Jacques Rouveyrollis : « Pour moi, c'est toujours la première fois ! »
Rarement homme de l’ombre aura été aussi indispensable à la lumière que mon invité du jour, qui n’est autre que Monsieur Jacques Rouveyrollis. Si vous avez une connaissance un peu fine du show biz français de ces cinquante dernières années, son nom vous dit forcément quelque chose, même vaguement : il a travaillé avec les plus grands, de Polnareff à Sardou, en passant par Barbara, Gainsbourg, Mylène Farmer et Renaud. Nombreux sont ceux qui le surnomment "Le magicien". Un surnom qui n’est pas usurpé : il est l’homme qui a éclairé, mis en lumière, avec ses équipes et ses projecteurs (dans cet ordre-là), un nombre incroyable de shows qui ont compté. Son autobiographie, parue aux éditions de l’Archipel en octobre 2022 s’intitule d’ailleurs Mes années lumière.
J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir, dans ce livre, toutes les aventures exceptionnelles de cet homme qui, s’il bat tout le monde au jeu du name dropping, n’a jamais cessé d’être humble. Notre interview, faite par téléphone le 11 mars dernier, en fin de matinée, m’a permis de découvrir "en direct" un type charmant, humble je le redis, aussi humble qu’il est compétent et travailleur - c’est dire s’il est humble. À 78 ans et des brouettes, il est toujours aussi actif. Cette année, après avoir éclairé Sardou et Renaud, il travaillera, dès cet automne, pour celle qu’il présente comme son porte-bonheur, Sylvie Vartan, pour sa tournée d’adieux. Bonne lecture, et vive, non seulement, le spectacle vivant, mais aussi toutes les petites mains qui s’affairent pour le faire tourner ! Merci à vous, M. Rouveyrollis. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Jacques Rouveyrollis : « Pour moi,
c’est toujours la première fois ! »
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Mes années lumière (L’Archipel, octobre 2022).
Jacques Rouveyrollis bonjour. Quand on lit votre histoire on se dit que le destin parfois ne tient à rien. Vous, ça n’a pas été une "panne d’essence", mais une voiture qui ne s’est pas arrêtée pour l’autostoppeur que vous étiez... (De ce fait, M. Rouveyrollis a cherché du travail au plus près de là où il se trouvait, et tout s’est alors enchaîné, ndlr)
Exactement, ça a tenu à un pouce d’autostoppeur qui n’a pas fonctionné... La traversée du destin était là...
Avez-vous souvent songé à ce qu’aurait été la suite de votre vie si cette voiture vous avait pris ce jour-là ?
Oh, non pas du tout... On ne peut pas penser à ce qu’aurait été "autre chose". C’est difficile de se projeter dans ce qui aurait pu être...
Pourquoi avoir voulu écrire votre autobiographie ?
Déjà, au départ, on a écrit un livre à trois avec Bernard Schmitt, qui était metteur en scène d’Hallyday, et Roger Abriol qui était son directeur de production. Ce sont eux qui m’ont donné l’idée de ce Private Access. Une fois qu’on a terminé ça, je me suis aperçu que j’écrivais facilement. Et j’avais gardé mes agendas depuis 1974 ! Pendant le confinement, plutôt que de me mettre devant la télévision, je les ai feuilletés, et je me suis mis à écrire. C’est venu comme ça. J’ai usé neuf stylos bille ! Pour un manuscrit de trois ou quatre blocs. Ma femme à côté tapait le texte. J’ai ensuite envoyé le tout à Laurent Ruquier, qui est un ami. Je lui ai demandé d’être sincère avec moi. Il a lu mon manuscrit et m’a répondu trois jours après. Et c’est lui qui a trouvé le titre du livre ! Mais c’est venu d’un coup : dès que je me suis mis à écrire, je n’ai plus lâché le truc. Pendant tout le confinement !
