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Paroles d'Actu
21 août 2023

Frédéric Quinonero : « On ne guérit pas de son enfance mais... »

Il y a cinq mois, lors de l’interview réalisée avec Frédéric Quinonero, un fidèle de Paroles d’Actu, à l’occasion de la parution de Carol Eden n’existe pas (La Libre édition, mars 2023), le calendrier nous avait avec tristesse poussés à évoquer la mémoire de Marcel Amont, homme délicieux que nous avions tous deux rencontrés et qui venait de disparaître. L’entretien qui suit, et qui accompagne la sortie de Chemin d’enfance (La Libre édition, juillet 2023), nouvelle version du premier roman autobiographique de Frédéric Quinonero, a été marqué par une autre disparition qui nous a peinés, celle de la douce Jane Birkin, à laquelle il avait consacré une biographie en 2016 : on pense à elle, une artiste passionnée et une femme inspirante.

Frédéric Quinonero, qui si souvent s’est effacé devant des gens connus pour mieux les raconter, ne se sera jamais autant livré que dans Chemin d’enfance, un récit sensible, souvent nostalgique, de ses jeunes années dans le Gard, et de ces visages familiers qui les ont marquées. Un ouvrage qui, je le crois, touchera chacun de ceux qui le liront : en nous faisant découvrir les lieux et les sentiers de son enfance, il nous invite et nous pousse, qu’on y aille en traînant des pieds ou non, à nous pencher sur la nôtre, avec ses pointes de douleurs et d’émerveillement. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero : « Peu à peu, même si on

ne guérit pas de son enfance, on se déleste de ce qu’il peut

y avoir de douloureux à revenir sur ses lieux. »

Chemin d'enfance

Chemin d’enfance (La Libre édition, juillet 2023)

 

Frédéric bonjour. Avant d’évoquer ton dernier livre, objet principal de cet entretien, quelques mots après cette nouvelle qui a peiné beaucoup, beaucoup de monde, la disparition, le 16 juillet, de Jane Birkin ? Je rappelle qu’en 2016, tu lui avais consacré une biographie... Quelle part Jane Birkin a-t-elle tenu, justement, dans ton «  chemin d’enfance  », comment se positionnait-elle, dans ton univers musical, aux côtés de Sheila, de Johnny  ?

Lorsque je pense à Jane, les premiers souvenirs qui me viennent sont ceux de ses passages chez les Carpentier, l’image de pin-up qui servait de faire-valoir à Gainsbourg, Dutronc et les autres. Celle aussi de la jeune fille sexy et rigolote des films de Zidi, avec Pierre Richard. Elle ne m’a vraiment intéressé que plus tard, lorsque j’étais adulte et qu’elle s’était artistiquement émancipée. Je l’ai découverte, en fait, au Bataclan lorsqu’elle a osé franchir le pas vers la scène, après avoir apprécié les trois derniers albums que lui a écrits Gainsbourg, surtout Baby Alone in Babylone en 1983, l’année de mes vingt ans. J’ai aimé l’artiste Birkin, son talent, sa personnalité, son unicité.

 

Tu as des regrets par rapport à elle  ? Regret, peut-être, de n’avoir pu échanger avec elle, de n’avoir pu lui dire directement toute l’affection qu’elle t’inspirait  ?

Oui, j’aurais aimé échanger avec elle. Mais il ne faut pas avoir de regret. Comme tous les autres artistes, Jane Birkin évoluait en milieu clos et il était difficile de s’immiscer dans son monde. Et je sais d’expérience qu’écrire une biographie d’un artiste très exposé est le meilleur moyen de le faire fuir. Un artiste aime être flatté et qu’on n’espère rien de lui.

 

Jane Birkin FQ

 

Ton premier roman, Chemin d’enfance, publié à l’origine en 2009, vient de faire l’objet, par tes soins, d’une nouvelle édition (La Libre Édition). En quoi cette nouvelle version diffère de l’ancienne  ? Il y a eu des changements sur la forme, des modifications, des actualisations aussi par rapport à ce qui est raconté  ?

Je l’ai entièrement reconstruit. Je trouvais la première version inaboutie, sans ossature. Dans cette nouvelle version, je termine là où j’ai commencé, il y a une cohérence dans le propos, une impression d’achevé. J’ai aussi davantage développé le parcours et la personnalité de certains protagonistes. Je voulais rendre hommage à des gens qui ont marqué mon enfance et ma vie. Et ces «  chères ombres  », pour reprendre l’expression de Pagnol, ont guidé ma plume.

