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Paroles d'Actu
30 octobre 2019

« Le regard de Charles », vu par Thomas Patey

Le 1er octobre 2018 disparaissait le plus bel ambassadeur de la langue française, Monsieur Charles Aznavour, à l’âge de 94 ans. L’enveloppe corporelle de l’homme expirait, vidée de sa flamme de vie. Son âme... Dieu seul le sait. Son oeuvre en tout cas, immense, demeure. Les chansons, les textes d’Aznavour, interprète superbe et auteur authentique, émerveilleront et inspireront, longtemps encore, les générations qui ont connu ce grand « petit bonhomme », et celles aussi qui ne l’auront pas connu. Il y a quelques mois, à l’occasion d’un échange autour d’un autre grand artiste, Marcel Amont (que je salue ici amicalement, ainsi que son épouse Marlène), j’ai fait la connaissance d’un tout jeune homme, Thomas Patey, un garçon attachant et totalement passionné par Aznavour et tant d’autres noms de la belle chanson française. Je lui ai proposé d’écrire un texte à l’occasion de la sortie du film Le regard de Charles (de Marc di Domenico sur des images tournées par Aznavour) qu’il a vu et aimé. Et lui ai proposé quelques questions pour qu’il se présente et nous raconte ses passions, et ses aspirations. Merci à toi, Thomas, et que cette publication contribue au beau parcours que je te devine... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Le regard de Charles

  

partie 1: le texte de Thomas Patey

« Le regard de Charles... »

Le 5 octobre 2018, la France rendait un hommage national aux Invalides à Charles Aznavour.

Nous nous souvenons tous de ce petit cercueil recouvert du drapeau tricolore, de la Garde nationale chantant Emmenez-moi, de l’éloge à la langue française prononcé par le président Macron, mais surtout nous nous souvenons des applaudissements, les derniers qui devaient mettre fin à la carrière de celui qui fut, peut-être, le plus grand auteur-compositeur-interprète que le monde ait connu. Ce jour marque sans doute la fin d’une époque, le glas ne sonnant pas seulement le départ du chanteur, mais aussi celui d’un temps où la poésie se réfugiait dans la chanson française, la bonne chanson française. Ce jour là, sous un froid soleil, le cœur lourd, nous avons dit au revoir à Charles Aznavour, seulement au revoir. Un an après en effet, le plus arménien de tous les Français revient nous enchanter et nous emmène « au bout de la terre » avec ce film-documentaire de Marc di Domenico, co-réalisé par l’artiste : Le regard de Charles.

Par un semi-hasard, c’est le 5 octobre 2019 que je me suis rendu dans un petit cinéma lillois, situé donc à plus de 80 kilomètres de chez moi, pour assister à la séance de 17h45. Cela dit, je vais tenter à présent de poser un regard, sur un regard. Car l’oeuvre de Marc di Domenico et d’Aznavour est bel et bien un regard mis en film, et c’est cette distinction qui fait que ce documentaire est unique et des plus émouvants. La tâche est loin d’être évidente. Faire la critique d’un film est envisageable, mais établir une critique sur un regard n’est pas chose aisée. Qu’y a t-il de plus subjectif, de plus personnel qu’un regard ? Le regard possède une espèce d’irreponsablité, on ne peut pas le juger.

Je pensais tout connaître de la vie de Charles Aznavour, et étais persuadé d’avoir saisi et compris le personnage qu’il incarnait. Cependant, en quittant la salle de cinéma, j’eus une pensée que jamais je n’avais eue au sujet de mon idole : lui aussi a eu mon âge. C’est la chose qui m’a le plus frappé à travers ces images, le fait d’avoir face à moi un Charles Aznavour tout jeune adulte, en maillot de bain sur une plage, entouré d’amis, lui qui, les fois où je l’ai rencontré, était un fringant nonagénaire. Il a donc su ce que sont les amours adolescentes, les interrogations constantes, il a connu les parties de rire entre jeunes gens d’un même âge. C’est un autre Charles Aznavour que l’on découvre grâce à ces images personnelles, filmées dans un cadre privé. Oui, s’il chantait si bien la jeunesse, c’est qu’il en avait connu une, qu’il a sans doute bu jusqu’à l’ivresse. À l’automne de sa vie, Aznavour s’amusait à dire qu’il n’était pas vieux, mais âgé. Je comprends aujourd’hui, et en partie de par ce film-documentaire, ce qu’il voulait dire. Il n’était pas vieux, être vieux est un tempérament, une façon de penser et de voir les choses. Non, il n’était pas vieux mais seulement âgé, car il avait connu tous les âges, et avait voyagé durant neuf décennies.

