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Paroles d'Actu
30 décembre 2024

Bernard Violet : « Delon a façonné un personnage dont il a fini par devenir prisonnier »

La disparition, à 88 ans, d’Alain Delon au cœur de l’été fut à l’évidence un des évènements marquants, sur le plan culturel, de cette année 2024 qui s’achève. Delon, c’était un grand acteur, mais c’était aussi un magnétisme étonnant, que n’expliquait qu’en partie son physique avantageux. J’ai eu il y a un peu plus de trois mois la chance d’interviewer Samuel Blumenfeld, critique cinéma au Monde, pour un regard conjoint - et critique - sur les carrières cinématographiques d’Alain Delon et de Jean-Paul Belmondo.

 

Pour ce dernier article de l’année (sans doute), je vous propose le fruit d’un autre entretien, différent : l’objet en est toujours Delon, mais vu cette fois, principalement à travers le prisme non de son œuvre, mais de sa vie - à supposer que l’un et l’autre puissent être distingués. Pour ce faire, j’ai lu Les derniers mystères Delon (Robert Laffont, novembre 2024), un ouvrage très documenté, une véritable enquête qui a pas mal fait parler il y a quelques semaines. Dans la foulée, j’ai pu interviewer son auteur, Bernard Violet. Et je dois dire que ce biographe, redouté des grandes stars, s’est montré avec moi d’une grande gentillesse, je l’en remercie.

 

Si vous voulez en savoir plus sur Delon, qui fut dans sa jeunesse un des personnages les plus fascinants de la culture française, mieux en connaître le clair ET l’obscur, alors ce livre est fait pour vous. Bonne fin d’année à toutes et tous ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (fin décembre 2024)

Bernard Violet : « Avec le temps,

 

Delon a façonné un personnage dont

 

il a fini par devenir prisonnier »

Les derniers mystères Delon (Robert Laffont, novembre 2024).

 

Bernard Violet bonjour. Y a-t-il eu des hésitations, de votre part et de celle de votre éditeur, avant la parution de ces Derniers Mystères Delon ? La version publiée est-elle exactement celle que vous aviez écrite, celle que vous avez voulue ?

 

En 2000, les premiers Mystères Delon s’étaient imposés comme un best-seller, dépassant la barre des 100 000 exemplaires vendus. Pourtant, ils ne racontaient pas toute l’histoire. Je n’avais pas pu en effet tout écrire, par crainte de représailles judiciaires de la part du très procédurier Samouraï.

 

Près de 25 ans plus tard, une nouvelle version, intitulée Les Derniers Mystères Delon, a finalement vu le jour chez Robert Laffont. Mon éditeur a peut-être misé sur mon regard expérimenté pour apporter une perspective inédite. Ce livre est très différent du précédent, tant par son style que par sa tonalité. Plus distanciée, la nouvelle biographie n’hésite pas à manier l’humour, tout en dévoilant de nombreux faits inédits sur la star et son entourage, toujours omniprésents dans l’actualité.

 

De nombreux commentaires post-parution ont mis l’accent sur la bisexualité d’Alain Delon dans sa jeunesse, point que d’ailleurs vous n’affirmez pas catégoriquement mais que vous estimez probable sur la base d’un faisceau d’indices et de témoignages. Les réactions vous ont-elles surpris, et en quoi pensez-vous que cette bisexualité si elle est avérée dit quelque chose de Delon, et pas uniquement de sa vie intime ?

 

L’une des révélations phares de la nouvelle biographie a en effet fait grand bruit : la bisexualité d’Alain Delon. Bien que connue de certains cercles, cette réalité n’avait jamais été exposée publiquement. C’est Le Parisien/Aujourd’hui en France qui, à la sortie du livre, a choisi de mettre en lumière cet aspect. Mais les autres médias se sont contentés de reprendre cette information sans même lire mon ouvrage. La paresse journalistique…

 

Quoi qu’il en soit, mes affirmations reposent sur plusieurs témoignages recoupés et fiables. En même temps, soyons clairs : Delon était un adulte consentant, libre de ses choix. Mais, à l’époque, il lui était impensable de parler de sa bisexualité. Cela aurait grandement contredit l’image qu’il projetait : celle d’un symbole absolu de la virilité.

