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Paroles d'Actu
19 juillet 2023

« Oppenheimer » vu par Didier Swysen (Alcante), auteur de « La Bombe »

Ce mercredi, parmi les sorties en salles, en France comme en Belgique, un film évènement, très attendu : Oppenheimer, de Christopher Nolan, un biopic de ce physicien qui fut le directeur scientifique du Projet Manhattan, colossal chantier gouvernemental qui enfanta la bombe atomique américaine en 1945. 16 juillet de cette année : Trinity, le premier test, réussi. 6 août : le bombardement d’Hiroshima. 9 août : celui, souvent éclipsé, de Nagasaki.

La Bombe 2023

Je n’ai pas encore vu le film, mais j’ai souhaité recueillir à son sujet l’avis d’un des hommes qui connaît le mieux cette histoire : Didier Swysen, alias Alcante, le chef d’orchestre de La Bombe (Glénat, 2020), un roman graphique somptueux que j’ai eu le bonheur de chroniquer ici, il y a deux ans jour pour jour. Je veux saluer au passage Denis Rodier et Laurent-Frédéric Bollée, ses deux coauteurs, qui comme lui avaient alors répondu à mes questions.

Je savais que Didier Swysen avait assisté à une avant-première du film, en Belgique. Je l’ai contacté pour lui proposer d’écrire un texte, mais quand il a lu mon mail il l’avait déjà fait, et il était déjà en ligne sur son Facebook. D’habitude, je ne veux que du contenu inédit, mais à la lecture de son compte-rendu, je n’ai pas hésité longtemps : c’est le compte-rendu d’un spectateur séduit mais non sans critique, celle-ci étant étayée par son érudition. Je lui ai demandé s’il accepterait qu’aux termes de notre échange, je le publie, le tout assorti d’une interview que nous ferions dans la foulée. Il a dit oui à tout, je l’en remercie chaleureusement.

Je ne sais si je recommanderai Oppenheimer après l’avoir lu. Je suis persuadé que oui. Ce dont je suis certain en tout cas, c’est que La Bombe, c’en est une : un bijou de scénario, d’intensité dramatique, de graphisme aussi, à mettre entre toutes les mains et qui marquera tous ceux qui s’y frotteront. Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Extrait La Bombe

Robert Oppenheimer, dans La Bombe.

 

 

Une exclusivité Paroles d’Actu.

 

partie 1 : Oppenheimer, critique éclairée

J’ai eu la chance de voir à deux reprises, le 17 juillet, Oppenheimer en avant-première belge, invité par Emmanuel Deroubaix, chargé de la promotion du film par Universal Pictures : je le remercie vivement !

La première vision s’est faite au Kinepolis en version Imax, la seconde au Palace en 35 mm, et ce sont réellement deux expériences différentes. La version Imax rend plus impressionnantes les séquences plus « grand spectacle », et notamment la préparation du test Triny et l’explosion, lors de laquelle j’étais littéralement scotché à mon siège ! Par contre, j’ai davantage apprécié le dernier tiers du film (qu’on pourrait comparer globalement à un huis clos) dans sa version 35mm.

« Une expérience de cinéma marquante »

Je vais commencer par ôter tout suspens : le film de Nolan est vraiment très bon, une expérience de cinéma marquante, et je le recommande chaudement à tout le monde, même si j’ai des bémols que je développerai, ci-dessous. Mais la mise en scène est impressionnante, les acteurs excellents, la musique envoûtante, et la fin marquante.

Je précise que je ne suis pas spécialement fan de Nolan. J’ai beaucoup apprécié certains de ses films, mais d’autres m’ont laissé froid. J’admire certes sa virtuosité de réalisateur pour toutes les séquences à grand spectacle, mais j’éprouve rarement de l’empathie pour ses personnages et ses constructions narratives ne me convainquent pas toujours, voire me perdent complètement.

