Jean-Christian Petitfils : "Le sursaut de l'aristocratie fut le moteur premier de la Révolution"
Pour cette dernière publication de l'année, c'est un invité de choix qui a accepté de répondre à ma sollicitation : l'historien de renom Jean-Christian Petitfils, auteur de nombreuses biographies - de rois de France, notamment - de référence. La thématique du jour : la Révolution, 225 ans après 1789. Je remercie M. Petitfils pour la bienveillance qu'il a manifestée envers ce projet ; pour sa générosité, dont témoignent les réponses qu'il a apportées à mes trois questions. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
QUESTIONS D'HISTOIRE - PAROLES D'ACTU
Jean-Christian PETITFILS
« Le sursaut de l'aristocratie fut
le moteur premier de la Révolution »
Le serment du Jeu de Paume le 20 juin 1789
(Jacques-Louis David)
Q. : 17/12/14 ; R. : 29/12/14
Paroles d'Actu : Bonjour, Jean-Christian Petitfils. La Charte « octroyée » par Louis XVIII en 1814 maintient, dans une large mesure, les acquis de la Révolution, l'égalité civile notamment. La Révolution a éclaté vingt-cinq ans plus tôt en partie parce que Louis XVI, attaché à d'anciennes traditions du royaume, avait rendu de leurs prérogatives - et de leur capacité d'opposition - aux privilégiés. S'ensuivit, face aux difficultés financières aiguës de l'État, face à l'immobilisme né de la restauration de ces corps intermédiaires, la convocation des états généraux - assemblée qui allait rapidement sur la question de sa représentativité, ou plutôt de sa non-représentativité, se rebiffer...
Louis XIV, marqué au fer du souvenir de la Fronde, avait en son temps installé, affermi le pouvoir personnel du roi, qui était souvent, jusqu'alors, menacé, par les reliquats puissants de la société féodale. L'erreur majeure des rois de France n'a-t-elle pas été, avant 1789, de n'avoir pas joué la carte de la représentation nationale, populaire face à une société de classes ? Une telle évolution eût-elle été possible, sérieusement envisageable ?
Jean-Christian Petitfils : La Charte constitutionnelle de 1814, « octroyée » par Louis XVIII, était une tentative, comme dit son préambule, de « renouer la chaîne des temps que de funestes écarts avaient interrompue ». Tout en acceptant les grands principes d’égalité civile et de liberté d’opinion, proclamés par la Révolution, la Restauration instituait une monarchie équilibrée, avec un pouvoir royal limité et une représentation du pays, chargée de voter les lois, au moyen d’une Chambre des pairs et d’une Chambre des députés, cette dernière désignée par le suffrage censitaire. En réalité, le régime revenait sur un événement majeur survenu dès le début de la Révolution, en juin-juillet 1789 : l’accaparement par les états généraux de la souveraineté nationale et, de ce fait, des pouvoirs législatif et constituant. De là avait surgi une nouvelle légitimité, sur laquelle il était bien difficile de revenir vingt-cinq ans plus tard. En tout cas, la monarchie rénovée n’eut pas le temps de s’ancrer dans le pays, et le régime fut emporté par suite des erreurs de Charles X, dernier petit-fils de Louis XV.
La monarchie d’Ancien Régime pouvait-elle installer un régime représentatif, comme l’avait fait l’Angleterre en 1688, avec la « Glorious Revolution » ? On observera que les Anglais s’épargnèrent de poser la question de la souveraineté et se contentèrent de limiter les prérogatives du trône par un contre-pouvoir de nature aristocratique. Aujourd’hui encore, la souveraineté pleine et entière appartient à la reine s’exprimant au milieu des conseillers du « Parliament ». Pure fiction sans doute, mais qui garde sa force symbolique et sa puissance stabilisatrice. Les habitants du Royaume-Uni sont à la fois sujets de Sa Gracieuse Majesté et citoyens de la démocratie la plus tolérante du monde. L’évolution institutionnelle s’est faite en douceur à partir du XVIIIe siècle.