 

Au-delà des témoignages que j’ai recueillis, il y a aussi celui d’un biographe de Romy Schneider confirmant cette orientation en se basant sur des confidences reçues de proches de l’actrice. Aujourd’hui, je peux également vous révéler une anecdote et marquante provenant d’une amie intime de Nathalie Delon, qui avait écrit au juge lors de l’enquête sur l’assassinat en 1968 de Stevan Markovic, l’homme à tout faire de l’acteur.

 

Dans ce témoignage, l’amie rapporte une scène troublante survenue lors d’un déjeuner chez Alain Delon. « Avant de passer à table, Alain s’était enfermé dans son bureau avec un homme surnommé Jeannot le Corse. Après son départ, une dispute a éclaté entre Alain et Nathalie. Furieuse, elle a hurlé : ‘‘Tu n’es qu’un jaloux, un pauvre type. J’ai fait de toi un homme, alors que tu n’étais qu’un pédéraste !’’ Alain, imperturbable, a continué son repas comme si de rien n’était. »

 

Ce moment, chargé de tension, illustre l’ambiguïté d’un personnage qui a toujours cultivé le secret, mais dont chaque révélation éclaire un peu plus les zones d’ombre.

 

La beauté rare d’Alain Delon jeune, le magnétisme qui était le sien l’ont évidemment servi. Mais cette beauté a-t-elle été aussi, au cours de sa vie, comme un cadeau empoisonné ? 

 

Alain Delon, figure mythique du cinéma, a mené une existence marquée par la complexité et les contradictions. Cette double, voire triple vie, qu’il a adoptée aura contribué à mon sens à un mal-être profond perceptible par ceux qui l’entouraient. Il se mentait à lui-même et donc aux autres. Était-ce par crainte de confronter sa véritable nature ? Pourtant, sur le thème de l’amour, il s’est souvent montré audacieux, clamant qu’ « en amour, tout est permis ».

 

Delon avait compris très tôt que son physique avantageux était une arme puissante, autant auprès des femmes que des hommes. Il en a tiré parti tout en s’imposant par son intelligence, son ambition et son acharnement au travail. Cela lui a permis de collaborer avec des cinéastes de renom pour des œuvres devenues des classiques. Toutefois, cette beauté s’est parfois révélée être un fardeau, notamment lorsqu’il a cherché à s’en affranchir, comme dans Le Professeur de Valerio Zurlini (1972).

 

>>> Le Professeur <<<

 

Delon a vous le suggérez voulu réécrire son histoire, sans doute pour mieux écrire sa propre légende. À quels sujets cela est-il le plus évident ? L’Indochine par exemple ?

 

Comme beaucoup de célébrités, Delon a souvent enjolivé sa propre histoire. Il aimait inventer des récits valorisants, comme celui de son passage en Indochine, où il fut pourtant renvoyé de la Marine pour indiscipline et chapardages. Des anecdotes qu’il aurait parfois puisées dans des livres, une pratique qu’il partage avec d’autres comédiens. François Périer, par exemple, avait intitulé ses mémoires Profession : menteur.

 

Cependant, chez Delon, ce phénomène va plus loin. Avec le temps, il a façonné un personnage qu’il a fini par incarner pleinement, jusqu’à en devenir prisonnier. Reste à savoir s’il a choisi des rôles à son image – souvent des rebelles ou des truands – ou s’il a cherché à ressembler à ses personnages, brouillant encore davantage la frontière entre l’homme et l’acteur.

 

Parmi les témoignages très intéressants de votre ouvrage, celui de France Roche, avec notamment cette phrase très parlante que j’ai relevée : "À ses débuts il faisait la cour à tout le monde. Il pensait évidemment à sa carrière. Lorsqu’il a estimé être arrivé, il est devenu infect." C’est aussi votre analyse ?

 

France Roche, critique acerbe, résumait Alain Delon en des termes tranchants. Elle n’était pas la seule. À travers mes nombreuses rencontres, j’ai noté que beaucoup admiraient l’acteur, mais beaucoup moins l’homme. Une opinion partagée jusque dans son propre entourage professionnel.

 

Conscient très jeune du pouvoir de la séduction, Delon a appris à manipuler : flattant les vanités, comblant les attentes avec des cadeaux somptueux. Mais derrière cette façade de conquérant se cachait un individualisme assumé.

