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Paroles d'Actu
1 janvier 2024

Matthias Fekl : « Il faut souhaiter que Cuba trouve sa propre voie pour se réinventer »

Le 1er janvier 1959, il y a 65 ans jour pour jour, Fidel Castro devenait l’homme fort de Cuba, après le succès d’une révolution au terme de laquelle chuta le régime de Fulgencio Batista. Une analyse passionnante de cette histoire, faite dallers retours permanents entre passé et présent, a été publiée aux éditions Passés Composés en septembre 2023. L’auteur du Dernier cortège de Fidel Castro, Matthias Fekl, a un profil atypique : avocat de profession, il fut secrétaire d’État en charge du Commerce extérieur (septembre 2014-mars 2017) et même, pendant un mois et demi, ministre de l’Intérieur (mars à mai 2017). Pourtant, on sent bien quand on le lit que ce livre n’est pas un "essai politique", mais une étude rigoureuse qui ressemble bien à celle que pourrait faire un historien de métier. Je ne peux qu’en recommander la lecture à tous ceux qui sont intéressés par l’histoire de Cuba, et plus généralement par celle de la seconde moitié du vingtième siècle.

J’ai proposé à M. Fekl de lui soumettre des questions après lecture de l’ouvrage, ce qu’il a rapidement accepté. Je les ai finalisées et les lui ai envoyées fin octobre ; ses réponses me sont parvenues le 31 décembre, juste avant l’anniversaire de la révolution cubaine. Je le remercie pour cet échange dont la retranscription vous donnera je l’espère, envie de découvrir son travail. J’en profite enfin, en ce premier jour de 2024, pour vous souhaiter à toutes et tous, lecteurs fidèles ou occasionnels, une année aussi chaleureuse et sereine que possible, avec son lot de petits et grands bonheurs. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Matthias Fekl : « Il faut souhaiter que Cuba

trouve sa propre voie pour se réinventer »

Le dernier cortège de Fidel Castro

Le dernier cortège de Fidel Castro (Passés Composés, septembre 2023)

 

Matthias Fekl bonjour. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur le Cuba de Fidel Castro ? J’ajoute qu’il passe davantage pour un ouvrage d’historien que pour l’essai d’un politique : quel travail a-t-il nécessité ?

pourquoi Cuba ?

C’est une excellente question, et vous avez parfaitement raison  : ce n’est pas du tout un essai politique au sens où on l’entend classiquement.

Je m’intéresse à Cuba depuis longtemps. J’y suis allé à plusieurs reprises, à titre privé mais aussi au titre de mes anciennes fonctions gouvernementales, et j’ai été d’emblée été marqué par ce pays qui, au-delà des images faciles de cartes postales, est un pays de haute culture dont la littérature, l’Histoire, la musique, la peinture et la vie intellectuelle ont souvent été d’une très grande densité.

L’idée d’écrire ce livre a germé alors que je n’occupais plus aucune fonction publique nationale. Sans doute y avait-il l’envie d’aller plus loin, d’approfondir ce qui m’intéressait à Cuba  : une littérature magnifique, une Histoire mouvementée, mais aussi une beauté pleine de nostalgie que matérialisent l’insularité ou un certain rapport au temps. Et puis, après toutes ces années de vie politique active et en parallèle d’une vie professionnelle intense, l’idée de me retirer de temps à autre avec mes documents et ma bibliographie pour écrire mon propre livre n’était pas déplaisante. J’ajoute que l’idée d’écrire librement, sans arrière-pensée et sans raison autre que le seul plaisir d’écrire, n’est pas étrangère à la genèse de ce livre.

Pour répondre enfin à la dernière partie de votre question, j’ai consulté énormément de sources. Des livres par centaines, des témoignages et documents d’époque, des films… des années durant, je me suis ainsi promené dans le Cuba des siècles passées, à la rencontre de lieux mythiques et de personnages haut en couleur.

 

Fidel Castro passe pour moins dogmatique que Che Guevara ou que son frère Raúl. Ceux qui ont soutenu la révolution était d’ailleurs d’horizons très variés. Castro a-t-il été, au moins au départ, sincèrement moins enclin que d’autres à instaurer un régime communiste à Cuba ? A-t-il eu au départ à leur faire des concessions, ou bien a-t-il été maître des grandes orientations de bout en bout ?

Castro, dogmatique ou opportuniste ?

Vous pointez du doigt l’une des grandes dialectiques à l’œuvre dans la révolution cubaine, et l’une des questions que soulève le livre. Nombre de compagnons de route de Castro, de témoins de la révolution puis d’historiens se sont posé cette question  : Castro était-il communiste d’emblée et l’a-t-il masqué pour entraîner davantage de monde derrière lui, ou s’est-il converti au communisme sur le tard, par nécessité  ? Cette question n’est selon moi pas tranchée à ce jour, et il existe des indices allant dans un sens comme dans l’autre.

Ce qui est certain, c’est que les sources d’inspiration premières de Fidel Castro ne sont pas communistes. Il est nourri des héros et penseurs cubains et latino-américains du 19ème siècle, en particulier de la magnifique figure de José Martí, penseur, poète et révolutionnaire cubain mort au combat. Le manifeste fondateur du castrisme, L’Histoire m’absoudra, retranscription de sa plaidoirie après l’attaque de la caserne de la Moncada en 1953, ne contient pas une seule référence à Marx, Engels ou Lénine, ni à aucun autre penseur ou responsable communiste. Les auteurs du libéralisme politique et de la révolution française sont abondamment cités, comme est omniprésente la volonté de souveraineté, d’indépendance et de justice sociale. Et le parti communiste cubain ne soutient pas initialement Castro dans sa lutte contre Batista, loin s’en faut.

Comme vous le rappelez très justement, la base sociologique de la révolution cubaine est au départ multiforme  : mouvements étudiants, chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux, sociaux-démocrates, centristes… les soutiens à la révolution couvrent un spectre très large, et des pans entiers de la haute bourgeoisie économique et industrielle soutiennent Castro. Ainsi en est-il des Bacardi, du magnat du sucre Lobo, de bien d’autres encore.

Dans l’état-major de la révolution, seuls Che Guevara et Raúl Castro sont d’authentiques communistes, et de nombreux débats traversent le mouvement révolutionnaire, avant la victoire de la révolution, mais aussi dans les premiers mois après l’installation du nouveau pouvoir. Cependant, dès 1959, une double dialectique s’enclenche qui, en quelques années à peine, va voir la révolution basculer vers un régime communiste. En interne, Castro a besoin de structurer son pouvoir, et le parti communiste est de loin l’organisation politique la plus efficace du pays. Aussi le parti va-t-il rapidement étendre son emprise tant sur le gouvernement, dont les ministres réformateurs et libéraux démissionnent ou sont poussés au départ les uns après les autres, que sur les mouvements syndicaux et les organisations de masse. Sur le plan international, et c’est l’autre volet de cette dialectique, les relations avec les États-Unis se dégradent tellement vite que l’Union soviétique va devenir un partenaire incontournable  : elle se substitue aux États-Unis lorsque ceux-ci mettent un terme à l’achat de sucre cubain et, très rapidement, signe des accords économiques et commerciaux tous azimuts avec Cuba, qui passe ainsi d’une dépendance à l’égard des États-Unis à une dépendance envers l’URSS. Ce double mouvement, intérieur et extérieur au pays, explique l’évolution de la révolution vers le communisme. Quant aux intentions réelles et initiales de Castro, qui a lui-même fait des déclarations contradictoires au sujet de son rapport au communisme, nous ne les connaîtrons sans doute jamais.

 

Vous expliquez bien, et vous venez de le rappeler, qu’à une dépendance commercialo-financière envers les États-Unis (sous Batista) s’est substitué, très rapidement après la rupture d’avec Washington, une nouvelle dépendance, envers l’URSS. Mais à vous lire on se dit que le nouveau Cuba aurait fort bien pu ne pas avoir à choisir : à cet égard à qui la faute ? La révolution a-t-elle été prise en otage de la guerre froide, ou bien celle-ci lui a-t-elle au contraire servi ?

Cuba et les États-Unis, intolérable voisinage

Il est toujours délicat de réécrire l’Histoire, mais il me semble certain qu’une autre relation aurait entre Cuba et les États-Unis aurait été possible, et éminemment souhaitable  !

Il y a d’abord une série de malentendus et de faux-pas de part et d’autre. Ainsi de Castro qui effectue sa première visite officielle aux États-Unis sans passer par le protocole classiquement applicable dans ce genre de situations – il est l’invité des éditeurs de journaux américains et les autorités officielles ne sont pas vraiment dans le coup de la visite. Ainsi, lors de la même visite, du Président Eisenhower qui part faire une partie de golf pour ne pas rencontrer Castro, et laisse le soin de cette rencontre à son vice-président Nixon, qui déteste immédiatement le Cubain. Ainsi bien sûr des épisodes essentiels de l’invasion de la Baie des Cochons, puis de la Crise des missiles et de l’embargo, ou encore des innombrables occasions ratées pour engager des discussions entre les deux pays. Le Président Kennedy avait ainsi chargé Jean Daniel de sonder Castro sur un éventuel rapprochement, mais il est assassiné au moment même où Jean Daniel est à Cuba, et l’initiative en restera là. Kissinger raconte lui aussi différentes négociations qui avaient été entamées, mais qui ont toutes échoué.

Des relations apaisées demeurent selon moi dans l’intérêt des deux pays. Il est vrai cependant que la présence d’un régime communiste à 80 miles des côtes des États-Unis est une idée proprement insupportable, ce qui explique la virulence des ripostes jusqu’à aujourd’hui, tout comme bien sûr, le fait que Cuba est rapidement devenu un sujet de politique intérieure, avec la puissance du vote cubain. Côté cubain, il faut souligner aussi que malgré les nombreuses et graves difficultés créées par les sanctions américaines, l’utilisation des États-Unis comme bouc émissaire de tous les maux de la révolution est à la fois fréquente et utile, tant elle a souvent permis de détourner l’attention des erreurs propres au régime cubain, pour souder et unir la population contre l’impérialisme du grand et encombrant voisin.

 

Comment expliquer qu’un homme aussi intelligent que Castro ait, à plusieurs époques, aussi mal compris comment fonctionne une économie saine, impulsée et dynamisée par l’initiative privée ? Était-il un dogmatique borné, ou bien faisait-il simplement de la politique ?

Castro et l’économie

Il y a eu beaucoup de débats au sein du mouvement révolutionnaire, puis du gouvernement, pour savoir s’il fallait privilégier les «  incitations matérielles  » - c’est-à-dire récompenser matériellement les efforts fournis par chacun – ou les «  incitations morales  », chères à Che Guevara dans sa volonté de construire «  l’homme nouveau  ». Et il y a eu des cycles, au cours desquelles l’une ou l’autre de ces approches était favorisée. Il a cependant fallu attendre l’arrivée au pouvoir suprême de Raúl Castro pour que de premières réformes aillent dans le sens de plus d’initiative individuelle et même d’auto-entreprenariat. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette révolution que de voir ces réformes décidées par le communiste le plus intransigeant du régime  !

Mais revenons à Castro. Durant ses décennies au pouvoir, il lit tout, s’informe de tout, connaît en profondeur les réalités économiques du pays et ce, jusque dans les moindres détails. Il concentre tout le pouvoir entre ses mains, et cette hyper-centralisation du pouvoir, y compris pour ce qui concerna la décision économique, est sans doute l’une des sources du problème. En effet, des décisions souvent anodines doivent remonter très haut dans la chaîne de décision, ce qui embolise le système, inhibe l’esprit d’initiative des échelons inférieurs et finit par bloquer toute l’économie. S’y ajoutent deux éléments. D’abord, bien sûr, l’embargo américain, qui a contribué a dégrader la situation en asphyxiant un peu plus encore l’économie cubaine. Ensuite, et surtout, les grands choix économiques de Castro sont dictés par des considérations essentiellement politiques. Il craint que plus d’initiative laissée au secteur privée ne conduise, in fine, à une perte de contrôle politique sur le pays, ce qu’il ne veut en aucun cas accepter.

C’est dommage, car la fertilité des terres cubaines, la diversité potentielle de son agriculture, la très haute qualité de sa main d’œuvre et de ses ingénieurs aurait pu permettre de développer un autre modèle, comme le prouvent certaines réussites éclatantes notamment dans le domaine médical.

 

Vous développez pas mal au sujet de l’embargo imposé par les États-Uniens envers le Cuba de Castro : avez-vous acquis la conviction, et je vous interroge ici au regard de cette étude mais peut-être surtout de votre passé de secrétaire d’État au Commerce extérieur, qu’un embargo porté à un pays sur les denrées du quotidien pour faire plier un régime est forcément contre-productif, ne serait-ce que parce qu’il soude la population face à un péril extérieur instrumentalisé ?

histoires d’embargo(s)

Regardons les faits. L’embargo a échoué sur toute la ligne, puisque son objectif affiché et assumé était de conduire à un changement de régime à Cuba et que six décennies après, le régime est toujours en place. En revanche, cet embargo a contribué à dégrader la qualité de vie des Cubains et leur a imposé de nombreuses privations dans leur vie quotidienne. L’ancien président Carter l’a dit de manière très convaincante dans un rapport suite à une mission qu’il a effectuée à Cuba il y a quelques années.

Ce n’est pas un hasard si les réflexions en droit international et la pratique en politique internationale, se sont progressivement orientées vers des sanctions plus ciblées, les fameuses «  smart sanctions  », où l’on essaie de viser non pas un pays et donc une population dans son ensemble, mais soit certains secteurs-clés, soit des personnalités précises, frappées d’interdictions de voyager à l’étranger ou de gels d’avoirs. Ce n’est pas non plus une recette miracle, mais c’est certainement plus efficace et moins injuste qu’un embargo.

 

Vous en avez un peu parlé ici : la lecture du bilan en matière d’éducation et surtout de santé impressionne, notamment s’agissant de cette diplomatie sanitaire qui constitue, vous le dites bien, un atout majeur de soft power pour Cuba. Peut-on dire que, des années Castro jusqu’à aujourd’hui, Cuba a joui d’une force d’influence et d’attraction sans commune mesure avec son poids objectif ?

la santé, l’éducation et le soft power cubain

Les réussites en matière de santé et d’éducation sont à juste titre l’une des fiertés légitimes des Cubains. Dans ces domaines, le pays fait infiniment mieux que nombre de pays comparables, et parfois mieux que des pays beaucoup plus développés. Il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître.

La «  diplomatie sanitaire  » n’est que l’un des vecteurs d’attraction de Cuba à l’échelle internationale. Son influence a longtemps été immense au sein du Mouvement des non-alignés, en raison du prestige révolutionnaire en soi, du symbole de ce petit pays qui résiste à son puissant voisin, de la capacité de Cuba à envoyer des troupes dans des combats «  anti-impérialistes  » comme en Angola ou à former des médecins dans nombre de pays de ce que l’on appelait alors le Tiers-Monde. Tout cela a en effet, comme vous le soulignez, donné un prestige et une influence sans commune mesure avec le poids objectif du pays.

 

Il est beaucoup question dans le livre des moments de répression, de fermeture, indiscutables, dans le Cuba de Fidel Castro. Les phases de libéralisation qui sont venues après ont-elles été contraintes ou volontaires ? Le Cuba de Raúl Castro, et l’actuel de Miguel Díaz-Canel peut-il réellement être qualifié d’État en transition ou bien reste-t-il essentiellement autoritaire ?

l’état de l’État autoritaire

Il existe en effet des cycles de fermeture et d’ouverture, que j’analyse dans le livre. Après quelques mois de fête et d’espérance révolutionnaires, un appareil répressif se met en place assez rapidement qui va agir contre les dissidents, contre de nombreux artistes et intellectuels, contre les homosexuels. Les phases de plus grande ouverture me semblent généralement découler de ce que les dirigeants sont alors convaincus qu’il faut «  lâcher du lest  », en particulier lorsque le contexte économique devient vraiment trop difficile.

Comment caractériser le Cuba d’aujourd’hui  ? Il me semble d’abord que la situation économique et sociale est de nouveau extrêmement dégradée, comparable et peut-être pire à la «  période spéciale  » qui avait suivi la chute de l’Union soviétique  : privé de son principal et quasi-unique partenaire économique, Cuba avait alors des années durant connu des temps très durs, avec la réapparition de graves problèmes de nutrition. Je crains que les effets combinés du COVID et de son impact sur le tourisme, des sanctions américaines et de la situation internationale aient aujourd’hui des effets comparables.

Des réformes importantes ont été menées, d’abord sous l’impulsion de Raúl Castro, puis sous celle de son successeur, Miguel Díaz-Canel. La propriété privée est désormais reconnue par la Constitution, aux côtés de la propriété collective, et les entreprises individuelles ont connu un vrai essor dans de nombreux secteurs.

Cela étant dit, Cuba est incontestablement un État autoritaire, qui ne connaît ni l’État de droit, ni le pluralisme de la presse au sens où nous l’entendons. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que Cuba trouve sa propre voie pour se réinventer.

 

Est-ce qu’un homme comme vous, d’une gauche bien différente de celle qu’incarna Fidel Castro, peut encore aujourd’hui s’y référer et, sinon la prendre pour exemple, au moins lui reconnaître des mérites ? Cette révolution de 1959 ne fait-elle pas songer finalement à ces temps où l’on rêvait encore du grand soir ?

une référence lointaine pour la gauche ?

Comme vous le faisiez remarquer au début, ce livre est un livre d’histoire et non un essai politique. Je ne suis pas allé chercher dans le Cuba de Fidel Castro des idées pour réinventer la gauche de gouvernement française et européenne  ! Oserais-je ajouter que, plus jeune, j’ai toujours été un peu agacé par certains amis, enfants de la bonne bourgeoisie, qui trouvaient très chic d’arborer des casquettes du Che ou de tapisser leurs chambres de posters à l’effigie des révolutionnaires  ? À mon avis, lorsque l’on se forme un jugement sur un régime ou une situation politique, il n’est jamais inutile de se demander, «  aimerais-je moi-même vivre sous un tel régime  ?  ». C’est en tout cas ce que j’ai retenu de mes années d’enfance et de jeunesse à Berlin.

Concernant Cuba, l’honnêteté oblige selon moi à reconnaître les réussites en matière de santé et d’éducation, parfois remarquables. Elles expliquent en partie le soutien de nombreux Cubains à la révolution  : dans beaucoup d’endroits, singulièrement dans les campagnes, la situation s’est effectivement pendant longtemps améliorée sur le plan éducatif et sanitaire.

Enfin, puisque vous parlez du grand soir, j’ai essayé de rendre dans ce livre l’incroyable densité, la force politique des débuts de la révolution  : entre des images parfois quasi christiques, des personnages mythiques, une espérance folle et une ferveur stupéfiante, les premiers jours de l’année 1959 sont un moment politique total, où toute une population communie dans l’espoir politique et sans doute presque religieux de lendemains meilleurs. C’est aussi un renversement politique et social d’un ordre ancien vers un monde nouveau. C’est, en somme, un moment historique passionnant à reconstituer, même s’il est vrai que passé la ferveur révolutionnaire, seules des réformes conçues avec sagesse et mises en œuvre avec discernement auraient permis de transformer en profondeur la réalité.

 

Finalement, le Cuba des Castro, Fidel puis Raúl, tout bien considéré, les errements, les crimes et les réussites, et considérant la situation du pays au tout début de 1959, bilan globalement... ? Que plaiderait l’avocat que vous êtes face au tribunal de l’Histoire ?

le bilan

Le livre essaie de répondre à cette question, puisqu’il est construit sous forme d’un retour aux sources de cette révolution dont il retrace les grandes étapes, à rebours, depuis la mort de Fidel Castro jusqu’aux racines, au dix-neuvième siècle. Je ne veux forcer personne bien sûr, mais je crois que la meilleure manière de trouver ma réponse à votre question est de lire le livre  !

 

Comment expliquez-vous que la Chine, dans une logique certaine de guerre froide avec les États-Unis, n’ait pas à cœur de devenir le nouveau meilleur ami de Cuba ? S’agissant de la France, quelles relations avons-nous à votre avis vocation à entretenir avec La Havane ?

la Chine à la place de l’URSS ?

Il me semble que la Chine fait ce que vous dites, mais ailleurs dans le monde, en particulier en Afrique, en prenant des positions économiques, politiques et stratégiques de plus en plus fortes.

Cependant, Cuba demeure un symbole et un enjeu dans la perspective de nouvelle guerre froide que vous évoquez. En témoigne l’émoi suscité par un article du Wall Street Journal qui faisait état, en juin dernier, d’un accord qu’aurait obtenu la Chine pour installer à Cuba une base secrète d’espionnage, qui aurait permis d’intercepter nombre de communications aux États-Unis. Malgré les démentis, le souvenir de l’installation d’une base de missiles soviétiques n’était pas si lointain.

 

Vos projets et envies pour la suite, Matthias Fekl ? D’autres ouvrages, notamment historiques, en tête ?

J’ai aimé écrire ce livre et espère que les lecteurs auront plaisir à le lire. Cela m’a en tout cas donné envie d’en écrire d’autres. J’ai une idée d’ouvrage historique, pas encore tout à fait aboutie mais qui chemine. Je vous tiendrai au courant  !

 

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2 novembre 2023

Tommy : « L'humour permet de dénoncer en dépassant le politiquement correct »

Géostratégix, c’est une idée au départ improbable mais qui finalement donne quelque chose qui est à la fois divertissant et instructif : le mariage de la géopolitique et de la BD (en fait du dessin de presse). L’éditeur Dunod a provoqué la rencontre entre Pascal Boniface, patron de l’IRIS et spécialiste bien connu des questions du monde, et Tommy, qui s’est fait depuis quelques années une réputation dans l’univers du dessin de presse. Leur collaboration a donc donné Géostratégix.

Un premier tome de Géostratégix a été publié l’an dernier, un récit à peu près chronologique - mais pas monotone - de l’histoire des puissances et des Hommes de 1945 jusqu’à 2022. Le second tome, paru en septembre dernier, est davantage thématique : il illustre "les grands enjeux du monde contemporain", pour ceux qui les connaissent bien ; mieux, il les éclaire pour ceux qui n’en sont pas familiers. Un ouvrage agréable à lire, et quand on le referme, on est conscient de beaucoup plus de choses, sans avoir eu à lire un livre fastidieux de géopolitique. Merci à Tommy pour l’interview qu’il a bien voulu m’accorder, pour notre échange sympathique, et pour son dessin inédit ! Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Tommy : « L’humour permet de dénoncer

en dépassant le politiquement correct »

Geostrategix 2

Géostratégix 2 (Dunod, septembre 2023).

 

Tommy bonjour. Parlez-nous de vous, de votre parcours avant les deux tomes de Géostrategix ? Comment en êtes-vous venu à faire du dessin votre métier, et pourquoi avoir opté plus particulièrement pour le dessin de presse ?

Je suis un dessinateur autodidacte, j’ai pris quelques cours du soir par-ci par-là mais je n’ai pas suivi de formation en art. Après mon bac, j’ai intégré Sciences Po Lyon jusqu’à l’obtention d’un master en Communication et Culture. Suite à quelques rapides expériences dans ce domaine, qui ne m’apportaient pas satisfaction (trop de contraintes horaires, d’écran, de hiérarchie), je me suis tourné vers des boulots alimentaires. En parallèle, j’ai commencé un blog/page Facebook sur laquelle je publiais des dessins, sur l’actu, sur mes voyages (en métro ou à l’étranger). Je n’avais pas pour ambition de vivre à tout prix du dessin, ce n’était pas une vocation, simplement j’avais toujours dessiné et ne m’étais pas arrêté. Petit à petit, j’ai commencé à avoir des contrats, qui ont pris le pas sur les petits boulots, jusqu’à vivre pleinement du dessin. Et c’est une chance dont je suis très conscient chaque jour  !

 

Comment la rencontre avec Pascal Boniface, patron de l’IRIS et spécialiste de la géopolitique, s’est elle-faite ? Comment l’idée du premier, puis du second tome de Géostratégix, albums qui mettent tous deux en textes et en images l’histoire - pour celui de 2022 -, et les enjeux - pour le nouveau - du monde contemporain, a-t-elle vu le jour ?

Pascal Boniface avait depuis quelques temps l’idée de faire une BD sur la géopolitique afin de toucher des lecteurs qui n’auraient pas acheté un livre de géopolitique plus classique. Il cherchait donc un illustrateur. C’est Dunod (l’éditeur) qui m’a contacté. Je n’avais alors jamais publié de BD mais je faisais déjà pas mal d’événements dessinés (conférences, débats, tables rondes, etc…) en direct, je crois qu’un de leurs éditeurs m’avait vu à une de ces occasions. J’ai fait un premier test sur un extrait du texte de Pascal (sur Cuba), qui a plu tant à Pascal qu’à Dunod. Et on était partis pour près d’un an de boulot !

 

Pascal Boniface

 Portrait de Pascal Boniface par Tommy.

 

Dans quelle mesure étiez-vous sensibilisé déjà, certes à l’actualité mais aussi à la géopolitique et à l’Histoire avant d’attaquer cette aventure ? Au cours de celle-ci, Avez-vous appris des choses ?

J’étais sensibilisé à ces thématiques via mes études et plus globalement par mon intérêt pour le monde qui m’entoure. Il y a une continuité entre des études de sciences politiques, qui m’ont ouvert sur de nombreuses disciplines et apporté un esprit (je l’espère) critique et le dessin de presse ou l’illustration en direct de conférences. Il faut pouvoir saisir rapidement des enjeux, avoir des notions de leur contexte, trouver des sources fiables pour confirmer des informations, etc.

Géostratégix, c’est aussi "comprendre le monde", à une échelle globale, avec des mécanismes et des contextes certes variés, mais pour lesquels on retrouve aussi des schémas qui se répètent.

 

Geopolitix ébauche

Géostratégix, planche crayonnée du tome 1.

 

Quelle a été la méthodologie pour fabriquer cet objet un peu hybride ? Est-ce que Pascal Boniface a décidé de l’armature générale, de l’agencement de chacun des livres ? Où y a-t-il cahier des charges strict, échanges dynamique d’idées, parfois peut-être, confrontations (toujours diplomatiques évidemment) ? De quelle liberté avez-vous joui, peut-être différemment pour le second que pour le premier, dans l’illustration de tel ou tel narratif ?

Pascal rédige d’abord l’entièreté du texte, que je découpe ensuite et que j’anime avec des traits d’humour toujours très fins et très délicats, des jeux de mots d’exception et inédits ("OTAN, suspend ton vol" par exemple). Plus concrètement, j’envoie chaque semaine une dizaine de planches (d’abord crayonnées, puis encrées, puis colorisées) à Pascal et à nos éditeurs chez Dunod, puis on échange ensuite dessus.

J’ai une totale liberté pour glisser dans les dessins et les bulles mon point de vue. Ce qui était l’intérêt de faire appel à moi, je pense (sinon ils auraient pris un meilleur dessinateur  !). Aucun dessin censuré, des remarques et des discussions parfois, mais aucune frustration. Probablement parce que Pascal et moi sommes en phase sur beaucoup de choses.

 

Combien de temps de travail pour le premier, et pour le second volume ? Et pourquoi ce choix d’une seule couleur ?

J’ai dit un an mais j’ai exagéré, un an du premier rendez-vous au rendu de la dernière planche, mais je ne travaillais pas uniquement sur ce projet, disons que j’étais à 75%, environ 9 mois à temps plein donc.

Le choix d’une seule couleur s’est fait parce que le temps justement était limité, il m’aurait fallu plusieurs semaines supplémentaires pour faire le travail en couleurs complètes. Et à mon avis, il n’y avait pas besoin de peaufiner plus cette partie, on n’est pas sur un ouvrage esthétique, mais plus sur faire comprendre efficacement des idées et expliquer des faits.

 

Geopolitix déf

 Tome 1, planche finale.

 

La première réflexion que je me suis faite, quand j’ai lu le premier album, c’est qu’il y a une difficulté particulière à dessiner ce genre d’ouvrage par rapport à une BD classique, parce que d’une bulle à l’autre, les personnages ne sont jamais les mêmes, et donc, trouver comment représenter untel ou untel ne servira pas nécessairement pour tout le livre, mais parfois pour quelques cases, voire une seule. C’est plutôt excitant, ou plutôt frustrant, ce renouvellement permanent ? Et c’est quoi votre méthode à vous, pour croquer un personnage ? Savez-vous seulement combien il y en a ?

C’est vrai que c’était un beau défi, je ne sais pas combien il y a de personnages différents mais j’ai pu varier les plaisirs  ! De Staline à Poutine, en passant par Edouard Chevardnadze ou Hari Singh, il y a une belle galerie de portraits. C’était plutôt stimulant comme défi. Si je devais le refaire, j’opterais peut-être en plus pour un personnage récurrent qui permettrait d’avoir un lien dans la narration du début à la fin de la BD.

Pour la méthode, heureusement qu’internet existe pour avoir des photos de chacun  ! Ensuite je cherche à faire un portrait reconnaissable, sans trop exagérer les traits physiques (ce ne sont pas des caricatures) mais en forçant parfois un peu certains détails, pour renforcer un trait de caractère. Par exemple un strabisme qui fait loucher George W. Bush et lui donne un air benêt, qui va bien avec le caractère du personnage.

 

Est-ce qu’il y a justement, parmi tous ces personnages différents que vous avez dessinés, des sujets qui vous auraient particulièrement donné du fil à retordre, et d’autres que vous auriez aimé pouvoir dessiner davantage ?

Il est plus simple de dessiner des visages avec des traits marqués (De Gaulle avec son nez et ses oreilles, sa grande taille ou les barbus comme Narendra Modi ou Lula). Les visages lisses sont plus compliqués (Macron typiquement, ou Poutine). J’aime bien le personnage de Kim Jong-un, tant pour ses traits (corpulent, avec toujours le même style de tenue et sa coupe de cheveux bien à plat sur le dessus du crâne et dégagée sur les tempes) que pour son côté complètement barré (bien que ses actes soient très sensés pour défendre son régime), tout seul à la tête de son pays isolé, la main sur le bouton nucléaire. Il est tellement caricatural qu’on dirait un personnage de méchant sorti de la tête d’un scénariste de BD.

J’ai aussi essayé d’utiliser des personnages qui puissent être récurrents  : Oncle Sam ou un aigle pour les USA, une caricature de russe (chapka, veste fourrée) ou un ours pour l’URSS puis la Russie, le franchouillard moyen (béret, baguette, cigarette et verre de rouge), l’Anglais type (tasse de thé, chapeau melon, costume), etc.

 

J’ai souvent pensé, à la vue de de tel ou tel dessin de presse, que les dessinateurs de presse comptaient parmi les meilleurs chroniqueurs de leur temps. J’imagine que vous ne direz pas le contraire, est-ce que vous ressentez comme une forme de gravité quand vous faites ces dessins, de par leur impact, leur sens ?

J’essaie de rester sur un fil entre le sérieux des données de Pascal, l’émotion qu’elles peuvent susciter (le massacre de civils, dont près de 200 enfants, dans une école à Beslan, en Ossétie en 2004, par exemple) et le rire, ou plutôt le sourire. Même si ce sourire est souvent jaune, voire noir. L’humour permet aussi de dénoncer, sous un côté léger on peut aller plus loin que des condamnations "premier degré" très (trop  ?) politiquement correctes.

 

Vous avez contribué il y a quelques années à un recueil Je suis Charlie. Est-ce que tous ceux qui, sous le coup de l’émotion de l’après attentat de janvier 2015, se sont proclamé "Charlie", rétrospectivement, en ont bien compris le sens à votre avis ?

Ce n’est pas à moi de donner des bons points, de qui est ou était Charlie et de qui ne l’est ou ne l’était pas. On peut déjà discuter du sens même de l’expression "Je suis Charlie". Je ne pense pas que tous ceux qui s’en réclamaient la comprenaient de la même manière.

Le dessin que j’avais fait juste après l’attentat a été perçu de deux manières différentes. On voit les dessinateurs assassinés monter au ciel et Dieu (ou un dieu) qui se tient la tête dans les mains et dit  : "Oh non, pas eux". Pour moi, il prononce cette phrase parce qu’il sait que ces dessinateurs, qui ne portaient pas les religions dans leurs cœurs, vont foutre la pagaille dans "son ciel". Donc "Oh non, pas eux" sous-entendait : "J’aurais préféré qu’ils restent vivant, ils vont venir m’emmerder maintenant".

Je me suis aperçu que certains lecteurs comprenaient le dessin comme si Dieu était triste de voir les dessinateurs décédés. "Oh non, pas eux" signifiant alors "Quelle horreur, je suis au désespoir", très premier degré. Si un dessin peut être interprété de manières différentes, alors un slogan aussi vague que "Je suis Charlie", vous imaginez bien…

 

Dessin Charlie Hebdo

 Dessin suite à l’attentat de Charlie Hebdo (janvier 2015).

 

Quel est pour ce que vous en savez l’État de la liberté pour le dessin de presse dans le monde ? Je parle bien sûr des régimes autoritaires mais pas que, songeant, il y a quelques années, à des histoires de censure de dessins de presse par d’éminents périodiques américains.

Je peux vous parler du dessin de presse dans la banlieue est parisienne, ça me paraît plus à mon échelle. Dans le monde, je n’ai pas cette prétention … J’ai cru comprendre que certains grands médias avaient censuré des dessins sous la pression notamment d’internautes, via les réseaux sociaux. Sur ce point précis, je trouve que c’est la défaite de la pensée. Même si c’est important d’être à l’écoute de son lectorat, ce n’est pas le lectorat qui définit la ligne d’un média, il faut assumer des choix, c’est ce qui fait un bon média. Les réseaux sociaux permettent à beaucoup de monde (dont moi  !) de dire beaucoup de choses et c’est tant mieux. Mais c’est aussi sur les réseaux sociaux qu’on touche le fond de l’esprit humain, la bêtise la plus brute, les insultes, le harcèlement, etc… Et je ne suis pas sûr que sur les réseaux, le ratio cons/esprit éclairés soit en faveur des seconds.

 

Un conseil pour un jeune (ou d’ailleurs un moins jeune) aimant dessiner et qui aimerait faire du dessin, et notamment peut-être du dessin de presse, son métier ?

Un bon dessin de presse, c’est une bonne idée portée par des convictions, éventuellement bien dessinée mais le trait arrive vraiment en dernier  ! Pour avoir l’idée, il faut apprendre, lire, voyager, écouter, échanger, etc… aussi avec ceux qui ne pensent pas comme soi. Pour avoir des convictions, il faut se forger un esprit critique (penser par soi-même) et dire (ou plutôt dessiner) les choses quand elles ne nous paraissent pas acceptables. Ma motivation pour dessiner, c’est malheureusement souvent la colère. Par exemple, suite à des violences policières. Ou le projet d’autoroute A69, complètement hors du temps. Ou des affaires d’évasion fiscale. Ou la réforme des retraites, complètement injuste, portée par un gouvernement et des élus qui défendent des privilèges de caste en demandant aux plus faibles de faire des efforts. Donc si tu veux faire du dessin de presse, trouve ce qui te met en colère et pourquoi  !

 

Notre monde actuel, résumé en trois qualificatifs, ou tiens soyons fous, en un petit dessin ?

 

Le monde par Tommy

Dessin inédit transmis par Tommy le 2 novembre 2023.

 

Sans spoiler, j’indique que la dernière page de Géostratégix 2 met en avant une citation de Gramsci exhortant à lier "le pessimisme de la lucidité à l’optimisme de la volonté". Quand vous considérez notre monde de 2023, vous êtes plutôt, vous, sur la première ou sur la seconde moitié de la phrase ?

Il y a peu j’aurais dit la première moitié, mais j’ose espérer être en train de basculer vers la deuxième ! Même si la colère reste, on voit aussi qu’on peut faire de belles choses à l’échelle individuelle et locale. Et je suis très bien entouré au quotidien, ce qui aide aussi à être optimiste  !

 

Si vous devriez dédicacer votre livre à un de ses personnages, vivant parmi nos contemporains, lequel, et quelle dédicace ?

Au vu de l’actualité de ces deux dernières semaines, à Benyamin Netanyahou, en lui recommandant de lire attentivement le chapitre sur le terrorisme (tome 2). Où l’on explique que les réactions aux attaques terroristes peuvent être contre-productives, comme la guerre d’Irak menée par les USA, réactions précipitées qui finalement stimulent le terrorisme. Mais malheureusement, il en est sûrement très conscient…

 

Geopolitix planche 11

 Géostratégix, planche crayonnée du tome 2.

 

Un message pour Pascal Boniface ?

Merci pour ta confiance  ! J’adore tes BD.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite, Tommy ?

Il est possible qu’un troisième projet soit en cours avec Pascal, pas un tome 3 de Géostratégix, mais autre chose… Suspense  ! Et sinon, la prochaine étape que j’aimerais franchir, c’est réaliser seul une BD de fiction, de l’histoire aux couleurs en passant par les dessins. J’ai plusieurs idées, le plus compliqué n’étant pas de les avoir mais de les mener à leur terme  !

 

Un dernier mot ?

Au plaisir de prolonger la discussion de vive voix à l’occasion d’une des rencontres que l’on organise régulièrement avec Pascal et Dunod  !

Entretien réalisé entre septembre et octobre 2023.

 

Tommy

Tommy, autoportrait.

 

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4 octobre 2023

Alcante : « Être le tout premier scénariste à adapter Ken Follett en BD, c'est franchement un honneur ! »

Comme pas mal de gens nés au milieu des années 80, enfin je crois, j’ai découvert Les Piliers de la Terre de Ken Follett grâce à la série télé éponyme diffusée au tout début des années 2010. À l’époque je lisais moins. Bref, cette série, c’était ça :

Une fresque épique située dans un XIIème siècle anglais tout sauf accueillant, des personnages forts, attachants parfois, des situations historiques et en même temps très actuelles. Un rêve, celui d’un homme, Tom, qui rêve d’édifier une cathédrale, ultime réalisation, au moins à l’époque, du génie humain. Et le jeu des complots, des ambitions. Histoire éternelle.

La question que j’ai posée à Didier Swysen, alias Alcante, qui depuis La Bombe devient un habitué de Paroles d’Actu (j’en suis ravi), je me la suis vraiment, sincèrement posée : comment se fait-il qu’un roman aussi populaire, aussi monumental que Les Piliers de Follett, monumental peut-être autant qu’une cathédrale, et auquel sans doute la série télé ne rend qu’imparfaitement hommage, n’ait jamais été adapté en BD, ou roman graphique, on dira comme on voudra ? Sa réponse, vous la retrouverez dans quelques minutes, lui et ses deux acolytes, Steven au dessin, et Quentin à la 3D, vont tout vous expliquer. Inutile que moi, je développe davantage cette intro (comment ça, elle traîne déjà trop en longueur ?).

Juste une chose, et après je vous laisse avec ceux qui ont réellement quelque chose à dire : Le rêveur de cathédrales, premier volet d’une série qui en comptera six, et qui sort donc le 11 octobre (Glénat), dans une semaine tout pile, est un album superbe, narration impeccable et dessin aussi impressionnant qu’immersif. On est ailleurs, transportés avec eux, dans cette Angleterre du XIIème. Emparez-vous de ce livre, ce sera plus facile que de prendre un château fort. Et sortez couverts, l’atmosphère risque d’y être glacialeUne exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Les Piliers de la Terre BD

Les Piliers de la Terre - Tome 1 : Le rêveur de cathédrales (Glénat, octobre 2023).

 

Alcante : « Être le tout premier scénariste

à adapter Ken Follett en BD,

c’est franchement un honneur ! »

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

 

I. Quentin Swysen, le spécialiste 3D

(sa première interview !)

Peux-tu, Quentin, te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours jusqu’ici ?

Sport, scoutisme, famille, amis et voyages résument bien ma vie jusqu’à présent. Hormis quelques expériences à l’étranger au cours de mon parcours scolaire, j’ai passé ma vie à Jette, dans le nord de Bruxelles. J’ai suivi des études d’ingénieur civil architecte à l’ULB, à la fin desquelles j’ai commencé à travailler chez BESIX, une boîte de construction belge. Je travaille depuis 6 mois à Copenhague pour la construction d’un tunnel sous-marin. En parallèle, j’ai été animé puis animateur scout pendant 16 ans.

 

Quel lecteur de BD es-tu ? Quelles sont en la matière, les œuvres qui t’ont le plus marqué (signées Alcante ou non, évidemment) ?

Il faut savoir que mon frère et moi avons été bercés dans le monde des bandes dessinées dès notre plus jeune âge. Il fut un temps où le rituel était de nous lire des BD avant d’aller dormir, ou même de nous raconter une histoire inventée de toute part. Mon père était très fort pour cela d’ailleurs. Mes BD favorites étaient entre autres Thorgal, XIII, Tintin, en plus du magazine hebdomadaire Spirou. J’étais un bon lecteur dans mon enfance. J’utilise le passé car ce n’est plus d’actualité. J’ai perdu cette envie de lire au fil du temps au profit d’autres activités. Néanmoins, j’ai lu et je continue à lire la majeure partie des BD de mon père. Je désignerais Quelques jours ensemble, XIII Mystery, et La Bombe comme ses BD qui m’ont le plus marquées, en attendant Les Piliers de la Terre bien sûr.

 

Quand tu observais, depuis petit j’imagine, ton père plancher sur des scénarios de BD, ça t’inspirait quoi, de l’admiration, une envie aussi de faire quelque chose qui t’en rapproche ?

Je ressentais de l’admiration et de la curiosité. Cela reste un métier peu commun et mythique quand on est enfant. Dès que j’ai appris à écrire à l’école, j’en ai profité pour écrire des petites histoires que j’amenais fièrement à mes parents. Quelques années plus tard, vers 12 ans, j’ai même dessiné quelques planches par moi-même. Pour l’anecdote, l’une d’entre elle a été publiée dans le Magazine Spirou en tout petit. Ce fut le sommet de ma carrière scénaristique. Je n’ai plus rien fait par après mais j’ai gardé cette fibre artistique et créative en moi. Devenir scénariste comme mon père n’a par contre jamais été un objectif sérieux.