Oppenheimer est le film que j’ai préféré de lui, certainement après le deuxième visionnage.

Evidemment, en tant que scénariste de La Bombe, j’y suis allé avec un regard un peu spécial, passionné par le sujet et plutôt connaisseur en la matière, et il m’était impossible de ne pas faire de comparaisons. Or les deux histoires ne sont pas réellement comparables en fait. Ça parait assez évident, mais Oppenheimer raconte l’histoire… d’Oppenheimer, tandis que La Bombe raconte l’histoire de la bombe atomique (qui l’eût cru ?) Très clairement, si vous vous intéressez à Oppenheimer, vous en saurez plus sur lui après le film qu’en lisant La Bombe. Mais si vous vous intéressez plus à l’histoire de la bombe atomique, vous en apprendrez bien davantage dans notre roman graphique.

En effet, Oppenheimer ne s’aventure à l’étranger que pour y suivre Oppie lorsqu’il étudiait en Europe (Cambridge, Göttingen, Leyde). Le film ne montre donc strictement aucune image des recherches allemandes, de l’uranium au Congo, du sabotage de l’usine norvégienne, de Staline... Et surtout, le film ne montre absolument rien (!) de Hiroshima ou de Nagasaki. Même pour le projet Manhattan, les lieux montrés sont peu nombreux : quelques secondes à Chicago (où fut réalisée la 1ère réaction en chaîne, tout juste évoquée ici), et strictement rien sur Hanford et Oakridge ou étaient produits l’uranium enrichi et le plutonium. On montre juste Los Alamos et le site du test Trinity.

J’ai trouvé que le rythme du film était très élevé, et beaucoup de personnages défilent. Il me semble qu’il sera difficile à suivre si vous n’avez aucune connaissance préalable de ce sujet. Selon moi, il y a aussi de nombreux dialogues ou allusions qui échapperont à ceux qui n’en connaissent pas du tout le contexte.

Le film est donc vraiment centré sur Oppenheimer (attention, si vous ne voulez rien savoir du film avant d’aller le voir, arrêtez-vous ici, !SPOILER ALERT!) et peut globalement être divisé en trois parties d’environ une heure chacune :

- Oppenheimer étudiant et académicien (1923 – 1941)

- Oppenheimer sur le projet Manhattan (1942-1945)

- Oppenheimer durant son audition de sécurité (1954 – 1959)

Ces trois parties s’entremêlent sans cesse l’une à l’autre, et la troisième partie est également vue sous l’angle de Lewis Strauss, le président de la Commission de l’Énergie atomique (américaine). Les séquences relatives à Strauss sont en outre filmées en noir et blanc. L’histoire ne se déroule donc pas vraiment par ordre chronologique (comme c’est très souvent le cas chez Nolan), ce qui la complexifie quelque peu, mais cela reste globalement très clair et ne cause pas de problème de compréhension.

La première partie, où l’on suit Oppenheimer étudiant puis dans ses débuts académiques, est très bien faite. On y retrouve bien le caractère exalté et quelque peu bizarre d’Oppenheimer, On y découvre aussi ses sympathies envers plusieurs personnes communistes, dont ses rencontres amoureuses (sa femme Katherine "Kitty" Puening et sa maîtresse Jean Tatlock) et son ami Haakon Chevalier. On y sent aussi très bien l’excitation qui régnait alors parmi les physiciens de l’époque qui étaient en train de découvrir un tout autre monde, celui de la physique quantique (les atomes, les électrons…). On découvre tous les grands noms, tels Einstein, Heisenberg, Böhr etc.

Je n’ai rien à redire à cette première partie, si ce n’est ce qui semble être une confusion assez étonnante où Oppenheimer commence à parler allemand à l’université de Leyde (aux Pays-Bas) et est ensuite félicité pour sa très bonne connaissance du néerlandais, tout en étant visiblement parfaitement compris par (l’allemand) Heisenberg !? Il semble que l’on ait confondu totalement l’allemand avec le néerlandais, c’était un peu bizarre. Ceci dit, c’est la seule erreur que j’ai notée dans le film, et elle est assez anecdotique.