 

L’utilisation de la troisième personne pour parler de lui-même – une habitude née en 1969 avec Borsalino – illustre cet égotisme. C’est à cette période qu’il adopte une posture plus dure et intransigeante, marquée par une personnalité parfois cassante.

 

Vous développez des éléments au moins aussi instructifs que sur sa bisexualité présumée, à propos de ses rapports personnels, notamment avec, disons cela pudiquement, de "mauvais garçons". Si l’on doit reconnaître une qualité, un trait honorable à Delon, c’est sans doute sa grande fidélité en amitié. Ses amitiés l’ont sans doute bien servi à ses débuts. Ont-elles pu lui nuire par la suite ?

 

Dès sa jeunesse, Delon a entretenu des relations étroites avec des voyous, animées par un goût de la transgression et le besoin de combler l’absence d’un père. L’image paternelle, rapidement effacée par une mère autoritaire, aurait laissé un vide qu’il a cherché à combler dans ces amitiés à la fois viriles et dangereuses.

 

Son cercle s’est ensuite élargi à des figures issues des milieux yougoslaves, des hommes aussi charismatiques qu’encombrants. Parmi eux, son « ami » Stevan Markovic devenu maître chanteur, aura été l’un des plus problématiques. Leur relation, mêlant fascination et conflit, faillit faire basculer la carrière de l’acteur dans le chaos. Autant de révélations qui contribuent à éclairer les multiples facettes d’une légende du cinéma, oscillant entre lumière et ombre, entre gloire et abîme.

 

Vous proposez d’ailleurs un long développement sur la fameuse affaire Markovic, et faites un tour complet me semble-t-il des pistes étudiées par la justice, avec notamment un témoignage riche du principal suspect du meurtre, François Marcantoni. Sans jamais trancher complètement au final, pas plus que la justice elle-même n’a tranché. Avez-vous à ce sujet une intime conviction ? Delon, qu’il ait été impliqué ou non, a-t-il eu à payer pour les graves retombées politiques qu’elle a eues ?

 

Par honnêteté intellectuelle, j’expose tous les éléments de l’affaire Markovic que j’ai réussi à réunir. Au final, près de 2000 pages et PV et autres rapports judiciaires. Mais ma conviction personnelle est claire :  Delon aurait été victime d’un chantage au sexe, orchestré par Markovic. L’objet du chantage ? Une photo compromettante montrant l’acteur dans les bras d’un jeune prostitué homosexuel, dont le témoignage, long et détaillé, est rapporté dans le livre.

 

Selon ma thèse, Delon, homme de caractère, n’aurait pas cédé à ce chantage. Le rôle d’exécutant d’une punition qui aurait dégénéré serait revenu à Marcantoni. Mais par humilité, je dois aussi avouer que  la vérité définitive, si elle existe, est enterrée avec les protagonistes.

 

>>> Notre histoire <<<

 

Je rebondis sur la phrase de France Roche. À peu près après l’affaire Markovic, après Le Cercle rouge, Delon semble vouloir prendre un contrôle nouveau sur sa carrière. Dès lors il ne fera plus vraiment de grand film, à l’exception de Monsieur Klein et peut-être de Notre histoire. L’égo hypertrophié de l’acteur-producteur (et j’ajoute, businessman plus ou moins avisé) Delon a-t-il été néfaste à sa carrière d’acteur, ou bien imputez-vous ce déclin à un changement dans l’écosystème cinématographique (la disparition d’une génération de cinéastes avec lesquels Delon était plus en phase) ?

 

Delon a brillé sous la direction de réalisateurs d’exception comme Luchino Visconti et René Clément. Pourtant, à partir du moment où il a voulu cumuler les rôles de comédien, réalisateur et producteur, la qualité de ses films a décliné. Par ailleurs, il ne s’est pas rendu compte que le public ne voulait plus de lui, avec pour exceptions notables quelques œuvres qui ont marqué les esprits : Monsieur Klein en effet, et Notre histoire.

 

Quel regard portez-vous, comme biographe et comme spectateur, sur sa carrière, qui au moins pendant les 15 ou 16 premières années, fut remarquable ? L’a-t-il globalement bien menée, avec toutes les nuances apportées plus haut ? Quel est le Delon qui vous "parle" le plus, et quels sont ceux de ses films que vous ajouteriez volontiers à votre panthéon ciné perso ?