Le voyage, voilà un deuxième sujet qu’il faudrait traiter pour évoquer ce film. J’ose le dire, ou plûtot j’ose l’écrire : ce film est plus une ode au voyage qu’un film sur Charles Aznavour. Pendant plus d’une heure, tout en restant assis dans un fauteuil rouge d’une salle de cinéma, vous partez en voyage, et vous parcourez le monde. Charles vous emmène au pays des merveilles, vous propose de découvir les paysages et de rencontrer les habitants du monde entier. De Montmartre au désert du Maroc, en passant par le Tibet, les terres d’Arménie, New-York ou Macao, Aznavour est de tous les continents, et en tant que fils d’apatrides, il était un peu de tous les peuples. Charles Aznavour filme comme il écrit, il ne cherche pas à montrer ce qui est beau ; il porte sa caméra pour filmer une réalité et si possible pour dénoncer, pour s’indigner comme il l’a fait durant toute sa vie. Il cherche le vrai. Ainsi, ne soyez pas étonnés si, en pensant regarder un film sur un chanteur de variétés, vous voyez des enfants en train de travailler, des femmes au dos courbé, des hommes aux mains abîmées. Aznavour nous offre des témoignages, il nous offre un regard, le sien, celui d’un homme qui sans doute, voulait hurler devant la misère du monde. Faute d’avoir crié, il a chanté «  Il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil  ». S’il dénonce une misère, Le regard de Charles m’a surtout, et avant tout, donné envie de préparer une valise et de parcourir les villes, les pays, les continents, les océans. Nous voyageons avec lui, et c’est extrêmement touchant de savoir que c’est Charles Aznavour qui nous porte dans sa caméra. Bien loin de filmer comme un grand cinéaste, les images tremblent selon que Charles se trouve dans une voiture, sur un bâteau, dans un avion. Rarement dans ma courte vie, j’ai vu un film aussi vivant que celui-là. «  Entre deux trains, entre deux portes, entre deux avions qui m’emportent. Entre New-York et Singapour, ma pensée fait comme un détour pour me ramener sur les traces d’un passé que j’aimais tant...  » (Entre nous, Ch. Aznavour – G. Garvarentz)

Enfin, je dirais que ce film est le témoignage d’une époque révolue. Un temps que les plus jeunes, ou alors les moins âgés, ne peuvent pas connaître. Un temps, qu’il ne faut peut-être pas idéaliser, mais à en voir les images cela fait rêver. Un temps où l’art prime sur le commerce, où l’élégance, même sans un sou en poche, est présente. Ils sont tous sur l’écran, Édith Piaf, Pierre Roche, Gilbert Bécaud, Marlène Dietrich, Anouk Aimée, Lino Ventura... et il y a ceux qui ne sont pas filmés, ni mentionnés, mais nous les savons présents : Georges Brassens, Patachou, Charles Trénet, Jean-Claude Brialy... je ne me trompe pas lorsque je dis qu’ils étaient tous assis dans la salle le jour de la projection. Tous ces personnages qui hier encore avaient vingt ans, alors que j’aurai les miens seulement demain, restent plus jeunes que moi, de par leur souvenir et leur talent.