 

Ton truc c’est l’ingénierie civile, l’architecture, la modélisation 3D. Tu m’as confié avoir eu pour tâche, lors de ce travail sur Les Piliers de la Terre, de rendre plus concrets les visuels des bâtiments fictifs dont il est question, le village de Kingsbridge, la cathédrale... Raconte-nous un peu ce travail. Comment as-tu été intégré au projet, et comme ça s’est passé ? Travailler avec, pour son père, ça n’est que facile ? ;-)

Le village de Kingsbridge est fictif et donc difficile à représenter fidèlement tant pour mon père, scénariste, que pour le dessinateur. Grâce à mes études, j’ai été amené à modéliser des bâtiments en 3D. Mon père savait ce dont j’étais capable et en a « légèrement » profité (rire). L’idée était donc de modéliser l’ensemble du village pour coller au mieux aux descriptions du roman et à l’architecture de l’époque. Après un long travail minutieux, mon père a réalisé un plan approximatif dont je me suis servi pour rajouter un par un les bâtiments, murailles, arbres, rivière, etc... Heureusement pour moi, certains éléments étaient disponibles sur Internet et ne requéraient que de légères modifications. Le plus dur a été de modéliser l’intérieur de la cathédrale. Ce fut un challenge de coller aux descriptions du roman tout en produisant une cathédrale « correcte » d’un point de vue structurel. J’ai mis mes connaissances architecturales à contribution pour modéliser la structure intérieure.

 

LPLT modélisation cathédrale

Visuel fourni par Quentin Swysen.

 

J’ai entamé mon travail en 2021. Au fur et à mesure que le village prenait forme, mon père me demandait d’ajuster certains détails, ce qu’il n’aurait probablement pas demandé si le modeleur n’était pas moi (rire). Il a fallu quinze versions du village et une quarantaine d’heures de travail réparties sur plusieurs mois pour arriver au résultat final. Tant mon père que moi sommes satisfaits du résultat, et je suis content de lui avoir rendu ce service !

 

Penses-tu que, de manière générale, qu’on a tendance à négliger, dans le monde de la BD notamment, l’apport qui peut être celui de la modélisation 3D ?

Je n’ai pas une vue d’ensemble sur les pratiques de la bande dessinée, mais c’est définitivement une question qui mérite d’être posée. De mon humble avis, il semblerait que oui, l’utilisation de la modélisation 3D dans les bandes dessinées soit sous-estimée. Je suis convaincu que cela pourrait rendre service à de nombreux scénaristes et dessinateurs, d’autant plus qu’il existe des outils de modélisation simples, à la portée de tout le monde. Je précise qu’en aucun cas cela ne doit remplacer le travail d’un dessinateur, mais cela peut définitivement l’optimiser. C’est très utile pour voir un objet ou un lieu, sous tous ses angles.

 

LPLT modélisation 1

Visuel fourni par Quentin Swysen.

 

Un des personnages majeurs de ce premier tome, et du roman, c’est Tom, ce bâtisseur qui rêve d’ériger une cathédrale magnifique. J’imagine que son histoire, son rêve, c’est quelque chose qui ne te laisse pas indifférent ? Tu aurais pu l’avoir à son époque ?

Dès qu’il s’agit de construction, cela me parle. Construire une cathédrale à pareille époque était un sacré challenge que j’aurais pu avoir dans une autre vie oui. Je construis chaque année des pilotis et autres constructions avec les scouts, donc pourquoi pas une cathédrale ?! (Rire)

 

Lors de précédents échanges, et à nouveau en début de cet interview, tu m’as confié travailler actuellement comme ingénieur sur la construction d’un tunnel à Copenhague, mais il y a des challenges qui t’exciteraient par-dessus tout ? Partir sur un projet futuriste, ou bien refaire Notre-Dame ?

Je ne connais pas encore toutes les facettes de mon métier pour dire avec certitude quel projet m’intéresserait le plus. Étonnamment, je n’aurais jamais imaginé qu’un projet d’infrastructure tel que ce tunnel puisse susciter autant d’intérêt en moi par exemple. Ceci dit, les projets de grands bâtiments modernes m’attirent beaucoup. Mon entreprise réalise quelques projets de ce genre, donc je serai peut-être amené à participer à de tels projets dans le futur. La rénovation de bâtiments anciens me parle un peu moins en revanche.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? De la BD, de l’artistique à nouveau, à côté de la construction de bâtiments ?

Je suis actuellement concentré sur ma nouvelle vie à Copenhague. La fin de mon projet est prévue pour 2027, donc c’est important de poser les bases qui me permettront de profiter au mieux de cette aventure à l’étranger. Continuer à faire du sport me tient à cœur, au même titre que maintenir un contact avec mes proches en Belgique. Au niveau artistique, j’ai des petits projets de temps à autre, notamment des montages vidéos ou des petits bricolages. Je garde aussi un œil attentif aux BD de mon père et qui sait, on collaborera peut-être de nouveau ensemble dans le futur ?

 

Un dernier mot ?

Si on m’avait dit que j’allais être interviewé dans le cadre d’une bande dessinée, je ne l’aurais pas cru. C’est ma première interview. Ravi de l’avoir faite. Merci à toi !

 

Quentin Swysen

Réponses datées du 17 septembre 2023.

 

 

II. Steven Dupré, le dessinateur

 

Steven Dupré bonjour. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet des Piliers de la Terre de Ken Follet avec Alcante, avec lequel vous avez déjà travaillé, notamment sur les séries Pandora Box, et L’Incroyable Histoire de Benoit Olivier ?

Et on avait fait Interpol Bruxelles ensemble aussi. Pour Les Piliers... c’est Didier qui a vu passer sur mon Facebook un dessin de personnages médiévaux pour un autre projet sans suite, ce qui l’a convaincu de me demander des planches d’épreuves dans le style que j’ai utilisé là. Il y avait d’autres candidats bien sûr. Un Français et un Italien. Vu que la BD commence avec une belle scène de masse, j’ai lâché mes diables et j’ai dessiné chaque personnage en vue aérienne, alors que les autres avaient clairement coupé des coins pour suggérer la masse. Je n’en suis pas certain, mais je pense que c’est le montant de travail et de détails qui ont convaincu l’éditeur, et l’expérience d’avant, de nos collaborations précédentes qui ont convaincu Didier de me donner ce beau projet.

 

Vous aviez lu, aimé le roman Les Piliers de la Terre auparavant ?

J’avais déjà vu la série télé il y a pas mal d’années, mais je l’avais totalement oubliée. Donc je l’ai revue, et j’ai lu le roman après avoir su que j’allais dessiner tout ça. Et oui, je l’ai bien aimé.

 

Parlez-moi d’Alcante, de votre première rencontre, de votre complicité ?

À l’époque où on est venu me chercher pour collaborer sur Pandora Box, Didier était un débutant. C’était sa première série, mais le scénario que l’éditeur m’avait fait lire pour illustrer le propos de la série - un sujet qui normalement ne m’intéresse absolument pas : les sports - était d’un tel haut niveau que je ne pouvais pas refuser d’y collaborer. On m’a fait choisir parmi les autres sujets disponibles (le concept de Pandora Box : huit albums, sept sur chacun des péchés capitaux, le dernier sur l’espérance ; un auteur, Alcante, sept dessinateurs, ndlr) et j’avais bien envie de dessiner des belles femmes, mais "la luxure" était déjà pris. Comme j’aime aussi bien dessiner des animaux - les vaches surtout, dans ce cas - j’ai pris "la gourmandise".

 

Pandora Box

 

Vous avez des méthodes bien à vous de travailler ensemble ?

Oui : il m’envoie son scénario complet, y compris la documentation, ou de belles tranches de tout ça, et moi je lui envoie ensuite mes croquis sur lesquels il peut me demander des corrections. Des fois, je trouve qu’il exagère avec ça, parce que j’aime bien avancer et si je traîne sur une planche, ça m’emmerde. Et il le sait bien. Mais pour lui, si le résultat peut être encore meilleur, il faut faire l’effort de changer. Et il a bel et bien raison. Si ensuite je suis passé à la phase de l’encrage (technique consistant à surligner une esquisse, ndlr), normalement c’est trop tard pour me demander des corrections, mais bon, c’est Didier, donc ça m’arrive qu’il me demande d’autres trucs à corriger qui auraient échappé à son œil d’aigle dans la phase de croquis. Et il me demande ça d’une façon qui fait que je le fais quand même. Mais à part ça, on se connait assez bien pour que ça fonctionne assez bien.

 

Qu’est-ce qu’il y a de particulièrement difficile, de jouissif aussi, quand on doit dessiner un univers, des scènes, des paysages de Moyen-Âge ?

Qu’il n’y a pas de choses modernes, pas de voitures, pas de portables, pas d’ordinateurs à dessiner. Les choses ont une structure, de bois, de cuivre, de pierres. C’est tout plus cru, et j’aime bien ça. Et si je peux dessiner des chevaux, ça me rend toujours heureux. D’autres animaux aussi. J’essaie d’en ajouter partout où je peux.

 

Est-ce que vous vous êtes inspiré un peu, en la matière, de ce que vous faites depuis une quinzaine d’années avec Alexandre Astier pour Kaamelott ?

Non. Clairement ici on est dans un univers beaucoup plus réaliste qu’avec Kaamelott.

 

Dans la BD, il y a une atmosphère, souvent pesante, sombre, à l’image d’une époque pas très accueillante, rude, où les Hommes n’étaient définitivement pas égaux. Tout cela est bien retranscrit, en grande partie grâce à vos dessins. Comment vous êtes-vous attaché à "raconter une atmosphère" ?

Ben, je ne sais pas trop. Il faut imaginer qu’on est vraiment là à cet endroit, à cette époque. Si c’est l’hiver, je dessine l’hiver, et cette saison a une atmosphère particulière. S’il y a de la misère qui se passe, il faut essayer de le faire sentir aussi par les lecteurs, pour qu’ils vivent l’aventure avec les personnages.

Je suis un homme de la campagne, j’habite en plein nature, et j’ai vécu une vie à observer mes alentours, alors je peux les transmettre sur papier plus facilement qu’un décor de ville contemporaine, je suppose. Aussi, je m’intéresse au fonctionnement des mécaniques primitives de l’époque. Une solution pour qu’une porte se ferme automatiquement était de ne pas la mettre tout droit, mais dans un angle, pour que la gravité aide à la fermer après un passage. C’est tout simple, mais je trouve ça génial. Enfin, des trucs comme ça, j’aime bien être au courant.

 

Dupré storyboard

Visuel fourni par Steven Dupré.

 

Pour les personnages et les bâtiments, vous êtes-vous inspiré à la lettre des descriptions qu’en fait Follett dans son ouvrage ? Peut-être aussi de la mini-série sortie en 2010 ?

Pas vraiment. Il faut juste que ça ressemble à un endroit croyable. Il faut aussi se figurer que ce que nous voyons des restants du Moyen-Âge, ce sont de vieilles piles de pierres, mais à l’époque forcément, c’était construit tout neuf .

 

Avez-vous préféré dessiner tel ou tel personnage, et pourquoi ?

Parce qu’il n’y a pas beaucoup de femmes à dessiner dans Kaamelott, je me réjouis de les dessiner ici.

 

J’aimerais revenir avec vous sur l’aventure Kaamelott justement. D’autres tomes de la BD sont-ils prévus, et qu’est-ce que ça fait, de travailler aussi intensément avec celui qui a créé la série et qui l’incarne à l’écran, Alexandre Astier ?

On vient juste de commencer le travail sur le tome 11, donc oui, il y a bien d’autres tomes prévus. Même si nous avons une admiration pour l’autre, notre collaboration, entre Alexandre et moi, reste surtout professionnelle. Si on ne travaille pas sur un BD Kaamelott, on ne reste pas en contact car il n’y a pas de raison de le faire. Mais pour l’essentiel, ça fonctionne comme avec Didier : l’envoi des croquis avec la possibilité de faire des corrections avant l’encrage. Si Alexandre ne me répond pas le lendemain, ça veut dire que c’est bon et je peux passer à l’encrage de la planche. Alexandre me donne plus de confiance que Didier, il faut le dire. Mais c’est peut-être parce que Kaamelott est moins réaliste, avec plein d’éléments fantastiques, et parce qu’on a déjà pas mal d’expérience sur la série.

Je ne sais pas encore comment je vais combiner les deux projets en même temps. Je pense que je vais devoir faire de longues journées de travail dans les mois à venir...

 

Sarah et Robin

 

Quelles sont, parmi vos œuvres, celles qui vous tiennent le plus à cœur et que vous aimeriez inciter nos lecteurs à découvrir tout particulièrement ?

C’est difficile à dire, mais j’ai tendance à aimer davantage les albums que j’ai aussi écrits moi-même. Dans la série Sarah et Robin (une série jeunesse pas parue en français), il y a deux tomes en particulier dont je trouve que les scénarios sont de vraies réussites. Je suis toujours content des scénarios de Coma aussi. Je regrette de n’avoir pu compléter la série, idem pour Midgard.

 

Vos projets, vos envies surtout pour la suite ?

J’aimerais bien travailler moins... mais je ne crois pas en prendre le chemin ! J’espère pouvoir réaliser un jour un projet personnel, pouvoir écrire de nouveau moi-même. Ma frustration actuellement, si je peux dire ça comme ça, c’est que je me semble être devenu le roi des adaptations : Kaamelott est une sorte d’adaptation. Je viens de faire Benoît-Olivier, qui est une adaptation de romans jeunesse canadiens. Je viens de faire une adaptation de Liu Cixin, romancier SF chinois, avec Valérie Mangin. Une adaptation d’un roman de Jean-Côme Noguès, avec Maxe L’Hermenier, un Bob et Bobette avec Conz, une reprise d’un ancien album de Jommeke, et maintenant donc, ce sont Les Piliers de la Terre. Même si je suis content que ça m’arrive, on peut arrêter de me proposer des adaptations, svp ? (Rire)

 

Steven Dupré

Réponses datées du 11 septembre 2023.

 

 

III. Didier "Alcante" Swysen, le scénariste

 

Quand as-tu découvert Les Piliers de la Terre de Ken Follett ? Que t’a inspiré ce roman ?

Je me souviens parfaitement de la période à laquelle j’ai lu Les Piliers de la Terre, et pourtant c’était il y a déjà presqu’un quart de siècle  : durant l’hiver 1998-99, juste après la naissance de mon premier enfant. J’avais reçu ce livre en cadeau d’un de mes meilleurs amis qui m’en avait dit le plus grand bien. À l’époque, je n’avais lu aucun livre de Ken Follett.

Mon épouse et moi avions pris l’habitude de lire un livre ensemble, chacun lisant à tour de rôle un chapitre à voix haute pour l’autre. Ce roman a toutefois été une exception car, mon épouse étant fort fatiguée suite à l’accouchement, c’est moi qui le lui ai lu entièrement  ! Plus de mille pages à voix haute, vous avouerez que ce n’est pas banal. C’est surtout dire à quel point ce roman m’a passionné.

Dès le prologue, j’avais été happé par l’histoire  : une pendaison publique qu’on devine injuste, une adolescente enceinte qui maudit un prêtre, un moine et un chevalier. Et ce coq décapité qui court en-dessous du pendu, en répandant des taches de sang sur la neige…

Grâce à ce roman, je me suis senti réellement immergé au Moyen Âge. J’ai vécu l’angoisse de cette famille jetée injustement sur les routes sans moyen de subsistance, et son terrible désespoir quand elle est forcée d’abandonner ce nouveau-né. J’ai ressenti la violence de cette époque où l’on pouvait tuer pour voler un cochon… ou simplement le conserver.

En me plongeant dans ce roman, j’ai surtout vibré avec les personnages, comprenant leurs motivations, partageant leurs espoirs, leurs peurs, leurs ambitions, leurs haines, leurs amours et leurs passions. Grâce à eux, j’ai vécu des intrigues à la cour royale, été témoin de l’élection du nouveau prieur, côtoyé les marchands de laine, connu le chaos des batailles… J’ai vu avec horreur cette cathédrale brûler, s’effondrer… et renaître de ses cendres  !

En lisant cette histoire, je la visualisais réellement  ! Et j’ai tout de suite été convaincu qu’elle ferait une bande dessinée extraordinaire, alors même que je n’étais pas encore du tout scénariste à l’époque  !

Depuis lors, Les Piliers de la Terre est tout simplement devenu mon roman préféré, et j’ai lu quasiment l’intégralité des romans de Ken Follett.

 

Quand cette aventure BD avec Glénat a-t-elle pris forme ? Et j’ai envie d’ajouter, au vu du succès du roman (1989), au vu de son cadre, de ses intrigues, et du souffle épique qui en émane, tu racontes tout cela très bien, qu’on s’étonne que personne ne l’ait fait avant ?

Je ne vais pas vous révéler un grand secret en disant que je ne suis pas le seul auteur à avoir eu l’idée d’adapter ce roman en BD  ! Ça fait bien 20 ans que, dans le milieu, on entend des rumeurs à propos de ce projet réalisé par tels ou tels auteurs, chez tel ou tel éditeur. Mais force est de constater que rien ne s’est jamais fait. Il n’y a à ce jour eu strictement aucune adaptation BD d’un roman de Ken Follett. Moi-même j’en ai parlé régulièrement à des éditeurs depuis le début des années 2000, et avant de tenter le coup avec Glénat j’avais déjà convaincu un autre éditeur qui avait fait pas mal de démarches, mais était malheureusement «  trop petit  » (avec tout le respect que je lui dois) pour un coup pareil.

Il faut bien se rendre compte de quoi on parle  : Les Piliers de la Terre, c’est tout simplement un des plus gros succès littéraires de tous les temps. Il s’est vendu à plus de 20 millions d’exemplaires, a été traduit en plus de 20 langues, et a été adapté notamment en mini-série produite par Ridley et Tony Scott (excusez du peu). Il est évident que la demande pour acquérir les droits d’adaptation est énorme, et que les prix demandés sont en conséquence. De plus, Ken Follett et son équipe ont également, pour ne pas dire surtout, le souci de la qualité et du respect de l’œuvre originale. Tout ça est bien normal, mais cela implique qu’il faut vraiment présenter un dossier «  bétonné  » pour ne fût-ce qu’entamer les discussions  !

La première fois que j’en ai parlé avec des personnes de Glénat, c’était à la foire du livre de Bruxelles en février 2018. J’y avais discuté avec Jean Paciulli qui était à l’époque le directeur général de Glénat (il a pris sa retraite en 2022). J’avais une excellente relation avec lui car c’est avec lui que nous avions signé «  La Bombe  » et il s’était personnellement fort investi pour que Glénat obtienne ce projet qui était aussi fort convoité.

À la Foire du Livre, nous avons parlé de notre envie réciproque de travailler sur d’autres projets, et c’est là que je lui ai parlé de mon envie adaptation des Piliers. Jean Paciulli m’a alors «  avoué  » que lui-même en rêvait et que Glénat avait déjà fait une proposition à Ken Follett quelques années auparavant, mais que celle-ci n’avait pas abouti. Comme je savais que les droits étaient encore libres à ce moment là étant donné ma récente expérience avec le «  petit  » éditeur, nous avons décidé de retenter ensemble notre chance. Jean m’a alors demandé de (re)prendre les premiers contacts avec l’équipe de Follett («  Follett office  » emploie 25 personnes, et c’est son épouse qui dirige tout ça).

Le 11 avril 2018, j’ai donc écrit une belle lettre (par e-mail) à celle-ci, dans laquelle je me présentais brièvement ainsi que mon travail, et où j’expliquais à quel point ce roman m’avait marqué, ce que j’y avais apprécié, pourquoi je pensais qu’il était fait pour être adapté en BD et comment je m’y prendrais. J’expliquais également que j’avais le soutien de Glénat pour cette démarche, et que cet éditeur était tout autant motivé que moi, et tout autant respectueux de l’œuvre.

J’ai alors reçu une réponse de l’épouse de Follett, le 16 avril 2018, qui marquait son intérêt et me demandait de lui parler plus en détails des éditions Glénat et de leurs publications. J’ai alors envoyé un second e-mail, le lendemain, en expliquant que Glénat était l’éditeur idéal pour Les Piliers étant donné sa grande expérience en matière de BD historique. J’ai donné quelques exemples en présentant brièvement les plus grands succès en la matière  : Les Maîtres de l’Orge, Les Sept Vies de l’épervier, Le Troisième Testament et Les Tours de Bois Maury. J’ai également mentionné que j’étais moi-même en train de travailler sur deux BD historiques avec les éditions Glénat  : LaoWai et La Bombe.

L’équipe de Ken Follett a alors marqué son intérêt, et Jean Paciulli a pris le relais avec Benoît Cousin qui est l’éditeur qui suit le projet pour Glénat, et les négociations ont réellement début à ce moment-là, en y incluant les éditions Robert Laffont qui détenaient les droits sur l’édition française du roman.

Les négociations ont pris un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, et c’est finalement le 20 décembre 2019 que l’accord a été signé, ce dont nous avons été avertis par un e-mail extrêmement enthousiaste de Jean Paciulli.

Tout devait donc débuter à ce moment-là, mais il y a d’abord eu les congés de fin d’année, suivi d’Angoulème… et patratas la crise du Covid est arrivée et a tout chamboulé  ! Tout a été suspendu pendant le plus fort de la crise, ce qui fait que le véritable démarrage du projet a été retardé.

Il a aussi fallu trouver un dessinateur. En fait, dès le début, il y en avait un qui était associé au projet, un dessinateur très talentueux et immense fan comme moi du roman. Mais des contingences pratiques ont fait qu’il a dû finalement se retirer du projet, et donc il a fallu repartir à la recherche de la perle rare.

Fort heureusement, tout a fini par s’arranger.

 

Et Follett a préfacé la BD, ce qui a dû vous faire sacrément plaisir. L’as-tu rencontré, ou as-tu pu échanger avec lui ? Est-ce qu’on se met la pression, quand on se dit, "un monstre sacré comme lui va lire le travail que j’ai fait et qui est basé sur son œuvre" ?

Non, je ne l’ai pas encore rencontré personnellement. Par contre une équipe de Glénat a été invitée chez lui, dans sa résidence à Londres, avec de nombreux autres éditeurs européens pour la présentation de son nouveau roman (Les Armes de la lumière, qui se passe à nouveau à Kingsbridge et qui sortira le 5 octobre, juste avant la BD). À leur grande surprise, Ken Follett a commencé son discours en montrant la BD et en en disant le plus grand bien  ! Pour qualifier notre travail, il a utilisé les mots «  wonderful artwork  », «  absolutely excellent  » et «  terrific  ». Il y a pire comme qualificatifs.

Sinon, oui, adapter Les Piliers, c’est une sacrée pression, non seulement par rapport à Ken Follett lui-même mais également par rapport aux lecteurs du roman originel. Car chaque lecteur a ses propres souvenirs, ses propres préférences, et notre album va forcément être comparé à ça. Mais c’est une bonne pression. C’est de l’excitation, c’est de la passion, c’est une chance. Être le tout premier scénariste à adapter Ken Follett en BD, c’est franchement un honneur, quelque chose dont je suis très fier et heureux ! Pouvoir faire revivre les personnages qui m’ont fait vibrer, c’est génial.

 

Comment l’équipe s’est-elle constituée ? Je pense à Steven Dupré au dessin, avec lequel tu avais déjà travaillé (sur la série Pandora Box notamment), à Jean-Paul Fernandez à la couleur, aux spécialistes du lettrage Maximilien et Philémon Chailleux, à celui qui a assuré la supervision historique de l’ouvrage, Nicolas Ruffini-Ronzani, de l’Université de Namur... et je pense aussi à un nouveau venu dans ce domaine, un certain Quentin Swysen, qui s’est chargé des modélisations 3D ?

Comme je l’ai mentionné, un autre dessinateur était prévu au départ, mais a finalement quitté le projet. Avec Benoît Cousin, nous avons alors remis les choses à plat pour partir à la recherche d’un nouveau dessinateur. Il fallait forcément quelqu’un de très haut niveau, mais qui puisse aussi avancer avec une belle cadence car nous partons quand même sur 6 albums de 80 planches, donc près de 500 planches au total  ! Quelqu’un qui puisse faire vivre les personnages, les rendre attachants, et qui puisse aussi dessiner des décors impressionnants et représenter fidèlement l’architecture romane puis gothique. Et nous voulions un dessin de style réaliste à la franco-belge, à la fois classique et moderne. Ce n’est pas une mince affaire de trouver un tel dessinateur  ! Finalement trois dessinateurs ont fait des planches d’essai. J’avais moi-même proposé à Steven de tenter le coup car j’ai déjà travaillé avec lui sur pas mal d’albums, on se connaît depuis près de 20 ans, c’est un excellent dessinateur et il est très professionnel. Il a mis rapidement tout le monde d’accord, notamment avec la toute première planche d’essai (qui est la première planche de l’album), qui est très impressionnante, avec une vue plongeante et des détails incroyables.

En ce qui concerne le coloriste, là aussi nous avions quelqu’un d’autre de prévu à l’origine, mais qui a dû se retirer du projet suite à des soucis personnels. Peu de temps après, je suis tombé sur une preview de la série Hérauts qui se déroule aussi au Moyen Âge et j’ai été convaincu par les couleurs. J’en ai parlé à Benoît Cousin et Steven Dupré, qui étaient bien d’accord avec moi, et nous avons donc proposé à Jean-Paul de rejoindre l’équipe, ce qu’il a accepté à notre grande joie.

Je ne suis par contre pas du tout intervenu dans le choix des lettreurs, c’est Benoît Cousin qui a pris tous les contacts nécessaires, et ceux-ci ont fait de l’excellent boulot aussi.

L’historien, Nicolas Ruffini-Ronzani, m’a été chaudement recommandé par une amie qui est pour ainsi dire devenue ma fournisseuse officielle de consultants historiques. Nicolas est un puits de savoir sur le Moyen Âge et ses conseils et réponses à nos questions sont toujours d’une grande aide. Je lui en suis très reconnaissant  ! D’autant que le genre de questions que je lui pose sont loin d’être évidentes. Je m’adresse à lui par exemple pour lui demander «  Que pourraient bien chanter des moines bénédictins lors d’une messe de minuit au XIIe siècle  ?  », «  Y avait-il déjà des vitraux  ?  » ou encore «  Comment faisait-on pour connaître l’heure au Moyen Âge  ?  », «  Est-ce que les gens assistaient debout ou assis aux messes  ?  », et Nicolas répond à chaque fois  !

Enfin, Quentin Swysen n’est autre que mon fils. Il est ingénieur architecte et j’ai donc fait appel à ses services pour qu’il construise un modèle 3D du prieuré de Kingsbridge, sur la base de mes indications elles-mêmes basée sur le roman bien entendu C’est évidemment très utile d’avoir ce modèle 3D à disposition car la cathédrale de Kingsbridge est fictive et il n’était donc pas évident du tout pour Steven de pouvoir la représenter, encore moins sous différents angles. Nous avions donc besoin de ce modèle 3D. Non seulement de l’extérieur, mais également de l’intérieur de la cathédrale. Quentin y a passé beaucoup de temps et je l’en remercie vivement.

 

Storyboard LPDLT

Visuel fourni par Didier Swysen.

 

A-t-il été difficile de découper Les Piliers de la Terre, roman qui pèse entre 600 et 1100 pages selon les versions, et qui se fera donc sur six tomes ? As-tu rencontré des difficultés dans la tâche, toujours un peu cruelle, du nécessaire élagage, de ces éléments d’intrigue que tu as dû te résoudre à sacrifier ? Et t’es-tu inspiré, aussi, de la mini-série datée de 2010 ?

Nous travaillons effectivement sur une base de six albums pour adapter l’entièreté du roman. Mais attention, ce seront six «  gros  » albums, de 80 planches en moyenne. Le premier fait même 90 planches. À l’heure où je vous réponds, je n’ai pas encore découpé l’entièreté des BD, j’en suis à la moitié du second tome environ. Par contre, j’ai déjà fait un plan complet des six tomes.

La difficulté principale est que le roman est extrêmement bien construit et que chaque événement en amène un autre, il est donc très difficile de supprimer l’un ou l’autre passage sans entraîner des problèmes pour la suite de l’histoire. C’est d’autant plus difficile que je souhaite vraiment rester très fidèle au roman d’origine, par respect et tant celui-ci tient bien la route. Comme l’a dit tout récemment Manara à propos de son adaptation du Nom de la Rose  : «  Je me suis retrouvé face à une cathédrale. L’enjeu était d’identifier les murs porteurs et d’enlever des pierres sans la faire s’écrouler, retirer ce qui n’était pas indispensable à sa stabilité  ».

Donc de temps en temps, je retire quand même une scène ou l’autre. Par exemple, au début du roman, Tom et sa famille se font voler leur cochon dans la forêt, rencontrent ensuite Ellen et Jack, puis s’en vont dans une ville où ils retrouvent le voleur. Ils comprennent que celui-ci a vendu le cochon, et espère au moins pouvoir récupérer l’argent. Ils tendent donc un piège au voleur pour le coincer, mais cela dégénère en bagarre. Le voleur y perd la vie, mais Tom ne retrouve pas l’argent pour lui. Avec sa famille ils sont contraints de retraverser la forêt, et rencontrent à nouveau Ellen et Jack. La partie où ils sont en ville, retrouvent le voleur, lui tendent un piège et le confrontent est certes passionnante à lire, mais elle n’est pas indispensable à l’histoire puisqu’à l’issue de cette séquence Tom et sa famille se retrouvent exactement dans la même situation que juste après le vol du cochon. J’ai donc supprimé ce passage, et fusionné les deux rencontres avec Ellen et Jack en une seule.

Pour gagner un peu de place et faciliter la lisibilité de l’histoire, j’ai également veillé à fusionner plusieurs personnages en un seul, principalement dans la communauté des moines de Kingsbridge.

Un autre moyen de gagner de la place consiste évidemment (et c’est bien le but dans une adaptation en BD) de remplacer les longues descriptions par un dessin. Par exemple, le prieuré de Kingsbridge est décrit très précisément dans le roman pendant plusieurs pages, lorsque Jack en fait le tour (ce qu’on verra dans le tome 2). En BD, il «  suffit  » d’en montrer une vue d’ensemble.

D’un autre côté, j’ai aussi rajouté une séquence dans le tome 1. Dans le roman, on mentionne juste rapidement que le Roi Henry est décédé et que le nouveau roi, Stephen, a été couronné. J’ai voulu montrer cela de manière plus explicite car cela me semblait à la fois important pour l’intrigue mais aussi visuellement intéressant.

Pour en venir à la série TV, je l’ai vue bien évidemment et bien appréciée, mais elle prend plus de libertés avec le roman, notamment en montrant Jack déjà âgé de 16 ans voire plus dès le début, alors que dans le roman il a 11 ans. J’ai la série en DVD chez moi, mais je ne m’en inspire pas, car c’est le roman que j’adapte, pas la série.

En ce qui concerne notre premier tome, il y a par exemple deux séquences du roman auxquelles j’étais fort attaché, et qui ne sont pas reprises dans la série TV (mais bien dans notre album).

La première, c’est l’élection du nouveau prieur. Dans le roman, il y a l’équivalent d’une véritable campagne électorale chez les moines pour savoir qui va devenir le nouveau prieur. Deux camps s’affrontent à coups de petites phrases policées mais assassines à la fois, en retournant les arguments du candidat adverse contre lui, en comptant les voix potentielles des uns et des autres. C’est extrêmement subtil et bien fait. Je voulais absolument conserver ce passage, ces dialogues, dans la BD alors qu’ils sont complètement escamotés dans la série TV  ?

La deuxième séquence qui est très fortement raccourcie dans la série TV, c’est l’attaque et la prise de Earlscastle, le château du Comte de Shiring par les troupes des Hamleigh. Dans la série TV, ça se passe très rapidement, et ça a l’air assez facile, on ne sent pas beaucoup de «  tactique  » ou de stratégie. Or dans le roman, Ken Follett décrit bien que prendre un château fort était excessivement compliqué  : il y a des gardes postés sur les tours, qui vous voient arriver de loin  ; il y a un pont-levis qu’on peut relever, ainsi qu’une porte massive qu’on peut refermer. Et si l’ennemi parvient à entrer dans la cour basse, les occupants du château peuvent encore se réfugier dans la cour haute, séparée de la première par un autre pont-levis. Bref, c’était réellement très difficile de prendre rapidement possession d’un château. Ken Follett a donc décrit minutieusement un plan pour déjouer tous ces obstacles les uns après les autres, et je trouvais ça non seulement passionnant mais également réaliste, et je voulais donc garder absolument cette séquence et la traiter également de manière réaliste.

 

De manière plus générale, est-il plus compliqué, à ton avis, d’adapter un roman ou une histoire vraie, bref quelque chose qui soit déjà posé, plutôt que de travailler à une création originale ?

C’est quand même plus facile de partir de quelque chose qui existe déjà, mais ce n’est pas simple pour autant, loin de là. Il faut bien repérer les éléments essentiels du roman, synthétiser tout ça, écarter ce qui n’est pas indispensable, traduire visuellement le plus d’informations possible, etc. De nos jours, on n’utilise quasiment plus les phylactères pour montrer ce que pensent les personnages, donc il faut trouver d’autres moyens pour exprimer cela… Il y a tout un travail de recherche de documentation également, cela prend pas mal de temps.

 

As-tu déjà en tête le calendrier des prochains tomes ? Leur parution sera-t-elle fonction du succès de celui-ci ?

En principe le but est de sortir un album par an. Sauf gros contre-temps imprévu, le second tome sortira donc en octobre 2024, et ainsi de suite. Comme toujours et comme pour tous les projets, si jamais les albums ne se vendent vraiment pas, ou se vendent très mal, on ne peut théoriquement pas exclure totalement un arrêt prématuré de la série, mais cela semble quand même extrêmement improbable vu le renom du roman et notre engagement à en faire une excellente adaptation.

 

Dans ce premier tome, on est pleinement immergé dans cette Angleterre du XIIème siècle en proie à une crise dynastique, où les pauvres crèvent de faim quand ils n’ont pas de travail (il y a une séquence doublement déchirante au début du livre, tu l’as évoquée plus haut), où les hommes d’Église prient, pour les plus humbles, ou font de la politique, pour les plus ambitieux, et où les nobles complotent. Il ne fait pas rêver, ce tableau médiéval, n’en déplaise à tous ceux qui s’extasient sur ce que l’époque aurait eu de "chevaleresque"... Est-ce que dans ta manière de présenter le récit, il y a eu aussi une volonté de poser un paysage, une atmosphère ?

Ce qui m’avait frappé dans le roman en tous cas, dès le début, c’est la très grande violence du Moyen Âge. Lorsque Tom le bâtisseur doit traverser une forêt avec sa famille, ils se font voler leur cochon, qui est littéralement leur seule richesse. Des hommes sont prêts à tuer pour le voler, et Tom est prêt à tuer pour le récupérer  ! J’aime beaucoup cette première scène car on comprend ainsi directement que les personnages peuvent mourir à tout moment. C’était une époque ou une mauvaise rencontre dans un lieu isolé pouvait très vite mal tourner.

Il y a aussi l’extrême précarité dans laquelle se trouvaient bon nombre de petites gens. Ça les rend encore plus vulnérables. Tom et sa famille n’ont même pas de toit sous lequel s’abriter au début, et ils risquent carrément de mourir de faim.

J’ai voulu transposer cette ambiance dans la BD. On n’est pas dans un Moyen Âge romantique  : on est dans une époque où l’on peut mourir ou tuer pour un cochon  !

 

Perso LPDLT

Visuel fourni par Didier Swysen.

 

Vois-tu des ressemblances entre cette histoire-là, ce temps-là, et notre époque à nous ?

Je n’y ai pas trop réfléchi. Tout a changé entre nos deux époques, mais d’un autre côté il y a toujours de nos jours des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des énormes écarts de richesse… Et malheureusement parfois une certaine forme d’obscurantisme qui revient en force.

 

Si tu devais poser un focus sur un des personnages, un de ceux sur lesquels tu aurais particulièrement aimé travailler, quel serait-il ?

Je trouve justement qu’une des forces de ce roman, c’est que tous les personnages sont vraiment intéressants, ou en tous cas un grand nombre d’entre eux. Jack, Tom, Ellen, Aliena, Philipp, William, Waleran, etc., ils vivent tous  ! Mais si je devais n’en choisir qu’un, je pense que mon choix se porterait sur Tom. Il rêve de créer une cathédrale, une œuvre tellement belle et puissante qu’elle lui survive. Je pense que cet aspect là parle forcément à tous les auteurs  !

 

Tu publies beaucoup chez Glénat, je ne ferai à personne l’offense de rappeler, encore, que c’est aussi chez eux qu’est sorti La Bombe. Qu’est-ce qui fait la force de cette maison s’agissant de la BD ? Les sens-tu désormais pleinement réceptifs à toute idée de thème qui viendrait de toi ?

C’est clair que La Bombe a été (et est toujours, d’ailleurs) un très beau succès dont tout le monde est fier. Nous les auteurs bien évidemment, mais aussi les différentes personnes qui travaillent chez l’éditeur, Glénat en l’occurrence. C’est une très belle maison d’édition, qui a publié de grands classiques de la BD (Les maîtres de l’Orge, Les Sept Vies de l’épervier, Balade au bout du monde, etc). Je m’entends vraiment très bien avec Franck Marguin, l’éditeur qui a suivi La Bombe, mais aussi avec Benoît Cousin, qui suit Les Piliers. J’avais d’excellentes relations avec Jean Paciulli, l’ancien directeur général, et j’ai également un très bon contact avec Benoît Pollet, son successeur. Idem avec Marion Glénat, la big boss. Tout se passe très bien avec eux.

Mais j’ai aussi des bons contacts avec pas mal d’autres personnes dans plusieurs maisons d’édition. Dans les mois qui viennent, je vais d’ailleurs également publier chez Dupuis, Bamboo, et Delcourt.

 

Si tu devais écrire le petit post it des libraires qui donne envie de lire un ouvrage, qu’écrirais-tu pour inciter les lecteurs à lire ta BD des Piliers de la Terre ?

Le roman culte de Ken Follett enfin adapté en BD ! Un maître bâtisseur rêve de construire la plus belle cathédrale de son époque, mais se trouve plongé dans des luttes de pouvoir et des intrigues qui menacent tant la royauté que l’Église  ! Aventure, mystère, passion, amour, et des dessins à couper le souffle  : il y a tout ce qu’on aime dans cet album  !

 

La Bombe collector

 

Ça donne envie ! Je reviens sur La Bombe : est-ce qu’avec le succès considérable du Oppenheimer de Christopher Nolan au cinéma, vous avez perçu, en Francophonie comme ailleurs où l’album vient d’être lancé, un frémissement au niveau des ventes ?

Oui, le film a clairement eu un impact. Les ventes mensuelles s’étaient stabilisées à un certain niveau, et en juillet et août elles ont triplé par rapport à ce niveau  !

On a eu aussi énormément de réactions sur les réseaux sociaux, avec des liens entre le film et notre album. Beaucoup de gens conseillaient de lire notre album avant de voir le film.

 

Y a-t-il des romans, des œuvres que tu rêves d’adapter en BD, que tu as dans un coin de la tête depuis longtemps ?

Je pense que de nombreux romans de Ken Follett feraient d’excellentes BD. Mais bon, on va d’abord faire notre maximum pour Les Piliers  !

 

Un dernier mot ?

Là je viens tout juste de valider l’édition «  collector  » de «  La Bombe  » qui sortira fin novembre, et je peux vous dire que ce sera vraiment un bel objet, avec pas moins de 50 pages de bonus en tous genre (crayonnés, scènes inédites, extraits de scénario, les coulisses de l’album,…). Ce sera vraiment un beau cadeau de fêtes de fin d’année  !

 

Alcante 2023

Réponses datées du 23 septembre 2023.

 

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28 octobre 2018

« L'Arabie saoudite, de puissance de statu quo à facteur de déstabilisation du Moyen-Orient », par Olivier Da Lage

La disparition du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, au début de ce mois, a provoqué dans les chancelleries de vives critiques, et quelques non moins vifs embarras, à mesure que s’établit la responsabilité du pouvoir saoudien dans cette affaire. Cible de tous les regards, le prince héritier déjà tout-puissant Mohammed ben Salmane, dit « MBS », 33 ans. Il y a onze mois, le journaliste de RFI spécialiste de la péninsule arabique Olivier Da Lage avait répondu à mes questions à propos de MBS et de la révolution de palais qu’il venait de mener, à la manière d’un Louis XIV en sa jeunesse. Il a accepté d’écrire pour Paroles d’Actu le présent article, qui pose un constat sévère quant aux politiques actuelles du royaume, et aux complaisances des uns, et des autres. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jamal Khashoggi

Portrait de Jamal Khashoggi. Photo © Jacquelyn Martin/AP/SIPA.

 

« Comment l’Arabie saoudite, puissance de statu quo,

est devenue un facteur de déstabilisation du Moyen-Orient. »

par Olivier Da Lage, le 27 octobre 2018

Depuis le 2 octobre et la disparition de Jamal Khashoggi au consulat général d’Arabie saoudite à Istanbul, le monde entier découvre, horrifié, quel personnage est vraiment Mohammed ben Salmane, dit MBS, le prince héritier saoudien.

Naguère encore, il était encensé par une grande partie des médias occidentaux comme le dirigeant réformateur qui allait moderniser au pas de charge son pays englué dans des pratiques moyenâgeuses.

Sur le plan économique, Mohammed ben Salmane devait sevrer le royaume de sa dépendance aux hydrocarbures, mettre au travail les Saoudiens en mettant fin à l’omniprésence de l’État dans l’économie et en développant le secteur privé, notamment en attirant les investisseurs étrangers et en privatisant 5 % du capital de Saudi Aramco.

