Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
31 octobre 2015

Natalie Petiteau : « Napoléon a été un stabilisateur de la Révolution »

Depuis plusieurs années, l’historienne Natalie Petiteau, qui enseigne l’époque contemporaine à l’Université d’Avignon, s’est imposée comme une des spécialistes reconnues de la période napoléonienne. Son dernier livre en date, Napoléon Bonaparte, la nation incarnée, a été publié par Armand Colin au printemps de cette année. Le 30 octobre me sont parvenues les réponses aux questions que j’avais rédigées et lui avais envoyées deux jours plus tôt. Je l’en remercie et espère que cette lecture vous donnera envie de vous emparer de son ouvrage. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Natalie Petiteau: « Napoléon a été

un stabilisateur de la Révolution »

 

La nation incarnée

 

Paroles d’Actu : Bonjour Natalie Petiteau. La liberté a-t-elle réellement été, parmi les valeurs phares de la Révolution - celles que la République choisira pour former, un peu plus tard, sa devise - le parent pauvre de l’expérience bonapartiste en général et napoléonienne en particulier ?

 

Natalie Petiteau : La liberté, celle des philosophes des Lumières, fait partie des valeurs auxquelles le jeune Bonaparte est farouchement attaché quand il étudie à Brienne puis à Paris, quand il est jeune officier en Corse ou à Auxonne, quand il est aux côtés des jacobins à Toulon. Il en rêve encore quand il est à la tête de l’armée d’Italie puis d’Égypte. Mais dès l’Italie puis l’Égypte, il comprend que s’il veut mettre en place le pouvoir qui doit permettre de sauver l’essentiel des acquis de 1789, il faut renoncer à certaines libertés. La fin justifie les moyens, et puisqu’il lui faut lutter, pour préserver la stabilité politique de la France du Consulat puis de l’Empire, contre les royalistes et contre les jacobins, il considère qu’il est parfaitement normal de rogner certains principes auxquels il a cru dans sa jeunesse.

 

S’il ne remet jamais en cause la liberté de conscience, la liberté d’aller et de venir, la liberté d’entreprendre moins encore, il considère que la raison d’État lui donne le droit et même finalement le devoir de limiter sans cesse davantage la liberté d’expression et d’aller contre le principe de la liberté individuelle. Puisqu’il est certain d’être le seul à savoir quel est le bon gouvernement pour la France et même pour l’Europe, il juge finalement normal de réduire au silence ceux qui n’ont pas les mêmes vues que lui sur le bon mode de gouvernement. Et c’est aussi pour préserver ce mode de gouvernement qu’il a recours à quelques centaines d’emprisonnements politiques, aux placements en résidence surveillée, ou même à l’exil dans le cas de Germaine de Staël.

 

PdA : Lorsque Bonaparte s’empare des rênes de l’État, dix ans après 1789, l’avenir des conquêtes populaires demeure incertain et les menaces qui pèsent sur la Révolution sont bien réelles, au-dedans comme au-dehors. Peut-on dire de Bonaparte, Premier consul puis empereur, que ses quinze années de gouvernement ont assuré la perpétuation d’une société empreinte des idéaux des Lumières ? Qu’il a rendu inévitable ce qui ne l’était pas forcément avant lui, à savoir : que toute restauration royale, même imposée par les armées étrangères, ne pourrait qu’être tempérée, encadrée par une Loi, fût-elle « octroyée » ?

 

N.P. : Avec les moyens évoqués dans la réponse précédente, Napoléon a été le stabilisateur de la Révolution. Du moins des conquêtes de 1789, mais aussi de 1793 si l’on songe à l’abolition gratuite et complète des droits seigneuriaux. Roi du peuple et non pas roi des nobles comme le dit l’anecdote qu’il a lui-même rapportée de sa conversation avec une vieille femme en 1805, il a légué à la France contemporaine un héritage politique qui brouille considérablement les cartes en 1814-1815 et qui contribue à faire qu’une restauration complète est impossible. La Charte de 1814 tente la synthèse et confirme qu’un retour à l’avant 1789 n’est pas même envisagé par Louis XVIII. Certes, il n’en va pas de même de Charles X, mais son échec final révèle son utopie.

 

N’oublions pas que Napoléon a respecté en effet le principe de l’établissement d’une Constitution ; en cela aussi il a entériné l’héritage de la Révolution. Il est tout à la fois un homme des Lumières et un romantique, mais en n’osant pas s’appuyer sur l’élan populaire qui se manifeste à son endroit en 1815, y compris après Waterloo, il ne parvient pas à entrer résolument dans le XIXe siècle et demeure un homme du XVIIIe siècle habité par une vision idéalisée du peuple qui supporte mal la confrontation avec les réalités des mouvements de rue.

 

PdA : On fait un bond de 200 ans. En juillet dernier, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, surprenait les lecteurs du 1 Hebdo en déclarant ceci : « Il manque un roi à la France ». De fait, depuis 1965, les Français se choisissent, par l’élection, un super-leader d’après un costume taillé par De Gaulle en pensant (un peu) aux deux Bonaparte qui ont régné sur le pays. Mais n’est pas De Gaulle, Napoléon ou Louis-Napoléon qui veut : les présidents, plus vraiment taillés pour ce costume de prestige, gouvernent, de plus en plus ; ils incarnent de moins en moins la nation mais la clivent au contraire régulièrement. Vous êtes-vous fait une idée précise quant aux débats qui touchent aux institutions ? Manque-t-il un roi à la France ? De manière plus prosaïque : le chef d’État devrait-il gouverner ou simplement « régner » ?

 

N.P. : Il me semble que les Français, avec Napoléon puis De Gaulle dans leur histoire, rêveront toujours d’avoir à la tête de leur pays un leader capable d’incarner la nation.

 

PdA : Quels sont vos projets, Natalie Petiteau ?

 

N.P. : Il y a encore beaucoup à travailler sur l’Empire, sur l’ombre portée de l’Empire, sur les hommes de l’Empire...

 

Natalie Petiteau

 

Un commentaire ? Une réaction ?

 

Pour aller plus loin...

Publicité
Publicité
6 mars 2016

Frédéric Quinonero : « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg, plus que sa muse, son double féminin »

Le 2 mars, jour marquant le vingt-cinquième anniversaire de sa disparition (déjà !), on était peut-être plus nombreux qu’à l’accoutumée à se rappeler Serge Gainsbourg. Les médias en ont pas mal parlé à cette occasion, et c’est heureux tant son œuvre mérite d’être redécouverte et découverte par les nouvelles générations. Le mois dernier, les éditions L’Archipel faisaient paraître la dernière biographie en date du fidèle Frédéric Quinonero, Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour ».  Un récit fluide, vivant, sensible et touchant à l’image de son objet, Jane Birkin, qui fut probablement « la » femme de la vie de Gainsbourg et, très certainement, hier comme aujourd’hui, une des personnalités les plus émouvantes et les plus « vraies » du monde du show-biz. Frédéric Quinonero a accepté de répondre à mes questions et de nous « prêter » pour reproduction, à ma demande, lextrait de son ouvrage qui raconte la rencontre Gainsbourg-Birkin. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

Partie I : l’extrait du livre

Le cadre : le tournage de Slogan, un film de Pierre Grimblat. On est en 1968. Les premiers contacts - difficiles -, « la » rencontre entre Serge Gainsbourg et Jane Birkin ; l’un et l’autre, une sensibilité à fleur de peau et l’âme blessée (chacun sort alors d’une séparation douloureuse, le premier avec Brigitte Bardot, la seconde avec le compositeur britannique John Barry, père de sa fille Kate).

Lors de l’audition, elle est déstabilisée par la présence désagréable de Serge Gainsbourg, fortement déçu de ne pas avoir Marisa Berenson pour partenaire et déterminé à témoigner de sa méchante humeur. Elle ne sait pas prononcer son nom, elle comprend « bourguignon » - il existe un Serge Bourguignon acteur et cinéaste, il a obtenu un Oscar à Hollywood en 1963 pour son film Les Dimanches de Ville-d’Avray et fait tourner Bardot l’année précédente dans À cœur-joie. « Mais comment pouvez-vous accepter de tourner un rôle en France alors que vous ne parlez pas un mot de français ? », lui lance-t-il avec mépris. Elle fond en larmes. Et continue de jouer sa scène, comme si sa vie en dépendait, ce qui convainc Grimblat de l’engager. « Jane pleurait sur son sort. Elle confondait tout : la fiction et la réalité, la vie et le scénario. [...] J’en ai conclu qu’elle était fabuleuse » dira Gainsbourg. Pourtant, alors que le tournage commence à la mi-juin, retardé par les événements, il persiste à ne faire aucun effort de civilité.

[...] L’ambiance sur Slogan est donc au vinaigre. Une semaine passe. Le vendredi soir, inquiet pour le bon déroulement de son film, Grimblat organise un dîner chez Maxim’s où il omet sciemment de se rendre, laissant ses héros seuls, en tête à tête. Tous deux ont ce point commun d’avoir été quittés par la personne aimée, ils sont tristes. « Qu’est-ce que vous n’avez jamais fait ? Tout ce que vous désirez, je vous promets de l’exaucer », lance un Gainsbourg grand seigneur à la fin du dîner. Jane a besoin de se changer les idées, elle est prompte à accepter toutes les invitations à s’amuser. Et la soirée se poursuit dans toutes les boîtes à la mode. Jane découvre un homme séduisant : « Il était adolescent, ambigu, contradictoire, romantique, sensible. » Chez Régine, elle l’entraîne sur la piste de danse pour un slow. Piètre danseur, il lui marche sur les pieds. Sa maladresse l’attendrit. À son tour, Serge se laisse séduire par cette fille drôle et émouvante, sexy et décontractée, qui déambule dans les lieux les plus chic de Paris avec son blue-jean, ses baskets et son cabas en osier rempli de livres et de cahiers noircis de notes. Au petit matin, comme elle refuse qu’il la ramène à son hôtel, il commande au chauffeur de taxi de poursuivre jusqu’au Hilton où il a ses habitudes. Elle fait mine d’ignorer la gaffe du réceptionniste : « La même chambre que d’habitude, monsieur Gainsbourg ? » Et le trouve à nouveau touchant quand il tire les rideaux et tamise la lumière, avant de s’allonger tout habillé sur le lit où il s’endort comme une masse, copieusement imbibé. Elle file au Drugstore voisin et revient avec le single d’un hit qu’elle avait dansé devant lui chez Régine, Yummy Yummy Yummy des Ohio Express, et le lui glisse discrètement entre les orteils, en guise de remerciement.

Issu de Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016). P. 48 à 50 (extraits).

 

Jane Birkin Serge Gainsbourg 1968

Jane Birkin, Serge Gainsbourg, 1968. Photo : Giancarlo Botti - Agence Gamma-Rapho. Src. : Photos de légende. 

 

Partie II : l’interview

Frédéric Quinonero: « Jane Birkin a été, pour Gainsbourg,

plus que sa muse, son double féminin »

 

Jane Birkin

Jane Birkin, « La vie ne vaut d’être vécue sans amour » (L’Archipel, février 2016)

 

Pourquoi avoir choisi d’écrire cette biographie de Jane Birkin ?

Jane Birkin est quelqu’un de très inspirant. J’aime à la fois l’artiste et la femme. C’est un être qui me touche par sa spontanéité, sa poésie, son humour. Je me reconnais dans certains traits de sa personnalité, la nostalgie de l’enfance, la mélancolie, l’amour des autres. Écrire sur elle a été un vrai plaisir.

 

Trois mots pour la définir ?

Nostalgique, généreuse, émouvante.

 

Quel regard portes-tu sur le couple/duo qu’elle a formé avec Serge Gainsbourg ?

C’est un couple mythique, rattaché à une époque de liberté et d’insouciance. Ils se sont connus en 1968, grande année, même si les événements leur sont passés au-dessus du brushing. Jane a été le grand amour de la vie de Serge, et réciproquement. Elle a été sa muse, son double féminin. Et ce n’est pas donné à tout le monde de sublimer à ce point le talent d’un artiste. Il l’a imposée en tant qu’actrice dans son film Je t’aime moi non plus, puis il a écrit pour elle ses textes de chansons les plus intimes et les plus raffinés, exprimant une sensibilité à fleur de peau qu’il ne pouvait exprimer lui-même sans paraître indécent. Les trois albums Baby alone in Babylone, Lost Song et Amour des feintes sont de vrais bijoux. Jane a été l’interprète de Serge dans le vrai sens du terme, elle a été sa voix, elle a porté ses mots (ses maux). Pendant qu’il se plaisait à jouer à Gainsbarre, il lui donnait ses blessures et ses fragilités à chanter. C’était sa plus belle façon de lui déclarer son amour éternel. Et le plus beau cadeau qu’elle lui ait fait en retour, et sa plus belle victoire, est d’avoir fait connaître son œuvre dans le monde entier. Ce fut sa mission après la mort de Serge. Sa façon à elle de lui dire merci.

 

Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Source de l'illustration : http://rockimages.centerblog.net.

 

Cinq chansons chantées par Jane Birkin à écouter ?

Ballade de Johnny-Jane (1976),

Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve (1983),

Quoi (1985),

Lost song (1987),

Physique et sans issue (1987).

 

Un message à lui adresser ?

Le message est dans le livre, je pense. Je l’ai écrit avec toute l’affection que je lui porte.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud

 

Une réaction, un commentaire ?

Suivez Paroles d’Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

25 novembre 2015

« La lutte contre le changement climatique : un combat plus que jamais nécessaire », par Clarisse Heusquin

Le 30 novembre (lundi prochain) s’ouvrira à Paris la grande conférence sur les changements climatiques, désormais communément appelée « COP21 ». Il s’agira pour les délégations venues du monde entier de s’entendre sur une stratégie et des plans d’action visant la limitation du réchauffement climatique - que les parties voient comme un fait acquis -, de l’ordre de 2°C au maximum à l’horizon 2100.

Dès la mi-juillet, j’invitai Clarisse Heusquin, jeune militante écologiste et proeuropéenne (elle a notamment mené les listes Europe-Écologie-Les Verts de la région Centre lors des élections européennes de 2014 et est une contributrice régulière de Paroles d’Actu) à exprimer son point de vue, ses sentiments sur les enjeux dont il est question. Son texte, imprégné d’autres éléments sombres d’actualité, m’est parvenu le 25 novembre. Un plaidoyer passionné, des constats - et des prédictions - qui interpellent. Merci Clarisse. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Cop21

Photo d’illustration : diplomatie.gouv.fr

 

« La lutte contre le changement climatique : un combat

plus que jamais nécessaire »

par Clarisse Heusquin, le 25 novembre 2015

 

On pourrait croire que les attentats ont permis de dégager les priorités claires des prochains mois : garantir un « pacte de sécurité », selon l’expression de François Hollande. Le dérèglement climatique semble désormais un problème bien moins pressant que les bombes et les cartouches. Mais si le Président veut bâtir une sécurité internationale de long terme, la lutte contre le changement climatique doit aussi passer au premier plan. La COP21 est une des clés pour garantir sécurité internationale et justice sociale.

 

Sortir des énergies fossiles pour ne plus acheter le pétrole de Daesh

500 millions de dollars par an, c’est ce que le pétrole rapporte à l’État islamique. À la manière d’une multinationale, celui-ci bichonne sa plus grande pépite économique en embauchant le personnel qualifié nécessaire au développement de cette activité extrêmement lucrative. Sur les 34 à 40 000 barils de pétrole brut produits par jour, certains alimentent directement les pompes à essence européennes, comme l’a dénoncé l’ambassadrice d’Irak auprès de l’Union européenne il y a quelques mois.

Que se passerait-il alors si nos sociétés ne finançaient plus les industries fossiles ? Que se passerait-il alors si la transition énergétique permettait de réduire notre dépendance au pétrole ?

À la première question, le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), lancé notamment par l’ONG 350.org, a commencé à répondre en enregistrant ses premiers succès : des universités reconnues telles que Stanford, Yale, Harvard, Oxford, ainsi que, par exemple, le fonds souverain norvégien (le plus gros du monde), ont annoncé leur désinvestissement du charbon et des sables bitumeux.

Pour répondre à la seconde question, prenons le temps d’imaginer un monde où le pétrole ne serait plus considéré comme un enjeu stratégique. Imaginons un monde ou l’énergie serait majoritairement locale et renouvelable avec des bâtiments à énergie positive, des moyens de transport plus propres, des routes récoltant l’énergie solaire et une agriculture bio. Si l’énergie n’était plus un enjeu géopolitique, de nombreux conflits présents et futurs n’auraient plus lieu d’être, que ce soit en Arctique ou au Proche-Orient. La sécurité internationale s’en trouverait renforcée. La transition énergétique du monde, parce qu’elle signifie la relocalisation de la production énergétique et alimentaire, permettrait de pacifier les relations entre les humains et de garantir leur bien-être.

 

Si rien n’est fait, le changement climatique pourrait causer 100 millions de morts d’ici à 2030

Il y a eu vingt-deux millions de réfugiés climatiques en 2013. Trois fois plus que les réfugiés de guerre. Et ce chiffre prend seulement en compte les déplacés de catastrophes, et non pas les réfugiés climatiques ayant subi une dégradation lente de leur environnement. En plus des migrants, DARA, l’organisation humanitaire espagnole, a estimé qu’il y a cinq millions de morts dus au changement climatique chaque année. Si rien n’est fait, les catastrophes naturelles, la pollution, la famine et les maladies qui y sont liés pourraient provoquer six millions de morts par an, soit cent millions d’ici à 2030.

 

La lutte contre le changement climatique : un enjeu de justice sociale

Le changement climatique est inégal. Inégal dans ses effets, selon où l’on vit, dans quel hémisphère, sur quel continent, dans quel pays, en ville ou à la campagne. L’Asie connaît ainsi le plus grand nombre de réfugiés climatiques.

Inégal parce qu’il touche différemment selon que l’on soit riche ou pauvre. Si les Pays-Bas, dont les deux tiers de leur territoire se trouvent sous le niveau de la mer, peuvent consacrer vingt milliards d’euros contre la montée des eaux, les pays en voie de développement devraient concentrer l’immense majorité des décès liés au changement climatique, faute de moyens pour lutter contre ses effets. À une échelle plus locale, le changement climatique est inégal selon que l’on puisse se payer une maison bioclimatique ou que l’on crèche dans un HLM. Cent millions de personnes supplémentaires pourraient ainsi tomber sous le seuil de pauvreté d’ici 2030 si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le changement climatique est d’autant plus inégal qu’il n’est pas de la responsabilité de tous les hommes et de toutes les nations. Ce sont les pays industrialisés qui totalisent la plus grande responsabilité. Ce sont nos modes de vie qui sont responsables du pillage des ressources de la Terre et de la pollution.

Les Inuits, les tribus amérindiennes et les habitants des îles pacifiques ne sont pas responsable du changement climatique. Pourtant, ce sont eux qui souffrent les premiers et le plus radicalement.

 

La plus grande injustice de notre siècle

Le changement climatique est donc injuste. Cette injustice est l’une des plus importantes de notre époque. Elle n’oppose pas seulement le Sud au Nord. Elle oppose les classes dirigeantes économiques et politiques au reste de la population. Elle oppose ceux qui sont riches et qui sont les principaux acteurs des négociations de la COP21 - ceux qui organisent les pollutions, la déforestation, les émissions, et décident des politiques censées les contrer (!) - à ceux qui survivent au Sud, à ceux qui se battent au Nord tout en vivant relativement bien, à ceux qui n’ont pas conscience des enjeux sociaux du climat.

En interdisant la marche pour le climat du 29 novembre pour des raisons de sécurité, la France empêche la réunion symbolique de toutes les composantes hétérogènes de la lutte contre le changement climatique. Elle retarde peut-être la formation d’une nouvelle lutte de classes. Mais tant qu’une forme de justice climatique ne sera pas assurée, elle n’empêchera pas la formation, progressive, d’un nouveau mouvement social planétaire.

 

Clarisse Heusquin COP21

@C_Heusquin

 

Une réaction, un commentaire ?

Et vous, que vous inspirent les enjeux liés à la tenue de la COP21 ?

 

Suivez Paroles d’Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

5 juillet 2016

« À l'heure des défis : l'OTAN et le sommet de Varsovie », par Guillaume Lasconjarias

À quoi sert encore l’OTAN, plus d’un quart de siècle après l’effondrement de cet ennemi a priori (et donc a posteriori) mortel qui lui donnait sa raison d’être, à savoir le « bloc de l’Est » ? Quelles missions l’Alliance atlantique a-t-elle vocation à assumer dans une Europe et un monde en proie à des défis nouveaux ou en tout cas, à des menaces en pleine mutation ? Les délégations nationales qui se réuniront à Varsovie - quel symbole ! - pour le sommet de l’OTAN à la fin de la semaine devront plancher sur ces épineuses questions, redonner un souffle et un cap à cette organisation qui se cherche une stratégie cohérente à l’Est, une organisation à peu près muette en tant que telle sur la Syrie et peu ou en tout cas pas audible autant qu’elle le pourrait sur la question désormais imposante du terrorisme international. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN et habitué fidèle de Paroles d’Actu (à lire ou relire : notre interview doctobre 2015, réalisée deux semaines avant les attentats de Paris), a accepté de nous livrer quelques clés pour comprendre et analyser les enjeux de ce sommet. Je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

OTAN

Au siège de l’OTAN. Source de la photo : usdefensewatch.com.

 

« À lheure des défis : lOTAN et le sommet de Varsovie »

Dans quelques jours, du 7 au 9 juillet, chefs d’État et de gouvernement se retrouveront à Varsovie pour un sommet de l’Alliance atlantique qui devra orienter les principales décisions de 28 alliés dans un environnement toujours plus complexe, plus volatile et pour tout dire, plus dangereux. Alors que la Russie s’affirme comme un acteur toujours plus agressif, que l’État islamique malgré ses reculs n’a rien perdu de ses capacités d’attraction et poursuit ses engagements à mener des attaques terroristes sur le sol occidental, que les nations européennes sont fragilisées par des cohortes de migrants fuyant guerres, conflits et situations économiques désespérées et qui forcent les responsables politiques à reconsidérer le pacte social, comment une alliance pensée pour défendre des valeurs libérales et démocratiques au temps de la Guerre froide peut-elle se régénérer pour demeurer crédible ?

Qu’attendre d’un sommet de l’OTAN et plus spécifiquement, de celui qui vient ? Doit-on souhaiter de nouvelles annonces qui, à l’instar de celles avancées au sommet de Newport (Pays de Galles, en septembre 2014) chercheront à rassurer les alliés en montrant la capacité de l’Alliance à s’adapter au nouveau désordre mondial ? Cherche-t-on au contraire à marquer une pause pour analyser ce qui a été fait et qui devra être accompli ?

Dans l’histoire de l’Alliance, les sommets ont un rôle très particuliers en cela qu’ils servent de point d’orgue et de cap aux nations comme aux éléments qui composent la structure permanente de l’Alliance, son secrétariat international et sa chaîne hiérarchique. Depuis la fin de l’Union soviétique, les sommets se succèdent à intervalles réguliers, soit tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Lors de ces rencontres sont mises en avant les grandes décisions qui justifient l’existence de l’Alliance, soit en ouvrant la porte à de nouveaux membres, soit en décidant de poursuivre ou d’étendre des opérations, soit en proposant de nouvelles initiatives destinées à améliorer le fonctionnement interne de l’ensemble. Dans tous les cas, il s’agit de montrer la pertinence de l’OTAN, tout en lui redonnant un « coup de fouet ». En effet, ces moments où le politique s’interroge et s’intéresse à l’alliance est aussi un moyen de forcer la structure à ne pas se contenter d’une routine ou d’une administration qui s’auto-animerait, pour lui redonner son allant et sa motivation.

« Le "retour" de la Russie avec Poutine

a ravivé la flamme otanienne »

Mais qu’attendre de Varsovie ? Depuis deux ans, le travail accompli a été très important. L’alliance, qui au début 2014, semblait être en retrait et cherchait un moyen de ranimer la flamme parmi ses membres a sans nul doute bénéficié du retour de la Russie de Poutine, dont les actions en Crimée puis dans l’est de l’Ukraine ont balayé le rêve d’une Europe libérée de tout conflit. Confrontée à la montée en puissance de Daesh, à une crise syrienne dont nul ne sait l’issue, à la tragédie de l’immigration massive et à la déstabilisation d’États dans sa périphérie, l’OTAN a entamé un travail de réflexion sur ses points forts : répondant aux préoccupations de ses alliés du flanc Est, c’est d’abord à une remontée en puissance qu’elle s’est attelée, ravivant ses capacités militaires et invitant tous ses membres à non plus se plaindre de la dangerosité de l’environnement mais bien à se prendre par la main et à dépenser plus et mieux pour redevenir un acteur politique et militaire crédible. La promesse - bien qu’elle ne soit pas contraignante - d’amener les budgets de défense à 2% du PIB des nations marque en cela un premier tournant.

Le second temps a été de se repositionner face à la Russie. S’il est possible de soupçonner une certaine facilité quant à se redonner un adversaire qui flaire bon le temps passé, les alliés se gardent bien de toute similitude avec la guerre froide. À raison : Poutine n’est pas Staline, la Russie d’aujourd’hui n’a rien de comparable avec l’URSS, et malgré les rodomontades du maître du Kremlin, la puissance russe se débat avec une économie fortement affaiblie, dans un environnement géopolitique où les compétiteurs sont de plus en plus nombreux. Il n’empêche que l’affaire ukrainienne a rappelé que la surprise et la déstabilisation d’un État situé à trois heures d’avion de Bruxelles était une possibilité et que la Russie avait fait quelques progrès en matière de guerre sous le seuil, employant des tactiques hybrides et annulant toute possibilité de réaction de la part du pays visé, comme de ses voisins.

L’OTAN a donc redécouvert une forme de conflit à laquelle elle n’avait plus songé, ses interventions dans les Balkans, puis en Afghanistan l’ayant surtout amenée à réfléchir aux problèmes de reconstruction d’États faillis, occultant parfois l’idée de guerre, quitte à la subir. Ainsi, en Afghanistan pendant douze ans, la notion de campagne de contre-insurrection s’est-elle imposée, forçant les nations contributrices à penser comment des armées doivent parfois se charger de tout pour gagner la paix. La Libye, par certains aspects, a été un cas hors norme, sans engagement au sol et la possibilité de changer le régime du dictateur Kadhafi par une rébellion victorieuse.

« L’OTAN brille par son absence sur la question syrienne »

Toutefois, cette dernière décade a porté en elle les problèmes qui grèvent aujourd’hui l’alliance. La longueur du conflit afghan et l’absence de résultats concrets ont éloigné les opinions publiques et convaincu certains hommes politiques à retirer leurs forces, affaiblissant encore plus l’esprit de la mission. L’action en Libye, quoique réussie d’un point de vue militaire, a donné naissance à deux gouvernements proclamant leurs droits tandis que dans les creux et vides naissait et prospérait l’État islamique. L’alliance s’est trouvée remarquablement silencieuse quant au drame syrien, et si une part non négligeable de ses alliés prend part aux actions contre Daesh au-dessus de la Syrie et de l’Irak, ce n’est pas l’établi qui est à la manoeuvre. Enfin, au regard de la situation dans l’est de l’Europe, une véritable fracture s’est instaurée entre ceux qui voient dans la Russie le nouvel ennemi quand d’autres jugent plus préoccupants les questions migratoires ou le terrorisme.

En réalité, ce qui est en jeu à Varsovie, c’est moins la question des priorités de l’Alliance que sa capacité à créer de la cohésion entre ses membres. L’idée de développer une Alliance capable de penser son environnement à 360 degrés et donc, de se saisir - et potentiellement de traiter - des problèmes survenant à l’est ou au sud sont les conditions de sa pérennité et de sa crédibilité. La mise au point de « directions stratégiques » concourt naturellement à cela, mais il faut poursuivre ses efforts en évitant de séparer les fronts ou de spécialiser les nations. Il est bon de rappeler quels sont les fondamentaux sur lesquels repose cette alliance et notamment le principe de défense collective contenu dans l’article 5 du traité de Washington (1949). Sans doute, au cours des vingt dernières années, a-t-on offert aux autres missions élaborées dans le concept stratégique de 1999 (sécurité coopérative et gestion de crise) une caisse de résonance qu’il convient de ne pas oublier, mais peut-être de considérer comme moins fondamentale à la survie de l’OTAN. Peut-être, comme le suggèrent quelques auteurs, est-il temps de redéfinir ce concept stratégique ou de lui assurer d’autres responsabilités, comme le développement de la résilience au sein des populations de l’Alliance.

« Il est peu probable que le sommet de Varsovie

soit des plus ambitieux pour l’OTAN »

Varsovie, pourtant, risque fort de n’être qu’un rapport d’étape peu ambitieux malgré des déclarations ci et là. L’attente des élections américaines puis, en 2017, de la présidentielle française et de la remise en jeu du mandat de la chancelière allemande plaident pour ne pas prendre de décisions hâtives. La tragi-comédie du « Brexit » et les tensions que traverse l’Union européenne ne font pas non plus le jeu de l’Alliance qui a besoin de partenariats solides pour maintenir une pression sur la Russie. Peut-être ne faut-il pas espérer de grandes mesures ou des décisions marquantes : si les chefs politiques poursuivent et renforcent ce qui a été fait il y a presque deux ans à Newport, ce sera déjà un beau résultat car l’adaptation et la crédibilité de l’OTAN passent plus par une suite de petits pas auxquels chacun contribue qu’à des grandes annonces peu suivies d’effets.

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juillet 2016

 

Guillaume Lasconjarias

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

6 septembre 2016

« L'histoire de notre pays peut-elle nous éclairer en ces temps troublés ? », par Dimitri Casali

Dimitri Casali, historien et essayiste réputé, compte parmi les défenseurs les plus véhéments de l’apprentissage d’un récit national dont on puisse à nouveau être fier ; un élément essentiel de la restauration de ce « creuset républicain » qui paraît aujourd’hui appartenir à un passé révolu. Dans un contexte riche de débats autour des orientations données aux programmes scolaires (voir : la tribune accordée à Pierre Branda sur ce blog en mai 2015), son Nouveau Manuel d’Histoire (Éd. de La Martinière, 2016), préfacé par Jean-Pierre Chevènement, est un important succès de librairie. Désintégration française, son nouvel essai, une « déclaration d’amour à l’Histoire de France, seul remède à la désintégration », dixit la présentation de l’éditeur, vient d’être publié il y a quelques jours chez Jean-Claude Lattès.

Début août, peu avant la parution de cet ouvrage, et trois semaines après l’attentat de Nice, j’ai souhaité proposer à M. Casali de composer un texte autour de la thématique suivante : « L’histoire de notre pays peut-elle nous éclairer en ces temps troublés ? ». Je le remercie pour la qualité de son texte, qui m’est parvenu le 6 septembre : il n’est pas forcément rassurant... mais il s’achève sur une note d’optimisme relatif. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Désintégration française

Désintégration française, de Dimitri Casali, aux éd. J.-C. Lattès, 2016.

 

« L’histoire de notre pays peut-elle

nous éclairer en ces temps troublés ? »

par Dimitri Casali, le 6 septembre 2016

Depuis plus d’un an, la France est particulièrement touchée par la violence d’une histoire en pleine accélération. Pourtant l’Histoire permet de comprendre l’actualité de ces temps si violents. Il y a toujours dans l’actualité des liens explicatifs avec l’Histoire qui permettent de mieux expliquer le présent et de mieux comprendre la société. Karl Marx disait : « La violence est la sage-femme de l’Histoire ». On le sait depuis la nuit des temps, l’Histoire ne se fait que sur des cadavres, l’Histoire est un déluge d’atrocités. Toutefois, le paradoxe est que tant de sang répandu durant tant de millénaires se soit révélé fécond, la France est ainsi devenue une grande nation. À nier cela et donc à ressasser sans cesse les anciennes horreurs, à force de dire que nous sommes un pays d’esclavagistes, de colonisateurs et de collaborateurs, on dresse les citoyens les uns contre les autres. Nos hommes politiques devraient tenir compte des leçons de l’Histoire, malheureusement ils n’en font plus aucun cas, soit par ignorance soit par manque de hauteur de vue.

« En renonçant à son passé, la France sape

son présent et met en péril son futur »

Nos dirigeants sont « malades de leur histoire ». Malades de ne pas la connaître, de ne pas la transmettre, d’être sans cesse tentés de la réécrire pour l’instrumentaliser ; malades, surtout, d’y renoncer par lâcheté et refus de se confronter aux minorités. La France souffre de sa position face à l’Histoire, de ce passé qui ne passe pas, malade de l’occulter, ou encore de n’en avoir retenu aucune leçon. En renonçant à son passé, la France sape son présent et met en péril son futur. Peut-on vraiment vivre ensemble en ignorant ce qui a façonné l’identité de notre pays ? En oubliant que la France s’est construite par son panache plus que par ses renoncements ? Quand nous aurons détruit notre héritage, n’aurons-nous pas tout perdu ?

« L’Histoire s’accélère à nouveau ; le défi qui nous est lancé

par l’islamisme politique est redoutable... »

À trop vouloir oublier les leçons du passé, à respecter le politiquement correct, on dresse en fait les Français les uns contre les autres. L’Histoire met en exergue la gravité de leurs lâchetés contemporaines. Toutes ces bonnes intentions nous préparent l’enfer : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », disait Winston Churchill. À chaque époque existent des problèmes cruciaux qui forment comme un angle mort du débat public et ce sont précisément ceux qui vont décider de l’avenir. En 1936, après la remilitarisation de Rhénanie par Hitler, dans la plupart des médias français, il était presque impossible d’évoquer la perspective d’une guerre avec l’Allemagne. Tous « les gens de bien » étaient furieusement pacifistes… On trouverait bien un terrain d’entente avec le chancelier allemand, disaient-ils. Mais dans les cafés et les salons, on ne parlait que de ça. Aujourd’hui, l’Histoire est à nouveau en phase d’accélération brutale et le défi qui nous est lancé par l’islamisme politique, entré en phase de conquête du monde, est redoutable. Mais nos élites intellectuelles, aveuglées par ses bons sentiments, préfère nous abreuver de petites nouvelles insignifiantes, d’une part, de ses grandes indignations, de l’autre.

« 2016 ressemble beaucoup à l’avant-1789, peut-être

en pire ; prenons garde à ne pas revivre 1793... »

Nous nous trouvons aujourd’hui en 2016 dans la même situation bloquée que celle où nous étions en 1789 : désamour des élites, accumulation des privilèges, pouvoir politique en panne... En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnements du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre. Si l’on ne parvient pas, dans l’urgence, à faire évoluer la société comme la prise de conscience des Français, nous risquons de reproduire les mêmes terrifiants schémas de guerre civile et de Terreur qu’en 1793. Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage...), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges...), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). À cela vient aujourd’hui s’ajouter la plus grave à mes yeux, la crise identitaire, qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.

« François Hollande, par son caractère hésitant,

rappelle un peu Louis XVI ; on ne peut être un

"président normal" sous la Ve République... »

Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2016 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République. Les institutions françaises sont solides mais elles nécessitent à leur tête, des personnalités hors norme. On ne peut donc pas être un président « normal » sous la Vème République ; il faut être exceptionnel pour exercer la fonction.

« Du courage, citoyens ! La lâcheté

conduit toujours au désastre... »

J’aimerais pourtant garder une lecture « optimiste » des évènements car il ne faut jamais oublier qu’au cours de son histoire millénaire, la France a connu d’autres crises graves et a pu s’en sortir le plus souvent grâce à une volonté de changement exprimée souvent tard, mais exprimée tout de même. Il est donc encore tant que les Français se ressaisissent et s’arment de courage comme nous le montre l’Histoire, car la lâcheté conduit toujours au désastre…

 

Dimitri_Casali

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
8 février 2017

La cabine oubliée...

Au début du mois de décembre, j’ai eu envie de préparer, dans la perspective des fêtes de Noël, un article un peu atypique, basé sur une idée fantaisiste que j’ai proposée depuis plusieurs années à quelques intervenants du blog. Un article à plusieurs voix... encore fallait-il les convaincre. J’ai contacté pas mal de monde, des gens de tous horizons, beaucoup de mes interviewés, des personnes qui ne l’avaient jamais encore été... Souvent, très souvent même, une réponse en deux temps : « L’idée est bonne/originale... mais je n’ai absolument pas le temps de le faire ». On a dû me répondre ça à peu près une quinzaine de fois. Le contexte était défavorable, le moral déjà atteint... bref, j’ai failli laisser tomber le bel article (et peut-être un peu plus que le bel article). Mais tous ces gens intéressés malgré tout... allez, on essaierait quand même, ça en vaut la peine...

Ma proposition : « Un appareil permettant de voyager dans le temps et l’espace (la carrosserie : une vieille cabine de police, une antique DeLorean, que sais-je, ou tiens, une cabine téléphonique que tout le monde avait oubliée) vient d’être mis au point par un savant un peu barré, mais bon apparemment c’est fiable. Vous pouvez donc vous rendre n’importe où, à l’époque ou à la date de votre choix. Quelques règles néanmoins, elles sont importantes : un seul voyage par personne, il faut donc bien choisir ses paramètres. L’expérience d’immersion dure 24 heures, si vous loupez le vol retour (ou si vous choisissez de ne pas partir) vous y êtes pour le reste de votre vie. Où et quand décidez-vous de partir ? Pour un jour ou pour toujours ? Que chercherez-vous à faire dans ce nouvel univers (univers sur lequel vous aurez gardé toutes vos connaissances de 2016) : des activités particulières ? des interactions avec tel ou tel personnage historique ? une tentative pourquoi pas de modifier le cours de l’Histoire ? À vous ! ». Vidéo, audio ou texte.