En sortant du cinéma, après avoir séché quelques légères larmes d’émotion, j’ai immédiatement envoyé un message à Séda Aznavour, la fille aînée de Charles, que l’on voit à plusieurs reprises dans le film, et avec qui j’ai la chance et l’honneur d’être en relation. J’ai voulu la remercier, pensant que je ne pouvais plus remercier Charles de vive voix pour ce moment qu’il venait de nous offrir. Je m’étais trompé, car en continuant à lui parler, il vit à travers nous. Alors je le répète ici, une fois de plus merci Charles. Oui vous êtes parti, mais en nous laissant et votre voix, et votre regard, vous nous faites le plus beau des cadeaux, et vous restez avec nous, avec moi... et à travers ce film, vous nous prouvez que le poète détient certes le plus beau des phrasés, mais aussi le plus beau des regards.

À toujours Charles.

Thomas PATEY, le 29 octobre 2019.

 

Charles Aznavour Montmartre

Thomas Patey Montmartre

Crédit photo Charles Aznavour à Montmartre : Keystone-France.

Crédit photo Thomas Patey à Montmartre : sa soeur Chloé.

 

partie 2: l’interview avec Thomas Patey

Peux-tu nous parler un peu de toi, de ton parcours, en quelques mots?

Je m’appelle Thomas Patey, j’ai 19 ans et suis originaire du Pas-de-Calais. Je suis en deuxième année d’études de droit à Boulogne-sur-Mer, avant de tenter d’intégrer l’École du Louvre à Paris. À côté des études je fais des claquettes, de la généalogie, et suis passionné par la vraie et grande chanson française. J’aime les mots, la musique et ce qu’on peut appeler « l’Esprit français ».

Comment en es-tu arrivé à aimer, tout gamin, et jusqu’à présent, la belle chanson française, qui souvent n’est pas celle qu’écoutent les jeunes de ton âge?

Cela m’est tombé dessus, je devais avoir six années à peine au compteur. C’était un soir, je venais d’enfiler mon pyjama et étais prêt à retrouver mes rêves d’enfant. Pieds nus et marchant sur la moquette, je traverse la grande salle de jeux, et arrive dans cette petite pièce où se trouve l’unique poste de télévision de la maison, passage obligé pour atteindre mon lit et retrouver mes peluches. Je suis incapable de dire, moi qui ai pourtant la mémoire des dates, quel jour ou quel mois nous étions alors mais c’est durant cette soirée que le présentateur du journal télévisé a annoncé : « Bientôt en salles, le dernier film d’Olivier Dahan, qui nous propose un biopic sur une femme oui, mais pas n’importe laquelle, la tragédienne de la chanson, femme à la vie intense mais désespérée, Édith Piaf. » Ce ne sont pas les mots exacts prononcés par le journaliste, du moins je ne pense pas. Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment précis que se produit la rencontre qui devait changer ma vie de bambin. Maman et moi regardons et écoutons religieusement le court reportage présentant le film. Télécommande à la main et à moitié allongée sur le divan, maman déclare « Ah ça je vais aller le voir » (le « ça » étant le film). Ma mère a très souvent utilisé, et utilise toujours d’ailleurs, cette expression qui consiste à aller faire quelque chose... mais dans la pratique elle ne va que rarement au bout de ses envies, de ses projets, de ses pensées. Elle n’ira pas dans les salles voir ce film, en revanche je compte moi m’y rendre. Cette petite « vieille » femme en robe noire vue à la télévision a produit en moi un drôle d’effet qui m’a valu de rétorquer à ma mère : « Moi aussi je vais aller le voir ! ». Je n’ai pas entendu la voix de la chanteuse, pas même une mélodie, je l’ai simplement vu, là sur une scène, en noir et blanc. Maman n’a pas eu le temps de répondre à mon exclamation que je suis vite allé me coucher. Mon grand-père dit toujours que nous rêvons toutes les nuits mais que nous oublions nos rêves, cette nuit là j’ai dû rêver, oui, car au petit matin, le nom de Piaf résonnait dans ma tête. Qui est cette femme ? Pourquoi tourner un film sur elle ? Pourquoi le simple fait de la voir m’a t-il fasciné ? Je devais mener mon enquête, et je l’ai menée. Dès le matin, sur le chemin de l’école, je questionnai ma mère dans la voiture. Édith Piaf était une chanteuse française, très connue, décédée il y a longtemps maintenant, elle s’habillait d’une robe noire... ces renseignements sortis tout droit de la bouche de maman ne me suffisaient pas, bien que très utiles. Je voulais et étais en droit de tout savoir sur madame Piaf, que je ne connaissais pas la veille à la même heure. Quelques jours après, mon père agacé de mes questions nous a fait écouter à ma petite sœur et moi un disque de Piaf. J’ai reçu la claque de ma vie, la première chanson était L’homme au piano... « Peut-être que ton cœur entendra, un peu tout ce fracas, et qu’alors tu comprendras que le piano joue pour toi ». Voilà et depuis ce moment-là jamais cette voix ne m’a quitté. J’ai vécu Piaf pendant des années, et Piaf m’a fait connaître tous les autres, Bécaud, Trénet, Dietrich, Montand, Moustaki et Aznavour bien entendu. Piaf est la première à m’avoir transporté, mais la première à m’avoir totalement bouleversé c’est Barbara avec Nantes, j’avais sept ans.