Sur le plan social, ce jeune dirigeant d’à peine 33 ans se montrait en phase avec la jeunesse du pays (les moins de 30 ans représentent 60 % de la population d’Arabie saoudite) en mettant enfin un terme à l’interdiction de conduire des femmes, en ouvrant des salles de cinémas, en autorisant les concerts, etc.

Bref, Mohammed ben Salmane faisant entrer de plain-pied l’Arabie saoudite dans le XXIe siècle. Vu à travers le prisme des articles louangeurs décrivant les Douze travaux de cet Hercule des temps modernes, c’était en quelque sorte un Macron saoudien. Certes, avec des méthodes brutales que permet un régime absolutiste dans lequel toute opposition est légalement assimilée au terrorisme, mais, avec indulgence, les gazetiers séduits louaient son sens de l’efficacité plutôt que d’insister sur l’embastillement des opposants ainsi que des princes et hommes d’affaires susceptibles de lui faire de l’ombre.

Mais du coup, on s’interroge : comment ce jeune homme pressé de moderniser son pays et d’obtenir la reconnaissance internationale pour que les capitaux s’investissent dans le royaume a-t-il pu laisser faire (interprétation charitable) ou ordonner (interprétation plus vraisemblable) la torture et l’assassinat d’un dissident qui ne remettait même pas en cause le régime saoudien ?

La réponse est simple : parce qu’on l’y a encouragé. «  On  » étant d’une part son père, le roi Salman et d’autre part les principaux pays occidentaux, États-Unis en tête, suivis par le Royaume-Uni et la France.

Son père, qui dès son accession au trône en janvier 2015, l’a propulsé ministre de la Défense à l’âge de 29 ans, et a écarté l’un après l’autre tous ses rivaux potentiels jusqu’à en faire son prince héritier en juin 2017, est évidemment le principal responsable. Il n’est pas le seul.

 

MBS Trump et Kushner

M. ben Salmane, D. Trump et J. Kushner. Photo © Jonathan Ernst/Reuters.

 

Donald Trump, qui à l’évidence, a passé un pacte avec lui par l’intermédiaire de son gendre Jared Kushner dès avant l’élection présidentielle de novembre 2016, ainsi que l’ont révélé plusieurs enquêtes approfondies publiées ces derniers mois aux États-Unis, s’appuie sur lui dans sa politique anti-iranienne. Il compte sur l’Arabie pour soutenir les ventes d’armes américaines et pour garantir une production de pétrole suffisante pour que le gallon d’essence soit suffisamment bon marché pour son électorat. En échange, il a clairement dit dès son premier voyage à l’étranger qu’il a réservé à l’Arabie Saoudite en mai 2017 qu’il n’avait aucune intention de donner des leçons sur les droits de l’Homme.

Mais si la responsabilité de Trump est avérée dans le sentiment d’impunité que ressent MBS, la France et le Royaume-Uni ne sont pas exempts de reproches. L’une et l’autre vendent des armes au royaume qui, en dépit de ce que l’on affirme dans les cercles officiels, sont pour partie au moins utilisées par les Saoudiens au Yémen. Qui plus est, la France participe, par ses moyens satellitaires, à la sélection des cibles qui sont bombardées au Yémen par l’aviation saoudienne. Et lorsque – rarement – le Quai d’Orsay s’émeut de bavures particulièrement graves lors de bombardements qui ont provoqué de nombreuses victimes civiles yéménites, la compassion française pour les victimes ne va pas jusqu’à mentionner le nom du pays à l’origine des bombardements.

Pareillement, lorsque le 2 janvier 2016, le pouvoir saoudien a procédé à l’exécution d’opposants chiites dont certains n’avaient commis aucun acte de violence, parmi lesquels l’influent cheikh Nimr al Nimr, il a fallu attendre une journée complète pour que le porte-parole du Quai d’Orsay «  déplore profondément  » ces exécutions. Cette «  déploration  », cela mérite d’être précisé, n’a entraîné aucune conséquence et, en termes diplomatiques, n’est en rien l’équivalent d’une «  condamnation  », terme en revanche employé de façon routinière s’agissant de l’Iran ou du Nicaragua comme tout un chacun peut le constater à la lecture des communiqués du ministère des Affaires étrangères sur le site du Quai d’Orsay.

Comment s’étonner que Mohammed ben Salmane ait pu y voir autre chose qu’un alignement de feux verts placés sur sa route par les grandes puissances  ? On a voulu voir en lui ce prince moderniste qu’il affirme être sans écouter l’autre partie de son discours, celle dans laquelle, affirmant qu’il n’est pas le Mahatma Gandhi, il fait l’éloge de l’absolutisme comme garant de l’efficacité (déclarations à la presse américaine lors de sa tournée au printemps 2018).

Longtemps, l’Arabie saoudite a été considérée par les pays occidentaux comme une puissance de statu quo, un facteur de stabilité au Moyen-Orient. Au vu de l’expérience de ces quatre dernières années (guerre du Yémen, kidnapping du premier ministre libanais, blocus du Qatar, assassinat du Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul…), le moment est venu d’admettre que ce n’est plus le cas et d’en tirer les nécessaires conclusions.

 

« Le moment est venu d’admettre que l’Arabie saoudite

n’est plus un acteur de stabilité, et d’en tirer

les nécessaires conclusions... »

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage.

 

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10 novembre 2020

« Croire en l'Amérique, rassembler le peuple américain : le défi de Joe Biden », par P.-Y. Le Borgn'

Il y a une semaine tout juste, le peuple américain se mobilisait massivement pour élire son prochain président, après quatre années d’un règne Trump clivant et pour le moins controversé. La victoire du ticket démocrate formé par Joe Biden et Kamala Harris, incertaine pendant de longues heures, s’est révélée nette, tant sur le plan du vote populaire que du collège électoral, même si de son côté, l’actuel locataire de la Maison Blanche a également été gratifié de scores impressionnants.

Ce résultat, beaucoup de gens l’espéraient, notamment parmi les progressistes, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Biden le libéral modéré succédera à Trump, le conservateur revanchard. Une chance, peut-être, de panser un peu les plaies de la division, aujourd’hui très vives en Amérique ; une chance aussi de redonner toute sa place, et toutes ses responsabilités, sur la scène diplomatique, à la plus grande puissance mondiale.

Peu après la confirmation de la victoire de l’ex-vice-président d’Obama, j’ai souhaité proposer à Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer, par un texte inédit, son ressenti et ses espoirs suite à cette élection. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté mon invitation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - SPÉCIAL USA 2020

Joe Biden et Kamala Harris

Joe Biden et Kamala Harris, discours de victoire. Photo : Carolyn Kaster/AP.

 

Croire en l’Amérique, rassembler le peuple

américain : le défi de Joe Biden

par Pierre-Yves Le Borgn’, le 9 novembre 2020

Comme bien d’autres, j’ai suivi la nuit des élections américaines le nez collé aux sites du Washington Post et de CNN. J’aime profondément les États-Unis. J’ai eu la chance d’y travailler deux années au sortir des études. Cela reste un moment de vie fort pour moi, comme une période initiatique, dont je me souviens avec émotion. Les États-Unis me sont chers par leur histoire, celle de la liberté et du droit, et aussi par leur diversité humaine. Il y a une force, une volonté, un dynamisme aux États-Unis qui ne cessent de me toucher. C’est une partie du rêve américain. Mais la vie y est dure pour des millions de gens, confrontés à la pauvreté, aux injustices, à la faiblesse de la couverture sociale et à un racisme latent dont la mort tragique de George Floyd l’été dernier aura été la plus tragique et insupportable expression.

J’ai assisté par deux fois, à Washington, à la prestation de serment d’un président américain. La première fois, c’était en janvier 1997 pour le second mandat de Bill Clinton. La seconde fois fut en janvier 2009 pour le premier mandat de Barack Obama. J’avais envie de vivre, au milieu de la foule rassemblée dans le froid polaire de l’hiver américain, ce que ce moment de ferveur que l’on voit tous les quatre ans à la télévision, au chaud depuis chez nous, était vraiment. Je m’étais acheté un billet d’avion et j’étais parti là-bas exprès. C’était très émouvant, en particulier pour la prestation de serment de Barack Obama. Je l’avais raconté en 2016 sur mon blog. La solennité de l’instant m’avait impressionné. Le sentiment de vivre un moment d’histoire était immense. Je garde précieusement le petit bonnet Obama 2008 dont je m’étais couvert.

« Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme

dépourvu de scrupules, impulsif, menteur,

narcissique, raciste, misogyne et démagogue

ait pu présider au destin de ce pays... »

Je suis heureux et soulagé que Joe Biden l’ait emporté. Sa victoire est incontestable, même si elle a pris plusieurs jours à se dessiner. Par tempérament, par sensibilité politique également, tout m’incline à suivre le Parti démocrate. J’ai aussi des amis républicains. Je conçois volontiers que l’on puisse être conservateur par conviction, économiquement et socialement. Ce que je ne puis comprendre en revanche, c’est que ceci se double d’insensibilité et de cynisme revendiqué. Or, c’est précisément cette face-là que Donald Trump a affichée pendant 4 ans. Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme dépourvu de scrupules, impulsif, menteur, narcissique, raciste, misogyne et démagogue ait pu présider au destin de ce pays, semant le chaos, dressant les gens les uns contre les autres, vivant dans le déni de la tragédie sanitaire comme désormais du résultat même de l’élection.

Aux premières heures du 4 novembre, voyant filer la Floride vers Donald Trump, j’ai cru revivre, avec angoisse le scénario de 2016. Puis la prise en compte différée du vote anticipé, en fonction des législations des États concernés, a permis peu à peu de redresser la barre en faveur de Joe Biden, jusqu’à la victoire en Pennsylvanie samedi et le gain d’une majorité absolue dans le collège électoral. Cette élection a-t-elle été volée, comme le soutient Donald Trump  ? Absolument pas. Les électeurs, dans un contexte de pandémie, ont fait le choix du vote anticipé pour ne prendre aucun risque. Ils voulaient s’exprimer et les manœuvres dilatoires du président pour leur dénier le droit de voter ou la prise en compte de leur suffrage sont indignes. Cette élection rentrera dans l’histoire comme celle qui aura vu la plus forte participation électorale  avec près de 67%, preuve de l’enjeu et de sa perception.

Joe Biden sera sans doute élu avec 306 voix sur 538 dans le collège électoral. Dans le vote populaire, lorsque le dernier bulletin de vote aura été compté, son avance excédera 5 millions de voix. Jamais un candidat démocrate n’aura obtenu autant de suffrages. Mais jamais aussi un candidat républicain n’aura reçu autant de suffrages que Donald Trump. En 2020, même battu, il compte 7 millions de suffrages de plus qu’en 2016. Cela veut dire que le trumpisme, avec toutes ses outrances, y compris dans la libération de la parole de haine, a rencontré un écho dans le pays, en particulier dans les zones rurales à majorité blanche, dans les petites villes et dans les milieux évangéliques. Donald Trump est parvenu à balayer en 2020 plus encore qu’en 2016 la ligne traditionnelle du Parti républicain, certes conservatrice sur le droit à la vie ou le port d’arme, mais modérée sur d’autres aspects.

Il faudra à Joe Biden tout le talent d’une longue vie politique, en particulier au Congrès, pour rassembler un pays divisé comme jamais. Cette victoire est d’abord la sienne. Aucun autre candidat démocrate n’aurait pu l’emporter. Son empathie personnelle, la solidité de ses propositions au centre de la vie politique et une résilience sans faille face aux circonstances inédites de cette élection ont fait la différence. Mais s’il est parvenu à reconstruire le «  blue wall  » dans les États industriels du nord-est des États-Unis, ceux-là même que Donald Trump était parvenu à arracher à Hillary Clinton en 2016, il n’a pas pour autant retrouvé la coalition Obama de 2008 et 2012, en particulier le vote latino. Donald Trump est parvenu à capter le vote des électeurs d’origine cubaine en Floride. Et le score de Joe Biden au Nevada, y est en retrait par rapport à celui de Hillary Clinton il y a 4 ans.

Joe Biden comptera sur le soutien d’une Chambre des représentants où le Parti démocrate, bien qu’en retrait de quelques sièges, reste majoritaire. Au Sénat en revanche, malgré les deux seconds tours en janvier en Géorgie, le Parti républicain devrait garder la main. Cela veut dire qu’il n’y aura d’issue que dans des «  deals  ». Ce sera jouable si la volonté de part et d’autre existe de placer le pays et son intérêt supérieur devant la politique partisane. Les circonstances le requièrent. Le rassemblement voulu par Joe Biden et la volonté de prendre en compte la parole du camp d’en face doivent y conduire. À supposer qu’une part des sénateurs républicains et autres candidats putatifs à l’élection de 2024, déjà dans certaines têtes, ait le courage de s’affranchir de l’ombre probablement bruyante de Donald Trump pour sortir avec le président Biden les États-Unis de la crise économique et sanitaire.

En appeler au patriotisme et au dépassement est le chemin que prendra Joe Biden. Là où Donald Trump n’agissait que pour son camp, Joe Biden s’adresse à tous les Américains. À l’évidence, la maîtrise de la pandémie sera sa première priorité, en particulier par le dépistage généralisé et l’accès de tous au vaccin lorsqu’il sera disponible. En parallèle viendra la relance de l’économie américaine par un plan inédit de dépenses publiques et d’investissements dans des secteurs comme l’école, les infrastructures, les programmes sociaux ou encore les énergies renouvelables. Le salaire minimal sera doublé à l’échelle fédérale. Le plan de relance visera aussi à réduire la fracture raciale et les écarts de revenus. Prolongeant l’Obama Care, un assurance santé sera mise en place au profit des quelque 28 millions d’Américains privés aujourd’hui encore de couverture maladie.

Pour nous, Européens, l’action internationale de l’administration Biden sera essentielle. Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et dans l’ensemble des organisations multilatérales abandonnées ou malmenées durant le mandat de Donald Trump. De cette Amérique-là, active et engagée, nous avons tant besoin. Pour autant, Joe Biden restera vigilant quant à la défense des intérêts américains, en particulier en termes commerciaux, et il est à prévoir que la position des États-Unis en relation à la Chine, mais également à l’Union européenne ne changera pas considérablement de ce point de vue. C’est pour cela qu’il ne faut pas surinterpréter non plus le réengagement américain sur la scène internationale. Mais une Amérique empathique, qui joue le jeu et qui reparle en bien au monde, ce sera déjà un pas considérable face aux défis de notre temps.

« En 2016, brisé par la douleur causée

par le décès de son fils, il avait renoncé.

En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé,

et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. »

Au bout d’une vie publique de près d’un demi-siècle, Joe Biden deviendra le 20 janvier 2021 le 46ème président des États-Unis. Il fut un sénateur respecté et un vice-président déterminant durant les deux mandats de Barack Obama. La vie publique est faite de hauts, de bas, de longueurs, d’espoirs entretenus et déçus, de drames aussi. J’avais été bouleversé par le livre écrit par Joe Biden après la mort de son fils Beau, Attorney General du Delaware. Son titre est «  Promise me, Dad  ». La promesse qu’attendait son fils, c’est que son père tente une dernière fois de conquérir la Maison Blanche. En 2016, brisé par la douleur, il avait renoncé. En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé, et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. Ne jamais renoncer, croire en l’Amérique, rassembler le peuple américain. C’est à Joe Biden désormais qu’il appartient d’écrire la suite de l’histoire.

 

Pierre-Yves Le Borgn' Biden

  

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20 décembre 2020

« Nous avons un vaccin contre le complotisme et il s'appelle l'éducation », par N. Florens et R. Benier-Rollet

Alors que les vaccins destinés à lutter contre la pandémie de Covid-19 commencent à être déployés massivement dans le monde, les sondages indiquent, et ce n’est pas vraiment une surprise, une frilosité notable des Français face à la perspective de se faire vacciner. En cause, de mauvais souvenirs liés à de récents scandales sanitaires, mais aussi une défiance alimentée par une somme de données, scientifiques ou non, circulant librement, sans garde-fou, sur internet.

Mi-novembre, j’ai proposé à Nans Florens, néphrologue et co-animateur de la chaîne YouTube de vulgarisation médicale Doc’n’roll, une tribune libre par rapport aux débats autour de la vaccination. Le 16 décembre, son texte, coécrit avec son complice de Doc’n’roll Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral, me parvenait. Un manifeste puissant dans lequel ils incitent les citoyens à se saisir des questions scientifiques et médicales en faisant fonctionner leur arme la plus redoutable face à toutes les désinformations : leur esprit critique. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Nous avons un vaccin contre le complotisme

et il s’appelle l’éducation. »

par Nans Florens et Renaud Benier-Rollet, le 16 décembre 2020

Nous sommes fin 2020 et deux sociétés pharmaceutiques ont annoncé avoir d’excellents résultats avec leurs vaccins contre la COVID-19. C’est une excellente nouvelle pour tous le monde. Même si nous sommes loin de pouvoir vacciner la terre entière, il est sûr que nous avons franchi là un pas certain dans la lutte contre cette pandémie.

Il est inutile de rappeler que la vaccination reste probablement la clé de la victoire contre le virus car aucun traitement efficace n’existe à ce jour, tant préventif que curatif.

Mais au-delà de la pandémie de COVID-19, il semble que nous ayons à lutter contre un second virus : le complotisme. Comme un virus dormant, il a infecté depuis longtemps quelques patients çà et là. Avant les réseaux sociaux, sa contagiosité était limitée à la porte de quelques lieux de vie comme les bars ou dans les conversations privées. Puis il a gagné petit à petit les quartiers bourgeois et populaires. La contagiosité de ces personnes était historiquement limitée, infectant des personnes déjà fragilisées par la défiance et l’angoisse de ne n’avoir aucune emprise sur le monde qui les entoure. Les personnes infectées sont facilement reconnaissables car elles profèrent des propos anti-vaccination parsemés de divers mots clés comme 5G, Bill Gates ou encore nanoparticules. Puis le virus a commencé à muter et les symptômes se sont enrichis avec la remise en question de la forme de la terre, du bien fondé de certains traitements ou encore de l’existence d’une société secrète nommée Nouvel Ordre mondial. Ce virus continue de muter continuellement, et de nouveaux symptômes sont décrits de jour en jour. Là où il y aura besoin d’analyse et d’expertise, de rationalité et d’esprit critique, il y aura toujours la place pour la simplicité du complot.

 

« Le virus du complotisme agit sur la sensation

de bien-être, il instille à son hôte l’intime conviction

de détenir une vérité cachée qui le propulse

immédiatement au rang de «  sachant  » et le sort

de son quotidien rythmée par l’ennui et l’ignorance. »

 

On ne connaissait pas d’hôte intermédiaire au virus avant l’avènement des réseaux sociaux. Ils sont au virus du complotisme, ce que le rat était à la peste  : un amplificateur de contagion, un exhausteur de pandémie. En effet, si la personne infectée par le complotisme est en contact avec un réseau social, elle augmente sa contagion, propage des clusters, déclenche une vague. Le pire avec le virus du complotisme, c’est sans doute la co-infection avec d’autres épidémies. Avec la pandémie H1N1 de 2009 ou avec la COVID-19, le virus du complotisme prospère. Il se renforce et devient dangereusement résistant à son antidote naturel  : la raison. Car une des caractéristiques du virus du complotisme qui traverse les âges, c’est bien celle de subtilement mélanger réalité et fiction dans un équilibre qui permet de faire basculer le plus grand nombre. Avec la découverte de la capacité décuplée de contagion de ce virus par les réseaux sociaux, certains ont commencé à l’utiliser à des fins personnelles. Tantôt pour s’enrichir en vendant des livres, des conférences, des séminaires, tantôt pour gagner du pouvoir comme devenir président de la première puissance mondiale, tantôt pour assouvir leurs pulsions gouroutiques mégalomaniaques. Derrière chaque épidémie, il y toujours quelqu’un à qui profite le crime. Certes, dans la pandémie de COVID-19, certaines compagnies pharmaceutiques vont gagner de l’argent. Mais ce sera en ayant proposé des solutions à un problème mondial qui gangrène nos relations humaines, tue nos proches et paralyse nos économies  ; le bénéfice pour l’humanité est donc énorme. Pour le virus du complotisme, ceux qui s’enrichissent le font toujours pour leur propre compte, et il n’y a jamais de retombées pour les autres, sinon négatives. Certains éminents spécialistes des maladies infectieuses ont aussi bien étudié ce virus. Ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient l’utiliser à des fins personnelles afin de garder leur aura démesurée une fois l’heure de la retraite sonnée. Ils sont même devenus des pointures dans le monde du complotisme appliqué à la maladie de Lyme ou encore du traitement de la COVID-19. S’il profite réellement à l’enrichissement de certains, il a aussi la vertu de donner un peu de contenance et de limiter l’angoisse d’une existence insignifiante pour le plus grand nombre. Quoi de plus angoissant que d’être emporté dans le courant de la pensée mainstream  ? Quoi de plus angoissant que de ne pas comprendre la complexité du monde  ? Le virus du complotisme agit sur la sensation de bien-être, il instille à son hôte l’intime conviction de détenir une vérité cachée qui le propulse immédiatement au rang de «  sachant  » et le sort de son quotidien rythmée par l’ennui et l’ignorance. Le virus a ainsi la capacité d’annihiler à l’intérieur de son hôte les principes fondamentaux du doute, de la modestie et de la rationalité. Il va les remplacer par cette profonde capacité à affirmer des vérités en se basant sur une lecture biaisée de la réalité (principe de cherry-picking), ou par cette capacité à tenir la controverse face à des spécialistes avérés, moyennant une connaissance plus que lacunaire (ultracrépidarianisme). La forme ultime de l’infection au virus du complotisme donne à la personne infectée l’impossibilité d’avoir tort, utilisant volontiers l’argument de l’existence de plusieurs vérités parallèles ou encore de la décrédibilisation en affirmant l’allégeance des experts à des entités nourricières ésotériques comme Big Pharma ou le Nouvel Ordre mondial.

Pourtant le remède contre le virus du complotisme est ancien, c’est la science, la science des faits. En effet, la plupart des théories du complot sont absurdes et parfois cocasses. Elles ne résistent souvent pas à une démonstration scientifique raisonnée et pondérée. Par exemple, le principe philosophique du rasoir d’Ockham nous impose de tester l’hypothèse la plus simple car c’est souvent la plus probable. Avec ce principe, le vaccin contre le COVID est plus enclin à servir de remède contre la pandémie plutôt que de vecteur de nanoparticules activées par la 5G pour contrôler nos pensées. Ou encore, que les traînées de fumées blanches que laissent les avions dans leur sillage sont le fruit de la condensation de la vapeur d’eau produite par le moteur plutôt que l’épandage massif de substances stérilisatrices ou de test d’armes chimiques…

 

« Pourquoi le virus du complotisme continue-t-il d’infecter

de plus en plus de personnes ? Il semble que son hôte

intermédiaire de contagion, #lesréseauxsociaux, ait entraîné

une mutation constitutionnelle du virus le rendant

imperméable à son remède ancestral, la science des faits. »

 

Mais alors pourquoi le virus continue-t-il d’infecter de plus en plus de personnes ? Il semble que son hôte intermédiaire de contagion, #lesréseauxsociaux, ait entraîné une mutation constitutionnelle du virus le rendant imperméable à son remède ancestral, la science des faits. L’expertise acquise par la voie académique n’a plus de valeur, comme un antibiotique désuet, elle est aussi dangereuse pour le virus qu’une mouche pour un éléphant. L’ensemble de la communauté scientifique est unanime, durant la pandémie de COVID-19, nous avons perdu une bataille majeure contre le virus du complotisme. Avec des délires orchestrés à la sauce holywoodienne comme Hold-Up, des personnalités politiques et académiques en roue-libre, des talk-shows sur des chaînes d’information continues dont la vacuité intellectuelle des intervenants atteint chaque jour des sommets, le virus a prospéré. Nous sommes maintenant en France, le pays le plus réticent à la vaccination contre le COVID-19 (lire : article). 60% ne veulent pas faire confiance à des traitements ayant passé, certes de façon plus rapide que la normale, toutes les étapes rigoureuses et contrôlées du développement médicamenteux (voir : vidéo). 60% c’est aussi la proportion de Français qui pensaient en avril 2020 que l’hydroxychloroquine était efficace et qui étaient prêt à prendre ce traitement sans la moindre preuve d’efficacité ni même donnée sur son inocuité dans cette indication (lire : article).

Alors, comme pour chaque maladie infectieuse, le meilleur traitement reste de ne pas développer la maladie, car une fois installée, elle peut ne pas être réversible. C’est pour ça qu’il faut trouver le vaccin contre le virus du complotisme.

Et ce vaccin existe, il s’appelle l’éducation.

Le monde a changé, le complotisme aussi. L’avènement des réseaux sociaux a libéré la parole de chacun, a donné tribune à qui la prenait. Au grand dam du contenu, la forme y est souvent privilégiée. On trouve ainsi de nombreux récits, vidéos, témoignages, articles pseudo-scientifiques, groupes, pages dont les propos sont faux, non sourcés et manipulateurs. Pourquoi  ? Ou plutôt pour qui  ? Là encore, ceux qui dénoncent des manipulations à grande échelle, le font souvent pour agrandir leur petite échelle. À côté de chaque théorie conspirationniste, on ne trouve jamais loin le livre à 20€, la conférence payante, la méthode clé-en-main, l’association, la campagne de crowdfunding ou une façon de faire du buzz… Alors que souvent, les explications censées sont souvent gratuites et désintéressées, faites par des experts dans le cadre de leur fonction professionnelle ou bénévolement sur leur temps libre (voir : post). Et de l’énergie, il en faut pour expliquer en quoi ces théories sont fumeuses. C’est ce que l’on appelle le débunkage. Mais celui-ci prend beaucoup plus de temps qu’il n’en a jamais fallu pour générer une idée complotiste  ; c’est ce que l’on appelle la loi de Brandolini ou le principe d’asymétrie des idioties (voir : visuel).

 

« Le savoir n’est pas la propriété des élites et des experts,

au contraire. Et c’est le rôle des experts de le rendre

accessible. La pédagogie n’est pas une option, elle est la clé. »

 

Le virus du complotisme profite de la défiance des élites, des scandales financiers et sanitaires qui se jouent dans les hautes sphères du pouvoir politique et scientifique pour s’immiscer dans les esprits les plus résistants. Car oui, on ne peut pas dire que nous, les «  experts  », nous ne soyons pas à l’origine de l’immunodépression ciblée de la population face au virus du complotisme. Les conflits d’intérêts, le manque de transparence, la désertion de certaines élites académiques dans leur fonction primaire qu’est la production et la diffusion du savoir. Car oui, les experts et les élites n’inspirent plus le respect, ni même la confiance. Elles cristallisent un système dépassée, basé sur le pouvoir hiérarchique descendant, sans empathie, sans considération pour son prochain. C’est aussi ça le berceau du virus, la frustration. Pourquoi continuer à donner la parole à une génération d’élites, incapables de parler aux générations les plus jeunes  ? Pourquoi continuer à essayer de combattre un virus 2.0 avec des gourdins du Moyen-Âge  ? Quelle personne censée n’aurait pas envie de rejeter un système dans lequel il est ouvertement considéré comme un abruti incapable de réfléchir  ? Le virus se nourrit de cette frustration de n’avoir pas voix au chapitre sous prétexte que l’on ne sait pas. Le complotisme donne l’occasion d’acquérir du savoir, en le réécrivant à son niveau, avec ses mots, avec sa logique. De sortir du mépris de classe, en en créant une nouvelle. Une classe qui émancipe ses camarades de la dictature nécessaire de la rigueur qu’impose la construction de la connaissance. Mais c’est l’échec de ceux qui en détiennent un fragment, de la connaissance, car le savoir n’est pas la propriété des élites et des experts, au contraire. Il doit redevenir la propriété de tous, adaptés à la lecture de chacun. Et c’est le rôle des experts de le rendre accessible. La pédagogie n’est pas une option, elle est la clé.

Lutter contre le virus du complotisme demande à la fois d’avoir une réponse coordonnée comprenant dans un premier temps des mesures barrières que sont l’intégrité et l’humilité des experts. Il faut écouter, comprendre les doutes, expliquer les zones d’ombre, ne jamais mépriser et toujours se mettre au niveau de son auditoire. Puis il faut ajouter à cela une vaccination efficace par l’éducation. Repartir de la base et ce dès le plus jeune âge.

Des outils pour douter  ?

 

« Il faut sortir d’une société de faits construits

et présentés comme une réalité et aller

vers une société de doute, d’esprit critique. »

 

Il faut sortir d’une société de faits construits et présentés comme une réalité et aller vers une société de doute, d’esprit critique. Il faut expliquer aux enfants que la perception qu’ils ont du monde est partielle car conditionnée par leur vécu et celui de leur entourage. On ne voit pas du même œil les grands faits historiques ou de société que l’on grandisse à Bamako ou à Paris. On ne raconte pas l’histoire de l’humanité de la même façon au Japon qu’en France. Tout est question de perception. Il en va de la notion philosophique de la vérité, celle qui définit la vérité comme l’image de la réalité. La vérité est unique mais les perceptions de la réalité sont multiples. La vérité est à différencier de la connaissance, qui par définition permet d’apporter des faits à la construction de la vérité. Il faut donc permettre à chacun d’avoir les capacités de comprendre comment se construit la connaissance, celle qui permet de relier les faits à la réalité et donc à la vérité. La construction de la connaissance doit se faire dans un raisonnement pragmatique et scientifique. Le pragmatisme doit nous faire accepter que la réalité est complexe et pour la décrypter, il est normal d’explorer plusieurs hypothèses. Ces hypothèses doivent être démontrées ou réfutées et les moyens pour y parvenir doivent eux aussi, être critiqués. Ainsi, dans le monde scientifique, il existe un éventail d’outils nous permettant d’affirmer avec plus ou moins de certitude que ce que nous observons comme un fait est solide, c’est ce que l’on appelle le niveau de preuve (voir : vidéo). Souvent, il se base sur des modèles statistiques complexes qui permettent d’évaluer si la différence que l’on observe par exemple entre l’efficacité d’un médicament par rapport à un placebo, ou de l’effet du tabac sur la mortalité, ne peut pas simplement être dû au hasard. Ainsi, on va déterminer un niveau de risque pour lequel on admet que les faits sont vrais et qu’ils ont de grande chance de ne pas être simplement dû au fruit du hasard  : cet outil est souvent exprimé par une valeur, le p. Dans la plupart de la science, on accepte un p inférieur à 0.05 soit moins de 5 chances sur 100 que ce que l’on observe soit lié au hasard. Ce seuil est critiqué par certains qui milite pour un seuil plus bas (à 0.01 par exemple). Le simple fait de faire varier ce seuil dans un sens ou dans l’autre (de 0.05 à 0.10 ou à 0.01) suffirait à réécrire l’ensemble de ce que l’on considère comme la science des faits. Il faut donc savoir que notre perception de ce qu’est la réalité reste une interprétation qui doit être remise en question et dont les résultats doivent être consolidées par plusieurs sources. Car oui, bien que le seuil de 0.05 laisse un peu de place au hasard, il est tout à fait possible de limiter cet effet en répétant l’observation dans des conditions différentes, à des moments différents, sur des populations différentes. Mais la répétition des expériences peut être aussi source de confusion. Effectivement, si l’on admet que l’on a tort dans 5% des cas, en répétant l’expérience 100 fois, il y aura au moins 5 fois ou le résultat sera différent. Il est donc totalement idiot d’affirmer une réalité basée sur une seule observation car celle-ci peut être biaisée (cf cherry-picking). Mais parfois, un certain nombre d’observations vont dans le même sens, alors sont-elles exactes pour autant  ? Pour le savoir, il ne faut pas juger l’outil de confirmation de la différence mais questionner les conditions d’expériences. Ces questionnements appellent des notions comme la différence entre la causalité et la corrélation. Deux évènements peuvent être corrélés, comme le nombre de films dans lesquels Nicolas Cage apparaît et le nombre de noyades dans les piscines aux USA (lire : article) sans pour autant avoir un lien de cause à effet. Il est donc facile de corréler des évènements les uns aux autres (voir : générateur de corrélation aléatoire) mais affirmer leur causalité demande d’effacer tous les facteurs intermédiaires et confondants qui mènent à cette corrélation. Ainsi, le fait de que le nombre d’homicides par balles soit relié à la vente de glaces ne vient pas du fait que les glaces poussent les gens à commettre des meurtres mais que l’été, saison où se vend le plus de glaces, soit la période où le plus d’homicides sont perpétrés. Ce facteur, ici l’été, est donc un facteur confondant…

Ainsi, en adaptant ces messages à l’auditoire, on peut armer nos générations futures à décrypter le monde, à sortir de l’influence des réseaux ou en tout cas à la critiquer sans s’en affranchir totalement. Enseignons la zététique (l’art du doute, ndlr) et ses principes fondamentaux, faisons des ateliers de fact-checking, ré-apprenons à lire des articles de presse et des posts sur les réseaux. Remettons en doute ce que l’on nous enseigne comme la vérité, en réclamant des faits, des chiffres, des sources, constamment, tout le temps, et pour toujours.

 

« Combattons avec chacun nos armes : la science,

l’humour, la plume, la caméra… »

 

Combattons avec chacun nos armes : la science, l’humour, la plume, la caméra… Soyons sincères et transparents dans notre démarche. Restons concentrés et combatifs, calmes et déterminés. Combattre le complotisme, avec de la pugnacité  ? Parfois.

Avec de la rigueur, toujours.

 

Il faut douter tant que l’on ignore. Mirabeau

 

Nans Florens et Renaud Benier-Rollet

Renaud Benier-Rollet et Nans Florens, deux docs en pleine séance rock.

  

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18 mai 2020

« Un certain regard sur le confinement », par Christine Taieb

Il y a quelques jours, dans le prolongement de mes articles sur la crise sanitaire du Covid-19, j’ai eu envie de donner la parole, pour une tribune libre autour du confinement, à Christine Taieb, une femme dynamique et inspirante. Rencontrée à l’occasion d’un reportage sur les cours de l’infatigable Véronique de Villèle, dont elle est une élève, j’ai eu la joie de publier une première fois un de ses textes, une déclaration d’amour faite au sport, pas celui qu’on pratique comme compétiteur, mais pour se faire du bien, et se faire plaisir. En ce contexte bien particulier, elle a accepté, à nouveau, de me livrer cet écrit dans lequel elle raconte son confinement. Inspirant, oui. Merci Christine ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

C

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Un certain regard sur le confinement »

par Christine Taieb, le 17 mai 2020

 

Aucun dîner en ville n’échappera à la question : « Ce confinement … c’était comment ? »

Pour me préparer à répondre avec lucidité, je me place sous l’angle de ma vie sportive. L’activité physique, depuis l’âge de 4 ans, est une composante indispensable de mon équilibre de vie. Elle est l’amie, fidèle et nécessaire, qui m’aide à conduire, avec plaisir et sagesse, d’autres centres d’intérêt.

Sur fond de pratique de la danse, et sa barre au sol (clin d’œil aux excellents cours de Véronique de Villèle !), base de la souplesse, l’équilibre et l’exigence de la régularité, je varie les activités pédestres, lentement mais sûrement… et pas seulement depuis le 17 mars 2020 !

Une bonne santé et celle de mes proches, un cadre de vie agréable au milieu de la chlorophylle et des chants d’oiseaux, un temps ensoleillé, une solide ligne internet pour échanger sans limite et pas de risque économique : ce décor planté, place est donnée pour ce rendez-vous imposé avec moi-même. Comment gérer mes envies et maintenir mon entraînement ?

Les mois précédant la crise sanitaire, j’ai fait un généreux plein de voyages, souvent sportifs : bénévole sur un raid au Vietnam, finisher du marathon de New-York puis du marathon-trail d’Angkor au Cambodge, et tout juste de retour d’un trek dans le désert algérien. Des images somptueuses, de belles sensations et rencontres en tête. Le programme de l’année s’annonçait tout aussi dense...

Je revisite, avec autant de surprises que de confortations, un premier bilan de mes 55 jours de confinement.

La première surprise : je relativise sans regret les annulations successives des événements sportifs pour lesquels je suis inscrite et entraînée. Pas de crève-cœur pour cette privation momentanée.

Je détourne la situation avec humour. Par exemple : je devais gravir 14.500 marches sur le Trail de la Muraille de Chine en mai. Pas de soucis : j’investis les 6 niveaux de mon immeuble en grimpant 852 étages sur 6 jours, soit 14.484 marches. Je ne vois pas la place Tien an Men. Mais la sueur et le goût du challenge et de la dérision restent au rendez-vous, consciente que pour de vrais pros, ce n’est pas une performance !

 

C

 

L’offre de coaching sportif en tout genre se déchaîne sur la toile. Aucune excuse de ne pas trouver des visios à sa convenance. Immense remerciement au passage à tous ceux/celles qui les ont animées avec talent et assiduité. La famille du sport est au rendez-vous. Je suis fière et amusée d’en faire partie.

Que restera-t-il des élans pour le yoga ou la méditation ? Tout comme le tennis après la victoire de Noah à Roland Garros en 83 ? Ou le foot au féminin après la victoire des Bleus en coupe du monde en 98 ? Peu importe : je retiens la généreuse motivation et l’heureuse contagion.

Le principe des courses virtuelles se multiplie : courir seule pour une cause solidaire est un bonheur qui valorise chaque enjambée. Les kilomètres parcourus, toujours dans le respect des règles de confinement bien sûr, prennent une saveur particulière, avec le sentiment de faire partie de la grande famille du cœur.

Bonne nouvelle : Je ne suis donc pas enfermée dans une addiction au sport. Je n’ai pas besoin d’un dossard ou d’un serre-file pour apprécier l’effort et ses bienfaits.

« Je vis ce confinement comme

une forme de retraite spirituelle... »

Mes pensées fourmillent d’autres constats :

  • Dès le 17 mars, un profond sentiment de liberté, d’agir à ma façon, à mon moment. Est-ce contradictoire avec les limitations à 1h et 1 km ? Non pas, lorsque l’on aborde cette possibilité comme un cadeau et non une contrainte. Cette liberté intérieure préexistait, le confinement la révèle. Les philosophes se sont savamment exprimés sur le thème de la liberté. Pour ma part, me satisfaire de ce que je possède, sans courir après des chimères et des performances, contribue à garder le sourire.
     
  • Ce temps libre et imprévu offre du recul sur mon parcours sportif dont je dresse un bilan amusé. Mon arbre à médailles reflète des temps forts d’émotions, de souffrance dans la froidure ou sous la canicule, de larmes de joie aux arrivées, de challenges improbables et de belles amitiés naissantes.
     
  • Je ne connais pas l’ennui. D’une envie à l’autre et d’une activité à l’autre, le regard rivé sur le ciel souvent bleu, chaque jour permet de solliciter mes muscles : running, vélo, yoga ou montée de marches… la palette est large, certes dans le respect des règles de confinement. Réduit à 1 heure, l’entraînement laisse la place à mille autres activités. Lecture, écriture, couture, cuisine, gammes au piano, perfectionnement de mon feng shui ou d’interminables conversations avec famille et amis prennent le relai.
     
  • Cette phase de confinement présente une similitude avec le passage à la retraite, que j’apprécie depuis près de dix ans. Ma morale de l’histoire est que l’on ne change pas. Flegmatique, curieux, craintif, engagé, solidaire ou solitaire avant ? On le reste après ! Dans ma catégorie « énergie », voire « grain de folie » pour les intimes, ce temps-cadeau, me permet de nourrir des échanges avec d’authentiques amis, et de partager sur de nouveaux projets sportifs.
     
  • L’élan de générosité pour aider ceux/celles qui maintiennent la vie possible m’émeut. Très modestement, préparer des gâteaux pour les hôpitaux, taper sur ma casserole à 20h pour inviter le voisinage à célébrer les soignants, sont des marqueurs de solidarité. Certains disent : actions dérisoires / inappropriées ? Je leur oppose ma joie devant ces manifestations fraternelles de cohésion, au sein d’une population qui s’ignorait auparavant. L’inventivité de l’homme est sans limite et c’est heureux. L’isolement n’est pas solitude. Pour preuve, toutes les courses virtuelles qui se sont développées pour soutenir de belles causes.
     
  • Au final, je vis ce confinement comme une forme de retraite spirituelle, à l’image des séjours réguliers que je m’accorde depuis plus de 20 ans dans le désert saharien, en réfléchissant à ma vie personnelle. Chaque retour rend plus riche et confiante, déterminée face à mes choix, sportifs ou non, pour ne pas m’engager par clonage, ni le solliciter.

 

Avec des si…

Si un éditeur me demande de rédiger le petit manuel d’une confinée heureuse, je l’intitulerais « 55 façons de vivre un confinement confiant de 55 jours ».
 
Si le méchant Covid 19 veut tester ma patience, il mesure ma sérénité, et s’il veut déclencher ma peur, il se heurte à ma confiance.

 
Si le sport est porteur des valeurs auxquelles j’adhère, dont la solidarité, le goût de l’effort et de l’engagement, le confinement est un révélateur de ces mêmes valeurs.

 
Si le goût pour les dossards en compétition s’estompe à l’approche de mes 70 ans, c’est en toute sérénité, pour en garder l’ADN du partage.

 
Et si, j’aborde le monde d’après, déterminée à maintenir le sport comme un outil accessible à tous et à tous âges pour préserver bien-être et santé, c’est pour le partager avec enthousiasme … même avec des gestes barrières. Croyez-moi : cumuler mon fidèle buff sur la tête, les lunettes de soleil et mon masque : c’est déjà du sport !

 

C

 

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8 avril 2024

Frédéric Quinonero : « Il y aura beaucoup de larmes aux adieux de Sylvie Vartan... »

Lors de mon interview du mois dernier avec Jacques Rouveyrollis, « magicien » des lumières pour nombre des plus grands, a rendu hommage à celles et ceux qui ont croisé sa route - route qui d’ailleurs se prolonge pour le plaisir de tous. Parmi eux, une artiste, une femme qu’il appelle invariablement son « porte-bonheur », Sylvie Vartan - il l’accompagnera d’ailleurs pour sa tournée d’adieux qui débutera cet automne.