 

S’agissant d’ailleurs de La Libre Édition, maison que tu as créée et dont la première œuvre fut, un peu plus tôt cette année, Carol Eden n’existe pas, quel premier bilan tires-tu de cette aventure nouvelle  ? Tu gagnes en indépendance d’accord, mais tu t’y retrouves  ?

Ce n’est pas réellement une «  maison d’édition  », étant donné que je ne bénéficie pas de la force de vente et des moyens de distribution d’une vraie édition. C’est de l’autoédition, à la différence que j’ai créé ce label, avec son logo, ainsi qu’une collection que j’entends poursuivre pour le plaisir, en contrepartie de mes biographies «  parisiennes  ». Je n’y gagne que la satisfaction d’écrire des livres plus personnels et les retours de mon petit réseau d’amis. Ce n’est pas rien. Et on peut avoir l’espoir – qui sait – d’être lu dans les «  hautes sphères  ».

 

Qu’est-ce qui, à l’époque de la première mouture du livre qui nous intéresse aujourd’hui, t’avait poussé à raconter ainsi ton enfance  ? Et qu’est-ce qui, presque quinze ans après, t’a donné envie de la présenter à nouveau à un lectorat  ?

On peut remonter même plus loin, car j’ai commencé l’écriture de ce livre au début des années 90. Je n’ai jamais oublié Corbès, Thoiras, Anduze, tous les lieux de mon enfance où je revenais aussi souvent que je le pouvais. Peu à peu, même si on ne guérit pas de son enfance, on se déleste de ce qu’il peut y avoir de douloureux à revenir sur ses lieux. Mon ami romancier Michel Jeury m’avait dit que beaucoup d’auteurs avaient attendu d’être vieux pour avoir la distance nécessaire et une façon plus détachée donc plus juste de percevoir les choses de l’enfance. Je viens d’avoir soixante ans, le temps était venu d’en donner une version sinon définitive, du moins satisfaisante à mes yeux.

 

Tu as raconté jusque-là, de manière détaillée, la vie d’une bonne quinzaine d’artistes. On touche là, forcément, à ton livre le plus personnel, intime même  : c’est difficile de se mettre à la lumière, quand si souvent on se cache derrière des personnages, ou bien au contraire, être toujours à l’arrière-plan constituait une sorte de frustration à laquelle il te fallait répondre  ?

Oui, il y a une sorte de frustration à ne pas pouvoir se livrer soi-même, à se contenter d’une vie par procuration. Le roman, même autobiographique, permet une liberté d’imagination et la possibilité de sortir d’un cadre strict. J’avais besoin de ce complément, pour mon équilibre personnel. J’avais aussi besoin d’écrire sur d’autres gens, dans un autre milieu. Et j’avais besoin de me raconter aussi.

 

Le Frédéric de 2023 se sent-il plus ou mieux «  armé  » que celui de 2009 ou a fortiori des années 90 pour mettre sa vie sur la place publique  ? Et si ce livre fonctionne, aurais-tu envie d’en écrire la suite  ?

Oui, certainement. Même si je doute toujours. J’ai conscience d’être plus à l’aise dans l’écriture, plus mature dans ma vision des choses. Et plus libre, surtout. Sans peur ni honte de quoi que ce soit… La suite du chemin d’enfance, ce ne peut-être que l’adolescence. Pourquoi pas  ? J’ai beaucoup à dire sur le sujet.

 

Parmi les personnes que tu as rencontrées durant ton enfance dans les Cévennes, une artiste anglaise réputée, Elisabeth Frink, dont je signale, d’ailleurs, qu’à certains égards elle pouvait faire penser à Jane Birkin, ou peut-être le contraire. Elle sculptait, et toi tu passais des heures à la regarder. À ton avis, ton envie d’évoluer dans quelque chose d’artistique, de créatif, ça tient autant à ces moments passés avec elle qu’aux disques que tu écoutais, aux chansons que tu reprenais  ?