Au-delà de ceux-là et du grand Charles Aznavour donc, quels artistes aimerais-tu inviter nos lecteurs, et notamment ceux de ta génération, à découvrir? En quoi est-ce que, dans leur art, et dans les messages portés, ils peuvent leur « parler »?

La liste est longue ! Tout d’abord je veux rendre hommage à Patachou que j’aime appeler « ma petite protégée », elle est à mes yeux l’une des plus grandes interprètes. Nous lui devons énormément, notamment la carrière de Brassens. Dès que je vais à Montmartre, je me sens obligé de me receuillir devant ce qu’était son cabaret, aujourd’hui galerie d’art. Cette femme est un raffinement, et son répertoire s’étend de la chanson légère à la chanson à texte, écoutez Le tapin tranquille par exemple, c’est une merveille.

Tous ces chanteurs et chanteuses du caf’conc et du music-hall, ainsi que ceux des cabarets de Saint-Germain-des-Prés apportent leur marque. Ils forment un tout qui est une richesse et un trésor national, un berceau de culture, de talent et de poésie. Mais si ce sont des noms que vous voulez... regardez Yves Montand sur une scène, les performances physiques des Frères Jacques, écoutez les chansons réalistes et boulversantes de Damia et Berthe Sylva, chantez les textes de Trénet, de Mireille et Jean Nohain, laissez vous emporter par les voix de Juliette Gréco et Gilbert Bécaud, amusez-vous sur les chansons de Ray Ventura et Maurice Chevalier, dansez comme Joséphine Baker, lisez les textes de Brel, de Brassens, de Ferré... écoutez et vous verrez, vous gagnerez beaucoup ! Cependant, je pense que les textes qui vous « parleront » le plus seront peut-être ceux d’Aznavour, car il avait ce talent d’évoquer notre quotidien, certes avec brillance de texte et génie musical mais avec compréhension et acharnement. Tout a été évoqué par Charles, quelle que soit la situation, Charles aura la solution. Vous êtes fou amoureux ? Vous avez peur du temps qui passe ? Vous êtes désespéré par les effets de la ménopause sur votre charmante épouse ? Vous avez des envies charnelles ? Vous souhaitez vous évader ? Écoutez Charles Aznavour, et vous trouverez quelque part la solution, je vous le promets !

À tous ces noms, on peut ajouter Michel Legrand, Léo Marjane, Mistinguett, Frehel, Aristide Bruant, Marcel Amont, Cora Vaucaire, Francis Lemarque, Henri Salvador, Gainsbourg (mais pas Gainsbarre...), Jeanne Moreau évidemment, Nougaro, Reggiani, les chansons de Vincent Scotto, Tino Rossi, Mouloudji, Lina Margy, Mick Micheyl disparue cette année...

La chanson française vous sera une aide pour tout, dans tout et pour toujours. Vous avez des milliers de textes et de mélodies à portée de main, faites-en bon usage...

Quels sont tes projets, tes envies pour la suite? Que peut-on te souhaiter?