 

C’est justement d’elle dont il sera question aujourd’hui, puisque le biographe Frédéric Quinonero, fidèle de Paroles d’Actu, vient de consacrer à Sylvie Vartan une bio complète et touchante, empreinte de sa part d’une tendresse, d’une nostalgie qui renvoient à sa propre jeunesse, lorsqu’elle fut, aux côtés de Johnny, de Sheila et de Françoise, une des idoles qui l’ont fait rêver et qui l’ont aidé à grandir. Merci à lui pour cet échange. Les adieux de Sylvie Vartan, Michel Delpech les évoquait il y a longtemps, on y est presque, et c’est pour beaucoup un peu une page qui se tourne... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU. Q. : 17/03 ; R. : 04/04.

Frédéric Quinonero : « Il y aura

 

beaucoup de larmes aux adieux

 

de Sylvie Vartan... »

 

Sylvie Vartan, les chemins de sa vie (Mareuil Éditions, février 2024)

 

Frédéric Quinonero bonjour. Sylvie Vartan fait partie de ces figures qui depuis toujours accompagnent et rythment ta vie. Ça a été quoi ton histoire avec elle ? Quelle place l’enfant que tu étais lui a-t-il accordée aux côtés des Johnny, Sheila, Françoise ?

 

Sylvie Vartan a eu tout de suite une place privilégiée du fait qu’elle était la femme de mon idole. Mais comme elle n’était pas que cela, bien sûr, elle a accompagné toute ma vie… J’ai d’abord connu Johnny, puis j’ai vu Sylvie à la télé, elle chantait Loup et Annabel. C’était son époque pop-rock, avec ses musiciens Micky Jones et Tommy Brown. J’ai adoré son style. Je trouvais que Johnny et elle formaient un couple idéal. Je continue à penser qu’ils sont indissociables… Sheila a marqué mon enfance, mais j’étais assez frustré de ne pas la voir « en vrai », c’est-à-dire sur scène. Elle y est venue, mais trop tard selon moi… J’ai été ébloui devant Sylvie, en 1973, avec Johnny dans les arènes d’Alès. Puis, à l’adolescence, la mélancolie de Françoise m’a happé. Comme elle j’avais une vision absolue de l’amour, avec une propension pour les amours de dépendance ou faux amours, et j’ai beaucoup pleuré en écoutant en boucle ses chansons les plus désespérées (rires).

 

Ce qui frappe, quand on découvre Sylvie Vartan via ton livre, c’est sa personnalité, une force de caractère peu commune. Pour l’expliquer, faut-il avant tout chercher dans ses chemins d’enfance, l’exil de sa famille face au communisme sauce Staline, la conscience aussi d’inégalités de fait ?

 

L’épreuve de l’exil forge la maturité. Très jeune, Sylvie a compris sans le formuler, ni l’analyser comment fonctionne le monde. Elle a vu ses parents se sacrifier pour que leurs enfants ne manquent de rien, son père qui était un artiste obligé de se lever aux aurores pour aller travailler aux Halles… Elle a su très tôt qu’il lui faudrait batailler plus qu’une autre pour réussir et elle se l’était promis pour rendre à ses parents ce qu’ils avaient perdu en quittant leur pays.

 

>>> La Maritza <<<

 

Tu évoques longuement, notamment en début d’ouvrage, ses retours émouvants en Bulgarie, jusqu’à cette petite fille qu’elle a adoptée. Ses racines, sa famille, ont eu pour elle plus que pour d’autres artistes, une importance capitale, j’ai envie d’écrire « décisive », dans sa vie ?

 

Oui, car une partie de sa famille était restée là-bas, notamment son grand -père qu’elle adorait et qu’elle n’a plus jamais revu. Revenir en Bulgarie, retrouver ce pays qui l’a vu naître était un désir brûlant pendant de longues années, qui ne pouvait se réaliser qu’à partir du moment où le régime totalitaire qui avait fait fuir ses parents serait tombé. C’est arrivé en 1989, avec la chute symbolique du mur de Berlin. Plus tard, il lui était naturel d’adopter un enfant bulgare, quelqu’un qui lui ressemble.

 

Son histoire avec Johnny mériterait à elle seule de remplir plusieurs saisons d’une série télé. Ils se sont aimés à la folie, admirés, quittés, remis ensemble, et en tout cas toujours gardé l’un pour l'autre, jusqu’à la mort d’Hallyday, respect et tendresse. Peut-on dire qu’il y avait réellement incompatibilité entre eux s’agissant d’un projet de vie en commun, elle très mature, stable, lui « trop » en quête de tout cela ?

 

Ce fut un amour passionnel, un amour de jeunesse qui a duré bon an mal an deux décennies. Leur couple est devenu mythique, car symbole d’une époque faste et glorieuse. Ensemble ils ont connu les turbulences de cette génération éprise de rythme et de liberté. Mais ils n’ont pas évolué de la même façon : Johnny n’aspirait pas à la vie bourgeoise souhaitée par Sylvie, il est toujours resté ce rebelle déraciné qui ne se sentait vraiment à l’aise et heureux que sur scène, au contact du public. Leur fils David les a unis à jamais. La tendresse entre eux est demeurée intacte jusqu’au bout, malgré l’adversité. Ils l’exprimaient en se retrouvant quelquefois pour des duos.

 

>>> Tes tendres années <<<

 

Johnny, 50 ans, Parc des Princes. Johnny, Sylvie, Tes tendres années. J’ai revu la séquence qui donne quand même des frissons. Ça t’avait fait quoi, à toi ?

 

C’était encore plus émouvant dans le stade, au milieu de la foule. Subitement, c’est comme si tout le monde s’était arrêté de respirer. Il y a eu un étrange silence d’église dans ce lieu bondé, et seule la voix de Sylvie, tremblante elle aussi d’émotion, a résonné. Des frissons m’ont parcouru, bien sûr. Des larmes coulaient sur les visages autour de moi. Ça a été le moment le plus émouvant de ce spectacle des 50 ans de Johnny. À la sortie, quelqu’un a dit : « Johnny a chanté avec sa femme ».

 

Tony Scotti, c’est l’anti-Johnny par excellence ? L’adulte qui a su lui apporter peut-être une sécurité à laquelle elle aspirait ? Est-ce qu’à partir du moment où elle a été avec lui, artistiquement parlant son influence bénéfique s’est ressentie ?

 

Tony est moins rock’n’roll (rires). C’est un homme plus responsable, plus rassurant. Sylvie l’a rencontré lorsqu’elle avait 37 ans, à un âge où elle avait envie d’un certain confort. Même si sa vie professionnelle continuait à être trépidante, elle avait enfin trouvé une épaule solide où s’appuyer. Également artiste, ancien acteur et chanteur, Tony a été son conseiller puis le producteur de ses spectacles. Il l’a accompagnée partout à travers le monde. Il la rencontre en 1981, lorsqu’elle prépare son show au Palais des Sports. L’image qu’elle lui renvoie est glamour – elle chante Le Piège dans une gigantesque toile d’araignée –, et c’est cette Sylvie-là, inspirée dans ses shows de la chanteuse et actrice américaine Ann-Margret, qui fait succomber Tony. Grâce à lui, elle se produira à Las Vegas et Atlantic City.

 

J’ai découvert en lisant ce livre à quel point elle était admirée, y compris pour ses shows impressionnants, notamment vers la fin des années 70. Mylène Farmer avant l’heure, vraiment ?

 

Les deux artistes sont très différentes. Sylvie était moins nimbée de mystère, mais côté spectacle elle dominait la scène à cette période, avec des shows grandioses qu’elle promenait à travers le monde et qui en ont inspiré plus d’une, dont Mylène probablement. Sylvie rêvait ses spectacles et s’entourait des bonnes personnes, chorégraphes, danseurs, metteurs en scène et en lumières, pour les réaliser. Elle a toujours choisi ses chansons en fonction de la scène.

 

Comment expliques-tu qu’elle ait connu après cette folie un parcours à mon avis plus confidentiel ? Une envie justement de faire des choses plus intimistes ?

 

Toutes les chanteuses et les chanteurs issus des années 1960 ont eu un passage à vide dans les années 1980, y compris Johnny qui a connu un second souffle grâce à Berger et Goldman. Seule France Gall a eu sa période de gloire dans cette décennie-là. Pour Sylvie, cela coïncidait avec les débuts sur la scène musicale de son fils David, qu’elle a accompagnés avec Tony Scotti. Le vrai tournant a été son retour en Bulgarie, en octobre 1990. On a découvert à travers le concert émouvant à l’auditorium de Sofia et le reportage réalisé pour « Envoyé spécial » une Sylvie nouvelle, vraie, à fleur de peau. Une proximité avec les gens qu’on ne lui connaissait pas. Une intimité qu’elle va ensuite entretenir avec le public français, pour son plus grand bonheur.

 

Je ne savais pas non plus, avant de lire cette bio, combien elle a eu plaisir, tout au long de sa carrière, à reprendre des standards très variés, française, U.S., j’en passe, au cours de ses spectacles. Ses influences musicales, en résumé ?

 

Sylvie Vartan a toujours eu un goût marqué pour la comédie musicale et ne perdait jamais de vue la possibilité pour elle de concevoir un visuel autour des chansons. On se souvient de ses formidables tableaux chorégraphiés et des entrées prestigieuses sur No more tears (Enough is enough), le hit féministe de Donna Summer et Barbra Streisand, Flashdance / Danse ta vie, ou encore It’s raining men des Weather Girls. Plus loin dans le temps, mis en scène par Jojo Smith, le chorégraphe de Saturday Night Fever, le final de l’Olympia 70 sur Let the Sunshine in avait marqué les esprits et opéré un virage dans la carrière scénique de Vartan. À l’époque, elle avait plaisir à puiser aux influences blues et country américaines (Creedence Clearwater Revival) ou soul (Isaac Hayes). Lors des concerts produits par Tony Scotti à Vegas et Atlantic City, elle s’est appropriée des standards français connus outre-Atlantique et des hits américains, dont Bette Davis eyes, plus tard accompagnée d’une chorégraphie sensuelle au Palais des Congrès de Paris… Elle a aussi emprunté des classiques de la chanson française pour les faire connaître au Japon, où elle est une véritable star. Et lors de son retour en Bulgarie, elle a repris des chansons locales et livré une version émouvante de la chanson de Lennon, Imagine, qui s’imposait. Rythme et émotion, toujours.

 

>>> Imagine <<<

 

Comprends-tu, justement, sa grande popularité au Japon ?

 

C’est La plus belle pour aller danser qui fut le détonateur de cet engouement des Japonais pour Sylvie Vartan. Elle l’explique par la partition musicale de la chanson qui aurait évoqué chez eux quelque chose de familier. Les Japonais étaient également fascinés par sa chevelure blonde. Une blondeur surnaturelle. Ils ont aimé aussi la personnalité de l’artiste, son élégance, sa beauté.

 

>>> La plus belle pour aller danser <<<

 

Sa chanson signature à ton avis, La Maritza ou La plus belle pour aller danser ? C’est la même personne qui interprète ces deux titres emblématiques ?

 

C’est la même personne à deux moments importants de sa vie. Lorsque Charles Aznavour écrit le texte de La plus belle pour aller danser, la chanteuse vit ses fiançailles avec Johnny qu’elle épousera l’année suivante. Ils incarnaient tous deux la jeunesse de l’époque et elle était cette jeune fille de la chanson à qui les adolescentes rêvaient de ressembler. La Maritza sort en 1968. L’événement pour Sylvie c’est son premier Olympia en vedette. Jusqu’alors elle avait partagé l’affiche avec quelqu’un. Jean Renard décide alors de lui composer une chanson intemporelle, de celles qui s’inscrivent dans une carrière et dans le patrimoine musical. Pierre Delanoë s’inspire de son histoire, de ses origines. Et Sylvie en fait un hymne qui ne quittera plus son répertoire.

 

>>> Par amour, par pitié <<<

 

Les chansons que tu préfères d’elle, celles qui, aujourd’hui comme hier, t’ont particulièrement touché ?

 

Celles qui me viennent spontanément : La Maritza, dont on vient de parler, Par amour, par pitiéToutes les femmes ont un secret, Je croyais, La drôle de fin, Quand tu es là, Je pardonne, C’est fatal, Loup, Aimer. Cela fait un bon top 10 !

 

Celles dans lesquelles elle se dévoile le plus, bien que les mots ne soient pas d’elle ?

 

Beaucoup de chansons la racontent, finalement. Les volets bleus, La Maritza, Le bleu de la mer Noire évoquent sa Bulgarie natale et l’exil. Elle se raconte beaucoup aussi dans Il y a deux filles en moi, Sensible, Forte et fragile, Je n’aime encore que toi, Toutes les femmes ont un secret… Elle s’adresse à ses enfants et petits-enfants dans Ballade pour un sourire, Le roi David, P’tit bateau, Darina, Les yeux d’Emma. Quant au couple qu’elle formait avec Johnny, ils échangeaient beaucoup en musique : Que je t’aime pour lui, Aime moi pour elle. Et les chansons Non je ne suis plus la même, Pour lui je reviens, L’amour au diapason, Bien sûr et tant d’autres semblent raconter leurs ruptures et réconciliations. Sans parler de leurs duos J’ai un problème et surtout Te tuer d’amour, passionné et torride.

 

>>> Forte et fragile <<<

 

Quelques mots justement sur son entourage artistique, notamment ceux qui ont écrit et composé pour elle ? À cet égard aussi, elle a toujours fait preuve de discernement ?

 

La plupart des auteurs qui ont écrit pour elle la connaissent bien pour avoir partagé des moments de sa vie, de Gilles Thibaut à Jean-Loup Dabadie, en passant par Didier Barbelivien et Michel Mallory. Ce dernier a écrit des centaines de chansons pour elle et pour Johnny. Il a raconté leur histoire. Chacun, comme je l’ai dit, se renvoyait la balle.

 

Un mot sur sa collaboration avec Jacques Rouveyrollis ?

 

Je suis ravi d’apprendre qu’il éclairera son dernier spectacle. C’est un merveilleux metteur en lumières, un magicien. Je l’évoque dans mon livre à plusieurs reprises. Je me souviens en particulier d’une séquence au Palais des Sports 1981 pour la chanson Mon père. Jacques Rouveyrollis avait conçu près de Sylvie une fenêtre filtrant une lumière bleutée. Très symbolique.

 

>>> Mon père <<<

 

Cet automne, elle repartira pour une tournée d’adieux, « Je tire ma révérence », où on imagine d’ailleurs qu’elle reprendra le titre de Jean Sablon, ou peut-être celui de Véronique Sanson ? Je sais que tu compteras parmi ses spectateurs. Qu’attends-tu de ce moment ?

 

Qu’on se dise je t’aime une dernière fois. C’est une longue et belle histoire l’amour entre une chanteuse et son public. On va probablement beaucoup pleurer.

 

Si tu pouvais, les yeux dans les yeux, lui poser une question, une seule, à cette femme que tu aimes depuis toujours, quelle serait-elle ?

 

Est-ce qu’on peut dîner tous les deux ensemble, Sylvie ?

 

Trois adjectifs, trois mots pour la qualifier ?

 

Mélancolique, forte et fragile.

 

Françoise Hardy vient d’avoir 80 ans. Sylvie Vartan les aura cet été. Ça te fait quoi, de voir tes idoles de jeunesse atteindre ce cap-là ?

 

Cela me renvoie à mon propre vieillissement… La vie passe vite. C’est assez douloureux, en fait, de voir ses idoles vieillir. On les voudrait éternellement jeunes.

 

Tu as lu l’autobio de David Hallyday, plusieurs fois cité dans le livre. Qu’est-ce qu’il a reçu de sa mère, qu’est-ce qu’il a reçu de son père s’agissant des traits, de la personnalité ? C’est quelqu’un dont tu aimerais écrire toi-même la bio ?

 

Il a probablement reçu de sa mère et de sa grand-mère, sa chère Néné, des valeurs refuge, un bel équilibre et une force de caractère. De Johnny il a sûrement hérité de quelques failles qui le rendent vulnérable et touchant. Et le sens de la dignité, commun aux deux. Et bien sûr le goût viscéral de la musique.

 

Qui te transporte dans les artistes d’aujourd'hui ?

 

J’essaie autant que possible de me tenir au courant. Mais je n’ai plus le comportement de fan que j’avais à l’adolescence. Ce sont surtout les chansons qui m’interpellent. Je ne suis plus trop inconditionnel d’un artiste, même si je peux me laisser séduire par la personnalité de quelques-uns. Récemment, la voix de Zaho de Sagazan. L’énergie de Suzane. La mélancolie et le romantisme de Pomme. Le côté engagé et populaire de Gauvain Sers. Et quelques artistes plus en marge, comme Benoît Dorémus et Frédéric Bobin. Et plein d’autres. J’essaie d’aller à la découverte de chanteuses et chanteurs que les médias n’invitent pas.

 

>>> Aimer <<<

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

 

Aucun projet précis de livre, pour l’instant. Envie de prendre encore du plaisir à écrire sur la chanson, malgré les difficultés qu’on peut rencontrer. Envie de me faire plaisir. Et de pouvoir vivre à côté…

 

Un dernier mot ?

 

Le mot de passe ? C’est l’amour (dixit Sylvie) !

 

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29 avril 2014

Marcel Amont : "Je suis accro au spectacle vivant"

   Mon invité du jour, c'est un artiste authentique, un jeune homme présent dans le monde du spectacle depuis plus de soixante-cinq ans. Après des débuts prometteurs dans son Aquitaine natale, il a voulu conquérir Paris, "the place to be", déjà. L'année : 1950. La musique, le show : des passions inébranlables. Mais percer relève souvent du parcours du combattant. Il lui faudra attendre quelques années, surmonter des moments de questionnements sérieux avant de connaître, enfin, un succès mérité, une reconnaissance du métier; un public large et fidélisé, surtout. En 1956, il fait la première partie de Piaf à l'Olympia. Avec, dans la foulée, une récompense prestigieuse, des débuts au cinéma. Sa carrière est lancée au plan national. Dans les années 60 et 70, Marcel Amont - né Miramon - fait partie du paysage, presque de la famille. Les auditeurs, les spectateurs sont friands de ses interprétations qui, souvent, vont bien au-delà du "simple" exercice vocal : un saltimbanque, dans la plus noble, la plus pure tradition du terme, celle du music-hall. Les années 80 seront plus difficiles. Pour lui comme pour pas mal de ses confrères. Découragé ? Aucunement : il ira voir ailleurs, dans d'autres contrées - avec succès.

   Marcel Amont fait son grand retour en France au milieu des années 2000. Il présente un nouvel album, Décalage horaire, opus comportant des duos avec des personnalités aussi éclectiques que Gérard Darmon, Agnès Jaoui ou Didier Lockwood. Il n'est pas plus à la mode qu'à ses débuts, il en est plutôt fier, d'ailleurs : il le revendique dans la chanson Démodé. La mode, ça va, ça vient. Son univers à lui est toujours aussi attachant. Cet homme sur lequel le temps paraît n'avoir que peu de prise continue, plus que jamais, de divertir, de bluffer les spectateurs, avec un enthousiasme intact et communicatif, un sourire qui renforce ces sentiments qu'on lui associe et qu'il inspire : bonté, bienveillance. Humilité, ai-je envie d'ajouter... En 2012, il célèbre ses plus de soixante ans de carrière à l'Alhambra, l'occasion de retrouver quelques vieux copains, de se rappeler au bon souvenir d'un public toujours heureux de le revoir. L'occasion, surtout, de retrouver la scène, le vivant, qu'il aime plus que tout.

   En 2014, années de ses quatre-vingt-cinq ans, il surprend encore et toujours : Lettres à des amis sort en librairie. Dans cet ouvrage, il s'adresse à Aznavour, à Coluche, à De Gaulle ou à Jésus, à Joseph Kessel ou aux musiciens du Titanic - liste non-exhaustive... À ses parents et à Marlène, son épouse. Je la remercie pour nos échanges et remercie Marcel Amont pour les réponses qu'il a bien voulu apporter à mes questions. Merci à tous les deux pour votre gentillesse... et que les souhaits exprimés ici se réalisent ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

MARCEL AMONT

 

« Je suis accro au spectacle vivant »

 

Marcel Amont

(Source des photos : M. Amont)

 

Q. : 25/04/14 ; R. : 27/04/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Marcel Amont. Vous avez quatre-vingt-cinq ans depuis peu. J'en ai cinquante-six de moins, mais nous serions nombreux, parmi les jeunes de ma génération, à signer des deux mains pour avoir, à votre âge, votre pêche, votre énergie hors du commun. Cela dit, je ne ferai pas l'économie de la question qui suit : comment allez-vous ?

 

Marcel Amont : Étant donné mon âge, je vais bien.

 

PdA : « À dix-huit ans, j'ai quitté ma province... » Vous avez, pour ce qui vous concerne, quitté votre Aquitaine natale pour tenter votre chance en tant qu'artiste à Paris un peu plus tard, à la fin 1950, à vingt-et-un ans, si je ne m'abuse. À quoi vos premières semaines, vos premiers mois dans la capitale ont-ils ressemblé ? Vous est-il arrivé, parfois, d'être en proie à des doutes sérieux, d'être découragé au point de songer à tout plaquer ?

 

M.A. : Rien dans mon milieu ne me prédestinait à une carrière artistique.

  

Après des débuts prometteurs dans mon Bordeaux natal, j’avais compris que dans un pays centralisé comme la France, tout avenir artistique un peu ambitieux passait par Paris. Je suis donc « monté » vers la capitale. Les quelques contacts que j’avais ont vite tourné court et, comme tous les provinciaux, qui n’ont plus gîte et couvert gratuits assurés en famille, j’ai dû m’accrocher – souvent en proie au doute - sur le choix que j’avais fait de cette carrière ; sans aller jusqu’à renoncer, la tentation fut souvent forte de retourner dans ma région où j’avais commencé à gagner ma vie entre chanson, opérette et comédie.

 

PdA : En 1956, vous faites la première partie d'Édith Piaf à l'Olympia. Tout va s'enchaîner très vite, à partir de ce point : la reconnaissance du métier, le succès public, les projets - y compris pour le cinéma...

 

M.A. : C’est en effet en 56 que je suis passé, comme dit l’autre, de l’ombre à la lumière des grands scènes - avec en prime le Prix de l’Académie Charles Cros (pour un premier disque !) et un film avec BB…

 

PdA : Comment avez-vous réussi à garder la tête froide, à ce moment-là ? Avez-vous toujours réussi à le faire, d'ailleurs ?

 

M.A. : J’avais déjà sept ans de métier et, si j’avais rêvé de tout ce bonheur, je n’avais plus aucun regret d’avoir renoncé au noble métier d’enseignant ! C’était grisant mais surtout rassurant - ouf…

 

PdA : Dans les années 60, puis 70, vous êtes très présent dans le paysage médiatico-culturel. Vous avez massivement investi les scènes, les tourne-disques, les écrans de télévision, en cinq mot comme en cent : conquis le cœur des Français(es). On avance un peu dans le temps... Le virage des années 80 a été, pour nombre de vos confrères, plutôt difficile à aborder. Une expression revient souvent : la "traversée du désert". Est-ce ainsi que vous avez vécu ces temps de moindre exposition médiatique ?

 

M.A. : C’est toujours frustrant de devenir rare sur les médias ; mais par chance, mon travail, avant tout visuel et scénique, m’a ouvert les portes de l’étranger. J’ai chanté dans le monde entier, vécu un an à Rome (« Studio Uno ») et fait des disques en sept langues.

 

PdA : Vous le savez bien, les chansons qui marchent ne sont pas forcément toujours les plus belles ou les mieux écrites. À l'évocation de votre nom, il est quelques gros succès qui reviendront souvent : Bleu, blanc, blond (1959) ; Un Mexicain (1962) ; L'amour ça fait passer le temps (1971) ; Le chapeau de Mireille (1974)... J'aimerais vous inviter à nous parler de ceux de vos titres pour lesquels vous avez une tendresse particulière et qui mériteraient, à votre avis, d'être eux aussi découverts ou redécouverts... ?

 

M.A. : Les chansons que vous citez ont contribué à faire de moi ce qu’on appelle un chanteur populaire. Mais, je le redis, les trois-quarts de mon répertoire sont avant tout consacrés à des morceaux visuels que j’évite de chanter sur les médias pour que le public les découvre dans mes concerts. Mesdames, messieurs, venez les VOIR !

 

PdA : Qu'aimeriez-vous que l'on dise de vous au soir de votre départ pour le grand voyage, celui qui - pas avant une bonne trentaine d'années, minimum - vous permettra de retrouver quelques amis, de reprendre avec eux les rigolades interrompues ?

 

M.A. : Bravo et merci.

 

PdA : De quoi êtes-vous fier, Marcel Amont ?

 

M.A. : De l’ensemble de ma carrière, et de ma famille la plus proche.

 

Lettres à des amis

 

PdA : Dans votre ouvrage intitulé Lettre à des amis (Chiflet & Cie), vous prenez la plume - ou le clavier ? - et vous adressez à quelques personnes, connues ou non et qui, chacune à leur manière, vous marquent ou vous ont marqué. Imaginons qu'on vous offre la possibilité d'entretenir deux conversations, l'une avec un de nos contemporains, n'importe qui...

 

M.A. : Le pape François, pour qu’il m’aide à retrouver une foi perdue depuis longtemps.

 

PdA : ...l'autre avec quelqu'un ayant déjà rejoint le monde suivant.

 

M.A. : Mon père et ma mère.

 

PdA : Restons dans le domaine de la fantaisie. Cette question-là, j'aime la poser assez régulièrement. Un génie un peu fou - appelons-le, tiens... Doc' - vous propose de tester sa nouvelle invention : une machine à remonter le temps, construite dans une vieille DeLorean. Vous n'aurez droit qu'à un voyage, aller-retour ou aller simple, à vous de voir. Pour le lieu, et surtout l'époque, vous êtes libre, totalement libre... Que lui répondez-vous ?

 

M.A. : Aller simple à l’époque de mes trente ans. Mais, tout compte fait, le voyage commencé il y a trente-huit ans avec Marlène et qui se poursuit ici et maintenant, me convient tout à fait.

 

PdA : Quittons le passé et revenons sur Terre pour évoquer le présent, votre avenir, surtout... Vous avez souvent fait preuve de beaucoup d'inventivité, d'audace dans votre parcours artistique, n'hésitant pas, notamment, à marier la musique au visuel, à l'humour, un peu comme Annie Cordy. Votre curiosité, votre gourmandise intellectuelles sont restées intactes, vous êtes toujours un jeune homme. Quelles sont les aventures, les nouvelles frontières qui, aujourd'hui, pourraient vous séduire, vous tenter ?

 

M.A. : Mon vœu : continuer mes activités de spectacle et d’écriture sur fond de vie familiale harmonieuse.

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies ? Écrivez-vous de nouvelles chansons dans l'optique d'un prochain album ?

 

M.A. : Les albums n’ont évidemment rien de négligeable pour un chanteur. Mais je suis depuis soixante-cinq ans accro au spectacle VIVANT et je le reste. Je n’écris presqu’exclusivement qu’en ce sens – disque ou pas.

 

PdA : Quels sont vos rêves ?

 

M.A. : Que perdure l’ensemble des bienfaits dont j’ai parlé.

 

PdA : Vous connaissez bien le milieu de la chanson, vous en êtes depuis près de deux tiers de siècle; vous l'avez vu évoluer. Quels conseils offririez-vous à un(e) jeune qui vivrait pour la musique et aimerait en faire sa vie ?

 

M.A. : Deux conseils :

1) Faites comme vous sentez ;

2) Ne soyez pas interchangeables. N’ENTREZ PAS DANS LES MOULES.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter, cher Marcel Amont ?

 

M.A. : Partir en paix quand ce sera le moment.

 

PdA : Le plus tard possible... Un dernier mot ?

 

M.A. : Un dernier mot ? Pas tout de suite, SVP…

 

 

Que vous inspirent l'oeuvre, le parcours de Marcel Amont ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

Vous pouvez retrouver Marcel Amont...

  

Éd. mineure de l'introduction : 15/07/14

18 octobre 2015

Desireless : « Musique et partage sont presque synonymes... »

Deux ans et demi après notre première interview, datée de janvier 2013, j’ai eu envie de renouveler l’exercice avec Desireless, très connue pour son immense tube Voyage, voyage mais dont l’univers, qui va bien au-delà de ce titre qui écrase un peu tous les autres, mérite d’être mieux connu - c’est là tout le sens de ma démarche. Ce nouvel échange, articulé autour de thématiques que j’ai définies et qu’elle a commentées, a eu lieu le 12 octobre.

Son actualité à venir, c’est la sortie, le 27 octobre, d’un nouvel album confectionné avec Antoine Aurèche, alias Operation Of The Sun, son partenaire de création depuis plusieurs années (qui a accepté, à ma demande, d’écrire un petit texte sur « Clo »), et un nouveau partenaire, une surprise... Un avant-goût de l’ensemble est à découvrir dans le teaser de l’album, proposé ici en avant-première. Merci à eux pour ce qu’ils font. Pour ce qu’ils sont. Bon visionnage, bonne lecture et, surtout... bonne écoute ! ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« Un bonheur indicible, une immense liberté... »

« Tu sais Nicolas, je l'appelle souvent "Mom"... ça dit pas mal de choses ! Et, au-delà de cette joke, elle est aussi ma grande soeur, ma petite soeur, mon inspiratrice, mon professeur de philosophie... ou encore mon enfant terrible ! Elle me donne un bonheur indicible, tous les jours, dans la sincérité la plus complète, ainsi qu'une immense liberté... »

Antoine Aurèche, le 13 octobre 2015

 

Clo et Antoine

Photo : Samuel Maurin

 

Desireless: « Musique et partage

sont presque synonymes... »

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D’ACTU

 

# Love and good vibrations : musique et partages

La musique, ça n’est que ça : « Love and good vibrations » ! Évidemment, elle prend la plus grande partie de ma vie, cette musique, avec tout ce qui va avec bien entendu : le public, la scène, les musiciens, l’écriture, la composition…

Musique et partage sont presque synonymes. C’est un immense bonheur, de vivre ces moments avec tous. Les humains sur cette terre en ont tellement besoin… Besoin de s’oublier, de communiquer, de se sentir unis, de se retrouver enfin dans cette énergie d’amour sans restrictions…

 

# Operation Of The Sun, ou OOTS : une amitié créative

Comme tu le dis bien justement, c’est une vraie amitié créative qui me lie à Antoine. Une amitié tissée au fil du temps, temps qui pour nous deux, n’existe plus vraiment.

Nous sommes une espèce d’être à deux têtes… (Sourire) Souvent, nous allons dire la même chose, à une seconde d’écart… Nous sommes, pourtant, profondément différents. En tout cas, notre collaboration est un vrai plaisir, et je sens avec bonheur que le public le ressent.

 

# Les Sacapouettes : une communauté d’amis producteurs

Les Sacapouettes sont devenus de vrais amis pour la plupart. Plus rien à voir avec des producteurs, ce sont plutôt des personnes qui nous apportent chacun leur soutien moral, et enrichissent notre vie par leurs différences. Leur présence, leur sincérité et leur fidélité nous sont d’un grand secours dans ce monde perverti du show business.

 

# Stars 80 : tournées, film et suite

Je ne fais pas partie de la tournée Stars 80. Le film, j’y ai participé, et très vite, je me suis rendu compte que je ne m’y sentais pas à l’aise.

 

# Qui peut savoir ? / Nul ne sait : doutes et questionnements

Je doute à chaque seconde, ce qui ne m’empêche pas d’être très active et de prendre des décisions qui peuvent changer au fur et à mesure des évènements qui se produisent. Je ne me pose pas vraiment de questions existentielles. Je vis intuitivement, au jour le jour.

 

# Je crois en toi : croyances et chemins de vie

Avec le recul, je m’aperçois que, je crois avoir fait à plusieurs moments de ma vie, les bons choix, choix qui ont simplement été dictés par mon instinct de survie.

Quant à mes croyances, je n’en ai pas de bien définies. J’ai la chance d’avoir une tendance très forte qui me pousse â être joyeuse.

 

# John / Sertão : ailleurs et injustices

Je suis très sensible à l’injustice. Je crois que c’est ce qui me met le plus en colère.

 

# Expérience humaine : éléments de bilan et regard sur le monde

L’univers est merveilleux, le monde est beau… En se regardant dans un miroir, on peut y voir beaucoup de choses… J’essaie juste de m’améliorer, afin de mieux comprendre pourquoi je suis là, sur terre.

 

# Les escaliers du bal : absences et souvenirs

La mélancolie est cachée, tout au fond de moi… Je n’ai pas vraiment de mémoire et j’oublie très vite la plupart des choses. Il reste malgré cela, quelques blessures, qui s’effaceront peut être, ou peut être pas…

 

# Elle est comme les étoiles : présences solaires

On me dit souvent que je suis solaire... Je le crois, avec humilité et bonheur.

 

# Dans le jardin dEden : paradis perdus (et retrouvés)

Le paradis existe. À nous de le trouver, de le re-créer sans cesse et d’y vivre en harmonie.

 

# Demain : quelques mots sur l'album à venir...

Un très joli projet acoustique qui sortira fin octobre. Je suis très fière du travail que nous avons fait avec Antoine.

Il faut dire que nous avons été aidés par une personne pleine de talent que vous allez pouvoir découvrir sur notre teaser en avant-première !

 

# Voyage... : projets et envies de nouvelles aventures

Nous allons, Antoine et moi, avoir du pain sur la planche, comme on dit, pour 2016. On vous racontera tout, au fur et à mesure, sur mon site www.desireless.net !

 

# Ouf : le mot de la fin

Merci Nicolas pour cet interview original. Bisou à tous ! Soyez heureux... et libres. Et rendez-vous sur ma page Facebook Desireless (https://www.facebook.com/DESIRELESSPAGE).

Clo / Desireless

 

Desireless

#TEASER

Nouvel album disponible à partir du 27 octobre...

 

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Pour en savoir plus...

9 août 2014

Antoine Coppolani : "Nixon était capable du meilleur... comme du pire"

   Le 9 août 1974, à midi - heure locale -, la démission de Richard Nixon devint effective. Cette décision, le 37e président des États-Unis l'avait annoncée au peuple américain et au monde la veille, par une allocution restée célèbre. « D'après les discussions que j'ai eues avec des membres du Congrès et d'autres leaders, j'ai conclu qu'à cause de l'affaire du Watergate, je n'aurais sans doute plus l'appui du Congrès, appui que je considère comme indispensable pour prendre des décisions très difficiles et pour m'aider à accomplir les devoirs de ma charge dans le sens des intérêts de la nation. Quand je commence quelque chose, je le termine. Abandonner mes fonctions avant que mon mandat ne soit terminé est contraire à tous mes instincts. Mais comme Président, je dois faire passer en premier les intérêts des États-Unis. » (source : Larousse) 

   L'ampleur des événements, de leurs déflagrations, la teneur des révélations du scandale dit du « Watergate » - appellation générique par laquelle on a pris l'habitude de désigner toute une série de (mé)faits allant bien au-delà du cambriolage de 1972 - ne laissaient plus d'alternative : chacun en convenait, Nixon allait devoir partir, de gré ou de force. Son départ volontaire, s'il fut loin de la fin de carrière dont il aurait rêvé, lui évita au moins la disgrâce suprême : l'impeachment par le Congrès. Le gouvernement allait pouvoir recommencer à travailler, le pays commencer à panser ses plaies. Dans les deux cas, la tâche sera longue et difficile. La grâce octroyée par Gerald Ford à son prédécesseur, en septembre 1974, lui coûtera - on peut sérieusement le penser en tout cas - l'élection de 1976. Pour le reste, le bilan, le bottom line, les historiens jugeront.

   Que reste-t-il, quarante ans après, du scandale du « Watergate », de la présidence de Richard Nixon ? Réduire la seconde au premier serait, à l'évidence, simpliste à l'excès. Le sénateur Bob Dole n'avait-il pas promis, à l'heure des obsèques de l'ancien président, en 1994, que l'on parlerait bientôt de la dernière moitié du XXe siècle comme de l'« ère Nixon »; ce même Nixon qu'on avait recommencé, les dernières années, à consulter, à louer pour son expertise en matière de politique étrangère ? Voici, en marge de l'anniversaire de cette démission, une interview de M. Antoine Coppolani, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier III et auteur d'un ouvrage remarquable, sobrement intitulé Richard Nixon (Éd. Fayard, 2013). Merci, Monsieur ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

ANTOINE COPPOLANI

Auteur de Richard Nixon

 

« Nixon était capable du meilleur...

comme du pire »

 

Richard_Nixon

(Source des photos : A. Coppolani)

 

Q. : 07/08/14 ; R. : 09/08/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Antoine Coppolani. Le 9 août 1974, Richard Nixon mettait prématurément fin à son mandat. Celui qui, vingt et un mois plus tôt, avait été réélu triomphalement allait quitter la présidence des États-Unis par la (toute) petite porte, frappé de disgrâce. S'il n'avait démissionné, il aurait très probablement été destitué par le Congrès...

Cette affaire dite du « Watergate » aura empoisonné la vie politique américaine pendant deux longues années. Obstructions à la justice, abus de pouvoirs, de la confiance que les citoyens avaient placée en lui, en leur président : le traumatisme est réel auprès du public américain. Quel regard portez-vous, quarante ans après le départ de Nixon, sur cette affaire incroyable ?

 

Antoine Coppolani : Oui, une affaire « incroyable », et en tout cas inédite, qui a conduit à la seule et unique démission d’un président américain. À maints égards, l’ombre du Watergate plane depuis sur la vie politique américaine. C’est devenu l’archétype du scandale politique, celui à l’aune duquel tous les autres sont mesurés. Il n’est que de voir la pléthore de suffixes « gate » accolés, aux États-Unis, en France, et de par le monde, à toute une série d’affaires. À ce jour, bien sûr, aucune d’entre elles n’est capable de rivaliser avec le scandale suprême, le Watergate.

 

Or, le Watergate, c’est tout à la fois peu de choses, mais aussi, de façon indéniable, un scandale d’exception. « Peu de choses », je conviens que cette expression puisse choquer le lecteur. Elle reprend en somme la ligne de défense de Nixon. Le Watergate ? Pas même un « cambriolage de troisième ordre », comme l’avait appelé son attaché de presse : une « tentative de cambriolage de troisième ordre » avait corrigé Nixon en 1972. Pas de quoi fouetter un chat; une sordide et banale affaire d’espionnage politique. C’est d’ailleurs cette perception des faits, et sans doute le cynisme de l’opinion publique, habituée à pire, qui explique que de nos jours les sondages révèlent que, pour les jeunes adultes américains, le Watergate n’est pas vraiment un scandale politique d’exception...

 

Et pourtant ! Le Watergate fut un scandale politique d’exception, pour au moins deux raisons. La première, l’inouïe entreprise de dissimulation, entrave à la justice et abus de pouvoirs caractérisés; le fameux cover-up, qui conduisit Nixon à demander à la CIA d’intervenir pour que le FBI suspende son enquête sauf à nuire aux intérêts de la sécurité nationale des États-Unis. La seconde, c’est que le cambriolage des locaux du Comité national démocrate, sis dans l’immeuble du Watergate, à Washington, D.C., ne fut que la partie émergée de l’iceberg. Rapidement, le terme Watergate devint un terme générique, embrassant tout ce que l’Attorney General John Mitchell appela les « horreurs de la Maison-Blanche » (Mitchell lui-même finit en prison pour avoir trempé dans ces basses oeuvres). La somme de ces indélicatesses ou délits flagrants en vint à constituer une nébuleuse épaisse d’actes illégaux et répréhensibles. C’est aussi cela, le « vrai » Watergate.

 

PdA : Le personnage de Nixon a quelque chose de fascinant et dont l'étude relèverait sans doute, pour partie, de la psychanalyse : il a été, au cours de sa longue carrière, capable d'authentiques moments de grandeur (je pense à la manière avec laquelle il a choisi de gérer sa défaite contestable face à Kennedy en 1960, notamment) et, à d'autres moments, coupable des bassesses les plus inexcusables. Comment percevez-vous l'homme Richard Nixon ?

 

A.C. : S’il y a un mot qui caractérise Nixon, c’est bien celui de « paradoxe ». Je crois juste la définition que donnait de lui H.R. Haldeman - son plus proche collaborateur avec Kissinger -, l’homme qui fut le secrétaire général de la Maison-Blanche avant d’être envoyé, lui aussi, en prison par le Watergate. Il comparait la personnalité de Nixon aux multiples facettes d’un cristal de quartz : « Certaines brillantes et étincelantes, d’autres sombres et mystérieuses. […] Certaines fort profondes et  impénétrables, d’autres superficielles. Certaines douces et polies, d’autres brutes, rugueuses et coupantes. ».

 

Nixon était capable du meilleur, comme du pire. Paradoxe ultime, il savait faire preuve de beaucoup de grâce et de qualités d’homme d’État dans les crises et la défaite. Mais il était en revanche beaucoup moins noble dans la victoire et le succès. Vous citez à juste titre son attitude irréprochable en 1960 lors de sa défaite, d’un cheveu, contre Kennedy. Or, en 1972, alors qu’il avait écrasé McGovern, le candidat démocrate et que tous les sondages le donnaient, depuis des mois, gagnant, il eut une attitude beaucoup moins noble, et même quasiment pathologique. Ses proches, en particulier Charles Colson, un autre des protagonistes centraux du Watergate, ont décrit un Nixon renfermé et paranoïaque à l’heure de son triomphe. Et, à peiné réélu, il accumula d’ailleurs des erreurs qui allaient contribuer à sa chute, comme celle d’exiger une démission collective immédiate de ses collaborateurs à la Maison-Blanche ! Comme si on changeait une équipe qui gagne...

 

PdA : « Le jugement de l'histoire », disait Nixon, « repose sur ceux qui l'écrivent ». À quoi un bilan honnête, juste de sa présidence devrait-il ressembler, à votre avis ?

