Dans cinq jours, le 11 novembre de cette année 2018, sera commémorée, dans le recueillement la fin de la Première Guerre mondiale, la fin d’un choc de blocs ayant provoqué des souffrances, des dégâts inouïs, et abouti sur l’effondrement de systèmes de gouvernement qu’on croyait solides quatre ans plus tôt. Dans cinq jours, cent ans auront passé depuis qu’un armistice a mis fin à cette guerre, si effroyable qu’on s’était promis qu’elle ne pouvait qu’être la « der des der ». Mais à peine vingt ans après, tous les éléments seraient réunis pour un remake, encore plus terrible. Mais tenons-nous-en, pour l’heure, à 14-18. Je vous propose, pour cet article, une rencontre avec Sylvain Ferreira, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont celui qui nous occupe aujourd’hui : L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LEMME Edit. Une lecture que je vous conseille, parce que le livre est très bien documenté, et qu’il nous sensibilise à des considérations militaires qui ne sont pas vraiment « grand public », mais fort éclairantes. Interview exclusive, d’un passionné qui n’a pas la langue dans sa poche. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, publié par LEMME Edit, 2018.
Sylvain Ferreira (l’auteur)
Q. : 30/10/18 ; R. : 05/11/18.

« N’oublions pas qu’en 1918, nos anciens étaient fiers,
aussi, d’avoir vaincu les Allemands... »
Sylvain Ferreira bonjour, et merci de m’accorder cette interview autour de votre ouvrage L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LemmeEdit (collection Illustoria) en juin dernier. Voulez-vous nous parler un peu de vous ? D’où vous vient ce goût, et à ce stade on peut dire « passion », des affaires militaires ?
pourquoi les affaires militaires ?
Ma famille paternelle a été décimée par le conflit et j’ai eu la chance de connaître assez longtemps mon arrière-grand-mère, veuve de guerre, pour d’abord m’intéresser à la Grande Guerre, mais uniquement sous un angle familial. Pour l’aspect historique plus général, j’ai d’abord été fasciné par les guerres napoléoniennes et la guerre de Sécession tout au long de mon adolescence. Puis, je me suis « spécialisé » dans la Seconde Guerre mondiale pendant de longues années, avant d’accepter d’étudier la Grande Guerre d’un autre regard à partir de 2009, date à laquelle j’ai commencé à visiter les grands sites des combats sur le front occidental. À travers toutes mes recherches, au-delà du déroulement des combats et des opérations, je me suis toujours intéressé aux questions de stratégies et de commandement. Aujourd’hui, l’essentiel de mes travaux (articles ou livres) s’intéresse en priorité à ces questions sur la période entre 1850 et 1945 qui marque l’émergence de l’art opératif.
L’art opératif... vous pouvez préciser ?
Même si personne n’a encore défini précisément ce qu’est l’art opérationnel de la même manière que la stratégie ou la tactique, je dirais qu’il s’agit de l’articulation entre les deux et qu’il est apparu suite à la disparation progressive de la notion de bataille sur un point fixe à partir du milieu du 19e siècle. La première mention du terme « opératif » apparaît sous la plume du penseur allemand Schlichting dans son ouvrage Taktische und strategische Grundsätze der Gegenwart en 1898.
Pourquoi cet ouvrage ? Pourquoi avoir choisi de consacrer toute une étude aux derniers feux de l’armée allemande sur le front occidental, et notamment aux prises de décision de ses têtes pensantes, au premier chef desquels Ludendorff ?
focus sur l’armée allemande
Depuis que j’étudie l’histoire militaire, j’ai découvert avec une certaine stupéfaction que l’armée prussienne puis l’armée allemande était perçue comme supérieure aux autres armées européennes, de la guerre de 1870 à la Seconde Guerre mondiale. Or, l’étude des faits permet de comprendre qu’il s’agit d’un mythe fabriqué de toutes pièces, à la fois par les généraux allemands, mais aussi par leurs adversaires et en particulier par une certaine historiographie française - notamment en ce qui concerne la Grande Guerre. En 2014, j’ai commencé à m’intéresser au déroulement des opérations de septembre 1914 communément appelées « bataille de la Marne ». J’ai découvert à travers les travaux du professeur Hermann Plot, un universitaire allemand, que le « miracle » de la Marne, comme les Français l’appellent, n’en était pas un et qu’au contraire, tout dans le plan allemand (Schlieffen-Moltke) portait les germes de la défaite allemande. Par ailleurs, j’ai découvert que l’exercice du commandement par Joffre et son état-major avait été beaucoup plus efficace et moderne que celui de son homologue allemand Moltke le Jeune. Partant de ce constat, j’ai publié un premier ouvrage sur cette question pour démonter ce mythe. Il m’est ensuite apparu comme une évidence d’effectuer la même démarche au sujet de l’échec des offensives dites « Ludendorff » entre mars et juillet 1918. Elles sont en effet marquées du même sceau de faiblesse conceptuelle. Si les Allemands ont pris une certaine avance dans le domaine tactique au cours de la Grande Guerre, ils font preuve de carences importantes en matière de pensée stratégique et ne voient pas émerger l’art opératif.