Vous avez souvent travaillé avec Michel Sardou, et notamment mis en lumière ces chansons spectaculaires que sont Musulmanes, L’An Mil, et aussi Un roi barbare, superbe titre injustement oublié. Dans votre livre vous racontez votre collaboration, jusqu’à sa tournée de 2018 qui devait être sa "Dernière danse". Depuis il y a ses nouveaux adieux, et vous en êtes... Vous nous racontez ?
Pour cette tournée 2023-24, ça s’est fait tout naturellement. Moi j’ai repris ma façon de travailler avec lui, comme si on n’avait jamais arrêté.
Des choses un peu différentes, pour ce show ?
Oui, on a épuré. Plus de décor, un plateau avec des praticables, un fond blanc qui sert d’écran parce qu’il y a trois projections, trois films avec un rideau noir... Tout ce que j’aime.
Sardou, ça a été une grande rencontre pour vous, clairement...
Oui, moi j’adore travailler avec Michel. Il fait partie, comme Hallyday, comme Barbara, de ce petit conte de fées qu’est ma vie...
Justement, on vous a beaucoup associé, tout au long de votre carrière, à Johnny Hallyday, jusqu’aux "Vieilles Canailles". Est-ce que vous diriez que certains des challenges les plus fous de votre carrière auront été avec lui ?
Quand j’ai commencé avec Johnny, au départ c’était un remplacement. Je dois préciser que, depuis que je suis né, je n’ai jamais été "fan" de qui que ce soit. J’ai de l’admiration pour ces artistes, mais je ne suis pas un "fan". J’ai commencé avec le rock, musique un peu hard, mais ce qui m’a donné l’inspiration de l’espace, etc, c’est la musique classique. Cette musique, au départ, je ne la connaissais pas. C’est en l’écoutant, petit à petit, à la radio ou autre, que j’ai commencé à visualiser ce que j’entendais.
Ça n’a jamais été des défis. Quand Johnny a insisté pour que je fasse ses lumières, pour que je reste avec lui, au départ on avait cinq projecteurs de chaque côté et on choisissait un spectateur pour faire la poursuite. Et dix ans après, il avait 4000 projecteurs au-dessus de lui ! Mais ça m’a pris dix ans ! En France, on n’avait pas les Zénith, on passait dans des théâtres, ou dans des chapiteaux... C’était assez terrible. Il fallait vraiment avoir l’âge que j’avais pour qu’on s’accroche. Le métier était différent, on l’appelait encore "variétés", ça n’était pas encore complètement le "show biz". Les Anglais avaient eux bien innové avec ces projecteurs Par qu’ils avaient transformé des avions pour en faire des projecteurs de concert. Mais sinon, c’était du fil à fil. Même brancher une prise de courant, c’était difficile pour moi. Mais ça a été l’envie de bien faire, d’être à la hauteur.
Johnny Hallyday, c’était déjà une star quand j’ai commencé avec lui. Je sortais de l’aventure avec Michel Polnareff, ce génie qui avait senti qui la lumière était très importante et m’avait poussé à innover, à faire des choses qui ne se faisaient pas. Mais sur Hallyday, au début, c’était vraiment un désastre. Techniquement, rien n’existait, total abandon. J’ai tout fait pour me faire éjecter du projet ! Mais lui a dû, à un moment, comprendre les enjeux, et il m’a laissé carte blanche ! Alors que ce type-là, il avait atteint un tel niveau artistique que, même une simple poursuite au milieu du Stade de France, ça aurait pu suffire. Il a aussi senti, dans ma démarche, dans ma quête, qu’il fallait qu’on respecte le public, que si on existait c’était grâce aux gens qui payaient leurs places pour venir nous voir. Il a compris ça, et à partir du moment où on a commencé à faire l’effort de faire un show, jusqu’à sa mort ça a été, toujours plus loin, toujours plus loin... C’est grâce à ce mec-là, Johnny Hallyday, que le show biz français peut exister vraiment. J’ai connu un éditeur anglais qui m’avait dit que le groupe Queen, dont Freddy Mercury, était venu voir le spectacle de Johnny, ça les inspirait... Les lumières, le décorum, c’était énorme.
Quand je suis arrivé, il sortait de la tournée "Johnny Circus", qui avait été une catastrophe financière. Et ça n’était pas bien... Il était au fond du trou.