Pour l’avenir ? Tout le bonheur du monde, cela m’ira très bien. Une longue vie, remplie de chansons, d’élégance et de bonne humeur. Des projets j’en ai en masse, mais je pense que le plus pertinent à avouer aujourd’hui serait celui de faire connaître à un maximum de personnes les trésors de notre patrimoine musical français. Et comme en France tout commence, et tout se termine par des chansons... « Je tire ma révérence, et m’en vais au hasard, par les routes de France, de France et de Navarre. Mais dites-lui quand même, simplement que je l’aime, dîtes lui voulez-vous, bonjour pour moi et voilà tout »... chantait Jean Sablon.

Interview du 29 octobre 2019.

 

Thomas Patey

Après le décès de Charles, j’ai été photographié avec son mouchoir

pour le journal local. Par mon père, Benoît.

 

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14 octobre 2019

« Jacques Chirac aimait les Français et voulait qu'on respecte la France... », par Marie-Jo Zimmermann

La disparition de Jacques Chirac, qui présida aux destinées de la France de 1995 à 2007, a provoqué des vagues de réactions, souvent émues, de la part de personnalités, politiques ou non, et d’anonymes qui avaient grandi, mûri, ou même étaient « nés sous Chirac ». L’homme n’était pas parfait, et son bilan à bien des égards, contestable, mais il était humain, pétri d’humanisme et porté en son action par les valeurs qu’il avait fait siennes, au prix parfois de complications politiques ou diplomatiques. Fin connaisseur de l’histoire et de l’art de vivre de peuples aujourd’hui oubliés, quand ils ne sont pas regardés de haut, il avait eu à coeur de partager ce savoir, et le musée du quai Branly, qui porte aujourd’hui son nom, constitue peut-être son plus bel héritage. Procédant d’un même esprit, il s’est agi, lors de son refus de soutenir à défaut dargument convaincant la volonté d’offensive étatsunienne contre l’Irak en 2003, du message d’un « vieux pays » qui avait un passé, et la conscience de l’infinie complexité de la situation moyen-orientale : la suite des événements lui a malheureusement donné raison, entre chaos perpétuel, sang versé, et rancoeurs accumulées - avec peu de signes d’espoir sur ces fronts-là. Cette décision, qui fut sans doute l’acte majeur de sa présidence, était dans la ligne de sa pensée : privilégier toujours, sur les grandes questions, le temps long, et refuser d’aller trop rapidement vers des réponses simplistes ; rejeter enfin ce qui pourrait humilier l’autre et nourrir des ressentiments.

Je laisse la parole, pour évoquer Jacques Chirac, à Marie-Jo Zimmermann, Messine qui fut députée pour la Moselle dix-neuf années durant, et fidèle à titres personnel et politique du président défunt. Je la remercie d’avoir accepté de nous livrer un texte, et de répondre à mes questions, et salue Pierre-Yves Le Borgn’ qui a facilité cette prise de contact. J’ai enfin une pensée particulière, ce soir, pour Claude Chirac et Frédéric Salat-Baroux. En souvenir d’un moment, en juillet de cette année, à Paris, ville que « Chirac » aimait tant... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

  

partie 1: le texte de Marie-Jo Zimmermann

« Le président Jacques Chirac aimait les Français

et voulait qu’on respecte la France... »


Le 26 septembre 2019, le président Jacques Chirac rentre dans l’histoire. Après l’hommage des Français, l’hommage des Grands de ce monde, la journée de deuil national, son oeuvre appartient désormais aux historiens.

Le président Jacques Chirac, en trois dates :

1995, la fracture sociale. C’est l’équipe qu’il a constituée avec Philippe Seguin qui donne à la fracture sociale tout son poids. C’est sa connaissance du terrain, de la vie des Français qui donne à ce thème toute sa réalité. Les Français comprennent à ce moment‐là que c’est le président qui saura le mieux gérer leur pays. Il est élu.

2002, le discours de Johannesburg. « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Cette phrase montre à quel point le président Jacques Chirac était conscient, avant beaucoup d’hommes politiques, de l’asphyxie de notre planète. Ce message qu’il délivre au monde entier aboutit en France à l’entrée de la Charte de l’environnement dans la Constitution. J’ai vécu comme parlementaire ce débat, qui a suscité à la fois au sein du Parlement mais également dans l’opinion, un début de prise de conscience de la question environnementale. À de nombreuses reprises, certains parlementaires ont essayé d’abroger cette Charte et aujourd’hui, nous sommes tous conscients que cette entrée dans la Constitution a été elle aussi un acte visionnaire.