Je remercie celles et ceux qui ont participé à l’exercice (huit personnes à la date de mise en ligne de cet article, le 8 février), et celles et ceux qui m’ont témoigné leur bienveillance lors des réponses qui m’ont été faites. L’article est riche, il est une invitation au voyage, à la fantaisie... c’est ouvert, à chacun de voir...

Moi ? Je ne participe jamais directement aux articles du blog. Ce que j’ai toujours fait : je m’efface devant l’invité, parce que je n’aime pas me mettre en avant, et parce que c’est lui qui a des choses intéressantes à dire... Une exception parce que ce concept que j’ai lancé m’intrigue. Où et surtout quand... changer quelque chose ? On va évacuer l’idée de changer des choses qui touchent au domaine perso, trop douloureux à considérer, on n’est pas du tout dans l’esprit...

Allez, considérons l’évidente : tuer Hitler. On éviterait la 2è GM et ses dizaines de millions de morts, on éviterait après la défaite allemande l’installation durable de la puissance soviétique dans toute l’Europe de l’est, la guerre froide et l’insolante domination américaine. Le tuer gamin ? Ce serait commettre l’odieux qu’il n’aura alors jamais l’occasion d’être. Pourquoi tuer un gosse qui n’a rien fait ? Non... les sources, rien que les sources. Supplier ceux qui mènent le bal des traités de paix d’après-1918 de ne pas trop enfoncer l’Allemagne, d’y aller molo sur la fracturation de l’Europe de l’est ? En 33 Versailles était loin, c’est la Grande Dépression qui à la fin a permis Hitler. Essayer d’éviter le krach de 29, les mesures d’austérité, les retraits de capitaux étrangers ? Ouch... trop compliqué, et illusoire, la finance et l’économie ça va ça vient, si ça n’avait pas pété là, ça aurait été deux ou trois ans plus tard. La deuxième Guerre et l’Allemagne nazie, oui c’est Hitler, lui seul, génie du mal. Donc oui, il est le facteur déclenchant. Alors ? Tenter d’expliquer à Paul von Hindenburg, au tout début de janvier 1933, à lui et aux pontes d’une république de Weimar pas encore appelée inexorablement à disparaître, que s’il nomme Hitler à la chancellerie, c’est lui qui les jouera et non l’inverse, et qu’il ouvre la boite de Pandorre, l’apocalypse pour l’Allemagne, pour l’Europe, pour leur monde ? Ou bien, c’est sans doute là que va ma préférence : aller voir les gens bien placés à l’académie des Beaux-Arts de Vienne. « Oui, ses aquarelles sont jolies, oui elles ne sont pas originales, je suis d’accord... mais croyez-moi, si vous le prenez, ce gars-là, vous ferez votre B.A. pour mille ans, un heureux... et ça changera le monde ». On ne refait pas l’Histoire. On peut essayer de le rêver. Mille mercis à toutes et à tous. D’autres contributions suivront peut-être, bientôt... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

La cabine oubliée...

Cabine

Source de l’illustration : wallfizz.com...

 

 

« Si je devais partir, je partirais à l’époque de Chopin, pour essayer de le rencontrer! (...) Le moyen de transport? La cabine en verre de ma chanson écrite par Françoise Mallet-Joris... ou dans les bras d’un ange! »

MPB

par Marie-Paule Belle, le 9 décembre 2016

 

*     *     *     *     *

 

par Julien Peltier, le 15 décembre 2016

 

*     *     *     *     *

 

 

par Guillaume Lasconjarias, le 26 décembre 2016

 

*     *     *     *     *

 

Hésitation.

Grande hésitation.

C’est devant cette cabine téléphonique défraîchie supposée me ramener dans le temps et dans l’espace que je me tiens, hésitant, depuis maintenant plus d’une demi-heure.

Quelle est la raison qui me pousse à accorder ma confiance à ce vieil homme qui m’a livré cet objet encombrant ce matin ? Il était un peu louche en plus... Quel individu sain d’esprit irait déposer des truc gros comme ça devant la porte des gens de si bon matin ? Avant de partir en courant et en hurlant de toutes ses forces ?

Je n’ai rien demandé moi... En plus je crois qu’il était nu sous sa blouse... Vraiment bizarre...

Mais je dois avouer que tout ceci m’a intrigué.

Les instructions scotchées sur la porte de la cabine n’indiquaient pas grand chose, en gros elles disaient que j’étais l’élu, la réincarnation du christ temporel choisi pour changer le passé afin d’éviter un anéantissement de l’humanité dans le futur. Le reste de la feuille était rempli de formules mathématiques complexes et de pénis mal dessinés, la mission que ce vieillard fou m’avait confiée semblait très importante. Enfin... si cette machine marchait vraiment... et je doutais que la brancher sur une prise 220 volts comme indiqué dans les instructions allait me permettre de voyager dans le temps.

Il était écrit qu’il fallait que je me rende en 1956 dans une ville brésilienne, afin d’éviter qu’une certaine personne ne naisse et n’anéantisse l’humanité 80 ans plus tard.

Bah...

L’humanité attendra !

J’ai le droit de me faire plaisir en voyageant quand je veux ! Après tout c’est le week-end et je m’ennuie, pourquoi sauver l’humanité alors que je pourrais découvrir une autre époque qui m’intéresse ?

Il faut que je trouve une époque où je ne me ferai pas tuer en sortant de la cabine. Où je puisse passer relativement  inaperçu et ne pas trop attirer l’attention sur moi.

Et soudain, l’illumination...

Paris,

les années folles,

les artistes, le cinéma,

le Moulin rouge, le jazz, l’insouciance d’une génération voulant oublier les horreurs de la guerre.

En plus ils parlaient le français comme nous à l’époque non ? Enfin je crois.

Puis... ma grand-mère m’a assez répété que « c’était mieux avant, nous au moins à l’époque on savait s’amuser ! » J’aimerais vérifier ça par moi-même, direction le Paris des années 20 !

Je devrais trouver un vieux costume d’époque à ma taille dans les affaires de grand-père. Il me faut aussi mon portable et quelques batteries de secours pour prendre des photos, je ne partirai pas trop longtemps après tout, les instructions disent que la cabine revient dans le présent après 24 heures.

Il me faudrait de l’argent... Je sais ! Les vieux bijoux en or de ma belle-mère, je pourrais sûrement les vendre sur place, et de toute manière ils sont moches sur ma femme. À moins que ce soit ma femme qui les rende moche, qui sait ?

J’entre dans la cabine, avec tout mon attirail. Est-ce que ça va marcher ? Après tout, si une personne comme Nabilla a réussi à devenir célèbre, alors je suis disposé à croire aux voyages temporels.

Que pourrais-je bien faire une fois là-bas ?

Écumer les cabarets et les établissements de music-hall bien sûr.

Les Folies Bergère, le Moulin rouge...

Aller voir une operette à l’Olympia...

Visiter le parc de Paris et sa montagne russe...

Me balader dans les vieilles rues méconnaissables de la ville et reconnaître les lieux où je me rends tous les jours...

Aller voir un film muet.

Tenter de croiser le chemin de Picasso, Braque, Matisse, Heminghway et discuter avec eux de la pluie et du beau temps.

Écouter rêveusement les musiques de Maurice Chevalier à la radio.

Apprendre quelques pas de tango.

Dali ! Ernst ! le mouvement surréaliste, comment aurais-je pu l’oublier ? Je pourrais aller les visiter dans leurs ateliers ! Essayer de déterminer si l’idée qu’on se fait d’eux aujourd’hui correspond bien à la réalité.

Je pourrais même changer l’histoire...

Non.

Non ce serait idiot, l’histoire n’est pas faite pour être modifiée.

Un observateur, voila ce que je serai.

Quoique cela pourrait être amusant de jouer les prophètes, mais je ne compte de toute manière pas rester plus d’une journée, autant ne pas provoquer de panique générale.

Que...

Quoi ?

HEIN ?

Parle plus fort je t’entends pas ?

Non je suis pas allé chercher les enfants à l’école chérie, je vais dans les années 20 !

JE DIS JE VAIS DANS LES ANNÉES 20 !

JE PEUX PAS, VA LES CHERCHER TOI !

COMMENT ÇA J’AVAIS PROMIS ?

QUE...

C’EST BON ! J’AI COMPRIS, NE RENTRE PAS CHEZ TA MÈRE !

Bon...

Une autre fois peut-être, si mes gosses ne cassent pas la cabine...

par AlterHis, le 13 janvier 2017

(découvrez son excellente chaîne YouTube au passage...)

 

*     *     *     *     *

 

Si j’avais les moyens de voyager dans le temps, je pense que la méthode pour y aller importerait peu. Je souhaiterais, moi, aller dans le futur.

Donc, si je pouvais faire un bond dans le temps, je choisirais une date - disons, entre 4 et 500 ans après nous -, qui me permettrait de découvrir les évolutions de notre espèce. Pas tant au niveau matériel, car j’estime que vers 2500 nous serons depuis longtemps capables de nous déplacer assez facilement au sein du système solaire, voire plus loin, et que nous approcherons peut-être de l’immortalité ? Mais plus pour voir notre évolution sur le plan sociétal, philosophique, et «  corporel » (ou plutôt anthropomorphique).

Sociétal d’une part, car au vu des évolutions engendrées par internet et les nouvelles technologies sur nos sociétés et nos rapports aux communications, je serais intrigué de voir quel type de régime nous pourrions avoir dans 500 ans (sauf si une guerre nous a tous exterminés d’ici là, mais je reste optimiste...), ainsi que l’état des rapports entre les gens. Bon, je pense qu’en 500 ans nous n’aurons pas fait un bond « immense », mais cela m’intrigue néanmoins. Aurons-nous réussi à dépasser le stade des cycles de « paix, guerre, paix, guerre », vivant dans une société libérée de tout ce qui la détruit ? Ou bien une société sans crime n’est-elle au final pas autre chose qu’une société totalitaire ?

Du point de vue philosophique aussi, car personnellement, je m’informe assez régulièrement sur le mouvement « transhumaniste », et j’adorerais voir notre évolution à moyen et long terme au niveau philosophique et de notre rapport à la religion. Comme dit précédemment, j’ai un doute sur le fait que 500 ans suffisent à changer radicalement notre société par rapport à ce qu’elle est maintenant, et c’est pourquoi si j’avais eu le choix, je demanderais au savant fou de me faire un circuit en 24h, avec des passages à différentes époques (dans 500 ans, dans 10 000 ans, voir un million d’années)... 24h c’est court pour découvrir de nouvelles cultures, mais c’est mieux que rien, et je prendrais cela, volontiers. Ainsi, j’aimerais voir notre réaction à la possible découverte d’une forme de vie extraterrestre, et les folles réactions qu’elle engendrerait sur la civilisation humaine.

Enfin, sur le plan corporel, notre espèce évolue constamment. En 500 ans, il y a peu de risques qu’un troisième œil nous pousse sur le front (clin d’œil « futuramesque »), mais tout du moins je suis sûr que le clonage humain se sera démocratisé, à tort ou à raison ; peut-être un troisième genre humain aura-t-il été créé (voire peut-être une société qui se serait affranchie du genre ? Idée que j’ai pu voir dans un livre, où en réalité il y aurait une société où les individus ne naîtraient ni homme ni femme, mais pourrait choisir leur genre en fonction de leurs goûts, de leurs préférences, etc... Cela étant pour lutter contre tous les problèmes de discriminations, ici en l’occurrence sur le manque d’égalité homme/femme) ? Peut-être que les robots, à travers une intelligence artificielle hyper développée, se seront mis à cohabiter avec nous dans la paix, et l’égalité ?

Pour finir, comme une journée passe assez vite quand on s’amuse, je souhaiterais revenir à mon époque... Ou pas, en fait ça dépendra de ce que je trouverais en 2500. J’aimerais bien finir mon petit périple par un superbe coucher de soleil martien...

Aurélien Buisine

par Aurélien Buisine, le 5 février 2017

 

*     *     *     *     *

 

Il est possible de remonter le temps, les livres sont faits pour ça ! Tintin et Le Lotus bleu par exemple. On l’ouvre et on revient au 18 septembre 1931. Il est 18 heures, encore temps d’arrêter la marche de l’histoire, il suffirait de rencontrer le lieutenant colonel Ishiwara Kanji alors qu’il attend qu’on lui annonce qu’une bombe a explosé sous une voie de chemin de fer à la sortie de Moukden, lui expliquer les conséquences dramatiques que ce sabotage va provoquer, que le Japon sera militairement vainqueur dans un premier temps, et que ces succès masqueront que le Japon s’engage dans une dérive suicidaire, d’abord en essayant d’envahir la Chine en 1937, puis en attaquant Pearl Harbor quatre ans plus tard. Tout se finira par la défaite totale du Japon, et les deux bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki. J’espérais le convaincre de prendre son téléphone et de rappeler le commando qui s’apprête à déposer la bombe sous la voie de chemin de fer. Mais on ne refait pas l’Histoire...

Bruno Birolli 2017

par Bruno Birolli, le 6 février 2017

 

*     *     *     *     * 

 

Je n’en revenais pas. Le Doc avait enfin réussi à venir à bout de son invention. Voilà bien au moins dix ans qu’il travaillait à achever la première machine à voyager dans le temps civile. Oui vous avez bien lu. C’était à peine croyable, ce vieux bougre avait finalement réussi. Enfin c’est ce qu’il me dit depuis maintenant 3 jours alors qu’il finalise encore quelques détails “esthétiques”.

Je suis chez lui depuis l’aube de la veille, j’avais annulé mes cours à la faculté d’Histoire de Bologne pour les jours qui allaient suivre puis avais pris la route pour Vérone après un coup de téléphone nocturne dont je n’avais pu tirer aucune information, à part que je devais rejoindre le Doc le plus vite possible. Cela fait maintenant cinq ans que je l’aide à travailler sur son extravagante invention, et je dois avouer que je n’y ai jamais totalement cru, abreuvé que j’étais des films de SF des années 2000, si souvent démentis par la science d’aujourd’hui. Mais voilà, il y est arrivé. En tant que plus proche collaborateur et sceptique de la première heure je me suis naturellement porté volontaire afin de tester cette machine infernale camouflée en … cabine téléphonique.

- Vous auriez pu faire un effort Doc… C’est vu et revu, le coup de la cabine.

- Penses-tu ! Qui irait s’inquiéter de l’utilité de cette vieille pièce usée ? Un doux dingue ? Un fan de Docteur Who ? Peuh ! pesta-t-il.

- Pas faux Doc, pas faux… Bon, elle fonctionne au moins ?

Il me regarda avec un air à la fois perdu et désespéré, comme si je venais de remettre en doute la théorie de l’héliocentrisme : « Bien sûr qu’elle fonctionne pardi ! Où veux-tu donc aller, au lieu de m’ennuyer avec des questions idiotes ? ». C’est le moment crucial. Nous y étions. J’avais furieusement envie de mettre le Doc à l’épreuve, tout en étant quand même curieux, voire même un peu inquiet des conséquences d’un voyage dans le temps. Je m’étais préparé mon coup et avais opté pour la prudence. Je m’étais replongé dans de vieux cours de l’époque où je passais ma thèse d’Histoire. Je n’avais pas mis beaucoup de temps à choisir, mon choix s’est tout de suite porté sur l’Italie. Quelle autre destination que l’Italie quant on est un spécialiste depuis 35 ans du pays de Dante ?

Pour l’époque de ma destination, cela avait été tout aussi rapide : la fin de l’ère contemporaine était toute désignée. Au cours de mes recherches préparatoires j’ai appris, suite à la lecture de plusieurs analyses archéologiques à propos de la composition de l’air de notre planète au fil du temps, que ce dernier a  beaucoup changé au cours de l’Histoire. Il a été par exemple établi que l’atmosphère du Moyen-Âge, ou celui de l’Antiquité, nous serait totalement irrespirable pour nous hommes du XXIIe siècle. De plus, cela m’arrange du point de vue de la langue : mon italien est résolument moderne et mon latin ne me sert qu’à la lecture de textes retrouvés dans les sols antiques. Aucune chance donc de me faire comprendre, et encore moins de comprendre, d’un habitant de Rome de l’an 0 ou bien d’un Florentin du Rinascimento. Seule solution : partir pour l’Italie du Nord, post-unification, donc après 1866. Je ne prenais ainsi qu’un minimum de risques en vue de ce voyage-test.

Pour ce qui est des consignes de voyage, cela avait l’avantage d’être clair : je ne pourrais rester plus de 24h - 22h maximum sur conseil express du Doc - sous peine de me voir enfermer pour toujours en 1900. Je devrais, bien évidemment, entretenir le moins de contact et de relations possible avec la population de ma destination afin de ne laisser aucune trace de mon passage. L’enjeu étant de ne pas altérer le temps et modifier le futur, c’est-à-dire notre présent. Les conséquences entraîneraient la création d’un cercle infernal quasi irrémédiable. Cependant, le début du XXe siècle présente l’avantage principal suivant : je ne risque pas de croiser un membre proche de ma famille ou même moi-même puisque personne n’était vivant à l’époque - on parle quand même d’un bond dans le passé de deux cents ans. De plus, je ne possède aucune famille en Italie. J’aurais ainsi l’esprit quelque peu dégagé sur place.

Les derniers préparatifs sont prêts. J’ai soigneusement choisi mes habits : je serai un étudiant en Histoire de la faculté de Paris, en voyage. Je fais bien plus jeune que mon âge - l’enfermement scientifique aurait dû avoir l’effet inverse sur ma peau mais je dois faire avec - surtout que les professeurs d’université sont plus rares à l’époque que de nos jours, on risque de me demander des explications si je me présente comme détenteur d’une chaire. Pour ce qui est de l’argent et de mes papiers d’identité, j’ai réussi à m’en faire fabriquer après m’être arrangé avec un collègue travaillant au Louvre, une vieille connaissance de fac, grâce à qui j’ai pu avoir accès aux imprimantes 3D très haute définition de l’établissement. Je n’oublie pas non plus de prendre ma vieille montre à gousset afin de pouvoir surveiller le temps qui file sans éveiller les soupçons : comme quoi un fétiche d’historien peut finalement servir. Ma destination : la Sérénissime Venise, plus de cinquante ans avant son premier touriste bedonnant et inculte, cent cinquante ans avec sa disparition dans les eaux de la lagune.

La phase de préparation de mon voyage prit un peu plus d’un mois, un mois durant lequel l’excitation de la possibilité inédite d’un saut dans le temps me fit bouillonner. Cela a progressivement occupé toutes mes pensées, toutes mes forces. J’allais explorer le temps, franchir les limites de la physique. Ce voyage dépasse tous les autres possibles. Cela allait être le début d’une nouvelle Odyssée. Quand le jour fatidique arriva, j’ai cru ne pas pouvoir contenir mon émotion et mon stress. Il était évident que des ratés pouvaient avoir lieu, ce que Doc ne cacha à aucun moment, au point d’en devenir rébarbatif, tout en restant sûr de lui et serein. J’avais confiance en fin de compte. De toute manière rien ne me retenait en ce monde, la prise de risque ne m’effrayait pas plus que cela, moins que l’arrivée au début du XXe siècle en tout cas.

Je prends enfin place dans la drôle de machine aux allures si communes de films d’espions ou de super héros, sauf que celle-ci était déterminée à m’envoyer faire un voyage des plus extraordinaires. Alors, bien sûr, le Doc n’avait pas inventé la machine à voyager dans le temps. Nous ne sommes pas dans Retour vers le Futur de Robert Zemeckis, non, le gouvernement dispose aujourd’hui de tels engins. Doc s’est contenté de hacker avec brio plusieurs sites de recherche gouvernementaux afin d’obtenir une liste de composants complète. Pour le reste je n’ai pas réussi à en savoir plus. Les questions du pourquoi et du comment ne se posent de toute manière plus. Je pars.

Le voyage en lui-même ne fut pas long, quelques secondes de lumière blanche tout au plus. En quelques secondes donc me voici plongé dans les prémices du XXe siècle, en plein cœur de la Vénétie désormais italienne, aux abords de la Sérénissime. Face à moi s’étend la lagune, calme. L’idée “d’arriver” sur le continent plutôt que dans Venise-même vient du Doc, qui trouvait cela plus prudent. Une fois tous mes sens opérationnels, je me mis en marche vers Mestre. Je ne garde comme unique séquelle de mon voyage qu’un léger mal de crâne et un sentiment de haut-le-cœur. Je m’attendais à bien pire je dois l’avouer. Avant de partir j’ai bien pris le temps d’étudier des cartes d’époque afin de perdre le moins de temps possible lors de mes déplacements. En deux heures maximum je doit être à la Piazzale de Roma, porte d’entrée de Venise. Après une heure de marche me voici sur l’embarcadère que me permet d’accéder à Venise par l’emprunt de navettes maritime, les célèbres vaporetti. La voie en bitume qui a longtemps relié Venise au continent - la Via della Liberta - ne sortira de mer que durant l’ère fasciste de Mussolini, au début des années 1930. Une fois embarqué je sens mon poul s’accélérer à mesure que mon embarcation fend les flots à destination de cette ville millénaire, ancienne et glorieuse république marchande qui a su, par le temps et le commerce, imposer sa loi aux quatre coins du bassin méditerranéen.

Enfin je pose le pied sur le sol de la Sérénissime. Tout bascule en moi, je n’en crois pas mes yeux. La ville semble avoir toujours eu le même visage, serein, figé et enchanté dans la lumière d’un astre solaire qui semble ne briller que pour elle. Un flot humain et aquatique s’agit autour de moi. C’est un ballet incessant de gondoles et de gens pressés qui s’enroule autour de moi à me faire perdre l’équilibre. Cela sonne, tinte, bruisse autour de moi. Les langues se mêlent à l’air ambiant me faisant oublier quelque peu que je suis un voyageur temporel. Le temps joue contre moi mais j’hésite à flâner sur les quais du Grand Canal. Je dois me mettre en route afin de voir le maximum de choses et de rendre quelques visites. En effet, le Doc m’a donné un peu de travail avant de partir. Je dois récolter des informations sur mon environnement et tenir un journal de bord sur ma condition physique, afin de s’assurer qu’un tel voyage ne soit pas dangereux pour l’organisme.

J’attrappe au vol un vaporetto qui accoste non loin de là en ronflant et en crachant un épais filet de fumée noire. Les bruits qui m’environnent sont sans commune mesure avec le bruit des villes du XXIIe siècle. Ici le bruit est omniprésent, accompagné d’une forte odeur de charbon en combustion, la pollution est partout : sur les murs des maisons, sur les coques des navires, dans l’eau et l’air. Je perçois une sorte de bruit de fond omniprésent, l’activité humaine emplit l’espace sonore. Partout, gondoliers, marchands au détail, en vrac, poissonniers, boulangers, cafetiers, badaux, maréchaux ferrants, drapiers, tout ce petit monde s’agite, pousse des cris, discute et hurle dans l’espoir de se faire entendre ou d’attirer la clientèle.

Sur le Grand Canal, mon rêve de toujours prend forme. La cité des Doges, aujourd’hui engloutie, est en pleine effervescence, là, sous mes yeux. Mes cours d’Histoire me reviennent en mémoire d’un seul coup. De part et d’autre du pont du vaporetto défilent, alignés tels des généraux vétérans bardés de décorations et au garde-à-vous, les héros longtemps insubmersibles de Venise : Ca’ de Mosto, Civran, Contarini da Zalfo, Labia, Michiel del Brusa’, etc. Autant de palais qui ne peuplent plus aujourd’hui que la mémoire de quelques admirateurs italophiles et le fond de la lagune. Cette vision me procura une émotion que je n’imaginais pas jusqu’à aujourd’hui. Mes mains tremblent, mes yeux pleurent... Cette ville, bâtie sur la fortune de quelques grands commerçants, rayonne devant moi comme si j’en étais le seul visiteur. Mon voyage dans le temps me fait me sentir unique dans ce monde éphémère. J’arrive au Rialto, c’est la fin de mon voyage sur le canal. Je m’attarde quelques secondes afin d’admirer le pont en arc de quarante-huit mètres qui enjambe fièrement l’artère vitale de Venise. Datant du XVIe siècle, il est l’un des quatre ponts qui enjambent le Grande Canal et était peuplé de petites boutiques s’accrochant à son dos. Je me lance ensuite dans les dédales de ruelles menant au coeur du quartier San Marco. Ma destination est le quartier du Castello bordant l’Arsenal, plus au nord.

Venise

L’immersion devient alors totale. Elle est toujours aussi difficile à réaliser. Je suis le premier civil du XXIIe siècle à pouvoir me promener tranquillement dans les rues d’une ville qui a disparu plus de deux cents ans avant ma naissance. Je réalise le fantasme de plusieurs générations d’historiens et de curieux. Quand je dis curieux je parle des vrais passionnés rêvant d’enfin arpenter un passé parfois trop fantasmé. Désormais, le temps n’a plus de limite et de nombreuses choses vont pouvoir être faites notamment du point de vue scientifique ou sur les origines de l’humanité. Je pense surtout au monde antique, je pense au développement de l’Afrique et des Amériques durant l’ère pré-colombienne, dont nous avons que de peu de traces. Les possibilités sont infinies. Seulement, le maniement d’un tel outil ne sera pas aisé. Entre les risques d’altération du temps et les utilisations à des fins malhonnêtes voire criminelles, ou même tout simplement révisionnistes, je suis bien incapable de prédire de quoi sera fait notre futur proche. Comment empêcher la dissolution du secret entourant cette vieille cabine ? Ce dilemme monumental attendra mon retour.

C’est alors que j’arrive aux abords de Contarini del Bovolo, alors que je passe non loin de la Fenice - le théâtre de la ville. Bovolo est le nom d’un petit palais du quartier de San Marco présentant deux caractéristiques particulières : d’abord son escalier extérieur en colimaçon en forme d’escargot, puis la vue panoramique de la ville qu’il offre sur les toits de Venise. Plusieurs fois lors des mes recherches préparatoires j’ai pu lire des notes sur ce petit bijou architectural pourtant boudé à l’heure du tourisme de masse du XXIe siècle. Devant les grilles donnant sur le petit jardin du palais, je ne peux retenir mon envie de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. Je devais accéder à cette vue rare sur la ville. Après avoir sonné à la porte d’entrée, je m’engage dans une discussion assurée afin d’obtenir le droit de passage jusqu’au panorama. L’occupant des lieux est un jeune aristocrate à l’accent guindé et dont la voix est teintée d’une légère surprise en me voyant, les yeux emplis d’espoir, sur le pas de sa porte. Il accède toutefois à me requête et propose de m’accompagner au sommet de la tour de son palais. Il me décrit la vue qui s’offre à moi. Je ne peux à nouveau contenir quelques larmes qui me montent aux yeux tant la vue se révèle être spectaculaire. Face à tant de réaction de ma part, mon hôte m’invite à entrer chez lui afin de me remettre. Nous prenons place à l’étage inférieur, dans un salon richement décoré et tourné vers les fenêtre donnant sur la ville. Cet intérieur brillait de luxe et de raffinement. Devant moi s’étalaient les richesses de Venise : du verre de Murano, du marbre de Carrare, de l’orfèvrerie raffinée, des tableaux de maîtres de la Renaissance et du début du XVIIIe, etc... Des pièces d’une valeur inestimable tapissaient comme entassées les murs et les meubles de la pièce où je me trouve actuellement.  

- Ce ne sont que des babioles Monsieur, n’y faites pas attention. Je ne suis pas tout a fait installé. Je dois vous confier que je ne m’attendais pas à une telle réaction de votre part ! Me confia mon hôte, une fois assis.

- Veuillez m’en excuser, je viens de très loin et je fondais beaucoup d’espoir sur ma première visite de Venise et je dois dire que je ne suis pas déçu.

- Je dois avouer être tout à fait insensible aux charmes de cette ville… Ce palais était une folie. Il me fallait cependant un pied à terre en centre-ville.

- Je… C’est pourtant une pièce rare si ce n’est unique ici. L’évidence est là, lui rétorque-je. Que dire des splendeurs qu’abrite cette cité des mers ?

- Il s’agit du passé mon bon monsieur… Vous les universitaires, vous êtes d’un conservatisme ! Cette ville m’est insupportable. Son humidité, son peuple bruyant, et je ne vous parle même pas de l’odeur ! Revenez-y en été et vous comprendrez. Un bourbier infâme ! Non vraiment, je ne pense pas qu’il y ait le moindre avenir ici. C’est uniquement afin de rapatrier quelques avoirs que je suis ici, le marché a chuté depuis l’annexion. Une fois cette menue question financière réglée je fuirai cette île maudite et grabataire.

Assommé par tant de critiques acerbes sur la ville de tous les fantasmes, je pris congé de mon hôte afin de reprendre ma route. Il me restait encore de nombreuses choses à faire, mais je venais de perdre beaucoup de mes repères. Cette entrevue avec ce jeune aristocrate était en fait la toute première rencontre concrète entre deux humains de deux époques différentes. Mes pires angoisses étaient en train de se réaliser : et si le passé n’avait rien de plus excitant qu’un présent ordinaire ?

Robin Norman Lewis 2017

par Robin Norman Lewis, le 6 février 2017

 

*     *     *     *     *

 

Enfin la possibilité de voyager dans le temps ! Rêve ancien et persistant, effort d’imagination constant, qui semblait ne pouvoir jamais être comblé. Une machine bancale, qui fait sensation mais peu de cobayes potentiels, prétend traverser le temps et l’espace. La tentation est forte et je décide de me lancer. À moi le passé : je veux voir. Le passé ? Le futur est tentant… Voir ce que l’on va louper, ce qui va sortir de notre présent, de quoi nous seront responsables… Tentant mais qu’en est-il de voir ce qu’on a loupé, ce qui a construit notre histoire, ce qui m’a construit moi, ce qu’on a appris, que l’on tient pour vrai, sans jamais le vérifier. Et puis, dans le futur, je ne saurais pas m’habiller pour passer inaperçue…

On m’a fait parvenir les instructions. Je n’ai droit qu’à un voyage, il ne faut pas se tromper. Quelle frustration ! Que voir, que faire ? Mais quelle excitation, aussi, de presque toucher du doigt l’inaccessible. Où aller et quand, donc ? La cour du Roi Soleil, tant décrite, apparemment si splendide, ou bien l’Égypte des Pharaons ? À moins que je ne décide d’aller faire la Révolution, de renverser la monarchie ? De m’exiler, pour voir l’Histoire d’ailleurs : le Palais d’Été en Chine, quand il était uniquement destiné à l’Empereur, sans touristes. Des pèlerins en Amérique qui ne savent pas encore que leur implantation serait un succès. Cette colonie européenne au Groenland, qui n’a pas survécu, pour savoir ce qui leur est arrivé et, peut-être les aider.

Un tas d’autres idées tourbillonnent et je ne peux en saisir qu’une. Comment choisir ? En un jour, je n’aiderai personne. En une vie, seule, sans technologie, non plus. Je préfère passer discrètement. Documenter, regarder. Comprendre au lieu de bouleverser : on m’a toujours dit que ça n’engendrait rien de bon. Si je tue Hitler, je ne nais pas, c’est certain. Regarder donc. Je sais ce que je veux voir. Tant d’épisodes historiques sont si bien décrits qu’on jurerait y être, bien qu’on ne puisse démêler le vrai du faux. Mais s’il ne faut voir qu’une chose, je veux voir ce qu’il est impossible de voir autrement. Ce qui a été passé sous silence de l’Histoire la plupart du temps, ce qui n’a pas fait trace. Je veux voir une vie quotidienne qui ne s’est pas écrite, une grande oubliée, la campagne. Campagne française, si l’on peut dire. N’importe où, peut-être mes montagnes, ou bien les côtes, près de la mer. N’importe quand ou presque : on a toujours l’impression que rien n’a changé en longtemps, que la campagne a été immuable. Difficile de choisir une période tant elles se ressemblent en terme de campagne, dans l’imaginaire commun. Le XVI° siècle, après les guerres d’Italie et avant celles de religion : je veux la paix. Difficile cependant de dire que ce sera représentatif.

Je pars. Direction les champs, la forêt… Presque sans empreintes humaines ? C’est ce que j’imagine. Difficile d’estimer le nombre de population : s’il y avait moins d’humains auparavant, la population de la campagne était probablement bien plus importante. J’arriverai dans la neige. Moins de gens, moins à voir sans doute, mais tellement beau. Là aussi le choix a été dur. Je ne sais pas du tout ce que je vais y voir, à mieux y réfléchir. J’essaierai en tout cas de ne pas finir sur un bûcher… Peut-être, au mieux, rejoindrais-je les fantômes racontés lors des soirs de veillées.

Un jour et je reviendrais. En espérant que d’autres soient tentés par la machine et rapportent de nombreux témoignages.

par Lola LS, le 8 février 2017

@ suivre...

 

Et vous ?

Si vous souhaitez écrire votre propre histoire,

les commentaires sont ouverts ! ;-)

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

16 avril 2017

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes », par Dimitri Casali

L’oeuvre de Dimitri Casali, historien, essayiste auteur de nombreux publications traitant de l’histoire de France, est tout entière empreinte de l’idée suivante : il faut s’attacher à transmettre un récit dont le peuple puisse être fier, il en va de la cohésion nationale, elle-même fonction du respect que devraient inspirer le pays et son passé, de la foi que ce passé devrait insuffler dans l’avenir. Cette position, celle des tenants de ce que l’on appelle le « récit national », est controversée, parce qu’on la soupçonne régulièrement de trop mettre l’accent sur la lumière, d’occulter le moins glorieux - quand tant d’autres se complaisent à dessein dans le travers opposé. Nous ne trancherons pas ici ce débat. Mais, sept mois après sa première tribune dans Paroles d’Actu, j’ai souhaité à l’occasion de l’élection présidentielle approchant lui offrir un espace de tribune libre ayant rapport au scrutin. Sa production, qui coïncide avec la sortie récente de son dernier ouvrage en date (La longue montée de l’ignorance, éd. First), "tape" plus large et plus profond que la présidentielle : « Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes ». La culture et ses lignes de front... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

La longue montée de l'ignorance

La longue montée de l’ignorance, éd. First

 

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique

des obscurantistes »

par Dimitri Casali, le 15 avril 2017

Un nouveau plafond de verre est en train de voir le jour. Il concerne tous ceux qui veulent déconstruire notre héritage. Faire table rase de nos racines historiques, voilà bien un projet totalitaire. L’ignorance a toujours été un outil des dictateurs pour asservir les peuples. Mais si les tenants de la table rase sont omniprésents dans les médias ils se font ravageurs sur le Net et en particulier sur Wikipédia. C’est à un vrai plafond que va se heurter la nouvelle génération : celui du réel, car dans les classements internationaux notre école et nos universités n’en finissent pas de chuter. Comment ne pas s’en inquiéter ? Car la culture est aussi ce qui redonne de la force et de l’espoir, ce qui permet de se sentir rattaché à son pays. Là où le « vivre ensemble » ne propose pour relier les individus que le vide de la théorie, la culture générale rassemble les individus, car elle leur permet de se sentir reliés les uns aux autres à travers une histoire commune. Que l’histoire de France ait été faite par tant de nouveaux arrivants qui vouaient un culte à la culture, la littérature, l’histoire françaises n’est pas un hasard.

Grâce à la science, l’homme a cru en la certitude que la connaissance le sortirait des ténèbres. Or, malgré les découvertes scientifiques majeures, l’obscurité est plus que jamais présente à ses côtés. Aujourd’hui, il y a une peur viscérale de la régression, du déclassement, de la déchéance même. La croyance fondamentale dans le progrès, ou même dans le retour des cycles crise/développement, ne fonctionne plus et cela nous oriente vers des solutions radicales. Les actes terroristes au nom des religions en sont l’expression la plus violente. On peut se rendre compte de la montée de l’ignorance et du déclin intellectuel et moral qu’elle entraîne de multiples façons : en regardant la télé, en écoutant la radio, en surfant sur Internet, d’où suintent de partout l’idéologie du relativisme où tout se vaut, le laisser-aller, l’abandon, le reniement, l’habitude de se vautrer dans la détestation de tout ce qui est beau et grand. Nous descendons toujours plus bas dans la déchéance médiatico-politique.

« Pourquoi voit-on si peu de savants

à la télévision ? »

La médiocrité des débats politiques télévisés et des propos politiques ou culturels en est la preuve. Cette plongée dans le néant d’idées, dans l’ivresse narcissique, dans la violence sectaire, dans le culte de l’anecdotique n’est rien d’autre que le reflet du vide absolu de nos dirigeants actuels. Et l’on pourrait se demander pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision. On en voyait dans les grandes émissions comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Le Grand Échiquier » pour ne citer qu’elles. Les vrais savants sont ceux qui connaissent les limites de leur savoir, c’est-à-dire l’infini de leur ignorance… d’où sans doute une grande modestie et une aversion pour les projecteurs.

Tout cela est d’une infinie gravité, car cela reflète l’abêtissement de notre société, conséquence d’un long déclin de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique. L’éducation et la culture à travers les médias devraient être le grand dessein du futur, le but ultime, le vrai miracle qui pourrait avoir, avec un énorme investissement financier, un réel effet. Elles seraient les seuls antidotes à la prise en main par des intégristes religieux ou médiatiques transmettant leurs transes à des foules assommées par la misère et abruties par l’ignorance. Lorsque le journaliste Jean-Michel Apathie déclare que son rêve est de « raser le château de Versailles », on reste dans la même logique, une logique négationniste qui vise à détruire tout ce qui nous a précédés, à détruire nos racines. Le 9 novembre 2016 sur la chaîne de télévision Public Sénat, invité de l’émission « On va plus loin », il explique doctement : « L’esprit politique français est fabriqué par le souvenir de Louis XIV, de Napoléon et du général de Gaulle, quand on fait de la politique en France, madame, c’est pour renverser le monde, moi si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrai ? Je raserai le château de Versailles […]. Ce serait ma mesure numéro un, pour que nous n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France. » Voici un bel exemple de crétinisation, d’ignorance contre laquelle il nous faut nous mobiliser, surtout quand il est fourni par un journaliste qui intervient dans les chaînes et radios publiques. Rien n’exige que l’entrée dans l’ère postmoderne se fasse par la trahison des héritages les plus nobles et des idéaux les plus élevés.