 

Les dix premières années de sa carrière, commencée en 1958, demeurent un sommet inégalé, et plus précisément  jusqu’au Samouraï de Jean-Pierre Melville. Un chef d’œuvre grâce à la sobriété des dialogues et son esthétique maîtrisée. Et un rôle magistralement interprété qui a inspiré la fameuse critique de François Mauriac : « Alain Delon ne parle jamais si bien que quand il se tait. »

 

>>> Le Samouraï <<<

 

Alain Delon n’était pas le personnage public qui, spontanément, inspirait la plus grande sympathie. Mais on ne pouvait que la ressentir pour lui, à la fin de sa vie, le sachant très malade et déprimé, avec comme climax pathétique la guerre de succession que se sont livré ses enfants de son vivant. Delon à son crépuscule était touchant, bien malgré lui. Est-ce qu’à d’autres moments de sa vie, cette jeunesse où il se cherche, ou sa première grande histoire d’amour avec Romy Schneider, il vous a touché ?

 

La fin de vie de l’acteur, que je qualifie de « pathétique », pose question. Pourquoi ce choix d’avantager sa fille au détriment de ses deux fils ? Pour moi, une décision d’autocrate devenu star.

 

En revanche, son idylle avec Romy Schneider reste l’un des épisodes les plus fascinants de sa vie privée. Ces deux-là surnommés « les petits fiancés de l’Europe » formaient un couple apparemment idyllique, mais l’amour d’Alain était-il sincère ? J’émets des doutes. Notamment à travers les tensions, les disputes, et autres épisodes troublants qu’on m’a rapportés. Ou à l’image de cette « partouze » à Megève en 1961 que rapporte une note policière inédite évoquant une soirée agitée à l’hôtel du Mont d’Arbois, réunissant Delon, Schneider, et six Yougoslaves, avec à la clé, deux lits cassés et une facture réglée par l’acteur.

 

Même dans les colonnes de Paris Match, les critiques sur le tandem furent parfois acides. Ainsi lorsque Michel Clerc, grande plume de l’hebdomadaire, écrit dans un large portrait de Rocco/Delon : « Romy Schneider, folle de lui, devient son esclave, la fiancée, la couverture romanesque dont il a besoin pour faire pleurer les chaumières. »

 

Y a-t-il encore à vos yeux, de vrais mystères Delon ?

 

Je pense que d’autres révélations vont émerger, moins sur le talent du Guépard que sur ses zones d’ombre. Le pire est peut-être à venir.

 

Si vous aviez pu faire face à Delon, un échange entre quatre yeux, et si alors vous aviez pu lui poser une question une seule, quelle aurait-elle été ?

 

Johnny Hallyday, à qui je demandais en 2003 l’épitaphe qu’il aimerait voir figurer sur sa pierre tombale, m’avait répondu, levant son étonnant regard bleu avant d’articuler d’une voix nette : "Rappelez-vous de moi comme d’un homme sincère". Et vous Alain Delon, pourriez-vous faire vôtre cette magnifique formule de Johnny ?

 

Trois adjectifs pour définir au mieux cet Alain Delon que vous avez tant étudié, et tel que vous croyez l’avoir compris ?

 

Le comédien : surdoué. L’homme : charmeur et démoniaque. Une double facette qui continue de fasciner et d’interroger.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite ?

 

Je travaille sur de nouveaux éléments que j’ai recueillis ces dernières semaines et qui enrichiront une future réimpression de mon ouvrage. Des détails inédits, des pistes non explorées, et des secrets encore bien gardés, à commencer par ceux que je vous ai livrés aujourd’hui. De quoi peut-être relancer le débat autour du personnage magnifique et complexe que fut Alain Delon.

 

Selfie raté, dixit son auteur, mais néanmoins sympathique !