 

A.C. : Il allait même plus loin que cela. « L’histoire me traitera bien. Les historiens probablement pas, car ils sont pour la plupart de gauche », affirmait en 1988 Richard Nixon durant l’émission Meet the Press. Bref, Nixon a cherché à politiser une domaine qui ne devrait pas l’être, celui de la recherche historique. Et, lui-même, comme Kissinger, tous deux auteurs prolixes, se sont personnellement chargés d’écrire « leur » histoire, ou en tout cas leur « part de vérité ». Aussi, tenir la balance égale, parvenir à un bilan équilibré sont-ils des tâches ardues.

 

C’est ce que je me suis efforcé de faire, dans ma biographie, en ayant pour fil conducteur une masse considérable et précieuse d’archives inédites ou nouvellement déclassifiées. La tâche, une fois encore, était ardue : j’y ai donc consacré plus de huit années et j’ai jugé nécessaire de dépasser les mille pages de texte, car les débats et polémiques abondent dans la longue carrière de Nixon : anticommunisme; Chasse aux sorcières, Guerre froide; Vietnam/Cambodge; Chili; Realpolitik; crimes de guerres, voire crimes contre l’humanité; droits civiques/discrimination positive; Watergate, etc.

 

PdA : Reste-t-il encore quelque chose de l'affaire du « Watergate », de Nixon aujourd'hui ?

 

A.C. : De l’affaire du Watergate, sans nul doute, comme évoqué en réponse à votre première question. De Nixon, sans nul doute aussi, ne fût-ce que par ses succès éblouissants en politique étrangère. « L’ouverture » de la République populaire de Chine, un des éléments les plus fondamentaux de l’histoire du XXe siècle, en est le témoin. Et c’est sur cet héritage que nous vivons encore aujourd’hui, avec la place de plus en plus grande prise par la Chine sur échiquier mondial. « Nixon goes to China » : cette expression est le pendant du Watergate. Les deux côtés du bilan de Nixon. Sa face obscure, le Watergate, et sa face brillante, un succès diplomatique extraordinaire, devenu un modèle que cherchent à imiter les chefs d’État. Imaginez un Obama qui se rendrait à Téhéran avant de conclure la paix au Proche-Orient...

 

Nixon avait pris conscience de l’affaiblissement relatif des États-Unis à la fin de la décennie soixante et au début de la décennie soixante-dix (Vietnam, parité stratégique avec l’Union soviétique, concurrences économiques nouvelles de la CEE et du Japon, divisions et fractures profondes de la société américaine…). La moindre de ses qualités n’est pas d’être parvenu, dans ce contexte très défavorable, à avoir redonné toute leur place et leur poids aux États-Unis dans le concert des nations.

 

Antoine_Coppolani_Hano_

 

 

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Vous pouvez retrouver Antoine Coppolani...

 

24 juin 2018

Françoise Deville : « Personne n'a aimé Joséphine comme Bonaparte, de façon exclusive et unique »

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine (Éditions de la Bisquine, 2018) est le premier livre de Françoise Deville. Passionnée d’histoire napoléonienne - elle possède une belle collection d’objets ayant trait à cette époque - et titulaire d’une maîtrise en Histoire de l’Université de Genève, l’auteure, qui a déjà signé plusieurs articles dans la presse, a voulu s’attacher à dresser un portrait original de l’unique, de l’incomparable Joséphine, « sa » Joséphine. L’angle trouvé est original, il est servi par sa jolie plume, et par sa connaissance pointue de l’histoire de ce temps-là : ici, c’est la Malmaison, la demeure, le havre de paix (pas toujours !) du couple Bonaparte, qui observe, qui s’exprime et interpelle, et qui raconte... Mais qu’on ne s’y trompe pas, comme chez Pierre Branda, celle qui crève l’écran, c’est bien Joséphine, décidément une des figures les plus attachantes de notre histoire. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 12/06/18 ; R. : 17/06/18.

Françoise Deville: « Personne n’a aimé Joséphine

comme Bonaparte, de façon exclusive et unique. »

Moi la Malmaison

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine, Éditions de la Bisquine, 2018.

 

Qui êtes-vous Françoise Deville ?

Une passionnée de Joséphine et de Bonaparte. En 1979, j’ai découvert ces deux personnages grâce à la série Joséphine ou la comédie de l’ambition avec Danièle Lebrun et Daniel Mesguich dans les rôles titres. Ce jour-là, ma vie a été bouleversée et Joséphine ne m’a plus quittée. J’ai obtenu un Master en Histoire à l’Université de Genève. J’ai toujours voulu écrire un livre sur Joséphine, mais il fallait que le projet mûrisse car je voulais aller au plus près de l’âme de cette femme. Depuis 2013, je constitue une collection d’objets et de lettres ayant appartenus ou ayant été écrites par Joséphine et Napoléon principalement. Le fleuron de ma collection est la lettre d’amour écrite par Napoléon à Joséphine le 30 mars 1796.

 

Pourquoi la Malmaison, Joséphine et ses enfants ? Pourquoi Bonaparte ?

Malmaison est le lieu le plus aimé par Joséphine et Bonaparte. C’est un lieu privé, témoin de leur vie, de leur amour. Ce lieu a une âme, la présence de Joséphine y est palpable. C’est aussi l’histoire des enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, qu’elle a tant aimés et qui tiennent une place majeure dans l’épopée napoléonienne.

 

Peut-on dire que Joséphine a fait grandir Bonaparte dans sa vie d’homme, et que lui a redonné foi en l’amour et au bonheur à sa Joséphine ?

Napoléon était un novice en amour. Joséphine lui a tout appris. Dans ses bras, il a découvert l’amour, la plénitude. Elle lui a donné confiance et l’a fait se sentir homme. Elle lui a offert un statut familial et social. Joséphine a beaucoup souffert, Alexandre de Beauharnais, son premier époux, a été odieux avec elle, il lui a fait subir les pires humiliations. Son cœur de femme était blessé. Personne ne l’a aimée comme Bonaparte de façon exclusive et unique. Joséphine a aussi eu peur de mourir lors de son emprisonnement aux Carmes en 1794. Sa vie en a été profondément marquée. Elle ne sera plus jamais la même, son insouciance a totalement disparu.

 

L’officier qu’il fut quand il rencontra la veuve Beauharnais serait-il devenu grand comme il l’a été sans elle  ?

Oui, car avec ou sans Joséphine, Napoléon était doué. Il avait le quelque chose en plus sur les autres généraux. Le côté intellectuel sans doute qui fera de lui le Consul que l’on connaît avec toutes les grandes œuvres accomplies, tel le Code civil par exemple. L’idée de la Campagne d’Italie germait en lui depuis deux ans. Il avait même proposé son plan à Talleyrand. Il était sûr que les Autrichiens seraient vaincus sur ce front moins protégé.

 

Quel regard portez-vous sur l’exécution du duc d’Enghien, qui parut troubler beaucoup Joséphine ?

Elle était nécessaire. Des complots royalistes visant à tuer Bonaparte étaient légions. Il devait frapper fort. Le Duc était peut-être ignorant du dernier en date, quoique ? Il était en attente du renversement de Bonaparte pour entrer avec ses troupes en France. Il était contre-révolutionnaire et portait les armes contre la France. Cependant, Bonaparte a outrepassé ses droits en l’enlevant hors des frontières françaises sur les terres du Grand-Duché de Bade. À l’époque, l’exécution du Duc n’a pas eu un grand retentissement, c’est la Restauration qui en fît un martyr. Joséphine si bienveillante était touchée par la mort de ce jeune homme et était choquée par le fait que l’on pourrait reprocher à son Bonaparte cette exécution. C’est la forme de cette exécution dans sa rapidité et non le fond qui cause problème ainsi que l’enlèvement en territoire étranger. Les royalistes n’auraient eu aucun scrupule à assassiner Bonaparte.

 

Diriez-vous que Bonaparte a perdu pied en instituant l’Empire ? Qu’au fond, Napoléon a perdu Bonaparte ?

L’Empire a brisé les digues révolutionnaires. Le souci est le côté monarchique de l’Empire. Un Consul n’a rien à prouver aux anciennes monarchies. A contrario, l’Empire doit tout prouver en adoptant les codes monarchiques. Le Consulat est un régime politique fondé sur sa propre légitimité qui ne doit rien aux monarchies. Bonaparte pensait qu’en adoptant un côté monarchique, il apaiserait la peur de la Révolution des autres souverains. Ce fut une erreur car, pour eux, Empire ou non, Bonaparte reste l’usurpateur révolutionnaire.

 

Bonaparte a-t-il perdu sa bonne étoile quand il a répudié Joséphine pour Marie-Louise ?

Oui et non. C’est l’année 1807 qui marque un tournant décisif avec la rencontre de Tilsit et « l’amitié » du Tsar Alexandre Ier. Napoléon se sent accepté en tant que souverain monarchique. De plus, il gagne toutes ses guerres, les limites s’estompent et le vertige du pouvoir n’a plus de limites. Joséphine le tempère, l’adoucit et lui rappelle le passé, l’Histoire française de la Révolution. Ils ont une identité non souveraine, Monsieur et Madame Bonaparte. Marie-Louise est une princesse, élevée pour épouser un souverain.

 

Comment caractériser les rapports entre Bonaparte et Joséphine après la répudiation ? C’était quoi entre eux, une estime mutuelle et une grande tendresse ?

Après leur séparation, Joséphine et Napoléon ne se verront plus que six fois mais une grande tendresse les unissait toujours, un grand respect l’un pour l’autre, et aussi de l’amour.

 

Napoléon a-t-il été accablé par la mort de Joséphine ? A-t-il souvent parlé d’elle après , et en quels termes ?

Napoléon a été anéanti par la mort de Joséphine. Lorsqu’il apprend sa mort à l’île d’Elbe, il s’enferme seul dans une pièce durant plusieurs heures. Lors de son retour en France en mars 1815, il passera une journée, en avril, à Malmaison avec Hortense. Il se rendra seul dans la chambre de Joséphine et en ressortira bouleversé. A Sainte-Hélène, il parle souvent d’elle, de leur amour vrai, unique que seule la mort peut rompre. Il affirme qu’elle l’aimait plus que tout et il avait raison.

 

Portrait Joséphine

Portrait méconnu de Joséphine, peint par Guérin, son miniaturiste de Malmaison.

Illustration sélectionnée par Françoise Deville.

 

Peut-on dire que les enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, ont été plus constamment fidèles à leur beau-père que ne le fut, prise tout ensemble, la famille Bonaparte ? Sa famille de cœur, c’était les Beauharnais ?

Non, sans conteste plus dévoués, plus aimants mais pas plus fidèles. Seule Caroline trahit honteusement son frère en 1814, les autres essaient de sauver les meubles. En 1815, ils sont au rendez-vous pour certains, Joseph, Lucien, Madame Mère, Jérôme, Hortense… Les autres attendent ou sont empêchés. Pauline et Madame mère étaient à l’île d’Elbe. Eugène ne viendra pas, il est deveunu prince allemand dévoué à sa femme Auguste de Bavière. En 1813-1814, l’attitude dure et injuste de Napoléon face à Eugène qui attendait des ordres clairs de l’Empereur pour quitter l’Italie et rejoindre la France a perturbé les sentiments d’Eugène et d’Auguste. Certains ont parlé de trahison d’Eugène. Napoléon était confus et Eugène habitué à être téléguider par l’Empereur attendait l’ordre de ce dernier. Après, il fut trop tard et Eugène décida de défendre ses intérêts au Congrès de Vienne sous la protection du Tsar Alexandre Ier afin d’obtenir une principauté en Italie. Cependant dans sa dernière lettre du 8 avril 1814 à Joséphine écrite à Fontainebleau, Napoléon lui rappelle qu’Eugène est si digne d’elle et de lui. Il est vrai que les Beauharnais furent la famille de cœur et les Bonaparte le clan familial.

 

Quel est, dans toute cette histoire, le personnage qui vous fascine le plus ? Celui pour lequel vous avez le plus de tendresse ? J’aurais tendance à penser : Joséphine, je me trompe ?

Joséphine évidemment, mon héroïne.

 

Hypothèse farfelue, mais admettons : si vous pouviez, à un moment ou à un autre, vous projeter dans cette histoire pour un conseil, pour une mise en garde, qui choisiriez-vous, et que lui diriez-vous ?

Je choisirais Bonaparte et je lui dirais que suite à la mort de Napoléon-Charles le 5 mai 1807, fils aîné d’Hortense et de Louis et héritier présomptif du trône, il doit absolument adopter le second fils de son frère Louis, Napoléon-Louis. Il ne doit pas se séparer de Joséphine, tant aimée des Français et qui sait si bien le tempérer, l’adoucir, le raisonner. Ils ont cheminé ensemble vers la gloire, ils doivent rester unis. Elle est sa meilleure diplomate, sa meilleure représentante. «  Ne quitte pas Joséphine, ta bonne étoile !  »

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Le petit Trianon et l’assassinat à Genève de Sissi, deux projets.

 

Un dernier mot ?

Vive Joséphine !

 

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4 octobre 2018

Eric Teyssier : « La reconstitution historique, ce ne sont pas des gens qui se déguisent ! »

Il y a quelques semaines, j’ai eu le plaisir de découvrir, via Georges Gervais de LEMME Edit qui l’a publié, le premier roman de l’historien Éric Teyssier, un récit historico-fantastique imaginant le retour de Napoléon (et de quelques unes de ses connaissances...) dans la France de 2015. Napoléon est revenu !, c’est un texte savoureux et inventif, qui rafraîchit pas mal de nos connaissances sur l’Empereur et nous pousse à réfléchir, d’une manière originale, sur notre époque et ses travers. Je suis heureux qu’Éric Teyssier et Georges Gervais aient, tous deux, accepté de participé à cet article en deux parties, et vous invite vivement à lire ce livre ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Napoléon est revenu

Napoléon est revenu !, publié par LEMME Edit, 2018.

 

partie 1: Georges Gervais (l’éditeur)

Q. : 27/09/18 ; R. : 01/10/18.

 

Georges Gervais

 

« Le roman historique, quand c’est bien fait, quand

le scientifique rejoint l’émotion, c’est top à lire ! »

 

Georges Gervais bonjour. Parlez-nous de vous et de votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a conduit vers le monde de l’édition, et c’est quoi l’histoire, l’identité de LEMME Edit ?

Bonjour. Je suis journaliste print et web de formation. Mais j’ai aussi été libraire. Et je baigne dans les livres depuis ma plus tendre enfance. J’avais une grand-mère amoureuse de son pays au sens noble et non polémique de l’expression. J’avais 6 ou 7 ans lorsqu’elle m’a offert Les grandes batailles de V. Melegari chez Hachette. Elle me racontait aussi "sa" Grande Guerre avec beaucoup de précision et de respect. LEMME Edit tente de reproduire cet esprit : des livres écrits par les amoureux d’histoire pour les amoureux d’histoire.

 

Il y a trois mois paraissait, chez LEMME Edit donc, Napoléon est revenu !, oeuvre de fiction (réussie !) signée Éric Teyssier. Jusqu’à présent, vous vous spécialisiez dans les études historiques, plutôt très sérieuses. Allez-vous désormais continuer de vous diversifier, davantage vers de la fiction par exemple ? Et est-ce que les retours de cette première expérience vous confortent en la matière ?

Les retours sur cette fiction réussie, en effet, sont unanimes. L’aventure avec Éric Teyssier a été formidable, parce que simple et efficace. Un vrai plaisir d’éditeur. Trouver un bon manuscrit qui sommeille, c’est du pur bonheur. Je dédie d’ailleurs ce premier succès à mon amie "numérique" Orchia qui se reconnaîtra. Donc oui, d’autres romans historiques de cette qualité, sans problème. D’autant que c’est un genre qui a mauvaise presse en France, mais quand c’est bien fait, quand le scientifique rejoint l’émotion, c’est top à lire.

 

Si vous aviez, vous, la possibilité de poser une question à un Napoléon mystérieusement de retour, quelle serait-elle ?

Sire, pourquoi diable êtes-vous allé en Russie ?

 

Si vous pouviez voyager, un moment, en une époque plus ou moins ancienne de l’Histoire, rencontrer des contemporains, voire influer sur les événements, laquelle choisiriez-vous ?

"Influencer", cela me fait tout de suite penser à l’excellent livre de Stephen King, 22/11/63... Je suis très attiré par l’histoire ancienne... Donc, ce serait de me glisser à la suite d’Hannibal Barca traversant les Alpes, ou découvrir comment les grands textes ont été écrits, en commençant pas le plus grand, d’après moi, La Guerre du Péloponnèse de Thucydide. Plus près de nous, si je pouvais remonter un temps modifié, ce serait pour voir une armée française solide et victorieuse durant la Seconde Guerre mondiale ; comme ça l’honneur est sauf, et on évite la Collaboration, les règlements de comptes et autres pathétiques épurations.

 

Qu’est-ce que vous pensez, quand vous regardez le chemin accompli jusqu’à présent ?

Le chemin professionnel ? Qu’il faut être tenace et passionné pour exister ! J’adore cette devise, "Être et durer", que porte aujourd’hui le 3e RPIMa.

 

Vos envies, et vos projets pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Beaucoup de bons textes bien écrits sur des sujets historiques originaux, et continuer à gravir les (hautes) marches de la légitimité éditoriale !

 

 

partie 2: Éric Teyssier (l’auteur)

Q. : 26/09/18 ; R. : 28/09/18.

 

Eric Teyssier

Photo : Christel Champ.

 

« La reconstitution historique, ce ne sont pas

"des gens qui se déguisent" ! »

 

Éric Teyssier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. L’histoire tient une place majeure dans votre vie, et cela peut-on dire sous des facettes multiples. D’où vous est-elle venue, cette passion, et de quel poids "pèse-t-elle" dans votre quotidien ?

l’histoire et vous

La passion vient de loin… Aussi loin que remontent mes souvenirs. Tout petit j’aimais déjà l’Histoire, les vieilles pierres, les récits de mes grands-parents qui avaient connu et fait les deux guerres mondiales. Je me souviens même de mon premier livre d’histoire en CE1 et tous les bouquins qui ont suivi après. Du coup, l’Histoire occupe beaucoup de place dans mon quotidien. C’est mon métier d’abord, celui d’enseignant-chercheur. Un métier que j’aime, au-delà des pesanteurs du monde universitaire, car il me permet de transmettre et de continuer à étudier. Il y a aussi les activités liées directement ou indirectement à ce travail. L’écriture d’abord, qui est devenue une véritable drogue. La reconstitution historique ensuite, romaine et napoléonienne, où je compte beaucoup de vrais amis. L’histoire vivante en général m’occupe beaucoup. Rendre l’Histoire accessible sous toutes ses formes et par les moyens les plus variés fait partie de mon quotidien. Le point d’orgue annuel est constitué par les Grands jeux romains dans l’amphithéâtre de Nîmes. Une reconstitution historique que j’écris et mets en scène depuis dix ans et qui réunit plus de 30 000 spectateurs dans les arènes autour de 500 reconstituteurs français et italiens. J’ai aussi pas mal d’activités et de projets liés à la radio et à la télé. Oui, l’Histoire pèse d’un certain poids dans ma vie. Mais j’aime ça.

 

Grands Jeux romais de Nîmes

Une illustration des Grands Jeux romains de Nîmes. Photo : France Bleu.

 

L’objet principal de notre interview, c’est votre premier roman, Napoléon est revenu !, paru il y a quelques semaines chez Lemme Edit. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous essayer à cet exercice de fiction, et quelles ont été vos inspirations ? Notamment, avez-vous eu connaissance du film allemand Il est de retour (2015), adapté d’un roman à succès et imaginant sur un ton humoristique un retour de Hitler dans l’Allemagne d’aujourd’hui ?

fiction et inspirations

Au début c’était un peu une plaisanterie. J’avais entendu parler de ce roman allemand, que je n’ai pas encore lu. Je me suis demandé ce que ça donnerait en France. La figure de l’Empereur s’est aussitôt imposée mais dans mon cas j’ai poussé le bouchon jusqu’à faire revenir l’Empereur chez moi. J’ai écrit une vingtaine de pages et mon entourage a voulu savoir la suite. Je me suis pris au jeu et je suis allé au bout de l’histoire avec un plaisir presque enfantin à suivre Napoléon et les autres personnages «  revenus  ».

 

Dans votre récit, auquel on se prend facilement, et avec plaisir, Napoléon revient donc d’entre les morts, ou d’on ne sait où d’ailleurs. Et il débarque, un jour de 2015, dans la vie d’Adrien Beaussier, historien médusé dont il a mystérieusement trouvé l’adresse dans son manteau. Il revient de son époque pour découvrir la nôtre, et il ne sera pas seul dans cette situation, pour sa fortune, et aussi pour son malheur... Adrien Beaussier, on imagine, et vous venez de le confirmer, que c’est un peu vous... Cette histoire c’est quoi : votre fantasme absolu, couché sur papier ?

le retour de Napoléon, fantasme absolu ?

Oui, Adrien c’est moi. Je me suis mis à sa place. Quelles auraient été mes réactions ? Mes doutes d’abord, puis très vite chercher à démasquer un éventuel imposteur. J’ai aussi imaginé comment cet homme venu de nulle part pourrait me convaincre qu’il est bien Napoléon. Tout le reste s’est enchainé en suivant au plus près la réalité et la psychologie de ce personnage hors du commun. Alors oui, c’est un fantasme absolu. Peut-être plus fort encore qu’un voyage dans le temps. Dans la situation du roman, Napoléon est sur notre terrain. Il en devient plus humain.

 

Comment vous y êtes-vous pris pour confectionner ce récit, pour lequel vous avez dû, comme je l’imagine, apprendre et intégrer des codes de cet exercice qu’est le roman ? Combien de temps cela vous a-t-il pris ? Avez-vous vécu, de temps à autre, des moments de découragement ? De grande euphorie ?

l’exercice du roman

Je ne suis pas un grand lecteur de romans. Je n’en connais pas bien les codes. Alors j’ai utilisé les miens. Ceux de l’historien qui sait où chercher les informations. J’avais pour base de départ mon bagage personnel de passionné de l’Empereur depuis l’enfance. J’avais sa voix et ses gestes en tête. J’ai complété la documentation, j’ai collectionné les anecdotes sur son intimité, ses opinions sur les grands sujets. Il fallait que ce soit le plus authentique possible si je voulais être crédible. Ensuite l’histoire s’est écrite toute seule. Je n’avais aucun plan préconçu, aucun vertige de la page blanche mais une euphorie grandissante au fil des chapitres. Jusqu’au bout je ne savais pas où j’allais arriver. Je me suis laissé guider par le caractère de mes personnages. L’écriture s’est faite en deux temps. Une première période de six mois qui m’a conduit à la moitié du livre. Je voulais m’arrêter là mais c’était inachevé. J’ai laissé reposer un an et je me suis remis à l’ouvrage. J’ai musclé le début et rédigé la seconde partie du livre en un été. En tout donc environ neuf mois (une grossesse) mais en faisant beaucoup d’autres choses en même temps.

 

Napoleon est revenu

 

Napoléon, ayant assimilé (rapidement !) des éléments d’histoire contemporaine, et quelques aspects de la vie à l’ère des réseaux sociaux, aura à cœur, alors que se profile le bicentenaire de la défaite funeste de Waterloo, de faire mentir l’histoire, et de reprendre le pouvoir dans une France dont il juge les dirigeants, et aussi les citoyens, avec sévérité. Les critiques portées sur notre monde sonnent bien venant de Napoléon. Mais, à l’évidence, c’est aussi vous qui, ici, parlez à travers lui non ? Elle vous inspire quoi, notre époque ?

regard(s) sur notre époque

«  Je déteste ce siècle, il verra ma mort…  ». J’ai d’abord réfléchi à ce que penserait Napoléon de notre temps en me fondant sur ses propres paroles. Ensuite, je n’ai pas voulu tomber dans la caricature et la critique trop facile de notre temps et de tel ou tel dirigeant. Ils pèsent si peu à côté de lui et ils sont si vite démonétisés que je ne les nomme même pas. Cependant, on les reconnaîtra. Pour le reste, il est évident que lorsque l’on admire Napoléon, on est bien forcé de trouver notre époque bien terne et sans saveur.

 

Pour vous, l’heure est-elle, de nouveau, au recours à un homme providentiel, à supposer que vous prêtiez foi à ce concept ?

un homme providentiel ?

Un homme, ou une femme, providentiel(le) devrait comme Bonaparte pouvoir parler de la France et de son avenir en s’appuyant sur son passé. Il ou elle ne devrait pas le faire dans un discours démagogique ou électoraliste mais pour redonner aux Français la foi en leur destin. Je pense que c’est un trait bien français que d’attendre un personnage de ce genre. Il y en a eu quelques-uns depuis Napoléon Ier, avec Napoléon III, Clemenceau et de Gaulle. Dans l’état d’incertitude où se trouve notre pays, l’heure pourrait bien être à ce genre de recours. L’intérêt que les lecteurs ont pour cet ouvrage semble aller dans ce sens.

 

Comment pensez-vous que les Français réagiraient effectivement au retour de l’Empereur ? Non pas ceux qui viennent applaudir les reconstitutions, mais le gros des masses ? D’ailleurs, ceux-là le connaissent-ils toujours, lui et les autres grands noms de notre histoire ?

s’il revenait... vraiment ?

C’est l’une des questions posées par le livre. Certains le recevrait avec enthousiasme en disant «  Enfin !  ». C’est le cas des reconstituteurs et des passionnés qui baignent dans cette époque et seraient prêts à le suivre comme les grognards l’on suivi lors du retour de l’île d’Elbe. D’autres verraient cela avec suspicion voire de l’hostilité, comme en 1815… Et beaucoup seraient assez indifférents du fait d’une méconnaissance totale de notre histoire.

 

Ce roman, nous l’évoquions à l’instant, c’est aussi un bel hommage que vous rendez à un univers que vous connaissez fort bien, celui des reconstituteurs historiques. Des passionnés faisant revivre, pour leur plaisir et celui de larges publics, des personnes et événements historiques. Non sans, bien sûr, quelques problèmes de jalousie ici ou là. C’était un de vos objectifs principaux, cette mise en lumière d’une passion finalement peu présente dans la fiction ? Que voulez-vous nous en dire, de ce monde de la reconstitution historique, tellement emballant pour qui y assiste ?

reconstitutions historiques

Je baigne dans ce monde depuis vingt ans. Je l’ai vu évoluer et prendre de l’ampleur. La France est venue sur le tard dans ce mouvement venue du monde anglo-saxons. À présent, le phénomène est de plus en plus important et touche toutes les périodes historiques. C’est vrai qu’au regard de son importance sociologique, la reconstitution historique et plus largement «  l’histoire vivante  » sont relativement peu représentées dans les fictions ou dans les médias. Certains ont encore tendance à regarder cette activité avec dédain ou commisération. On voit encore trop souvent cela comme «  des gens qui se déguisent  ». Toujours en retard d’une ou deux guerres, l’université française méconnait voire méprise ce phénomène alors qu’il est largement enseigné partout ailleurs dans le cadre de la «  public history  ». En fait, ce que je vois, ce sont des passionnés très pointus qui viennent de tous les milieux sociaux et appartiennent à toutes les classes d’âge. Ces reconstituteurs se réunissent autour de leur passion de l’Histoire et ont d’ailleurs de plus en plus tendance à explorer plusieurs périodes. Le souci de partager cette passion avec le plus grand nombre est de plus en plus présent au sein de ces associations. Je constate aussi un intérêt grandissant du public qui vient toujours plus nombreux lors de ces manifestations. Les Grands jeux romain de Nîmes ont ainsi réuni 32 000 spectateurs dans les arènes en trois représentations. Je pense que les Français recherchent là ce qu’ils ne trouvent plus dans l’enseignement scolaire de l’Histoire. Un enseignement qui tourne complétement le dos à l’histoire de France. De même, la télévision n’offre plus cette approche vivante de l’Histoire. Pourtant, elle savait le faire au temps du regretté Jean Piat. La reconstitution historique permet ainsi de palier à cette carence culturelle. Elle participe aussi à la valorisation de notre patrimoine commun.

 

Jean Piat

Jean Piat interprétant Robert d’Artois dans Les Rois maudits.

 

Vous êtes aussi un grand connaisseur de la Rome antique, et notamment de l’univers des gladiateurs. Entre nous, est-ce que vous ne trouvez pas qu’il y a, dans nos "jeux du cirque" contemporains, une cruauté qui parfois n’aurait rien à envier à celle qu’on trouvait jadis dans les arènes anciennes ?

jeux de cirque(s)

C’est nous qui projetons sur l’Antiquité une prétendue cruauté. Si les Romains voyaient nos films de gladiateurs ils les trouveraient cruels, inutilement sanglants, et surtout très vulgaires. Plus que la cruauté, c’est surtout la vulgarité qui ressort de nos jeux du cirque contemporains. Les médias créent des idoles de carton-pâte qui gagnent des fortunes en se roulant par terre pour faire croire qu’on leur a fait mal. Je préfère les héros de notre histoire aux zéros du foot. O tempora, o mores

 

Peut-on établir, à votre avis, des traits de comparaison pertinents entre la chute de l’empire napoléonien et l’effondrement de l’empire romain d’Occident ?

morts d’empires

Non, le premier s’est joué en trois ans et le second en trois siècles. Napoléon n’a pas eu le temps d’enraciner son système contrairement aux Romains. Par contre, il est évident qu’il s’est sans cesse inspiré de Rome pour bâtir et organiser son Empire. La Révolution française, dont il est issu, faisait déjà la même chose.

 

Imaginons, maintenant, que vous puissiez poser une question, ou donner un conseil, à Napoléon ou à tout autre personnage historique, à tout point de l’Histoire : qui choisissez-vous, et pour quelles paroles ?

message à Napoléon

Vaste programme… J’aimerais convaincre Napoléon de ne pas mettre le doigt dans le guêpier espagnol et de ne pas s’engager dans l’immensité russe. Pas sûr qu’il ne m’écoute le bougre. Adrien Beaussier en sait quelque chose. Pour la question, j’aimerais demander à l’Empereur quelle est la leçon de l’Histoire ? D’ailleurs, il y répond dans le livre…

 

Cette question-là, liée à la précédente, je la pose souvent, comment alors ne pas vous la poser à vous... On imagine qu’un savant un peu fou a mis en place une machine à remonter le temps. Vous avez droit à un seul voyage, où et quand vous voulez. Aller-retour ou, après 24h, séjour perpétuel. Quel est votre choix, et pourquoi ?

voyage dans le temps

Pour un aller-retour de 24 h, une journée de jeux romains dans le Colisée de Rome sous Trajan ou Hadrien me plairait bien. J’en profiterais pour faire une visite de la ville éternelle à son apogée. Si la destination Rome n’est plus disponible, la même journée à Nîmes à la même époque ferait aussi mon bonheur. Pour un voyage perpétuel, ce serait, sans hésiter avoir vingt ans en 1789, comme Napoléon. Vivre comme lui l’épopée de la Révolution et de l’Empire avec un passage par l’Italie et l’Egypte et écrire le récit de ce quart de siècle fantastique après 1815. Si toutefois un boulet anglais n’a pas mis un terme à ma carrière à Waterloo.

 

Rêveriez-vous d’une adaptation de votre roman au cinéma ? Et si oui, vous verriez-vous y jouer un rôle, et lequel ?

adaptation ciné

On m’a déjà dit à plusieurs reprises que ce roman pourrait bien s’adapter au grand ou au petit écran. Il n’y aurait pas besoin de moyens hollywoodiens pour en faire un bon film ou une bonne série. Je suis sûr que ce thème plairait à un vaste public. En tout cas j’en serais ravi. Quant à jouer un rôle… ce serait le mien, celui de l’historien Adrien Beaussier. Mais je verrais aussi très bien un acteur comme Fabrice Luchini. Il serait parfait pour interpréter ce personnage à la fois étonné et passionné. Si un tel film pouvait voir le jour, le rêve deviendrait réalité, à condition de trouver un Empereur crédible physiquement. Je pense qu’un acteur comme Daniel Mesguich serait parfait sur ce plan. Il avait incarné jadis un excellent Bonaparte à la télévision.

 

La fin du livre appelle une suite... Songez-vous à en écrire une, et vous sentez-vous encouragé en ce sens par vos lecteurs ?

vers une suite ?

Il y a plusieurs pistes pour une éventuelle suite et je suis très tenté de l’écrire. La rédaction de ce premier roman a été un immense plaisir pour moi. Je dirais même une véritable jouissance. Je suis très touché par les réactions souvent très enthousiastes de mes lecteurs et lectrices. Cela m’encourage à persévérer dans cette voie. Mais il me faut aussi faire en sorte de ne pas les décevoir. Je vais donc bien réfléchir à une suite qui soit à la hauteur de leurs attentes.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

projets et envies

Dans le monde universitaire auquel j’appartiens, on m’a souvent reproché d’être trop «  grand public  ». Ce qui passe pour une insulte pour ceux qui aiment rester dans «  l’entre soi  », constitue le plus beau des compliments à mes yeux. Je vais donc aggraver mon cas en continuant à écrire dans le domaine du roman historique, «  très historique  ». C’est-à-dire des œuvres de fiction, comme ce roman, mais qui possèdent un ancrage dans le réel assez fort pour être à la fois ludiques et didactiques. C’est ce que le public attend et aimerait voir plus souvent sur les écrans. Donc, dans les envies, il y aurait aussi l’idée de mettre tout cela en images.

 

Un dernier mot ?

Vive l’Empereur !

 

Austerlitz 2016

Photo : Austerlitz, 2016.

 

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5 juin 2019

« Le 6 juin, que commémorer ? », par Guillaume Lasconjarias

En ces journées de début juin 2019, nous commémorons à juste titre le débarquement de Normandie en 1944, et saluons comme il se doit ceux qui y prirent part au prix parfois de leur peau. Un acte majeur, ô combien périlleux, qui contribua grandement au reflux de la puissance nazie sur le front ouest. 75 années... Je m’associe sans réserve aux hommages présentés par tous, et ai une pensée particulière, d’une part pour le travail de "passage de mémoire" effectué par Isabelle Bournier et le Mémorial de Caen, d’autre part pour Dauphine et Bob Sloan, deux amis ayant à cœur de perpétuer l’oeuvre et le souvenir de Guy de Montlaur, qui fit partie des fameux "commandos Kieffer".

J’ai proposé à Guillaume Lasconjarias, chercheur associé à lIrenco, auditeur de la 71e session nationale Politique de défense de lIHEDN et contributeur fidèle à Paroles d’Actu, d’écrire un texte à propos de cet anniversaire. Je le remercie vivement pour ce document, reçu ce 5 juin, et par lequel il prend le parti - plutôt courageux ! - de poser un regard démythifié, et en tout cas recontextualisé, sur le D-Day. Respect des mémoires, et rigueur historique. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Cimetière Normandie

 

« Le 6 juin, que commémorer ? »

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juin 2019

Avec les cérémonies internationales qui se tiendront mercredi 5 juin à Portsmouth et jeudi 6 juin sur le littoral normand, le débarquement des Alliés fait la Une des journaux. Mais ce 75e anniversaire prend une tournure bien particulière avec la présence sans doute des derniers vétérans – les plus jeunes ont dépassé les 90 ans. Un moyen pour nous de songer aux liens entre histoire, mémoire et commémoration.

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, tandis qu’une partie de l’armada alliée navigue vers les côtes normandes, les premiers parachutistes américains sautent sur la presqu’île du Cotentin ; leurs camarades britanniques sécurisent eux, de l’autre côté de la future tête de pont, les ponts sur l’Orne et le canal de Caen. Débute ainsi la campagne de Normandie et la libération de la France continentale – la Corse est libre depuis septembre 1943. Quel que soit l’angle sous lequel on aborde les deux mois et demi de combats (on considère que la bataille se termine le 21 août avec la fermeture de la poche de Falaise), chacun a une idée, une représentation, un contact avec cet événement. Le parachutiste – désormais mannequin – pendu au clocher de Sainte-Mère-Église, la ritournelle qui annonce à (l’un des groupes de) la Résistance le débarquement prochain (Verlaine et sa chanson d’automne), les casemates qui sèment encore les côtes ou les restes des ports artificiels à Arromanches, sans compter le cimetière et les 10 000 croix blanches de Colleville-sur-Mer, l’opération Overlord se caractérise par des images et une impression de familiarité.

La raison en tient à la médiatisation extrême de ce qui n’est pourtant qu’une opération amphibie parmi d’autres. Le D-Day n’est ni la plus importante opération de la 2e Guerre mondiale (le théâtre Pacifique rassemble des contingents et des déploiements aéronavals bien plus conséquents), ni même la plus impressionnante en terme d’effectifs  : qui sait que l’opération Husky qui lâche deux armées (la 7e US Army de Patton et la VIIIe armée britannique de Montgomery) sur la Sicile rassemble plus d’hommes (160 000 contre 130 000)  ? De même, Overlord doit être considérée en relation avec un second débarquement qui intervient un mois et demi plus tard, en Provence cette fois  : Anvil-Dragoon. Les deux opérations avaient été pensées comme concomitantes mais le manque de transports et d’engins de débarquement ont forcé à décaler les actions dans le temps.

 

« Le D-Day n’est ni la plus importante opération

de la 2e Guerre mondiale, ni même la plus

impressionnante en terme d’effectifs. »

 

Mais voilà, en Normandie, on a Capa et ses photos floues – qui tiennent d’une erreur de développement, pas des qualités du photographe –, puis dès les années 1960, le poids de l’industrie cinématographique qui livre Le Jour le plus long (1962). Un autre film, Il faut sauver le soldat Ryan (1998), scotche littéralement le spectateur en lui révélant ce que signifie être dans une barge devant Omaha Beach  : les tremblements de la main de Tom Hanks, les spasmes des soldats chahutés par le mal de mer, et la moisson rouge récoltée par les mitrailleuses allemandes. Cet environnement, qui se prête à la dramatisation, doit aussi être lu dans une historiographie encore très «  Guerre froide  »  : on vante la Normandie et le début de la libération de la partie occidentale de l’Europe, en occultant le rôle essentiel des opérations menées par les Soviétiques à l’Est. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, on sait que l’Allemagne a perdu la guerre d’abord à l’Est et que 4 soldats allemands sur 5 perdirent la vie sur le front russe. Cela dit, l’historiographie soviétique a toujours reconnu que la Normandie avait été un moment important – les autres débarquements en Afrique du Nord et en Sicile ou en Italie étant considérés comme des épiphénomènes.

 

« Depuis une vingtaine d’années, on sait que l’Allemagne

a perdu la guerre d’abord à l’Est et que 4 soldats allemands

sur 5 perdirent la vie sur le front russe. »

 

Du point de vue français, le rôle accordé au D-Day conduit à donner une extrême importance aux quelques unités qui y participent, et d'abord aux 177 hommes du commando Kieffer. On ne sait pas suffisamment que la France est aussi présente dans les airs (au sein de Wings de la RAF) et sur mer (avec notamment les croiseurs «  Georges Leygues  » et «  Montcalm  »). En outre, cest aussi par la Normandie que débarque, début août, la 2e DB de Leclerc. Cette survalorisation de la Normandie mène à une quasi confiscation mémorielle vis-à-vis dun autre débarquement, celui de Provence. Pourtant, l’armée B – puis 1ère Armée française – sous les ordres de De Lattre fait aussi bien voire mieux, par exemple en libérant les villes de Toulon et Marseille. Mais ces troupes viennent essentiellement des colonies et territoires français à l’étranger et leur mémoire, avant le septennat de Chirac, passe largement sous silence.

 

« Cette survalorisation de la Normandie mène à une quasi

confiscation mémorielle vis-à-vis d'un autre débarquement,

celui de Provence, où les troupes de De Lattre s’illustrèrent

en libérant les villes de Toulon et Marseille. »

 

Il faudrait aussi parler du tourisme de mémoire, d’une Normandie qui très tôt, fait le choix de ce lien avec le passé pour développer une offre pléthorique, centrée sur les plages – qu’il est question d’inscrire au patrimoine de l’UNESCO –, les villes emblématiques – Bayeux, Caen, Carentan – et les sites héroïsés (par exemple la Pointe du Hoc). Le 6 juin devient donc un argument de vente, tourné vers le public notamment anglo-saxon à qui l’on propose d’ailleurs des modules «  visite des champs de bataille  ».

Avec le moment où disparaissent les derniers vétérans, la transition de la mémoire vers l’histoire s’achève complètement. Comme on l’a observé pour les funérailles du dernier poilu, Lazare Ponticelli, il sera alors temps de laisser le travail aux historiens – qui se sont déjà largement et depuis longtemps emparés du sujet – mais qui ne seront plus tenus au risque du choc et donc de l’affrontement des mémoires. Cela fait longtemps que les «  mythes  » et «  secrets  » du Débarquement se sont évaporés. Il faut aller au-delà des plans com des auteurs ou des maisons dédition qui abusent de titres annonçant des révélations sur un évènement désormais bien connu des historiens.

 

Débarquement

 

En revanche, il faudra toujours, et dans une démarche qui peut mêler connaissance scientifique et reconnaissance mémorielle, se souvenir de ceux et celles qui, dans l’été 1944, sont venus se battre, et pour beaucoup mourir, pour un coin de France dont ils ne savaient pas forcément le nom.