« Faire ses devoirs ne consiste plus à chercher

dans des livres mais à taper des mots-clés »

Pourtant en ce début de XXIe siècle, jamais nous n’avons été aussi connectés, avec une quantité d’informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche. Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les "sources" consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l’incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait Stuart Mills et avant lui Platon, d’une majorité de sots et d’une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n’est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l’amateur, si omniprésente que par contrecoup, l’expertise et le savoir perdent du terrain. Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée...

« Sur les réseaux sociaux, une sorte d’état de nature

proche de celui que décrivait Hobbes »

Force est de constater que quinze ans après son lancement, l’encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu’en règle générale le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l’article de l’encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est par définition bourrée de demi-vérités et d’erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l’internaute prend d’autant plus de poids qu’il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses followers actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d’"amis" sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d’état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l’emportent sur des sujets ardus. Ainsi Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée... L’article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak et celui consacré au général français Gallieni – accusé notamment d’avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l’appui totalement faux), est un monceau de désinformations... Enfin la notice de l’homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932 le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...

« Sur l’histoire et la politique, Wikipedia est un lieu

où se jouent des guerres idéologiques »

Ce qui est problématique, c’est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu’ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d’erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l’histoire ou la politique, sont souvent l’objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d’autant plus facilement que l’anonymat du web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais la principale plaie de l’encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s’amusent à insérer des erreurs. Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des "patrouilleurs" bénévoles volontaires qui peuvent être n’importe qui, spécialiste ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n’ont pas la science infuse. Quant à la "neutralité" de Wikipédia, elle est jour après jour totalement remise en cause. Ainsi, il y a deux mois j’en ai même fait la triste expérience avec des attaques particulièrement odieuses et diffamatoires puisque sur ma notice Wikipédia il était carrément écrit  : « Dimitri Casali  ennemi de la démocratie… ». J’ai dû remuer ciel et terre pour faire supprimer cette ignominie. Cette encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde a accès et peut raconter n’importe quoi devient un véritable péril. C’est devenu une sorte de Big Brother. Bientôt, les gens vont s’auto-censurer pour éviter de se retrouver dans ma situation où mes détracteurs viennent impunément contrefaire la vérité à mon sujet...

« Nos ancêtres, c’est nous dans le passé,

nos descendants nous dans l’avenir...

il convient de ne pas l’oublier »

Malgré cela nous devons continuer à nous battre pour nos valeurs et repères. Notre pays ne pourra résister longtemps aux assauts quotidiens des médias, des contempteurs de la pensée unique, des 80% des journalistes ignares et du gauchisme culturel tout puissant. Ce maelström communicationnel entretient la montée du multiculturalisme, du communautarisme et d’un altermondialisme désintégrant notre identité culturelle qui nous rappelait le génie de la civilisation française. Je vais vous avouer ma grande faute que l’on me reproche chaque jour : c’est d’avoir voulu rester fidèle à la mémoire de nos pères et à notre "Grande Nation", comme on l’appelait au XIXème siècle, qu’ils avaient su bâtir. Car nos ancêtres, c’est nous dans le passé, nos descendants, c’est nous dans l’avenir... Je fais donc le vœu que des plus jeunes m’entendent et prennent enfin le relais.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

1 octobre 2017

Sylvie Dutot : « Un déclic, comme une évidence : France Terres d’Histoire devait continuer... »

France Terres d’Histoire (FTH) est un magazine spécialisé diffusé en format numérique et composé depuis quatre ans par des passionnés d’histoire, au premier chef desquels Christian Dutot, à la rédaction en chef, et son épouse Sylvie. Une belle aventure et histoire humaine, qui a malheureusement failli s’arrêter brutalement après le décès bien trop prématuré de Christian Dutot fin 2016... C’était sans compter la détermination courageuse de Sylvie Dutot et des fidèles de FTH. Après le temps de labattement, et quelques mois de battement, il fut décidé que, tel le phénix, le magazine reviendrait. Qu’il vivrait. Pour que la belle aventure humaine continue. Pour ceux qui restent, pour Christian aussi... et surtout pour les lecteurs fidèles, et tous ceux qui aiment l’Histoire. Sylvie Dutot, nouvelle rédactrice en chef de FTH, a accepté de répondre à mes questions : je l’en remercie et souhaite plein succès à leur initiative, et bon vent à leur publication... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 25/09/17 ; R. : 10/10/17.

Sylvie Dutot: « Il y a eu un déclic, comme une évi-

dence : France Terres d’Histoire devait continuer... »

France Terres d’Histoire

France Terre d'Histoire no 5

 

Paroles d’Actu : Sylvie Dutot bonjour, je suis ravi, véritablement ravi de vous accueillir pour cette interview pour Paroles d’Actu. Nous sommes ici pour parler principalement d’histoire, et en particulier de votre magazine France Terres d’Histoire (FTH), lancé il y a tout juste quatre ans. Mais je ne peux pas ne pas aborder cette ombre qui s’est abattue à la toute fin de l’année dernière sur le magazine et bien davantage, sur votre famille : le décès de Christian Dutot, le bâtisseur et rédacteur en chef de FTH, votre époux et le père de votre fils... J’ai d’abord et avant tout envie de vous demander : comment allez-vous ?

l’après

« Une période de profonde désespérance

dont je suis sortie, plus forte que jamais... »

Sylvie Dutot : Je vais bien. J’ai connu, après la disparition de Christian, une période de profonde désespérance. Et j’en suis sortie, plus forte que jamais, grâce à quelques amis qui m’ont soutenue dans ce moment difficile. Et notre fils, qui est très jeune, se porte bien lui aussi.

 

Christian Dutot

Christian Dutot.

 

PdA : Je souhaiterais si vous le permettez citer à cet instant un de vos messages issus d’une conversation que nous avions eue début janvier, parce que cela m’avait beaucoup touché. « Le magazine est fini. Son rédacteur a disparu. Je suis fière et heureuse d’avoir aidé Christian à réaliser son rêve d’historien. Nous avions un nouveau projet de magazine qui ne verra jamais le jour. C’est ainsi. » Il semblerait, et c’est heureux, que vous ayez finalement choisi de ne pas tourner la page FTH... Parlez-nous de ce projet de nouveau numéro dont vous m’avez entretenu ? Comment avez-vous évolué dans la réflexion, et dans quel état d’esprit vous trouvez-vous aujourd’hui ?

redémarrer

« Beaucoup d’historiens m’ont fait part

de leur regret de voir disparaître ce magazine »

S.D. : Lorsque l’on réalise un magazine à deux comme nous le faisions, et que l’un disparaît, il est logique d’être en proie aux doutes quant à une éventuelle poursuite. Christian Dutot était historien et journaliste. Il écrivait la majeure partie des articles, chroniquait les livres, réalisait les interviews. Nous avions bien réparti les rôles entre nous et il ne me serait pas venu à l’esprit que je puisse un jour le remplacer dans cette fonction de rédacteur en chef. Ces derniers mois, beaucoup d’historiens m’ont fait part de leur regret de voir disparaître ce magazine. Et puis, voici quelques semaines, il y a eu un déclic, et cela s’est imposé comme une évidence. France Terres d’Histoire devait continuer.

 

PdA : Vous êtes donc, désormais, le rédacteur en chef de France Terres d’Histoire, et pour ce prochain numéro, évidemment si particulier, vous aurez pas mal de rôles à assumer. Savez-vous comment vous allez procéder ? Pas trop de stress, de pression ? Avez-vous à ce stade une idée assez précise des thèmes abordés, et des noms de ceux qui contribueront à vos côtés à l’élaboration du magazine  ?

chevilles ouvrières

« La confiance que nous a témoignée

Stéphane Bern nous galvanise »

S.D. : En effet, et c’est avant tout une question d’organisation, et de confiance. Celle de quelques amis historiens, écrivains et journalistes qui ont accepté de m’accompagner dans ce projet. Nous repartons de rien, sans financement ou presque, sans subventions conditionnées par des investissements impossibles pour l’heure, mais on sent qu’il se passe vraiment quelque chose de puissant autour de ce projet. Les énergies sont mobilisées. Pour ma part, je conserve les tâches qui m’incombaient déjà, à savoir, la mise en page du magazine, l’iconographie, les pages actualités, mais je m’occupe en plus de quelques interviews, et d’une partie des chroniques de livres. Accessoirement, j’assure une présence sur les réseaux sociaux et la gestion du site internet.

 

FTH Actualités

Page Actualités de Frances Terres d’Histoire numéro 4.

 

Du stress ? Curieusement non. Ou celui qui mobilise positivement. Et puis je ne suis pas seule. J’ai, pour m’accompagner, écrire des articles, des personnes de talent : Michel Chamard, historien, ancien rédacteur en chef adjoint au Figaro, ancien directeur du Centre vendéen de recherches historiques, chargé de cours à l’ICES, Laurent Albaret, médiéviste et historien de l’aviation dans l’entre-deux guerres, les historiens Émile Kern, Fabrice Renault, l’écrivain et dramaturge Jean-Louis Bachelet, et les historiens qui font l’actualité de la rentrée que nous aurons en interview. Et puis, pour inaugurer la nouvelle rubrique Patrimoine, un article sur Stéphane Bern, qui vient de se voir confié une mission par l’Élysée, visant à la sauvegarde du patrimoine. Il a accordé à Isabelle de Giverny, journaliste et auteur, une interview pour le site de terresdhistoire.fr, à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine. Stéphane Bern a découvert le site et le magazine, qu’il a trouvé de très bonne qualité. Nous en sommes ravis et flattés et sa confiance nous galvanise.

 

Stéphane Bern

Interview de Stéphane Bern.

 

PdA : Qu’est-ce qui, à votre sens, singularise et fait l’identité de France Terres d’Histoire au sein du domaine porteur - et plutôt densément peuplé - des magazines d’histoire ? Est-ce qu’on peut dire que votre truc à vous, c’est d’abord l’histoire considérée dans le cadre de territoires, et rattachée à un terroir ?

l’identité France Terres d’Histoire

« Le format numérique apporte une réelle

plus-value à l’iconographie »

S.D. : France Terres d’Histoire a réellement une place à part dans le domaine de la presse historique, en premier lieu en raison de son format exclusivement numérique, qui se veut beau à regarder et intéressant à lire. Le format numérique apporte réellement une plus-value à l’iconographie. Les possibilités de zoom permettent de « visiter » les œuvres, ce qu’un magazine papier ne pourra jamais offrir. Chaque article est richement illustré. C’est un magazine d’actualités, qui consacre une grande partie de ses pages à donner la parole aux historiens, mais aussi à tous ceux qui font de l’Histoire leur métier au sens large. Les livres, essais, romans historiques, travaux de recherches qui paraissent, les documentaires, les expositions à Paris et en régions, et des articles, des dossiers sur des thématiques variées.

 

PdA : On entend souvent dire, souvent davantage d’ailleurs comme une généralité assénée, que les Français pris comme un ensemble uniforme serait mus par une "passion" pour l’histoire. Avez-vous ce même sentiment au vu de vos expériences de terrain au quotidien (connaissances des uns et des autres, manifestations culturelles et festives...) ? Les Français se saisissent-ils suffisamment de leur histoire, et de leur patrimoine ? 

les Français, passionnés d’Histoire ?

« Les Français sont fiers de leur histoire...

et il y a de quoi ! »

S.D. : Oui, les Français ont la passion de l’Histoire. De leur histoire. Ils en sont fiers, et il y a de quoi. La France dispose d’un patrimoine exceptionnel, qui témoigne de la richesse de notre civilisation française, de notre culture, de notre histoire. Le succès des émissions de Stéphane Bern ou de Franck Ferrand montrent cet engouement des Français pour leur histoire et toutes ces manifestations historiques, à travers l’hexagone également. Pour construire son avenir, on a besoin de savoir qui on est, et donc de savoir d’où on vient. Cette histoire commune, c’est notre héritage, ce qui fait l’identité française. Il y a chez nos compatriotes ce désir de continuité, qu’incarne l’histoire de France.

 

PdA : Diriez-vous qu’il y a une "ligne" France Terres d’Histoire, au sens "politique" du terme c’est-à-dire, pour faire (très) schématique, une volonté de mettre en avant une lecture plutôt "conservatrice", ou plutôt "progressiste", ou bien au contraire savamment équilibrée des faits historiques ?

une "ligne" FTH ?

« L’histoire dans toute sa complexité, avec le souci

de comprendre, d’analyser sans a priori »

S.D. : La "ligne" de France Terres d’Histoire, s’il en existe une, est celle que nous partageons avec des millions de Français, celle de la passion de l’Histoire, une histoire qu’il ne convient jamais de juger à l’aune des mentalités actuelles, une histoire qui n’est pas instrumentalisée pour servir telle ou telle idéologie. L’histoire dans toute sa complexité, avec ses facettes glorieuses, et celles qui le sont moins, avec le souci de comprendre, d’analyser sans a priori. Une histoire des faits historiques, replacés dans leur contexte.

 

PdA : Est-ce que vous avez appris quelque chose du monde de la presse et des médias au sens large, peut-être du public aussi, depuis le démarrage de l’aventure FTH ? Avez-vous eu à cet égard, et sans parler bien sûr de la dernière année si particulière et de tout ce qui est attaché, des moments mémorables à la fois d’euphorie pure et de vrai découragement ?

grands moments d’édition

« Les nuits de bouclage avec Christian,

de purs moments d’euphorie... »

S.D. : Je garde en mémoire comme de purs moments d’euphorie ces nuits de bouclage, où Christian et moi-même terminions les derniers textes, l’édito, le choix de la couverture et sa composition au petit matin généralement vers 6 heures avant les premières lueurs du jour. Et lorsque tout cela était terminé, la satisfaction. Ces heures-là étaient magiques. Plus rien ne sera pareil bien évidemment mais j’espère connaître encore, avec mes amis, ces moments d’exaltation. La passion est là bien présente en tout cas !

 

FTH Sommaire no 3

Sommaire de France Terres d’Histoire numéro 3.

 

PdA : Quelle stratégie avez-vous à l’esprit aujourd’hui quant à la promotion de votre magazine ? Est-ce que, par exemple, vous comptez vous placer comme partenaire de telle ou telle manifestation historique ou patrimoniale ? Disposez-vous à ce jour de relais médiatiques ?

stratégies de communication ?

S.D. : Nous avons commencé à nouer quelques partenariats. Le dernier en date est celui conclu avec la société d’histoire militaire La Sabretache. Il s’agit d’une association créée au XIXe siècle par deux peintres, Meissonnier et Detaille et dix autres personnalités civiles et militaires. Ils donnèrent son nom à la société d’archéologie militaire et se fixèrent pour première mission de fonder un musée pour honorer les armées. Cela a donné lieu à la création de l’actuel musée de l’Armée aux Invalides.

Nous sommes prêts à répondre présents pour soutenir les organisateurs de manifestations historiques, de colloques, etc. dans la mesure de nos moyens, dès lors qu’il s’agit de promouvoir la diffusion de l’Histoire auprès du plus grand nombre, et de contribuer à faire connaître les travaux de recherches de la communauté des historiens.

 

PdA : À présent quelques questions d’histoire, sérieuses ou plus décalées...

 

Dans l’entretien récent et très intéressant qu’il vous a accordé autour des Journées européennes du Patrimoine, Stéphane Bern a cette phrase :  « Je ne crois pas qu’en 1789 la France soit passée subitement des ténèbres à la lumière. » Quel est votre avis sur la question, et pensez-vous que ce point fasse encore clivage aujourd’hui en France ?

Histoire et idéologies

« Il faut s’en tenir aux faits, et que les historiens

confrontent leurs arguments »

S.D. : La question de l’Histoire en France est un sujet hautement politique. Il y a constamment des tentations de relecture des évènements, d’exploitation à des fins idéologiques ou de basse politique. On l’a vu sur les commémorations ces dernières années et les polémiques que cela a pu soulever. On le voit aussi sur les programmes scolaires et l’occultation de certains personnages historiques, la mise en valeur de certains chapitres au détriment de d’autres, ce qui peut amener à une perception déséquilibrée et sans doute fausse des réalités historiques. Je pense à Dimitri Casali qui, à juste titre, milite pour une histoire plus équilibrée et moins partisane enseignée à nos enfants. Il a même publié un manuel d’Histoire destiné aux collégiens, et qui a recueilli un certain succès. Nous aurons l’occasion d’en discuter avec lui, lors du prochain numéro de France Terres d’Histoire à paraître fin octobre, il publie deux nouveaux ouvrages à la rentrée. Oui, il y a sans cesse cette tentation de manipulation de l’Histoire. Il faut s’en tenir aux faits, et que les historiens confrontent leurs arguments, fondés sur le fruit de leurs recherches. L’histoire, rien que l’histoire. Ce pourrait être notre deuxième slogan !

 

PdA : Quels sont, parmi les personnages qui ont fait l’histoire, ceux que vous placeriez, sur la base de critères qui vous seraient propres, un cran ou deux au-dessus des autres ? En somme, votre "panthéon" perso, de ceux que vous admirez et qui vous inspirent ?

panthéon personnel

« Louis XIV, Napoléon et le général de Gaulle ont,

chacun, incarné l’État à leur façon »

S.D. : Immédiatement je pense à trois personnages qui ont véritablement marqué leur temps et continuent encore aujourd’hui à rayonner : Louis XIV, qui fut un grand roi, Napoléon Bonaparte, et le général de Gaulle. Ils ont incarné l’État chacun à leur façon et continuent à être des références ; encore très récemment où on établissait le parallèle entre le Président Emmanuel Macron et Napoléon. On n’a toujours pas fini d’étudier leur personnalité, l’œuvre de leur vie, et ce en quoi ils continuent encore aujourd’hui à influer sur notre quotidien. De fabuleux destins, de grands hommes.

 

FTH Napoléon

Extrait de FTH numéro 4.

 

PdA : Si on vous donnait la possibilité de vivre vingt-quatre heures à la date (qu’on suppose ici passée), au lieu de votre choix, précisément, quel voyage choisiriez-vous ?

voyage dans le temps

S.D. : Je choisirais évidemment le jour qui me permettrait de changer le destin de Christian, mais, ce n’est pas forcément l’objet de votre question. Dans le même ordre d’idée, je choisirais un jour et un lieu qui me permette dans la mesure du possible d’empêcher une des grandes catastrophes du XXe siècle, contrarier le destin d’Hitler par exemple. Justement, Thierry Lentz vient de publier Le diable sur la montagne – Hitler au Berghof 1922-1944 aux éditions Perrin, un bon moyen de repérer les lieux de villégiature du Führer.

 

PdA : Si, un peu dans la même logique, vous pouviez vous entretenir une heure avec une personnalité historique, qui recueillerait vos suffrages et pour quel type de conversation... ?

entretien historique

S.D. : Je choisirais Jésus Christ, mais une heure ne suffirait pas pour tout ce que je voudrais savoir !

 

PdA : Vous m’avez indiqué être disposée également à relancer l’activité d’édition de livres d’histoire des entreprises, et c’est une très bonne chose. Parlez-nous de cela ? Comment ces démarches sont-elles reçues sur le terrain ?

histoires d’entreprise

S.D. : En effet, je relance également Histoire-Entreprise.fr, l’édition de livres d’histoire d’entreprises. Il s’agit d’ouvrages publiés à la demande des entreprises, fondations, institutions publiques ou privées, le plus souvent à l’occasion d’anniversaires. Source de motivation en interne, élément de valorisation auprès des partenaires, des clients et du grand public, témoignage de la pérennité d'une structure et reflet de ses évolutions, la vie de l'entreprise représente une aventure humaine collective. Il est important pour elle de conserver une trace de ce vécu collectif, qui risque de tomber irrémédiablement dans l’oubli, une fois les témoins disparus. Pour ce faire, nous faisons appel à des rédacteurs, spécialistes dans différents domaines d’activités qui ont tous déjà publié de nombreux ouvrages dans les grandes maisons d’édition. Du dépouillement des archives à l’impression du livre, c’est un travail vraiment passionnant, qui nous fait plonger à chaque projet au cœur même de l’histoire d’une entreprise. 

 

PdA : Je rebondis pour cette question sur la précédente, et je me dévoile un peu en partageant avec vous une idée qui me titille depuis longtemps. On ne compte plus les cas de solitude et de désœuvrement destructeur, notamment chez nos anciens, alors qu’ils sont porteurs d’une mémoire et donc de l’histoire collective. Tristesse de cette époque, on va maintenant payer des gens de la Poste pour qu’ils aillent voir s’ils vont bien. Je trouverais formidable - et dans l’idée cela rejoint votre activité d’édition de l’histoire des entreprises - qu’on les incite, sur la base du volontariat et contre un peu de beurre dans les épinards, à solliciter leur mémoire pour raconter leur histoire, précieuse pour leurs proches (et je sais de quoi je parle), et pour la collectivité. On réhabiliterait en quelque sorte le métier d’écrivain public (je crois qu’une telle initiative avait été prise durant le New Deal, sous Roosevelt), on rendrait de leur dignité et un peu de pouvoir d’achat à nos anciens en s’attachant à faire que leurs histoires ne tombent pas dans l’oubli. On pourrait même confier cela à une Agence de la Mémoire (son acronyme à double-sens serait tout trouvé : AGEM). Que pensez-vous de l’idée et croyez-vous que ça puisse marcher ?

mémoires et Histoire

« L’histoire c’est cela, la somme des vécus,

individuellement et collectivement... »

S.D. : Voilà une belle formule, « Agence de la Mémoire » ! De telles pratiques existent au sein de certaines institutions, je pense par exemple à l’Inra (Institut national de la Recherche agronomique) pour lequel nous avons travaillé, dans le cadre d’Histoire-Entreprise. L’institut a depuis de nombreuses années mis en place une structure chargée de collecter le témoignage des salariés et des retraités, sur le déroulement de leur carrière, leurs relations entre collègues, les rapports avec la hiérarchie. Ces témoignages font l’objet d’enregistrements sonores, puis sont retranscrits par écrit dans des recueils. Ils constituent une véritable mémoire des personnels scientifiques et techniques. Il y a par ailleurs des écrivains publics qui proposent leurs services pour collecter les souvenirs familiaux. Mais être rémunéré par la collectivité pour se raconter me paraît difficile à mettre en œuvre, il y a trop de volontaires prêts à le faire bénévolement.

Mais cela n’est pas sans évoquer pour moi l’objet du dernier ouvrage de Jacques-Olivier Boudon, historien, spécialiste du XIXe siècle qui publie chez Belin Le plancher de Joachim – L’histoire retrouvée d’un village français. Il a analysé et reconstitué l’histoire d’un modeste menuisier des Hautes-Alpes, Joachim Martin, et de la communauté villageoise des Crots, à quelques kilomètres d’Embrun. Ce menuisier a laissé, en 1880-1881 un témoignage inédit, en utilisant un moyen pour le moins inhabituel puisqu’il a écrit au verso du plancher qu’il posait dans un château, le château de Picomtal. Ont ainsi été retrouvés 72 planches portant sur une face des écrits abordant différents thèmes. Il était sûr de laisser un témoignage qui ne serait pas découvert avant de nombreuses années, bien après sa mort. C’est une histoire extraordinaire que Jacques-Olivier Boudon nous conte dans son ouvrage, et bien sûr il en sera question dans France Terres d’Histoire. Nous éprouvons tous le besoin à un moment ou un autre de raconter et de témoigner, de transmettre. L’histoire c’est cela, la somme des vécus individuellement et collectivement.

 

PdA : Quels seraient vos arguments pour inciter les passionnés d’histoire, ou même les simples curieux, à découvrir France Terres d’Histoire ?

arguments découverte

S.D. : La réponse est dans la question, si vous êtes passionnés d’Histoire et curieux, alors forcément vous aurez envie de lire France Terres d’Histoire. Il est incontournable !

 

Sylvie Dutot

Sylvie Dutot.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

18 mai 2017

Waleed Al-Husseini: « Ceux qui chérissent la laïcité doivent se souder autour de ses valeurs, et la défendre »

Waleed Al-Husseini, 27 ans, est un auteur palestinien réfugié en France après avoir été incarcéré et torturé en Cisjordanie pour avoir osé critiquer l’islam. Athée depuis qu’il a répudié la religion de ses pères - il est ce qu’on appelle un apostat -, il a fondé en juillet 2013 le Conseil des ex-musulmans de France. Que pense-t-il de la situation dans notre pays ? Il vient de signer un brûlot féroce et dont le titre seul annonce la couleur quant à la thèse qu’il y défend : Une trahison française, « Les collaborationnistes de l’islam radical dévoilés » (éd. Ring, 2017). Les autorités françaises, et à de multiples niveaux des autorités diverses auraient, par lâcheté, ou pire par calcul, été transigeantes avec l’islam radical et avec ceux qui le portent et le propagent. L’ouvrage fera du bruit, il en a déjà fait. Il ne manquera pas, et c’est sain, de provoquer encore et encore des réactions. Et des débats. C’est le propre d’une société démocratique.

Après lecture de cet ouvrage, j’ai souhaité poser quelques questions à Waleed Al-Husseini. Je le remercie d’avoir accepté de se prêter à l’exercice. Je remercie également Laura Magné, la directrice du service presse de Ring, dont l’intervention a été déterminante, et le traducteur de Waleed Al-Husseini, pour son travail remarquable et très rapide. Merci, également, à Fatiha Boudjahlat et à Jérôme Maucourant, pour leur concours et pour les articles qu’ils m’ont déjà apportés sur la laïcité. J’invite le lecteur intéressé à lire en complément, sur ce blog, l’interview que j’ai faite de Pascal Le Pautremat en août 2016, et les contributions récentes, également précieuses, des deux intervenants cités à l’instant. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Waleed Al-Husseini: « Ceux qui

chérissent la laïcité doivent se souder

autour de ses valeurs, et la défendre... »

Q. : 15/05/17 ; R. : 18/05/17.

 

Une trahison française

Une trahison française, par Waleed Al-Husseini, aux éd. Ring, 2017.

 

Paroles d’Actu : Waleed Al-Husseini bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Dans le monde catholique, il y a un clergé qui est hiérarchisé et organisé de façon pyramidale. Si à un niveau quelconque de la pyramide un membre du clergé professe une lecture du dogme ou exprime des opinions qui sont contraires aux vues de ses supérieurs, ceux-ci pourront le révoquer et dire, "Non, ça n’est pas la bonne lecture de la religion". Au sommet de la pyramide c’est le Pape qui dit sa conception de la religion ; elle s’applique en cascade et fait autorité partout.

Est-ce qu’il ne manque pas, au moins dans l’islam sunnite, un système d’autorités pyramidales, avec une autorité à sa tête qui clarifierait les choses ? En attendant, "religion de paix" ou "religion de combat", tout le monde dit et pense la sienne, et il y a autant de lectures de l’islam que de croyants et observateurs. Il n’y a certes pas de clergé dans l’islam sunnite, mais y’a-t-il des figures de savants, de sages qui feraient autorité au sein de la communauté sunnite mondiale, et quelle lecture ceux-là ont-ils de l’islam, de son rapport aux femmes et aux autres religions notamment ?

des hiérarchies en islam

Waleed Al-Husseini : L’islam se distingue en effet de la chrétienté notamment sur ce point. En islam, il n’y a pas de clergé organisé, encore moins de hiérarchie. Cette religion, particulièrement sa version sunnite, manque de centralité. De ce fait, il s’agit de l’un des principaux problèmes de l’islam dans l’affrontement de la vie moderne. Ces manquements mettent systématiquement en échec les tentatives de dégager une vision moderniste et réformiste et de conformer la religion aux valeurs universelles. Ils annihilent également les moindres tentatives de donner de l’islam une autre lecture qui dénote de la pensée la plus rétrograde répandue au sein de la communauté. À l’inverse de l’islam dans sa dimension religieuse et spirituelle, les organisations djihadistes et celles relevant de l’islam politique sont bien hiérarchisées. Il convient de noter aussi que, dans la confrontation que mènent actuellement l’islam politique et les groupes djihadistes, ces derniers fonctionnent davantage en réseaux nébuleux qu’en mouvements structurés.

« À travers l’histoire de l’islam, les réformistes

n’ont jamais trouvé un écho positif

dans les sociétés musulmanes »

Quant aux autres écoles de l’islam, elles tentent de présenter d’autres lectures du dogme. Mais il s’agit de tentatives individuelles. À travers l’histoire de l’islam, les réformistes n’ont jamais trouvé un écho positif dans les sociétés musulmanes, encore moins auprès des dirigeants temporels et spirituels. De ce fait, aucune réforme n’a pu aboutir depuis l’avènement de l’islam. Sa vision pour la femme et pour les non-musulmans n’a pas changé d’un iota depuis 1400, car elle est inspirée du Coran, considéré comme la Constitution de la Oumma. Or, le Coran fait de la Femme une mineure éternelle et la soumet à l’Homme, comme il divise le monde en deux catégories : les fidèles et les kouffars (impies). Ceux parmi les musulmans qui considèrent la Femme égale à l’Homme, et qui respectent les gens du Livre (les autres religions monothéistes) sont minoritaires et sont persécutés par les radicaux. Accusés de blasphèmes et qualifiés de renégats, ils sont tous simplement persécutés, exclus de l’islam et emprisonnés. En résumé, les mouvements terroristes et l’islam politique sont hiérarchisés par nécessité organisationnelle et appliquent le Coran à la lettre, alors que l’islam religieux manque de structuration.

 

PdA : Quelle perception avez-vous du monde musulman en France ? Est-ce que, pris comme un ensemble, les musulmans vivent leur foi différemment en France par rapport à d’autres pays ? Comment, par exemple, les musulmans que vous avez rencontrés dans notre pays perçoivent-ils votre statut d’apostat, la promotion que vous en faites, et la notion de liberté religieuse en général ?

les musulmans de France

W.al-H. : Les musulmans en France jouissent de beaucoup plus de liberté dans l’exercice de leur foi que dans les pays musulmans. À titre d’exemple, les chiites en Arabie saoudite et les sunnites en Iran n’ont pas le droit de vivre pleinement leur religion. Les premiers sont persécutés par les autorités wahhabites, et les seconds sont pourchassés par la mollarchie iranienne. Il en est de même pour les pays sunnites du Maghreb qui luttent jalousement contre la chiitisation… La France offre la liberté religieuse à tous. Mais malheureusement, la communauté musulmane en France n’est que la continuité des sociétés d’origine.

« Je ne comprends pas cette complai-

sance qu’on a, en France, avec ceux qui,

comme Hassan Iquioussen, répandent

les idées les plus radicales »

Dans leur diversité (la communauté est essentiellement composée de Turcs, d’Algériens, de Marocains, de Tunisiens et d’Afrique de l’ouest), les musulmans de France ont importé les valeurs et les coutumes de leur pays d’origine, dont certains les ont pourtant fuies. De ce fait, les musulmans vivent dans des ghettos et persécutent les « renégats » en singeant leur pays d’origine. Ils appellent à exécuter ceux qui quittent l’islam, comme Hassan Iquioussen qui incite les musulmans à « tuer les ex-musulmans par 12 balles ». Or, Iquioussen, qui est membre de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France, ndlr) et a ses liens avec la sphère politique, n’a jamais été inquiété pour incitation à la violence. Non seulement il n’a pas été arrêté ou interrogé, mais il continue de fréquenter les hommes politiques au nom de l’UOIF. Je ne comprends pas cette complaisance à son égard et à l’égard de ses semblables qui répandent les idées les plus radicales en France.

Concernant ma définition de la liberté religieuse, je pense qu’elle doit se limiter à l’exercice de la foi dans les lieux de culte, sans avoir une quelconque influence sur la sphère politique, l’espace public et l’éducation. La foi doit est un lien vertical entre chaque individu et son Dieu, quel qu’il soit. Mais l’islam dépasse cette dimension et les musulmans tentent de s’ingérer dans les affaires des autres pour répandre leur religion. Ceci passe par la prédication, le prosélytisme et les écoles islamiques qui prolifèrent dans le pays, souvent clandestinement.

 

PdA : Quel regard portez-vous sur les tentatives du pouvoir politique d’organiser l’islam en France, ces quinze dernières années ? L’édifice CFCM (le Conseil français du culte musulman, ndlr) est-il un début de solution aux problématiques rencontrées, ou bien a-t-il d’ores et déjà été noyauté par les intégristes ?

l’islam en France

« Les radicaux ne sont pas seulement ceux

qui portent les armes et commettent

des actes terroristes... »

W.al-H. : Les tentatives d’organiser l’islam en France sont vouées à l’échec, comme je l’ai expliqué dans mon livre. Car les radicaux ont infiltré et noyauté la communauté et toutes les associations et organisations qui en sont issues. Autrement dit, ces associations qui prétendent représenter l’islam sont radicales. Les radicaux ne sont pas seulement ceux qui portent les armes et qui commettent les actes terroristes, mais sont aussi radicaux tous ceux qui ne croient pas aux libertés, et qui veulent imposer les valeurs obscurantistes de l’islam moyenâgeux. Et c’est ce que les associations musulmanes font. À titre d’exemple, elles ont combattu Charlie Hebdo devant les tribunaux avant que des terroristes ne mettent à exécution la même pensée et ne déciment le journal. Donc, il n’y a aucune différence entre les deux branches. Ils combattent la liberté chacun à leur façon. Ils sont noyautés par les Frères musulmans dont l’objectif est d’accélérer l’islamisation par l’éducation, l’invasion culturelle et l’infiltration politique. Leurs moyens diffèrent mais leur objectif est le même.

 

PdA : Existe-t-il un islam des Lumières, et si oui quel est son poids auprès de ceux qui pensent l’islam, et de ceux qui le pratiquent ?

un islam des Lumières ?

« Tout débat sur l’islam est étouffé par

les institutions : lArabie et l’institut Al-Azhar... »

W.al-H. : Historiquement, l’islam est la première religion qui a connu sa révolution réformiste, avec les Mo’tazala. C’était sous l’empire abbasside. Depuis, aucun débat n’est parvenu à rivaliser avec celui proposé par les Mo’tazala. Faut-il rappeler que l’islam est radical par ses textes fondateurs et par le comportement de son fondateur et de ses compagnons ? Chaque initiative de réforme se heurte à cette réalité. Les rares musulmans éclairés qui ont eu le courage d’en débattre ont été marginalisés par les institutions (l’Arabie et l’institut Al-Azhar…).

 

PdA : Est-ce que vous décelez, en France comme ailleurs, dans nos sociétés post-industrielles, matérialistes et souvent égoïstes, un malaise, un terreau rendant irrépressibles une quête de sens, une "recherche de transcendance" faisant de la religion et des "communautés" des refuges naturels ?

l’islam, un refuge face au monde moderne ?

« L’islamisation est programmée

par ce qui est appelé "l’éveil islamique" »

W.al-H. : Je ne suis pas adepte de cette théorie concernant les musulmans de France et d’Europe. Elle peut s’appliquer sur les autres religions mais pas à l’islam. L’islamisation est programmée par ce qui est appelé « l’éveil islamique », lancé dans les années 1980. Quand on a interrogé le télécoraniste Al-Qaradaoui sur ce que l’éveil islamique a réalisé, il a répondu avec fierté : « Regardez le nombre des femmes voilées dans les rues ». Il est vrai que l’individualisme en Occident et la dislocation des valeurs sont un facteur aidant à l’expansion de l’islam, d’autant plus que les marginaux qui ont du mal à s’intégrer dans leur propre société rejoignent l’islam.

 

PdA : L’islam est-il oui ou non, d’après vous, compatible avec la République telle qu’on la conçoit en France ?

l’islam, compatible avec la République ?

« De nombreux prédicateurs placent

la Charia au-dessus de la Constitution »

W.al-H. : Certainement pas. L’islam n’est pas compatible avec la République et ses valeurs. Au contraire, il défend un retour aux valeurs du VIIème siècle avec leurs ségrégations religieuses, notamment contre les juifs, et sexistes à l’égard de la Femme. D’aucune façon le rejet de l’homosexualité, de la liberté sexuelle et de l’égalité ne peuvent se fondre dans celles de la République. D’autant plus que les musulmans revendiquent la primauté de leur appartenance à l’islam à leur nationalité. De nombreux prédicateurs, et pas des moindres, placent la Charia (loi divine) au-dessus de la Constitution (loi terrestre).

 

PdA : Diriez-vous de l’élection d’Emmanuel Macron, et de la nomination à Matignon d’Édouard Philippe, qu’elles vont plutôt dans le bon ou dans le mauvais sens sur les questions relatives à la pratique de l’islam, au religieux et aux communautarismes ? Je précise ma pensée, reprenant en cela des éléments que m’a apportés Jérôme Maucourant pour cette interview : pensez-vous que le président et que le premier ministre, au vu des rapports qu’il a entretenus avec l’islam politique au Havre, ont pris la pleine mesure du danger du communautarisme en France ?

Macron, Édouard Philippe, et les communautarismes

W.al-H. : Le président Macron s’est entouré de plusieurs conseillers de confession musulmane qui ne cachent pas leur attachement à leur pays d’origine. De plus, il a lancé sa campagne électorale depuis l’Algérie où il a été reçu comme un chef d’État et a visité le Musée du Martyr. Tout un symbole. Depuis, les Algériens revendiquent une part de sa victoire, et rappellent qu’il a été élu grâce au vote musulman, la communauté ayant voté contre Marine Le Pen. De ce fait, il pourrait leur être redevable d’une façon ou d’une autre.