Mon enfance passée auprès de gens comme elle ou son fils Lin, que je côtoyais davantage car il était mon protecteur à l’école, avec sans doute les prédispositions que j’avais déjà à me passionner pour tout ce qui touchait à l’art, en particulier la musique et la chanson, tout cela a nourri forcément l’adulte que je suis devenu. Il y avait beaucoup d’artistes qui venaient à Corbès, à commencer par Charlie Watts, le batteur des Stones, à qui je consacre un chapitre. Dans le livre je dis aussi comment Elisabeth, mais aussi mon maître d’école, Robert Valette, m’ont encouragé dans cette voie.

 

Je ne vais pas révéler toute l’histoire, mais disons qu’à un moment du récit, il y a quelque chose de cruel, comme la vie parfois peut l’être, la mort d’un jeune copain, plus que ça même, et un deuil terrible. Il y a eu comme une cassure, un avant et un après la mort de Joël Lacroix, dans ton enfance  ?

Il y a quelque chose d’idyllique dans l’enfance que j’ai vécue, même si mes parents ne roulaient pas sur l’or. Nous avons passé peu d’années à Corbès, mais ce temps de l’enfance semble s’étirer au point de remplir toute une vie. Et cet événement, la mort d’un garçon de dix-sept ans, qui faisait partie de nos proches, survient comme une bombe. Cela marque une cassure, on commence à se poser des questions d’adulte, à s’interroger sur le sens de la vie. Mais on ne perd pas complètement son insouciance, on reprend sa vie d’enfant. Je ne situe pas la fin de mon enfance au moment de la mort de Joël, mais plutôt lorsque nous avons quitté la région. Pour moi, mon enfance se résume à mes années passées à Corbès et Anduze.

 

Il est pas mal question, dans ce livre, de ces enfants sans parents, placés ou orphelins, qui ont croisé votre route, parfois vécu sous votre toit, j’ai l’exemple de ce garçon au parcours touchant, Jean, qui ressemblait à Johnny. Tout cela t’a sensibilisé à ces sujets  ?

C’est vrai, j’ai rencontré beaucoup d’enfants placés, il y en avait beaucoup dans des familles cévenoles où il y avait besoin de main d’œuvre. Jean-Johnny et Jean-François étaient de ceux-là, ils vivaient dans une ferme et s’occupaient du bétail. Jean avait trouvé chez nous une famille, l’affection qui lui manquait. Et je le considérais de fait comme un grand frère. J’ai toujours été sensibilisé à l’abandon, qu’il concerne les humains ou les animaux.

 

Quand tu songes à ton enfance, à ses ombres chéries, à ses paysages aussi, c’est quoi, de la nostalgie  ? Par temps brumeux, un peu de mélancolie parfois  ?

Les deux, nostalgie et mélancolie. La nostalgie peut être légère, douce et heureuse. La mélancolie nous pousse parfois au désespoir. Mais les «  chères ombres  » veillent…

 

Si le Frédéric de 2023 pouvait faire un petit tour dans le temps et les lieux de son passé pour voir celui qu’il fut gamin, que lui dirait-il  ?

Dépêche-toi, ne te perds pas en futilités, le temps passe très vite  !

 

Est-ce que, quand on écrit sur son enfance, on prétend aussi à quelque chose d’universel  ?

On ne prétend pas, mais on touche forcément à l’universel. Je m’en suis rendu compte dès la première version de ce roman autobiographique. Je me demandais au départ qui ça allait pouvoir intéresser… Et j’étais surpris de constater à quel point les gens se reconnaissaient dans le petit garçon de Corbès. Ce livre a touché les lecteurs au cœur, parce que chacun y retrouve sa propre enfance.

 

Tes projets, tes envies surtout pour la suite  ?

Dans l’immédiat, la rentrée se prépare avec trois livres, ma biographie de Piaf, Cris du cœur, que je publie en septembre à La Libre Édition, avec une magnifique préface de Juliette, puis en octobre la réédition augmentée de ma biographie de Jane Birkin et l’abécédaire de Florent Pagny, Chanter encore et toujours. J’ai un projet de livre sur Sylvie Vartan pour 2024, chez Mareuil éditions. Mes envies  ? Continuer à pouvoir alterner biographies et livres personnels.

 

Un dernier mot  ?

Merci (de ta fidélité).

Interview : mi-juillet à mi-août 2023

 

Frédéric Quinonero 2023

 

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