« Très doués dans le domaine tactique, les Allemands
font preuve de carences importantes en matière de
pensée stratégique durant la Grande Guerre. »
On a dit de la Prusse qu’elle était « une armée possédant un État ». Pendant la Première Guerre mondiale, dans quelle mesure l’effort de guerre totale allemand est-il conduit par les militaires ? L’organisation au sein du Reich est-elle, sur ce point, bien différente de ce qu’on peut retrouver en France ou au Royaume-Uni, ou même en Russie ou en Autriche-Hongrie ?
les militaires aux commandes ?
Cette citation, qui remonte au 18e siècle, est encore en partie vraie lorsqu’éclate la Grande Guerre. Les plans de guerre conçus par le Grand État-Major ne sont absolument pas soumis au contrôle et encore moins à l’approbation du pouvoir politique civil de l’empire allemand. Dès 1913, son chef Moltke le Jeune persuade le Kaiser que plus vite la guerre interviendra, mieux ce sera pour les desseins du Grand État-Major. Dès la déclaration de guerre en août 1914, le Kaiser ne fait qu’approuver les décisions prises par une poignée d’officiers. À partir de 1916, lorsque le tandem Hindenburg-Ludendorff prend la tête du Grand État-Major, l’empire sombre dans une véritable dictature militaire – qualifiée de dictature silencieuse - qui régit bien sûr les opérations militaires mais aussi l’économie et la diplomatie sans laisser le pouvoir civil exercé ses prérogatives. Même en Russie, le tsar autocrate n’exerce pas un tel pouvoir, et bien sûr on ne trouve rien de comparable en France ou en Grande-Bretagne.
« À partir de 1916, l’empire allemand sombre
dans une véritable dictature militaire. »
Qui est Erich Ludendorff, et quelle est sa place dans le dispositif de planification militaire allemand ? À quels faits, et à quelles figures doit-il son ascension ?
qui est Ludendorff ?
Il est le pur produit de la militarisation de la société impériale née de la victoire contre la France en 1871. Bien qu’issu d’un milieu bourgeois, il choisit la carrière des armes et montre un talent certain au cours de ses études, ce qui lui permet de gravir tous les échelons de la hiérarchie pour accéder au Grand État-Major en 1894. Brillant tacticien, il se fait remarquer par son plan audacieux pour s’emparer des forts de Liège dès le mois d’août 1914, avant d’être transféré sur le front russe où il se fait encore remarquer lors de la victoire de Tannenberg par Hindenburg. Dès lors, il forme un duo avec ce dernier qui le propulsera au poste prestigieux de premier quartier-maître du Grand État-Major en 1916. Si ses connaissances tactiques sont impressionnantes, c’est un piètre stratège incapable de concevoir un plan stratégique à la hauteur du poste qu’il occupe.
Comment qualifier la situation militaire et les rapports de forces sur le front occidental, les premiers mois de 1918 ? Existe-t-il, d’un côté ou de l’autre, le sentiment d’un avantage décisif sur l’adversaire, après le retrait des Russes, après l’entrée des Américains dans la guerre ?
début 1918, l’état du front
Tous les belligérants savent que 1918 sera une année décisive en raison de l’armistice imminent entre les Allemands et le gouvernement bolchevik d’une part, et d’autre part en raison de la montée en ligne progressive des divisions américaines qui poursuivent leur arrivée et leur instruction en France. Les Alliés savent qu’au cours des premiers mois de l’année les Allemands vont bénéficier d’une supériorité relative en nombre de divisions sur le front occidental grâce au transfert d’une partie des divisions qui combattaient jusqu’alors en Russie. Ils s’attendent donc à ce que les Allemands lancent une ou plusieurs offensives pour obtenir la décision. Mais cette attente est sereine car, notamment côté français, Pétain a pris soin de mettre en place de puissantes réserves mobiles pour intervenir rapidement sur le ou les points où porteront les coups allemands. Ludendorff de son côté est persuadé que la maîtrise tactique et la supériorité numérique momentanée de l’armée allemande lui permettront de rompre enfin le front et de dissocier l’armée britannique de l’armée française pour négocier une paix favorable au Reich. Certains de ses subordonnés soulignent pourtant, qu’à leurs yeux, l’armée impériale ne dispose de moyens humains et matériels que pour mener UNE seule grande offensive.