La seconde partie est évidemment celle la plus attendue dans tous les sens du terme, il s’agit de son travail en tant que directeur scientifique Manhattan. C’est évidemment passionnant. La reconstitution de Los Alamos (et de sa construction) est bluffante de réalisme. On voit aussi bien la tension entre les militaires (qui voulaient compartimenter le tout au maximum) et les scientifiques (qui avaient besoin de collaborer entre eux pour davantage d’efficacité). On voit également les tensions naissantes entre Teller (qui deviendra le père de la bombe H) et Oppenheimer.

« La reconstitution de Trinity, effroyable... »

La reconstitution du test Trinity est vraiment "majestueuse". Je mets des guillemets car le terme n’est pas tout à fait approprié vu que ça concerne une arme de destruction massive, mais au niveau cinématographique pur, c’est un grand moment. Effroyable.

Pas grand-chose à redire non plus sur ce qu’on voit dans cette partie-là, mes bémols étant plutôt liés à ce qu’on ne voit pas : on se concentre exclusivement sur Los Alamos et on ne voit rien des autres sites. Du coup, on ne voit pas la première expérience en chaîne contrôlée de l’Histoire à Chicago, et on ne se rend pas compte de l’immensité des travaux que le projet a nécessité. Pour rappel, Hanford pour la production de plutonium, c’est un site de 1500 km2 qui a nécessité 5000 ouvriers. Oakridge, pour la production d’uranium enrichi, c’est 20.000 ouvriers, une usine de 800 mètres de long qui est le plus grand bâtiment jamais construit, etc, etc.

Je trouve aussi que l’atmosphère de paranoïa qu’induisait le secret absolu aurait pu être mieux rendue. La série TV Manhattan était peut être plus efficace à ce niveau.

Rien non plus sur tout ce qui se passait ailleurs dans le monde, comment se déroulait le projet allemand de recherches atomiques, etc...

Enfin, la troisième partie montre en détail l’audition de sécurité d’Oppenheimer en 1954. L’audition faisait suite à une accusation lancée à son encontre d’une trop grande complaisance à l’égard du communisme, voire d’être un espion russe. Des soupçons existent à son encontre, car les Russes ont entretemps développé leur propre bombe (première explosion soviétique en 1949, ndlr), et les Américains savent que cela ne fut possible que suite à de l’espionnage à Los Alamos. Oppenheimer se verra lavé de tout soupçon de déloyauté, mais son accréditation de sécurité sera cependant levée, ce qui détruira sa carrière pendant plusieurs années (jusqu’à sa réhabilitation en 1963).

Cette audition est mise en parallèle avec la préparation de Lewis Strauss (président de la Commission de l’Énergie atomique) à sa propre audition devant le Sénat en vue de devenir Secrétaire d’État du Gouvernement Eisenhower, audition "tendue" car plusieurs scientifiques lui reprochent en effet le rôle trouble qu’il aurait joué dans l’audition d’Oppenheimer.

Cette troisième partie est aussi l’occasion de montrer les remords croissants d’Oppenheimer quant au développement de la bombe atomique, et ses objections par rapport au développement de la bombe H (sujet sur lequel il était en conflit avec Lewis).

La mise en scène de cette dernière partie est brillante et la musique (un peu trop présente sans doute à ce moment-là) instille certes une forte tension.