 

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13 décembre 2024

Alain Frèrejean : « Churchill, un maître dans l’art de garder des secrets... »

Combien de pages noircies, combien de livres écrits sur Churchill depuis, au minimum, 1940 ? Bien courageux serait celui qui essaierait d’en faire un recensement exhaustif. Ayant cela en tête, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, ou qu’attendre de plus en commençant la lecture de Churchill le visionnaire (L’Archipel, novembre 2024), écrit de la plume de l’historien Alain Frèrejean. Bonne surprise que cet ouvrage, qui commence par une lumineuse préface d’Hubert Védrine, et qui prend le temps de tout explorer de ce qui importa de la vie et de l’action du Britannique. Un récit agréable, avec des focus bienvenus sur ses intuitions, remarquables, sans rien occulter de ses mauvaises idées ou erreurs de jugement. Un homme qui, non content d’être dans l’Histoire, la fit plus que tout autre peut-être au XXème siècle. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (début décembre 2024)

Alain Frèrejean : « Churchill, un maître

 

dans l’art de garder des secrets... »

 

Churchill le visionnaire (L’Archipel, novembre 2024).

 

Alain Frèrejean bonjour. Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre d’écrire cette nouvelle bio d’un homme, Churchill, qu’on a déjà tant raconté ?

 

D’abord, parce que Churchill a été un homme exemplaire. Et que le souvenir de grands hommes, d’hommes de bien, d’hommes qui ont su prévoir l’avenir et se concentrer sur l’essentiel, comme Roosevelt, Truman, de Gaulle et lui, cela fait du bien. Si nos contemporains s’inspiraient davantage de Churchill, nous aurions moins à souffrir de leur vision à court terme et de leur égocentrisme.

 

Ensuite, j’ai voulu lever le voile sur certains aspects peu connus de son parcours : sa passion de l’aventure, de l’aéroplane, de la peinture, sa vie familiale, ses amours et ses amitiés, sa curiosité pour les inventions. Mais aussi sur ses chagrins et ses erreurs, comme ses rapports avec Tito, le drame de Varsovie, l’Opération Impensable ou la famine du Bengale. Car Churchill n’est pas seulement un visionnaire et un pragmatique, c’est aussi un émotif, dont la vie se lit comme un roman, plein de dépressions et de rebondissements.

 

L’ancien ministre des Affaires étrangères et diplomate respecté Hubert Védrine vous a offert la préface du livre. Parlez-nous un peu de cette rencontre ?

 

Hubert Védrine avait déjà gracieusement préfacé mes Discours des prix Nobel de la Paix. Avec la même grâce, il vient d’honorer d’une superbe préface Churchill, le visionnaire. Pourtant, je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai correspondu avec lui que par courrier et téléphone. Si j’ai eu le culot de lui demander ces préfaces, c’est que les écrits de Védrine m’ont toujours emballé. J’admire sa finesse d’analyse, son ouverture d’esprit, son absence de préjugés, son aptitude à concilier, comme Churchill, vision du monde et pragmatisme.

 

Churchill a perçu très tôt, vous l’expliquez fort bien, les dangers qu’allaient représenter le bolchevisme puis le nazisme. Avait-il la passion des libertés telles qu’on les concevait dans l’Empire britannique d’alors (y compris s’agissant de l’équilibre des puissances en Europe) ? Était-il fondamentalement un ennemi des idéologies ?

 

À mes yeux, Churchill n’est pas un homme de parti. Tour à tour, il a été député conservateur, libéral, puis à nouveau conservateur. Et, de 1940 à 1945, il a dirigé sans aucune bavure un gouvernement de coalition associant conservateurs, libéraux et travaillistes.

 

C’est un démocrate convaincu. Chaque fois qu’il a été mis en minorité, il s’est incliné. Et, lorsqu’il a été ministre de l’Intérieur, il a été tourmenté par la crainte de se tromper chaque fois que se posait la question d’exercer ou non le droit de grâce. Pour autant, ce n’est pas un fanatique des libertés, car il s’est longtemps opposé au droit de vote des femmes ainsi qu’à l’indépendance de l’Inde, et il a apprécié la dictature de Mussolini au début des années 1920.

 

Il a toujours été anticommuniste. Mais, à deux reprises, par pragmatisme, il a mis son anticommunisme au placard. D’abord, de 1941 à 1945, lorsqu’il lui a semblé un moindre mal que le nazisme. Puis, de 1953 à 1955, lorsqu’il a tenté de négocier un modus vivendi avec les successeurs de Staline.