« Je comprends que Macron veuille ratisser large...

je crains que cela ne se fasse au détriment

de la laïcité et des valeurs républicaines »

Quant au Premier ministre, Édouard Philippe, sa nomination pourrait constituer le point faible du pouvoir. Car il a des liens avérés avec les islamistes de sa région. Il a également des liens avec le Maroc (jumelage). Je comprends la manœuvre de Macron qui cherche à obtenir une majorité parlementaire, et qu’il ratisse large. Mais je crains que ceci ne se fasse au détriment de la laïcité et des valeurs républicaines, dans le prolongement de la politique du dernier quinquennat.

 

PdA : Cette question m’a été inspirée par Fatiha Boudjahlat, une enseignante très engagée sur les affaires de laïcité et de droits des femmes. Vous vous êtes battu en Palestine et ailleurs. Vous vous battez maintenant en France, pourquoi, sachant que beaucoup de Français s’accommodent fort bien de la situation actuelle ? Je complète : qu’est-ce qui vous anime, et quel est le sens de votre combat, mené parfois au péril de votre vie ?

le sens d’un combat

« Je combats pour faire cesser les tueries

commises au nom de l’islam »

W.al-H. : Je puise ma force des victimes de l’islam qui sont tombées et qui tombent tous les jours dans les pays musulmans et en Europe. Chaque victime me renforce dans ma détermination à lutter contre ce cancer, à expliquer ses dangers et à tenter d’y remédier. Je combats pour faire cesser les tueries commises au nom de l’islam. J’essaie de trouver une sortie de ce tunnel obscur. Je le fais au péril de ma vie, certes. Mais ma vie n’est pas plus chère que celle de tous ceux qui ont péri pour la même cause. Aussi, cesser le combat signifie la victoire des obscurantistes et je ne suis pas prêt à leur offrir cette victoire. Après tout, chaque jour que je vis est un bonus, car j’ai failli perdre la vie en 2010. Depuis, je consacre mon temps et ma vie à la Liberté et aux valeurs de la République.

 

PdA : Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs ?

W.al-H. : Mon appel est simple : il faut lutter contre ce fascisme islamiste, par tous les moyens. Il ne faut pas mettre la tête dans le sable pour ne pas voir le danger et dire que tout va bien, quand rien ne va. Au contraire, il ne faut pas avoir peur de mener ce combat y compris contre les collaborationnistes.

 

PdA : Un dernier mot ?

W.al-H. : Pour conclure, j’inviter les lecteurs à rester vigilants et s’armer de courage. Les adeptes de la laïcité, de quelques origines et confessions qu’ils soient, doivent se souder autour de ses valeurs et les défendre pour sauver ce qui peut encore l’être.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

29 mai 2017

Frédéric Salat-Baroux : « Les habits de la Vème République semblent convenir parfaitement à Emmanuel Macron »

Frédéric Salat-Baroux fut, entre 2005 et 2007, de par sa position de secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Jacques Chirac, un des personnages les plus puissants de l’État. Il a depuis lors fait bifurquer son parcours vers le privé, vu et appris de nouvelles choses, étoffé sa "pensée" du monde, du monde et de notre pays. Le 20 juillet dernier, à l’occasion de la parution de son ouvrage La France EST la solution (Plon, 2016), riche tour d’horizon des maux de la France d’aujourd’hui et programme clé en main pour y remédier, M. Salat-Baroux avait longuement répondu à mes questions pour Paroles d’Actu. Le contact a été maintenu, et c’est tout naturellement que j’ai eu envie dinterroger ce proche d’Alain Juppé sur la dernière élection présidentielle, sur le sens qu’il lui donne et sur le regard qu’il porte sur le nouveau Président. Merci à lui d’avoir accepté une nouvelle fois de se prêter à l’exercice, et pour ses réponses... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Salat-Baroux: « Les habits

de la Vème République

semblent convenir parfaitement

à Emmanuel Macron »

Q. : 15/05/17 ; R. : 21/05/17.

 

Emmanuel Macron

Emmanuel Macron lors de son investiture en tant que président de la République,

le 14 mai dernier. Source de l’illustration : médias.

 

Paroles d’Actu : Frédéric Salat-Baroux bonjour, je suis ravi de vous retrouver dans les colonnes de Paroles d’Actu. Le 7 mai, Emmanuel Macron a donc remporté l’élection présidentielle face à Marine Le Pen au terme d’une campagne inédite voire folle à bien des égards. Quelle lecture faites-vous de l’événement, et de manière peut-être plus personnelle, quel est votre ressenti ?

la présidentielle de 2017

Frédéric Salat-Baroux : Contrairement à ce qui a pu être dit, la campagne présidentielle a été terriblement forte de sens.

Les Français ont exprimé des messages particulièrement clairs et radicaux :

- la volonté de tourner la page d’une classe politique en situation d’échec ;

- une interrogation profonde face à une Europe qu’ils vivent comme destructrice d’emplois et dure aux faibles ;

- comme lors de la campagne américaine avec les thématiques de Trump et Sanders, un rejet d’un système capitalisme qui tourne fou en concentrant la richesse sur une micro élite et qui appauvrit désormais les classes moyennes ;

- une identité blessée.

Ils auraient pu y ajouter l’ubérisation, géniale en terme de progrès, mais qui porte le danger d’un terrible retour au chacun pour soi social.

C’est logiquement que la campagne présidentielle a conduit à la cristallisation des électeurs sur des projets de type révolutionnaire : ceux des extrêmes mais aussi celui d’Emmanuel Macron, qui s’est différencié des autres par sa dimension constructive et non pas destructrice.

« Les Français ont fait une ultime fois

le choix de la raison... s’ils ne sont pas entendus,

la prochaine fois, ce sera le Front national... »

Les Français ont fait une ultime fois le choix de la raison. Mais le message adressé aux élites est très clair : si vous n’entendez pas notre souffrance, la prochaine fois ce sera la souffrance pour tous. Ce sera le Front national.

 

PdA : Dans une tribune que vous aviez écrite avant le second tour sur le site de l’Opinion, vous déclariez ceci : « L’intérêt de la France, notre honneur républicain, notre capacité à pouvoir nous rebâtir demain commandent de dire aujourd’hui haut et clair : aucune voix de droite ne doit manquer à Emmanuel Macron. » Le message était limpide, et en parfaite cohérence avec votre parcours et les valeurs que vous portez. Mais, vous savez mieux que nous tous à quel point la charge présidentielle est grande et lourde à porter dans la France de la Vème : est-ce que, pour ce que vous en savez, vous diriez d’Emmanuel Macron, qui vient donc d’être élu, qu’il a des qualités qui le qualifient pour la fonction ; qu’il en a les capacités ; qu’il en est digne ? Et est-ce qu’on ne gagnerait pas, à un moment donné, à essayer de réduire un peu ce costume taillé sur mesure pour un homme - de Gaulle - comme on n’en fait pas deux par siècle dans chaque pays ; costume de moins en moins habité alors que défilent les mandats ?

Macron, digne de la fonction ?

F.S.-B. : Il y a quinze mois, lors de la sortie de mon livre La France est la solution que j’avais failli intituler Pour un nouveau bonapartisme, j’avais dit lors d’une interview : « Macron, c’est Bonaparte ».

Les points communs sont nombreux :

- aptitude à faire la synthèse des idées de l’Ancien régime et de la révolution ;

- vista ;

- capacité d’apprentissage ultra rapide ;

- peur de rien.

Il vient de remporter sa première campagne d’Italie. Par-delà sa jeunesse, ce qui domine c’est son autorité, sa volonté de tout voir, de tout traiter, de tout décider.

« Bonaparte avait organisé l’État

comme une armée, Macron est bien parti

pour le faire comme une start-up »

Bonaparte avait organisé l’État comme une armée. Emmanuel Macron est parti pour le faire comme une start-up.

Les habits de la Vème République semblent donc parfaitement lui convenir.

Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je ne crois pas que nos institutions soient dépassées en ce que les Français veulent avoir un monarque républicain.

En revanche, comme les entreprises ont su le faire, l’action publique doit s’ouvrir aux logiques coopératives. Les Français ont été des acteurs majeurs de la campagne présidentielle, ils doivent devenir des acteurs du travail gouvernemental et législatif.

Avec la simplification des échelons territoriaux, c’est, selon moi, la priorité pour une réforme des institutions.

 

PdA : Chiraquien et juppéiste, comment vous situez-vous par rapport au mouvement de recomposition politique que semble engager la nomination du gouvernement d’Édouard Philippe ?

action, recomposition

F.S.-B. : Je ne suis pas aujourd’hui dans la vie politique mais j’ai un regard de citoyen engagé.

Comme je l’ai dit, les Français ont exprimé un message d’une très grande gravité, au sens le plus noble du terme.

Depuis l’entre-deux-tours, j’ai en tête, presque de manière obsessionnelle, cette phrase de Pierre Cot arrivant à Londres en juin 1940 et disant au général de Gaulle qu’il était prêt à tout faire pour son pays et « s’il le faut balayer les escaliers ».

« Je pense qu’il faudra aller, après les législatives,

vers une coalition, non pas de dilution mais de

"percussion" pour agir au mieux pour les Français »

Sur le plan de l’action politique, je pense qu’il faut aller, après les législatives, vers la constitution d’une grande coalition. Pas une coalition de dilution mais de percussion, pour agir et répondre aux messages des Français.

Mais il ne faut pas tout attendre du Président. Chacun doit agir. Quand on est responsable, comme moi, d’une entité économique, on a le devoir de se poser des questions aussi simples qu’essentielles : puis-je prendre des jeunes stagiaires en plus ? Ai-je la possibilité d’embaucher une ou deux personnes de plus ?

Sans ce nouveau civisme collectif, les efforts qui seront engagés par les pouvoirs publics risquent d’être largement privés d’effets.

C’est l’enjeu des mois à venir. C’est ce que le général de Gaulle appelait le sursaut national, ou plus justement encore le sursaut collectif.

 

PdA : Au soir du second tour, on s’est donc retrouvé, plus ou moins comme attendu, avec une Marine Le Pen représentant presque 35% des exprimés, 10,6 millions d’électeurs, c’est à dire, quoi qu’on en dise, un score énorme, qui aura pulvérisé tous les records du Front national jusqu’à présent. Que vous inspire ce chiffre ? Dans votre tribune, vous louiez l’intransigeance de Jacques Chirac face à l’extrême droite, mais cette poussée continue depuis quarante ans du parti des Le Pen n’est-elle pas d’abord la preuve que ce qui a été fait ou dit par les gouvernants successifs n’a pas été efficace ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de perturbant sur le plan de la démocratie - le sentiment pour le citoyen d’être représenté / la confrontation des idées et les votes à assumer au parlement - dans la quasi absence, à l’Assemblée nationale, d’un parti qui pèse autant dans l’opinion que le FN ? Est-ce que tout cela n’alimente pas les ressentiments des citoyens qui se sentent exclus de tout, et donc même de la politique, offrant par là même un effet boost à peu de frais et bien pratique (pas de prise de position collective à assumer dans une assemblée, une posture de victime) aux dirigeants du parti frontiste ? (...) Cette question du vote FN, c’est aussi et c’est surtout celle de la fracture, béante, au sein de la société : toutes ces cohortes de Français pour qui le grand large, les grandes perspectives, la place dans la caravelle de la conquête et de la réussite, ce sera toujours pour les autres et jamais pour eux...

répondre au vote Front national

F.S.-B. : Jamais peut-être la nécessité de distinguer entre les électeurs du Front national et ce parti n’a été aussi évidente, aussi forte.

Le message des électeurs du FN mais plus largement d’une grande majorité de Français est : regardez la réalité dans laquelle nous vivons. Dans tant d’endroits de France et notamment dans le grand arc du nord et de l’est du pays, le premier employeur est l’hôpital et le deuxième la maison de retraite ; les usines, fierté d’hier, sont devenues des friches, les boutiques des centre-villes sont souvent murées depuis des années ; la grande crainte des parents, ce n’est même plus le chômage à 50 ans mais de ne pas trouver un premier stage pour les enfants ; tant de familles finissent le mois à l’euro près.

C’est à cela qu’il faut répondre. Il faut faire des économies, créer un cadre favorable aux entrepreneurs, réformer l’État, mettre en place une administration numérique, non pas comme je l’ai longtemps pensé, pour baisser les impôts mais pour se donner de nouvelles marges de manoeuvre en matière d’éducation, de formation, de redistribution. L’État doit renouer avec son ambition méritocratique et égalitaire. Je mesure le caractère provocateur de la formule mais partout dans le monde occidental et singulièrement en Europe, il va nous falloir inventer une nouvelle forme de social-démocratie.

A défaut et si l’on revient, inquiétude d’un second tour Mélenchon-Le Pen passée, à un statu quo arrogant, la sanction populaire sera la victoire du Front national.

« Ce qui s’est vu de manière évidente lors du

débat d’entre-deux-tours, c’est l’incompétence

crasse du Front national »

L’immense mérite du débat d’entre-deux-tours a été de montrer le vrai visage de ce parti. Il est tout sauf le retour à un conservatisme (dé)passé, à une France apaisée pour mentionner l’incroyable anti-phrase du slogan du début de campagne. Au-delà de la violence et de la haine du tout et tous, ce qui s’est vu de manière crue, c’est aussi et peut être surtout l’incompétence crasse du parti d’extrême droite.

N’en doutons pas, l’élection d’Emmanuel Macron a été le dernier avertissement du peuple français à des dirigeants et à une élite qui ont été jusqu’ici aussi aveugles que défaillants.

 

PdA : Quel message adresseriez-vous à Emmanuel Macron, fort de votre haute connaissance des affaires de l’État (en tant qu’ex-secrétaire général de la présidence de la République en particulier) ?

un message pour Emmanuel Macron ?

F.S.-B.. : Je n’ai évidemment pas de conseils à donner à celui qui vient de démontrer son aptitude à assimiler, de manière ultra rapide, toutes les réalités et les complexités de nos institutions.

L’enjeu, ce n’est déjà plus le renouvellement. Nous savions que les partis, l’ordre politique en place n’étaient que des châteaux de sable face à l’océan. Il aura été l’accélérateur d’un effondrement annoncé.

« L’enjeu essentiel : faire que chaque jeune

prêt à travailler dur ait à nouveau sa chance... »

L’enjeu est évidemment dans l’action, c’est-à-dire dégager des marges de manoeuvre par la création de richesses en s’appuyant sur la libération des talents des entrepreneurs et sur les effets de la révolution numérique pour que chaque jeune, prêt à travailler dur, ait à nouveau sa chance.

C’est cet "en même temps", pour reprendre l’expression du nouveau Président, qu’il va falloir imposer à toute nos politiques publiques et dans l’indispensable réforme des traités européens.

Ce qui est intéressant à la relecture du programme d’Emmanuel Macron, qui pouvait apparaître pas assez radical sur le plan économique, est qu’il est, en fait, fondé sur cette double exigence.

Comme toujours mais plus que jamais... tout sera question d’exécution.

 

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux, ex-secrétaire général de l’Élysée (2005-2007) sous la présidence

de Jacques Chirac, est l’auteur de La France EST la solution (Plon, 2016).

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

7 novembre 2017

Olivier Da Lage : « Mohammed ben Salman a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre... »

Le week end dernier, juste après la création d’une commission anticorruption dont Mohammed bel Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, a pris la tête, une vague sans précédent d’arrestations de princes, ministres, anciens ministres et autres potentats saoudiens a créé une onde de choc à la tête du royaume. Qui est cet ambitieux, fils d’un roi qui ne jure plus que par lui ? Quelles conséquences sur l’alliance américaine, et la volonté affichée de modernisation d’un pays qui compte parmi les plus conservateurs ? Décryptage, avec Olivier Da Lage, journaliste à RFI qui maîtrise parfaitement les enjeux de la région. Un contributeur fidèle, qu’il en soit, ici, remercié. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 06/11/17 ; R. : 07/11/17.

Olivier Da Lage: « Mohammed ben Salman

a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre... »

Mohammed ben Salman

Le prince Mohammed ben Salman. Illustration : http://dailyarabnews.net

 

Paroles d’Actu : Opération "Nettoyage" ? Règlements de comptes ? Putsch de palais ? Amorce d’une révolution plus en profondeur ? Que penser des derniers développements en cours en Arabie saoudite ?

pourquoi cette purge ?

Olivier Da Lage : Cette purge, sans précédent dans le royaume, vise à faire le vide autour de Mohammed ben Salman afin d’écarter toute opposition sur le chemin qui doit le mener au trône.

 

PdA : Quel état des forces en présence au royaume des Saoud ? En quoi les équilibres sont-ils modifiés après les événements ?

le jour d’après

« Le moment de vérité interviendra sans doute

à l’heure de la succession... »

O.D.L. : En apparence, tous les rivaux potentiels, tous ceux qui formulaient des critiques, tous ceux qui pouvaient représenter une menace pour le pouvoir apparemment sans limite du jeune prince héritier ont été écartés sans ménagement. Parfois simplement limogés, parfois placés en résidence surveillée, voire en prison. Ce qui est frappant, c’est qu’il a réussi, avec l’appui du roi Salman, son père, à éloigner du pouvoir toutes les autres branches de la famille. Mais cela en fait autant d’ennemis qui, pour l’heure, sont réduits au silence, mais il est sans doute prématuré de considérer qu’ils ont renoncé à se manifester le moment venu, c’est-à-dire lors de la succession.

 

PdA : Que sait-on de Mohammed ben Salman, fils du roi Salman et héritier du trône ? De ce en quoi il croit, de ce qu’il pense, et de ce qu’il veut ? Est-il sur l’essentiel en phase avec son père ?

le Prince

O.D.L. : Jusqu’en janvier 2015, lorsque le prince Salman a succédé au roi Abdallah, on savait fort peu de choses de lui. On sait qu’il est né en 1985 et qu’il est donc âgé de 31 ou 32 ans, qu’il est le fils aîné de la troisième épouse du roi Salman, et qu’il est toujours resté aux côtés de ce dernier. Il n’a pas étudié à l’étranger, contrairement à ses demi-frères (dont un astronaute qui a volé sur la navette spatiale américaine dans les années 80) ; on sait aussi qu’il a rempli le rôle de chef de cabinet auprès de Salman lorsque celui-ci était gouverneur de Ryad, puis prince héritier. Cette fonction lui a permis de s’imprégner des codes de la politique saoudienne depuis son plus jeune âge et de contrôler l’accès à son père, quitte à faire attendre de puissants princes ou des ministres.

« Son père, le roi Salman, lui a fait franchir

toutes les étapes du pouvoir à une vitesse sans

précédent pour ce royaume conservateur »

Il bénéficie du soutien total de son père, qui l’a nommé ministre de la Défense à l’âge de 29 ans. C’est à ce titre qu’il a lancé en mars 2015 la guerre au Yemen, qui a fait plus de 10 000 morts et conduit ce pays, déjà l’un des plus pauvres du monde, dans une situation épouvantable avec un demi-million de malades du choléra, et sept millions de Yéménites au bord de la famine. Son père lui a fait franchir les étapes à une vitesse sans précédent dans ce royaume conservateur : outre le ministère de la Défense, il lui a confié la supervision de l’economie, puis l’a nommé vice-prince héritier, puis, en juin dernier, prince héritier après avoir contraint à la démission le tenant du titre, le prince Mohammed ben Nayef, ministre de l’Intérieur et jusqu’à récemment encore, considéré comme l’homme fort d’Arabie Saoudite. Il ne reste plus à Mohammed ben Salman (M.B.S.) qu’à succéder à son père, soit à sa mort, soit, ce qui est plus vraisemblable, lorsque celui-ci abdiquera en sa faveur.

 

PdA : Comment se porte l’alliance historique qui unit Ryad aux États-Unis ? Et comment cette relation est-elle vécue par la "rue saoudienne" ?

Ryad et Washington

O.D.L. : Sous Obama, soupçonné de lâcher ses alliés arabes au profit de l’Iran, elle avait atteint des abysses. Depuis l’élection de Donald Trump, c’est la lune de miel. C’est à Ryad que Trump a effectué son premier voyage à l’étranger en tant que président en mai dernier. Les Saoudiens lui ont réservé un accueil royal et ont passé commande auprès des États-Unis pour des centaines de milliards de dollars. Autrement dit, ils se sont acheté le soutien sans réserve du président américain qu’ils ont mis à profit aussitôt après pour tenter de régler son compte au Qatar, jusqu’à présent sans succès.

« La perspective d’un conflit ouvert au Moyen-Orient

s’est brusquement rapprochée ce week-end »

Mais Ryad et Washington partagent une même hostilité à l’encontre de l’Iran et les récents événements –qui ont reçu le soutien sans réserve de Trump – se sont accompagnés d’une rhétorique anti-iranienne extrêmement belliqueuse, suite à la démission annoncée à Ryad par le Premier ministre libanais Saad Hariri, sans aucun doute sous la pression saoudienne. La perspective d’un conflit ouvert au Moyen-Orient s’est brusquement rapprochée ce week-end.

Quant à la "rue saoudienne", il faut savoir que toute manifestation est strictement interdite dans le royaume qui, en revanche, compte un nombre record d’utilisateurs de Twitter et Facebook. Mais un tweet critique envers le gouvernement peut envoyer en prison. À ce que l’on sait, l’opinion est partagée entre une certaine admiration pour l’énergie de ce jeune prince moderniste et les craintes que suscite cette fuite en avant conduite à marché forcée.

 

PdA : L’Arabie saoudite s’est-elle réellement, et sincèrement engagée sur la voie de la "modernité" ? Quid, de l’actualité, et de l’avenir de son alliance originelle avec le wahhabisme, la lecture fondamentaliste de l’islam qu’elle a propagée partout dans le monde ?

vers la "modernité", vraiment ?

« La volonté de Mohammed ben Salman de

moderniser l’économie et la société saoudiennes

ne fait pas de doute »

O.D.L. : La volonté de M.B.S. de moderniser l’économie et la société saoudiennes ne fait pas de doute. Mais son ambitieux programme de privatisations et de suppression des subventions, conçu par des cabinets de consultants anglo-saxons sous le nom de Vision 2030, suppose des investissements massifs, notamment de l’étranger. Il n’est pas certain que l’embastillement soudain d’hommes d’affaires, dont l’emblématique Al-Walid ben Talal soit de nature à rassurer les milieux d’affaires.

Quant aux religieux traditionnels, M.B.S. a entrepris de les mettre au pas, notamment par une vague d’arrestations les visant en septembre dernier.

Mais en se mettant à dos les religieux conservateurs, toutes les branches de la famille royale, les milieux d’affaires, tout en adoptant une politique étrangère agressive qui jusqu’à présent, n’a pas été couronnée de succès, Mohammed ben Salman a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre.

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

7 décembre 2017

« À toi Johnny », par Frédéric Quinonero

La mort de Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, hier dans la nuit (pourquoi a-t-il fallu que cela survienne un jour de Saint-Nicolas ?), a provoqué une onde de choc émotionnel à la mesure du personnage. Johnny, c’était presque 60 ans de carrière, 110 millions de disques vendus, un univers perpétuellement renouvelé et, surtout, une pêche, un enthousiasme, et une voix qui emportaient tout. On pouvait râler parce qu’on le voyait trop, mais franchement, que celui qui n’a jamais aimé ne serait-ce qu’une de ses chansons, que celui qui a eu la moindre occasion dans sa vie de le trouver antipathique jette la première pierre sur son cortège mortuaire. Johnny était respecté parce qu’il était un showman hors du commun, et il était aimé parce qu’il était aimable. La France de plusieurs générations ressent aujourd’hui un deuil sincère, sans doute comparable à celui que l’on ressentira, outre-Manche, au départ d’Elizabeth. Il était quelque chose comme un lien, un pont entre des gens parfois très différents. En ce sens, si Jean-Philippe vient de s’éteindre, Johnny, lui, son oeuvre, son sourire, son exemple, tout cela restera. Johnny immortel, c’est précisément le titre de la version définitive de la bio qui lui a été consacrée par Frédéric Quinonero et dont il vient, à grand peine, de boucler les chapitres finaux. J’ai eu une grosse pensée pour lui quand j’ai su pour Johnny, pour lui qui le qualifiait, lors d’une interview pour Paroles d’Actu il y a trois ans, de « grand frère qu’il n’avait jamais eu ». Frédéric a accepté d’évoquer Johnny dans un nouveau texte, nostalgique et touchant, je l’en remercie bien amicalement... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Johnny immortel

Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).

 

« À toi, Johnny »

Par Frédéric Quinonero, le 7 décembre 2017.

 

Quelques fragments de vie avec toi, mon Johnny...

Ton apparition dans le poste en noir et blanc, dans Que je t’aime à la fin des années 60 et un petit garçon de six ans qui tombe sous le charme.

Le même petit garçon qui veut chanter ta chanson dans un radio-crochet sur la place d’Anduze, sa ville d’enfance, et l’organisateur qui ne sait comment lui expliquer d’en choisir une autre, que celle-là n’est pas pour son âge ; plus tard, mes parents qui m’expliquent avec un peu de gêne que «  quand tu ne te sens plus chatte et que tu deviens chienne  » ou «  mon corps sur ton corps lourd comme un cheval mort  », ce genre de phrases pose problème dans ma bouche et devant mon air hébété : «  Tu comprendras plus tard  »...

L’ «  album au bandeau  » au pied du sapin le matin de Noël et le verre de liqueur sur la table, bu par le Père Noël ; et moi surpris que le Père Noël te connaisse, toi, Johnny Hallyday.

Mon premier show de toi dans les arènes de Nîmes et moi hypnotisé, comme devant une apparition miraculeuse, tandis que des jeunes filles tombées dans les pommes sont évacuées sur des brancards ; puis, dans la voiture, l’air ahuri de mes parents quand je leur dis que je veux faire «  Johnny Hallyday  » comme métier.

Puis, mon dernier show des années plus tard, au même endroit, sans savoir quil serait le dernier.

Un communiant de onze ans entonnant dans son aube blanche ton dernier tube, Prends ma vie, à la fin du repas familial et les premières phrases : «  Je n’ai jamais mis les pieds dans une église, je ne sais pas prier  », entre autres, qui choquent l’assistance, en particulier une cousine très pieuse qui ne s’en est jamais remise.

L’affiche géante de la tournée Johnny Hallyday Story – toi vêtu de jean, posant allongé sur fond rouge - longtemps punaisée au mur de ma chambre d’adolescent, place Émile-Combes à Montpellier ; puis, longtemps après, celle du Stade de France 1998 au-dessus de mon bureau dans l’appartement de Saint-Maur.

Mon copain Bruno et moi sur ma Mobylette orange partant t’applaudir aux arènes de Palavas  et t’attendre le lendemain devant ton bungalow au Reganeous ; te voir sortir, boitillant – tu étais tombé dans la fosse la veille -, avec Sylvie préoccupée par l’état de ta jambe et ne se souciant pas de son petit chien venu vagabonder vers nous et devenu prétexte idéal pour vous approcher l’un et l’autre.

Mon premier spectacle parisien de toi, au Zénith, et tous les autres qui vont suivre...

Ton entrée chez Graziano où je travaille pour payer les cours de théâtre ; tous ces gens qui s’arrêtent de dîner, les couverts levés ; puis moi tremblant comme une feuille en servant le champagne à ta table et toi le remarquant qui m’adresses un sourire à faire fondre la banquise.

Ta voix dans le téléphone – «  Bonjour c’est Johnny  » - lorsque tu appelles pour réserver et moi, qui manque de tomber du tabouret où je m’étais assis.

Ta première interprétation de Diego en 1990 à Bercy et l’émotion qui nous a cueillis, mon amie Muxou et moi.

Tes messages à distance qui mettaient du baume au coeur au petit garçon devenu ton biographe.

Des souvenirs, souvenirs en pagaille…

Et maintenant, mon Jojo, à quoi ça va ressembler la vie sans toi  ?

 

Frédéric Quinonero JH

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

22 juillet 2018

« Quel bilan tirer de la Coupe du monde en Russie ? », par Carole Gomez

Il y a une dizaine de jours, peu avant la finale de la Coupe du monde de football qui allait voir la France (bravo les Bleus !!!) remporter sa deuxième étoile face à la Croatie (score : 4 à 2), j’ai proposé à Carole Gomez, chercheure à l’IRIS spécialiste des questions liées à l’impact du sport sur les relations internationales, une tribune carte blanche à propos de ce Mondial. Il y a deux ans, en période de Jeux olympiques d’été à Rio, elle avait déjà composé « Les compétitions sportives internationales, lieux d'expression du nationalisme », pour Paroles d’Actu. Je la remercie pour ce nouveau texte, qui nous éclaire sur la manière dont la Russie a voulu concevoir, et a géré cet événement. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

CDM Russie

 

« Quel bilan tirer de la 21ème Coupe du monde masculine

de football, qui vient de s’achever en Russie ? »

par Carole Gomez, le 19 juillet 2018

Si le grand public et les commentateurs sportifs retiendront, à juste titre, la victoire française en finale contre la Croatie apportant une 2ème étoile à l’équipe de France, force est de constater que ce mondial organisé en Russie a été pour le moins riche en enseignements.

Tout d’abord, intéressons-nous à l’hôte de ce méga-événement sportif. Désignée en décembre 2010, à la suite d’une élection qui a fait couler beaucoup d’encre, la Russie accueillait donc entre le 14 juin et le 15 juillet, 32 équipes. S’inscrivant dans la droite lignée de la diplomatie sportive mise en œuvre depuis le début des années 2000 par Vladimir Poutine, le Kremlin voulait faire de cette Coupe du monde le point d’orgue du retour de la Russie sur le devant de la scène sportive et in fine internationale. Les objectifs de l’organisation de ce Mondial sont de plusieurs ordres, relevant à la fois de politique intérieure mais évidemment aussi de politique étrangère.

En matière de politique intérieure tout d’abord, Vladimir Poutine souhaitait «  offrir  » cette Coupe du monde aux Russes, ayant pour ambition de les rendre fiers, par l’accueil d’une compétition à la internationale prestigieuse, mais également pour le parcours de la Sbornaya, l’équipe nationale, qui a plus que dépassé les attentes des supporters et du Kremlin, en étant éliminée aux tirs au but aux portes des demies-finales contre la Croatie. Cette édition a également permis de rappeler à la communauté internationale l’intéressante histoire russe et soviétique du football, qui tend à être souvent oubliée, voire minimisée.

Cet évènement représentait aussi un enjeu économique sur le plan intérieur d’un point de vue touristique. En effet, alors que la Russie n’accueillait qu’environ 30 millions de touristes en 2016 – à titre de comparaison, la France en accueillait 89 millions en 2017), Moscou entend utiliser cet évènement planétaire, retransmis dans la quasi-majorité des pays, comme un outil d’attractivité permettant de découvrir le pays autrement et ainsi susciter un intérêt. Si la question des retombées économiques d’un tel évènement sportif est toujours épineuse et variable en fonction de nombreux facteurs, les prochaines années témoigneront de la réussite ou non de ce pari.

Toujours sur le plan de la politique intérieure, il est également intéressant de s’attarder sur la carte de cette Coupe du monde et sur le choix des villes hôtes qui est loin de relever du hasard. Alors que le coût de cette Coupe du monde s’alourdissait au fil des mois, la FIFA en mai 2016 avait, à plusieurs reprises, alerté le pouvoir russe concernant les retards dans la construction ou rénovation de plusieurs enceintes. Devenu un sujet prioritaire pour l’ancien ministre des Sports, Vitaly Mutko, ainsi que pour le président Vladimir Poutine, l’avancement des infrastructures a été particulièrement suivi à la fois pour honorer les promesses faites à la FIFA, mais surtout pour chercher à démontrer la diversité des villes et provinces russes ainsi que l’unité de son territoire. En ce sens, l’organisation de matchs au sein de l’enclave de Kaliningrad, mais également à Sotchi, ou encore à Saransk, au sein de la République de Mordovie sont emblématiques. Par ailleurs, il est également à noter que l’ouverture de la Coupe a eu lieu quelques semaines après l’élection pour un quatrième mandat de Vladimir Poutine et qu’il entend encore accroitre par cet évènement sa popularité. Popularité toutefois mise à mal par l’annonce surprise du recul de l’âge de la retraite (de 55 à 63 ans pour les femmes ; de 60 à 65 ans pour les hommes).

 

« Le sport fait aujourd’hui clairement partie

de l’arsenal de la Russie en tant qu’outil de soft power. »

 

En matière de politique étrangère, avec l’accueil de la Coupe du monde, la Russie souhaitait faire un pas supplémentaire dans la mise en œuvre de sa diplomatie sportive initiée au début des années 2000, après avoir notamment obtenu les Jeux olympiques et paralympiques à Sotchi (2014) ainsi que l’organisation de grands compétitions internationales (escrime, natation, athlétisme, Universiades). Par sa capacité à organiser un méga évènement sportif, par la qualité de sa prestation, par le rappel de son histoire sportive, loin des scandales de dopages, la Russie utilise donc le sport comme un outil de soft power, permettant de la mettre, au moins le temps de la compétition, au cœur de l’attention. Cette présence incontournable sur la scène sportive est indissociable de la scène politique, Vladimir Poutine recevant nombre de chefs d’État et de gouvernement et ouvrant donc la voie à des discussions informelles. S’il est trop tôt pour tirer un bilan diplomatique de ce qui s’est passé dans les couloirs des stades, il sera intéressant de suivre dans les prochains mois les éventuelles avancées sur le plan diplomatique pour la Russie.

En outre, par un jeu de miroir l’associant à un évènement international populaire, festif et positif, Moscou souhaite donc renvoyer une image lissée de son pays, tourné vers l’extérieur, prête à accueillir le monde et permettant ainsi de venir faire oublier les fortes critiques à son égard depuis notamment l’annexion de la Crimée, les scandales de dopage révélés par plusieurs documentaires ou encore l’affaire Skripal. Sur ce dernier point, alors qu’un boycott sportif avait rapidement été évoqué par l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, avant de rapidement revenir sur cette proposition, le spectre d’un boycott diplomatique de grande envergure a plané sur la compétition. Hypothèse émise dès la désignation du pays, ce type de sanction s’est soldé par un échec, le Royaume-Uni se trouvant incapable de fédérer largement au-delà de ses frontières, trouvant un écho pour le moins faible, pour ne pas dire existant, au sein de l’Union européenne. Un premier effet du Brexit, ou la conséquence d’une volonté de boycott que l’on sait inefficace et vain ?

D’autre part, et cela trouve une résonnance particulière avec le sport, elle cherche également à montrer sa puissance sur la scène sportive, dans une perpétuelle compétition avec les autres nations, et notamment l’Occident. Le parcours de la Sbornaya, qui n’a pas trébuché avant les tirs au but en quart de finale, permettra d’entretenir cet argumentaire.

Que retenir de cette Coupe du monde ?

Alors que la question sécuritaire était, logiquement, mise en avant, avec notamment le risque terroriste mais également la crainte de voir des violences dans et en dehors des stades, il semblerait, selon les informations disponibles pour l’instant, que Moscou ait réussi à garder le contrôle de la situation. En matière notamment de lutte contre l’hooliganisme, plusieurs médias ont révélé quelques semaines avant le début de la Coupe du monde que le FSB avait été chargé de tenir à l’écart les hooligans susceptibles d’intervenir au cours de la compétition, et qu’il était parvenu à atteindre ce but. Au regard de l’importance de l’évènement, cela n’est cependant guère étonnant, compte tenu de la volonté de Vladimir Poutine de voir ce Mondial réussi, sans être entaché de quelque incident de ce genre. Seule l’irruption sur le terrain de membres des Pussy Riot, le soir de la finale, le 15 juillet, fait, sans doute, office d’ombre au tableau pour Vladimir Poutine.

Par ailleurs, si l’on s’éloigne du terrain sportif pour se concentrer sur l’aspect économique de cette compétition, il est intéressant de noter la forte représentativité d’entreprises chinoises parmi les partenaires et sponsors officiels de la compétition (Wanda, Hisense, Vivo, Mengniu et Yadea), confirmant la montée en puissance et la désormais indiscutable présence de l’Empire du milieu dans le football.

 

« Les Chinois étaient massivement présents en Russie ;

cela semble lié aux efforts déployés par Xi Jinping avec

son programme général de développement du football chinois. »

 

Cette présence va également de pair avec la forte présence de supporters chinois en Russie : Ctrip, opérateur chinois, a annoncé que la vente de billets d’avion vers la Russie pour la période juin-juillet 2018 avait augmenté de 40%, alors même que l’équipe nationale n’était pas qualifiée. Cette popularité du football peut être analysée à la lueur des importants efforts déployés par Xi Jinping depuis mars 2015 avec son programme général de développement et de réforme du football chinois, qui entend octroyer à la Chine au niveau du sport un statut conforme à sa position politique et économique.

Une fois de plus, le sport, et le football dans ce cas, dépasse très largement son seul pré carré et comporte d’importants volets politiques, diplomatiques et économiques. La prochaine Coupe du monde de football qui aura lieu en France (la féminine, ndlr), à partir de juin 2019, et la suivante qui aura lieu au Qatar à l’hiver 2022, seront donc à suivre avec une très attention. Ce qui n’est pas pour nous déplaire...

 

Carole Gomez

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

30 août 2018

Jean-Pierre Morgand : « Le métier est simple : plus vous jouez, plus on vous demande ! »

Le 21 juin dernier, soir de Fête de la Musique, j’ai assisté avec un ami à un grand concert Les Années 80 : La Tournée organisé par la ville de Saint-Chamond, dans la Loire. Plus de 2h de show, un public large et conquis par des musiques et des chansons aimées depuis longtemps ou découvertes plus récemment. Et une vraie énergie, communicative, de la part des artistes. Parmi eux : Julie Piétri, Lio, Sloane, Patrick Juvet. Et Jean-Pierre Morgand. Si si, vous savez, Nuit sauvage. Après échange avec lui, via Facebook, j’ai appris qu’il venait de sortir un nouvel album, "L’homme qui passe après le canard". Un opus rock, pop, et nostalgique (mais pas que !). J’ai eu envie de l’interroger et suis heureux qu’il ait accepté mon invitation. Rencontre avec un artiste authentique, qui a le sens des mots et du bon son. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 15/08/18 ; R. : 23/08/18.