Vous expliquez dans votre livre que la défaite allemande est liée, sur le plan militaire, à la médiocrité de Ludendorff s’agissant de la définition d’objectifs stratégiques clairs, alors qu’il excellait sur les questions tactiques. Y a-t-il, chez lui et au sein du staff allemand de planification de la guerre, un déficit réel sur les questions stratégiques et comment cela se manifeste-t-il ?
les Allemands et la pensée stratégique
Effectivement, Ludendorff, excellent tacticien, ne maîtrise absolument pas les fondamentaux de la stratégie comme le souligne l’historien Holger H. Herwig : « La vérité c’est que Ludendorff n’a jamais dépassé le niveau intellectuel d’un colonel de régiment d’infanterie. » Pour Ludendorff, l’emploi massif des troupes d'assaut – Stosstruppen – soutenues massivement par l’artillerie suffira pour emporter la décision. À aucun moment, et ce malgré les remarques de certains chefs d’état-major des armées impliqués dans ses plans, il ne désignera d'objectifs opérationnels et stratégiques clairs (ex : Amiens lors de l'opération « Michaël » ou Hazebrouck pendant l'opération « Georgette »). Si certains généraux allemands ont compris les limites de Ludendorff et qu’ils les soulignent et font des contre-propositions, personne ne songe à remettre son autorité et ses décisions en question. Le rapport de subordination est bien trop fort dans la culture militaire prussienne pour l’envisager. Même le Kronprinz de Bavière Rupprecht, qui est probablement le meilleur officier général du Reich au cours de la guerre, ne se l'autorise pas malgré son rang.
« Si certains généraux allemands ont compris les limites
de Ludendorff sur le plan stratégique, personne ne songe
à remettre son autorité et ses décisions en question. »
Le 26 mars 1918, un commandement militaire unique est (enfin !) instauré chez les Alliés, en la personne du général Foch. Est-ce qu’on assiste alors à un tournant de la guerre, et quelle postérité cette décision aura-t-elle s’agissant de l’organisation future des guerres, entre alliés ?
Foch et le commandement unique
C’est effectivement un tournant décisif pour les Alliés dont les effets positifs se ressentent autant sur le front franco-belge que sur les fronts dits périphériques, en Italie et sur le front d’Orient. On peut bien sûr penser qu’en 1939, et a fortiori en 1942-43, les Alliés occidentaux s’inspireront de cet exemple lors de la nomination d’Eisenhower à un poste comparable.
Un point très intéressant de votre ouvrage : sur le plan tactique, on constate que de nombreux officiers de tous les pays (dont la Russie, supposément arriérée), réfléchissent sur le terrain à la manière optimale d’utiliser leurs ressources, et notamment les outils de choc que sont l’artillerie et les chars. Dans son ouvrage Vers l’armée de métier (1934), le lieutenant-colonel Charles de Gaulle prônait des idées innovantes, et notamment la mise en oeuvre de divisions de blindés mobiles et autonomes. Ses écrits furent lus dans plusieurs pays, et dans leur esprit, on les retrouve appliquées notamment par l’Allemagne hitlérienne lors de ses foudroyantes Blitzkrieg (avec l’appui décisif et novateur d’une aviation forte). Dans quelle mesure peut-on considérer que ces idées-là sont déjà en germe, à la fin de la Première guerre mondiale ? La guerre éclair a-t-elle déjà été théorisée, en 1918 ?
technologies et guerre éclair
Les combats de 1918 s’appuient effectivement sur la prise en compte de nouveaux matériels (avions et chars de combat) pour emporter la décision. Des penseurs comme le général Estienne (le père des chars français) ou le britannique Liddell Hart commencent à conceptualiser l’emploi des chars. Pétain prend des dispositions pour créer une vraie coopération interarmes entre les chars, l’artillerie et l'aviation. Les bases de réflexion qui déboucheront sur le concept de Blitzkrieg sont donc jetées en 1918. Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte l’émergence de l’art opératif, dont seule l’armée tsariste avait pourtant ébauché certains principes au cours l’offensive Broussilov en juin 1916. Cela explique qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Blitzkrieg participera de la même mystification quant à la supériorité de la Wehrmacht alors que cette stratégie a montré toutes ses limites lorsqu'elle a trouvé face elle une Armée rouge remise en selle à partir de 1944 et qui elle maîtrisait déjà les concepts théoriques de l'art opératif depuis les années 30. Paradoxalement, ce sont les Soviétiques qui tireront les vrais enseignements théoriques de la Grande Guerre. Leurs échecs de 1941 et 1942 sont essentiellement liés aux purges menées par Staline contre l'Armée rouge en 1937, pas à un problème conceptuel.