 

« Il faudra toujours se souvenir de ceux et celles qui,

dans l’été 1944, sont venus se battre, et pour beaucoup

mourir, pour un coin de France dont ils ne savaient

pas forcément le nom... »

 

Guillaume Lasconjarias 2019

 

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7 mai 2020

Julie Bottero : « L'espérance de vie des personnes vivant avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

Alors que le déconfinement se précise, et que la vie s’apprête à redevenir un peu plus normale pour les uns et les autres, suite de ces articles ayant vocation à mieux faire connaître le monde médical, en donnant la parole à des soignants. Mon invitée du jour s’appelle Julie Bottero : responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), elle est notamment spécialisée dans les questions touchant au VIH, au SIDA. Merci à elle d’avoir accepté de répondre à mes questions, au tout début du mois de mai. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Julie Bottero: « L’espérance de vie des personnes vivant

avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

 

Julie Bottero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Comment vivez-vous, comme soignante, et comme chef de service à l’AP-HP, cette crise du COVID-19 ? Dans quelle mesure votre service est-il impacté par la pandémie, et sollicité pour lutter contre elle ? Quelles leçons tirez-vous de cette expérience de terrain ?

face au Covid-19

Bonjour. Tout d’abord, une précision, je ne suis pas chef de service, mais responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), dont le chef de service multi-sites est le Professeur Olivier Bouchaud. Au début du confinement, cette unité, à activité ambulatoire exclusive, a dû, comme toutes les unités ambulatoires, fermer pour ne pas risquer d’exposer les patients au coronavirus. Ainsi l’hôpital Jean Verdier a pu, comme les autres hôpitaux, concentrer ses efforts sur la prise en charge des patients hospitalisés pour COVID.

De mon côté, j’ai donc réorganisé, conformément au souhait du Professeur Bouchaud, mon travail à distance autour d’activités de veille et synthèse bibliographique, et de production de projets de recherche.

À ce jour j’ai donc contribué à :

  • la diffusion d’informations médicales auprès de nombreux confrères, via notamment des groupes WhatsApp et un site internet mis en place par l’UNFM (Université Numérique Francophone Mondiale), dédié à la formation des soignants francophones

et à

  • l’écriture de plusieurs projets de recherche opérationnelle visant notamment à :

- Évaluer le retentissement médico-psycho-social à moyen terme d’une hospitalisation pour COVID ;

- Organiser la prise en charge des personnes sans-abri à Marseille ;

- Évaluer l’apport d’un Drive de dépistage du COVID en région parisienne.

 

Cette question dépasse un peu le cadre médical, mais croyez-vous que cette crise va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

après la crise

Même nous ne pouvons que l’espérer, je ne suis pas sûre que cette crise nous permettra effectivement de sortir du système individualiste dans lequel notre société est engagée depuis si longtemps…. Et des dérives extrémistes, notamment secondaires d’une part aux erreurs des politiques dans la gestion de cette crise, et d’autre part à une excessive défiance de la société envers ses « élites », sont même à craindre…

 

Vous êtes très engagée dans la prévention, et dans la lutte contre le Sida, pandémie (provoquée par le virus VIH) qui a tué et qui continue de tuer massivement partout dans le monde (plus de 30 millions de morts d’après l’OMS). Quels points de dissemblance et de ressemblance notables avec le COVID-19 ? La rapidité légitime des réactions et de la recherche pour lutter contre ce nouveau coronavirus, qui frappe et perturbe massivement les pays occidentaux, n’est-elle pas à comparer avec l’historique de la réponse faite au SIDA ?

Covid-19 et VIH

De nombreux parallèles peuvent effectivement être faits dans la gestion internationale, scientifique et médicale de ces deux pandémies… Même si je n’exerçais pas encore à ce moment-là, il semble que les choses vont plus vite actuellement que pour la pandémie du SIDA. Toutefois, il me semble que cela tient essentiellement aux immenses avancées, non seulement techniques (qui ont permis de caractériser ce coronavirus très rapidement), mais aussi numériques qui facilitent largement les transferts d'informations et de connaissances. En outre, ce virus de type respiratoire semble, pour le moment, moins complexe et variable que celui du VIH, ce qui devrait permettre la mise au point rapide d'un vaccin.

 

Constatez-vous, si vous avez des données en la matière, un nombre moindre de dépistages ou de traitements de maladies de type MST ou SIDA en cette période de Covid-19 ? Ce phénomène a l’air assez alarmant : beaucoup de gens ne font pas leurs examens ou ne vont pas à l’hôpital quand ils le devraient, par peur du Covid ou pire, de ne pas déranger ?

effets collatéraux

Il est certain que, du fait du confinement, du principe général de précaution, mais aussi afin de pouvoir prendre en charge au mieux l’ensemble des personnes hospitalisées pour COVID, nous avons dû différer de nombreuses consultations de suivi (certaines ayant toutefois été réalisées en téléconsultations), mais aussi limiter les amplitudes des consultations dédiées au dépistage. De ce fait, et comme d’autres spécialistes, nous sommes inquiets d’une possible (non documentée jusqu’alors) dégradation de l’état de santé générale de nos patients et nous nous préparons désormais activement à pouvoir reprendre au mieux le suivi nécessaire.

 

Où en est-on justement dans la recherche contre le SIDA ? Quelles avancées, et quels faits notables ces dernières années ? Y a-t-il un espoir tangible d’imaginer qu’à l’horizon 2030, il y ait un vaccin ?

SIDA : perspectives d’avenir

De nombreux progrès ont été faits ces dernières années, tant aux niveaux thérapeutique que préventif. Sur le plan thérapeutique, de nombreuses personnes infectées peuvent désormais bénéficier de traitements sous forme simplifiée (1 à 2 comprimé.s. par jour, parfois uniquement 4 jours/7), et quasiment dépourvus d’effets secondaires. Du fait de ces progrès, les patients infectés par le VIH vivent mieux avec le traitement et ont, de plus en plus, une espérance de vie proche de celle des personnes non-infectées.

Par ailleurs, des progrès ont également été réalisés sur le plan de la prévention, puisque l’on sait désormais qu’il n’y a pas de risque à avoir des rapports sexuels avec une personne porteuse du virus du VIH, sous réserve que celle-ci prenne scrupuleusement son traitement et que « sa » charge virale soit constamment indétectable (Concept du I= I ou Indétectable = Intransmissible). Il existe également, désormais, des tests de dépistage rapide simplifiés, y compris réalisables par les personnes elles-mêmes si elles le désirent (autotests vendus en pharmacie), et la possibilité, pour toutes les personnes prenant des risques importants d’exposition au virus (notamment pour celles n’arrivant pas à utiliser des préservatifs lors des rapports sexuels), de bénéficier de consultations et de traitement préventif appelés PREP.

Quant au vaccin, difficile malheureusement, compte-tenu des caractéristiques du virus et de ses mécanismes physiopathologiques, de penser que celui-ci sera disponible en 2030…

 

Un message à adresser aux uns et aux autres ?

Gardez la confiance en vos soignants et en l’Inserm (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale)… nous mobilisons toute notre énergie médicale et scientifique pour nous sortir de cette crise sanitaire le plus vite et le mieux possible, et notamment en ne cessant de chercher les meilleurs traitements.

 

Un dernier mot ?

Prenez-soin de vous, de vos proches, et de la société.

 

Julie Bottero

 

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2 juin 2020

« La parole publique au défi du Covid », par Pierre-Yves Le Borgn'

Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger (entre 2012 et 2017), est bien connu des lecteurs réguliers de Paroles d’Actu. Il a été, depuis notre première interview de 2013, la personnalité politique que j’ai le plus souvent interrogée, toujours avec plaisir, pour ce site. Il y a quelques semaines, dans un contexte de fin de confinement, j’ai souhaité lui accorder, une fois de plus, une tribune libre pour évoquer, via l’angle de son choix, l’exceptionnelle expérience vécue collectivement. Son texte, dont je le remercie, est un focus pertinent sur l’importance et l’impact de la parole publique en ces temps troublés, et un message, un appel directement adressés à nos dirigeants. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La parole publique au défi du Covid »

par Pierre-Yves Le Borgn, le 1er juin 2020

En ces premiers jours du mois de juin, la France sort pas à pas du confinement imposé durant près de deux mois en réponse à la pire pandémie qu’elle ait connu en un siècle. Les nouvelles communiquées par le Premier ministre Édouard Philippe il y a quelques jours sont encourageantes. Rien n’est certes encore gagné, mais la pandémie recule. Il n’en reste pas moins qu’une redoutable crise économique et sociale nous attend, dont la portée et l’ampleur seront malheureusement inédites. À la fin de cette année maudite, ce seront sans doute plus d’un million de Français supplémentaires qui auront rejoint les chiffres des demandeurs d’emploi. Pareille perspective est une bombe à retardement, une catastrophe pour la société française, déjà minée par nombre de fractures sociales, territoriales et générationnelles révélées par la crise des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites et le drame sanitaire du printemps.

« On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale

qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide. »

Derrière cela, il y a un pessimisme, un marasme, une défiance, une crise morale qui viennent de loin. Deux livres, chacun à leur manière, le présentaient remarquablement il y 4 ou 5 ans : Comprendre le malheur français, de Marcel Gauchet, et Plus rien à faire, plus rien à foutre, de Brice Teinturier. Leur lucidité d’analyse m’avait impressionné. Ainsi, le diagnostic avait quelque part déjà été fait. En a-t-on seulement tenu compte ? Là est la question, à laquelle il faut lucidement reconnaître qu’une réponse insuffisante a été apportée. La peur du déclassement travaille pourtant la société française depuis longtemps et elle progresse de jour en jour. Notre société est l’une des plus pessimistes, si ce n’est la plus pessimiste d’Europe. Des moments difficiles, beaucoup de pays en ont traversé. Ils ont su pourtant se redresser, chacun à leur manière. Et nous ? On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide.

Dans ce contexte, la parole publique est essentielle. Elle doit avoir du crédit, de la force. Malheureusement, la polémique sur les masques l’a mise à mal. La défiance se nourrit de petits arrangements coupables et ravageurs avec la vérité. Il n’y avait pas suffisamment de masques. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas dit, plutôt que de laisser entendre que les masques ne servaient à rien avant, poussé par la réalité, de devoir se raviser ? Autre erreur : annoncer un samedi soir la mise à l’arrêt de toute l’économie française et le confinement de 66 millions de personnes tout en leur demandant d’aller voter le lendemain pour les élections municipales. L’incohérence était flagrante. Les Français ont eu le sentiment d’être infantilisés, méprisés, qu’on leur mentait ou qu’on leur cachait quelque chose. Le complotisme y a trouvé matière à prospérer. Et derrière la perte de sens de la parole publique, c’est toute l’efficacité de l’action publique qui est affectée.

Il faut trouver le mot et le ton justes. Il faut pouvoir écouter, expliquer et justifier. De ce point de vue, ce quinquennat, comme les précédents, n’a pas à ce jour répondu aux attentes. À deux ans de son terme, le pourra-t-il ? L’optimisme farouche d’Emmanuel Macron, sa détermination à faire bouger les lignes et mettre en mouvement l’économie et la société ont été desservi par une pratique excessivement verticale, distante et centralisée du pouvoir. Le Président est en surplomb des Français, là où il devrait être avec eux et parmi eux. Jamais le sens des réformes n’a été suffisamment présenté, comme si cela n’avait pas été jugé nécessaire. C’est une erreur profonde. Aucune réforme n’est efficace ni durable sans appropriation par tout ou partie des Français. La parole publique souffre d’être tour à tour rude, vague, lointaine ou lyrique. La question n’est pas de parler fort, trop ou trop peu, elle est de parler juste et de parler vrai.

« Il faut trouver une expression et un ton

qui fédèrent derrière l’immensité des efforts

à accomplir et la direction à prendre. »

La France est un pays que l’on doit sentir. Je suis convaincu que les Français peuvent entendre la réalité, même si elle est dure, pour peu que l’on mêle à l’exercice de la parole publique la sobriété, le souci didactique, la simplicité de l’échange et la volonté de rassurer par l’exercice de la vérité. C’est ce que le Premier ministre Édouard Philippe est parvenu à faire ces dernières semaines et cet engagement doit inspirer. C’est ce qui fait en Allemagne depuis des années la force de la Chancelière Angela Merkel. On ne sortira pas notre pays de la crise sans l’adhésion d’une majorité de Français. Il faut pour cela trouver une expression et un ton qui fédèrent derrière l’immensité des efforts à accomplir et la direction à prendre. Le défi, c’est la capacité de la France de se réinventer, de reprendre une marche en avant émancipatrice pour chacun, solidaire et créatrice de sens pour tous. Beaucoup se joue maintenant et pour longtemps. Plus que jamais, l’unité de la parole publique doit y contribuer.

 

PYLB

Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (2012-2017).

 

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22 mars 2021

Sébastien Mirek, anesthésiste-réanimateur : « En 2020, nous avons tous été obligés de nous réinventer... »

La semaine dernière, le 17 mars plus précisément, nous nous souvenions qu’un an auparavant débutait en France un confinement général de deux mois pour cause de coronavirus. Pas de ces anniversaires qu’on commémore avec plaisir. Pour tous, celui-ci avait plutôt un goût amer : un an après, un autre confinement national a eu lieu à l’automne, d’autres ont été et seront peut-être encore décrétés localement, et depuis des mois un couvre-feu est instauré. Surtout, depuis un an, le bilan humain de la pandémie est lourd : plus de 92.000 décès en France, plus de 2,7 millons à l’échelle du monde.

En première ligne pour lutter contre la COVID-19, toujours, les soignants, et en particulier, en dernier ressort, le plus critique, celles et ceux qui s’affairent dans les services de réanimation, là où la mort est une issue probable, là où on peut encore l’empêcher. J’ai la chance, une fois de plus, de vous proposer aujourd’hui une interview-bilan avec un médecin anesthésiste-réanimateur, le docteur Sébastien Mirek, qui officie au CHU Dijon Bourgogne. Je le remercie pour ses réponses, et pour les photos faites par ses soins et qu’il m’a transmises. Une exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Sébastien Mirek: « En 2020, nous avons

tous été obligés de nous réinventer... »

 

Sébastien Mirek

En direct du bloc opératoire des urgences du CHU, en préparation avec les équipements

de protection individuelle pour accueillir un patient COVID.

 

Bonjour Sébastien Mirek. Pourquoi avez-vous choisi de faire médecine, et comment en êtes-vous arrivé à la réanimation ?

Tout d’abord un grand merci de me donner l’opportunité de partager mon vécu et ressenti de terrain sur la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d’un an.

J’ai toujours voulu faire médecine, déjà depuis mon enfance. Je voulais sauver des vies. C’était un peu comme un rêve qui est devenu réalité. Mes parents et ma famille m’ont beaucoup aidé pour cela. Ils m’ont transmis ces valeurs d’être au service des autres. Je leur dois beaucoup, si ce n’est tout.

Originaire du Creusot en Saône-et-Loire, je suis issu d’une famille modeste, qui a immigré de Pologne. Très fier de ma famille et de mes origines, je me devais de travailler pour rendre fiers mes proches.

J’ai commencé médecine en 2000, à la faculté de médecine de Dijon. J’ai été interne en anesthésie-réanimation à Dijon, docteur en médecine spécialisé en anesthésie-réanimation en 2012, et maintenant praticien hospitalier au CHU de Dijon Bourgogne. Je suis passionné par mon métier, par ma spécialité, que je défends.

 

« Ce qui me plaît le plus, c’est l’imprévu, le non

programmé, l’urgence grave. C’est là

où je me sens le plus utile, le plus compétent. »

 

J’alterne mon activité clinique entre le bloc des urgences, la réanimation traumatologique et neurochirurgicale et des gardes au SAMU 21. Ce qui me plaît le plus, c’est l’imprévu, le non programmé, l’urgence grave. C’est là où je me sens le plus utile, le plus compétent. Notre métier d’anesthésiste-réanimateur n’est pas de souhaiter que les patients viennent nous voir mais de tout faire en ayant anticipé la prise en charge, quand les patients viennent nous voir après un accident de la route par exemple. Prévoir l’imprévu, pas toujours facile, mais tellement passionnant et motivant. Je suis aussi médecin réserviste capitaine dans le service santé des armées et spécialisé dans la médecine tactique et la médecine en situations sanitaires exceptionnelles.

J’exerce aussi une partie de mon activité en enseignement, auprès des collègues et des autres professionnels de santé sur le centre de simulation en santé du CHU, USEEM. Nous entraînons les professionnels sur des simulateurs de haute technologie mimant la physiologie humaine sur des situations critiques potentiellement graves. Avec toujours le même objectif  : «  jamais la première fois sur le patient  ». En s’entraînant en situation réelle, on est meilleur quand la situation clinique se présente au bloc opératoire ou en réanimation en urgence vitale. Ce type de formation en simulation est inspiré des pilotes de ligne. Vous monteriez, vous dans un avion dont le pilote ne s’est pas entraîné sur un simulateur de vol avant  ?

 

Simulateur USEEM CHU Dijon

Simulateur haute-fidélité HAL® Gaumard au centre

de simulation USEEM CHU Dijon Bourgogne.

 

Pourquoi avoir choisi la spécialité d’anesthésie-réanimation ?

La réponse est simple, c’est la plus belle des spécialités  ! Je ne regrette pas du tout mon choix. Et s’il était à refaire, je choisirais cette même spécialité.

Pouvoir à la fois faire mon métier d’anesthésiste-réanimateur au bloc opératoire sur des patients graves, et enchaîner avec la prise en charge de ces patients en réanimation avec la casquette réanimateur-anesthésiste : une vraie polyvalence permettant une prise en charge dans la globalité, et aussi une vraie complémentarité.

Comme je le dis plus haut, j’ai toujours voulu faire médecin pour aider les gens. Au début de mes études, j’étais très intéressé par la chirurgie réparatrice maxillo-faciale. J’ai fait un super stage en chirurgie maxillo-faciale, où les collègues avaient reconstruit le visage d’un patient suite à un traumatisme ballistique. C’est ensuite, en faisant mon stage en réanimation chirurgicale en 4e année de médecine, que j’ai vraiment eu le coup de foudre pour l’anesthésie-réanimation. Ce sont des rencontres avec des collègues qui m’ont donné cette envie. Un de ces collègues d’ailleurs était à ce moment-là interne, et il a été à l’origine de cette passion. Il a été mon directeur de thèse de médecine que j’ai faite sur les polytraumatismes et les traumatisés crâniens graves. Il se reconnaîtra. C’est aujourd’hui mon collègue en réanimation traumatologique. Je crois peu au hasard mais beaucoup au destin.

 

Racontez-nous votre expérience de cette année passée, soit depuis avant le premier confinement (mi-mars 2020) ?

Cette année 2020 aura été une année ou nous avons toutes et tous été obligés de nous réinventer, et tout particulièrement au niveau de notre système de santé. Nous sommes sortis de notre zone de confort pour pouvoir continuer à faire notre métier, avec comme objectif d’apporter les meilleurs soins à tous les patients que nous devrions prendre en charge, COVID ou non-COVID. J’ai fait ce choix de carrière à l’hôpital public, de surcroît universitaire et j’en suis fier. Je suis fier de notre système de santé qui a su trouver les ressources nécessaires pour pouvoir faire face à cette crise d’ampleur internationale face à un virus émergent, dont nous ne connaissions pas grand-chose en ce début d’année dernière. Malgré cela, nous avons su à titre collectif nous organiser, modifier nos procédures, parfois plusieurs fois par jour, modifier nos parcours de prise en charge, jusqu’à modifier nos locaux en créant des lits de réanimations éphémères dans nos salles de réveil du bloc opératoire, recevant normalement des patients en post-opératoire d’une chirurgie. Oui, nous avons dû sortir de cette zone de confort, mais nous avons apporté des soins de qualité à l’ensemble des patients qui devaient en avoir. C’est collectivement que nous avons pu réaliser cela. Notre hôpital à rayonnement régional est un hôpital de recours pour bon nombre de pathologies au niveau de notre territoire sanitaire régional. Nous avons réorganisé nos réseaux et mis en place des collaborations fortes avec les autres établissements publics, mais aussi privés, pour notamment mettre en place de la chirurgie délocalisée dans ces établissements.

Distinguons la première de la seconde vague.

 

« Depuis un an, la société a les yeux

rivés sur nos métiers. Je pense qu’il y aura

un avant et un après-COVID. »

 

Au cours du premier confinement, nous savions peu de choses sur la COVID-19. La société a été comme sidérée par l’annonce de ce confinement total, et il y avait une énergie incroyable collective. À titre personnel, je n’ai absolument pas vécu le confinement comme la population l’a vécu, et je pense que cela a été le cas d’un certain nombre de collègues. Nous avons fait notre travail de médecin anesthésiste-réanimateur, en passant plus de temps à l’hôpital, sans réelle déconnexion. L’énergie transmise par la population nous a permis encore plus de nous dépasser. Le revers de la médaille est que tous les regards étaient tournés vers nos réanimations, comme si tout notre pays découvrait notre métier et nos techniques de prise en charge que nous faisions déjà avant l’épidémie. Je pense notamment à la mise en décubitus ventral d’un patient en détresse respiratoire. Quelle stupeur de voir ces images de patients en décubitus ventral sur les chaînes d’information en continu, avec de soi-disant experts médicaux expliquer tout et son contraire sur cette technique que nous pratiquions déjà avant la COVID. Je ne reviens pas sur les différentes polémiques des traitements contre le virus. À ce moment-là, je me suis dit que la société avait les yeux rivés sur nous et qu’il y aurait un avant et un après-COVID. Notre pratique de la réanimation, et même de la médecine au sens large, ne sera plus vraiment la même après cette pandémie.

Pour ce qui est de la seconde vague, le ressenti a été totalement différent. Toujours de l’énergie collective qui permet d’avancer mais beaucoup de fatigue et un sentiment de lassitude des professionnels de santé. Quand arriverons-nous à sortir de cette épidémie  ? Après combien de vagues  ? Ce sont les questions sous-tendues, tout à fait légitimes que nous entendons. Avec une difficulté supplémentaire qui est le sentiment de défiance d’une partie de la population face à cette épidémie et face aux décisions prises par le gouvernement.

Notre objectif en tant que réanimateurs est de tout faire pour le patient ne vienne pas en réanimation. On vient en réanimation, quand on a une pathologie grave avec une ou plusieurs défaillances d’organes. Le pronostic vital est en jeu. Nous entendons tout faire pour prévenir les contaminations, pour que les personnes ne se contaminent pas et de ce fait, ne fassent pas de formes graves de la COVID-19. Il est là notre objectif. C’est là qu’interviennent toutes les mesures barrières (masques, lavage des mains, distanciation physique), et les mesures de confinement permettent de diminuer la circulation du virus en diminuant les interactions sociales.

Un point de mon activité de ces derniers mois sur lequel je souhaite revenir est ma participation dans la formation des professionnels. Une formation indispensable face à un virus émergent, afin de pouvoir protéger les professionnels de santé des contaminations, et aussi en formant des équipes de soignants à la prise en charge en réanimation dans le cadre de la réserve sanitaire et devant le besoin accru en matière de soins. Nous avons formé plus de 700 apprenants sur le territoire et nous sommes encore en train de déployer ces formations innovantes en simulation in situ, directement dans les services de soins critiques dans les établissements publics et privés. C’est en s’entraînant et répétant, en situation réelle, que nous gérerons mieux la crise si celle-ci se produit.

 

Quelle est la situation sur le front de la COVID-19 aujourd’hui ? Partagez-vous, pour ce qui concerne la région de Dijon, et pour ce qui concerne le pays tout entier, les inquiétudes de vos confrères ?

Je le redis encore une fois. La COVID n’est pas une «  grippette  » comme certains le disaient et continuent de le faire croire. Nous faisons face à une pandémie mondiale liée à ce coronavirus qui est une pathologie grave, qui n’épargne personne, encore plus avec l’apparition des différents variants plus contagieux. Ce n’est que collectivement que nous réussirons à nous en sortir. Nous avons eu une année 2020 plus que particulière. Qui aurait pu penser, prédire que nous aurions dû faire face à une pandémie mondiale liée à un virus émergent, la COVID-19 (ou son nom scientifique, le SARS-CoV-2) ? Prédire, anticiper, gérer le risque et la complication avant qu’ils ne se produisent est pourtant bien mon métier de médecin anesthésiste-réanimateur. Et pourtant, nous avons dû totalement nous réorganiser pour pouvoir faire face à cette épidémie, qui a changé bien des repères dans nos vies personnelles et professionnelles.

Nous, soignants, agents de service hospitalier, aides-soignants, infirmiers, psychologues, kinésithérapeutes, médecins et toutes les corps de métier de nos hôpitaux publics et privés, nous avons fait notre travail comme beaucoup d’autres professions et nous continuerons à le faire. Je suis fier de notre système de santé, même si nous pouvons toujours faire mieux, être meilleurs. Collectivement, nous pouvons en être fiers et nous devons nous soutenir les uns les autres.

Nous devons aussi faire confiance au monde médical et scientifique, mais aussi à nos dirigeants et notre gouvernement. Notre rôle est de transmettre l’information et surtout la bonne information car depuis un an, nous avons fait face à une vague d’infox en tous genres qui a brouillé totalement la parole publique.

 

Réa SSPI éphémère 1

Salle de surveillance post-interventionnelle transformée en réanimation SSPI éphémère.

Réa SSPI éphémère 2

 

Quelles leçons tirer, collectivement, et quelles leçons tirez-vous à titre personnel de cette éprouvante séquence Covid-19 ? En quoi vous aura-t-elle transformé ?

Nous avons beaucoup appris sur ce virus en un an, nous apprenons encore. Nous avons traversé une période difficile qui n’est malheureusement pas terminée, mais nous devons continuer à faire face ensemble, et tenir ensemble. Au niveau des soignants, nous ne sommes pas des héros comme on a essayé de nous le faire croire lors du premier confinement, juste des citoyens engagés et passionnés au service des autres. Je ne vous cache pas que cet élan de solidarité à notre égard nous a boostés et a permis de nous réinventer encore plus, mais nous savions aussi que cette phase serait éphémère et que le retour à l’état de base n’en serait que plus dur.

Cette période nous aura toutes et tous changés et bouleversés dans nos habitudes, nos croyances, nos vies. Nous ne l’oublierons jamais.

Pour finir avec ces quelques pensées et ressentis retranscrits brièvement, je voudrais vous faire un rappel des gestes de prévention. Le meilleur moyen de ne pas être hospitalisé dans mon service de réanimation est bien de ne pas se faire contaminer. Rappelons tout de même qu’un séjour en réanimation n’est jamais anodin et signe une gravité importante engageant le pronostic vital. Continuons de respecter les gestes barrières : distanciation sociale de 2 mètres avec l’apparition de nouveaux variants ; lavages répétés des mains à la solution hydroalcoolique si possible, à défaut au savon ; port du masque en respectant les règles de mise en place et changement toutes les 4 heures ; aérer les pièces en respectant la règle des 6 personnes à table dans votre cercle de personnes que vous côtoyez ; installer l’application Tous Anti-Covid, indispensable dans la stratégie de « tester, tracer, isoler ». Un dernier point rapide concerne la vaccination, un formidable espoir contre la COVID, résultat d’une mobilisation extraordinaire de toute la communauté scientifique internationale. Lorsque ce sera votre tour, faites-vous vacciner selon le schéma vaccinal proposé. Nous avons cette grande chance par rapport à il y a un an, d’avoir maintenant des vaccins disponibles, profitons-en...

   

Un dernier mot ?

Espérance.

Continuons d’avoir confiance en l’avenir et restons optimistes malgré cette phase troublée.

Nous y arriverons collectivement. Nous tiendrons ensemble. Prenez soin de vous...

 

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22 juillet 2021

Bernard Lonjon : « L'âme de Brassens m'a suivi dans mon parcours et dans ma vie. »

Le 22 octobre de cette année, Georges Brassens aurait eu 100 ans. En 1951, Charles Trénet chantait : « Longtemps, longtemps, longtemps / Après que les poètes ont disparu / Leurs chansons courent encore dans les rues... » Que retient-on, aujourd’hui, un siècle après sa première venue au monde, de Brassens, qui davantage peut-être que son statut d’auteur-compositeur-interprète, dont il fut des plus grands, compte et comptera parmi les poètes intemporels ?

J’ai la joie de vous proposer cette interview avec Bernard Lonjon, un des meilleurs connaisseurs de l’artiste, dont il a d’ailleurs embrassé, partant de son Auvergne natale, le berceau sétois (notons quil participe à la programmation exceptionnelle mise en place par Sète à l’occasion de ce centenaire). M. Lonjon est notamment auteur du très ambitieux Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021), ouvrage qui retrace minutieusement la vie de Brassens jour après jour, année après année ; une publication agréable à lire parce que très vivante, et sur laquelle les fans du génial moustachu - mais pas que - devraient se précipiter.

Je profite de cet article pour avoir également une pensée pour mon père, qui aurait eu 70 ans la semaine dernière, et qui aimait Brassens. Sur la photo qui suit, les deux coffrets vinyles qu’il possédait de lui. Je n’ai plus, à ce jour, le matériel pour les écouter, mais je compte bien le faire un jour.

Vinyles Brassens

Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Bernard Lonjon: « L’âme de Brassens

m’a suivi dans mon parcours et dans ma vie. »

Brassens l'enchanteur

Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021).

 

Bernard Lonjon bonjour. Quel temps passé, quelle somme de travail (l’écriture et, toute la recherche en amont) votre Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021) a-t-il représenté ? Avez-vous eu accès à des documents inédits, je pense à la foisonnante correspondance de Brassens avec notamment, ses copains ? Appris, vous-même, qui en êtes grand connaisseur, des choses importantes ?

Quatre années de travail depuis mon dernier Brassens: Les jolies fleurs et les peaux de vache. De passionnantes longues heures de recherches dans les vidéos (entretiens) on-line ou sur le site de l’INA, des milliers d’articles de presse, des manuscrits ou des correspondances dans diverses Archives, des entretiens avec ses amis à Sète ou ailleurs (de visu ou par mail), des relectures de livres de souvenirs (Tillieu, Battista, Poletti, Onteniente, Laville, Iskin, Larue...), de ses cahiers, de ses journaux intimes (peu nombreux), de ses agendas... Un gros travail de compilation ensuite avant de tenter de relier tous ces évènements petits ou grands qui replacent l’homme et l’artiste dans sa vie quotidienne.

 

Dans quelle mesure les périodes de vaches maigres, qui en son temps, celui des restrictions, ont réellement voulu dire, crier famine, ont-elles forgé le rapport de Brassens à l’argent ?

L’argent n’a jamais été un moteur, ni un frein pour lui. Il le disait: « J’ai de l’argent, c’est bien, je peux manger. Je n’en ai pas, ce n’est pas bien grave, je saute des repas. » La seule chose qui le gênait fut de dépendre des autres, et notamment de 1944 à 1952, de Jeanne. Il le lui rendra bien en l’immortalisant dans trois chansons (Chanson pour l’Auvergnat, La cane de Jeanne et Jeanne), en rendant à sa maison-taudis (ses propres mots) de l’impasse Florimont des allures de lieu de vie plus correct avec eau courante, toilettes et électricité. Ila toujours vécu de peu, même si ce fut souvent à cette époque, de rien! Une lecture-découverte d’un nouveau poète (Antoine Pol par exemple) l’enrichissait plus que des boîte de conserves (dont il a par ailleurs beaucoup trop abusé pour son corps... surtout qu’il les dévorait à même la boîte

 

 

L’anarchisme de Brassens, son anticléricalisme, son antimilitarisme, puisent-ils autant dans ses lectures, dans son regard sur le monde qui tourne (mal, souvent) que dans son expérience de vie ? Son message a-t-il résonné d’une manière particulière auprès des auditeurs de son époque ?

Sa hantise de l’ordre établi, des corps constitués, de la police, de la justice et de toute autorité... remonte peut-être à ce jour où à l’école maternelle de Sète, il fut mis au placard pour indiscipline avec pour conséquence une dizaine de furoncles dans la tête après ce choc psychologique. Plus vraisemblablement après une éducation balancée entre la ferveur catholique de sa mère grenouille de bénitier et la libre pensée de son père, il a penché vers le second à son arrivée à Paris (après l’affaire des bijoux pour laquelle il eut affaire à la justice et à la rumeur des Sétois). C’est là qu’il rencontra en 1946, au coeur du XIVe arrondissement, une bande de joyeux libertaires qui le convertirent très vite à leur cause, ce qui le conduisit à écrire des articles plutôt violents envers l’autorité dans « Le Monde libertaire », alors journal de la Fédération anarchiste.

 

Brassens était-il un vrai timide, ou bien une espèce de misanthrope qui s’est affirmée avec le temps ?

Il était du genre plutôt timide, sauf entouré de sa bande de copains habituels. En même temps, il aimait bien se retrouver seul, pour écrire ses chansons, lire ou flâner dans la poésie, « serein, contemplatif, ténébreux, bucolique. » Il aimait les gens, mais surtout ceux qu’il connaissait. Ce n’était pas un extraverti et son idéal eût sans doute été de se réfugier dans sa thébaïde.

 

Nous réalisons cette interview alors qu’il est question en continu, de vaccination obligatoire, de pass sanitaire pour des activités du quotidien, tout cela sur fond de règne du politiquement correct. Cette époque, la nôtre, Brassens l’anar, l’anticonformiste, il l’aurait haïe, non ?

Ni Dieu, ni maître! Aurait-il cependant obéi en portant un masque ou en allant se faire vacciner? Sans doute oui pour éviter toute confrontation avec l’ordre établi tout comme il le faisait en son temps en traversant sur les passages protégés pour éviter les flics. Il avait une forte tolérance envers les individus et prônait la liberté individuelle. Cette époque l’aurait probablement beaucoup "emmerdé" car il râlait déjà en son temps contre le conditionnement dû à la publicité à outrance. Il se serait peut-être replié sur lui-même. De toute façon, il ne fut jamais de son époque, lui qui disait être « foutrement moyenâgeux » !

 

On cite souvent, parmi les auteurs-compositeurs-interprètes de sa génération, en-dehors de lui, Ferré, Brel, Barbara, Béart, Ferrat... Rarement Aznavour, qui pourtant est peut-être celui qu’on écoute le plus souvent, en partie parce qu’il a vécu jusqu’à nous. Brassens, Aznavour, ce n’était pas tout à fait la même catégorie ?

Oui, on met au même niveau les 4B (Barbara, Brel, Béart, Brassens) et les 2F (Ferrat, Ferré). On oublie souvent Anne Sylvestre. Aznavour est plutôt comparé à Bécaud. En réalité, même Aznavour ou Bécaud ne passent pas la barrière du temps excepté 5 ou 6 ritournelles. Idem pour Béart. Barbara survit grâce à quelques interprètes. Brel et Ferré ont du mal, tout comme Ferrat. Tout ceci est lié à la conjonction de deux phénomènes: l’intemporalité de l’oeuvre (seul Brassens possède cela dans la quasi totalité de toutes ses chansons) et la musique (là aussi seul Brassens peut survivre, d’une part parce qu’il avait choisi, contrairement à ses congénères, une orchestration minimaliste de bout en bout avec guitare-voix et contrebasse, alors que la plupart des autres auteurs-compositeurs-interprètes ont sur-orchestré leurs textes, fait beaucoup d’arrangements, qui ont du mal à passer les génération).

Seul Brassens a su privilégier le texte par rapport à la musique, et certains textes comme La mauvaise réputation, La mauvaise herbe, Je suis un voyou, Le gorille... sont repris par les jeunes générations (rappeurs, slameurs, musiques actuelles...). Sa seconde force est la richesse de sa musique, unique dans le monde de la chanson, à la fois jazzy, swingante et blues. Brassens est à la fois un folksinger et un bluesman, mais on ne l’entend bien que lorsque sa musique est jouée par d’autres (jazzmen, bluesmen...).

 

 

Quelle est votre histoire avec Brassens ? En quoi dans son œuvre, dans son parcours de vie, vous parle-t-il au plus profond de vous, Bernard Lonjon ?

Une histoire d’amour qui remonte à ma tendre enfance. Ma mère chantait La chasse aux papillons, Le parapluie, Les amoureux des bancs publics... lorsque j’étais gamin. Ensuite j’ai découvert les chansons "pas pour toutes les oreilles" et j’ai adoré ces mots inconnus, ces gros mots qu’il chantait avec un sourire coquin, presque complice. Il m’a depuis accompagné, depuis mon Auvergne natale jusqu’à sa ville natale où je vis aujourd’hui, une ville bien singulière, à la fois populaire et d’un très haut niveau culturel, entre Paul Valéry, Jean Vilar, Agnès Varda, Brassens et les peintres Soulages, Combas, Di Rosa... Son âme m’a suivi dans mon parcours professionnel et dans ma vie quotidienne.

 

 
Si, par hypothèse, vous pouviez lui dire quelque chose, ou lui poser une question, que choisiriez-vous ?

J’aimerais savoir s’il se marre vraiment au bistrot des copains avec sa « bande de cons » qu’il adorait, de Fallet à Boudard, de Ventura à Brasseur, de Clavel à Gévaudan, de Laville à Granier... toute cette bande de joyeux lurons qui se retrouvaient autour d’une bonne table ou plus simplement devant une bouteille de rouge et un saucisson pour refaire le monde à leur manière.

 

Quelles chansons de lui, celles qui vous touchent le plus, pas forcément d’ailleurs parmi les plus connues, auriez-vous envie de nous inviter à découvrir ?

Le blason est pour moi la plus belle chanson sur le sexe féminin. Saturne, une magnifique chanson d’amour. Mourir pour des idées, une chanson anarchiste par nature et Supplique pour être enterré à la plage de Sète, sa meilleure à mon goût, et pas seulement parce qu’elle nous ramène en île singulière. Sinon, écoutez Les châteaux de sable, L’inestimable sceau ou encore Le fidèle absolu, Le modeste et Le sceptique. De sacrées trouvailles qui passeront le temps car Le temps ne fait rien à l’affaire. En réalité, chez Brassens, il n’y a Rien à jeter. Il faut embrasser l’oeuvre dans son intégralité, dans sa complexité et dans sa richesse inégalée.

 

 
Brassens s’est largement inspiré, référé à des poètes des temps passés, on le voit au jour le jour dans votre livre. Quelle sera la trace que lui laissera dans le patrimoine des belles lettres françaises ?

Il a déjà laissé des traces, étant au programme à la fois des classes primaires, des lycées et de l’enseignement supérieur. Plus de deux cents thèses ont été défendues sur son oeuvre. Il est traduit dans plus de 80 langues ou dialectes et repris par plus de 5000 interprètes dans le monde (qui ont réalisé des disques de chansons et/ou de musiques en hommage à sa puissance créatrice).

 

Vous êtes très actif quant aux festivités autour du centenaire Brassens, qui se déroulent notamment à Sète. Quels premiers retours vous sont parvenus, et quel est l’auditoire de Brassens en 2021 ?

Des emballements multi-générationnels. On retrouve souvent trois générations côte à côte et il est fréquent d’entendre des jeunes adolescents raconter qu’ils sont là parce que leurs grands-parents leur ont parlé de Brassens. Nous avons programmé des chanteurs et musiciens de toutes générations, de Maxime Le Forestier à son fils Arthur, de Catherine Ringer à Barbara Carlotti, de Michel Jonasz à JP Nataf ou Piers Faccini ou encore de Benjamin Biolay à Albin de La Simone. Joël Favreau est évidemment venu chanter sur le Roquerols, le bateau spécialement amarré à Sète où se déroulent les 250 évènements (de juin à décembre) : concerts, colloques, conférences, théâtre vivant, philo pour enfants, escape games pour ados, dessins pour enfants, expositions... Il y en a vraiment pour toutes les générations. Souvent les soirées se poursuivent avec des DJ qui enflamment le bateau-phare du Roquerols en reprenant Brassens sous forme de musiques actuelles...

 

Est-ce qu’il y a de nos jours, dans la chanson française, parmi ceux-ci et d’autres, des artistes dont vous diriez qu’ils sont des poètes comme a pu l’être Brassens ? Et qui trouveraient grâce à vos yeux ?

J’en ai cité quelques-uns déjà. Il y en a beaucoup : Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal, La Grande Sophie, Camélia Jordana, Zaz, Pauline Croze... Philippe Katherine, Thomas Dutronc, Yves Jamait, Cali, Thomas Fersen, Mathieu Boogaerts, Alexis HK, Alex Beaupain, Gérald De Palmas... Liste non exhaustive, sans hiérarchie...

 

Vos projets, peut-être surtout, vos envies pour la suite, Bernard Lonjon ?

Deux autres livres sur Brassens à paraître en fin d’année (La ronde des chansons, Brassens au cabaret), une biographie de Manitas de Plata, des contributions à des livres autour de Polanski et Pasolini... sur Nougaro également... Envie de me remettre à écrire des nouvelles, fictions... de laisser libre cours à mes envies d’écriture !

Interview : mi-juillet 2021.

 

Bernard Lonjon

Bernard Lonjon, par Jeanne Davy.

 

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30 septembre 2021

Frédéric Quinonero : « Serge Lama est perçu injustement, corrigeons cela tant qu'il est encore là »

De Serge Lama, on connaît tous au moins une chanson : Je suis malade (S. Lama / A. Dona) a été interprétée, ici et ailleurs, par de grandes voix qui ont sublimé ce texte, pourtant très personnel d’un Lama né Chauvier qui, davantage sans doute que d’autres, s’est raconté et s’est confié, tout au long de sa carrière.

 

 

Connaît-on vraiment Serge Lama, au-delà de cette chanson, et de ses plus connues qui, des P’tites femmes de Pigalle à Femme, femme, femme, ne sont pas forcément ses plus intéressantes ? Je le confesse : de lui je ne savais pas grand chose avant de lire cette nouvelle bio de qualité signée Frédéric Quinonero, que je remercie pour cet entretien  - et je salue au passage Marie-Paule Belle et Marcel Amont, cités dans le livre et que j’avais tous deux interviewés, il y a des années.

L’histoire d’une enfance, qui l’aura marqué à vie ; l’histoire aussi d’une niaque hors norme, que les lourdes épreuves de son existence n’ont fait que renforcer. Lama, un gaillard attachant, et un grand interprète et auteur, trop souvent oublié, et qui mérite d’être découvert, ou redécouvert. Lisez ce livre, et écoutez-le, profitez-en : pour le moment le chanteur a vingt ans. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Serge Lama est perçu

injustement, corrigeons cela tant quil est encore là »

Serge Lama La rage de vivre

Serge Lama, la rage de vivre (LArchipel, septembre 2021)

 

Pourquoi as-tu choisi de consacrer cette nouvelle biographie à Serge Lama ?