Cependant, cette troisième partie souffre pour moi d’un quadruple problème. Premièrement, elle vient après l’essai Trinity qui s’apparentait à un véritable climax. Après une séquence d’une telle intensité, la tension retombe inévitablement et le temps qui s’écoule paraît alors plus long. Deuxièmement, le suspens autour d’une éventuelle culpabilité d’Oppenheimer ou de l’identité de l’espion ne marche pas vraiment. Le film est un peu brouillon à ce moment-là. Troisièmement, le film passe trop rapidement sur les états d’âme d’Oppenheimer par rapport à Hiroshima et Nagasaki, s’attardant trop sur ces auditions et se transformant en un huis clos judiciaire : qui a bien pu dénoncer Oppeheimer et pourquoi ? C’est certes une question intéressante, mais la (vraie) réponse est en fin de compte un peu "décevante". Enfin, et surtout, l’enjeu dramatique de cette troisième partie se résume finalement à la question de savoir si oui ou non Lewis Strauss va être nommé Secrétaire d’État, ce qui n’a pas grand intérêt, certainement pas pour le grand public. Je crains qu’un certain nombre de spectateurs ne soient déçus par cette troisième partie, même si je le répète, le brio de la mise en scène permet de garder l’intérêt.

Le film se termine cependant par une séquence (très) marquante, par une espèce de mini twist scénaristique qui fait son effet.
Quelques bémols quand même, tous liés au fait que le film reste très fort marqué par la vision américaine de l’histoire de la bombe atomique.

« Le rôle des scientifiques européens

est largement passé sous silence... »

Tout d’abord, le rôle des scientifiques européens est largement passé sous silence. Les deux scientifiques européens que l’on voit le plus, finalement, ce sont Einstein et Niels Bohr qui, paradoxalement, n’ont pas vraiment joué de rôle important dans le développement de la bombe. Par contre, Leó Szilárd et Enrico Fermi, qui ont eux joué un rôle majeur, sont quasiment totalement passés sous silence. Oppenheimer est vraiment présenté comme le seul père de la bombe atomique.

Ensuite, force est de constater que le film ne remet pas en cause ni ne questionne vraiment la nécessité absolue de bombarder Hiroshima et Nagaski.

Certes il y a quelques allusions aux démarches des scientifiques qui s’y opposent pour des raisons morales, et certes Oppenheimer dit dans le film qu’ils ont bombardé un pays "essentiellement vaincu", mais globalement on reste vraiment dans le narratif américain qui dit que la bombe était un mal nécessaire pour mettre fin à la guerre, éviter un débarquement au Japon et ainsi "sauver" un grand nombre de vies. Ainsi, après la capitulation de l’Allemagne, lorsque quelqu’un dit "la guerre est finie", Oppenheimer répond "sauf pour les GI qui doivent débarquer au Japon".

De même, on voit aussi, plus tard, le secrétaire à la Guerre, Henry Stimson, déclarer lors d’une grande réunion que "selon des sources secrètes, il est absolument certain que les Japonais ne se rendront jamais sous aucune condition". C’est là le point qui m’a le plus gêné. Les Américains savaient en effet que le Japon était terriblement affaibli et cherchait une porte de sortie honorable pour capituler. Il y a avait encore de la place pour la négociation ! Le Japon n’avait plus de marine, plus d’aviation, plus d’alliés, il n’était vraisemblablement même pas nécessaire de débarquer : un simple blocus aurait affamé le Japon et l’aurait poussé à capituler.

Le film ne va donc pas (ou pas suffisamment en tous cas selon moi) à l’encontre de l’idée que la Bombe a finalement permis de sauver des vies humaines et qu’elle était donc un mal nécessaire, ce qui est pourtant très largement contestable.

Autre aspect très américain : aucune critique n’est faite quant aux victimes collatérales du projet Manhattan. Pas un mot par exemple sur les "human products", ces personnes auxquelles on a injecté du plutonium à leur insu. Pas un mot non plus sur les retombées radioactives autour du site Trinity.