Une belle rencontre...
Pour moi, ça a été génial.
Humainement aussi ?
Ah oui. Humainement, c’était un personnage très attachant. J’ai eu la chance de passer des vacances à Palm Springs grâce à Michel Polnareff : on était dans sa maison où Johnny et Sylvie, à l’époque encore mariés, étaient venus nous rejoindre alors qu’avec Michel Polnareff on préparait un spectacle pour le Japon, en 1979. On a passé trois semaines de bonheur ensemble, vraiment. Il était très timide. Peut-être pas cultivé comme l'étaient certains, mais d’une intelligence exceptionnelle. Un loup ! Grand personnage qui vous tire forcément vers le haut, comme Sylvie Vartan. Des gens qui ont un tel charisme... D’ailleurs, avec Sylvie, on repart en octobre...
Vous précédez ma prochaine question, par rapport à Sylvie Vartan que vous présentez à plusieurs reprises dans votre livre comme votre "porte-bonheur".
Oh oui, c’est mon porte-bonheur Sylvie, vraiment.
Donc vous repartez bien avec elle. Est-ce qu’avec Sylvie Vartan ou avant d’autres de manière générale, quand vous allez éclairer une chanson que vous avez déjà éclairée, vous avez tendance à vouloir innover ?
Ça dépend de l’orchestration. Mais en principe, il y a quand même une base qui reste. Je pense au Pénitencier, à Que je t’aime, ou à L’amour c’est comme une cigarette... L’orchestration peut changer mais la dramaturgie reste la même, celle qui émane des paroles de la chanson. C’est le même principe qu’au théâtre ou à l’opéra. Je reste fidèle aux paroles, à la dramaturgie, à ce qu’elles m’ont inspiré.
Comment définiriez-vous ce lien particulier qui vous attache à Sylvie Vartan ?
Je ne sais pas... C’est comme ça. On va jusqu’au bout, comme j’ai été jusqu’au bout avec Barbara, ou avec Gainsbourg. J’aurais du mal à vous expliquer ça, c’est difficile. Ce sont des liens qui se tissent, des rencontres, et le plaisir de travailler, ou plutôt de s’amuser ensemble. On en parlait il y a quelques jours avec la personne qui collabore avec moi sur Sardou, Nicolas Gilli, que j’ai débauché alors qu’il avait 16 ans et qui est devenu un grand pupitreur, et même un designer qui a travaillé sur Zaz, etc... On se disait, donc, que tout ça, ces longs moments partagés, ce sont des histoires d’amour. Je pense à cette pièce avec Valérie Mairesse, Jeanfi Janssens, Valérie Mairesse, Un couple magique, au Théâtre des Bouffes Parisiens... La troupe de Sardou aussi, c’est une histoire d’amour entre 80 personnes. Quand ça matche bien, ça va jusqu’au bout. Puis, quand ça s’arrête, on se retrouve, deux, trois ou dix ans après, comme si on s’était quittés la veille. Ce métier est magique pour ça.
C’est chouette, la manière dont vous présentez ça...
C’est ma vie. 59 ans de ma vie ! Et à la fin de mon livre j’écris : “C’est toujours la première fois”.
Des amitiés durables. À la fin de votre chapitre sur Sylvie Vartan, vous dites d’ailleurs que rendez-vous est pris pour le prochain plat de pâtes avec elle et son époux Tony Scotti...
Exactement. Son mari est un immense producteur pour lequel j’ai travaillé aux États-Unis. J’adore ce personnage magnifique. Et depuis on s’est refait des plats de pâtes ensemble !
Très bien ! Parlez-moi un peu de quelque chose que vous évoquez peu dans votre livre, la première série de concerts de Mylène Farmer, en 1989 ?