Jean-Pierre Morgand: « Le métier est simple :

plus vous jouez, plus on vous demande ! »

L'homme qui passe après le canard

L'Homme qui passe après le canard, nouvel album de Jean-Pierre Morgand.

 

Jean-Pierre Morgand bonjour. Si vous deviez présenter en quelques phrases ce que vous êtes, que diriez-vous ?

Je ne suis pas très fort à cet exercice et, en général, je laisse ceci à ceux qui m’accompagnent. Je viens d’un milieu assez modeste, mais ouvert...

 

Comment votre chemin a-t-il croisé ceux de la musique ? Quelles sont vos grandes influences, et qui sont vos maîtres ?

Ma mère, qui était enseignante et écoutait beaucoup de musique, surtout classique, et j’en ai écouté très jeune. J’ai choisi un chemin plus facile, et plus gai, avec la pop. Très jeune, j’écoutais les Beatles car j’avais demandé à voir au cinéma Yellow Submarine, croyant que c’était un dessin animé, comme Tom et Jerry. Beatles, donc. Rolling Stones. Bowie. The Doors. Pink Floyd. Sinatra. The Clash. The Stranglers. XTC. Prince. Ferré. Brel. Gainsbourg. Delpech.

 

Votre grand succès, ça a été, évidemment, Nuit sauvage (1986), avec votre groupe Les Avions. Ça a représenté quoi, concrètement, ce moment-là ? Comment avez-vous vécu cette époque ?

Pas si bien que ça car on passait tellement de temps en promo pour remercier toutes les radios (ce qui est bien normal) qu’on ne faisait plus de musique... mais nous avons repris après.

 

Vous participez régulièrement à des concerts Années 80, comme celui, très sympathique, auquel j’ai eu la chance d’assister à Saint-Chamond (Loire) le 21 juin dernier. Est-ce qu’il y a entre vous, artistes de cette décennie-là, une espèce d’esprit de troupe, de sentiment d’appartenir à une vraie aventure musicale ?

Avec certains oui, depuis quelques années. C’est d’ailleurs pourquoi "Les Années 80 : La Tournée" est pour moi la meilleure, car on a longuement discuté de ce que l’on voulait jouer, et comment le faire.

 

Nombreux sont les nostalgiques de la musique des années 80, et de ces années-là en général. On a aimé ces chansons, qui étaient entraînantes, et souvent intelligentes, et insouciantes. On a peut-être aussi une vision un peu idéalisée de ces années 80. Comment est-ce que vous, vous regardez les années 80 par rapport à aujourd’hui ?

Une époque assez dure en fait, et qui commençait à être ce qu’est la société d’aujourd’hui. En fait, je crois que j’aurais préféré les années 70... mais j’étais un peu jeune quand même. Néanmoins, je dois avouer que dans les années 80, il y eu un sacré cocktail musical, et ça allait très vite !

 

Quel est votre sentiment : est-il plus ou moins facile de faire de la musique de manière indépendante, et de se faire connaître, aujourd’hui que dans les années 80 ? Certes, internet et les réseaux sociaux ouvrent tous les champs des possibles... mais l’esprit de zapping n’a jamais été aussi présent ?

L’un dans l’autre, je crois que ça revient au même car il y aujourd’hui tellement de talents et de gens qui peuvent grâce à la technologie faire de la très bonne musique et garder un job... Ce qui n’était pas possible à mon époque. Mais je pense qu’il est plus facile de se produire sur scène aujourd’hui, vu la diversité des scènes. Même si les gouvernements successifs ont plutôt tendance à fermer les petits lieux starters, où tout se passe, dans tous les genres de musique...

 

Vous reconnaît-on encore souvent dans la rue, en 2018 ? Avoir connu une grande célébrité avec un gros tube, c’est une bénédiction pure, ou bien y a-t-il aussi là-dedans, des points négatifs (le fait d’être toujours réduit à ce tube par le public et les médias par exemple) ?

On me reconnaît davantage aujourd’hui, en fait suite à tous ces spectacles, et aux captations télé. Il ne faut pas aller contre le tube et s’en servir en fait, ce que j’ai fini par comprendre. Je fais beaucoup de concerts solo ou en trio avec mes titres perso grâce à ce tube, et d’autres chansons des Avions. On me demande juste de les jouer, et voilà.

 

Ce qui nous intéresse au premier chef pour cette interview, et qui d’ailleurs l’a provoquée, c’est la sortie récente (ce printemps) de votre nouvel album, "L’homme qui passe après le canard". Quelle est l’histoire de ce nouvel opus, s’agissant de sa fabrication artistique mais aussi de sa rencontre avec un public, jouant aussi ici le rôle de producteur ?

L’homme qui passe après le canard, la chanson qui donne son titre à l’album, m’est venue pendant la tournée RFM PARTY 80 et après je me suis mis à écrire une suite de chansonsJe laisse le soin aux lecteurs de découvrir le texte, et comprendre ainsi pourquoi ça s’appelle comme ça. Je n’écrivais plus de chansons depuis quelques années, étant plutôt alors sur des musiques plus expérimentales, voire instrumentales. Comme je ne veux plus taper aux portes des maisons de disques, ou ce qu’il en reste, j’assume le fait de devenir producteur indépendant. Je suis pas mal aidé, comme par l’association musicale "Le Grand Grabuge". Et par mon petit public, mais très actif, comme pour le KissKissBankBank.

 

 

Les chansons de cet album le font sonner comme un bilan d’étape, mêlant souvenirs touchants et passions plus ou moins encore vivaces. Vous avez mis beaucoup de vous dans cet album ?

Ah oui, peut être plus que d’habitude, où j’observais plus les autres... Cet album est plus direct et plus perso. Je le voulais. Mais tout ne l’est pas, perso...

 

Quelles sont, parmi toutes vos chansons (celles de cet album et toutes les autres, en groupe ou en solo), celles qui vous tiennent le plus à cœur et que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir ?

Du dernier je saurais dire tout de suite. Les gens me parlent beaucoup de Maman, Par terre, Rose et Pas de ma fauteDe l’ancien temps, il y a Le Bleu du ciel, De Guerre lasse, Snake, et du Groupe Les Avions, Désordre, Tous ces visages, PublicitaireJ’adore aussi ce groupe rock que j’avais créé avec de jeunes musiciens, où on avait partagé l’écriture : Morgenbuz.

 

Vous êtes auteur, compositeur, et interprète. Comment définiriez-vous votre univers musical ? Est-ce qu’il a bougé au fil des ans ?

Pop rock, car j’ai toujours aimé le rock pour le son, l’énergie, et la pop car j’en aime les mélodies et les ambiances. Mon univers a bougé mais au fond on a une voie ou plutôt une voix et quoi qu’on fasse...

 

Quel regard portez-vous sur votre parcours d’artiste et d’homme, quand vous regardez dans le rétro ?

J’aurais aimé jouer plus souvent sur scène car il y eu de longs trous. Même si j’ai toujours joué dans les clubs... Aujourd’hui grâce aux années 80, il y des moyens, du son et de bons musiciens. Et grâce à ces tournées, je joue plus ma musique à moi. Le métier est simple : plus vous jouez, plus on vous demande, y compris revenir jouer nos chansons actuelles.

 

La question que vous aimeriez qu’on vous pose... et sa réponse ?

Aucune idée mais je peux vous dire que j’aime qu’on me pose des questions qui me surprennent.

 

Ici, un espace pour vous permettre, à l’occasion de cette interview, d’adresser un message, n’importe lequel, à quelqu’un, n’importe qui…

J’aimerais qu’une partie des gens arrêtent d’aborder les sujets sérieux de société, en noir ou blanc, ou pour ou contre, et réfléchissent un peu avant de se prononcer. Surtout sur les réseaux sociaux sur lesquels je suis pas mal, avec mon activité musicale.

 

  

Vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Jouer le plus possible en trio cet album. Car c’est la formation que je préfère. Le 1er septembre à Béthunes, par exemple. Retourner surfer... et voyager !

 

Un dernier mot ?

Merci !

 

Jean-Pierre Morgand

Image : Gonzo Music.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

23 mai 2019

« L'Europe, pour moi, est d'abord une émotion », par Pierre-Yves Le Borgn'

Dans trois jours, les peuples de l’Union européenne se rendront aux urnes pour élire ceux qui les représenteront au sein du Parlement européen, organe communautaire qui a gagné considérablement en importance depuis ses origines. J’ai proposé il y a quelques jours à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn, qui a participé à de nombreuses reprises à Paroles d’Actu, de nous livrer son témoignage de citoyen qui connaît bien les arcanes du pouvoir européen mais qui, au-delà de cela, s’est formé en même temps que l’Europe communautaire, et a appris à en aimer l’idée. Il n’est pas question ici de passer sous silence les défauts, voire les manquements pointés ici ou là et qui alimentent au quotidien les griefs nourris contre une UE souvent perçue comme étant dogmatique et techno, éloignée du citoyen de base et de ses préoccupations. Mais, à l’heure où les caricatures et autres fake news sont reines, et où démonter sans discernement est plus en vogue - et tellement plus simple - que défendre en argumentant, je suis heureux de donner la parole à un honnête homme, qui sait de quoi il parle et le fait avec sa sensibilité. Pour lui, l’Europe « est d’abord une émotion ». Je le remercie pour ce texte, touchant comme le fut celui consacré au centenaire du 11 novembre, et vous invite en cette période électorale à relire deux articles ici publiés, une collection dinterviews deurodéputés réalisées en 2014, et une tribune accordée à Nathalie Griesbeck en 2016 : « L'Europe et les peuples ». Tout un programme. Encore. Toujours. Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« L’Europe, pour moi, est d’abord une émotion. »

Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 22 mai 2019.

 

Dans quelques jours auront lieu les élections européennes. Ce sera un rendez-vous important pour les citoyens d’Europe. Nombre d’enjeux se posent pour lesquels le Parlement européen possède une capacité décisive d’influence. Il faut voter. Cette élection n’est pas lointaine ou inutile. Bien au contraire, elle concerne la vie de chacune et de chacun d’entre nous. Le Parlement européen n’est plus le forum sympathique mais sans pouvoir des premières années de l’aventure européenne, voire de la première élection au suffrage universel direct en 1979. Il est devenu un législateur actif, décidé et même zélé. C’est bien le moins pour un parlement, dira-t-on. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier qu’il y a une trentaine d’années, se battre pour que la représentation élue des citoyens d’Europe pèse autant que celle des intérêts nationaux, rassemblés au sein du Conseil, était un courageux combat d’avant-garde, moqué et critiqué par ceux, notamment en France, qui opposaient que l’Europe des nations était l’horizon indépassable de tout projet.

 

« N’oublions pas qu’il y a une trentaine d’années,

se battre pour que la représentation élue des citoyens

d’Europe pèse autant que celle des intérêts nationaux,

rassemblés au sein du Conseil, était un courageux

combat d’avant-garde, moqué et critiqué. »

 

Le monde a tant changé depuis. J’ai 54 ans. J’en avais 14 lorsque les premières élections européennes furent organisées. J’étais en classe de 3ème à Quimper, ma ville natale. Les frontières de notre pays étaient à 1000 km et ma première référence européenne devait être les coupes d’Europe de football… L’Europe n’était pas un sujet que je percevais. J’avais suivi cependant la campagne des élections, me prenant peu à peu au jeu. Deux personnalités m’avaient marqué  : Simone Veil et François Mitterrand. Tous deux parlaient de l’Europe avec passion, évoquant l’histoire tragique du siècle passé et l’urgence de construire un espace de paix par le droit. Cela m’avait touché. Peu après les élections de juin 1979, j’avais assisté en direct à la télévision à la session inaugurale du nouveau Parlement européen. De grands noms comme Willy Brandt avaient été élus aussi. J’avais trouvé cela impressionnant. Comme le discours de la doyenne d’âge Louise Weiss. Je n’avais pas idée alors que je siégerais moi-même un jour dans le même hémicycle.

 

« Les premières élections européennes eurent lieu

l’année de mes 14 ans. Ma première référence européenne

devait alors être les coupes d’Europe de football.

Puis je me suis pris au jeu... »

 

Ces souvenirs sont ceux de mon éveil à l’Europe, ceux d’un adolescent grandissant dans une région périphérique et tranquille. Les élections de 1979 agirent en moi comme un déclic, entraînant des lectures, des conversations avec ma famille, en un mot une prise de conscience à l’âge de l’éveil citoyen. Je suis le fils d’une pupille de la Nation. Mon grand-père est tombé en Belgique en mai 1940, laissant derrière lui son épouse âgée de 25 ans et ma mère qui avait tout juste un an. Je ne faisais pas le lien encore entre cette histoire familiale forte, qui fait partie de ma vie, et le besoin d’Europe. À l’inverse de mes parents, qui avaient voulu que l’allemand soit la première langue que j’étudierais au collège. Comme dans un jeu de construction, c’est à ce moment-là que les cubes s’emboîtèrent pour moi et que, chemin faisant, je me mis à en ajouter d’autres. Je compris que l’Europe n’était pas seulement un continent partagé entre pays, certains dominés par l’Union soviétique et la dictature communiste, mais qu’il s’agissait d’une communauté de destins à construire.

 

« Fils d’une pupille de la Nation, je ne faisais pas

le lien encore entre cette histoire familiale forte,

qui fait partie de ma vie, et le besoin d’Europe dont

mes parents avaient eux bien conscience. » 

 

Quarante ans plus tard, je suis un ancien député qui écrit ces lignes depuis son petit bureau, sous les toits d’une maison de Bruxelles. Je suis le papa de trois enfants qui ont ma nationalité, celle de mon épouse espagnole et, à leur majorité, celle de la Belgique où ils sont nés. J’ai appris le portugais et l’espagnol à l’âge adulte. J’ai consacré ma vie professionnelle au droit européen. Ma vie politique aussi. J’ai eu le bonheur d’étudier au Collège d’Europe, dans un brassage passionnant de nationalités et de cultures qui ont changé ma vie. Et j’ai surtout eu la chance d’aller à la découverte, par de nombreux voyages, de la diversité de l’Europe. Je ressens profondément la devise de l’Union  : «  Unis dans la diversité  ». C’est la somme de nos histoires, de nos différences, de nos cultures, de nos paysages qui fait la force de l’Europe. L’Europe, pour moi, est d’abord une émotion. Je ne peux entendre L’Hymne à la Joie sans frisson, ni regarder le drapeau européen sans fierté. Pour paraphraser François Mitterrand, la France est ma patrie, l’Europe est mon avenir. Et plus encore celui de mes enfants.

 

« C’est la somme de nos histoires, de nos différences,

de nos cultures, de nos paysages qui fait la force

de l’Europe. Tout cela je ne le proclame pas

simplement, je l’ai vécu et le vis au quotidien. »

 

Je n’ai pas dévié durant ces quarante années  : l’Europe a été et reste le cap. J’ai été à un moment passionnant de ma vie un acteur de ce combat. Comme député. J’aurais voulu l’être comme Commissaire européen aux Droits de l’Homme. Il ne s’est pas fallu de grand-chose. C’est la vie. Aujourd’hui, je suis juste un père de famille qui espère passer le témoin, partager la passion, en un mot y croire, encore et toujours. Des cubes, je suis passé aux cercles, aux cercles concentriques. Il y a le premier cercle, celui des droits et libertés, de la démocratie et de l’État de droit. C’est le Conseil de l’Europe et ses 47 États membres. Il y a le second cercle, celui de l’Union européenne, des libertés de circulation et des 28 Etats membres. Et il y a le troisième cercle, celui de la zone Euro, qui doit être un espace économiquement, socialement et environnementalement intégré. Faire vivre ces 3 cercles, développer la zone Euro dans une perspective humaniste, progressiste et de justice, c’est le combat, c’est l’espoir et c’est l’avenir.

 

« Aujourd’hui, je suis "juste" un père de famille

qui espère passer le témoin, partager la passion,

en un mot y croire, encore et toujours. »

 

Pierre-Yves Le Borgn Européennes

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

8 avril 2019

« Silvère Jarrosson, à la lecture du chaos », par Frédéric Le Coq

J’ai la joie, pour ce nouvel article - le premier depuis plusieurs semaines - de vous proposer le texte qu’un observateur passionné a consacré, sur ma proposition, à un artiste passionnant. Il y a trois ans et demi, j’avais eu le privilège d’accueillir, en ces colonnes, le témoignage autobiographique inédit de Silvère Jarrosson, peintre contemporain talentueux et inspiré. Je n’entends pas grand chose à l’art contemporain mais suis ouvert à sa découverte. Je ne sais qu’humblement dire ce que je trouve beau, ou touchant, sans forcément savoir toujours mettre des mots sur ces sentiments. Frédéric Le Coq, auteur amateur d’arts plastiques et de photographie, a su le faire avec talent, ce dont je le remercie. Un regard, éclairé bien qu’amoureux, sur une oeuvre, et un artiste qui méritent décidément d’être vus. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

« Silvère Jarrosson, à la lecture du chaos »

par Frédéric Le Coq

D’aucuns parleront de la peinture de Silvère comme «  abstraite  », par opposition au figuratif, sans doute. Mais elle est très concrète, très ancrée dans la matière. La peinture de Silvère est une peinture de l’exploration qui embrasse le cosmos, la pensée et le mystère de l’indicible.

Peinture en évolution perpétuelle, elle se nourrit de toute sorte de phénomènes biologiques, physiques et oniriques, grâce auxquelles elle trace sa propre trajectoire.

C’est en suivant les sept séries de l’œuvre, de «  Rythmes vitaux  » à «  Élégies  », qu’on découvrira sa diversité.

 

Rythmes vitaux

Cette première série abonde en couleurs, en formes fractales, en géodésiques proliférantes. Magmatique, la matière déborde de toute part. Elle éclabousse par son énergie.

C’est le big-bang.

Tonio-int

Tonio, acrylic on canvas, 27,5x20 inches, 2014.

 

On passe du lisse [Porifera 3] au strié [Massacre, Pluie d’Ideal] et au rugueux (Antimoine). Les lignes sont très rares, à la place, il s’agit d'ensembles, de constellations [Nacre iridescente 2] et de flux [Tonio].

L’énergie est partout: courant, point d’intensité, flux, arc électrique, chute.

Si le corps est à appréhender dans la peinture de Silvère, il faut le considérer en premier lieu au sens de la science-physique, traversé par cette énergie, ce corps s’affuble de divers états  : solide [Le baiser], liquide [Porifera 3], en fusion [Tonio, Guam].

Les bases de la peinture de Slivère sont ici jetées  : l’expérimentation.

Il s’agit d’une expérimentation à la fois scientifique, artistique et spirituelle. Scientifique, elle l’est au regard de l’évocation de ces phénomènes physiques. Mais elle l’est également dans la recherche de techniques et de procédés picturaux : «  Avant le dripping, Silvère Jarrosson prépare sa peinture selon un procédé qu’il rapproche de la subduction : en déployant une pression suffisante, il glisse une couche de peinture blanche sous une couche de peinture colorée, ce qui va la déformer à la manière d’une plaque tectonique.  » (Hannibal Volkoff, 2017)

L’expérimentation artistique semble évidente dans la diversité des toiles de cette série de départ. Le jeune peintre s’essaie, en tire un plaisir certain dont il a pleinement conscience  : «  Le champ de l’expression s’élargit alors et le désir de créer apparaît spontanément. Ces premières toiles, chorégraphies impulsives, sont le résultat direct de cette naissance.  »

Enfin, l’expérience spirituelle vient compléter la quête du peintre, comme le mentionne la citation de Guillaume Cassegrain, que Silvère a choisi pour illustrer ses première toiles  : « La coulure pense et me fait penser, elle encourage en moi (en toi) une divagation incontrôlable de la pensée, des idées qui naissent alors que je la regarde. »

Le scientifique, l’artistique et le spirituel ne cessent d’exister et d’interagir dans l’expérimentation picturale de Silvère. D’une série à une autre, ces trois fondamentaux s’affirment.

Rythmes vitaux est de fait le big-bang de cette expérimentation picturale. Son moteur, c’est la mise en abîme par le peintre de la puissance créatrice du sujet observé  : le chaosmos et ses émanations protéiformes.

«  Le chaos n’est pas un état informe, ou un mélange confus et inerte, mais plutôt le lieu d’un devenir plastique et dynamique, d’où jaillissent sans cesse des déterminations qui s’ébauchent et s’évanouissent à vitesse infinie.  » (Gilles Deleuze)

 

Comas

Le chaos commence à s’ordonner peu à peu.

Cette série est particulièrement cartographique  : strates [Comas 11, Inlandsis], agencements de formes [Massaï], émergence de forces à la fois qui construisent et détruisent, qui ordonnent et désordonnent [Électrochoc].

On assiste également à un aller-retour permanent entre le macroscopique et le microscopique, entre l’intérieur (réseau neuronal)  : [Comas 1], [Comas 6] et l’extérieur (la carte : [Comas 7], [Comas 8], [Comas 9]).

 

Electrochoc-int

Électrochoc, acrylique sur toile, 81x61 cm, 2013.

 

Ce qui permet de passer de l’intérieur à l’extérieur, du macroscopique au microscopique, c’est la pensée onirique. À cet égard, le coma est une situation très particulière de cette pensée : entre la vie et la mort, l’ordonné et le désordonné, le visible et l’invisible.

Si on devait trouver une intention représentative dans la peinture de Silvère, c’est peut-être ces instants de passage, ce transitoire. Transitoire d’un paysage (un fleuve qui s’écoule), transitoire d’un réseau organique (échange inter-cellulaire), transitoire de la pensée («  des idées naissantes  »).

La toile de Silvère n’est-elle pas une mise en abîme de l’acte créateur ? Dans le sens où à l’issue de cette transition évoquée picturalement, il y a avènement de quelque chose.

Par ailleurs, cet avènement se veut perpétuel dans le temps et infini dans l’espace. La série Détails suggère l’idée selon laquelle dans une partie d’une toile, une nouvelle toile peut se redéployer. De même qu’un rêve peut être enchâssé dans un autre.

Mais qu’est-ce qu’une idée naissante  ? En neurologie, on pourra l’interpréter dans la «  coupe sombre  », qui est un arc électrique qui s’établit entre deux neurones. Or l’arc est omniprésent dans la peinture de Silvère. Cet arc, c’est la manifestation physique, parfois chromatique, souvent spectaculaire et toujours éphémère, d’une connexion entre deux corps ou deux pôles. Attraction, acte délibéré de rapprochement ou désir.

L’arc, la coupe sombre, est en quelque sorte le sujet sous-jacent de la toile [Électrochoc]. Il est l’expression d’une puissance, qu’elle soit naturelle ou convoquée par la main de l’homme, du peintre.

Le [portrait à l’échelle] de l’artiste réalisé par le photographe Julien Benhamou évoque singulièrement cet arc. On y voit Silvère perché sur une échelle, à plus deux mètres de hauteur. Au sol, la toile est le réceptacle d’un jet de peinture blanche qui prend naissance au bout du bras tendu du peintre, dans un équilibre très instable. Tout est dit dans ce cliché  ! Le photographe a tout capté.

À dessein, Silvère joue sur les échelles...

 

peintre_a_l_echelle

 

Créature

Émanation du chaos, la créature, c’est l’émergence de l’être vivant. Êtres difformes, polychromes, irisés, mouvants, toujours en devenir.

Série de l’étrangeté, ces créatures sont l’émanation de notre imagination. Elles disposent quasiment toutes de racines longilignes, flottant dans l’espace, se déployant tout azimut. Ces créatures se disséminent également [Créature 3 et 8]. On est au point de rencontre entre le végétal et l’animal, mais toujours pris dans un processus de création (pro-création)

Dans la peinture de Silvère, par ailleurs, pour la première fois, des lignes sont tracées, des lignes porteuses d’une intention propre. Pourvues de ces lignes-racines, ces créatures ne forment-elles pas un ballet céleste ?

De là, la créature nous ouvre sur une nouvelle lecture du chaos, celui du mouvement qui fait sens, dans la quête d’une harmonie. L’éclair originel, la coupe sombre neuronale finit par aboutir au mouvement harmonieux de la vie. Même s’il n’en demeure pas moins étrange.

 

Creature-3-int

Créature 3, acrylique sur toile, 50x50 cm, 2014.

 

No man’s land

Dans cette série, on revient au minéral, mais pas seulement. On aborde aussi la mesure de l’espace, au sens où le peintre est arpenteur. À ce stade, il y a clairement évocation du rapport de l’homme avec l’univers  :

«  Mes No man’s land sont les divagations d’un homme solitaire, perdu dans son monde. L’exploration du désert.  »

Et quelle est la nature de ce rapport ? Essentiellement le questionnement. D’une part, ce questionnement est sujet d’inquiétude, mais d’autre part, il est moteur de l’expérience et de l’exploration.

On a vu que la peinture de Silvère était une mise en abîme de l’expérience  : il y a l’expérimentation technique dévolue à l’élaboration des toiles (innovation), et en parallèle le terrain pictural qui en émane, sur lequel notre œil de spectateur va pérégriner, découvrir.

Or chez Silvère, exploration et expérimentation sont semblables, eu égard à son approche artistique de l’espace évoqué plus haut  : intérieur et extérieur, microscopique et macroscopique.

Suggère-t-il que l’homme est perdu dans l’espace infini du cosmos ou bien dans les replis infinis de ses pensées ? Les deux à la fois. Ce refus de se déterminer dans l’espace ou à figer ses pensées est moteur. Ce refus est délibéré.

 

Fragment & Cryptique

Ces deux séries présentent un intérêt à être regardées ensemble car elles se font écho de la manière suivante  : Fragment appartient à l’aérien et Cryptique au tellurique. Le ciel et la terre. On entre dans ces deux séries par la science naturelle, un cabinet de curiosité où le peinture nous donne à voir des singularités biologiques et géologiques  : le grain, la roche stratifiée, une aile de mammifère volant ou nageant, etc.

Dans Les Mots et les choses, Michel Foucault évoque la naissance de la littérature par le fait que les mots ne se réduisent plus à la seule fonction de représentation mais existent pour eux-mêmes. Avec Silvère, on est dans ce même processus  : la peinture part d’une représentation du vivant et de la terre, fille des sciences naturelles, pour nous amener vers une poésie de la matière et du mouvement.

 

Fragment-Organe-16-17-18-int

Tryptique, série Fragment / Organe.

 

Le tellurique, c’est le sommeil ou la mort. L’aérien, c’est la puissance de la vie. Bref, les obsessions intemporelles de l’homme qui ont toujours été au centre des sciences et de l’art.

Dans Cryptique, planches radiographiques ou coupes géologiques, on ressent la densité de la matière, la quantité de force qu’il a fallu pour la constituer et celle qu’il faut pour l’extraire et parvenir à l’observer dans sa brutalité primitive. L’histoire de la terre, qui est aussi la nôtre, n’est pas un long fleuve tranquille.

Dans Fragment, on s’est délesté de la terre et nous nous sommes affranchis de ses forces de gravitation grâce à une magie qu’on se gardera d’expliquer mais que nous contemplons avec extase, amplificatrice d’une sérénité, loin de la brutalité géologique.

Surfaces aqueuses et corps rugueux, Fragment & Cryptique ne sont-elles pas à rapprocher au lisse et au strié de Gilles Deleuze  ?  :

«  Le nomade ne se déplace pas, il habite un espace lisse, traversé de lignes de fuites et de multiplicités. Un espace lisse est un espace ouvert, un espace d’errance, c’est un espace de l’immanence et non un espace strié et fermé sur lui même divisé en parcelles. Un espace fermé est un espace que l’on partage, que l’on divise, que l’on restreint. Un espace ouvert est un espace ou l’on se répartit, un espace non divisé, un espace complet, un tout.

La pensée est affectée par l’espace. Dans un mode sédentaire, l’espace a été fermé et les données sont ordonnées sur un plan de la transcendance (verticalité et hiérarchie). Dans un mode nomade la pensée circule elle suit les lignes de fuite, elle est dans tout. On pourrait parler d’un mode de pensée aléatoire, intuitif, libéré des espaces clos de la pensée transcendantale.  » (Raphaël Bessis, Le Vocabulaire de Gilles Deleuze)

Et à chaque peintre, ses espaces...

 

Cryptic 13

Cryptique 6, acrylique et pigments sur toile, 100x73 cm, 2015.

 

Élégies

Cette série poursuit les toiles élaborées dans la série Fragments. On retrouve les surfaces lisses et oniriques, traversées par des ondes qui leur donnent du mouvement.

Si la couleur est présente avec une certaine discrétion (irisations et dégradés), en revanche le blanc est omniprésent. Le blanc entoure les fragments, mais il pénètre aussi à l’intérieur, de sorte qu’on ne sait pas s’il s’agit de vide ou de plein. Les fragments naviguent entre les deux.

C’est tout le sujet des Élégies.

La transparence des fragments (le fait de voir quelque chose à travers, entre ou au-delà), c’est faire de la toile un instrument optique à part entière. Là, tel fragment enveloppe un [clavecin], là tel autre accompagne des danseurs dans une chorégraphie [Aura]. C’est donner à la toile un autre statut que celui de sujet pour en faire un instrument de lecture, un medium du visuel.

 

stephane-bellocq-lopez-illicite-danse-donostia-2019-0100_web

Aura, chorégraphie de Fabio Lopez, 2019.

 

La peinture de Silvère s’affranchit de l’espace confiné du support de la toile. Elle se déploie dans l’espace, en perpétuelle extension. Ainsi en va-t-il d’un triptyque ou d’une juxtaposition circulaire de tableaux [Institut français de Lettonie] qui nous montrent que la peinture a pour vocation de s’étendre à l’infini. La toile saute hors de la toile, pour se répandre dans l’espace, le cosmos, à la surface de la terre ou à l’intérieur d’un réseau neuronal, par l’établissement de connexions visuelles, physiques ou oniriques.

Mais le jeu des fragments avec le blanc a également une autre vocation. «  Les Élégies sont un recueil de poésie dont le sens s’estompe, comme un chemin dont la trace s’effacerait progressivement.  »

Que le fragment par endroit, passe sous le seuil du visible (quand le blanc l’emporte), ne veut pas dire forcément que celui-ci disparaisse ou meurt à tel endroit, mais plutôt qu’il passe en deçà de quelque chose, pour réapparaître au-delà, au terme d’un processus de création et de fusion qui l’aura enrichi par une autre discipline.

« Écrire en peintre, peindre en chorégraphe, vivre en poète... »

Écrire en peintre, peindre en chorégraphe, vivre en poète. Devenir pictural d’un poème, d’une équation ou d’une loi physique...

 

institut_lettonie

Institut de Lettonie, 2018.

 

Le travail de Silvère ne cesse de décloisonner les disciplines. Toutes les disciplines nécessaires à satisfaire l’injonction créative. La réalisation de telle toile pourrait-elle ainsi commencer par une constellation de mots et finir par les bribes d’une chorégraphie.

Au côté de l’espace concret de la toile et de son environnement physique, il y a le champ abstrait des disciplines décloisonnées qui participent activement à l’élaboration de l’œuvre.

La peinture, la danse, la littérature sont des variantes de l’injonction créative. De toute évidence, l’œuvre de Silvère est celle d’un peintre, d’un danseur et d’un écrivain à l’affût perpétuel de la puissance onirique du vivant.

 

elegies

Dyptique, de la série Élégies.

 

Une réaction, un commentaire ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

7 novembre 2018

« Commémorer 1918 n'est pas tourner une page, c'est apprendre du passé pour construire l'avenir », par Pierre-Yves Le Borgn'

À quatre jours du centième anniversaire de l’Armistice qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale, et au lendemain de la publication de l’interview de Sylvain Ferreira sur les derniers feux de l’armée allemande, j’ai l’honneur de vous proposer un texte totalement inédit, dont j’ai proposé l’idée dans son principe à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn, fidèle de ce site. M. Le Borgn’ fut, de 2012 jusqu’à 2017, l’élu de la septième circonscription des Français établis à l’étranger, soit, notamment : l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, et la Hongrie. Certains de ces États constituaient il y a cent ans le cœur du camp ennemi, celui des Empires centraux. D’autres allaient obtenir leur indépendance à la faveur de l’effondrement des puissances vaincues. Une partie importante des drames de l’Europe contemporaine s’est jouée en ces terres, en ces heures ici d’abattement profond, là de soulagement intense, qui dissimulaient mal les nouvelles tragédies à venir. Je remercie chaleureusement Pierre-Yves Le Borgn’, homme d’engagements forts, pour cette contribution touchante et qui, bien que lucide, est porteuse d’un message d’espoir. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Commémorer le centenaire de l’Armistice

de 1918 n’est pas tourner une page, c’est

apprendre du passé pour construire l’avenir. »

Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 1er novembre 2018.

Enfants PYLB

Petit tour avec mes deux garçons, Marcos et Pablo, dans le village de mon enfance,

Quimerch (Finistère), le 1er novembre. Je leur ai montré le Monument aux morts de la

Guerre de 1914-18, leur expliquant pourquoi il avait été construit. Ils étaient très intéressés.

 

Le 11 novembre, j’accrocherai un petit bleuet à ma boutonnière, comme tous les ans et avec la même émotion. Cette commémoration de l’armistice de 1918 aura pourtant une force particulière  : elle sera celle du centenaire. Voilà un siècle en effet que les armes se seront tues après quatre années de feu, de drames et de sang. Terrible guerre que ce premier conflit mondial, avec près de 19 millions de morts, d’invalides et de mutilés, dont 8 millions de victimes civiles. Une tragédie qui se lira tout au long du siècle dans la pyramide des âges et que racontent à ce jour encore les monuments érigés dans chaque ville et village, avec la liste des enfants tombés au champ d’honneur, tombés loin, sans parfois qu’une sépulture n’ait pu leur être donnée. Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. J’ai voulu parler de lui, rendre hommage à son souvenir et par lui finalement à tant d’autres dans l’un de mes derniers discours de député à l’automne 2016 en Allemagne. Le visage de cet homme humble et digne reste dans ma mémoire comme le symbole d’une rupture ou d’un passage  : tout un monde avait disparu avec la Première Guerre mondiale, un autre arrivait et un siècle nouveau avec lui, mais était-ce pour le meilleur ?

 

« Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé

de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par

le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. »


Souvenons-nous de cette phrase du Président du Conseil Georges Clémenceau, le Tigre, au Général Henri Mordacq au soir du 11 novembre 1918  : «  Nous avons gagné la guerre et non sans peine. Maintenant, il va falloir gagner la paix et ce sera peut-être encore plus difficile  ». La suite a tristement et tragiquement donné raison à Georges Clémenceau. Au matin du 11 novembre 1918, quelques heures après la signature de l’armistice dans la forêt de Rethondes, les cloches sonnaient à pleine volée. À quoi pensait-on si ce n’est à la fin des souffrances  ? Au retour des soldats, à l’avenir à construire, aux familles à réunir à nouveau, aux chagrins avec lesquels il faudrait vivre. C’était si compréhensible, si juste également. Tant d’espoirs, tant d’attentes et, somme toute, tant d’illusions aussi, nourries par ces années de souffrance, avec le risque que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. Or, la paix était un autre type de combat, dès lors qu’il s’agissait de bannir les nationalismes, de construire le droit international et d’assurer par une organisation mondiale, la Société des Nations, les bases de la paix future. Ce combat-là, consacré par le Traité de Versailles en juin 1919, ne fut pas gagné. Des clauses inappliquées, des prétentions inapplicables, une organisation internationale qui sombre peu à peu. Et la montée au tournant des années 30 du fascisme et du nazisme, à mesure que les démocraties se couchaient.

 

« Tant d’espoirs, tant d’attentes, et tant d’illusions aussi,

nourries par ces années de souffrance, avec le risque

que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. »

 

Je me suis souvent interrogé sur les conditions de la paix, les conditions de toute paix. Je l’ai fait comme étudiant, puis comme citoyen et durant cinq années comme parlementaire. Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple ou d’un pays, la violation caractérisée du droit  ? La paix commande de faire un pas l’un vers l’autre, au-delà de la qualité de vainqueur ou de vaincu, de vouloir dépasser tous les atavismes et donner une chance à l’avenir en l’organisant par le droit. La paix entre la France et l’Allemagne, que des siècles d’affrontements condamnaient à l’hostilité, s’est forgée grâce au courage de quelques hommes d’État, en particulier Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, et par la mobilisation formidable de la société civile. Elle s’est construite par le partage du charbon et de l’acier, puis par l’intégration des États d’Europe dans un processus fédéraliste que je veux croire irréversible. Rien de cela malheureusement n’était encore imaginable aux lendemains du 11 novembre 1918. Il aura fallu deux conflits mondiaux, l’un découlant pour partie de l’autre, pour que l’Europe se prenne en main et pose les bases d’un monde nouveau autour des valeurs de liberté et de solidarité. Mais la paix, c’est aussi la fermeté et l’intransigeance, c’est un combat pour le droit et le respect du droit se défend, fut-ce au prix de tensions comme la situation en Ukraine nous le rappelle.

 

« Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter

le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple

ou d’un pays, la violation caractérisée du droit ? »

 

Vouloir la paix n’est pas baisser la garde. C’est rester vigilant, demeurer imaginatif, agir pour le droit et par le droit. C’est vivre avec l’idée que la folie, le mépris, les envies et les haines peuvent surgir à nouveau. L’époque que nous traversons n’est pas sans inquiéter. En octobre 1938, juste après les accords de Munich, Winston Churchill, s’adressant au Premier ministre britannique Neville Chamberlain, avait eu cette phrase terriblement prémonitoire  : «  Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur  ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre  ». C’est avec l’histoire au cœur, ses tragédies et ses fulgurances aussi, qu’ému, je penserai le 11 novembre aux victimes de la Première Guerre mondiale. Député, parcourant les Balkans occidentaux, je m’arrêtais dans tous les cimetières français du front d’Orient pour honorer, ceint de l’écharpe tricolore, les nôtres tombés là-bas, pour qu’ils ne soient pas oubliés. Ces moments étaient forts. Commémorer un centenaire n’est pas tourner une page. C’est apprendre du passé. Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées. Je n’oublie pas que je suis le fils d’une pupille de la Nation. Je sais ce que «  mort pour la France  » veut dire. Je l’ai lu toute ma jeunesse sur une tombe qui me raconte l’histoire des miens. Et c’est pour cela, avec tant d’autres, par millions, chez nous et ailleurs, que j’ai mis depuis toujours mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. L’avenir, c’est le droit. L’avenir, c’est l’Europe.