Dans le même ordre d’esprit, on garde malgré tout une image un peu trop lisse d’Oppenheimer. Dans le film, on le voit plusieurs fois expliquer que le fait qu’il développe la Bombe ne lui donne aucun pouvoir par rapport à la décision de l’utiliser ou non, et comment, et qu’il s’agit là de décisions purement politiques et militaires auxquelles il n’a rien à dire. Dans les faits, il a quand même participé à la fois au Target Committee (qui a choisi Hiroshima comme meilleure cible) et à l’Interim Committee (qui a exclu l’idée de faire une démonstration pacifique de la bombe aux Japonais afin de leur laisser la possibilité de capituler en connaissance de cause).

Dans le film, Lewis Strauss déclare qu’Oppenheimer devrait le remercier d’avoir contribué à faire en sorte que les gens l’associent davantage au test Trinity qu’à Hiroshima et Nagasaki. Mais le film de Nolan fait de même à mon sens.

« Le film ne montre aucune image

ni d’Hiroshima, ni de Nagasaki... »

Car en effet, et c’est ma critique principale, le film ne montre absolument AUCUNE (!) image ni d’Hiroshima ni de Nagasaki. On parle certes du nombre de victimes, mais cela reste des chiffres assez froids. La destruction totale, l’anéantissement d’Hiroshima et Nagasaki et les souffrances des victimes sont tout au plus évoquées assez rapidement. Les remords exprimés par Oppenheimer ne sont d’ailleurs pas tellement liés aux victimes d’Hiroshima et Nagasaki, mais bien davantage au fait d’avoir ouvert une boîte de Pandore, ce qui pourrait peut-être mener à la destruction du monde. C’est sans doute une image assez fidèle de ce qu’Oppenheimer pensait lui-même, mais le souci c’est que cela renforce à nouveau (selon moi) l’idée que la légitimité de l’usage de ces bombes par les USA sur les deux villes japonaises ne peut pas être discutée. Or, selon moi, continuer de légitimer une attaque passée contribue à laisser ouverte la possibilité d’une attaque future. La fin du film évoque d’ailleurs cette possibilité de manière terrifiante, et en ce sens le film de Nolan, plutôt que de nous faire regretter un passé, nous met en garde contre le futur – ce qui en fait un film d’actualité, finalement.

Voilà.

Au total, malgré quelques bémols Oppenheimer reste pour moi un film puissant, envoûtant et marquant, que je vous incite à aller voir. Et je pense que La Bombe est un excellent complément pour parfaire votre vision du sujet.

Didier Swysen, le 18 juillet 2023

 

partie 2 : Didier Swysen, l’interview

 

Oppenheimer, en particulier la scène de l’essai Trinity, que tu juges tout à la fois "majestueuse" et "effroyable", sera-t-il à ton avis le grand choc de reprise de conscience par le grand public du péril, de la terreur nucléaires, actualité aidant, à la manière de productions qu’on a pu voir dans les années 50 ou 80 ?

Disons que j’espère que le grand public a déjà repris conscience du risque nucléaire avec la crise entre la Russie et l’Ukraine ! Mais sinon, oui, le film sera clairement une piqûre de rappel bien nécessaire. Et à mon sens, ce sera plutôt la scène finale du film (qui parle du futur) qui va marquer les gens, plus que l’essai Trinity, qui appartient au passé. Je ne pense cependant pas que la crainte d’une attaque nucléaire reviendra au même niveau que durant les sommets de la guerre froide.

 

Ce film suscitera des débats, forcément, s’agissant de l’utilisation de la bombe à Hiroshima ET Nagasaki, mais les termes en seront-ils biaisés, c’est en tout cas ce que peut sous-entendre ta critique ?

Le film Oppenheimer passe effectivement quand même bien vite sur les morts de Hiroshima et Nagasaki, qui sont un peu escamotés si je puis dire. En ce sens, le film perpétue à mon avis le narratif traditionnel qui veut que la Bombe ait mis fin à la Seconde Guerre mondiale et ait finalement permis d’économiser des vies humaines, en rendant non nécessaire un débarquement des Américains au Japon. Or les choses sont quand même plus complexes que cela, et il existait des alternatives. Mais le film est un biopic sur Oppenheimer et il est possible que lui-même ait été totalement persuadé de cela, donc on peut comprendre que dans ce sens ce soit un choix narratif. Mais je tique quand même un peu sur cet aspect là du film, oui.