En 89 oui, superbe... Quelle belle artiste ! Je l’ai connue à ses tout débuts : je faisais à l’Opéra Garnier les Oscars de la mode avec Yves Mourousi, etc. Dans ce cadre débutait une jeune chanteuse qui donc s’appelait Mylène Farmer. Plus tard j’ai été contacté par son producteur, Thierry Suc, pour son tour de 1989. Quelle belle rencontre, avec elle, et avec Laurent Boutonnat ! J’en parle peu, parce que ça a été un peu rapide. 89, c’est l’année où mon papa est mort. J’ai appris à Bruxelles le décès de mon père, que j’adore – d’ailleurs pour moi il n’est jamais parti. Elle a été vraiment délicate et gentille avec moi à ce moment-là... J’ai eu cette immense chance de commencer à l’éclairer.
Et ça a dû être particulier, comme vous dites, le décor, l’atmosphère sont très gothiques...
Oui, le décor était un cimetière. Avec Laurent Boutonnat ils sont vraiment très inventifs. Pour quelqu’un comme moi c’est du pain bénit. Je garde de cette collaboration un excellent souvenir. On s’est d’ailleurs revus à la Scène musicale où, un soir, elle était venue voir Michel Sardou. À chaque fois on se saute dans les bras, c’est un vrai bonheur...
N’a-t-il jamais été question que vous retravailliez avec elle par la suite ?
C’est difficile... Chaque fois que je commence à travailler avec une personne, j’y mets mes assistants. Je ne peux pas avoir le monopole sur tout le monde. C’est bien de continuer, de passer la main...
Vos collaborations donnent en tout cas le tournis, tant au niveau des personnalités impliquées que des genres auxquels vous avez touché : chanson, théâtre, opéra, shows son et lumière... Le travail varie selon le genre concerné ou réellement selon les personnalités ?
Ça dépend de l’œuvre aussi. C’est vraiment elle qui décide de la façon dont on va éclairer. Le contenu fait tout. L’œuvre et aussi le metteur en scène quand, au théâtre par exemple, il y a des décors, etc. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure l’œuvre dicte la marche à suivre, la dramaturgie dans laquelle on va s’engager. Je dis toujours que je ne cherche pas à faire une œuvre d’art par-dessus l’œuvre d’art : la lumière sert à souligner celle-ci. Il faut être humble. Quand j’ai éclairé la Tour Eiffel pour ses 120 ans, et d’ailleurs aussi pour ses 100 ans, je me suis trouvé tout petit devant cette œuvre gigantesque. Mon travail aura été de la révéler aux yeux du public.
La plupart du temps, diriez-vous que vos créations de lumière ont été issues d’idées à vous, ou d’idées de l’artiste ?
Oh non, j’ai toujours carte blanche. Jamais aucune influence.
Et d’ailleurs vous mettez beaucoup en avant la notion d’inattendu, d’accident...
Oui, je dis toujours que la contrainte amène à l’idée. L’accident survient et hop, c’est ça, c’est bon ! Il faut être attentif. Moi je suis un instinctif : dès l’instant où je mets les pieds dans l’endroit où je devrai éclairer, il se passe toujours quelque chose. Il faut être à 100% dans l’endroit et AVEC l’endroit. Ne pas le combattre, le respecter, que ce soit un théâtre, un zénith, un chapiteau, etc. L’endroit vous donnera toujours la solution, c’est certain.
À ce propos, je ne sais plus dans quel chapitre vous en parlez, mais vous évoquez à un moment l’âme des lieux, qui parfois peut être déstabilisante...
Tout à fait. Moi j’ai eu des rejets au Colisée vers 5h du matin. Le lieu me mettait dehors... Certains endroits sont comme ça. Mais si vous respectez le lieu en principe, il est beaucoup plus complice qu’ennemi.
Très bien. Vous parliez tout à l’heure de Barbara, ça a été je crois un rapport bien particulier.
Oh oui, ça a été une histoire d’amour platonique pendant plus de 20 ans.
Vous avez sans doute contribué à sa mutation, de chanteuse respectée à grande prêtresse sur scène. Et en même temps, on la découvre sous un jour pas forcément attendu. Je souris encore à votre évocation d’elle s’amusant comme une gosse avec le pin’s parlant de Dorothée...