C’est avant tout pour réparer un manque  : il n’y avait pas de biographie de Serge Lama quand j’ai décidé d’écrire la mienne. Ensuite, il y a eu l’annonce de ses adieux à la scène, tout au moins à la Province, ce qui constituait un prétexte idéal. Enfin, et surtout, il s’agissait de réhabiliter un auteur et un show-man.

 

Ce qui saute aux yeux quand on lit ce récit, dès les premières lignes, c’est cette niaque assez incroyable qui a animé Lama, notamment après son terrible accident de l’été 1965 qui a emporté celle qu’il aimait, Liliane, le frère d’Enrico Macias aussi, et qui a failli, lui, le laisser paralysé...

J’ai ouvert mon livre en relatant cet événement tragique, de façon filmique. Car on peut dire que cet accident de voiture, au-delà de l’horreur qu’il représente, a «  fait  » Lama  ! Il était en tournée, il démarrait une carrière avec l’arrogance des débutants qui veulent réussir coûte que coûte. L’accident l’a fauché en pleine ascension, modifiant brutalement la donne. Ramené à la case départ, physiquement et moralement détruit, il lui a fallu remonter la pente avec une rage de vivre supplémentaire, mais la sensibilité en plus. Devenu plus ouvert aux autres, plus humain, il était désormais prêt à être aimé. Et il l’a été, ô combien  !

 

 

On est frappé aussi de voir à quel point il a, semble-t-il, été influencé par ce qu’il a vu de ses parents  : une mère au caractère fort, un peu castratrice ; un père artiste mais qui lui a manqué de niaque et a lâché l’affaire sous la pression notamment de son épouse. Peut-on dire que Lama, plus peut-être que d’autres artistes, s’est construit en songeant à ses parents ? Qu’il a choisi ses compagnes en pensant à sa mère, comme un anti-modèle, et qu’il a mené sa carrière et sa vie d’homme en s’assurant, lui, de ne jamais abandonner ce qui lui tenait à cœur ? Les Ballons rouges c’est vraiment l’histoire de son enfance ?

Il y a souvent chez l’artiste un enfant qui sommeille et n’a pas réglé ses comptes avec ses parents. C’est le cas de Lama. Admiratif de son père, chanteur d’opérette qui plaisait beaucoup aux femmes, mais dont la carrière évoluait péniblement, il en a toujours voulu à sa mère de l’avoir contraint à renoncer pour une activité alimentaire plus lucrative. Une rancœur injuste, à l’égard d’une femme, sa mère, qui supportait les inconvénients de la vie d’un chanteur, sans en connaître les avantages  ! Si Lama n’a pas eu de ballons rouges et ne jouait pas aux billes dans son quartier, c’est parce qu’il ne devait pas se salir et astreindre sa mère à trop de lessives… Ce ressentiment à l’égard de sa mère allait déteindre ensuite sur les femmes, en général, tout au long de sa vie – l’idée de la femme castratrice et empêcheuse de tourner ou de chanter en rond l’incita à ne jamais partager le même toit avec ses compagnes (sauf la dernière). Devenu chanteur populaire pour venger son père, alors qu’il se voulait plutôt écrivain, Lama a fait ensuite, comme dans la chanson, «  ce qu’il a voulu  ».

 

 

Parmi tes témoignages recueillis, sur l’accident, et sur son père, on retrouve avec plaisir les mots de Marcel Amont. Un témoin, comme une évidence à tes yeux ?

Oui, n’ayant pas accès aux très proches de Lama (le chanteur écrit un livre de souvenirs, et se les réserve), j’ai sollicité d’autres témoins qui ont accompagné son parcours, certains jamais sollicités. Marcel Amont l’a été, notamment pour évoquer l’accident de l’été 1965, puisqu’il était la vedette de cette tournée. Je l’avais déjà rencontré pour un livre sur les années 60 (Les années 60, rêves et révolution, 2009)  : il m’avait alors reçu dans sa chambre d’hôtel, allongé tout habillé sur son lit et moi assis dans un fauteuil (rires). C’est toujours un plaisir d’interviewer Marcel Amont qui est un artiste d’une grande humanité. J’ai tendance à penser que seuls les chanteurs de «  l’ancienne école  » sont encore capables d’une telle générosité. Il me remerciait encore tout récemment par courriel de lui avoir envoyé un exemplaire de mon livre.

 

On le salue avec chaleur. Tu l’évoques très bien dans le livre, Serge Lama aime écrire, il a de l’énergie à revendre, mais il a aussi fait des rencontres essentielles qui l’ont aidé à prendre le large, à l’image de son "père de substitution" Marcel Gobineau, de Régine, de Barbara aussi... Beaucoup de bonnes fées, au féminin comme au masculin, autour de lui ?

Marcel Gobineau, qui était régisseur au théâtre des Capucines où se produisait Georges Chauvier, le père de Lama, a été l’homme providentiel. Il l’a aidé à surmonter les épreuves, s’est occupé de lui comme d’un fils. Serge lui dédiera plus tard la chanson Mon ami, mon maître. Médium, Gobineau lui avait prédit que la gloire viendrait avec un disque à la pochette rouge, illustré d’un portrait de Serge qui ne serait ni une photo, ni un dessin… À ses débuts, ce sont surtout des femmes qui lui ont mis le pied à l’étrier. Barbara, la première, qui était la vedette de l’Écluse où Lama levait le torchon, l’imposera ensuite à Bobino dans le spectacle de Brassens où elle était la vedette américaine. Il y aura ensuite Renée Lebas, qui sera la productrice de ses premiers disques, Régine, pour qui il écrira des chansons et qui lui présentera le compositeur Yves Gilbert… Les femmes seront très importantes dans le parcours de Serge, toujours présentes dans son entourage.

 

 

Serge Lama n’était pas compositeur, mais on l’a vu, il a su et sait toujours très bien s’entourer. Parmi ses compositeurs, deux noms essentiels : Yves Gilbert et Alice Dona. Qu’est-ce que l’une et l’autre lui ont apporté, et en quoi la contribution de chacun à l’édifice Lama a-t-elle été particulière ?

Yves Gilbert survient très tôt dans son parcours, au moment où il est alité et corseté, à la suite de son accident. Le compositeur lui rend visite tous les jours et, ensemble, ils écrivent les chansons des premiers albums de Serge. Ils ne se quitteront plus. Yves Gilbert sera son pianiste attitré sur scène pendant toutes les années de gloire. Alice Dona intervient à partir de 1971, à la faveur d’une chanson écrite pour le concours de l’Eurovision (Un jardin sur la terre). Complément harmonique d’Yves Gilbert, elle devient indispensable dès lors qu’elle écrit Je suis malade et d’autres titres de l’album rouge (La chanteuse a 20 ans, L’enfant d’un autre…) Suivront de nombreux tubes, comme Chez moi, La vie lilas, L’Algérie…) Serge apprécie l’élégance d’Yves Gilbert, sa sensibilité féminine, et a contrario, le touche masculine et efficace d’Alice Dona, son élan populaire.

 

 

Au petit jeu des filiations et des ressemblances, on l’a paraît-il pas mal comparé à Brel au début, ce qui ne le convainquait qu’à moitié. Parmi les anciens, ne faut-il pas plutôt, chercher du côté d’un Bécaud ? Je sais qu’il a aussi revendiqué une filiation par rapport à Aznavour...

Oui, Bécaud comme Lama était un vrai show-man. Aujourd’hui, on ne cite pas plus Lama que Bécaud dans les influences sur les jeunes générations, alors qu’ils ont révolutionné la scène musicale chacun à son époque, par ailleurs auteur pour l’un, compositeur pour l’autre. Si Bécaud a influencé Lama à ses débuts – il allait le voir sur scène pour apprendre le métier –, c’est du côté d’Aznavour qu’il préfère qu’on le rapproche, car c’est sa plume qu’il voudrait qu’on honore, plus que ses qualités d’interprète qui, pourtant,  elles, pourraient être comparées à celles de Brel.

 

Lama a monté un spectacle assez impressionnant autour de Napoléon. Dans la deuxième moitié des années 70 il a volontiers assumé un côté cocardier, sa virilité, et passait auprès de certain(e)s pour être misogyne, voire allons-y franchement - l’époque (déjà) ne faisait pas trop dans la finesse - pour un affreux réac. On pense aussi à Sardou, qui a été catalogué dans ces catégories lui aussi : comme Lama, il a parfois tendu le bâton, mais comme Lama, il a prouvé par la suite à quel point il savait être plus fin que ce que certains espéraient de lui. De fait, est-ce qu’ils se ressemblaient au-delà des apparences, ces deux-là que tu connais bien ? Quelles ont été, pour ce que tu en sais, leurs relations ?

Napoléon ne lui a pas rendu service. Ce fut un triomphe en termes d’entrées pendant six ans, mais cela n’a pas attiré une clientèle jeune et l’a définitivement éloigné de la génération de ces années Mitterrand et des suivantes. Il y eut de graves erreurs de commises à cette période-là, en termes d’image et de communication, de celles dont on peine à se relever. Par la suite, il lui a manqué, dans les années 80 surtout, des grandes chansons, dignes de celles qu’il sait écrire quand il est inspiré. Si bien qu’aujourd’hui on l’associe encore à une caricature de chanteur franchouillard, liée aux chansons joyeuses qui demeurent ancrées dans les mémoires, comme Les p’tites femmes de Pigalle ou Femme, femme, femme. Sardou n’a pas eu cette traversée du désert des années 80, il a su prendre le virage qu’il fallait et garder sa popularité intacte avec des tubes comme Musulmanes ou Les Lacs du Connemara.

 

 

Quels sentiments Serge Chauvier, l’homme derrière Lama, qui a connu plus que sa part d’épreuves, t’inspire-t-il ? Si tu avais un message à lui faire passer, une question à lui adresser ?

Il m’inspire des sentiments contrastés, mais je le crois généreux et humble. Nous avons des amis communs. J’aurais aimé le rencontrer, même après ce livre. Pour parler histoire et littérature. Et chanson, inévitablement.

 

Quel regard portes-tu sur son travail, son œuvre en tant qu’auteur ? Serge Lama est-il à ton avis considéré à sa juste valeur aujourd’hui ?

On se souviendra sans doute longtemps de Je suis malade, que Lara Fabian a fait découvrir à la génération du début des années 2000. Et mon livre permet de se rendre compte de la richesse de son répertoire, qui ne se limite pas aux chansons festives, style Le gibier manque et les femmes sont rares. Je crois sincèrement qu’il y a une injustice de perception à l’égard de l’œuvre de Lama, qui mérite d’être corrigée tant qu’il est encore là.

 

 

Quelles chansons, connues ou moins connues d’ailleurs, préfères-tu dans son répertoire, celles que tu aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?

En voici dix-huit pour une playlist de mes préférées  : Le 15 juillet à cinq heures, Et puis on s’aperçoit…, Le dimanche en famille, Mon enfance m’appelle, Les poètes, L’enfant d’un autre, À chaque son de cloche, Les ports de l’Atlantique, L’esclave, Toute blanche, La fille dans l’église, Devenir vieux, O comme les saumons, Maman Chauvier, Les jardins ouvriers, Quand on revient de là, D’où qu’on parte et Le souvenir.

 

 

 

Et encore, parmi les mieux connues  : La chanteuse a vingt ans, L’Algérie, La vie lilas, Souvenirs… attention… danger ! et bien sûr, Les Ballons rouges...

 

 

Et, allez, quelles chansons de Lama mériterait-elles de sombrer définitivement dans l’oubli, celles qu’il n’aurait jamais dû écrire  ?

Messieurs… et quelques autres comme Je vous salue Marie.

 

Je ne crois pas briser un secret en indiquant, à ce stade, que tu as commencé un nouvel emploi à la Poste, durant l’été, à côté de tes activités d’auteur. Est-ce que cette expérience te fait regarder autrement, peut-être avec une motivation différente, ton travail d’écrivain ?

Cela faisait longtemps que je m’interrogeais sur ma situation et les difficultés que je pouvais rencontrer, financièrement. L’année 2020 a été épouvantable à tous points de vue et m’a fait franchir le pas. Cette nouvelle activité me permet d’avoir une vie sociale, un salaire, une mutuelle, bref une sécurité que je n’avais pas. Et me donne, en effet, la possibilité d’envisager l’écriture autrement. Celle aussi de dire merde à quelques-uns (rires)…

 

Début septembre, la disparition de Jean-Paul Belmondo a provoqué une vague d’émotion qui à mon avis, n’était pas usurpée tant l’artiste, talentueux, avait aussi une image sympathique. À quoi songes-tu à l’évocation de Belmondo ? C’est quelqu’un sur qui tu aurais pu avoir envie d’écrire ?

Il est l’acteur de mes tendres années et sa mort, comme celle de Johnny – toutes proportions gardées, car chacun sait ce que Johnny représentait pour moi ­ –, a fait s’écrouler un pan de ma vie. On n’allait pas voir le dernier film de Zidi ou de Lautner, on allait voir le dernier Belmondo. Ils sont de plus en plus rares les acteurs qui font ainsi déplacer les foules au cinéma. Son immense popularité était la conséquence de la simplicité et de la gentillesse qui irradiaient de tout son être. Il avait en outre un charme de dingue. J’aurais aimé écrire sur Belmondo, comme j’ai écrit sur Sophie Marceau. Je leur trouve des points communs, en particulier cette grande liberté qui a fait leur force.

 

Jean-Paul Belmondo

Crédit photo : AFP.

 

Si ça ne tenait qu’à toi, et non aux impératifs posés par des éditeurs, y a-t-il des personnalités moins "bankables" auxquelles tu aurais envie de consacrer une biographie ?

Il y a des artistes oubliés comme Georges Chelon, que j’aime beaucoup et dont l’oeuvre mériterait d’être réhabilitée. Des artistes de mon enfance, comme Gérard Lenorman. De nombreux anonymes qui changent la vie (comme le chante si bien Goldman) mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ils sont sûrement plus méritants que certains chanteurs. Et puis, ça va t’étonner, mais j’aimerais raconter l’incroyable destin de Mireille Mathieu ! J’aime les gens qui ont un destin inouï comme le sien. C’est pain bénit pour un biographe !

Mireille Mathieu

C’est le destin qui me plaît, partie de rien, des terrains vagues d’Avignon, travaillant en usine pour nourrir la marmaille (13 enfants), et devenir ce qu’elle est devenue à force de travail et de renoncements, c’est purement incroyable.

 

C’est un appel du pied ?

Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie de collaborer à un livre. Mais pourquoi pas ? Mireille, si tu nous lis...

 

À quand des écrits plus intimes ?

Chaque chose en son temps… Des choses sont écrites, des fragments. Une idée de roman autobiographique… Tout ça viendra sans doute.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Un projet de livre sur un chanteur, mais pas une biographie. Plein d’envies, mais rien encore de concret.

 

Un dernier mot ?

Doré… (c’est pour bientôt  !)

 

F

 

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23 décembre 2021

Line Renaud : « J'espère voir la fin du SIDA de mon vivant... »

Un de mes premiers articles de 2021, publié en janvier, fut construit autour d’une interview avec le "maestro" de N’oubliez pas les paroles, Arsène. Il s’intitulait : "Éloge de la chanson populaire". Alors que l’année s’achève, et quelques jours après mon grand entretien avec Marcel Amont, je vous propose cette nouvelle composition, qui pourrait bien avoir pour sous-titre : "Éloge des vieux artistes" ("vieux" n’étant surtout pas à prendre dans un sens péjoratif dans mon esprit). Je m’explique, et cela commence par ce point : en plus d’être immanquablement étonné par son énergie, par la vivacité de son esprit, j’ai été touché par la bienveillance avec laquelle le célèbre interprète du Mexicain a répondu à mes questions.

Quelques semaines auparavant, nous échangions comme souvent à propos des artistes avec un ami qui les connaît bien, et qui se reconnaîtra ici. Parmi les personnalités évoquées, Line Renaud, artiste multiforme et femme de cœur et d’engagements. "Pourquoi n’essaierais-tu pas de la contacter ?" me demanda-t-il. L’envie était là. J’avais déjà essayé de le faire il y a des années, sans succès. Cet ami connaissait un mail via lequel elle pouvait potentiellement être jointe. J’ai tenté le coup : je me suis présenté dans mon message, lui ai fait part de ma sympathie et de mon admiration pour elle. Ce côté solaire, inspirant, que je prêtais à Marcel Amont, je le lui associe également, bien volontiers, et je le lui ai dit. J’ai évoqué une rencontre avec deux personnes qui lui sont proches aux Deux Magots à Paris, en juillet 2019, rencontre au cours de laquelle son nom avait été évoqué. Puis, j’ai écrit quelques questions en fin de message, pour le cas où éventuellement, elle serait partante pour me répondre.

Le 22 décembre, ce mercredi donc en début d’après-midi, un mail m’est parvenu. Expéditeur: Line Renaud. Wow. Elle avait pris le temps, malgré toutes les activités qu’elle assure encore, de m’accorder ce moment, et elle a apporté par écrit des réponses à chacune de mes questions, ce qui je le dis sans me cacher, m’a beaucoup touché. Dans la foulée, je me suis repassé Très chère Mathilde, pièce tendre et poignante qu’elle a jouée avec Samuel Labarthe et Raphaëline Goupilleau en 2009.

Très chère Mathilde

Cet échange daté d’hier me rappelle celui que j’avais eu avec Charles Aznavour en 2015, via son fils Mischa : lui aussi avait accepté en peu de mots, mais en des mots essentiels, de répondre à mes questions. À la question portant sur "la suite", il avait eu une seule réponse, un seul souhait fondamental, le même que celui exprimé ici par Line Renaud : vivre, vivre encore tout simplement. Vivre en regardant devant soi, et derrière aussi peu que possible, en se concentrant sur l’essentiel, et l’essentiel ça peut aussi vouloir dire, prendre du temps pour une attention, un égard pour quelqu’un qui vous admire. Une leçon d’humilité par trois nonagénaires donc, n’ayant plus rien à prouver, et plus assez de temps pour se prendre au sérieux. Deux d’entre eux sont encore parmi nous, c’est un bonheur pour moi de pouvoir leur rendre hommage de leur VIVANT.

Je remercie encore chaleureusement Line Renaud. Derrière ses sourires, une vie jonchée de pas mal dépreuves. Et parmi les chansons qu’elle cite, Un amour d’été et Le soir, deux titres qui avaient une résonance particulière entre elle et son cher Loulou Gasté, je crois d’ailleurs savoir que c’est sur les notes de la seconde qu’elle a fermé les yeux de l’homme de sa vie, et qu’elle voudra entendre les mêmes notes quand son heure à elle sera venue (le plus tard possible). La souffrance qui fut celle de Loulou à la fin, comme celle de la mère de Line un peu plus tard, la convaincront de s’engager dans son combat le plus médiatique actuellement : pouvoir choisir sa mort, dignement. Mais... pour l’instant, parler de Line Renaud, c’est tout sauf parler de mort, tant cette femme rend optimiste et oui, joyeux.

Bonne lecture, et j’en profite pour vous souhaiter à toutes et tous, un Noël chaleureux et souriant, chaque motif de bonheur étant bon à prendre. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

PS : Pensées aussi pour Micheline Dax et Yvette Horner, que je n’oublie pas.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Line Renaud : « J’espère voir

la fin du SIDA de mon vivant... »

Line Renaud

Crédit photo : Claude Médale.

 

Quand on pense à vous Line Renaud, on songe aux grandes années du music-hall, du cabaret... Est-ce qu’on ne savait pas mieux s’amuser et faire rêver le public, avant ? D’ailleurs, les amuseurs d’aujourd’hui ne se prennent-ils pas un peu trop au sérieux ?

Je peux vous parler de l’époque de mes quinze ans à mes trente ans, c’était l’après guerre... On s’amusait beaucoup mieux, on avait manqué de tout avec cinq ans d’occupation allemande... Alors, à la fin de la guerre c’était un tel bonheur... et on en a bien profité.

 

 

Quelles sont, parmi vos chansons celles, connues et surtout moins connues, qui comptent spécialement pour vous et que vous aimeriez que nos générations découvrent ?

Les chansons suivantes : Bonsoir mes souvenirs (un blues), Chacun ses rêvesUn amour d’étéLe soir, Tire l’aiguille... entre autres.

 

 

La prévention et la lutte contre le SIDA marquent le pas parce que beaucoup croient que la maladie n’est plus grave. Qu’auriez-vous envie de dire aux plus jeunes qui n’ont pas vécu dans cette peur, vous qui avez vu des proches mourir de ce fléau ?

Le SIDA est toujours là, il n’y a toujours pas de vaccin... Il y a la PrEP, un médicament préventif. Je dirais aux jeunes : tant que je vous parle du SIDA c’est qu’il est toujours là, j’espère voir un jour, de mon vivant, la fin du SIDA...

 

Que répondez-vous à ceux qui s’opposent, par principe et notamment pour des raisons religieuses, à la possibilité qui serait ouverte d’abréger une vie devenue insupportable ? Aider quelqu’un qu’on aime à mourir dans la dignité, c’est sans doute l’acte d’amour le plus difficile, peut-être aussi le plus beau ?

Mon prochain combat est en effet pour mourir dans la dignité : lorsque l’on sait que quelqu’un est en fin de vie, c’est inutile de s’acharner alors que l’on sait que l’issue est évidente. Cela suppose d’être bien encadré évidemment. C’est sans doute l’acte d’amour le plus difficile à faire. Mais, ça c’est vraiment de l’amour.

 

Vous n’avez pas eu d’enfant biologique mais vous avez des filles de cœur, et vos combats généreux forment une empreinte qui servira aux générations futures. C’est cela, la plus satisfaisante des postérités ? Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous, après vous ?

Je souhaite surtout que l’on ne m’oublie pas tout de suite. Tout va si vite !

 

 

Vos projets, vos envies et vos rêves pour la suite ?

Mes projets ? Le plus important : VIVRE !

 

 

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6 novembre 2023

Frédéric Quinonero : « Florent, tiens bon, on t'aime ! »

Je ne ferai pas l’offense de présenter Frédéric Quinonero aux lecteurs fidèles de Paroles d’Actu : ce doué biographe d’artistes, qui est aussi romancier, a répondu présent pour nombre de mes sollicitations pour des entretiens, depuis des années. Notre interview du jour, dont les termes ont été posés fin octobre, et qui s’est concrétisée en ce tout début de novembre, porte sur Florent Pagny, auquel il vient de consacrer un chouette ouvrage, un abécédaire agréable à lire, fort bien documenté et joliment illustré : Florent Pagny - Chanter encore et toujours (L’Archipel, octobre 2023).

Lors de notre interview, ni Frédéric ni moi n’avons cité la chanson mythique de Pagny, ce succès presque inespéré de la fin des années 90, celle à laquelle sans doute la plupart des gens penseront en pensant à lui. C’est bien, cela permet d’en évoquer d’autres, moins connues, y compris à votre serviteur, qui finalement le connaissait très peu avant cette lecture. Mais hop, juste pour le plaisir :

 

 

L’actu de Florent Pagny a été artistique dernièrement, il a assuré avec brio et toujours la même exigence, plusieurs concerts. On songe aussi à lui pour des motifs moins gais, plus personnels : chacun sait qu’il mène un combat, forcément difficile mais déterminé, contre cet ennemi intime qu’est le cancer. À cet égard, le livre de Frédéric Quinonero, et son message lors de notre interview, c’est aussi un message d’amour et de soutien envers Pagny. Je m’y associe évidemment, et en profite pour souhaiter à l’artiste, en ce 6 novembre, un joyeux anniversaire. Je veux aussi faire à l’occasion de cet article un clin d’œil chaleureux à une amie qui aime Pagny et qui vient tout juste d’apprendre qu’elle aussi allait devoir en découdre avec le crabe traître. De la force... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero : « Florent,

tiens bon, on t’aime ! »

Florent Pagny

Florent Pagny, chanter encore et toujours (L’Archipel, octobre 2023)

 

Frédéric bonjour. Avant d’entrer dans le vif du sujet, une question : comment as-tu retravaillé ta bio de Jane Birkin, revue et augmentée donc, et sortie en octobre (L’Archipel) sous un nouveau titre, À fleur de peau ?

J’avais écrit la biographie de Jane en 2016. Je l’ai donc actualisée, car il s’est passé beaucoup de choses en 7 ans : le Birkin-Gainsbourg Symphonique, l’album Oh! pardon tu dormais, le film de Charlotte, la Victoire d’honneur remise par Lou Doillon... Une cinquantaine de pages en plus, donc. Y compris un prologue qui témoigne de l’immense affection que lui portaient les Français et qui s’est exprimée au moment de sa mort.

 

Jane Birkin 2023

Jane Birkin - À fleur de peau (L’Archipel, octobre 2023)

 

Comment est née l’idée de ce livre, très documenté et richement illustré, Florent Pagny, chanter encore et toujours (L’Archipel, octobre 2023), sur le modèle de celui que tu avais consacré, l’an dernier, à Bruel  ? Pourquoi Pagny ? Le début d’une collection  ?

C’est une collection à L’Archipel, qui a commencé avec Hallyday et Renaud, par d’autres auteurs. Pour moi, l’idée d’un livre sur Florent Pagny est née en 2016. J’avais commencé à prendre des notes à son sujet pour une biographie, une centaine de pages. Jai dailleurs retrouvé la lettre que javais envoyée alors à Florent pour len informer. Puis, mon éditeur a changé d’avis. J’ai laissé tomber mes notes sur Pagny et j’ai travaillé sur Birkin. D’autres auteurs ont publié ensuite leur biographie de Florent Pagny, avant que Florent lui-même n’écrive ses mémoires. Avec cet abécédaire, très illustré mais aussi très écrit, je l’aborde d’une façon différente, plus libre à l’écriture et plus ludique à la lecture. C’est aussi une façon de lui témoigner mon admiration et mon affection.

 

 

C’est quoi ton histoire avec Florent Pagny ? Tu te souviens de l’époque où tu l’as découvert en tant qu’auditeur ou spectateur ?

Ah oui, très bien. Je l’avais remarqué au cinéma dans La Balance et dans Fort Saganne, mais c’est surtout le chanteur qui m’avait séduit. J’avais eu un vrai coup de cœur pour sa chanson N’importe quoi. Au point que j’avais demandé à un ami, je ne sais plus pour quelle raison qui m’empêchait de le faire moi-même, de m’acheter le maxi 45 tours et de l’apporter le soir dans une discothèque où je travaillais comme barman. Cet ami avait trouvé le disque au Drugstore Champs-Élysées et le soir, j’avais insisté auprès du DJ de la boîte pour qu’il passe la chanson (rires). À l’époque, je l’écoutais en boucle. J’avais décroché ensuite, même si j’appréciais le personnage, je trouvais ses textes puérils, voire ridicules pour certains. Je me suis intéressé de nouveau à lui à son retour de galère, lorsqu’il a compris qu’il lui fallait simplement se contenter de chanter.

 

Comment l’image que tu t’es faite de Pagny a-t-elle évolué au fil du temps ?

J’ai toujours aimé son authenticité, mais son côté fort en gueule ne passait pas toujours. Sa traversée du désert lui a été profitable, en ce sens où il a pris conscience de la futilité du star system et s’en est joué. Il a eu l’intelligence de prendre de la distance, de construire une vie personnelle ailleurs, très loin du parisianisme, et d’y revenir uniquement pour assurer sa promotion. C’est quelqu’un qui n’est dupe de rien, il connaît les gens de ce métier pour les avoir pratiqués. Et comme c’est un vrai gentil, il sait repérer ceux – ils sont légion – qui ne le sont pas.

 

Florent par Pagny

 

Son autobio, Pagny par Florent (Fayard) est sortie au printemps, tu la cites pas mal dans l’ouvrage. Que t’a-t-elle inspiré ? Tu y as appris des choses ?

J’ai forcément appris des choses, car il aborde beaucoup sa vie personnelle. Mais ce livre m’a surtout conforté dans l’idée que je me faisais de lui  : un homme sincère, droit, honnête. Qui ne cherche pas à édulcorer les choses, à se montrer toujours à son avantage. Quelqu’un qui n’est pas dans la revanche, le règlement de comptes, qui n’a pas besoin de ça pour avancer. Qui a une belle philosophie de vie. Un homme droit dans ses pompes.

 

La voix de Florent Pagny, atout majeur ? On découvre que c’est une affaire de famille, et aussi qu’il a un peu repris le flambeau du rêve de sa mère...

Bien sûr, Pagny c’est la voix  ! Une voix dont il découvre la puissance à l’âge de 13 ans, en l’exerçant sur une chanson de Gérard Lenorman. Lorsqu’il voit le regard admiratif de sa mère, il comprend qu’il possède un don particulier, un trésor qui ne demande qu’à être exploité. Il est convaincu à ce moment-là qu’il sera chanteur. Et sa mère, en effet, qui adorait le bel canto et rêvait d’une carrière dans l’opérette, ne pouvait que l’encourager dans cette voie.

 

 

Comme Bruel, il a, à ses débuts, été acteur et chanteur. Mais contrairement à Bruel, il a rapidement délaissé le cinéma et la télé. Ils sont vraiment différents ces deux-là non ?

Florent voulait surtout chanter. Il a tourné des films, quand l’opportunité s’est présentée à lui, en pensant que ça le ferait connaître et lui ouvrirait les portes de la chanson. Bruel avait le désir de réussite chevillé au corps, son ambition démesurée lui a permis de réussir dans plusieurs domaines. Il est un acteur né, contrairement à Florent qui est "resté vrai" et qui considère le jeu d’acteur comme un jeu de faussaire. Il a laissé tomber le cinéma et la télé lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’évoluait pas en tant qu’acteur. Il est très lucide, il va où le guide son instinct.

 

Plusieurs des entrées de l’abécédaire mettent en avant l’éclectisme rare de Pagny, et la grande diversité de son répertoire musical. C’est quoi finalement le fil rouge de tout ça ?

La chanson et le plaisir de chanter. En décidant de n’être qu’un interprète, Pagny a agrandi son champ des possibles. Considérant la chanson comme un moyen d’évasion, il s’est offert des voyages dans différents univers, alternant des albums français originaux avec des parenthèses hispaniques, des reprises de grands standards de la chanson, un album-hommage à Brel. Il ne s’interdit aucune audace, pas même de se frotter (avec talent et succès) à l’opéra. Chanter, quand on a la voix, cela ouvre plein d’horizons.

 

S’agissant de ses collaborations majeures, les Obispo, Calogero, Daran, peut-on parler d’une bande de potes, d’un clan, ou plutôt de collaborations ponctuelles ?

L’amitié est au cœur de tout ça. Ces trois-là ont réalisé des albums importants et écrit des chansons sur-mesure. Ils connaissent très bien Florent, et savent traduire ce qui lui ressemble, ce qui le touche. Et le chanteur entretient un lien régulier avec ses auteurs, une belle fidélité, même si parfois il s’aventure dans d’autres univers, tout en restant lui-même.

 

 

La plupart des chansons de Florent Pagny n’ont pas été écrites par lui on vient de le dire, mais quelles sont celles qui le racontent le plus ?

L’Instinct le définit assez bien. Florent Pagny n’intellectualise pas les choses, mais les ressent. Il a un côté très animal… On peut dire aussi que Rester vrai lui va comme un gant. Et un jour une femme raconte son histoire avec Azucena et c’est une magnifique déclaration d’amour, tout comme Vieillir avec toiAilleurs land raconte la terre où il a choisi de vivre. Son éclectisme s’exprime dans Tout et son contraire. Il s’auto-flagelle dans l’audacieux Si tu n’aimes pas Florent Pagny. Les Murs porteurs parle de sa famille, des gens qui l’aiment et le soutiennent. Il avait déjà rendu hommage à ses parents dans son premier album, Merci. Chanter, même si Obispo l’avait d’abord proposée à France Gall, semble écrite pour Florent. Beaucoup de ses chansons lui ressemblent, finalement.

 

 
 
Celles pour lesquelles toi tu as une préférence ?

Celles qui le racontent et que je viens de citer. Mais aussi Châtelet-les-Halles, qui est une de mes favorites, Noir et blanc, Immense, Les Passerelles. J’aime beaucoup aussi Est-ce que tu me suis ? que lui avait écrite Goldman.

 

 
Avec la presse, ça n’a pas toujours été l’histoire d’amour... Avec le métier non plus d’ailleurs. Il en a gardé une distance prudente ?

Oui, une distance marquée aussi par un isolement géographique ! On apprend de ses erreurs et de ses galères. Après Presse qui roule, chanson écrite d’impulsion, parce qu’on empiétait sur sa vie privée, il a subi la curée médiatique. Sa traversée du désert a commencé là, et il a pu compter ses amis sur les doigts d’une main. Ensuite, il y a eu ses démêlés avec les impôts qui ont fait beaucoup jaser…

 

 

Sa femme Azucena, ses enfants, les "murs porteurs" de Pagny ? On sent bien à la lecture du livre qu’il y a bien un avant et un après Azucena…

Oui, elle l’a sauvé du désespoir et du déclin. En lui redonnant la confiance en lui et la force de combattre, Azucena l’a poussé en avant et il lui doit sa renaissance. Tout ce qui est arrivé après sa traversée du désert, il le lui doit. Avec elle il a construit une famille, une identité, une vérité.

 

 
Une belle entrée aussi sur la Patagonie, berceau d’Azucena et paradis terrestre du clan Pagny. Il y a redécouvert le goût du vrai, du naturel ?

Oui, même plus que ça. En choisissant de vivre dans le pays d’origine de sa femme, il a trouvé une harmonie, un équilibre. Sa vie en Patagonie l’a empêché de s’égarer, de perdre les valeurs terrestres, de se prendre au sérieux, en l’obligeant à quitter de temps en temps les habits et le monde du chanteur, de la star. Là-bas, il a vraiment trouvé l’apaisement.

 

 

Sa maladie fait autant l’actualité que ses nouvelles artistiques en ce moment. Il y a quelque chose d’inspirant dans ce combat qu’il mène avec courage, comme tant d’autres...

Pour cela aussi, il a été sincère et direct avec les gens, comme il l’a toujours été. Et son annonce a suscité non seulement beaucoup d’inquiétude et de tristesse chez ceux qui l’aiment, mais aussi une déferlante d’amour. Un amour qui le porte et l’aide à combattre. On a mesuré aussi à ce moment-là sa place, son importance sur la scène musicale française

 

Tu évoques à plusieurs reprises les petites attentions qu’il a envers son public lors des concerts. Pagny et son public, c’est un lien particulier, qu’on voit peu chez d’autres artistes ?

C’est un lien fondé sur le plaisir du partage. Générosité et simplicité. Lors de ses premiers concerts, il traversait le public pour le saluer avant de monter sur scène. Une façon pour lui de se déstresser mais aussi de mettre des visages sur cette entité abstraite qu’est le public. Il aime aller au contact des gens. Florent Pagny est un homme en quête d’humanité.

 

Florent Pagny en trois qualificatifs ? "Libre" avant tous les autres ?

Libre, gentil et vrai.

 

Si tu pouvais lui poser une question ou, davantage peut-être, lui dire quelque chose là, ce serait quoi ?

Tiens bon, on t’aime !

 

Pas mal de parutions de ta plume dernièrement, dont deux romans, ce Pagny donc, et des rééditions de tes bios de Piaf et de Jane Birkin. De quoi as-tu envie maintenant ?

De vacances ! (rires)

 

 

Un dernier mot ?

Chanter… (encore et toujours) !

 

F

Photo : Emmanuelle Grimaud.

 

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29 juillet 2015

(Auto)portraits d'artistes : Germain Louvet

À l’extrême fin du mois de décembre 2014, je contactai Germain Louvet, jeune danseur tout juste promu au cœur du saint des saints, l’Opéra de Paris, pour lui offrir un espace d’expression pour un autoportrait. Je tenais à réaliser cet article, parce que ce que j’ai pu voir ou lire de lui m’a touché - pour ne pas dire séduit -, et parce que j’avais envie, à travers lui, d’évoquer un peu cette forme d’art dont on ne parle finalement que très peu, et qui de fait demeure largement méconnue (pour moi au premier chef) : la danse au sein de l’opéra.

Le temps a passé. Après de multiples relances, j’ai cru le projet avorté. Au mois de juin, dans le même esprit, je publiai lautoportrait auquel j’avais convié, le mois précédent, Julien Benhamou, photographe de talent qui sest spécialisé dans l’univers de lOpéra. La proposition faite à Germain Louvet tenait en ces termes : coucher sur papier numérique un texte dans lequel il se raconterait ; sélectionner et commenter quelques unes de ses photos. Son texte m’est finalement parvenu le 24 juin ; ses photos commentées le 23 juillet.

Je ne puis désormais que vous inviter à le lire, à regarder, à aller le voir. Ses mots, la sensibilité qui en transparaît vont vous toucher, forcément. Pour le reste, pour en prendre pleinement la mesure, il faut aller le voir ; cela concerne aussi votre serviteur. Voici, en attendant, la belle histoire d’un gosse qui, depuis ses quatre ans, a toujours eu envie de danser et qui, à force de travail et de persévérance, semble bien parti pour tutoyer les sommets - et les plus belles étoiles. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.

 

« Les sensations que procure la danse permettent, l’espace

d’un instant, de lever le voile, d’effleurer l’impalpable... »

On me demande souvent pourquoi j’ai commencé la danse. Je n’ai pas vraiment de réponse. Je crois qu’il me serait plus facile de répondre à la question inverse : pourquoi j’aurais fait autre chose ? Alors là, oui, la réponse me vient d’elle-même : c’était évident.

À quatre ans, j’ai demandé à mes parents s’il était possible de m’inscrire à un club de danse. Ravis d’avoir à s’éviter la peine de me trouver une activité pour m’occuper, ils ont accepté avec plaisir. J’ai donc débuté au club de danse de Givry (Saône-et-Loire, Bourgogne), tenu par une personne pleine d’enthousiasme et de douceur, un parcours d’éveil où, enfin, je pouvais canaliser mon hyperactivité.

À la suite de ces trois années de « tremoussage » en musique qui m’ont apporté beaucoup de plaisir, il m’a été proposé d’intégrer le Conservatoire national de région de Chalon-sur-Saône, pour poursuivre un enseignement plus poussé, si tel était mon souhait.

Je me suis ainsi retrouvé, à sept ans, à la barre, à entreprendre le long apprentissage des rudiments de la danse dite « classique ». J’y ai appris à mêler mon envie irrépressible de danser avec la rigueur qu’impose cette discipline. J’en garde un souvenir d’insouciance et de bonheur, dépourvu de toute question du genre : « pourquoi il faut fermer ses cinquièmes », « à quoi ça sert d’être en-dehors »...

Mon professeur, Sylvie Mondoulet, une femme pétillante et tendre, pleine de bienveillance à mon égard, proposa à mes parents, au bout de ma cinquième année au Conservatoire, s’ils étaient partants pour que je tente l’audition de l’École de danse de l’Opéra de Paris, étant donné que j’avais toutes les aptitudes physiques requises. Mes parents, légèrement anxieux dans le souci de mon bien-être, ont accepté, et me voilà parti à la découverte d’un tout nouveau monde qu’est celui de l’Opéra de Paris, alors encore totalement inconnu de moi. J’ai eu l’impression d’être Harry Potter découvrant Poudlard avec, pour baguette magique, mes rêves de scène et mon envie de flirter avec l’apesanteur.

Les six années qui ont suivi se sont déroulées comme s’emboîtent les rouages d’une horloge bien huilée. J’ai eu un cursus des plus classiques, sans sauter de classe ni en redoubler, mais surtout, j’ai passé six ans remplis d’allégresse durant lesquels j’ai rencontré des personnes extraordinaires qui m’ont aidé à me connaître mieux et, donc, à donner le meilleur de moi-même.

À dix-huit ans, un bac mention « Bien » en poche, j’obtiens le Saint Graal de tout petit rat, un CDI avec le prestigieux ballet de l’Opéra de Paris. C’est une page qui se tourne et le début de ce qui va être, et qui continuera à être ma plus riche aventure.

Je suis aujourd’hui « Sujet » au sein de la hiérarchie de la compagnie. Je travaille avec des danseurs incroyables, des artistes époustouflants, qui me nourrissent chaque jour ; tout cela contribue à mon épanouissement dans ce que j’ai toujours aimé faire, danser.

Car c’est là qu’à toujours résidé ma volonté de continuer, de travailler et d’aller toujours plus loin. Au-delà de toute envie de réussir, de désir de satisfaction ou d’ambition, de reconnaissance et de fierté ; cette pulsion, inhérente à ma personnalité depuis toujours, à utiliser mon corps comme outil d’expression, comme moyen de voyager à travers l’espace, le temps, les histoires, les personnages, les hommes et les femmes, à travers soi. Le langage lui-même n’a pas cette faculté à témoigner autant de la beauté du monde et de l’humanité dans sa complexité, dans ce qu’elle a de plus infâme à ce qu’elle a de plus pure. Je dirai finalement que, par la danse comme par beaucoup d’autres formes artistiques, on arrive, pendant certains instants suspendus au-dessus de toute réalité socioculturelle, de lieu ou de temps, à lever le voile, et à effleurer l’impalpable. Ce qui nous entoure, qui fait ce que nous avons été, ce que nous sommes, et ce que nous pouvons devenir. Cette sensation est tellement grisante ! Au point d’en devenir addict, voire religieusement fervent. Et pour rien au monde je ne m’en priverai. Tant que j’en ai la force et le courage...

Alors bien sûr, je ne mets pas en lumière les périodes de doutes et de démoralisation que j’ai pu traverser, comme toute personne choisissant ce chemin. Mais c’est tellement dérisoire comparé à tous les moments de béatitude et de jouissance que j’ai pu vivre en dansant, que ce soit sur scène, en studio, chez moi, ou ailleurs...