 

« Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations

soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées.

Je sais ce que "mort pour la Franceveut dire. Et c’est

pour cela, avec tant d’autres, que j’ai mis depuis toujours

mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. »

 

PYLB 1918

Photo prise en avril 2016 au cimetière français de Bitola (Macédoine),

où sont enterrés plus de 13 000 soldats français du front d’Orient.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

17 mars 2020

Nicole Bacharan : « Si Trump est réélu, peut-être devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

Alors que la France se confine tant bien que mal et que le monde s’inquiète de plus en plus à propos du Covid-19, focus sur un autre sujet d’actualité : la présidentielle américaine. À quelques heures de la tenue de primaires démocrates dans des États majeurs, et tandis que l’ex-vice président Joe Biden semble avoir pris une avance considérable sur son concurrent Bernie Sanders, lui marqué plus à gauche, j’ai la joie de pouvoir vous présenter cette interview réalisée il y a quelques jours avec la politologue et historienne spécialiste des États-Unis Nicole Bacharan, auteure l’an dernier de Le monde selon Trump (Tallandier), et en 2016 de Du sexe en Amérique: Une autre histoire des États-Unis (Robert Laffont), ouvrage qui, avec l’affaire Griveaux, a inspiré ma première question. Merci à Nicole Bacharan pour sa fidélité et ses réponses éclairantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PRÉSIDENTIELLE ÉTATS-UNIS, 2020

Nicole Bacharan Trump

Le monde selon Trump : Tweets, mensonges, provocations,

stratagèmespourquoi ça marche ? (Tallandier, 2019)

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (MARS 2020)

Nicole Bacharan: « Si Trump est réélu, peut-être

devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

 

1. Est-on entré dans une ère où l’intime ne l’est plus vraiment, et faut-il s’inquiéter pour le fonctionnement de nos démocraties ?

La vie privée, et particulièrement la vie sexuelle, utilisée comme une arme politique, c’est aussi vieux que la démocratie américaine. Les «  Pères fondateurs  » Alexandre Hamilton et Thomas Jefferson en furent déjà les cibles, déchiquetés dans la presse par leurs adversaires politiques au nom de l’hypocrite principe «  qui ment à sa femme ou ment sur sa vie familiale, mentira aussi à ses électeurs, on ne peut pas lui faire confiance  ».

Depuis ce lointain passé, les humains n’ont pas changé, non plus que leur voyeurisme et leur goût du ragot, mais les outils de l’inquisition publique et de la mise au pilori se sont transformés, et avec les réseaux sociaux, sont devenus planétaires et instantanés. Qu’il s’agisse de la surveillance par l’État et la police au nom de la sécurité (suivant la redoutable affirmation «  il n’y a pas de problème pour ceux qui n’ont rien à se reprocher  »), qu’il s’agisse d’un dévoilement imprudent – même volontaire – de sa vie personnelle sur les réseaux sociaux (qui n’oublient jamais rien), qu’il s’agisse de la propension des mêmes réseaux sociaux à s’emparer de la vie privée de tel ou tel pour la disséquer, la juger, la condamner, oui, la transparence totale est à la fois illusoire et destructrice.

« En cas de changement de régime, tout ce qui,

d’intime, a été rendu public, pourrait bien

tomber aux mains de l’État... »

Sans possibilité de conserver bien à soi son «  petit tas de secrets  », sans espace pour vivre sa vie privée comme elle le devrait, c’est à dire de manière… privée, il n’y a plus de sphère intime, tout appartient au public, et en cas de changement de régime tout pourrait appartenir à l’État, et verser dans le totalitarisme.

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, il est urgent de repenser la protection de la vie privée et des libertés individuelles à l’ère des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle.

 

2. Dans quelle mesure les succès de l’économie américaine sont-ils imputables à la politique de Donald Trump ?

Contrairement à ce qu’il a affirmé le jour de son investiture, le 20 janvier 2017, Donald Trump n’a pas hérité d’une économie livrée au «  carnage  », mais d’une situation de croissance assez bien assainie depuis la crise de 2008. Le chômage, à son niveau le plus haut en 2011, n’avait cessé depuis de se réduire. Cependant, il est évident que les baisses d’impôt massives décidées par Donald Trump ont réellement «  dopé  » l’économie. Même si elles ont touché principalement les entreprises et les plus hauts revenus, la classe moyenne en a bénéficié, au moins un peu. La réduction du chômage à son niveau plancher, la hausse modeste mais réelle des salaires sont aussi imputables en partie à ces choix fiscaux.

Néanmoins, l’économie favorisée par Donald Trump est une économie «  fossile  », tournée vers le passé, le charbon, le pétrole, le gaz, la dérégulation et la suppression des normes environnementales. Les États-Unis prennent ainsi du retard dans le développement des énergies renouvelables et sont complètement marginalisés dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours

éviter aux États-Unis de subir les conséquences de leur

dette massive ? Rien n’est moins sûr... »

Enfin, les réductions fiscales, tout comme les investissements massifs dans l’armée et l’équipement militaire contribuent à creuser une dette publique abyssale. La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours éviter aux États-Unis d’en subir les conséquences ? Rien n’est moins sûr.

 

3. Donald Trump a-t-il répondu aux attentes de son électorat, ces «  hommes blancs en colère  » que vous évoquiez il y a quatre ans ?

Oui, Donald Trump a tenu la plupart des promesses  que son électorat juge essentielles : nommer des juges ultra conservateurs opposés à l’avortement, à la Cour suprême et dans les tribunaux fédéraux  ; baisser les impôts  ; sortir de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord sur le nucléaire iranien  ; construire un mur à la frontière avec le Mexique (le mur n’a pas beaucoup progressé, mais Trump a enfin obtenu de la Cour suprême le droit de détourner à cet effet une partie des fonds attribué au Pentagone)  ; revenir sur les règlementations environnementales datant de l’ère Obama. Trump ne manque jamais non plus d’affirmer son opposition au contrôle des armes à feu.

« La base électorale de Trump – env. 42% des électeurs -

est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. »

Sa base électorale – environ 42% - est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. Même si elle est composée pour l’essentiel de ces «  hommes blancs en colère  », d’âge mûr, peu éduqués, attachés à la libre circulation des armes et hostiles aux immigrés, on y trouve aussi des femmes, mais presque exclusivement blanches, des représentants des milieux d’affaires, des fermiers conservateurs, et des évangéliques qui ont tendance à voir en Donald Trump comme un nouveau messie.

 

4. Sur quels thèmes va se jouer la campagne ? Sera-ce un referendum pour ou contre Trump ?

Trump va rester fidèle à ce qui lui a réussi  : attiser la peur et la colère. Peur de l’étranger, peur de l’immigré, ressentiment contre «  les élites  », les alliés et les traités multilatéraux. Il a souvent prédit que s’il n’était pas réélu, le chaos suivrait  : une crise économique et financière sans précédent, une véritable invasion d’immigrés, des violences incontrôlables…

Si Joe Biden est bien le candidat démocrate, l’élection deviendra certainement un referendum pour ou contre Trump, elle se jouera entre les électeurs qui adhèrent à ses méthodes, et ceux qui voudraient revenir au calme et à la normale.

« La crise sanitaire du coronavirus ouvre

une période de grande incertitude... »

Comme dans toute élection, la situation et les perspectives économiques au moment de l’élection seront aussi déterminantes. À cet égard, la crise sanitaire du coronavirus ouvre une période de grande incertitude.

 

5. Votre regard sur la présidence Trump, confrontée au temps long de l’Histoire des États-Unis ?

Si Trump n’est pas réélu, sa présidence restera comme le moment où tous les noirs secrets de l’Amérique – violence, racisme, paranoïa – présents depuis l’arrivée des colons, seront revenus sur le devant de la scène et auront «  pris le pouvoir  », mais où la démocratie américaine aura tout de même prouvé sa capacité de résistance.

Mais si Trump est réélu, il en conclura que toutes ses outrances et ses abus de pouvoir ont été validés, et que désormais, «  tout est permis  ». Et peut-être devrons-nous parler de la démocratie américaine au passé, elle risquerait de n’en garder que les formes, comme une coquille vide.

 

Nicole Bacharan 2020

Nicole Bacharan est historienne et politologue.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

9 novembre 2020

« Ces fractures révélées et amplifiées par l'assassinat de Samuel Paty », par Olivier Da Lage

Le meurtre de Samuel Paty, le 16 octobre dernier, a bouleversé la nation. Professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, il a été décapité, aux abords de son établissement, par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d’origine tchétchène. Peu avant, M. Paty avait été montré du doigt, dans un mouvement largement amplifié par les réseaux sociaux, par des activistes musulmans lui reprochant d’avoir présenté à ses élèves, lors d’un cours, des caricatures du prophète Mahomet - dont le dogme islamique rejette la représentation imagée et a fortiori, humoristique.

Ce crime a placé à nouveau au grand jour, les fractures qui traversent notre société. Avec, au cœur des crispations, la conception française, stricte, de la laïcité, le droit à la dérision et plus généralement, la liberté d’expression. De nombreux musulmans ont fait montre de leur attachement à ces valeurs, et d’autres, parfois de bonne foi, ou parfois cherchant à faire de la politique, ont exprimé leur gêne, voire leur hostilité quant à certaines libertés prises par des non-croyants avec leur religion. Il y a eu, dans le monde arabe, et au-delà, dans le monde musulman, des témoignages de soutiens, mais aussi des manifestations défiantes envers la France.

Pour faire un point, j’ai proposé à M. Olivier Da Lage, journaliste à RFI spécialiste de la péninsule arabique, une tribune libre autour de ces questions éminemment épineuses, et dont le traitement requiert une bonne dose de doigté. Je le remercie pour son texte, fin et éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Ces fractures révélées et amplifiées

par l’assassinat de Samuel Paty »

Olivier Da Lage

 

Samuel Paty

Source : SIPA.

 

Depuis le terrible assassinat de Samuel Paty devant le collège où il enseignait l’histoire et la géographie, la France est secouée par de violentes répliques, si l’on prend l’analogie sismique de ce meurtre terroriste commis au nom de l’islam.

Plusieurs chocs se succèdent et s’entremêlent  : la prise de conscience que cinq ans après les attaques contre Charlie Hebdo et celles qui ont visé le Stade de France, le Bataclan et les terrasses de l’Est parisien, la France est toujours une cible du terrorisme. S’y ajoutent la division profonde au sein de la classe politique et des milieux universitaires et intellectuels sur l’analyse des causes et des réponses à y apporter, la résurgence de réflexes xénophobes voyant dans l’immigration la raison principale de la situation actuelle et enfin, la remise en cause de l’État de droit au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Il faut y ajouter, pour être complet, que la France se sent bien seule face à l’incompréhension non seulement d’une bonne partie du monde musulman – ne parlons pas des dirigeants qui, presque tous à l’exception du président turc Erdogan, ont apporté leur soutien à la France – mais aussi du monde anglo-saxon où l’on n’a jamais véritablement compris ni admis que la laïcité à la française n’avait pas grand-chose à voir avec le sécularisme dont se réclament un certain nombre d’entre eux. Pour tout ne rien arranger, les deux conceptions de la laïcité qui s’affrontaient au début du XXe  siècle s’opposent aujourd’hui frontalement en public  : Combes d’un côté et Briand ou Jaurès de l’autre ont une descendance décidée à ne rien céder sur sa conception de ce qu’est la laïcité et surtout, de ce qu’elle ne doit pas être.

La France plutôt isolée internationalement

Le discours d’hommage à Samuel Paty prononcé devant la Sorbonne par le président de la République était parfaitement calibré pour l’opinion française et du reste, la quasi-totalité des personnalités de l’opposition l’ont approuvé. Mais on vit dans une ère mondialisée et ce qui s’adresse aux Français est entendu par d’autres, qui en fonction de leur culture, de leur histoire et de leurs croyances, ne l’ont pas reçu de la même façon.

Commençons par ce qui, à ce stade, est le plus rassurant – et ça ne l’est pas vraiment  : la campagne internationale contre la France, qui évoque à la fois celle de 2004, suite à l’adoption de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école (en réalité, le foulard islamique). À l’époque, chefs d’État et de gouvernement, y compris des alliés de la France, rivalisaient de condamnations pour se montrer les meilleurs défenseurs de l’islam, comparés à leurs voisins et adversaires. Même chose, en plus grave, après la fatwa prononcée en 1989 contre Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny. Les pays sunnites n’avaient pas voulu laisser le monopole de la condamnation des Versets sataniques à l’Iran chiite et, s’ils n’avaient pas à leur tour appelé publiquement à tuer l’écrivain britannique, ils ne s’étaient pas non plus dissociés de cet appel.

Rien de tel cette fois-ci. Même si plusieurs pays arabes du Golfe, le Maroc ou l’Iran ont condamné la republication des caricatures de Charlie Hebdo représentant Mahomet, tous ont pris soin de condamner le meurtre de l’enseignant et plusieurs ont apporté publiquement leur soutien à la France contre les violences terroristes qui se sont produites à la suite. Les seules exceptions notables de dirigeants en fonction ayant choisi de réserver leur condamnation à la France en tant que telle sont le président turc Recept Tayyip Erdogan et le Premier ministre pakistanais Imran Khan.

«  Il faut comprendre que parfois, les opinions

publiques du monde islamique se dissocient largement

de leurs dirigeants, voire les associent au monde

occidental dans un même opprobre.  »

C’est rassurant, mais loin d’être suffisant. À force d’assimiler de façon simpliste les pays musulmans à leurs dirigeants, un grand nombre de leaders d’opinion négligent le fait que l’opinion publique du monde islamique s’en dissocie largement, voire associe leurs dirigeants et le monde occidental dans un même opprobre. Il faut suivre avec attention les manifestations d’ampleur qui ont eu lieu au Bangladesh et au Pakistan. En 1989 aussi, c’est dans le sous-continent indien qu’avait débuté la contestation, relayée ensuite dans la diaspora indo-pakistanaise en Angleterre, puis alors seulement dans le monde arabe.

De même, le ferme soutien apporté par plusieurs dirigeants occidentaux (mais pas tous  !) ne saurait dissimuler le fait que beaucoup sont mal à l’aise devant ce qui apparaît comme un soutien officiel de l’État en France à la publication de dessins qui blessent profondément les musulmans. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau ne s’est pas caché pour le dire explicitement et Paris a reçu ses déclarations comme une trahison. Mais si elle fait l’effort de regarder alentour, la France ne peut que constater son isolement sur cette question. La conviction que le modèle laïque français est supérieur à tous les autres est peut-être une consolation, mais bien insuffisante pour faire face aux difficultés politiques et diplomaties à venir.

Ce serait plus facile si la société française était soudée pour faire face à ces multiples défis.

Unie, elle l’a été quelques heures, jusqu’à ce que certaines personnalités, notamment l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls et ses proches, ne rejettent la responsabilité de l’action terroriste de ce jeune Tchétchène sur ceux qui l’ont à leurs yeux rendu possible, à savoir les «  islamo-gauchistes  » et tous ceux qui, par leur déni de réalité, ont fait le lit de la progression islamiste en France.

Sur l’utilisation du mot «  islamisme  »

Avant de revenir sur ces divisions françaises, il peut être utile de s’arrêter quelques instants sur cette notion d’islamisme. Ceux qui y recourent aujourd’hui y mettent des significations très différentes qui n’ont souvent pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Le mot a une histoire et elle a son importance.

Pour résumer, dans la bouche de nombreux responsables politiques et journalistes, il est désormais synonyme de terrorisme. C’est un contresens et le moment est sans doute venu de rappeler l’origine du mot. Depuis la fin du XIXe  siècle et jusqu’aux années 80, il était souvent indifféremment utilisé pour parler de l’islam et de ses adeptes. Les choses changent après la révolution islamique iranienne. À l’époque, pour désigner les partisans de l’ayatollah Khomeiny en Iran, au Liban et ailleurs, les journalistes recourent fréquemment à l’expression  : «  intégristes musulmans  ». Or, ce terme fait directement référence à l’Église catholique et à la dissidence de Mgr  Lefebvre. C’est un non-sens. Pour éviter ce travers, certains choisissent alors d’utiliser à l’instar des anglophones le terme «  fondamentalistes  ». C’est un autre contresens, puisque tout musulman profondément croyant se considère comme un fondamentaliste, ce qui ne fait pas de lui un extrémiste pour autant  : cela signifie seulement qu’il croit fondamentalement aux principes de sa religion, ni plus, ni moins. Donc, ni intégristes, ni fondamentalistes, comment qualifier ces extrémistes se revendiquant de l’islam en tant que projet politique aux régimes en place dans le monde musulman  ?

«  Pour mieux comprendre une réalité, il convient

d’être précis sur les termes : un fondamentaliste

n’est pas forcément un extrémiste, et un extrémiste

pas nécessairement un terroriste.  »

C’est alors qu’un certain nombre d’islamologues français, issus de différentes disciplines et par ailleurs rarement en accord entre eux sur d’autres sujets, proposent un adjectif de rechange  : «  islamistes  ». Pour ces chercheurs, voici ce que signifie «  islamistes  », et rien d’autre. Parmi eux se trouvent des conservateurs bon teint, plus rarement des révolutionnaires, d’autres sont des extrémistes et au sein de ces derniers, sans nul doute, des terroristes, mais il n’y a pas d’équivalence sémantique. Un certain nombre de journalistes, sensibilisés par ces chercheurs (je suis du nombre), à leur tour, reprennent ce terme dans l’acception qui est la leur. Le mot commence à se diffuser dans la société.

Une vingtaine, peut-être une trentaine d’années durant, c’est le sens qu’il conserve. Toutefois, après les attentats du 11-Septembre 2001, son utilisation va rapidement changer de sens et glisser vers sa signification actuelle, liée au terrorisme. Il est désormais utilisé indifféremment pour désigner des personnes qui croient à l’islam en tant que projet politique dans leur pays (du monde arabo-musulman), ceux qui veulent modifier la société européenne au sein de laquelle l’islam est minoritaire, et aussi ceux qui projettent et commettent des attentats terroristes. Employer sans différencier «  islamistes  » pour caractériser des gens et des projets si différents n’aide ni à comprendre, ni à répondre, ni à combattre ces projets. Cela engendre de la confusion et rien d’autre.

«  Islamo-gauchisme  » contre «  islamophobie d’État  »

Le meurtre de Samuel Paty par un terroriste se revendiquant de l’islam a aussitôt donné lieu à la mise en cause simultanée des «  islamistes  » de toute nature avec la volonté affirmée du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de donner un coup de pied dans la fourmilière, voire d’«  envoyer des messages  » à des personnes et associations n’ayant rien à voir avec l’enquête. L’annonce précipitée de la dissolution de plusieurs associations, dont le CCIF, pose de nombreuses questions qui ne sont pas seulement juridiques, quoique cela ne soit pas négligeable, depuis que le Conseil constitutionnel a érigé en 1971 des barrières élevées pour protéger le droit d’association. Il n’est pas besoin d’approuver les buts d’une association ni d’estimer ses dirigeants pour lui reconnaître le droit à l’existence, du moins dans un État de droit. Si le Conseil d’État devait déclarer illégales pour insuffisance de preuves la dissolution d’associations présentées comme favorisant le terrorisme, ce serait un mauvais coup porté à la lutte contre celui-ci. Il faudra attendre l’épuisement des recours pour le savoir, mais les juristes proches du gouvernement semblent peiner pour étayer une décision prise dans l’urgence, pour ne pas dire la précipitation.

La dénonciation du terme «  islamophobie  » est un autre élément à charge  : outre que les historiens ont fait litière de l’affirmation péremptoire de Caroline Fourest selon qui le mot a été forgé par les mollahs iraniens pour interdire toute critique de l’islam (en fait, on retrouve le mot dans des ouvrages datant des premières années du XXe  siècle), ce même terme est employé en anglais et dans bien d’autres langues sans que cela provoque le même émoi qu’en France et désigne couramment non pas la «  peur de l’islam  », mais l’hostilité aux musulmans (tout comme l’homophobie n’est pas la peur de son semblable, mais la haine à l’encontre des homosexuels). Et puisque le débat actuel fait remonter à la surface la participation de politiques de gauche (LFI, EELV, PCF) et de syndicalistes à la Marche contre l’islamophobie organisée le 10  novembre 2019 par un collectif d’organisations dont, entre autres, le CCIF, il n’est pas inutile de rappeler que l’appel a été lancé à la suite de la fusillade contre la mosquée de Bayonne quelques jours auparavant et dans le contexte de l’émotion que cette attaque avait alors suscité, bien au-delà des musulmans français.

Vient enfin l’accusation d’«  islamo-gauchisme  », qui a ceci de particulier qu’elle vise des personnes qui, dans leur écrasante majorité, ne sont ni musulmanes, ni gauchistes, aux fins de disqualifier leur parole. Les islamo-gauchistes seraient des marxistes attardés ayant oublié la dénonciation de l’opium des peuples et ayant remplacé le prolétariat par les musulmans, nouveaux damnés de la terre pour des porteurs de valise en mal de décolonisation à soutenir. Cette vision caricaturale serait risible, si elle n’était portée par des personnages aussi importants que le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Éducation nationale qui s’en prend aux milieux universitaires avec une telle virulence qu’il s’est attiré une réponse cinglante de la Conférence des présidents d’université. La lutte contre l’«  islamo-gauchisme  » semble donc être devenue une priorité politique de l’État et de ses plus hauts représentants, même s’il est exact qu’à ce jour, le président Macron s’est bien gardé de reprendre publiquement cette expression à son compte. Parallèlement, des tribunes d’universitaires réputés pourfendent également, tout aussi publiquement, ceux de leurs collègues soupçonnés de faiblesse pour l’«  islamo-gauchisme  ».

«  Les uns crient à l’ "islamophobie d’État", les autres

ont inventé un nouveau maccarthysme ayant remplacé

le communisme par l’ "islamo-gauchisme"...  »

En retour, ceux ainsi désignés se rebiffent et mettent en cause, pour les uns une «  islamophobie d’État  », pour d’autres, ou pour les mêmes, un nouveau maccarthysme ayant remplacé le communisme par l’«  islamo-gauchisme  ».

La même violence a cours dans le monde des médias. L’universitaire dénonce l’universitaire, le journaliste dénonce le journaliste. C’est le concours Lépine des solutions simple à un problème complexe (le terrorisme) dont tous les spécialistes, quel que soit leur positionnement par ailleurs, s’accordent à dire qu’il est là pour longtemps et qu’aucune solution miracle ne le fera disparaître rapidement.

À ce stade de la réflexion, il est bien difficile de parvenir à une conclusion optimiste. Sur le plan international, on peut penser, en s’appuyant sur les expériences passées, que les tensions liées à l’affaire des caricatures finiront par se calmer, si du moins, certains ne remettent pas une pièce dans le bastringue à intervalle régulier pour faire la démonstration que le prix à payer pour considérer que nous sommes libres et non en état de soumission à l’islam.

En ce qui concerne la société française, le mal est en réalité beaucoup plus profond. Pourtant, jamais dans le passé, on n’avait vu autant de responsables musulmans, du recteur de la mosquée de Paris aux mosquées régionales en passant par le président du CFCM s’exprimer publiquement pour non seulement dénoncer les attentats terroristes, mais affirmer haut et fort le droit à la caricature, même si elle choque les sensibilités. Sans doute aurait-il été utile que ces affirmations viennent plus tôt. Le fait est qu’elles ont été relayées avec une relative discrétion par les médias. Cependant, à tort ou à raison, une grande partie des musulmans de ce pays ont le sentiment que la laïcité n’est invoquée que pour s’en prendre aux musulmans et que les autorités se précipitent au secours des catholiques et des juifs chaque fois qu’ils sont menacés, mais que les musulmans, pour ce qui les concerne, sont sommés de faire preuve à chaque fois de leur républicanisme, même lorsque les cibles sont musulmanes.

Quant au discours politique, il semble inscrit dans une dynamique que l’on voit à l’œuvre dans de très nombreux pays  : lorsque l’économie va mal, a fortiori avec une épidémie que les mesures gouvernementales ne parviennent pas à maîtriser, le seul champ lexical qui reste pour mobiliser une population est celui de la dénonciation de l’ennemi intérieur qui, de façon délibérée, ou parce qu’il se comporte en «  idiot utile  » de ce dernier, aide l’ennemi extérieur à s’en prendre à la communauté nationale. Ce regain de nationalisme, qui n’a pas grand-chose à voir avec le patriotisme, n’unit pas la nation  : il la divise en excluant, à la plus grande satisfaction de ceux qui, ayant toujours tenu ce discours, attendent désormais d’en recueillir les fruits, par exemple lors de la prochaine présidentielle en 2022.

par Olivier Da Lage, le 3 novembre 2020

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

15 janvier 2017

« Usage de la force et son contrôle: comparaison France-Allemagne du rôle des parlements », par Delphine Deschaux-Dutard

Delphine Deschaux-Dutard, maître de conférences en science politique à l’université Grenoble-Alpes et membre du Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE), avait à ma demande composé en décembre 2015 pour Paroles d’Actu, peu de jours après les attentats meurtriers du 13 novembre, un très intéressant article intitulé : « ONU, OTAN, UE : implications et perspectives de la sécurité et de la défense collectives après les attentats de Paris ». Treize mois après, voici une nouvelle contribution qu’elle nous livre après commun accord : un texte à haute valeur informative qui compare la manière dont les parlements nationaux de France et d’Allemagne abordent, sur le papier - constitutionnel - et dans la pratique, les questions touchant à l’usage de la force militaire et au contrôle de celle-ci. Deux démocraties libérales, voisines et partenaires, mais des fonctionnements très éloignés sur ces points ; on touche là aux institutions telles qu’elles ont été façonnées, héritage dans un cas comme dans l’autre de l’histoire récente, particulière, de chacun des deux pays. Merci, Delphine Deschaux-Dutard, pour ce document. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche

 

Bundestag

Photo : le Bundestag, la chambre basse du parlement de la République fédérale d’Allemagne.

« Usage de la force et contrôle démocratique: le rôle des arènes

parlementaires. Une comparaison France-Allemagne. »

par Delphine Deschaux-Dutard, le 10 janvier 2017

Dans un contexte de menace terroriste accrue ces dernières années, la question du contrôle démocratique des armées et de l’usage de la force militaire est devenue fondamentale dans nos États de droit contemporains, et se repose aujourd’hui avec force dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et l’implication des forces armées dans cette lutte, sur le territoire national et à l’extérieur des frontières. Ce retour de l’usage de la force ne peut donc faire l’économie d’une analyse du contrôle démocratique sur cette force, et au moment où le vocabulaire employé par les élites gouvernementales tend de plus en plus à employer le terme de « guerre » pour justifier l’usage de la force armée contre la menace terroriste protéiforme*. En parallèle, il importe d’interroger la place de l’arène parlementaire dans son rôle de contrôleur démocratique de l’institution militaire, incarnant le principe fondamental en démocratie de soumission de l’armée aux autorités politiques, dans un contexte global de technicisation des politiques publiques et d’accroissement de la coopération internationale rendant l’exercice parlementaire d’autant plus complexe qu’il tend à leur échapper partiellement.

* Selon un récent sondage Ifop, la lutte contre le terrorisme constitue le premier sujet de préoccupation des Français dans 67% des cas, mais la confiance des citoyens semble aller d’abord aux forces de police et de gendarmerie (69%) plutôt qu’aux forces armées à travers l’opération Sentinelle (39%). Sondage IFOP pour l’Observatoire des politiques publiques, « Les Français et leur sécurité », octobre 2016 (http://www.ifop.com/media/pressdocument/941-1-document_file.pdf, consulté le 8/12/2016).

Ce contrôle démocratique peut varier en fonction de son étendue, des acteurs qui le mettent en œuvre, ou encore de sa qualité ex ante ou ex post quand il s’agit de contrôler les déploiements de forces armées en opérations. L’arène parlementaire représente en effet le lieu de la démocratie le plus emblématique dans l’exercice du contrôle politique sur les forces armées à travers les compétences parlementaires sur les questions de défense, ou « war powers ».

La comparaison de deux cas, la France et l’Allemagne, permet ici d’éclairer combien deux démocraties rompues à la pratique de la coopération militaire bilatérale autant que multinationale continuent de différer en matière de contrôle démocratique de l’usage de la force. Il s’agit en l’occurrence de montrer combien le contrôle parlementaire de l’usage de la force tend à diverger dans ces deux pays, qui peuvent être présentés comme constituant les deux extrémités d’un axe allant du contrôle parlementaire souple et peu formalisé (cas français) à un contrôle parlementaire strict et formalisé (cas allemand).

L’intérêt de comparer ces deux États en particulier provient non seulement de la pratique de longue date d’une coopération militaire institutionnalisée entre eux suite au Traité de l’Elysée de 1963, mais du fait qu’en 2015-2016, ces deux Etats ont été confrontés sur leur propre sol à des menaces terroristes formalisées (attentats de Charlie Hebdo, Paris et Nice en France, faits terroristes à Munich et Ansbach en Allemagne en juillet 2016 et attentat de Berlin en décembre 2016) et ont mis en place une réflexion sur l’usage interne de la force militaire face à cette menace terroriste.

 

Des dispositifs du contrôle parlementaire en matière d’emploi de la force fortement divergents

La relation armée-autorités politiques, naturelle en France, est une relation plus pragmatique en Allemagne, où la technique de gouvernement de l’armée repose sur un asservissement idéologique de celle-ci à l’autorité démocratique par excellence : le Bundestag.

Un contrôle parlementaire ex ante sur l’usage de la force en Allemagne

Le régime politique allemand a placé au cœur de son fonctionnement en matière de défense le principe de subordination de l’armée aux autorités politiques à travers le concept d’« armée parlementaire » (Parlamentsarmee). Ce concept affirmé par la cour constitutionnelle de Karlsruhe lors de son jugement historique de 1994 levant les contradictions contenues dans la Loi fondamentale allemande concernant la question de l’usage de la force militaire et de son contrôle parlementaire a été depuis réaffirmée à maintes reprises par les gouvernements successifs. Il va de pair avec la notion de « réserve parlementaire » (Parlamentsvorbehalt) qui implique la nécessité d’approbation de l’usage des troupes allemandes par l’arène parlementaire. En effet, suite au traumatisme du IIIème Reich, l’Allemagne s’est dotée de dispositions constitutionnelles contradictoires dans la Loi fondamentale de 1949 qui ont eu pour effet de verrouiller les possibilités d’emploi de la Bundeswehr en dehors du territoire couvert par l’OTAN. La contradiction entre les articles 87a et 24 a finalement été tranchée par un jugement historique de la cour de Karlsruhe, en 1994.

« En Allemagne, il n’y a aucun "chèque en blanc"

du parlement en matière d’interventions

militaires extérieures »

Néanmoins, selon les dispositions de la Loi fondamentale, le Bundestag doit approuver à la majorité simple tout engagement de l’armée allemande dans une opération extérieure, qu’elle soit militaire ou humanitaire (article 87a). De même, toute intervention de la Bundeswehr doit immédiatement cesser si le Bundestag ou le Bundesrat le décident (article 87a). C’est ainsi bien un contrôle ex ante qui est défini en Allemagne. Le Bundestag vote d’ailleurs en détail le mandat donné au ministre de la Défense pour envoyer la Bundeswehr en opérations extérieures, y compris les lieux précis et les coûts engendrés par l’opération en question (article 3). Il n’y a donc aucun « chèque en blanc » mais au contraire un examen parlementaire scrupuleux des circonstances et des conditions du déploiement militaire extérieur.

La loi de 2005 définit également les rares exceptions permettant une procédure de contrôle accélérée et une approbation parlementaire ex post : c’est le cas des déploiements de très faible intensité, de même que les déploiements militaires rendus nécessaires par un péril imminent ou par l’existence d’une catastrophe naturelle par exemple (article 4). Ainsi si l’initiative de l’usage de la force armée revient bien au gouvernement allemand, la responsabilité repose néanmoins conjointement sur le gouvernement et sur le parlement à travers la nécessité d’approbation parlementaire préalable : certains auteurs évoquent un système de « double clef ».

Le Bundestag a ainsi approuvé entre 80 et 100 déploiements extérieurs de la Bundeswehr depuis 1994**. Le dernier vote du 10 novembre 2016 a consisté à prolonger le mandat de la Bundeswehr en Irak***. Bien entendu, les war powers du Bundestag s’étendent également aux autres domaines classiques qui composent le contrôle parlementaire des politiques de défense, telles que l’approbation du budget de la défense par exemple.

** Ce chiffre inclut les prolongations de mandat, comme dans le cadre de la participation de la Bundeswehr à la FIAS en Afghanistan ou à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime.

*** 150 soldats allemands sont actuellement déployés à Erbil, depuis l’été 2014, dans le cadre d’une opération de formation des soldats Peshmerga : environ 2000 Peshmerga sur les 11 000 concernés par l’opération ont ainsi été formés par la Bundeswher en deux ans.

« En Allemagne, les forces armées disposent de leur

propre représentant auprès du parlement »

Outre le dispositif constitutionnel et juridique, deux autres éléments renforcent la capacité de contrôle du Bundestag sur l’usage de la force armée :

  • La commission parlementaire allemande sur la Défense, dotée d’un statut constitutionnel, exerce un contrôle effectif sur le gouvernement en matière de défense (à travers son droit d’information et ses compétences d’enquête), de conseil auprès de l’assemblée plénière du Bundestag sur les questions militaires et de lien avec le représentant de l’armée allemande au Bundestag, le Wehrbeauftragte.

  • Le commissaire parlementaire aux forces armées (Wehrbeauftragte), constituant un accès direct au parlement sans équivalent en France. Celui-ci incarne un relai direct entre l’institution militaire et l’arène parlementaire, permettant à la fois un échange d’informations mais également une prise en compte des opinions véhiculées par les forces armées à travers leur représentant parlementaire.

Concernant le cas de l’usage des forces armées en interne sur le territoire allemand, la question divise la classe politique allemande depuis plusieurs décennies. La Loi fondamentale définit, outre l’emploi de la Bundeswehr pour la défense territoriale traditionnelle du pays (article 87a §2.2), des possibilités très strictement circonscrites d’emploi des forces armées allemandes en interne en cas de situations d’une extrême gravité (Notstandgesetz) pour la défense d’objectifs civils et pour des accidents extraordinaires (article 87a §3.3). Leur emploi en interne doit être approuvé à une majorité des deux tiers par le Bundestag, et la déclaration de l’état de défense (Verteidigungsfall) requiert l’approbation du Bundesrat (représentant des Länder)****. C’est donc encore ici un contrôle parlementaire ex ante qui s’applique. La Bundeswehr avait par exemple été déployée en interne lors de la crue extraordinaire de l’Elbe, de la Mulde et du Danube en août 2002. 45 000 soldats avaient été engagés dans cette mission aux côtés des forces de sécurité civile.

**** L’état de défense n’a jamais encore été invoqué en Allemagne. Un député du Bundestag nous indiquait qu’il s’agissait d’un cas extrême en donnant l’exemple d’un bombardement du Bundestag comme élément déclenchant, autrement dit un événement plus qu’improbable. Entretien à Berlin, 30/11/2016.

Plus récemment en 2015, les soldats de la Bundeswehr ont participé à l’accueil des migrants sur le territoire allemand. Ainsi, le dernier Livre blanc allemand de la Défense de 2016 rouvre la discussion sur les possibilités d’emploi de la Bundeswehr en interne, en évoquant également le cas de la lutte contre le terrorisme. Suite aux attentats de Paris et Nice, et aux attaques terroristes isolées à Munich et Ansbach à l’été 2016, la ministre de la Défense a invité à la réflexion sur un élargissement du spectre d’engagement de la Bundeswehr en interne afin de prendre en compte la responsabilité collective de l’État fédéral et des Länder dans la sécurité intérieure. Pour autant, la séparation de principe entre police et armée n’est pas remise en question dans le texte en projet.

Prééminence présidentielle et contrôle parlementaire ex post en France

« En France, sur l’usage de la force armée,

c’est l’exécutif, et non le parlement,

qui est souverain »

L’armée française constitue une institution au positionnement particulier au sein de l’État, liée à l’autorité politique suprême : le président de la République est constitutionnellement le chef des armées (article 15 de la Constitution), témoignant d’un héritage monarchique fort. Dans le cas du recours à l’usage de la force armée, le contrôle parlementaire en France ne ressemble en rien à la situation allemande. L’exécutif est en position de force et le législatif en position de faiblesse quand il est question de l’usage de la force armée. En effet, l’approbation parlementaire de l’emploi des forces militaires ex ante n’existe pas dans le système politique français. Jusqu’à la révision constitutionnelle de 2008, le parlement n’avait tout simplement aucune voix au chapitre sur la question des opérations extérieures, sauf cas particulier de la déclaration de guerre (article 35 de la Constitution). Néanmoins, le nouvel article 35 de la Constitution dispose en effet que :

« Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. »

La prudence des termes est frappante lorsqu’ils sont comparés avec les dispositions constitutionnelles allemandes. Le premier vote historique a eu lieu le 21 septembre 2008 à l’occasion de la décision de prolongement du mandat de l’armée française en Afghanistan. Depuis lors, le parlement français a pu voter sur la prolongation des interventions militaires au Mali ou en Libye notamment, sans vive polémique. La question de l’opération en Afghanistan a néanmoins révélé à partir de 2008 une fissure dans le consensus politique national autour des questions militaires. Cela n’a pour autant pas entraîné d’activisme majeur des parlementaire sur les questions militaires.