C’était une grande dame. Et pourtant, mes débuts avec elle ont été difficiles, les deux premières heures. Mais ensuite... C’était un amour. Une grande, une diva, Barbara ! Elle a chanté tout ce qu’elle a vécu.
Vous expliquez aussi qu’il y a eu des moments de mésentente, ça a parfois été compliqué...
Bien sûr, mais comme tous. Avec Johnny ça a été pareil. Avec Sardou, idem. Mais moi, à ma place, quand on m’appelle – ça a toujours été eux qui m’ont appelé et c’est là ma plus grande fierté -, on me demande de toujours dire la vérité quand quelque chose ne va pas. Si vous ne dites pas la vérité, un jour où l’autre on vous le remet sur la gueule. Moi j’ai toujours dit la vérité, Alors forcément, parfois ça blesse. Surtout quand la personne est entourée de gens qui ne font que la flatter. Quand quelqu’un dans l’entourage commence à oser critiquer, ça peut fâcher. Mais tous sont revenus : Johnny ça a duré un mois, Sardou ça a duré 15 jours, Barbara un spectacle.
Avec Barbara, on s’est fâchés parce qu’on faisait le Châtelet et en même temps Bercy avec Johnny. Elle était jalouse que j’aille avec Johnny. Après le Châtelet, elle a fait Mogador. Donc moi je n’ai pas fait Mogador. Elle m’a envoyé une critique de Mogador dans laquelle, bien sûr, on louait le talent de Barbara, mais en regrettant que “Jacques Rouveyrollis n’ait pas été en charge des lumières”. Après on s’est revus en 87, et ça a été l’amour jusqu’à la fin.
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Photo fournie par Jacques Rouveyrollis.
Belle histoire. On ne peut pas citer toutes les personnes mentionnées dans votre livre. Un ou deux adjectifs pour chacun ?
Michel Polnareff ?
Génie.
Joe Dassin ?
Adorable. Grand showman !
Jean Marais ?
Ah... Merci, merci, merci monsieur Jean Marais !
Annie Girardot ?
Amour, amour, amour...
Michel Berger ?
Talent ! Talent ! Et drôle ! Un ange...
Mireille Mathieu ?
Je l’adore. (Il prend son accent) Oh mon dieu !
Il est prévu que vous la suiviez toujours d’ailleurs ?
Je ne la suis plus mais je l’aime, elle le sait.
Jacques Dutronc ?
J’adore ! Vrai. Un vrai. Un homme !
Jean-Michel Jarre ?
Aussi. Talent, grand talent. Jean-Michel Jarre, le monde entier, je peux même dire en pensant mes mots, la planète entière peut lui dire merci. À partir de 1986 on a commencé à éclairer les immeubles, à Houston, à Lyon, etc. Tout le monde s’est inspiré de ce travail qu’on a fait avec lui. C’est lui qui a déclenché tout ça. Bravo Jean-Michel !
D’ailleurs c’est un petit aparté mais je suis de la région lyonnaise...
Bien sûr. Quand on est passés, en 1986, je me souviens que les Lumières, c’était des verrines sur les fenêtres. Moi je suis de Grenoble. On mettait tous des verrines sur les fenêtres. Quand on a fait 86, année de la venue du pape, quand on a fini le concert que je venais d’éclairer, en face du tribunal, à partir de là la fête des Lumières a complètement changé à Lyon. Merci Jean-Michel Jarre !
Et si les organisateurs de la fête des Lumières vous demandaient si ça vous amuserait d’éclairer un bâtiment cette année ?
Oh oui. J’ai déjà fait quelque chose avec une pianiste lors de ces fêtes. À voir, si quelque chose est inspirant...
Juliette Gréco ?
Ah, Gréco. Une des plus grandes interprètes du monde. Magnifique personne. Un amour. Un vrai amour de femme.
Serge Gainsbourg ?
Lui aussi, talent, talent. Un vrai ! Drôle. Et un peintre, un compositeur, un chanteur. Très bon, et belle entente.
Anne Sylvestre ?