Il en est allé autrement en France, pour au moins deux raisons. D’abord, le refus obstiné des Bourbons de s’appuyer sur une représentation de la nation (fût-elle différente de l’archaïque système corporatif des états généraux, réunis, pour la dernière fois avant 1789, sous la régence de Marie de Médicis en 1614). Ensuite, l’incapacité de la noblesse française à limiter la puissance royale, tout en contenant l’effervescence populaire. La noblesse, en effet, n’avait ni la richesse terrienne et commerciale de la Gentry anglaise, ni sa position dans la société. À la fin du règne de Louis XIV, ses effectifs étaient tombés, du fait de la Guerre de Succession d’Espagne, de 200 000 personnes à 130 000. Sous le règne de Louis XV, pas plus les anoblissements que les usurpations de noblesse ne furent suffisants pour combler les rangs du second ordre. Au contraire, au moment où une bourgeoisie industrieuse aspirait à s’y intégrer, on assiste à son repli identitaire. C’est certainement cette réaction aristocratique qui fut le moteur premier de la Révolution, qui commence en 1787 et non en 1789.
PdA : La tentative de fuite de Louis XVI, au mois de juin 1791, encouragée en partie par la violence de certaines factions révolutionnaires, contribuera à précipiter, dans leur déroulé tragique, les événements à suivre : l'entrée en guerre de la France contre l'Autriche et les couronnes européennes, la chute de la monarchie, l'exécution du roi déchu.
Quelle image, quels sentiments l'historien que vous êtes prête-t-il à l'homme, au souverain que fut Louis XVI ? A-t-il sincèrement été, bon an mal an, prêt à endosser, pour lui et la suite de sa dynastie, le costume du monarque constitutionnel ?
J.-C.P. : Louis XVI était un roi réformateur. Les historiens ne l’ont pas suffisamment souligné. Bien avant 1789, il avait pris conscience de la nécessité de transformer les institutions, en introduisant une fiscalité plus égalitaire et une représentation des administrés par la généralisation des assemblées provinciales, en pays d’états comme en pays d’élections. Les projets de Turgot, de Calonne et même ceux moins audacieux de Mgr de Loménie de Brienne se heurtèrent à l’obstruction systématique des ordres privilégiés et des parlements.
Après la fin de l’absolutisme et les tragiques journées d’octobre 1789, qui virent le retour du roi à Paris, Louis XVI a tenté de s’accommoder de la Révolution. Son discours du 4 février 1790 devant l’Assemblée nationale était, à mon avis, sincère. Il souhaitait trouver un terrain d’entente avec les parlementaires. Même après Varennes, il chercha la voie de la conciliation en jurant fidélité à la Constitution le 14 septembre 1791 : s’il n’en approuvait pas toutes les dispositions, il demeurait persuadé qu’avec le temps on en corrigerait les erreurs. En attendant, il les respectera scrupuleusement, se contentant d’exercer les prérogatives qui lui avaient été concédées, comme le droit de veto suspensif. Mais, la nouvelle assemblée, la Législative, nettement plus à gauche que la Constituante, sabota le système, s’acharnant à humilier le roi et à restreindre ses pouvoirs. Elle sera finalement balayée comme la monarchie constitutionnelle par le coup de force du 10 août 1792, préparé et déclenché par les sans-culottes.
PdA : Avançons dans le temps... Si l'on regarde son histoire, il apparaît que la France a mis longtemps avant de trouver, puis de stabiliser le régime dans lequel les valeurs issues de sa Révolution allaient, sur la durée, s'incarner. À quel moment positionneriez-vous l'installation de la République en tant qu'organisation stabilisée, légitimée pour de bon aux yeux du plus grand nombre ?
J.-C.P. : On peut estimer que le régime républicain ne se stabilise vraiment qu’après la Première Guerre mondiale, lorsque les catholiques, qui avaient combattu dans les tranchées avec les autres Français, mais qui s’étaient tenus à l’écart jusque-là de la République anticléricale, se rallièrent massivement aux institutions avec la Chambre Bleue horizon. Ultérieurement, le pays traversa sans doute de graves tensions, notamment lors du 6 février 1934 ou de l’arrivée au pouvoir du Front populaire, mais à aucun moment l’idée d’un retour à la monarchie ne parut sérieuse. De ce point de vue, la Révolution était close, le régime de Vichy n’étant qu’une tragique parenthèse.

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