J’oublie également de parler de l’importance du partage qui a lieu avec le public, sans qui l’histoire est racontée à un mur de pierre. C’est le public qui crée l’artiste, et c’est ensemble qu’ils vont dessiner les traits d’une émotion, les contours d’une larme ou les soubresauts d’un frisson, modelant avec la sensibilité qui est propre à chacun ; la silhouette d’un souvenir perdu, un amour de jeunesse oublié, un deuil à apaiser, le feu d’un espoir qui était éteint…

Alors, quand parfois je me sens un peu perdu, je pense à tout ça, je pense à la chance que j’ai d’avoir la possibilité de vivre de ma passion et de mon art, et je pense à ce petit garçon qui mettait de la musique dans la chaîne hi-fi de ses parents et qui se mettait à bouger, timidement d’abord, puis de façon de plus en plus fluide, à danser, jusquà en perdre la notion de gravité, mais toujours en dansant.

Germain Louvet, le 24 juin 2015

 

Germain Louvet 2005

« Ma première année à l’École de danse, en 2005. »

 

Germain Louvet 2009

« Les Sept Danses grecques de Maurice Béjart, au spectacle de l’École de danse,

un moment de pur bonheur, autant dans le travail que sur scène. En 2009. »

 

Germain Louvet 2010

« Aux démonstrations de l’École de danse, en première division,

avec Jacques Namont comme professeur. En 2010. »

 

Germain Louvet 2011

« Mon premier concours annuel de promotion. Colas, dans

La fille mal gardée de Spoerli, en 2011. Copyright : Sebastien Mathé. »

 

Germain Louvet, Le Lac des Cygnes

« Le concours de promotion pour monter Sujet. Le Prince Siegfried dans

le Lac des Cygnes de Noureev. Copyright : Sebastien Mathé. »

 

Germain Louvet, Caligula, I

« Spectacle Jeunes Danseurs. Incitatus dans Caligula de Nicolas Le Riche,

avec Alexandre Gasse. Une rencontre exceptionnelle avec un monstre sacré

de la danse et de la scène, Nicolas... En 2014. Copyright : Isabelle Aubert. »

 

Germain Louvet, Caligula, A

« Copyright : Agathe Poupeney. »

 

Germain Louvet et Léonore Baulac, Casse-Noisette, S 

 

Germain Louvet, Casse-Noisette, S

« Premier rôle de soliste. Drosselmeyer/le Prince dans Casse-noisette de Noureev, avec la merveilleuse Léonore Baulac dans le rôle de Clara. Une expérience inoubliable qui ne donne qu’une envie : en vivre d’autres...

Le travail avec Aurélie Dupont comme maître de ballet a été une de mes aventures les plus enrichissantes, tant la personne et l'artiste est généreuse et sensible. Cette rencontre aura marqué un tournant dans mon évolution artistique. 2014. Copyright : Sebastien Mathé. »

 

Germain Louvet, Casse-Noisette, I

 

Germain Louvet, Casse-Noisette, I

« Copyright : Isabelle Aubert. » 

 

Germain Louvet, Mad Rush

« Mad Rush de Sébastien Bertaud, avec Charlotte Ranson, 2015. »

 

Germain Louvet, Julien Benhamou

« Shooting avec Julien Benhamou. Copyright : Julien Benhamou. » 

 

Germain Louvet, Polaroïd, M

 

Germain Louvet, Les Danseurs, M

« Premier polaroïd du photographe Matthew Brookes, avant une magnifique collaboration

qui a abouti à la sortie du livre Les Danseurs, d’abord en édition limitée (Colette)

avant sa sortie officielle en septembre. 2014. »

 

Son actu...

Germain Louvet sera sur scène à partir du 22 septembre dans la nouvelle création de Benjamin Millepied, lors de la soirée d'ouverture de la saison Robbins/Balanchine/Millepied. Le même soir, il sera remplaçant du rôle principal pour Opus 19 / The Dreamer, de Jérôme Robbins.

Toujours en septembre, il figurera, au côté d’Hanna O’Neill, dans une vidéo présentée sur la nouvelle surface multimédia de lOpéra de Paris, 3ème Scène. La chorégraphie est de Benjamin Millepied, la musique signée Nico Muhly, le tout réalisé par Jacob Sutton.

 

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Vous pouvez retrouver Germain Louvet...

23 septembre 2021

S. Gauthier, B. Blary : « Cutshin Creek », interview

Avec ce nouvel article, qui entend mettre en lumière un bel album, Cutshin Creek (Passés/Composés, 2021) du duo Séverine Gauthier-Benoît Blary, je suis heureux d’accorder une fois de plus sur Paroles d’Actu, un espace pour rendre à cette inspirante forme d’expression artistique qu’est la bande dessinée, les hommages qu’elle mérite. Faire une BD, c’est un exercice exigeant, qui suppose un gros travail préparatoire (documentation, etc...) mais aussi, de scénariser au plus serré (donc l’essentiel) pour respecter un cadrage strict, d’exprimer par le dessin ce que les mots ne peuvent décrire. Et, souvent, les BD sont des œuvres composées à quatre mains, ou plus, donc il faut s’accorder. Je salue S. Gauthier et B. Blary, qui ont accepté de répondre à mes questions, ainsi que les artisans des albums précédemment chroniqués : Isabelle Dethan et Antoine Ozanam (Severiano de Heredia), Noël Simsolo (Napoléon), Alcante, Denis Rodier et Laurent-François Bollée (La Bombe). Place maintenant, avec Cutshin Creek, à une héroïne féminine inspirante, une book lady qui, dans les Appalaches de la Grande Dépression, va se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Cutshin Creek

Cutshin Creek (Passés/Composés, 2021)

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

I. Séverine Gauthier, scénariste

Comment est née l’aventure Cutshin Creek ?

L’album est né parce que Benoît et moi avions envie de collaborer sur une nouvelle histoire. Nous trouvions intéressant de mettre en scène une poursuite, une traque. Et puis, cette idée de traque a rencontré l’univers fascinant de ces femmes qui, dans les années 30, ont participé à ce programme culturel dans les Appalaches. Les deux idées se sont amalgamées pour devenir Cutshin Creek. La naissance d’un album et la construction d’un scénario sont des processus assez longs (enfin, en ce qui me concerne…), et le projet s’est construit petit à petit, après pas mal de recherches sur le sujet.

 

Que retiendrez-vous de cette collaboration avec Benoît Blary ?

Nous n’en sommes pas à notre première collaboration. Benoît est un dessinateur qui s’investit énormément dans les univers et les histoires qu’il met en images. Il se documente beaucoup pour apporter aux récits ce qu’il faut de réalisme pour qu’on entre dans l’histoire. Il est très précis, très organisé dans son travail. Ce rend la collaboration facile et très enrichissante. Il a l’habitude de lire mes scénarios et sait parfaitement transcrire en image mes intentions d’écriture.

 

Que vous inspirent-elles, ces book ladies qui parcouraient les terres parfois sauvages et hostiles d’Amérique pour promouvoir la lecture ?

L’histoire de ces femmes est incroyable, leurs parcours sont fascinants. Elles ont été des pionnières, des aventurières, et ont assuré une mission méconnue souvent salutaire pour les communautés des Appalaches particulièrement impactées par la crise économique des années 30. En me documentant sur leur histoire, je n’ai pu ressentir que de l’admiration pour leur engagement.

 

Vous avez beaucoup travaillé sur les nations amérindiennes des États-Unis : estimez-vous qu’au-delà de symboles affichés, il y a du mieux dans la manière dont on les considère aujourd’hui ?

Il y a du mieux, il y a du moins bien aussi. Il reste encore tellement à faire qu’il est difficile de le résumer en quelques mots.

 

La BD est-elle une belle manière, peut-être de plus en plus populaire, d’entraîner des publics jeunes vers la lecture, et vers une sensibilité à l’histoire?

Je ne pense pas que la bande dessinée entraîne vers la lecture. La bande dessinée, c’est de la lecture, une expérience de lecture différente, exigeante, qui demande que le lecteur en maîtrise les codes. Je pense que, même enfant, un lecteur est attiré par différents types de livres  : albums illustrés, romans, bandes-dessinées, etc. l’un ne conduisant pas nécessairement à la lecture des autres.

Je pense que les lecteurs qui se tournent vers les bandes dessinées historiques ou historiennes ont déjà un intérêt marqué pour l’histoire en général ou pour le sujet abordé dans le livre et sont désireux d’en découvrir davantage.

 

Parmi vos publications jusqu’à présent, lesquelles ont une place particulière dans votre cœur, et lesquelles nous recommanderiez-vous d’aller découvrir ?

Tous mes albums ont une place particulière parce qu’ils correspondent à un moment de ma vie ou une étape de ma carrière d’autrice. Si vous avez aimé Cutshin Creek, je peux vous conseiller la lecture de Virginia, une histoire en trois tomes, également mise en images par Benoît. Mais j’ai vraiment du mal à choisir, je ne peux que tous vous les recommander  !

 

Virginia

Virginia, intégrale (Éd. du Long Bec, 2019)

 

Vos projets, et surtout vos envies pour la suite ?

Je travaille en ce moment sur l’écriture d’une série de romans intitulée Aliénor, fille de Merlin publiée par L’école des loisirs. Les deux premiers tomes sont déjà disponibles. Ça occupe une grande partie de mon temps. J’ai plusieurs projets de bande dessinée et de romans en préparation, mais rien n’est encore signé pour le moment.

 

Séverine Gauthier

 

 

II. Benoît Blary, le dessinateur

Que retiendrez-vous de cette aventure, et de votre travail avec Séverine Gauthier ?

Que j’aimerais avoir l’occasion de travailler une nouvelle fois avec elle. J’aime sa façon d’écrire et ses lignes de dialogues. Il y a un réel travail d’écriture sur lequel je peux appuyer mon dessin. Ses découpages sont précis tout en me laissant une grande liberté dans la mise en scène, le choix des cadrages. Ce qui est vraiment plaisant pour moi dans le travail de la mise en images.

 

Votre dessin très caractéristique, colle parfaitement à l’atmosphère sombre de ce western. Qu’est-ce qui a nécessité le plus de travail pour cette réalisation ?

Une grosse partie du travail se joue lors de la réalisation du storyboard, qui va définir le ton et le rythme du récit, déjà amorcés à l’écrit par Séverine. La recherche de documentation a aussi son importance afin de retranscrire l’ambiance de l’époque. Les gammes colorées jouent aussi une part non négligeable dans la narration, pour rendre les atmosphères.

 

Cutshin Creek visuel

Visuel Cutshin Creek, aimablement transmis par B. Blary.

 

Votre œuvre compte pas mal d’histoires, d’univers différents. Est-ce qu’à chaque fois, pour s’immerger dans un autre monde, une autre époque, un dessinateur de BD se réinvente ?

En ce qui me concerne, j’essaie de faire ressentir l’univers concerné par la mise en scène, le rythme du récit. Le rôle des décors a aussi une grande importance dans ce cas. Pour ce qui est de la part graphique, j’essaie d’évoluer mais je ne me «  réinvente  » pas vraiment, surtout du fait des contraintes diverses et variées liées à la production d’un album qui incitent à aller à l’efficacité, à ce que je maîtrise (plus ou moins…). Je me sers parfois de mes «  coins de feuilles  » publiés sur Facebook pour tester des outils, des rendus différents, pour éventuellement les intégrer à la réalisation de mes planches de bandes dessinées.

 

Est-ce qu’on pense plus ou moins à des acteurs, ou à des gens qu’on connaît, quand on dessine des personnages ?

Sans doute inconsciemment. Je ne me base que très rarement sur une personne réelle, sauf si le récit l’impose, bien entendu.
Je suis davantage inspiré par mes lectures de romans, la musique, etc., pour retrouver des ambiances plutôt que des éléments précis tels une tête de personnage. Mais tout ceci reste assez informel, c’est une sorte de bagage me nourrissant. Je fais parfois des clins d’œil dans mes planches aux peintres, musiciens, etc., qui me sont chers. C’est dans Virginia que l’on en trouve le plus à ce jour.

 

Si vous deviez donner quelques conseils à un(e) jeune aimant dessiner et qui aurait envie de se lancer sérieusement dans la BD ?

Je ne suis pas certain d’être bien placé pour cela, mais disons que la curiosité et la constance dans le travail me semblent importants. Il faut être endurant et ne pas compter ses heures… Même si ce n’est pas évident, surtout lorsque l’on débute, il ne faut pas hésiter à montrer son travail aux professionnels pour en retirer des critiques constructives et ainsi progresser.

 

Parmi vos créations, lesquelles comptent particulièrement à vos yeux, celles que vous auriez envie de faire découvrir à nos lecteurs ?

Virginia me tient à cœur, par son personnage principal, Doyle, et l’univers western et guerre de sécession oscillant sur la frontière de l’étrange et du fantastique. Ceci étant un mélange me plaisant beaucoup et sur lequel j’aimerai encore travailler. Sigurd & Vigdis, aussi, pour son couple de Vikings. Mais je dirais qu’il faut lire tous mes albums qui ont tous un intérêt particulier pour moi, bien entendu  !

 

Sigurd & Vigdis

Sigurd & Vigdis (Le Lombard)

 

Vos projets, vos envies surtout pour la suite ?

J’ai le plaisir de travailler sur un nouvel album avec Stéphane Piatzszek et un autre avec Marzena Sowa. J’ai d’autres projets de BD sur le feu, plus divers travaux réguliers d’illustration, etc.

 

Benoît Blary

 

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17 novembre 2020

André Rakoto : « N'en déplaise à certains, nous n'en avons pas terminé avec Trump et ses idées »

La victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine, par 306 grands électeurs (et 51% des voix) contre 232 (et 47,3% des suffrages) pour le sortant Donald Trump, constitue à l’évidence un évènement majeur pour les États-Unis. Historique ? Too early to say. Ce qui est sûr c’est que, pour l’heure, derrière ce résultat, s’anime une réalité plus contrastée : un avantage net de 6 millions de voix pour le candidat démocrate, mais un recul significatif de la majorité détenue à la Chambre des représentants par le camp des vainqueurs, tandis que le Sénat restera aux mains du GOP.

De nombreuses questions se posent alors que Donald Trump (gratifié tout de même de 73 millions de bulletins de confiance), l’appareil et une partie de l’électorat républicains refusent toujours de reconnaître leur défaite, sur fond de divisions exacerbées. Décryptage, avec André Rakoto, fin connaisseur des institutions militaires américaines, au moment où s’ouvre une des périodes de transition les plus inflammables de l’histoire du pays. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL ÉLECTION AMÉRICAINE - PAROLES D’ACTU

André Rakoto: «  N’en déplaise à certains,

nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées  »

Rally for Trump

Manifestation pro-Trump. Photo : Ostap Yarysh (Voice of America)

 

André Rakoto bonjour. Quel regard portez-vous sur cette élection présidentielle américaine qui s’est soldée par la défaite de Donald Trump et la victoire de Joe Biden ? Et que restera-t-il de la présidence Trump, notamment au niveau du Parti républicain ?

un scrutin décisif

Commençons par nous féliciter que la victoire de Joe Biden permette pour la première fois à une femme, Kamala Harris, d’accéder au poste de vice-présidente, une femme de couleur qui plus est, ce qui est aussi une première. Ceci étant dit, il convient de reconnaître qu’une nouvelle fois les sondages qui prévoyaient une vague démocrate, Sénat inclus, se sont trompés. C’est d’autant plus intéressant que, contrairement à 2016, la participation au vote a été exceptionnelle. On estime que près de 160 millions d’Américains ont validé un bulletin, contre 139 millions il y a quatre ans. Compte tenu d’un écart actuellement estimé à 5 millions de voix en faveur du démocrate, l’apport de ces plus de 20 millions de votants par rapport à 2016 aura été décisif. Certes, Joe Biden sera le prochain président américain, mais très probablement sans majorité au Sénat, à moins d’un miracle en Géorgie en janvier.

«  Une leçon de cette élection : les Républicains élisent

en priorité les candidats qui sont totalement

loyaux au président et à sa politique.  »

L’autre grande leçon des élections, c’est la solidité du soutien populaire à Donald Trump avec un score de plus de 73 millions de voix au décompte actuel. Preuve est faite que le «  Trumpisme  »  va durer, avec ou sans Trump, notamment avec l’entrée au Congrès de sénateurs directement issus de cette mouvance, à l’image de Marjorie Taylor Greene, qui s’est faite remarquer, entre autres excentricités, par son adhésion à la théorie complotiste Qanon. Cela ne l’a visiblement pas empêchée d’être élue… Donald Trump a donc profondément modifié l’ADN du Parti républicain, au sein duquel les voies modérées se sont tues. Le cas du Sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham est édifiant. Compagnon de route de John McCain, il s’était publiquement moqué du candidat Trump au moment des primaires républicaines. Il a ensuite fait partie de ceux qui pensaient pouvoir manœuvrer le président après son élection. C’est à cette époque que je l’ai rencontré lors d’une visite à Paris, au cours de laquelle il était venu rassurer ses homologues français quant au fait que le tumultueux locataire de la Maison Blanche était sous contrôle. Près de quatre ans plus tard, Graham est l’un des plus fervents défenseurs de Donald Trump, sur lequel il n’exerce évidemment aucun contrôle, et c’est grâce à ce positionnement sans nuance qu’il a été réélu au Sénat malgré une opposition démocrate coriace. Le message est clair  : les Républicains élisent en priorité les candidats qui sont totalement loyaux au président et à sa politique. Donald Trump l’a très bien compris. Il aurait déjà déclaré à ses proches vouloir se représenter en 2024, et il dispose pour cela d’un comité d’action politique, «  Save America  », qui engrange pour l’instant les donations destinées à soutenir les procédures en cours contre le résultat des urnes, mais qui pourrait demain financer une campagne présidentielle. N’en déplaise à certains, nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées.

 

André Rakoto avec le sénateur de Caroline du Sud Lindsey O

André Rakoto en compagnie, à sa droite,

du sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham.

 

Des troubles, voire des violences entre factions sont-ils à votre avis à craindre, au vu du climat actuel de tensions, alimenté par l’attitude disons, très discutable du président sortant ?

après les urnes, la violence ?

Les États-Unis sont politiquement très divisés, comme ils ne l’ont sans doute pas été depuis l’époque qui a précédé la guerre de Sécession, quand la question de l’esclavage avait polarisé le pays jusqu’au point de non-retour. Nous n’en sommes heureusement pas là et le spectre d’une nouvelle guerre civile agité par certains paraît plus qu’improbable, ne serait-ce que du fait de la solidité des institutions régaliennes. La grande manifestation de soutien à Donald Trump samedi n’a donné lieu à aucune vague d’incidents graves malgré la présence de nombreux militants radicaux. Et même si le limogeage récent du ministre de la Défense, Mark Esper, a fait craindre à certains observateurs une volonté d’utiliser l’outil militaire à des fins politiques, le légalisme des forces armées ne doit pas être remis en cause. Parmi la frange la plus extrême des militants qui soutiennent Trump, seuls quelques illuminés sont effectivement tentés par la radicalité, comme ceux qui ont voulu enlever le gouverneur du Michigan il y a quelques semaines. La présidence de Donald Trump a toutefois donné une visibilité inhabituelle aux milices civiles armées d’extrême droite, comme les Proud Boys, les Boogaloo Bois ou encore les Three Percenters, qui font dorénavant partie du décor dans les manifestations.

Pour ne rien arranger, l’actuel rejet du résultat des urnes par Donald Trump et par les principaux chefs républicains contribue malheureusement à entretenir parmi sa base un sentiment de révolte et de défiance vis-à-vis du système, dont on peut difficilement mesurer l’impact politique une fois que la victoire de Joe Biden aura été certifiée. Même si Trump sait qu’il a perdu, persister à ne pas l’admettre finira par avoir un coût pour sa crédibilité personnelle comme pour la réussite de la transition avec la prochaine équipe présidentielle. Les plaintes déposées par les Républicains concernent quelques centaines de voix seulement, et même si certaines aboutissent c’est nettement insuffisant pour retourner le résultat des urnes. Alors que la loi fédérale demande depuis 1963 à la General Services Administration de déterminer quel est le «  vainqueur apparent  » des élections pour pouvoir faciliter l’installation de l’équipe de transition, sa directrice nommée par Donald Trump, Emily W. Murphy, persiste à refuser d’en démarrer le processus.

«  En niant publiquement l’évidence de la défaite,

les Républicains risquent de jeter pour longtemps

le discrédit sur les institutions démocratiques

américaines auprès d’une partie de l’électorat.  »

En niant publiquement l’évidence, non seulement les Républicains renforcent la division à l’intérieur et affaiblissent le pays à l’extérieur, mais ils risquent de surcroît de jeter pour longtemps le discrédit sur les institutions démocratiques américaines auprès d’une partie de l’électorat. La conduite actuelle du président sortant est donc dangereuse à plus d’un titre, et le risque de violences au moment où sa défaite sera définitivement acquise n’est bien sûr pas à écarter.

 

Petit focus d’ailleurs, sur un sujet que vous connaissez bien. Qui se charge de la sécurité intérieure (police) aux États-Unis, et quelles sont les forces en présence ? Qu’est-ce qui dépend de l’échelon fédéral ? des États ? des collectivités locales ?

quelles forces de maintien de l’ordre ?

Aux États-Unis, la sécurité intérieure est avant tout une affaire locale gérée par près de 600.000 policiers disséminés dans 18  000 agences différentes, du bureau des sheriffs de comtés jusqu’à la police des États, en passant par les polices municipales. À titre d’exemples, le sheriff du comté de Los Angeles, qui est un élu, est à la tête du plus grand bureau avec 10.000 «  adjoints  », tandis que le chef de la police de la ville de New-York, désigné par le maire, dirige la plus grande force du pays avec 38.000 agents. Lorsque la situation se dégrade et qu’il est nécessaire de maintenir ou de rétablir l’ordre, les autorités déploient des policiers disposant d’équipements individuels et collectifs anti-émeutes. Toutefois, contrairement à la France, qui possède des forces spécialisées pour ce type de missions, en l’occurrence la gendarmerie mobile et les C.R.S., les policiers américains qui interviennent alors le font complémentairement à leurs autres tâches.

«  Le président Trump a menacé à plusieurs reprises

d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes

en invoquant la loi dite d’Insurrection, mais les conditions

légales, très restrictives, n’étaient pas réunies...  »

Ceci étant, les gouverneurs des États peuvent déployer la Garde nationale, force de réserve militaire territoriale placée sous leur autorité, pour intervenir en cas de troubles civils. En effet, l’armée fédérale n’a légalement plus le droit d’agir sur le sol américain dans un contexte civil depuis 1878. Le président Trump a menacé à plusieurs reprises d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes en invoquant la loi dite d’Insurrection de 1807, mais les conditions légales n’étaient pas réunies, notamment la nécessité d’une crise grave au point qu’un gouverneur demande lui-même le soutien de l’armée au gouvernement. Donald Trump a utilisé des forces de sécurité et de défense fédérales pour protéger certaines emprises administratives nationales lors des émeutes provoquées par la mort de George Floyd, mais il a dû se contenter de déployer dans les rues de sa capitale la Garde nationale de Washington, seule force territoriale habilitée placée sous son autorité.

 

L’Amérique de 2020 est-elle réellement, au-delà des discours et des postures, un pays désuni et fracturé ne s’entendant  plus, même sur l’essentiel  ? Quelle sera l’ampleur de la tâche de Joe Biden en la matière ?

une maison divisée, à quel point ?

Comme je le disais précédemment, les États-Unis sont divisés comme ils ne l’ont pas été de très longue date. Même aux pires moments de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960 ou encore de l’opposition à la guerre du Vîet-Nam à la même époque, Républicains et Démocrates avaient continué à travailler ensemble au Congrès, tandis la fracture n’était pas aussi nette au sein de l’ensemble de la population. Aujourd’hui on ne compte d’ailleurs plus les amitiés brisées ou les membres d’une même famille qui ne s’adressent plus la parole. On se croirait dans ce fameux dessin de Caran d’Ache évoquant l’affaire Dreyfus. La peur d’aborder les sujets politiques devient palpables dès lors qu’on se sent en minorité d’opinion au sein d’un groupe.

«  La polarisation est totale, exacerbée par la diffusion

constante de désinformation sur les réseaux sociaux.  »

La polarisation donc est totale, exacerbée par la diffusion constante de désinformation sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont réagi tardivement par une censure maladroite, qui a actuellement pour conséquence le départ de nombreux militants républicains vers de nouvelles plateformes non-censurées, comme Parler. L’outrance et l’inexactitude – ou les faits alternatifs, pour reprendre les termes de Kellyanne Conway – sont devenus une norme imposée par Donald Trump. Sa base est persuadée que Joe Biden va transformer les États-Unis en pays socialiste et que ce sera la fin de cette grande nation. 70% des Républicains n’ont pas confiance dans le résultat des élections, alors que les autorités de régulation continuent à affirmer que les élections ne sont pas entachées de fraude.

Joe Biden devra donc tenter d’atteindre des millions d’Américains qui vivent dans une dimension parallèle et qui s’expriment massivement sur les réseaux sociaux pour affirmer qu’ils n’accepteront jamais sa main tendue. L’autre difficulté de Joe Biden va consister à conserver l’unité de son propre camp. Entre les démocrates centristes et les plus progressistes, la synthèse ne sera pas évidente. Une des fondatrices du mouvement Black Lives Matter, Patrisse Cullors, a déjà demandé à rencontrer le futur président et sa vice-présidente, en laissant entendre qu’ils sont maintenant attendus au tournant.

 

Dans quelle mesure Biden risque-t-il d’avoir à gérer un divided government, entre un Sénat hostile et une Cour suprême conservatrice ? Ses talents de négociateurs hérités de son expérience de parlementaire l’aideront-ils à huiler la machine ?

Biden, quelles marges de manœuvre ?

Tout va dépendre des deux Sénateurs qui seront élus en Géorgie en janvier prochain. Si les pronostics qui placent les candidats Républicains en tête se confirment, Joe Biden sera alors le premier président démocrate depuis Grover Cleveland en 1885 à être élu sans avoir le contrôle des deux chambres. Lorsque Joe Biden deviendra le 46e président des États-Unis le 20 janvier 2020, il devra procéder à la nomination de près de 4.000 personnes à différents postes de la fonction exécutive. 1.200 d’entre aux requièrent l’approbation du Sénat, notamment les membres du gouvernement. La tradition voudrait que les sénateurs laissent la main au président pour nommer ses ministres, mais selon des sources proches du Parti républicain, Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et actuel président du Sénat, refusera la confirmation de ministres trop progressistes. De même, McConnell a déjà mené une politique d’obstruction quasi-systématique face au président Barack Obama, avec des résultats désastreux pour ce dernier. La route des réformes voulues par Joe Biden pourrait bien se transformer en cul-de-sac, à moins de gouverner par décrets…

«  En cas de confirmation de la majorité républicaine

au Sénat, l’attitude que choisira d’adopter Mitch McConnell,

le président de la chambre haute, sera décisive.  »

En outre, sans majorité au Sénat, non seulement Joe Biden perdrait tout espoir d’obtenir la confirmation d’un juge démocrate à la Cour Suprême, mais de surcroît il lui serait impossible de renverser l’actuelle majorité conservatrice de la Cour en réformant le nombre de juges qui la composent, au nombre de neuf depuis une décision du Congrès adoptée en 1869. Avec un Congrès favorable, Joe Biden pourrait obtenir une nouvelle décision portant par exemple le nombre de juges à treize, lui donnant ainsi l’opportunité de mettre les conservateurs en minorité grâce à la nomination de quatre juges Démocrates. Malgré tout, en dépit de l’extrême polarisation du paysage politique, l’antériorité des relations entre Mitch McConnell et Joe Biden pourraient jouer un rôle capital dans les mois à venir. Il existe entre les deux hommes une amitié ancienne qui s’est exprimée à titre privé, McConnell étant le seul sénateur républicain présent aux obsèques de Beau Biden en 2015, et à titre public, lors de négociations cruciales quand Barack Obama était président. McConnell maintiendra certainement la pression jusqu’au résultat final des sénatoriales, mais ses liens avec Biden pourraient conduire ensuite à une certaine normalisation de leurs relations.

 

Le système présidentiel américain est probablement plus équilibré (exécutif/législatif/judiciaire) que notre système français, mais plusieurs points posent perpétuellement question : les injustices induites par le collège électoral, les conséquences de la nomination politicienne et à vie des juges de la Cour suprême, et le poids croissant de l’argent en politique. Des espoirs que ça bouge un peu pour atteindre une "union plus parfaite", sur tous ces fronts ?

de la démocratie en Amérique

Cette question est une belle façon de conclure notre entretien. Effectivement, vu de France, le système des élections reposant sur un collège électoral peut paraître rétrograde, voir obsolète, tout comme la nomination des juges fédéraux à vie. Toutefois, si en France nous élisons le président par suffrage direct depuis le référendum de 1962, nos sénateurs sont encore élus par un collège électoral, quand leurs homologues américains sont directement choisis par les électeurs. L’élection du président des États-Unis par un collège électoral, qui permet la victoire d’un candidat n’ayant pas forcément réuni la majorité du vote populaire, avec à la clef des crises comme celle de 2000 entre George Bush et Al Gore, est bien sûr régulièrement remise en cause. Cependant, c’est le seul moyen d’équilibrer la représentativité entre les États fortement peuplés, comme la Californie ou encore New-York, et ceux qui le sont moins, comme le Delaware ou le Montana, dans un système où ces États sont tous égaux dans l’Union. C’est donc le recensement de 2020 qui déterminera le nombre de grands électeurs pour les élections de 2024 et 2028.

«  Clairement, la volonté de réforme qui a contribué

à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité

conservatrice qui domine la Cour suprême.  »

Quant aux juges fédéraux, deux mesures sont en réalité prévues par la Constitution pour préserver leur intégrité et les protéger de toute pression  : la nomination à vie, effectivement, mais aussi la garantie que leur salaire ne pourra être diminué au cours de leur carrière. Ces mesures leur assurent une grande liberté d’action. Cependant la nomination à vie des juges par le pouvoir du moment, comme on a pu l’observer avec Donald Trump, conduit inéluctablement au verrouillage politique des cours fédérales, avec pour conséquence des blocages sur les questions notamment sociétales. Ainsi la volonté de réforme qui a contribué à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité conservatrice qui domine la Cour suprême. C’est pourquoi certains Démocrates appellent maintenant à limiter dans le temps la nomination des Justices de la Cour suprême.

Enfin, le poids de l’argent dans les campagnes électorales américaines est choquant pour les Français, habitués au plafonnement des dépenses de campagnes dans un souci d’égalité et d’indépendance des candidats. Néanmoins, un sondage indiquait en 2018 que deux tiers des Américains étaient en faveur d’une limitation des contributions privées aux fonds de campagnes, jugeant l’influence des grands donateurs préjudiciable. Cependant, n’est pas forcément élu celui qui lève le plus d’argent. Lors de la campagne sénatoriale qui vient de s’achever, Lindsey O. Graham avait accumulé un retard financier tel sur son concurrent démocrate, Jaime Harrison, qu’il avait supplié en direct sur Fox News les téléspectateurs conservateurs de lui adresser des dons. Il n’a jamais comblé son retard, et pourtant il a été réélu…

En conclusion, je ne suis pas certain qu’il faille s’attendre à des réformes radicales imminentes sur ces différents sujets. Et même si Joe Biden a prévu de s’attaquer au financement des campagne, ou encore de nommer une commission pour réformer la Cour suprême, il a pris le contre-pied de nombreux élus démocrates en se prononçant pendant les primaires contre une réforme du collège électoral. Compte tenu de difficultés prévisibles avec un Sénat républicain et du contexte de pandémie qui s’aggrave de jour en jour, d’autres priorités vont certainement l’accaparer.

 

André Rakoto 2020

 

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4 octobre 2023

Frédéric Quinonero : « 60 ans après sa mort, Piaf reste la référence »

Le 10 octobre 1963, soit, il y aura soixante ans dans quelques jours, disparaissait Édith Piaf. Elle n’avait que 47 ans, mais à la fin elle en faisait plus, beaucoup plus, usée par la vie, rongée par les malheurs et les excès. Un destin souvent tragique qu’elle a partagé avec celles et ceux qui l’aimaient, jusqu’à la limite de l’impudeur, ça a donné quelques unes de ses grandes chansons. Et quand on parle de "grandes chansons", s’agissant de Piaf, le mot n’est pas à prendre à la légère : qui, 60 ans après sa mort, et même parmi les plus jeunes, n’a jamais eu dans la tête un des titres de Piaf ? En revanche, au-delà de son répertoire, de l’image qu’elle pouvait renvoyer, de ce qu’on sait d’elle via le film La Môme ou autre, qui sait ce que fut réellement sa vie ? J’accueille l’ami Frédéric Quinonero, qui vient de lui consacrer une bio complète, une évocation sensible de ces Cris du cœur (La Libre édition, septembre 2023) qui sonnent comme un cri d’amour, un amour communicatif. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero : « 60 ans

après sa mort, Piaf reste la référence »

Piaf

Piaf, cris du cœur (La Libre édition, septembre 2023)

 

Frédéric Quinonero bonjour. Qu’est-ce qui, en 2008, t’avait donné envie de consacrer une bio à Édith Piaf, artiste qui pour le coup ne correspond pas vraiment à ceux sur lesquels tu as écrit la plupart du temps, ceux des 60s et 70s, les Johnny, Sylvie, Sheila... ?

Même si je revendique ma culture populaire, faite par la télévision et le transistor, je n’ai pas choisi pour autant d’être enfermé dans un «  genre  ». Ce qui a été le cas en écrivant d’abord sur Johnny, Sylvie, Sheila, etc. J’aurais pu écrire sur Brel, Ferrat, Barbara, mais on ne m’attendait pas sur ce terrain-là. J’ai quand même réussi dès 2008 à imposer Piaf, grande figure populaire de la chanson, qui a marqué mes jeunes années, tant elle m’impressionnait par sa voix et ce qui se dégageait d’elle.

 

Piaf est morte en 1963, année de ta naissance. C’était quelqu’un qu’on écoutait dans ta famille ? L’annonce de sa mort, ça avait eu un écho autour de toi ?

Ma mère adorait Piaf. Lors des dîners familiaux, lorsqu’on lui demandait de chanter, elle reprenait Piaf. Aujourd’hui encore, quand elle entend La Vie en rose, elle dit  : «  C’est ma chanson...  » Je lui ai dédié ce livre… J’étais trop petit pour avoir le souvenir d’un quelconque écho de la mort de Piaf. Mais le fait de la savoir morte et la voir tout le temps habillée de noir me la rendaient encore plus impressionnante, au point d’en faire des cauchemars après avoir visionné un hommage télévisé  : on montrait le plus souvent les images de ses dernières années, une Piaf malade et chétive, le cheveu rare et les mains déformées.

 

Nous commémorerons donc dans quelques jours le 60e anniversaire de la mort de la Môme Piaf. À cette occasion donc, tu publies Piaf, cris du cœurune réédition de ta bio, chez La Libre Édition. As-tu modifié des éléments, revu ton premier écrit ?

J’ai tout relu, revu et corrigé mon texte initial, écrit un peu comme un roman, tant la vie et le destin de Piaf sont romanesques. Quand on se relit longtemps après, j’ai remarqué qu’on retranchait beaucoup, les mots inutiles, adjectifs, adverbes, qui polluent le texte.

 

Quel regard portes-tu sur ton style de 2008 ? Il y a des choses à propos desquelles tu te dis : je ne l’écrirais plus de la même manière aujourd’hui ?

Globalement, j’ai été assez épaté (rires). À vrai dire, je n’avais pas l’impression que j’en étais l’auteur. Je m’arrêtais parfois dans ma lecture, me disant  : «  Mais c’est vraiment bien ce que t’as écrit là  » (rires). J’ai relevé quand même quelques maladresses que j’ai corrigées. En quinze ans, on évolue forcément dans l’écriture, la façon de percevoir et de dire les choses, dans le vocabulaire, la tournure des phrases.

 

 

La chanteuse Juliette signe une sympathique préface, Fred Mella s’en était chargé la première fois. Raconte-moi comment ça s’était fait, pour l’un comme pour l’autre  ? Est-ce que Juliette fait un peu partie à ton avis de la filiation artistique de Piaf ?

La préface de Fred Mella avait été demandée par mon éditeur de l’époque, je ne l’ai jamais rencontré et je n’ai pas le souvenir d’avoir beaucoup échangé avec lui au téléphone. Dans cette préface, qui stricto senso n’en était pas une, il racontait brièvement son expérience avec Piaf et une anecdote, en particulier, sur leur premier voyage en Amérique. Juliette, que j’ai pu contacter par l’intermédiaire d’un ami, me fait l’honneur d’ouvrir mon livre de belle façon, elle en a aimé d’abord le titre, «  Cris du cœur  », d’après un texte de Prévert, puis le texte, et elle a axé son discours sur la voix de Piaf et sur son art. Je suis très heureux de cette rencontre, car j’aime beaucoup Juliette qui est une des plumes les plus intelligentes de la chanson française et une artiste à découvrir sur scène. Son premier répertoire, lorsqu’elle chantait dans les pianos-bars de Toulouse, empruntait à Piaf, comme à Brel ou Anne Sylvestre. Elle s’étonne toutefois qu’on voie en elle une héritière de la chanson réaliste. Je la qualifierais plus justement d’héritière d’Anne Sylvestre ou de Brassens, même si j’ai pensé à elle pour cette préface de Piaf en souvenir de son éblouissante interprétation de Padam, padam.

 

Piaf c’est une voix, puissante dans un petit corps, des ritournelles aussi qui résonnent encore. C’est aussi des chants de désespoir, reflets d’une vie souvent tragique. Que t’inspire-t-elle, cette femme ?

Elle m’inspire tout cela, en effet. Piaf c’est avant tout une voix, un chant d’amour, un cri… Une voix si incroyable qu’elle résonne encore soixante ans après sa mort. C’est sa voix, chantée, parlée, qui s’entend, je l’espère, dans mon récit.

 

D’ailleurs, question liée, mais en ne connaissant très bien ni l’une ni l’autre, je mets souvent dans ma pensée en parallèle Dalida avec Piaf, pour le côté séductrice sensible, le destin tragique, la mort des hommes aimés, la fin prématurée. Il y a quelque chose qui les lie ces deux-là ou «  pas plus que ça  » ?

J’aime beaucoup Dalida, mais je ne les compare pas, même si ce que tu dis se défend – elles ont cette tragédie en commun qui a accompagné leur vie. Piaf est incomparable, d’ailleurs.

 

Quels ont été les hommes qui ont le plus compté dans sa vie ? On évoque surtout Marcel Cerdan, mais a-t-il véritablement été son «  grand amour  », à supposer qu’on puisse le savoir ?

Beaucoup d’hommes ont compté, de Raymond Asso, qui fut son Pygmalion, à Théo Sarapo, dont la présence a adouci sa fin de vie, d’Yves Montand, à qui elle a fait gagner quelques années en lui offrant un répertoire à sa mesure, et tous les autres qu’elle a pygmalionnés. Elle a connu une vraie complicité avec Paul Meurisse, puis Jacques Pills, qui fut son premier mari. Mais Marcel Cerdan a eu une importance particulière du fait de sa disparition aussi tragique qu’inattendue, en plein ciel. Comme elle était croyante, le savoir mort en plein ciel lui faisait dire qu’il y était. Peut-être que s’il avait vécu, elle l’aurait quitté comme à peu près tous les autres. Mais qui le sait  ? Il était, en tout cas, l’un de ses rares compagnons qui était sur un même niveau de notoriété qu’elle, dont elle pouvait penser qu’il l’aimait vraiment pour ce qu’elle était, et non pour ce qu’elle représentait.

 

Piaf/Johnny, c’est quoi la vraie histoire ?

Ils se sont rencontrés à deux reprises, vers 1962. Johnny avait enregistré ses premiers grands succès, Retiens la nuit et L’idole des jeunes, et triomphé à l’Olympia. Elle croyait en lui, elle lui prédisait une grande carrière à condition qu’il trouve de grands auteurs pour améliorer son répertoire. Johnny était très intimidé. Il a raconté, en riant, qu’elle lui avait fait des avances, en lui caressant le genou, et qu’il avait fui. Mais faut-il le croire  ?

 

 

Tes chansons préférées de Piaf, celles, connues et peut-être moins connues, qu’on devrait réécouter encore et encore ?

Je ne me suis jamais lassé de L’Accordéoniste et de Non, je ne regrette rien, parmi les plus connues. Parmi les moins connues, spontanément je dirais  : J’m’en fous pas mal, Comme moi, Les amants de Venise, Le gitan et la fille, C’est un gars, Tiens v’la un marin.

 

 

Celles qui disent le plus qui elle était ?

Toutes la racontent, ou presque. Chacun de ses auteurs lui a fait du sur-mesure. Depuis Elle fréquentait la rue Pigalle jusqu’à Non, je ne regrette rien. Évidemment, sa quête d’amour absolu s’exprime dans Hymne à l’amour, qu’elle a elle-même écrite en pensant à Cerdan. On retrouve cet absolutisme dans Mon Dieu ou La Foule.

 

 

On évoquait Juliette tout à l’heure. Piaf a-t-elle des successeurs, ou des filiations évidentes, non tant dans le style que dans sa manière presque impudique de mettre sa vie entre les oreilles de tous ?

Il y avait du Piaf chez Hallyday. Sa vie brûlée, consumée. Sa façon de vivre son art jusqu’au sacrifice du reste. Comme Piaf, Hallyday n’existait que sur scène, c’était l’endroit où il se donnait entièrement, jusqu’au bout de ses forces. Jusqu’au bout de sa vie.

 

C’est quoi, Piaf, en 2023 ?

Elle incarne la chanson française dans le monde entier. Elle reste la référence. Elle continue d’inspirer les chanteuses débutantes, qui se risquent à chanter Hymne à l’amour ou Non, je ne regrette rien. Elle a traversé le temps et les modes. Elle est éternelle.

 

 

Un dernier mot ?

Aimer (c’est le verbe que Piaf savait conjuguer à tous les temps).

 

F

 

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