Ah... Anne Sylvestre, je l’adore. J’ai adoré, et jamais je n’aurais pensé que j’éclairerais Anne Sylvestre. Un très beau matériel de chanson, aussi bien pour les enfants que pour les adultes. Et très drôle. Vraiment bien. Talent méconnu, j’en suis persuadé.
Charles Aznavour ?
Un vrai, Aznavour... Lui, ses débuts, ça n’a pas été facile. Ils l’ont critiqué : il n’était pas beau, il était petit, il n’avait pas de voix, etc... J’ai fait 30 ans avec lui, un grand monsieur. On a fait le tour du monde ensemble. Je peux vous dire que, dans le monde entier, tout le monde connaît la France grâce à lui. Comme Édith Piaf.
Jean-Luc Moreau ?
J’adore. J’ai fait du théâtre avec lui, et je continue. Je l’aime, c’est mon frère.
Il vous a écrit une belle préface d’ailleurs. Renaud ?
Renaud c’est une personne qui, socialement parlant, m’a changé dans ma tête. Quand on m’a proposé Renaud, je sortais d’un spectacle de Sylvie Vartan. J’étais fatigué, je ne voulais pas, puis je me suis laissé tenter, j’y suis allé. Lorsque je l’ai rencontré, coup de foudre. Grand monsieur. Socialement, c’est un vrai ! On a fait ensemble le Jardin d’Acclimatation, derrière Austerlitz. On avait fait Fauve qui peut avec lui, il avait donné tout son cachet pour faire refaire les lieux et faire prendre conscience de cela à l’État. On a réussi cela. C’est lui qui a mis tout l’argent. Quand son disque marche bien il augmente ses musiciens, ses techniciens de 20%... Un vrai, vraiment. Je l’adore. D’ailleurs je suis en tournée en ce moment avec lui. Depuis 84, je ne le lâche plus.
Vous avez bénéficié de matériel nombreux et de pointe, mais si on devait réellement vous demander d’éclairer au mieux un spectacle en seul-en-scène avec un unique projecteur, pensez-vous que vous prendriez toujours du plaisir à relever l’exercice ?
Oui... C’est difficile, je n’en ai pas encore le talent, quoique j’y suis arrivé dans une église, pas loin d’Amiens, Saint-Riquier je crois, avec l’orchestre baroque d’Hervé Niquet... Il y avait une rosace au fond de cette église et j’ai pu mettre un projecteur de cinéma, un 10 kw qui faisait toute la rosace. On avait mis ça sur un échafaudage, et ça avait éclairé jusqu’au parvis. Un seul projecteur pour toute l’église. J’y suis arrivé cette fois-là. Maintenant, tout un spectacle ? Je n’en ai pas le talent mais j’y travaille.
Ça vous amuserait d’essayer en tout cas ?
Ah oui, ça m’amuserait d’essayer...
Vous rendez beaucoup hommage aussi à ces petites mains qui vous permettent d’éclairer les scènes, les shows. Est-ce que l’automatisation, peut-être l’intelligence artificielle, risquent à votre avis de mettre votre métier en péril ?
Alors, moi, j’ai fait cette expérience. Je venais de faire Sardou. J’ai été le premier, je ne sais plus en quelle année, à utiliser les Vari-Lite. En Europe, il n’y en avait pas. C’est Genesis qui a créé ce projecteur. Quand on a fait ça donc, la critique de Jacqueline Cartier pour France Soir avait été dithyrambique, elle n’a quasiment parlé que de la lumière... Et quand même, à la fin du papier sur Sardou, dans un tout petit paragraphe, elle a écrit : “Et par hasard, Michel Sardou passait sur scène”. Moi j’étais comme un fou, mais j’ai mal pris la chute, parce que je me suis dit que je n’avais pas réussi mon coup... J’avais fait une démonstration de lumière. Là, c’était non pas de l’intelligence artificielle telle qu’on l’entend, mais quand même, les automatiques comme les Vari-Lite, c’est un peu ça...