En outre, les députés français peuvent certes constituer une commission d’enquête, ou convoquer des auditions d’acteurs clefs de la défense, ce qui est fréquent dans le cadre de l’opération intérieure Sentinelle depuis 2015, mais ils ne peuvent pas convoquer directement le chef d’état-major des armées pour l’auditionner si le ministère de la Défense ne donne pas son aval au préalable. Cette faiblesse parlementaire en matière de défense est traditionnellement favorisée par le gouvernement.

Cependant, il existe plusieurs instruments qui peuvent lui permettre d’exercer non pas un réel contrôle mais plutôt un suivi des questions de défense et plus précisément de l’usage de la force :

  • Les questions orales et écrites ;

  • les parlementaires peuvent organiser un débat sur un sujet déterminé (article 50§1 de la Constitution modifiée en 2008) ;

  • ils peuvent par un vote à la majorité simple, établir une commission d’enquête sur des questions de défense (article 140 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale) et disposent, comme en Allemagne, d’une commission spécialisée. Plus précisément, la commission Défense de l’Assemblée nationale joue ici un rôle non négligeable en conduisant des auditions de hauts responsables de la défense(article 45 du règlement de l’Assemblée nationale), en étant apte à lancer une mission d’information ou d’enquête, et en produisant surtout de nombreux rapports sur les questions de défense.

  • ils effectuent des visites régulières auprès des troupes sur le terrain.

Enfin, dans le cas de l’usage de la force armée à l’intérieur du territoire national, le cas spécifique de l’opération Sentinelle mérite examen. Cette opération prend tout d’abord naissance dans un contexte juridique particulier : celui de l’état d’urgence. Proclamé par le président de la république le 14 novembre 2015 suite aux attentats de Paris, l’état d’urgence est un cadre juridique d’exception. L’opération Sentinelle est une action décidée par le chef de l’État en réaction aux attentats terroristes de janvier 2015. Cette opération est inédite et vient en complément des forces de sécurité intérieure pour renforcer la sécurité sur le territoire national. Mais elle est également une action de renforcement du plan initial, Vigipirate. Et contrairement au cas de l’état de siège défini à l’article 36 de la Constitution, aucun pouvoir exceptionnel n’est attribué aux autorités militaires dans le cadre de l’état d’urgence.

« Le parlement a son mot à dire sur la prorogation

de l’état d’urgence ; il n’exerce pas

de contrôle direct sur l’opération Sentinelle »

Le parlement doit d’ailleurs - et il l’a fait à cinq reprises depuis novembre 2015 - se prononcer par un vote sur la prorogation de cette situation juridique d’exception au-delà de douze jours. C’est donc bien le cadre juridique et non l’opération Sentinelle elle-même qui a fait l’objet d’un contrôle parlementaire. L’article 35 de la Constitution révisée en 2008 insiste sur la nature extraterritoriale des interventions militaires dont le Parlement peut être en mesure d’approuver la prorogation. De plus l’engagement des armées sur le territoire national, y compris dans le cadre du contrat opérationnel de protection, s’inscrit dans le droit commun en matière de sécurité et de défense. Le code de la défense (article L.1321-1) prescrit « qu’aucune force armée ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sans une réquisition légale. » Cet article rappelle ainsi le principe de séparation des pouvoirs et engendre l’absence de toute intervention du législateur.

→ Depuis le 14 janvier 2015, plus de 10 000 soldats de l’armée de Terre sont ainsi déployés sur le territoire français, à des fins de protection de la population sur le territoire français, cela sans que l’arène parlementaire n’ait eu à se prononcer sur cet usage de la force armée, ce qui serait une situation impensable outre-Rhin.

 

Des pratiques de contrôle parlementaire de l’usage de la force enracinées dans la construction historique des régimes

Les divergences de mise en œuvre des dispositifs existants, si elles révèlent quelques rares convergences, démontrent bien plus le rôle de l’historicité de la relation armée-autorités civiles dans les deux États ici considérés.

En Allemagne, l’importance accordée au parlement dans l’emploi de la Bundeswehr offre une plateforme à l’opposition politique, notamment à travers l’usage des questions au gouvernement. Les questions parlementaires peuvent d’ailleurs être adressées à un ministre en particulier, et en l’occurrence au ministre de la Défense, qui est en Allemagne le chef des forces armées. De même, chaque député peut demander l’accès à des documents ministériels concernant la sécurité et la défense (article 16).

Enfin, les députés, tant de la majorité que de l’opposition, n’hésitent pas à faire usage de l’instrument de l’enquête parlementaire en matière de défense : un quart des députés allemands peuvent demander une enquête sur n’importe quel sujet d’intérêt public (article 44 de la Loi fondamentale). Un exemple récent permet de saisir la force de l’instrument d’enquête parlementaire aux mains du Bundestag : il s’agit de l’enquête parlementaire sur le raid mené par l’OTAN à Kunduz, sur les ordres d’un commandant en Afghanistan en 2009 ; cette action avait mis en grande difficulté politique le ministre de la Défense de l’époque, Karl-Theodor zu Guttenberg. Les députés allemands, mais c’est également vrai pour les députés de la commission Défense français, font également régulièrement usage de leur droit de visite des troupes sur le terrain.

Un autre instrument offre dans la pratique une arme puissante au Bundestag : les recours devant la cour constitutionnelle : un tiers des députés du Bundestag peut déposer une requête devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe à l’encontre d’une décision d’engager les forces armées allemandes dans une opération (article 93§1.2 de la Loi fondamentale).


Un recours récent permet d’illustrer cet argument : il s’agit du recours adressé à la cour en 2007 par la fraction des Verts du Bundestag contre l’utilisation de Tornados de la Luftwaffe dans le cadre de la surveillance aérienne du sommet du G8 à Heiligendamm. L’argumentaire des Verts consistant à dire que cet usage allait à l’encontre des conditions fixées dans la Loi fondamentale a été validé par la cour constitutionnelle allemande, démontrant combien l’utilisation de la force armée en interne divise profondément la classe politique allemande. Un élargissement du spectre d’emploi interne de la Bundeswehr nécessiterait cependant une révision constitutionnelle car les conditions de l’article 87a§3.3 sont très restrictives. Or, les sociaux-démocrates et les Verts s’opposent pour l’instant à cette éventualité. Ce point de l’emploi interne de la Bundeswehr, malgré la thèse du risque terroriste en interne, est d’autant plus litigieux que la cour constitutionnelle a rendu un arrêt en 2005 sur la loi de sécurité aérienne (Luftsicherheitsgesetz) dans lequel elle interdit un emploi de la Bundeswehr contre des avions de ligne détournés par des terroristes en avançant que cela n’est pas conciliable avec le principe de dignité humaine. Et même si la ministre de l’Intérieur de Bavière avait évoqué la possibilité d’un emploi de la Bundeswehr comme soutien aux forces de police suite à l’attaque terroriste de Munich le 22 juillet 2016, cette question clive très fortement la coalition avec des conservateurs (CDU) enclins à assouplir les conditions d’emploi de la Bundeswehr en interne face à la menace terroriste, et des sociaux-démocrates, des libéraux et des Verts fermement opposés à cet argument qui franchirait une ligne rouge allemande héritée de la structuration historique du lien-armée nation dans la République Fédérale, soit la stricte répartition des tâches entre la police (responsable de la sécurité intérieure) et l’armée (responsable de la défense et de la sécurité extérieure).


Il ne faut pas occulter la dimension polémique que revêtent les questions de défense, et surtout de l’usage de la force en Allemagne. Si 77% des citoyens allemands interrogés pensent que la Bundeswehr est importante pour l’Allemagne, 71% d’entre eux perçoivent positivement la participation de la Bundeswehr à des opérations extérieures, mais 25% s’y déclarent opposés (d’après un sondage daté de 2013).

« Dans la pratique, l’exécutif fédéral allemand

ne soumettrait au vote aucun projet d’usage

de la force susceptible d’être rejeté par le

parlement ; c’est pourquoi il n’y a pas eu

d’intervention de l’Allemagne en Libye »

Fait étonnant : malgré l’incontournable approbation parlementaire ex ante, dans la réalité aucun vote négatif concernant un déploiement de la Bundeswehr en opérations extérieures n’a été enregistré depuis 1994. Cela provient de ce que le gouvernement et les députés négocient en amont : en pratique, le gouvernement allemand ne se risquerait pas à soumettre au vote un projet d’usage de la force qui n’aurait aucune chance d’être adopté. C’est d’ailleurs ce qui permet de comprendre pourquoi la chancelière a finalement refusé d’engager l’Allemagne militairement en Libye en 2011 (abstention allemande au Conseil de sécurité de l’ONU sur la résolution du 17 mars 2011).

En France, la tendance à la présidentialisation du régime sous la Vème République conduit à une exacerbation du « domaine réservé » du Président sur les questions de défense. En outre, le poids de cet exécutif par rapport à l’arène parlementaire est renforcé par l’existence d’un état-major particulier composé de trois officiers supérieurs au service du Président, ainsi que d’un cabinet militaire du Premier ministre, leur permettant d’acquérir très rapidement une palette d’options militaires à mettre en œuvre. Ainsi, dans la pratique, seuls, le Président - avec le Premier ministre, en vertu de l’article 19 de la Constitution française de 1958 - décident de l’envoi des troupes à l’étranger ou, dans le cas de Sentinelle, d’un déploiement sur le territoire français.

Une fois passé le délai de quatre mois sur le terrain pour la force déployée, ou dans le cas du vote d’une prolongation de mission, il paraît difficilement envisageable que l’Assemblée nationale puisse imaginer retirer sa confiance aux soldats engagés en opération pour tenter de punir le gouvernement. En outre, l’examen de l’ensemble des questions parlementaires démontre un usage a minima de l’instrument des questions parlementaires en matière de défense.

« Il existe en France un consensus transpartisan

solide quant aux grands fondamentaux

de la politique de défense »

Cette pratique minimaliste du contrôle parlementaire s’explique également en France par l’existence pendant de nombreuses décennies d’une forme de consensus transpartisan sur les grands fondamentaux de la politique de défense. Ce consensus a néanmoins été remis en cause par la durée de l’engagement français en Afghanistan depuis 2008 et la réintégration de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN, mais sans que cela n’ait de conséquence majeure sur le contrôle parlementaire de l’usage de la force en France. Dans un contexte post-attentats en 2015-2016, le phénomène de ralliement au drapeau de l’opinion publique française ne favorise guère l’émergence de réelles remises en cause.

Pour autant, dans la pratique, le parlement n’est pas complètement effacé : la commission Défense reste le maillon le plus symbolique du suivi parlementaire - à défaut de réel contrôle ex ante - des questions militaires, et notamment d’usage de la force. Cette commission se caractérise par la détention d’une expertise et d’un volontarisme.

En ce qui concerne l’opération Sentinelle en revanche, le parlement n’exerce guère d’autre prérogative que l’approbation des rallonges budgétaires demandées par le gouvernement en 2015-2016. Aucun débat de même type que les débats sur les opérations extérieures n’a encore eu lieu en séance plénière à l’Assemblée nationale (il n’y a d’ailleurs pas eu de vote sur ce point lors du Congrès de Versailles 16 novembre 2015). Sa dimension faiblement polémique jusqu’ici, même parmi les rangs de l’opposition, favorise cette situation inédite d’un déploiement sur le territoire français et dans la durée, sans vote majeur au Parlement.

Néanmoins, les groupes parlementaires conduisent régulièrement des débats internes sur ce déploiement militaire spécifique, et une quarantaine de députés assurent un suivi, notamment par le biais de rapports parlementaires réguliers et d’auditions du ministre de la Défense. Quelques voix discordantes tendent d’ailleurs à s’élever parmi les parlementaires, comme dans le cas de la sénatrice Leila Aichi déplorant l’absence de réel débat parlementaire d’ampleur. Cet absence de contrôle parlementaire sur le cas du déploiement Sentinelle se double d’un argumentaire politique soulignant le renforcement du lien armée-nation, en obérant ainsi toute capacité d’examen parlementaire critique à court terme, dans un contexte d’état d’urgence prolongé jusqu’aux élections présidentielles de mai 2017 au moins.

« Les différences marquées sur le contrôle

parlementaire de l’usage de la force

dans les deux pays tiennent pour beaucoup

à l’histoire particulière de l’un et de l’autre »

Ces divergences dans la mise en œuvre du contrôle parlementaire, outre la différence criante des dispositifs constitutionnels en France et en Allemagne, s’expliquent à travers la structuration historique du lien armée-autorité politique dans les deux États. Les relations entre les hauts responsables militaires et politiques en France et en Allemagne demeurent marquées par le poids de la structuration historique des liens entre institution militaire et autorités civiles. En France, l’institution militaire a assimilé les grands courants de tradition nationale, révolutionnaire et jacobine et les a intégrés avec ceux de la tradition royale et impériale. En revanche, dans le Reich bismarckien marqué par une hiérarchie sociale fermée, le statut des militaires surplombait largement celui de la bourgeoisie. Ce statut privilégié du personnel militaire sous l’empire allemand a d’ailleurs été repris et exacerbé par Hitler dans le fonctionnement du IIIème Reich. De ces deux historicités, sont nés deux types de relation entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire en France et en Allemagne : une méfiance de la sphère politique allemande envers l’armée et la construction d’une armée citoyenne et nourrie à l’instruction civique ; une prééminence de l’exécutif présidentiel sur les affaires de défense, héritées à la fois de l’appartenance du général De Gaulle à l’institution militaire et de la méfiance suscitée par le rôle joués par une partie de la hiérarchie militaire française lors de la Guerre d’Algérie, et en particulier pendant le putsch d’Alger de 1961. Ces historicités différenciées du lien armée-politique se retranscrivent aujourd’hui dans les différences marquées du contrôle parlementaire de l’usage de la force sur les deux rives du Rhin.

 

Delphine Deschaux-Dutard

Delphine Deschaux-Dutard est maître de conférences en science politique

à l’université Grenoble-Alpes et membre du Centre d’études

sur la sécurité internationale et les coopérations européennes.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

20 septembre 2021

« La chute de l'Empire romain d'Occident », par Eric Teyssier

Un mois et demi après la mise en ligne de linterview réalisée avec l’historien Éric Teyssier autour de la parution de son roman La Prophétie des aigles, je suis ravi de vous proposer ce nouvel article en sa compagnie, conçu autour d’un concept que peut-être, je développerai ici : une question, une réponse. Pour ce premier opus, une question majeure, peut-être la plus importante de toute l’histoire occidentale : pourquoi l’Empire romain s’est-il effondré ? Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Ruines antiques

Ruines antiques, Jean Nicolas Servandoni.

Photo prise le 18 septembre 2021, au Musée des Beaux-Arts de Lyon.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Qu’est-ce qui a favorisé la mort lente de l’Empire romain d’Occident,

et cette question-là est-elle porteuse d’un écho actuel ? »

la chute de l’Empire romain d’Occident

C’est un vaste débat qui agite les historiens et les philosophes depuis des siècles avec à chaque fois des réponses différentes. Comme toujours en Histoire, les causes sont multiples et complexes. Je dirais qu’il y a d’abord le choc épidémique causé par la peste (en fait la variole) qui ravage l’Empire sous le règne du « bon » empereur Marc Aurèle et du « mauvais » Commode. Cette épidémie sans précédent entraîne un déclin démographique dont l’Empire ne se remettra jamais. Ce manque de bras et sans doute de consommateurs entraîne un déclin économique. Le manque d’hommes et d’argent contribue ensuite à la difficulté qu’ont les légions à repousser les barbares. Ces invasions du IIIe siècle sont aggravées par une guerre civile presque constante avec 25 empereurs officiels en 50 ans, plus une kyrielle d’usurpateurs.

Au IVe siècle, on assiste à un rétablissement mais l’Empire a changé de nature. On n’est pas encore vraiment dans le Moyen-Âge mais plus tout à fait dans l’Antiquité. Il y a certes la montée en puissance du christianisme mais les autres religions sont encore bien présentes. Surtout, la nature du pouvoir change en devenant de plus en plus autocratique sans chercher à maintenir cette fiction de la République qui caractérise le Haut-Empire. La société se fige, l’ascenseur social est en panne. Les esclaves devenus plus rares sont plus rarement affranchis, les paysans libres deviennent des sortes de serfs qui se révoltent souvent. Les cités se rétractent car les riches (toujours très riches) ne pratiquent plus l’évergésie et préfèrent vivre dans leurs luxueuses villas à la campagne qui deviendront souvent nos villages.

Au Ve siècle tout est consommé en Occident. Le christianisme a beaucoup glosé sur les persécutions (toujours ponctuelles) perpétrées par les empereurs « païens ». En 395 il devient persécuteur à son tour en faisant de cette religion de paix et d’amour prêchée par le Christ, la seule et unique religion sous peine de mort. Les temples sont fermés, les statues fracassées, les livres brûlés, une part essentielle de la culture antique est détruite à jamais. C’en est fini pour des siècles de la tolérance religieuse propre au polythéisme. À cette époque, l’empereur chrétien devient aussi un fantoche qui doit accepter l’installation de peuples barbares (Francs, Burgondes, Wisigoths, Vandales etc…) dans des portions de ce qui était l’Empire romain d’Occident. Il est à noter que l’historiographie moderne ne parle plus de « Grandes invasions » ni de « barbares », notions par trop stigmatisantes, mais de « Grandes migrations ».

Pour ce qui est de l’écho actuel c’est toujours difficile à dire. Comparaison n’est pas raison. L’épidémie actuelle n’a rien de commun avec celle du IIe siècle car le taux de létalité était alors sans commune mesure avec celui du Covid. La crise actuelle montre surtout notre propre incapacité à accepter la mort comme une donnée de la vie. Elle marque par là un véritable affaiblissement de nos sociétés « évoluées ». Pour le reste, nous revivons peut-être le film de la chute de l’Empire romain en accéléré… ou pas… car l’Histoire adore les tours de passe-passe et ne ressert jamais deux fois des plats identiques. De toutes façons, elle seule le dira…

par Éric Teyssier, le 10 août 2021

 

E

La Prophétie des aigles, son roman paru en juillet (Alcide éditions). À recommander !

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

9 novembre 2021

Hélène de Lauzun : « Pour bien des Autrichiens, le traumatisme de 1918 n'a jamais été surmonté »

Quand on ne connaît que de loin l’histoire de l’Europe, on perçoit l’Autriche avant tout comme un petit pays prospère et pittoresque d’Europe centrale : on pense à des paysages comme le Tyrol, à des folklores, aux fameuses valses de Vienne. En fait, l’Autriche fut, du quinzième siècle jusqu’à 1918, une puissance majeure, centrale en Europe : elle a incarné pendant des siècles l’Allemagne, empire alors décousu mais dominé par les Habsbourg catholiques, avant d’en être chassés par une puissance plus cohérente, plus entreprenante aussi, la Prusse protestante qui allait elle, fonder un État allemand fort, au détriment d’une bonne partie de l’Europe. Une histoire partagée où se mêlent le romanesque et le tragique.

J’ai la joie de vous proposer aujourd’hui cette interview avec Hélène de Lauzun, historienne et auteure d’une passionnante Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021), que je vous recommande. Je la remercie pour sa bienveillance face à ma démarche, et espère que cet article vous donnera envie d’approfondir ces questions. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Hélène de Lauzun: « Pour bien

des Autrichiens, le traumatisme de 1918

n’a jamais été complètement surmonté »

Histoire de l'Autriche

Histoire de l’Autriche, par Hélène de Lauzun (Perrin, mars 2021)

 

Quelle est votre histoire personnelle avec l’Autriche, et pourquoi en avoir fait votre spécialité d’étude?

ich liebe dich Österreich!

Mes lecteurs me demandent souvent si j’ai un lien familial avec l’Autriche, des ancêtres autrichiens… Absolument pas  ! En revanche, j’ai eu la chance immense de pouvoir découvrir l’Autriche pour la première fois quand j’avais quatre ans, grâce à mes parents, avec qui j’ai sillonné toute l’Europe durant mon enfance. J’y suis retournée ensuite un certain nombre de fois, pour l’Autriche elle-même ou au détour de voyages en Suisse, en Pologne, ou encore en Allemagne. Ces voyages m’ont donné l’amour de cette extraordinaire civilisation de l’Europe centrale, dont l’Autriche est le pivot  : un savant mélange d’influences latines, slaves et germaniques, une immense richesse culturelle. Tout cela n’était malheureusement qu’effleuré pendant les cours d’allemand, qui s’évertuaient à nous assommer à coups de problématiques sur la pollution et l’activisme néo-nazi... Heureusement, j’ai eu aussi pendant deux ans un professeur d’allemand qui était d’origine tchèque  et jouait du violon  ! Cette dame adorable était une fenêtre ouverte sur cet univers qui me fascinait. Étant passionnée de musique et de danse, je rencontrai également en permanence l’Autriche sur mon chemin. J’ai passé ainsi un mois magique à Baden-bei-Wien, juste après le Bac, à goûter les délices de l’opérette et des Heuriger (bars à vins). J’en garde un souvenir extraordinaire. À la Sorbonne, deux cours sur les quatre que je suivais en licence étaient consacrés à l’Autriche et à l’espace danubien. J’ai hésité à un moment à me consacrer à mon autre passion, la Russie, à laquelle j’ai consacré mon mémoire de maîtrise, avant de revenir à mes premières amours pour la thèse.

 

Qu’y avait-il de rationnel, et au contraire d’irrationnel dans la vieille rivalité multiséculaire entre l’Autriche et la France?

Autriche/France : je t’aime, moi non plus

Cette rivalité multiséculaire n’a rien d’irrationnel, elle s’explique très facilement  ! La France et l’Autriche ont tenté pendant des siècles, si l’on peut dire, d’occuper «  le même créneau  »  : celui d’une monarchie catholique puissante à vocation universelle. La lutte pour l’héritage bourguignon, le combat de François Ier contre Charles Quint se poursuivent ensuite dans la rivalité qui oppose Louis XIV à Léopold Ier. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 vient répondre à la victoire de la monarchie habsbourgeois contre les Turcs en 1683. L’Italie, puis l’Espagne sont les terrains où les deux dynasties se croisent, s’unissent, mais aussi se disputent en permanence.

En revanche, on peut peut-être parler d’irrationnel dans le monde post-révolutionnaire, alors que la rivalité entre la Maison de France et la Maison d’Autriche n’a plus lieu d’être. Il y a des blocages, des atavismes, des aveuglements idéologiques. La France ne comprend pas la carte qu’elle a à jouer à entretenir de bonnes relations avec l’Autriche, contre l’émergence d’une Prusse qui ne veut faire de cadeaux ni à l’une, ni à l’autre. C’est vrai à l’époque de Napoléon III, sous la IIIe République avant 1914, mais aussi dans l’entre-deux guerres dans les relations que la France entretient avec la fragile Première République autrichienne. Le manque de lucidité de notre pays est malheureusement lourd de conséquences pour la France comme pour l’Europe.

 

J’allais y venir : auraient-elles à votre avis été des alliées naturelles, notamment à partir du dernier tiers du XIXème siècle, face à l’émergence de la nouvelle Allemagne dominée par la Prusse? Voyez-vous dans ce non-rapprochement, une erreur historique?

face à Berlin, une erreur historique ?

J’ai répondu en partie avec la question précédente : à mon sens, oui, il s’agit bien d’une authentique erreur historique. L’incompréhension qui domine en France devant l’épisode de Sadowa, marquant la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, est gravissime. La naïveté de Napoléon III devant le processus bismarckien d’unification de l’Allemagne est assez confondante. De fait, la France paie douloureusement au moment de la guerre de 1870 son incapacité à avoir renoué des liens solides avec l’Autriche. Les occasions manquées ont été légion.

 

À partir de quel point de la Première Guerre Mondiale, l’effondrement du vieil attelage habsbourgeois a-t-il été inéluctable?

Finis Austriae

Cette question n’est toujours pas tranchée et il est difficile d’y répondre en quelques lignes. Selon moi, il n’était pas écrit dans les astres que la monarchie habsbourgeoise devait s’effondrer. Son modèle multinational était peut-être trop en avance sur son temps… Ce qui est certain c’est que la guerre a constitué un formidable accélérateur des tensions déjà bien présentes avant le conflit. L’empereur Charles l’a bien compris, et c’est pour cette raison qu’il entame ses pourparlers de paix au printemps 1917. A partir du moment où ceux-ci échouent, le cours des événements devient très difficile à inverser. Je dirais que l’affaire Czernin* au printemps 1918 constitue définitivement un point de non-retour  : à cette occasion, Charles apparaît aux yeux de l’Europe, aux yeux des Allemands, aux yeux des Alliés, comme un homme faible sur lequel on ne peut plus miser. Le fameux adage de Tocqueville, à savoir que «  le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer  », se prête par la suite particulièrement bien à la situation de la double monarchie. Les réformes que choisit de mener l’empereur Charles sont positives en soi, mais elles viennent au pire moment et accélèrent de ce fait la chute.

* L’affaire Czernin est la révélation au printemps 1918 aux yeux du grand public, à la faveur d’une escalade de provocations diplomatiques entre le ministre des Affaires étrangères autrichien, Czernin, et Clemenceau, des négociations secrètes effectuées par l’empereur Charles pour faire la paix avec la France.

 

Quelle responsabilité imputer à la passivité des Français, et surtout des Britanniques, quant au choix mussolinien de s’allier à Hitler, et aux sorts qu’allaient subir, de leur déstabilisation à leur anéantissement, l’Autriche et la Tchécoslovaquie?

avant l’Anschluss, occasions manquées

La passivité des Français et des Britanniques s’explique sans trop de difficultés. Quant à savoir si elle se pardonne, c’est un autre débat  !

Les Français et les Britanniques dans l’entre-deux guerres sont empêtrés dans le mythe de la sécurité collective, la solution qu’ils ont échafaudée pour ne revivre à aucun prix le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Tétanisées par ce souvenir, les classes politiques de ces deux pays, dans leur immense majorité, n’arrivent pas à faire preuve d’adaptation et de réalisme politique à l’égard des nouveaux défis des temps. Quand la France et le Royaume-Uni choisissent d’appliquer une politique de sanctions à l’égard de l’Italie dans l’affaire éthiopienne, ils se drapent dans une dignité diplomatique séduisante sur le papier, mais ne mesurent absolument pas les effets pervers d’une telle décision  : rejeté par les puissances démocratiques, Mussolini n’a dès lors pas d’autre choix géopolitique que de se rapprocher d’Hitler. Pourtant, l’épisode du coup d’État manqué contre l’Autriche et l’assassinat de Dollfuss, le chancelier autrichien, à l’été 1934, aurait dû les alerter  : à l’époque, l’indépendance de l’Autriche avait tenu grâce à l’envoi de troupes italiennes à la frontière, comme un signal adressé par Mussolini à Hitler sur les limites à ne pas franchir.

 

Les Autrichiens ont-ils toujours du mal à regarder en face cette histoire du Troisième Reich, auquel ils ont été incorporés de force, mais dont ils ont été partie intégrante? Les faits sont-ils bien établis, les disputes apaisées de nos jours?

les fantômes du nazisme

Les années ont beau passer, les blessures sont toujours là. Au sujet de sa responsabilité dans les crimes du IIIe Reich, l’Autriche avance en eaux troubles. Elle est le premier pays à avoir perdu son indépendance devant l’expansionnisme hitlérien… mais nombre d’Autrichiens ont activement collaboré au régime. Hitler lui-même était Autrichien de naissance… mais avait renié sa patrie d’origine de toutes ses forces, jusqu’à devenir apatride. Malgré des épisodes de repentance, le dilemme sur la responsabilité de l’Autriche reste entier et est inévitable. Le rapport des Autrichiens à leur histoire reste complexe. Un ami autrichien m’expliquait récemment que la période de l’entre-deux guerres, la Première République, restait par exemple encore très mal étudiée et peu connue. Ceci dit, quand je parle histoire avec des Autrichiens, il ressort souvent que le principal traumatisme reste 1918 et la fin de l’Empire, plus que la Seconde Guerre mondiale. Ce traumatisme initial, à bien des égards, n’a jamais été complètement surmonté.

 

Que reste-t-il aujourd’hui du passé impérial au sein de l’ex-ensemble Habsbourg? Les Autrichiens, les Hongrois et les Tchèques ont-ils encore le sentiment diffus de partager un héritage commun?

un héritage commun pour l’ex espace impérial?

Quand vous sillonnez les pays de l’ancienne monarchie, vous ne pouvez être que saisis par l’extraordinaire cohérence d’ensemble qui s’en dégage, malgré des particularismes très puissants. Sur le plan patrimonial, c’est manifeste  : l’Europe centrale unifiée par le baroque est une réalité. Les histoires sont totalement imbriquées, et l’empire affleure à chaque pas. Cette histoire commune n’empêche pas que les pays issus de l’ensemble habsbourgeois soient individuellement très jaloux de leur identité propre et de leurs spécificités, qu’ils entendent défendre bec et ongles… comme on peut le constater au vu des derniers débats qui agitent l’Union européenne.

Il est difficile de parler d’une nostalgie de l’empire, unanimement partagée, sur le plan politique. Mais le sentiment confus d’un âge d’or perdu, ou encore une nostalgie habsbourgeoise, oui. Prenez par exemple la Hongrie  : elle sait très bien employer les membres de la famille Habsbourg dans son corps diplomatique  ! Dans une certaine mesure, le groupe de Visegrad** peut être également compris comme un avatar de l’ancienne réalité impériale.

** Le groupe de Visegrad est un rassemblement intergouvernemental de quatre États de l’est de l’Europe  : la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie. Il se caractérise par ses orientations conservatrices, notamment sur la question de la régulation des flux migratoires en Europe, point sur lequel il s’oppose aux orientations de Bruxelles. Tous les quatre ont appartenu d’une manière ou d’une autre (partiellement pour la Pologne) à la monarchie habsbourgeoise.

 

Vos projets et envies pour la suite?

Ils sont nombreux, je ne vais pas m’arrêter là  ! Plusieurs choses sont à envisager  : approfondir tout le versant culturel, autour de l’univers de la valse, que je connais bien pour la pratiquer et l’enseigner. Pourquoi pas organiser aussi, autour de la valse et de l’histoire, un voyage à Vienne  ? L’ouverture d’un train de nuit Paris-Salzbourg-Vienne cette année offre une excellente opportunité  ! J’aimerais aussi me lancer dans la biographie. L’Autriche regorge de personnalités passionnantes encore peu explorées, et le genre de la biographie est pour moi fondamental en histoire. Il pose la question de la liberté, des choix et des responsabilités individuelles, et a eu trop tendance à être négligé au profit de l’histoire du temps long.

 

Hélène de Lauzun

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

4 juillet 2021

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours pour exister dans le milieu du cinéma... »

En ce 4 juillet, fête de lindépendance américaine, je suis ravi de pouvoir vous présenter cet article autour d’un milieu bien particulier, le cinéma hollywoodien, que mon invitée du jour, Cynthia Sardou, connaît bien pour l’avoir vu tourner de près. Deux ans après notre premier entretien, je vous propose cette nouvelle rencontre, alors que Ramsay a publié il y a peu son premier roman, Le Film, qui nous dévoile les coulisses du cinéma autour des destins de Louise, nouvelle étoile, et de Kevin, son agent. Une histoire d’actualité, bien documentée, qui captive tandis que monte la tension... À découvrir ! Et merci à Cyntha Sardou. Par Nicolas Roche.

 

PAROLES D’ACTU

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours

pour exister dans le milieu du cinéma... »

Le Film

Le film (Ramsay, 2021).

 

Votre roman Le film (Ramsay, 2021) nous plonge dans les coulisses du cinéma hollywoodien, milieu que vous connaissez bien. Ce thème-ci vous est apparu comme une évidence ?

Une évidence oui et non, je trouve le thème d’actualité, intéressant. J’ai voulu élaborer celui-ci en particulier, et rendre hommage à la fois, à toutes ces actrices qui vivent le même calvaire depuis longtemps. Elles en parlent ouvertement aujourd’hui, le mouvement #MeToo a aidé, je n’invente rien.

 

Beaucoup de références liées au cinéma et à son histoire dans votre livre. Quels sont les films, quel est ce cinéma que vous aimez, vous ?

Le cinéma de Hitchcock, de Truffaut, de Martin Scorsese, de Kubrick, de David Lynch... Tarantino parfois, Soderbergh j’aime beaucoup aussi. Spielberg reste le plus imaginatif à mes yeux, ou le plus créatif, le plus discret aussi. Il est moins axé sur la réalité et nous fait rêver malgré notre société actuelle... Le reste et la plupart des réalisateurs actuels nous montrent les faces cachées du monde d’aujourd’hui, rejoignent toujours une grande part de réalité, des portraits, des faits de société...

Pour mes références, Peter Biskind, historien et journaliste au New York Times, pour Première, etc... restera celui qui m’a le mieux informée sur le cinéma, en plus de ma propre opinion, et celui qui a peut-être prévenu aussi sur ce qui allait se produire dans le milieu...

 

Je ne veux pas dévoiler l’intrigue mais la thématique de l’emprise est centrale dans votre récit...

Oui et moins apparente en effet. Je me suis surtout inspirée de mon voyage là-bas lorsque j’étais correspondante pour Canal+. J’ai fait des rencontres sur place, en plein coeur d’Hollywood, et au fur et à mesure du temps j’ai aussi rencontré des actrices qui avaient beaucoup de mal à se faire une place dans un milieu cinématographique très masculin. La femme a besoin de se positionner dans tout cela. Mais ça ne se passe pas toujours comme elles le veulent. Elles doivent se battre pour exister...

  

Vous êtes-vous inspirée d’exemples, de faits réels pour développer ces thèmes ?

D’exemples bien sûr, de femmes qui ont quitté leur carrière parce que trop de pression médiatique, c’est le cas Brigitte Bardot par exemple. Je pense à Grace Kelly, qui a décidé de devenir princesse de Monaco après la réception de son Oscar. À Audrey Hepburn, qui a rassemblé ses forces y compris pour l’aide humanitaire, là encore, après l’Oscar.

 

Juste pour le plaisir, un morceau de Breakfast at Tiffany’s, avec la grande Audrey Hepburn.

 

Je rends aussi un hommage dans ce livre, à toutes les actrices, aux records le plus souvent, avec toute la diversité qu’elles représentent et quelles que soient leurs origines. Une actrice quelle qu’elle soit mérite un Oscar, ne serait ce parce qu’elle ont toutes traversé à un moment donné dans leurs vies des moments ou des événements très difficiles...

 

Il est aussi question de la place centrale de la famille, des amis proches, a fortiori quand on s’enferme dans un isolement...

J’ai d’abord et surtout voulu rendre hommage à une communauté à travers mes personnages d’origine juive, et à un ami mort de la Covid, voici un an, des gens qui ont vécu l’antisémitisme. Les piliers et les valeurs de cette communauté restent la famille, la solidarité, et la bienveillance au-delà de la communauté elle-même. Les juifs sont des personnes incroyables et j’en connais quelques uns, et à chaque fois ce sont des moments de joie.

 

Cet exercice du roman vous a-t-il plu ? Vous donnera-t-il l’envie d’en écrire d’autres ?

Je ne dis rien pour le moment. Je vis l’instant présent. On verra bien. :)

Interview : 4 juillet 2021.

 

Cynthia Sardou

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

2 septembre 2021

Jean-Marc Le Page : « Jusqu'à présent, la Bombe a toujours responsabilisé ceux qui l'ont possédée »

Un mois et demi après l’interview réalisé avec les trois coauteurs de La Bombe, Alcante, Bollée et Rodier, on reste dans le thème et dans le ton. Jean-Marc Le Page, professeur agrégé et docteur en histoire, a signé cette année La Bombe atomique, de Hiroshima à Trump (Passés/Composés). Cet ouvrage fort intéressant revient, depuis août 1945 et les bombardements américains sur le Japon, sur ces moments parfois méconnus de la Guerre froide et de l’histoire plus immédiate au cours desquels la question d’une utilisation de l’arme nucléaire a été posée plus ou moins sérieusement. Soixante-dix ans de relations internationales sont ici relatés, sous un prisme différent mais éclairant (on comprend mieux, notamment, certains renversements d’alliance, et des rapprochements ou éloignements entre États). Je remercie M. Le Page pour ses réponses et vous invite, si le sujet vous intéresse, à vous emparer de son livre ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Marc Le Page: « Jusquà présent, la Bombe

a toujours responsabilisé ceux qui l’ont possédée. »

La Bombe atomique

La Bombe atomique, de Hiroshima à Trump (Passés/Composés, 2021).

 

Jean-Marc Le Page, bonjour. Pourquoi ce livre sur La Bombe atomique (Passés/Composés, 2021) ? Quel aura été, durant votre vie jusqu’ici, votre rapport à cette menace diffuse du nucléaire militaire ?

l’atome et vous

Bonjour. Ce livre est le fruit des mes années d’enseignement en classe de terminale. En particulier les cours sur l’histoire des relations internationales. La question nucléaire arrivait régulièrement, sans être au cœur du programme, mais elle était tout de même en filigrane. J’abordais donc régulièrement ces crises, mais sans véritablement creuser la question, me contentant de la «  vulgate  » des manuels ou de mes lectures éparses. Puis, progressivement je me suis rendu compte que la vision que nous pouvions avoir de ces différents moments n’était pas toujours certaine, bien définie, qu’il y avait de nombreuses interprétations, différents récits, parfois opposés, le plus souvent en liaison avec les opinions personnelles des auteurs. J’ai remarqué également qu’il n’y avait pas d’ouvrages de synthèse sur cette question. Quelques articles, des papiers de chercheurs que l’on peut trouver sur internet. Certaines de ces crises pouvaient connaître des développements plus ou moins long, mais sans qu’elles ne soient vraiment développées. C’est pourquoi je me suis attaché à écrire le livre que j’aurais souhaité lire sur cette question.