 

Oppenheimer à la fin de sa vie, notamment avec l’apparition de l’effroyable bombe H, c’est aussi une histoire de rédemption ?

Je n’utiliserais pas le terme de rédemption. Plutôt de prise de conscience. Oppenheimer a eu des remords d’avoir développé la bombe atomique, mais peut-être davantage par rapport à la course aux armements qui s’en est suivie que par rapport aux morts d’Hiroshima et Nagasaki. Il s’est opposé pour cette raison à la bombe H.

 

Quel premier bilan tires-tu de l’édition des versions japonaise et américaine de La Bombe, notamment au niveau de l’accueil critique ?

C’est un peu trop tôt pour répondre car l’album est sorti depuis seulement huit jours aux États-Unis, et cinq jours au Japon, nous n’avons encore aucun chiffre. Mais sur les réseaux sociaux, cela commence à bouger pour l’édition anglaise et les avis sont très positifs.

 

Est-il prévu que dans le cadre de la campagne promotionnelle, Christopher Nolan, Cillian Murphy (qui joue Oppenheimer dans le film), Robert Downey Jr (qui interprète Strauss) et des cadres du film soient approchés, ne serait-ce que pour le leur faire découvrir ?

Nous y avons pensé bien évidemment, et notre éditeur Abrams allait tenter de faire jouer ses relations pour en filer un exemplaire à Cillian Murphy. Ça aurait de la gueule, s’il posait avec notre album ! Mais les chances que ça arrive me semblent quand même faibles.

 

Si tu devais adapter La Bombe (d’ailleurs est-ce en projet ?) comment t’y prendrais-tu ? Un focus sur la vie de Leó Szilárd peut-être, sans doute le personnage humain le plus important de ton ouvrage ? Ou bien estimes-tu que, par exemple, la série Manhattan - avec, donc, Oppenheimer fait déjà très bien le job ?

Un grand producteur français avait pris une option sur les droits, mais cela n’est pas allé plus loin pour l’instant. Le film sur Oppenheimer a clairement été un handicap à ce niveau-là car un tel projet n’est déjà pas facile du tout à monter. Alors quand on sait qu’en plus Christopher Nolan est en train de travailler sur le même sujet, ça devient quasiment mission impossible. Je pense qu’il va falloir attendre maintenant un peu de temps pour que l’effet du film retombe et qu’un producteur se dise que finalement, nos histoires ne sont pas si semblables que ça. Mais, même si je suis un grand fan de cinéma, je pense que le format idéal pour une adaptation de notre roman graphique, ce serait d’en faire une série. C’est impossible de faire tenir toute cette histoire dans un film de trois heures ! Il faudrait bien huit épisodes, je pense.

 

Tes projets, tes envies surtout pour la suite ?

Il y en a pas mal sur le feu...