Pour contrer ça, j’ai eu un spectacle à faire pour Julien Clerc. Et j’ai fait 33 poursuites avec des Super Trouper. 33 poursuites, c’est 33 personnes derrière les projecteurs ! Et chacune de ces personnes pouvait en un quart de seconde réagir quand il le fallait, plus vite que l’ordinateur. Et à ce moment-là aussi, la critique a été dithyrambique, en me comparant au Platini de la Juve, à l’époque. Mais il y avait 33 personnes derrière les projecteurs ! Ce système-là je l’ai ensuite repris pour faire tous les Jean-Michel Jarre, pour éclairer Houston, Londres, La Défense, la Tour Eiffel, Lyon... C’est la plus belle aventure humaine que j’ai vécue. J’avais un casque, et je communiquais avec mon équipe de 33 poursuiteurs.
Donc pour vous répondre, pour moi, tant que l’être humain décidera de contrôler les choses, il n’y aura pas de risque. Alors bien sûr, l’intelligence artificielle progresse partout. Je vois des émissions de télévision, les mômes... Je fais aussi Hedwig à la Scala et j’ai eu récemment un gamin, un geek, qui s’est mis derrière l’ordinateur pour faire la console. Mais il y a toute une génération qui reprend conscience qu’on ne fait pas de la lumière uniquement en appuyant sur un bouton qui va déclencher un effet essuie-glace. Ils comprennent qu’il faut apporter une dramaturgie, un SENS à ce qu’on éclaire. Pourquoi est-ce qu’on éclaire ? Pas éclairer pour éclairer. À la télévision, on éclaire dans tous les sens mais à un moment, c’est au détriment du contenu. Que l’être humain continue de contrôler son art et on avancera. Si on laisse l’intelligence artificielle prendre le relais, on va dans le mur. S’il n’y a plus d’amour dans la création, ça se sentira forcément.
En tout cas votre réponse donne à penser, et c’est rassurant, que l’être humain garde encore un bel avenir dans ces métiers.
Oui, il faut... Je m’efforce d’expliquer cela aux jeunes gens avec lesquels je suis amené à travailler, non pas faire le travail à leur place, mais en tout cas leur donner une direction, un état d’esprit, pour apporter un sens à ce qu’ils font. Non pas faire pour faire. Ça, ça n’a aucun sens.
Et est-ce qu’il y a des nouveautés qui vous mettent en appétit pour de nouvelles créations ?
Ah oui bien sûr. Moi je suis de 1945, donc j’ai grandi en même temps que la télévision prenait son essor. Je suis toujours sur le cul face aux évolutions ! Quand j’ai commencé, je trempais des lampes dans du vernis pour faire de la couleur. Je suis toujours le plus étonné des étonnés. Et j’ai toujours un grand plaisir à découvrir le matériel qu’on me présente. Pour le dernier Sardou, on est allé voir les nouveautés, etc... Je reste le plus étonné oui, le plus demandeur aussi !
Parfait. Ça aura été quoi, les créations dont vous êtes le plus fier ?
Toutes. Je ne me renie pas. Même les plus petites. Je suis quand même passé de Houston, 1 km de large sur 320 m de haut, à une salle qui compte 80 personnes quand elle est pleine.
Vous aurez eu en tout cas un éclectisme en tant qu’artiste assez inédit.
Oh oui, un conte de fées, vraiment. Merci la vie ! Si je disparaissais demain, je ferais inscrire ça sur ma tombe, “Merci la vie”.
C’est joli... À propos de votre vie justement : vous racontez des éléments de votre enfance à la toute fin du livre, presque en catimini. N’y a-t-il pas comme un paradoxe à aimer autant éclairer les autres et à chérir tout autant de se tenir soi-même dans l’ombre ?
Non. Moi je me sens à la bonne place. D’ailleurs, quand j’ai commencé à faire de la lumière, j’étais sur scène. Avec Polnareff, je faisais la lumière sur la scène. C’est un vrai plaisir, d’être à cette place, comme un réalisateur ou un metteur en scène. De toute façon je ne sais pas chanter. Mon père disait toujours que je ne pouvais pas chanter, que j’avais la bouche trop petite. Jouer la comédie ? C’est pas mon truc. La comédie, on la joue dans la vie réelle. Éclairer c’est vraiment ma passion. Je n’ai jamais changé de job. Je suis né à 20 ans, et je continue !
