"Deux ans pour faire une véritable politique de gauche", par Martial Passi
Il y a de cela six mois, M. Martial Passi, maire PCF de Givors (Rhône), vice-président du Grand Lyon et de l’AMF, acceptait de coucher sur papier numérique l’expression de ses inquiétudes et revendications d’homme de gauche sous forme d’une « lettre au président de la République » de ma suggestion, pour Paroles d’Actu. Fin mai, je lui ai proposé de prendre part à une série d’interventions de personnalités politiques autour d’une thématique posée simplement : « vingt-quatre mois ». Le temps qui nous sépare des grandes échéances électorales nationales du printemps 2017. Les élus auxquels j’ai soumis cette invitation (outre M. Passi, un socialiste, deux UMP devenus LR et une Front national) étaient invités à réfléchir aux perspectives des deux années à venir et, en particulier, aux orientations de leur famille politique respective telles qu’ils les souhaitent. Le texte de M. Passi - que je remercie ici pour sa contribution - m’est parvenu le 12 juin. Plus que jamais, il s’inscrit dans la ligne de cette gauche qui, au-dehors comme au-dedans du Parti socialiste, n’entend pas abandonner au couple exécutif Hollande-Valls le monopole des possibles en matière d’idéaux progressistes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
« Deux ans pour faire une véritable politique de gauche »
par Martial Passi, maire de Givors (Rhône), vice-pdt de la Métropole de Lyon et de l’A.M.F.
Il y a trois ans, une majorité d’électrices et d’électeurs se prononçaient pour le changement en élisant François Hollande à la présidence de la République. Chacun se souvient de son slogan, « Le changement c’est maintenant », et de sa phrase choc, lancée lors d’un meeting au Bourget : « Mon véritable adversaire, [...] c’est le monde de la finance ».
Cette victoire et ces orientations sont malheureusement restées lettre morte.
Trois ans après, une politique d’austérité sans précédent, dictée par les marchés financiers et l’Union européenne, étouffe littéralement les collectivités locales, les services publics, le dynamisme économique, les organismes sociaux et les associations de notre pays. Le chômage n’a jamais été aussi élevé. Le pouvoir d’achat des populations ne cesse de dégringoler et les protections sociales continuent d’être démantelées, générant une aggravation alarmante des inégalités et une destruction du tissu social, ce qui met gravement en cause les valeurs et les fondements de la République et du vivre ensemble. Seule une minorité de riches et de privilégiés profitent de cette politique qui permet à la bourse de battre des records.
Exsangues financièrement et corsetées par des décisions prises au plus haut niveau de l’État, les collectivités locales sont menacées dans leur souveraineté et leur existence mêmes. Après des années de gel désastreux sous les gouvernements précédents, les dotations d’État sont amputées de façon historique (28 milliards d’ici 2017 et 53 milliards d’euros d’ici 2019), causant des effets cataclysmiques. 1 500 communes et la moitié des départements sont en quasi cessation de paiement et 18 000 communes pourraient l’être en 2017. Stigmatisés en permanence, les élus locaux font face à une situation devenue inextricable et l’on ne compte plus les fermetures de services, les annulations de projets, l’explosion de l’endettement et la hausse des impôts locaux. L’agonie programmée de nombreux territoires peut conduire à des drames terribles tant pour les populations que pour les territoires.
Politiquement et moralement, le pays est profondément atteint. La gauche est divisée du fait d’un exécutif socialiste qui applique une politique qui doit plus à la droite qu’à la gauche. La responsabilité de cette déstabilisation profonde des repères et des résistances collectives, où l’égoïsme et le rejet de l’autre prennent de plus en plus le pas sur la solidarité et la lucidité, est également portée par l’UMP, devenue « les Républicains », qui choisit d’aggraver ces dérives en se positionnant de plus en plus à l’extrême droite, et par le Front national qui se trouve aux portes du pouvoir, en instrumentalisant et dévoyant les frustrations, le désarroi et les humiliations des populations.
Ce bilan est accablant, le pays court à la catastrophe. Il est plus qu’urgent de changer de cap, de reconstruire l’espoir et de fédérer le rassemblement des énergies pour répondre aux besoins des populations.
Dans les deux ans qui restent,
● au lieu de prendre l’argent dans les budgets des collectivités locales, des services publics et des populations, c’est le contraire qu’il faut faire : donner la priorité à l’intérêt général en faisant contribuer les plus gros patrimoines et la spéculation financière, qui ne cessent de battre des records boursiers.
Dans les deux ans qui restent,
● au lieu de plomber les carnets de commandes des petites et moyennes entreprises par l’assèchement suicidaire de l’investissement public, et d’asphyxier l’activité économique dans les territoires par le coût exorbitant des dividendes versés aux actionnaires, la limitation drastique du crédit aux acteurs économiques et l’étouffement de la consommation intérieure par une paupérisation généralisée des populations, c’est le contraire qu’il faut faire : réorienter les richesses créées dans l’économie réelle, les salaires, la formation, la recherche et la satisfaction des besoins humains.
Dans les deux ans qui restent,
● au lieu de remettre en cause les moyens et les mesures pour mettre en œuvre une véritable transition énergétique et faire reculer tout ce qui contribue au réchauffement climatique, à l’exemple des conférences internationales sur le climat sans aucun engagement contraignant pris par les États, ou a celui, scandaleux, des coups portés au transport collectif (TVA apportée à 10%, hausse du seuil de 9 à 11 salariés pour les entreprises soumises au versement transport, casse des trains intercités, loi Macron favorisant la mise en concurrence de la SNCF par les cars privés, etc.), c’est le contraire qu’il faut faire : créer une véritable alternative au tout routier en faisant des transports collectifs une priorité nationale, développer la recherche pour innover dans tous les domaines pour un développement durable, mobiliser toutes les énergies pour changer les façons de produire, de consommer et de vivre, afin de préserver notre environnement et notre planète, en mettant en cause les sources de profits générées par des activités qui portent atteinte à l’avenir même de l’humanité.
Dans les deux ans qui restent,
● au lieu d’imposer une austérité insupportable aux peuples européens et de combattre Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, les mouvements syndicaux, sociaux et alternatifs en Allemagne et dans d’autres pays, et le Front de gauche et l’ensemble des composantes d’une vraie alternative de gauche en France, c’est le contraire qu’il faut faire : contribuer à faire entendre la voix des peuples contre le diktat des institutions financières et des grandes fortunes.
Dans les deux ans qui restent,
● au lieu de spéculer sur la montée des extrémismes de toutes sortes et la recherche de boucs émissaires qui divisent nos concitoyens, fragilisent notre société et remettent en cause nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité, c’est le contraire qu’il faut faire : mettre en œuvre une vraie politique de gauche pour répondre aux besoins des populations et reconstruire une espérance collective, permettant à nos concitoyens de vivre ensemble en paix, de se sentir considérés, quels que soient leur origine, leur milieu social, leur engagement politique ou philosophique et leur croyance.
De toute l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu autant de richesses produites par le travail, mais aussi autant de prélèvements gavant les grandes fortunes et les privilégiés, et autant d’inégalités, d’injustices, d’exclus de tout. La situation catastrophique dans laquelle se trouve notre pays et la grande majorité de ses habitants appelle à des changements de cap urgents dans tous les domaines pour les deux années qui restent.
Avant qu’il ne soit trop tard et que le pire arrive.
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