des ailes de papillons, ils deviennent tous aveugles.

Beethoven a fini sourd. Les peintres, eux, finissent aveugles. La peinture acrylique agit sur eux comme des ailes de papillon. Elle devient pour eux un indispensable de l’existence, elle les emporte, et un jour ils ne savent plus en revenir. Les peintres naissent poètes et meurent fous.

 

Papillon

 

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25 janvier 2024

Franck Médioni : « Ce qui marque chez Michel Petrucciani, c'est le chant solaire qu'il déploie »

C’est une fin janvier musicale que je vous offre sur Paroles d’Actu. Quelques jours après la mise en ligne de mon interview exceptionnelle avec Françoise Hardy (que je salue encore, si elle nous lit), place au jazz avec Franck Médioni, auteur d’une bio fouillée (pas mal de témoignages inédits) et complète sur un personnage attachant, un musicien hors pair : Michel Petrucciani (Michel Petrucciani, le pianiste pressé paru chez L’Archipel). On fait connaissance avec un homme qui, malgré un handicap physique majeur (il était atteint de la terrible maladie dite des "os de verre"), devint un grand du jazz, un homme qui, sachant qu’il ne vivrait pas vieux, vécut sa vie à 100 à l’heure. Un parcours inspirant, pour tous. Merci à M. Médioni pour le partage, et pour l'interview qu’il m’a accordée (22-23 janvier). Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Franck Médioni : « Ce qui marque

chez Michel Petrucciani, c’est le chant

solaire qu’il déploie... »

Michel Petrucciani

Michel Petrucciani, le pianiste pressé (L’Archipel, janvier 2024)

 

Franck Médioni bonjour. Quels ont été vos premiers émois musicaux, et comment en êtes-vous venu à aimer comme vous le faites le jazz ?

J’ai découvert le jazz dès l’adolescence, surtout grâce à la radio : Monk, Charlie Parker, Miles Davis, en même temps que Police, Pink Floyd et Bob Marley.

 

Vous souvenez-vous de votre découverte musicale de Michel Petrucciani, et de votre ressenti ?

C’était un concert à Fontainebleau, dans les années 90... J’avais été très impressionné par son engagement dans la musique, son énergie, sa musicalité. Sa virtuosité pianistique, son clavier qui chante !

 

Vous avez eu la chance de le rencontrer, de l’interviewer, que retenez-vous de ces moments passés en sa compagnie ?

Je retiens une grande intelligence, un engagement total dans la musique je l’ai dit, mais aussi sa générosité, et son sourire.

 

 

Qu’est-ce qui caractérise le jazz tel qu’il a été pratiqué par Michel Petrucciani ? En quoi s’est-il distingué ?

Michel Petrucciani prolonge brillamment le double héritage d’Oscar Peterson (la virtuosité digitale) et de Bill Evans (les couleurs harmoniques). Et il a créé son propre style : une main droite puissante qui développe ses longues phrases, une main gauche rythmiquement très sûre. Ce qui est vraiment marquant chez Michel Petrucciani, c’est le chant solaire qu’il déploie.

 

Peut-on dire qu’au-delà de sa maladie, c’est aussi le cadre familial d’où il était issu, l’encadrement hyper-protecteur de ses parents (parce qu’hyper fragile, forcément), étouffant même vous le racontez bien, qui lui a donné envie de se dépasser, et de s’évader ?

Absolument. Handicapé, bloqué par un environnement familial hyper protecteur, il a eu le courage, la force de s’en extraire, de partir aux États-Unis et de voler de ses propres ailes.

 

Quelles auront été les grandes rencontres artistiques de sa vie ? Et la question vaut dans l’autre sens : quels parcours a-t-il bouleversés ?

Le batteur Aldo Romano, qui l’a découvert et qui lui a permis d’enregistrer pour le label Owl Records. Le saxophoniste Charles Lloyd, grâce à qui il s’est fait connaître aux États-Unis, où il s’est installé : ce musicien lui a fait découvrir un autre horizon musical, notamment le jazz modal. Le contrebassiste Palle Danielsson et le batteur Eliot Zigmund pour un trio exceptionnel, dans les années 80. L’organiste Eddy Louiss, pour l’enregistrement du disque Conférence de presse. Le violoniste Stéphane Grappelli, pour Flamingo. Le bassiste Anthony Jackson et le batteur Steve Gadd, son dernier trio.

 

 

A-t-il connu, en France notamment, un succès à la hauteur à votre avis de celui qu’il méritait ? Plus généralement, est-ce qu’on est, ici, suffisamment réceptifs au jazz ?

Oui, il était très connu en France, bien au-delà de la sphère jazz. Je pense que l’on est relativement peu réceptifs au jazz. Question principalement d’éducation musicale, et de médiatisation.

 

Sa différence physique, qui a surtout été cause de grandes souffrances, et occasionné des difficultés qu’on imagine mal, peut-on dire qu’elle a, bien malgré lui, aidé au départ à ce que le public s’intéresse à lui, même si rapidement, les mélomanes ont oublié cela pour se laisser emporter par sa musique ?

Oui, au début, son handicap a créé la surprise et un certain voyeurisme. On voulait assister au phénomène de foire... Puis on a fait abstraction de son handicap, et on a vraiment écouté le musicien.

 

Beaucoup de témoignages dans votre livre, touchant notamment à ses traits de caractère : une fragilité incontestable mais aussi une force de vie hors du commun, et apparemment un grand sens de l’humour. Qu’est-ce que l’homme Michel Petrucciani vous aura inspiré ? Un côté follement "inspirant", justement ?

Oui, c’est un homme très humain, fragile, drôle, très attachant. Et j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à mener l’enquête, à suivre ce bonhomme extraordinaire dans son parcours de vie mené à cent à l’heure.

 

Trois qualificatifs qui lui iraient bien ?

Intelligent. Drôle. Solaire.

 

Rapidement il est parti aux États-Unis, voir comment la musique se faisait là-bas. Qu’a-t-il aimé outre-Atlantique, et qu’est-ce qui, a contrario, lui a déplu là-bas par rapport à la France ?

Aux USA, il a aimé la culture, les gens. Et il a beaucoup aimé les musiciens de jazz américains, leur exigence, leur exactitude rythmique.

 

Est-ce qu’à votre avis, s’agissant du jazz et même, d’autres types de musique, l’Amérique reste toujours aujourd’hui un eldorado avant-gardiste ?

Le jazz est né aux USA et demeure le cœur battant du jazz. Et oui, ce pays demeure à la pointe de l'avant-garde jazzistique.

 

Que reste-t-il de l’œuvre de Michel Petrucciani ? Est-ce qu’on le joue toujours ? Est-ce qu’on le diffuse encore, dans les radios jazz ?

Il y a une discographie conséquente. Mais aussi 114 compositions. Elles sont jouées par de nombreux musiciens de par le monde.

 

Le jazz reste-t-il vivace, un style porteur parmi les jeunes artistes ? A-t-il résisté à l’avènement du rock et de la pop ?

Oui, le jazz est toujours aussi vivace, aux USA comme en Europe.

 

 

Les artistes d’aujourd’hui qui vous font vibrer, Franck Médioni ?

Difficile d’établir une liste... Bill Frisell, John Scofield, John Zorn, etc.

 

Les morceaux de jazz, toutes époques confondues, que vous tenez pour les plus beaux de tous et que vous aimeriez qu’on aille découvrir ?

Body and soul, Laura, God bless the child, Naima, Fleurette africaine.

 

 

Vos projets, et surtout vos envies pour la suite ?

Un livre sur Ornette Coleman, un autre sur Billie Holiday.

 

Franck Médioni

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