Vous n’avez jamais eu le fantasme d’être, sur la scène, celui qu’on éclaire et qui prend toute la lumière quoi...
Non, je n’ai jamais eu ce fantasme (rires)
Très bien... Est-ce que vous avez, en toute humilité, le sentiment d’avoir changé réellement la manière dont le show-business s’exerce, s’éclaire ?
(Il réfléchit, un temps) Peut-être ! Parce que lorsque j’ai commencé, nous étions trois ou quatre sur la planète. Alors, peut-être oui. Certainement, pour l’apport de la lumière. Regardez ce qui se passe. Tout passe par la lumière maintenant. Ils peuvent nous dire merci. On a changé la façon de faire du théâtre, l’opéra, la télévision, etc. Je ne parle pas du cinéma, qui avait déjà ses chefs opérateurs, ses directeurs photo bien avant qu’en tout cas je n’attaque. Pour le reste, bien sûr, on a tout changé. Même l’opéra en effet, d’ailleurs là je vais faire Faust à la Fabrique Opéra à Grenoble... Tout a changé.
Et le cinéma justement, ça ne vous a jamais tenté ?
Non, pas vraiment, parce que c’est une fonction technique. Moi, ma spécialité c’est le spectacle vivant.
Et c’est créatif.
Au cinéma aussi, il y a de la créativité. Mais en tout cas, chaque fois qu’on m’appelait pour faire du cinéma, c’était pour une fonction bien particulière. Par contre, j’ai fait Jean-Philippe, le film avec Luchini et Johnny, là ils m’ont demandé, à Villacoublay, de faire l’éclairage du Stade de France. Mais sinon effectivement je préfère à choisir le spectacle vivant.
Très bien. Qu’est-ce que vous rêveriez, aujourd’hui ou demain, d’éclairer ?
Alors là je ne sais pas. J’aime bien me laisser surprendre. J’ai été dans la stratosphère. Alors mon rêve, que je ne pourrai plus réaliser, ce serait d’aller dans l’espace, comme le fait Thomas Pesquet. Mais la stratosphère, c’est fait, puisque j’avais éclairé les 20 ans du Concorde, et on m’avait payé un billet aller-retour pour New York. L’espace j’aurais bien aimé ! Voir un peu comment ça se passe.
Et éclairer la Terre de là-haut.
Exactement... Éclairer la Terre de là-haut. Mais il y en a un qui le fait tellement mieux à ma place... Le soleil, ce salaud. Génial. Fantastique !
Un rival sérieux !
Quand vous éclairez, premier plan, deuxième plan, il y a un plan qui est net, et celui de derrière l’est moins. Quand c’est le soleil, tous les plans sont nets...
Vos projets et surtout vos envies pour la suite, Jacques Rouveyrollis ?
Là, je termine l’Arena avec Michel Sardou. Ensuite, un cabaret dans un casino qui s’ouvre à Ostende, sur la côte belge, près de Lille. Et comme je vous l’ai dit, j’éclaire Faust à Grenoble, ma ville natale. Il faut que je prépare Vartan. Je vais aussi assister au mariage de mon pote Renaud, je serai là, très important ! Et il y a aussi un show au Dôme de Marseille. À la rentrée, des pièces, enfin ça repart quoi...
Vous êtes toujours aussi actif en tout cas.
Le plus possible. Mais là je suis en fin de carrière quand même. Mais tant qu’on m’appellera, je répondrai présent. Pour moi la retraite c’est le début de la mort.
Vous avez des envies ?
Pas plus que ça. Mais j’aime bien jouer au golf. Avec ma femme, on y va pendant l’été. Je me prends un petit mois et demi de vacances, et on va jouer au golf.
Très bien. Avez-vous un dernier mot ?
C’est toujours la première fois !
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Photo fournie par Jacques Rouveyrollis.
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