2003, le « non » de la France à la guerre en Irak. C’est chez le président Jacques Chirac, une vision, mais aussi une capacité liée à son goût de l’histoire, d’anticiper ce qui pourrait bouleverser les règles du jeu dans cette partie du monde. Il a parcouru la planète, écouté les dirigeants du monde entier et surtout cherché à comprendre les peuples. Il se pose en médiateur pour développer des inspections sur place mais surtout, il prend une décision, non pas contre les États‐Unis mais simplement, ayant lui‐même connu la tragédie de la guerre, il sait qu’elle fera naître des fractures et des blessures dans une partie du monde déjà très fragilisée. C’est le discours de Dominique de Villepin du 20 janvier 2003 qui pose le véto de la France.

Ces trois actes majeurs du président Jacques Chirac font de lui un visionnaire, un homme d’État.

Le président Jacques Chirac avait une personnalité incroyablement pudique et secrète. Il a, en politique intérieure comme en politique extérieure, toujours privilégié le temps long et c’est en cela qu’il est un homme d’État. Les Français, en lui rendant hommage avec ferveur, ont reconnu en lui, non seulement le chef d’État mais également l’homme qui les a aimés, qui a aimé la France en voulant que le monde entier la respecte.

M.-J. Zimmermann, le 1er octobre 2019.

 

Marie-Jo Zimmermann

 

partie 2: l’interview avec M.-Jo Zimmermann

Quand avez-vous rencontré Jacques Chirac et quel souvenir fort retiendrez-vous de lui à titre personnel ?

Ma première rencontre avec Jacques Chirac a été en tant que militante lors de meetings de sa campagne présidentielle, dès 1981. Mon souvenir le plus fort : le 3 février 1998, lors de mon arrivée à l’Assemblée nationale, mais surtout lors du déjeuner à l’Elysée le même jour. J’ai eu l’infime honneur de déjeuner à sa droite et d’avoir avec lui une conversation sur le rôle du député. Certes c’est celui qui vote les lois à l’Assemblée nationale, mais selon le président Chirac c’est celui qui doit avoir le souci permanent des femmes et des hommes de sa circonscription. C’est un élu de terrain qui fait remonter à Paris les préoccupations des Français. À partir de là, mission m’était donc donnée d’être une élue de terrain, très proche de ses habitants. Régulièrement lors de mes rencontres avec le président Chirac à l’Elysée, et même après 2007, sa seule préoccupation concernait l’état d’esprit des Français.

Étiez-vous une chiraquienne et si oui c’était quoi : une doctrine ou un attachement à l’homme ?

Oui j’étais et je reste une chiraquienne. Oui il m’a convaincue qu’être proche de sa circonscription, c’est le fait majeur pour un député. Le thème qui m’a le plus marquée, c’est celui de la fracture sociale. En cela, il avait fait sienne la doctrine de Philippe Séguin qui a été pour moi, comme Jacques Chirac, un modèle en politique.

Quel est à votre sens l’héritage politique de Jacques Chirac ?

Le président Chirac a été l’homme de la fracture sociale. En cela, un homme comme Xavier Bertrand peut être un de ses héritiers. C’est l’homme également du « non » à la guerre en Irak. En cela, Dominique de Villepin peut être un héritier. Le président Chirac, c’est avant tout une vision de la France sans sectarisme et une vision de monde réfléchi afin d’éviter des conflits meurtriers. C’est l’homme politique qui, tout en étant le représentant d’un parti sur lequel il s’est appuyé et qui lui a permis d’être élu, est capable de s’en détacher pour répondre avec intelligence et pragmatisme aux attentes d’un pays. C’est aussi pour lui aller à l’encontre de certains de ses compagnons pour imposer sa vision du monde : le « non » à la guerre en Irak en est l’exemple type.

Interview du 14 octobre 2019.

 

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