Les Piliers de la Terre

Dans un futur assez proche, il va y avoir l’adaptation du roman de Ken Follett, Les Piliers de la Terre. Le premier tome sort le 11 octobre chez Glénat, avec Steven Dupré aux dessins et Jean-Paul Fernandez aux couleurs. C’est un très beau projet, très enthousiasmant. C’est mon roman préféré et cela faisait des années et des années que je souhaitais l’adapter. Ken Follett n’a jamais été adapté en BD, pour aucun de ses romans. Etre le premier scénariste à réaliser une telle adaptation me remplit de fierté. Il s’agit d’une grande fresque épique se déroulant en Angleterre au Moyen-Âge, basée sur des faits historiques à partir desquels lauteur a bâti un récit d'une force extraordinaire. Alors qu’une guerre civile déchire le pays suite à la mort du Roi qui n’avait pas d’héritier légitime, nous allons suivre les fascinants destins entremêlés d’un maître bâtisseur modeste mais aux grands rêves, d’un orphelin agile et détenteur d’un lourd secret, d’une Lady déchue et revancharde, et d’un prêtre charismatique et ambitieux sur une cinquantaine d’années durant lesquelles une cathédrale va être bâtie. Au menu : de la passion, de l’amour, de la Foi, des drames, de la vengeance, des trahisons, des combats, des secrets, des chantiers, des meurtres, du courage, de la mort, de la vie, de l’abnégation, de la résilience… Il y a tout ce que j’aime dans ce roman ! On y apprend également plein de choses, car l’auteur s’est extrêmement bien documenté sur le Moyen-Âge et nous le fait vivre comme si nous y étions, et notamment ce passage de l’architecture romane à l’architecture gothique.

Ensuite il y aura, dans la collection "Coup de tête", chez Delcourt, un one-shot La diplomatie du ping-pong avec Alain Mounier aux dessins et couleurs. Il s’agit d’un bon-one shot donc, d’environ 110 pages, sur ce qu’on a appelé la "diplomatie du ping-pong, une histoire véridique mais que j’ai quand même romancée en bonne partie. L’histoire navigue entre les États-Unis et la Chine, sur fond de guerre froide et de Flower Power, dans les années 70. C’est une très simple mais formidable histoire d’amitié réelle entre un pongiste américain et un pongiste chinois, et qui, via le sport, a sans doute changé, un peu, la face du monde. Le personnage principal (qui a vraiment existé) est haut en couleurs et on navigue entre concert rock, championnats mondiaux de tennis de table au Japon, les bars interlopes de Hong-Kong by night, la Grande Muraille de Chine, le Communisme à la gloire de Mao, la Maison blanche et même un zeste de Pakistan et un soupçon de catch ! Cela sortira sans doute début 2024.

Les Damnés de l'or brun

Il y a également la suite des Damnés de l’or brun qui va sortir je pense début 2024 chez Glénat, avec toujours Francis Valles aux dessins, Christian Favrelle à la couleur, et le scénario est co-écrit avec Fabien Rodhain. Le tome 2 se déroule cette fois à Sao Tomé, en 1850.

J’ai également un dyptique qui sortira chez Bamboo, qui s’intitulera Whisky San et qui raconte la biographie romancée de Masataka Takesturu, fondateur de la marque de whisky japonais Nikka. Il quitta le Japon en 1918 pour aller étudier en Écosse l’art de la distillerie. Ce sera une histoire très positive ("feel good") sur l’accomplissement de ses rêves. Le scénario est à nouveau co-écrit avec Fabien Rodhain, Alicia Grande se charge des dessins et couleurs de Tanja Cinna. Sortie vers la mi-2024 je pense.

Egalement un album qui me tient beaucoup à coeur : un album Aire Libre (Dupuis) sur une histoire d’amour entre deux soldats (hommes) durant la Seconde Guerre mondiale, sur fond de discriminations et chasse aux sorcières à l’encontre des homosexuels. Dessins et couleurs de Bernardo Munoz. Cela sortira probablement également à la mi 2024.

Golgotha

Il y a aussi le tome 2 de Golgotha. On continue ce péplum fantastique avec LFB au co-scénario, Enrique Breccia aux dessins et Sébastien Gérard aux couleurs. Ça sortira chez Soleil, mais l’album avance lentement, et il est difficile de dire quand.

Et dans un tout autre genre, le tome 12 des aventures de Léa Olivier avec Borecki aux dessins et Drac et Dumaye aux couleurs. Cela sortira dans quelques mois, chez Kennes Editions.

J’ai encore d’autres projets mais à des stades plus embryonnaires et il est trop tôt pour en parler...

(Interview datée du 19 juillet 2023)

 

Alcante

Avec Robert Oppenheimer.

 

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