« Les bases de réflexion qui déboucheront
sur le concept de Blitzkrieg sont jetées en 1918.
Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte
l’émergence de l’art opératif. »
On le voit bien dans votre livre, la situation logistique est très dégradée du côté des Empires centraux en fin de conflit (la réaction des soldats allemands après leur découverte de dépôts de vivres alliés pleins à craquer est en ce sens significative), signe d’un épuisement marqué et désormais critique de l’Empire allemand (pour ne rien dire de l’Autriche-Hongrie, où c’est sans doute pire). Y a-t-il véritablement, sur cette question de l’épuisement de l’économie et du pays, dissymétrie entre les Puissances centrales et les Alliés ? En est-on arrivé, à la fin de la guerre, à un degré de pourrissement rendant inévitables pour Berlin et pour Vienne les violences révolutionnaires ?
effondrement d’empires
La situation économique et sanitaire des Empires centraux, dans lesquels il ne faut oublier l’empire ottoman, est effectivement catastrophique comparé aux mesures de rationnement mises en œuvre en France et en Grande-Bretagne, notamment lors du pic dans la guerre sous-marine à outrance au printemps 1917. Le blocus mené par la Royal Navy provoque dès octobre 1914 des pénuries de certaines matières premières essentielles à l’industrie de guerre allemande, qui d’ailleurs tient à bout de bras ses deux alliés. Puis, au cours des années suivantes, à mesure que le blocus allié se renforce, la pénurie touche également l’alimentation et l’approvisionnement en médicaments. En 1918, les populations des empires centraux sont à bout physiquement ! La malnutrition a des effets terrifiants sur la mortalité enfantile. Les carences alimentaires sont telles que l'armée impériale n'est pas épargnée, et la condition physique des combattants s’en ressent. Dès lors, il est indéniable que cette situation délétère ne pouvait qu’engendrer des violences populaires qui se transformeront en mouvements révolutionnaires.
« La situation économique et sanitaire
des Empires centraux est, à la fin de la guerre,
bien plus dégradée que chez les Alliés. »
Après l’armistice, Ludendorff comptera, avec d’autres, parmi ceux qui porteront la théorie du « coup de poignard dans le dos », qui aurait été infligé par les politiques corrompus, internationalistes, et pour tout dire juifs, à l’armée allemande : cette dernière, invaincue sur les champs de bataille, aurait été acculée à endosser une défaite humiliante et imméritée. Hitler reprendra allègrement cette thèse, avec des dégâts incalculables dans les esprits, puis dans les événements à venir. Mais, quand on se reporte à votre livre, on se surprend à constater que, régulièrement, alors qu’à bout de souffle, l’armée allemande entreprend de nouvelles opérations, ambitieuses et qui, parfois, manquent percer le front. On se dit que cette armée allemande avait « du ressort ». Jusqu’à quand en a-t-elle eu, réellement ?
quand l’Allemagne a-t-elle perdu la guerre ?
Selon moi, l’armée allemande a commencé à ne plus croire en sa victoire à partir de juin 1918 après l’offensive démarrée sur le Chemin des Dames le 27 mai. Le moral des combattants est bien trop atteint par l’ampleur des pertes et la désillusion règne. Cela engendre d’ailleurs les premiers mouvements d’insubordination massifs des permissionnaires qui refusent de quitter l’Allemagne pour regagner le front. Les scènes de désobéissance se multiplient alors dans les gares des grandes agglomérations allemandes. Mais sur le plan purement militaire, comme le souligne le général von Hutier le 27 mars 1918, la guerre était perdue avant même la fin de l’opération « Michaël », car les réserves dont disposait alors l’armée impériale ne suffisaient déjà plus pour emporter la décision. La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff malgré des succès tactiques sans lendemain constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand, pour avoir gaspillé la jeunesse allemande dans d’inutiles combats.
« La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff
constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand,
pour avoir gaspillé la jeunesse allemande
dans d’inutiles combats. »
Est-ce que, pour vous, la guerre de 1939-45 fut une suite logique de celle de 1914-18 ? Était-elle en germe dans les traités de paix ?