Mon rapport à la chose nucléaire est très diffus. Par mes enseignements, mes domaines de spécialisation, mes lectures, je m’y suis souvent confronté, mais sans véritablement approfondir. Par contre, depuis quelques mois ce rapport devient de plus en plus concret  : dans le cadre d’une session régionale de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, ndlr), j’ai eu la chance de pouvoir visiter l’île Longue et l’un des SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engins, ndlr) de la base. De plus, mon lycée – le lycée Kerraoul de Paimpol – à ouvert une classe Défense et Sécurité globale et nous nous sommes rapprochés de l’école de navigation des sous-mariniers de Brest, qui forme en particulier les équipages des SNLE.

 

Beaucoup d’histoires racontées, dans votre ouvrage, dont certaines tout à fait méconnues, je pense en particulier aux graves tensions soviéto-chinoises en Sibérie en 1969. Rétrospectivement, ça fait frissonner non, de se dire que, bien des fois, on est passé non pas à un, ni même à deux cheveux, mais pas loin de considérer sérieusement l’usage de la Bombe ?

à un cheveu ou deux

Au contraire. L’étude de ces différents moments de tension montre que cette utilisation n’a que très rarement été sérieusement envisagée. Dans ce cas, s’il y a frisson, il est sans doute de soulagement.

 

Dans chacune des situations de votre livre, on joue ici du bluff, là de la franche intimidation, quasiment tout le temps de la guerre des nerfs, quitte parfois à manquer perdre l’équilibre face au précipice. Cette histoire, c’est d’abord celle d’une guerre psychologique ?  Dans quels cas est-ce que vraiment, ça a failli dégénérer ?

guerre des nerfs

La dimension psychologique, politique est essentielle. L’arme est un moyen de pression diplomatique et elle prend cette forme très rapidement, dès les années 1950. Les pays «  dotés  » en ont bien compris l’intérêt comme démultiplicateur de puissance. De tous ces moments où l’arme nucléaire a été évoquée cela reste sans doute l’affaire de Cuba qui a présenté le plus grand risque de dérapage. La tension était extrêmement vive, les pressions sur Kennedy comme sur les forces soviétiques sur l’île très importantes. Le risque d’accident très fort. Les incidents sont nombreux, en particulier le jour du «  Black Saturday  », entre le U2 abattu au-dessus de l’île, l’arraisonnement musclé d’un sous-marin soviétique équipé d’une torpille à tête nucléaire, un incident de radar qui détecte, à tort, une attaque soviétique sur les États-Unis ou encore un autre U2 égaré au-dessus de l’URSS dont l’interception par les forces de défense aérienne soviétique aurait pu s’avérer dramatique… Aucune des autres crises que j’ai pu étudier ne connaît une telle intensité. Mais il ne faut pas oublier non plus, que même à Cuba, l’utilisation de l’arme nucléaire n’était pas une option.

 

« Il ne faut pas oublier que même à Cuba,

l’utilisation de l’arme nucléaire n’a jamais été une option. »

 

On comprend bien, à vous lire, qu’au départ la Bombe a pu être considérée comme une super arme conventionnelle. Est-ce que le gros changement finalement ne vient pas, et de la parité du statut nucléaire avec l’URSS, et peut-être surtout du développement de la monstrueuse bombe à hydrogène ?

super arme conventionnelle, ou arme à part ?

Les militaires américains y voient effectivement une super bombe. Elle a, à leurs yeux, l’avantage de permettre la destruction d’objectifs à moindre coût, matériel et surtout humain. Je rappelle que les campagnes de bombardement massif sur le Japon et surtout l’Allemagne se sont faites au prix de pertes terribles pour les forces stratégiques américaines et britanniques. La capacité de destruction de l’arme est bien notée et l’idée est de la décliner à tous les niveaux des forces armées américaines, depuis la bombe aérotransportée aux obus d’artillerie et même au lance-roquette du Davy Crockett Weapon System. Mais, au grand dam des officiers supérieurs américains, Harry Truman a tout de suite perçu le caractère exceptionnel de cette arme. Certes, l’URSS réalise son premier essai en 1949, mais lorsque Truman interdit à MacArthur d’utiliser des bombes en Corée nous sommes encore loin de la parité. J’aurais tendance à dire que le changement de perception pour le pouvoir politique est immédiat, dès que les premières informations sur les explosions au-dessus du Japon parviennent à Washington.

 

« Harry Truman à tout de suite perçu

le caractère exceptionnel de cette arme. »

 

D’ailleurs, quand on songe que certaines bombes H opérationnelles (je laisse la Tsar Bomba de côté) avaient et ont une puissance explosive 1000 fois plus puissantes que celle d’Hiroshima, est-ce que la menace change ici de degré, ou bien carrément de nature ?

la bombe H, nouvelle donne

La puissance de ces armes est inversement proportionnelle à leur précision. Pour être sûr de frapper sa cible avec un minimum de succès il fallait des bombes de très forte puissance. D’ailleurs, nous voyons ces armes devenir progressivement de moins en moins puissantes alors que les travaux sur les vecteurs progressent. L’objectif restait le même, dissuader l’adversaire d’attaquer et d’utiliser ses propres armes nucléaires. Comme il n’a jamais été question pour les pays dotés de frapper en premier c’est, à mon sens, le degré de la menace qui a changé durant cette période de la Guerre froide durant laquelle les armes étaient mégatonniques. La nature des objectifs connaît également une évolution pour des raisons techniques et politiques  : durant la Guerre froide, alors que les armes étaient peu précises il était envisagé de frapper les villes, les concentrations de population, l’outil industriel, les nœuds de communication… puis avec les années 1980 il s’agit davantage de frappe de décapitation, qui doivent limiter au maximum les dommages sur les populations. Les nouveaux «  outils  » à disposition permettent de davantage circonscrire les cibles.

 

« Les armes nucléaires sont progressivement devenues

moins puissantes à mesure que les travaux

sur les vecteurs progressaient. »

 

Tout l’aspect des bouleversements géostratégiques est intéressant dans votre ouvrage : Mao qui se sent trahi par le "grand frère russe" après la crise de Formose (années 50), un prélude à la rupture et au chemin autonome ; l’Europe qui perd confiance dans la protection américaine après le retrait des missiles U.S. en Turquie et en Italie après Cuba (1962), ce qui précipitera le développement de la force de frappe française, et le rapprochement De Gaulle-Adenauer, etc... C’est tout un pan des affaires internationales qu’il faudrait relire à l’aune du facteur atomique ?

la Bombe, marqueur de la Guerre froide

L’arme nucléaire est consubstantielle de la Guerre froide. Elle en est l’un des marqueurs. Il est indéniable que sa présence a un impact fort sur la période. L’ignorer serait une erreur puisqu’elle induit des positionnements. En particulier elle devient un marqueur d’indépendance nationale. Si un État souhaite montrer sa puissance, intégrer le club fermé des pays qui comptent dans le monde, échapper un minimum à la bipolarisation, il doit se doter de l’arme. C’est, entre autres, à ce titre que la Bombe est politique. Mao Zedong, le général de Gaulle l’ont bien compris.

 

Est-ce qu’à votre avis, parmi toutes ces histoires, dans l’hypothèse où il n’y aurait pas eu la Bombe, certains des conflits mentionnés auraient été moins froids, voire même carrément chauds ? Sans la Bombe, par exemple, une invasion soviétique de l’Europe de l’ouest eût-elle été un développement probable ?

sans la Bombe, le drapeau rouge à Brest ?

Par cette question nous entrons dans le monde de l’uchronie… C’est compliqué à dire, mais je ne suis pas sûr que cela aurait changé grand-chose. La guerre de Corée s’est réglée sans utilisation de la Bombe  ; Mao n’aurait pas envahi Taïwan puisqu’il n’en avait pas les moyens (pas assez de navires, pas de compétences en opérations combinées, protection américaine…)  ; l’affaire sibérienne n’aurait pas été plus loin qu’elle ne l’a été pour les mêmes raisons. En Europe occidentale rien ne montre que les Soviétiques aient eu la volonté de planter le drapeau rouge à Brest. Je crois que durant cette période nous nous sommes beaucoup fait peur et surtout par ignorance de l’autre. Les Soviétiques étaient convaincus que les États-Unis se préparaient à franchir le rideau de fer. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la crise de 1983. Nous savons que ce n’était pas le cas. L’inverse était vrai. Il n’y avait pas de plans d’invasions de l’Occident à Moscou. Est-ce que l’absence d’armement nucléaire aurait changé les choses  ? Pas forcément, puisqu’il aurait fallu que le peuple soviétique accepte le statut d’agresseur alors que le souvenir très douloureux de la Grande Guerre patriotique était encore très présent. Les déterminants sociaux, économiques et même politiques n’étaient pas réunis.

 

Dans l’affaire la plus connue, celle de Cuba mentionnée plus haut, on constate que les deux grands, Kennedy et Khrouchtchev, avaient bien conscience des enjeux et qu’ils ont tout fait pour éviter une guerre dont chacun savait qu’elle  aurait été apocalyptique. Castro était furieux, lui aurait apparemment voulu que les pions soient poussés plus loin, tout comme Mao dans la décennie précédente. Avoir la Bombe, ça rend responsable, toujours ?

de la vertu rationalisante de l’atome

Je ne fais que reprendre les propos du général Poirier sur la «  vertu rationalisante  » de l’atome. Il se trouve que tous les chefs d’État qui ont eu entre leurs mains ce pouvoir de décision, n’en ont jamais usé. Même Mao d’ailleurs, malgré les propos qu’il a tenu sur le tigre de papier américain ou soviétique. La doctrine chinoise est strictement défensive. Est-ce que la Bombe rend toujours responsable  ? Pour le moment, et heureusement, il n’y a pas de contre-exemple. Les chefs d’État, lorsqu’ils revêtent leur nouvel habit, semblent avoir conscience de la puissance destructrice qu’ils détiennent, de l’impact politique que peut avoir l’éventuelle utilisation de tels armements. Aucun ne semble souhaiter être rejeté au ban des nations. Castro souhaitait des frappes soviétiques malgré les risques encourus par sa population. Mais il n’en avait pas le pouvoir. Aller au-delà de cet état de fait relève de la conjecture.

 

On se rapproche de notre époque : la Corée du Nord est une puissance nucléaire depuis une dizaine d’années. Malgré ses provocations, personne ne l’attaquera plus, mieux, on la courtise pour l’inciter à la modération. La stratégie de trois générations de Kim semble avoir réussi à merveille : chacun doit désormais composer avec Pyongyang, et le pays est doté d’une assurance-vie à toute épreuve. Est-ce que le signal envoyé n’est pas dérangeant, quand on songe au sort qu’a subi, par exemple, l’Irak en 2003 ? Ces deux exemples mis côte à côte ne risquent-ils pas de favoriser de nouveaux pôles de prolifération ?

le cas Pyongyang

Il est clair que l’exemple nord-coréen pose question. Ce positionnement montre tout l’intérêt pour un État de se doter de la bombe. On peut effectivement considérer que si Saddam Hussein avait pu pousser son programme nucléaire à son terme il serait encore vivant. La question de la prolifération est complexe. L’acquisition de l’arme nucléaires tout autant. Elle demande des moyens intellectuels, matériels, financiers considérables que peu d’États dans le monde sont en capacité de réunir. Il faut réfléchir aux raisons qui poussent certains États dans cette direction  : désir de puissance (les cinq grands), auto-défense (les quatre autres), prestige, qui rejoint la puissance. La prolifération n’est pas inéluctable et nous savons que des pays ont dénucléarisé comme l’Afrique du Sud, l’Ukraine… d’autres ont renoncé à leur programme (Libye, Brésil), en partie pour des raisons économiques et politiques. La Corée du Nord est effectivement un mauvais exemple du fait de la particularité de ce pays. Mais il y a fort à penser qu’il restera une exception.

Il ne fait pas non plus oublier qu’il existe un courant de pensée qui considère que la prolifération est positive. Ce sont les «  réalistes optimistes  ». Pour eux la possession de cette arme oblige à la retenue. À ce titre elle serait un facteur de paix.

 

Quels sont justement, pour vous, les maillons faibles actuels s’agissant du nucléaire militaire, les points de grand risque qu’il s’agisse de prolifération, de fuite auprès de groupes terroristes, voire de potentielle utilisation suicidaire de l’arme par des régimes de type messianique (vous évoquez la République islamique d’Iran même si on n’est pas tout à fait dans un tel cas de figure) ?

les maillons faibles et l’Iran

Bien que l’on puisse en trouver les plans sur internet, fabriquer une bombe nucléaire reste un exercice très difficile. Il faudrait ensuite la déplacer, puis la faire détonner. Ce n’est pas permis à tout le monde. Le risque du terrorisme nucléaire relève plus à ce titre du fantasme. Tom Clancy l’a bien développé dans La Somme de toutes les peurs, mais cela me paraît peu réaliste. Depuis le temps que l’on parle des fuites de matières fissiles depuis la chute de l’URSS, j’imagine que l’on en aurait entendu parler… L’utilisation d’une bombe sale semblerait plus plausible, mais même ce type de moyens demande des compétences particulières. La question est toujours la même  : il faut trouver la matière fissile. Seuls quelques États dans le monde ont la capacité d’en produire et ce sont des processus très surveillés par l’AIEA et les grandes agences de renseignement.

La grande question actuellement tourne évidemment autour de l’Iran et de son programme nucléaire. Faut-il laisser cet État théocratique, aux velléités de puissance régionale affirmée, se doter de l’arme nucléaire  ? Les discours provenant de Téhéran ne sont pas toujours très rassurants… Cependant, l’accord de 2015 (le JCPOA) a montré que l’Iran acceptait la discussion et a suspendu son programme. Le durcissement actuel du régime sur la réouverture des négociations est tout de même à mettre au passif de l’administration Trump qui s’est retirée de l’accord, tout en accentuant les mesures de rétorsion par la politique américaine de «  pression maximale  ». Les conditions émises par Washington pour un retour des États-Unis dans l’accord étaient inacceptables pour l’Iran, comme elles l’auraient été pour tout état souverain. Il n’est donc pas étonnant que les dirigeant iraniens fassent actuellement monter les enchères pour revenir à la table de négociation. Il n’y a aucune raison objective pour qu’ils ne reviennent pas dans l’accord, mais il faudra que les États-Unis en paient le prix.

 

« Il n’y a aucune raison objective pour que les Iraniens

ne reviennent pas dans l’accord, mais il faudra

que les États-Unis en paient le prix. »

 

Ensuite, sans doute que la prudence voudrait que l’Iran abandonne son programme nucléaire militaire. Mais il n’y a que deux moyens pour y parvenir  : la négociation ou l’interdiction qui ne peut passer que par des actions militaires. Et personne ne veut d’une guerre avec l’Iran.

 

Diriez-vous que les populations sont moins sensibilisées, peut-être moins concernées, y compris via la culture populaire, par les problématiques du nucléaire militaire que dans les années 50 à 80, et si oui est-ce préoccupant ?

l’opinion publique face au nucléaire militaire

Avec la fin de la Guerre froide le risque potentiel a fortement diminué. Les populations sont donc plus éloignées de ces questions. Si tant est qu’elles en aient été proches à un moment… Toutefois, le feuilleton nord-coréen montre que nous sommes en présence d’une arme très particulière qui suscite toujours la crainte et le frisson. Mais j’aurai tout de même tendance à penser que la population, en France en particulier, a d’autres sujets d’inquiétudes que l’éventualité d’une frappe nord-coréenne très hypothétique.

Il est toujours bon d’avoir des populations sensibilisées sur ce type de question. Qu’elles soient en capacité de construire un avis argumenté sur le nucléaire  : le coût de cette arme qui n’est pas négligeable, la nécessité ou non d’une force de dissuasion, l’impact de cette dissuasion sur l’économie française… Ce sont des points qui mériteraient d’être débattus au-delà du cercle des experts ou des initiés. Le quasi consensus politique sur la dissuasion et l’arme nucléaire n’aide pas à se forger une opinion.

 

Existe-t-il, ici ou là, des risques de "conventionnalisation" de l’arme nucléaire, avec l’émergence de mini-nukes par exemple, qui pourraient être calibrées pour des théâtres d’opération ?

armes tactiques

Ici nous abordons les armes tactiques. Les États-Unis comme la Russie en sont dotés. À la différence des armements stratégiques, ce sont des armements qui seraient déployés sur les théâtres d’opération en cas de conflit. Mais je pense qu’il en va de même qu’avec les «  grosses bombes  ». Elles ne seraient utilisées qu’en cas de péril grave. Si leur emploi a pu être pensé durant la Guerre froide, en particulier au moment du New Look (durant l’administration Eisenhower, dans les années 50, ndlr), il est très peu probable qu’elles soient utilisées. Encore une fois, le risque politique est trop grand, sans parler de celui d’escalade si elles sont employées contre une autre puissance nucléaire.

 

Cette question, je vous la pose en vous avouant qu’elle me hante un peu depuis pas mal de temps : pensez-vous que, de notre vivant, nous assisterons, quelque part sur Terre, et hors essai, à de nouvelles explosions nucléaires, accidentelles ou délibérées ? Cette perspective vous paraît-elle plus ou moins probable que durant les 70 dernières années ?

un jour une détonation ?

Le risque n’est pas nul. Tant qu’il y aura des armes nucléaires il peut y avoir une détonation. L’accident paraît malgré tout peu probable, sauf effondrement d’un État nucléaire. Les mesures de sûreté sont tout de même très efficaces. Un échange nucléaire est toujours possible dans le cas d’une dégradation extrême dans un conflit interétatique. Nos pensées vont régulièrement du côté de l’Asie du Sud dans le face à face entre l’Inde et le Pakistan. Mais la crise de 1999-2002 a montré qu’ils savaient se «  retenir  » et que la montée aux extrêmes n’était pas inéluctable. Je note que dans 2034 : A History of the Next World War, le roman coécrit par un ancien Marine, Eliot Ackerman, et par un ancien amiral de groupe aéronaval américain, James Stavridis, la Chine et les États-Unis s’opposent et ça s’achève par l’utilisation d’une arme nucléaire. Nous retrouvons ici le schéma qui était celui du général Sir John Hackett dans son ouvrage La Troisième guerre mondiale en 1983. L’ancien commandant de l’OTAN s’est trompé, nous pouvons espérer qu’il en sera de même pour les auteurs de 2034, mais le risque existe...

 

Le  Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur en ce début d’année. Même si aucune puissance nucléaire ne l’a signé, c’est un signe encourageant ? Un monde dénucléarisé sans arme nucléaire, c’est une utopie qui n’est plus réalisable, ou bien... ?

un jour sans arme nucléaire ?

Nous évoquions la sensibilisation des populations plus haut. Cette initiative partie de la société civile montre qu’une frange de la population s’inquiète du risque que représentent ces systèmes d’armes. Nous sommes dans la continuité des combats anti-nucléaires qui se sont développés dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement je considère qu’un monde sans armes nucléaires relève pour le moment de l’utopie. Peut-être qu’à la fin de la Guerre froide il y a eu une ouverture, les grands traités comme START le montrent, comme le démantèlement des arsenaux dans les anciennes républiques soviétiques. Barack Obama lui-même avait initié un mouvement en ce sens. Mais ce temps semble révolu. Le monde est plus instable, les tensions croissent entre les principales puissances. Les états-majors n’hésitent plus à communiquer sur de futurs combats à haute intensité, donc entre puissances. Les comportements de la Russie, de la Chine, n’invitent pas au désarmement nucléaire. Le TIAN a le mérite d’exister et montre que le tout-nucléaire n’est pas inéluctable, mais je ne vois aucune puissance dotée se défaire de ses arsenaux actuellement, à moins de faire preuve d’une très grande naïveté.

 

« Au vu des tensions, je ne vois aucune puissance dotée

de l’arme nucléaire se défaire de ses arsenaux actuellement,

à moins de faire preuve d’une très grande naïveté. »

 

Vos projets et envies pour la suite ?

J’ai plusieurs projets, plus ou moins en chantier. Le plus avancé est un ouvrage sur la pacification pendant la guerre d’Indochine. Cet aspect de la guerre, pourtant central, est le parent pauvre des études sur le conflit indochinois. Je travaille sur le sujet depuis plusieurs années et je pense que le temps de la synthèse est venu. Mais nous sommes ici sur un horizon 2022-2023.

Je suis spécialiste de la guerre d’Indochine et de l’histoire du renseignement et à ce titre j’ai également comme projet de faire le point sur le passage de témoin, dans ce domaine, entre les conflits indochinois et algérien, sur la période 1954-1957. Là encore c’est un sujet peu traité et il y a matière.

Enfin, je réfléchis à un nouvel ouvrage, sur le modèle de La Bombe atomique qui permettrait de revenir sur les grands débats encore en cours sur la Guerre froide. Il y a toujours des positions très tranchées sur certains aspects – la «  peur rouge  », le communisme de Castro ou de Hô Chi Minh, la place des services de renseignement… - des thèmes qui mériteraient sans doute une mise au point.

J’ai donc encore de quoi m’occuper. Même si pour le moment c’est la rentrée qui m’occupe et mon futur voyage au Vietnam avec l’une des mes classes de terminale. Ce sera le cinquième groupe à partir et cela me prend tout de même un peu de temps.

 

Un dernier mot ?

Non, si ce n’est un grand merci pour la possibilité que vous me donnez de m’exprimer. Et j’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire ce livre que j’en ai eu à l’écrire.

Interview : août 2021.

 

Jean-Marc Le Page

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

12 septembre 2022

« C'est mon choix ! », par Christine Taieb

L’actu de ces premiers jours de septembre n’est pas franchement rose, et quand on y songe, celle de l’été non plus, ne fut pas follement réjouissante. Parfois, il faut savoir faire des pauses, se mettre un peu en-dehors de tout le tumulte extérieur. Prendre le temps de profiter. Simplement, de contempler. Il y a quelques semaines, j’avais proposé à Christine Taieb, une amie rencontrée à la faveur d’un article réalisé avec Véronique de Villèle - que je salue ici -, une carte blanche sur Paroles d’Actu. Je connaissais son optimisme, son regard pétillant sur le monde et aussi, son amour des mots. J’espérais un texte inspirant. Celui qu’elle nous livre ici l’est à l’évidence, et mieux que ça, c’est une belle réflexion introspective qui met en exerge quelque chose qu’elle a chevillé au corps et au cœur, un bien précieux à portée de tous et que personne ne devrait jamais perdre de vue : son aptitude à être, et à rester émerveillé. Merci à vous Christine, pour cette pensée positive, et pour vos photos personnelles ! Exclu, par Nicolas Roche.

 

« Ne pas répandre l’étendue de ses propres chagrins

est peut-être aussi un cadeau à offrir à son

entourage, tout comme un beau sourire ? »

 

La branche et le nuage

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

«  C’est mon choix  !  »

Christine Taieb

Fin de l’été 2022, son actualité souvent qualifiée de morose, parfois angoissante, et une nouvelle rentrée pour beaucoup.

Je retrouve un fidèle ami. Au cours de notre discussion, il m’interpelle sur ce qu’il appelle  :

«  Mon aptitude à rester émerveillée malgré le temps qui passe  ».

Sa demande me surprend et me porte à réflexion.  

Voit-il juste  ? Un regard positif serait-il paradoxal dans le pessimisme ambiant ?

Je sais intuitivement que ma démonstration sera délicate, tant elle relève de l’intime. Mais la perspective que mon angle de vue sur la vie soit inspirant, me convainc de tenter l’expérience, puisque le partage en est la clef de voûte.

Chacun peut s’interroger sur ses dispositions à être émerveillé avec le temps qui passe, ou le rester, malgré ce temps qui passe, ou même ne jamais l’avoir été. À chacun sa réponse. Car, si le temps s’écoule à la même vitesse pour tous, il n’agit pas de la même manière pour chaque personne.

Chacun développe un rapport particulier avec cette force intérieure qui incite à envisager le monde avec plus ou moins de bienveillance, consciemment ou pas, et différemment selon les étapes de sa vie.

Cette vie, et les années qui la nourrissent, nous chuchote des signes. Nous les écoutons avec une relative attention, jusqu’à s’apercevoir qu’ils sont des évidences, … et qu’ils s’accélèrent.

Pour ma part, depuis que  des signaux m’ont alertée, tels que :

. Des voyageurs qui se lèvent pour me laisser leur place dans le métro

. L’EFS qui n’accepte plus mes dons du sang

. Ma fille qui se rapproche de la cinquantaine

. Un récent podium en catégorie Master 7 (70 ans et +), …

Mon constat s’impose  : Je suis - déjà - une septuagénaire  qui n’a pas vu les années passer. Mon ami a donc raison sur ce point, dont j’ai très peu conscience. Lorsque je le réalise, c’est avec beaucoup d’autodérision  !

Il poursuit son interrogation sur le volet «  émerveillement  », et précise sa question, comme d’autres le font parfois :

« Comment fais-tu  ?

Pour rester motivée et dynamique, garder l’envie et la curiosité,

Et continuer de partager tes expériences autour de toi  ? »

En mon for intérieur, une petite voix me murmure  : « C’est simple  : je fais  ! ». Je choisis l’action plutôt que l’attentisme, sans doute par (un peu d’) impatience, (beaucoup d’) indépendance et (passionnément) un gros appétit de vie. M’efforcer d’oser mes rêves puis les dispenser, sont des évidences aujourd’hui. Une réponse simpliste «  il y’a qu’à faut qu’on » est insuffisante. Il me faut plonger dans le processus qui m’amène à rester charmée, surprise ou admirative … à plus de 70 ans.

«  Pourquoi ce choix  ?  »

«  On a toujours le choix  » dit l’adage qui est aussi l’une de mes convictions, quelles que soient les questions de santé ou matérielles.

De mon cercle familial non vertueux, j’ai compris dès l’enfance, que tension rime avec désunion et rancœur ne rimera jamais avec bonheur.

C’est à partir de cet âge tendre chaotique que j’ai décidé, dans les années-BAC d’écrire mon histoire dans l’harmonie. Cette période de construction mentale a été déterminante, comme pour tout adulte en devenir.

Pour ne pas sombrer dans une nostalgie victimaire ou une agressivité stérile, j’ai décidé de savourer ce fameux verre «  à moitié plein  »  : franchir les aléas de la vie en dissipant ses noirceurs, laisser libre cours à mon enthousiasme, tout en combattant mes peurs et préjugés.

Les écrivains ont généreusement inscrit leurs réflexions sur le thème du choix. Certains ajoutent même :

«  Quand on aime, il est encore plus facile de choisir  »  (Alain Monnier)

«  Choisir la vie, c’est toujours choisir l’avenir  » (Simone de Beauvoir)

Malgré son génie pour analyser le sentiment de liberté, je n’adhère pas à l’option de Jean-Paul Sartre qui propose que l’« On peut choisir de ne pas choisir». De mon point de vue, elle s’accompagne du risque associé d’intégrer la famille des éternels «  C’est compliqué  !». À chacun son confort dans ses choix personnels. Je préfère privilégier des objectifs, plus ou moins ambitieux, qui me donnent un cap et m’écartent de la procrastination. Ce cap est évolutif, jamais figé, mais agit comme un fil conducteur vers ma satisfaction.

Bien entendu, comme pour beaucoup, des éléments extérieurs m’ont contraint tout au long de la vie. Ma réaction devant ces freins a été d’user de ma liberté intérieure. Celle d’admirer - sans seulement regarder - de découvrir et d’apprendre – pour mieux partager. Cette liberté ultime ne dépend ni des finances, ni des autres, ni des circonstances. Ce choix m’a si souvent donné rendez-vous avec le plaisir et l’amusement  : pourquoi refuser cette opportunité  ?

Je comprends qu’à partir d’un destin familial similaire, d’autres empruntent un chemin de vie différent. Le mien s’est imposé, comme une bouée salvatrice à laquelle je me suis accrochée dans les premières années. Puis j’ai gagné en confiance, dizaine après dizaine. Ce parcours m’impose une profonde humilité car il se (re)dessine chaque jour. Cette voie est sans doute d’autant plus fragile, que la société tend plus vers l’accusation que l’admiration.

Cette voie est-elle aisée  ?

Tout comme l’appétit vient en mangeant, la capacité de garder mes yeux grands ouverts sur mon environnement facilite mon lâcher-prise, multiplie mes occasions d’y déceler ce qui est beau, sans ignorer ce qui l’est moins. Elle m’aide à être moins freinée par mes craintes, le défaut d’imagination ou un manque d’intérêt.

 

Désert tchadien

 

Revenir d’un voyage le cœur rempli de riches rencontres et de belles images, m’incite à projeter un prochain périple. Mon baluchon est toujours prêt à repartir. Mon carnet de vaccination est toujours à jour et mon agenda encombré de post-it trône fièrement sur mon bureau.

La «  liste de mes envies  » s’allonge au fil du temps, surtout en période de rentrée, qu’une vie ne suffira peut-être pas à satisfaire  ! Cette dynamique de curiosité multiplie à l’infini mes terrains de jeux dont certains, comme le désert saharien, ont mes faveurs.

La déception fait partie des aléas de la découverte. Si le climat, les paysages ou les coutumes manquent parfois de charme ou d’intérêt – selon mon avis – ma curiosité de découvrir d’autres territoires reste intacte.

Le dernier livre d’un auteur me déçoit  ? tant d’autres me restent à découvrir  !

Apprécier un concert, un film, une exposition, le récit d’une amie, un succulent gâteau ou un coucher de soleil, etc… sont toujours de bons moments pour recevoir ces cadeaux de la vie.

Quant aux hommes et femmes que je croise sur ma route, par choix ou pur hasard, un long travail d’introspection m’a appris à développer un meilleur discernement pour déceler les relations parasites. Je m’en éloigne tout simplement, en acceptant cette distance salutaire. Chaque anniversaire ravive la notion viscérale du temps qui file trop vite et l’urgence de profiter des êtres sincères et authentiques.

Je sais qu’espérer est sans doute prendre le risque d’une déception, mais c’est aussi la possibilité d’une satisfaction.

Je lis le scepticisme sur le visage de mon ami. Il a raison  : La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille !

Au fil des années, chacun traverse des souffrances  : je n’évoque pas seulement les symptômes d’une arthrose galopante, mais bien la perte d’un être cher. Je n’y échappe pas, encore plus précisément en cette année 2022. Dans ces douloureux moments, je maintiens une pensée positive, en gardant en mémoire les moments de tendresse partagés, qui aident à amortir les effets de la douleur et lavent des idées noires.

J’imagine que mon discours intérieur peut sembler volontaire, voire (trop  ?) volontariste. Sans doute, se diffuse-t-il autour de moi, et malgré moi  ? Pour ma part, il contribue à gérer les inévitables nuages de l’existence avec plus de sérénité. Ne pas répandre l’étendue de ses propres chagrins est peut-être aussi un cadeau à offrir à son entourage, tout comme un beau sourire  ?

Rester mobilisée et constructive ne signifie pas, ignorer les misères du monde, mais au contraire me donner les moyens de les analyser et rester impliquée dans certains engagements.

Si mes joies sont très personnelles sur l’instant, il est vrai que je les partage ensuite volontiers. Peuvent-elles être comprises comme de l’exhibitionnisme  ? Dans mon esprit, elles diffusent du plaisir, parfois du rêve et génèrent souvent des échanges gais et enrichissants. Elles marquent ma confiance en l’être humain, toute aussi consciente que la vie reste un danger permanent. Tomber de vélo ou être touchée par la maladie ne se prémédite pas. Ces éventualités illustrent mon côté oriental «  inch’allah  !  »

Je garde mon idéalisme, non par excès de naïveté, ni par facilité, mais après avoir profondément réfléchi pour le concevoir, en acceptant les difficultés et en continuant de rêver à un progrès.

Mon ami semble convaincu de mon postulat et de ses bienfaits, mais poursuit son interrogation.

«  Comment fais-tu pour y accéder ?  »

Calquée sur la théorie de l’équilibre du tabouret sur trois pieds, la mienne est très prosaïque.

Jusqu’à la retraite, mon équilibre de vie s’articulait autour des vies affective, sociale et professionnelle  : ce classique cocktail a plutôt bien fonctionné !

Désormais retraitée depuis plus de dix ans, et grâce à tant de temps libre, mon tabouret s’est doté de mille autres pieds, tous aussi indispensables et cohérents.

 

L'arbre et le chemin

 

L’un de mes constats à cette étape de vie,  est qu’il n’y a pas de mue profonde dans la façon de se comporter, dès l’instant où l’on liquide ses annuités  : Madame bavarde le reste, Monsieur râleur le reste, Miss hyper active devient Mamie débordée. Sans doute étais-je déjà Mademoiselle émerveillée  !

Il est probable qu’avoir bénéficié, dès l’âge de quatre ans, d’une éducation musicale et sportive au conservatoire, m’a ouvert le goût pour ces disciplines et plus largement pour la culture générale. Ce capital, cultivé au fil du temps, m’a prédisposée à comprendre l’interaction entre bien-être physique et mental et l’envie de la cultiver. Mon apprentissage a été jalonné d’expériences et de rencontres enrichissantes, en France et dans les quatre coins du monde. Jusqu’à peut-être devenir une forme d’aptitude, en tout cas une ouverture d’esprit qui mène vers l’autre, surtout s’il est différent ou d’une culture éloignée de la mienne.

Dès l’adolescence, je me réjouissais de découvrir d’autres horizons, humains ou géographiques, en rêver d’autres sans mettre de limites à mon imaginaire naissant. J’ai usé beaucoup de sacs à dos et de galoches avant d’apprécier les modèles actuels plus élaborés.

C’est sans résistance que j’ai multiplié les occasions de me réjouir : devant les couleurs du ciel, le goût d’un fruit juteux, les senteurs d’un sous-bois, le chant d’un oiseau, les rires partagés, le bruit des verres qui trinquent ou la capacité du corps à aimer bouger.

Mes sources sont devenues intarissables  pour nourrir mes projets  : lectures, échanges, réseaux sociaux (eh oui  !), visites, etc…

Une simple marche, même non sportive et endurante, offre dès les premiers pas du jour, la possibilité d’accumuler des sujets d’émerveillement, y compris en milieu urbain  : un arbre, une statue, une vitrine, des rires d’enfants, le regard d’une personne âgée. Tout promeneur, même occasionnel, connaît cette magie contemplative. Le statut de retraitée permet de le multiplier à l’infini. 

Je suis consciente que ce n’est pas le chemin emprunté par tous les concitoyens, parfois enclins à vilipender. Je suis tout autant convaincue que la possibilité de s’émerveiller n’est pas corrélée aux conditions économiques (en tout cas, dans nos pays développés) : Je répète à l’envie mon exemple de la balade. Déambuler, l’œil curieux, toujours prête pour d’improbables découvertes ne me coûte rien  ; seule la volonté d’y consacrer un peu de mon temps et d’énergie, et l’envie de mesurer l’enrichissement personnel.

Ainsi donc, mon âge n’est pas un empêchement d’être émerveillée, mais bien au contraire, un cadeau insoupçonné, rendu possible grâce à la volonté d’un regard positif sur la vie et beaucoup de temps libre.

Artiste ou bricoleur, casanier ou globe-trotter, croyant ou non, chacun selon ses goûts, modes de pensée et talents, peut déployer sa curiosité dans les domaines de son choix. Le choix ne constitue jamais ni une recette miracle, ni un remède universel.

Le mien développe ma liberté d’esprit en brisant les digues de la morosité pour laisser place au contentement, tout en préservant l’esprit de critique.

Les visages ne sont-ils pas enlaidis lorsque s’y figent une moue désenchantée ou des mâchoires crispées par l’amertume  ? Imaginons que seules des mines souriantes nous accueillent dans les wagons du métro parisien ?!

«  Ça ressemble au bonheur  ?  »

Je n’adopte pas ce concept. Trop ambitieux  ? Presque prétentieux  ? Trop abstrait  ? ou, pire, moralisateur ? À mon sens  : Trop convenu.

Je lui préfère la notion d’équilibre  : équilibre entre soi-même et les autres, entre ce que l’on est et ce que l’on vit, entre hygiène de vie physique et mentale, entre monde des bisounours et catastrophisme.

Si difficile à atteindre, si fragile à maintenir, cet équilibre est le terreau qui me permet de considérer mes erreurs comme des expériences et transformer mes envies en projets. Il m’oblige à être modeste, le rester et agir en pleine conscience, sans tricherie.

Sans doute n’avais-je pas le même recul voici dix, vingt ou trente ans. Finalement, quelles que soient les raisons qui m’ont poussée à boire le verre à moitié plein, sa dégustation s’avère bénéfique.

J’accepte volontiers mes contradicteurs qui adoptent d’autres voies pour dégager du plaisir pour eux-mêmes et leurs proches. Des diktats seraient les pires ennemis de la liberté ultime du choix.

 

Coucher de soleil

 

En se quittant, je remercie chaleureusement mon ami de m’avoir guidée vers une réflexion aussi personnelle qu’inattendue. Elle met certainement en exergue une forme de vitalité que traduisent la mobilité du corps et de l’esprit.

Un seul mot résume mon regard pour les dix, vingt ou trente années à venir  : MERCI à tous celles et ceux qui acceptent de partager mes rêves et délires.

Une question que mon ami ne m’a pas posée  :

«  Quel est le comble d’une septuagénaire ?  »

Ma réponse  :«  Rester émerveillée d’être émerveillée  !  »

Rester émerveillée  : c’est mon choix  !

par Christine Taieb, le 7 septembre 2022

 

C

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
<< < 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 > >>
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 057 563
Publicité