 

Y avait-il à cet égard, au-delà des intérêts particuliers des pays, unité de vues entre Londres et Washington ?

 

De 1919 à 1941, la majorité des Américains, à l’instar de Ford, de Lindbergh et de Joe Kennedy, est plus favorable aux Allemands qu’aux Anglais. Tandis que Churchill prend dès 1932 feu et flammes contre le péril nazi, Roosevelt n’en prend conscience qu’en 1938 et le peuple américain qu’en décembre 1941. De même, en 1945, tandis que Truman et les Américains sont obsédés par la guerre contre le Japon, Churchill est obsédé par l’asservissement des Polonais au joug de Staline.

 

L’élément le plus intéressant de votre ouvrage réside à mon avis dans l’exposition précise et détaillée de toutes les intuitions que Churchill a pu avoir, s’agissant notamment de l’importance des chars en tant qu’unité compacte et de l’aviation en temps de guerre moderne, mais aussi de ce qu’il a entrepris et encouragé en matière de stratégies audacieuses, de décryptage de codes, de subterfuges en tous genres pour tromper l’ennemi... Combien de ses initiatives ont été décisives pour le cours de la Seconde Guerre mondiale ?

 

Sa première initiative est sans doute d’avoir refusé l’offre d’Halifax de demander l’armistice à Hitler par l’intermédiaire de Mussolini.

 

La seconde est d’avoir sans relâche resserré les liens avec Roosevelt, auquel Churchill a, en cinq ans, adressé plus de 1700 lettres et messages, et qu’il est allé rencontrer huit fois, dont cinq en Amérique.

 

La troisième a été son alliance avec Staline, marquée aussi par quatre rencontres, dont deux en tête-à-tête à Moscou.

 

Et la quatrième, qui a certainement raccourci la guerre d’un an, est le soutien qu’il a apporté à Alan Turing pour développer et dissimuler le système Ultra de déchiffrement des messages codés adressés par la Kriegsmarine à ses U-boote chargés de torpiller dans l’Atlantique les transports alliés de troupes et de matériel.

 

Peut-on dire que, pour ce qui concerne Churchill, la France doit une fière chandelle à Strasbourg (qui l’avait particulièrement marqué dans sa jeunesse), et ladite ville une fière chandelle à l’ex-Premier ministre britannique ?

 

La France doit plusieurs chandelles à Churchill. D’abord, Churchill a “inventé” de Gaulle, qu’il a armé, financé et « lancé comme une savonnette » selon les propres paroles de de Gaulle. Puis, en janvier 1945, Churchill a sauvé Strasbourg d’une contre-offensive allemande en intervenant auprès d’Eisenhower pour annuler son ordre d’évacuation de l’Alsace. Enfin, à Yalta, il a arraché à Staline et Roosevelt leur accord pour octroyer à la France une zone d’occupation en Allemagne ainsi qu’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, avec droit de véto.

 

Si par extraordinaire vous pouviez poser une question à Sir Winston, quelle serait-elle ?

 

Si je pouvais rencontrer Churchill, je lui demanderais comment il a réussi l’exploit de préserver le secret sur des points essentiels.

 

Certes, on sait que, grâce à l’Opération Fortitude et aux ruses de Pujol, il a réussi à faire croire à Hitler pendant trois semaines capitales que le débarquement en Normandie était une simple diversion et que les Alliés allaient incessamment débarquer en  force aux Pas de Calais. Mais comment a-t-il pu préserver le secret sur le débarquement en Afrique du Nord ? Sur le fait que, grâce en partie aux secrets qu’il avait transmis à Roosevelt, les Américains préparaient des bombes atomiques ? Et comment a-t-il fallu attendre vingt ans pour apprendre que, grâce au système Ultra et à l’équipe de Bletchley Park, les Anglais déchiffraient tous les messages envoyés par les Allemands à leurs sous-marins ? Et trente ans pour apprendre que Churchill a demandé en juin 1945 à son état-major de planifier une guerre contre Staline pour libérer la Pologne, l’Operation Unthinkable, l’Opération Impensable ?

 

Monsieur Churchill, comment avez-vous réussi à préserver si longtemps le secret ?

 

Il y a une autre question que je me garderais cependant de lui poser : sur son absence et celle de sa femme, suite peut-être à une dépression, aux obsèques de leur fille Diana, lorsque celle-ci s’est suicidée.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite, M. Frèrejean ?