1939-45, suite logique à 1914-18 ?
Je pense comme beaucoup d’historiens qu’on doit aborder la période 1914 – 1945 comme une « nouvelle » guerre de Trente Ans que les traités de paix n’ont pas su empêcher. Mais néanmoins, je récuse une partie de l’accusation qui pèse sur la diplomatie française qui n’aurait pas su ménager l’Allemagne vaincue en oubliant que les exigences françaises s’appuyaient sur un constat des terribles destructions opérées délibérément par les Allemands en 1917 lors de l’opération « Alberich » et surtout entre juillet et novembre 1918, à mesure de leur repli vers leurs frontières. Si on ne mesure pas clairement et précisément l’ampleur de ces destructions, on ne peut pas apprécier correctement la démarche française lors des négociations à Versailles. Selon moi, les diplomaties britannique et américaine sont bien plus « fautives » que la nôtre dans leur double jeu, pour n’avoir pas voulu voir la France asseoir de nouveau sa prépondérance sur le continent.
« Si on ne mesure pas clairement et précisément
l’ampleur des destructions par les Allemands,
on ne peut pas apprécier correctement
la démarche française lors des négociations à Versailles. »
Nos générations ont-elles « oublié » ce que fut le 11 novembre 1918, cet immense soulagement après une boucherie inouïe ? Et si oui, est-ce dommageable ?
la Grande Guerre aujourd’hui ?
Je pense qu’une partie de nos générations a surtout oublié que le 11 novembre, le soulagement était aussi important dans la population française que la fierté d’avoir vaincu les Allemands. Les courriers trouvés dans ma famille soulignent les deux phénomènes, et il est très grave à mes yeux de vouloir gommer depuis plusieurs décennies cette fierté de nos aïeuls d’avoir tout simplement gagné la guerre !
Il y a eu débat, récemment, à propos de la bonne manière de commémorer le centenaire de l’armistice. Il semblerait que le président Macron ait préféré opter pour une solution sans parade militaire, pour ne pas froisser les Allemands, avec lesquels nous entendons toujours constituer l’avant-garde de l’Europe communautaire. Que vous inspire ce débat ?
quelles commémorations ?
Le président s’inscrit dans une démarche lamentable de soumission à l’égard de l’Allemagne, qui a depuis longtemps pris la place du pilote dans le couple franco-allemand. Comme je l’ai expliqué plus haut, les Français de 1918 étaient fiers d’avoir vaincu l’empire allemand et ses volontés hégémoniques sur le continent européen. Le 11 novembre rime avec cette victoire et, n’en déplaise à madame Merkel, nous sommes encore un pays souverain qui, à l’exemple de ce que furent les commémorations du 50e anniversaire en 1968, doit célébrer son histoire et sa grandeur sans que ses ennemis d’hier ne se sentent rejetés ou vexés. Il y a 50 ans, le général de Gaulle, ancien combattant de la Grande Guerre, avait parfaitement réussi à commémorer cette victoire dans la plus grande dignité et dans un grand moment de communion nationale.
Vos projets, vos envies pour la suite, Sylvain Ferreira ? De nouveaux ouvrages en prévision ?
Je viens de sortir un ouvrage sur la guerre de Sécession chez Economica, La campagne de Virginie de Grant (1864) dans lequel je reviens une fois encore sur les origines de l’art opératif. Je démarre par ailleurs la rédaction d’un hors-série du magazine Batailles & Blindés (Caraktère) sur les dix derniers jours du 3e Reich. Je travaille également avec Serge Tignière et l’équipe de l’émission « Champs de Bataille » sur les scénarios des prochains épisodes dans lesquels j’interviendrai, sur la bataille de la Somme et la campagne de France en 1940.
Un dernier mot ?
Je dédie tout le travail que j’ai accompli depuis 2013 pour le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, ainsi que mes trois livres (Dardanelles..., La Marne..., et L’inévitable défaite allemande) à mes aïeuls « Morts pour la France », et en particulier à mon arrière-grand-père Achille Moutenot, toujours porté disparu devant Juvincourt, depuis le 18 avril 1917.

Photo : Achille Moutenot, aïeul de S. Ferreira.
33 ans et père de trois enfants, il était membre du 82e RI,
et tomba face à l’ennemi près de Juvincourt (Aisne), le 18 avril 1917.
Un commentaire ? Une réaction ?
Suivez Paroles d’Actu via Facebook, Twitter et Linkedin... MERCI !