 

Des tournées de conférences dans des maisons de retraite pour seniors sur des sujets particuliers de l’œuvre et de la vie de Churchill, tels que « Churchill et la peinture, comme passe-temps et remède contre la dépression ».

 

Source : Babelio.

 

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11 décembre 2024

Alcante : « 2024 aura peut-être été ma meilleure année professionnelle »

Le formidable scénariste de BD Didier Swysen, alias Alcante, compte depuis quelques années maintenant parmi les invités qui toujours répondent à l’invitation de Paroles d’Actu, et je l’en remercie. En cette fin d’année, à l’occasion de la parution chez Glénat du tome 2 de son adaptation graphique des fameux Piliers de la terre de Ken Follett, il a accepté de s’exprimer longuement sur les coulisses de ce volume, et de tirer un bilan de son année 2024 qui, au moins à titre pro (le reste ne me regarde pas ^^), fut très riche. Si vous aimez l’univers de Follett, le médiéval, ou tout simplement les grandes histoires, vous aimerez forcément Les Piliers à la sauce Alcante. Je le salue, ainsi que ses talentueux compères Steven Dupré, Jean-Paul Fernandez, Nicolas Ruffini-Ronzani... sans oublier Quentin Swysen. ;-) Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

>>> À (re)lire aussi, le premier article Paroles d’Actu

sur Les Piliers de la terre (2023) <<<

 

Les Piliers de la terre : Le feu de Dieu (Glénat, octobre 2024).

 

Alcante : « 2024 aura peut-être été

 

ma meilleure année professionnelle »

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

 

Didier bonjour. Franchement, avoir, dans toutes les (bonnes) librairies, le tome 2 des Piliers de la terre avec pour couverture une cathédrale qui flambe, alors qu’en France on rouvre Notre-Dame martyrisée, c’est pas du racolage ? Alcante, opportuniste ? ;-)

 

Haha ! C’est clair que la coïncidence est assez incroyable. :-) Pour m’amuser, j’ai d’ailleurs fait un post Facebook dans lequel je faisais passer la réouverture de Notre-Dame pour une action marketing de notre part afin de célébrer la sortie du tome 2 ! Je remercie d’ailleurs Emmanuel Macron, Anne Hidalgo et le Pape François pour leur collaboration !

 

Tu as évoqué longuement lors de notre première interview, la conception du premier tome, des travaux préparatoires jusqu’aux touches finales. Quelles sont les difficultés, les écueils à éviter pour un bon tome 2 ? Raconte-nous un peu les coulisses de celui-ci ? S’est-il construit dans la foulée du premier ?

 

Oui, après le T1, j’ai assez rapidement enchaîné avec le T2, tout comme d’ailleurs j’ai enchaîné sur le T3 après le T2. Le T1 a vraiment bien marché, donc on était tous assez enthousiastes pour cette suite. Tout le travail préparatoire avait déjà été fait pour lancer le T1, à savoir la maquette 3D du prieuré et de la cathédrale (réalisée par mon fils), le fait d’avoir trouvé un historien médiévaliste qui nous aide, toutes les recherches de personnages pour Steven etc. Donc il n’y a pas eu de difficultés pratiques rencontrées sur cet album, pour sa réalisation. Ou alors juste le timing qui était quand même fort serré (d’ailleurs finalement on a sorti l’album une semaine plus tard que le T1).

 

Au niveau de l’histoire, le tome 1 était un très bon tome d’introduction, avec déjà pas mal d’action, mais maintenant pour ce T2, il faut encore davantage entraîner le lecteur dans un tourbillon d’action, il faut que tout s’enchaîne bien, que les tensions augmentent encore d’un cran, etc, et de ce côté-là le tome 2 ne déçoit pas, je pense. Tom le bâtisseur et le prieur Philip doivent lutter contre un terrible incendie, puis contre les Hamleigh et l’évêque Waleran qui manigancent contre eux. Aliena et Richard se retrouvent sans ressources et à la merci de la violence... Je pense que le lecteur s’attache à beaucoup de personnages car il leur arrive plein de coups du sort contre lesquels ils doivent se défendre, alors qu’ils sont tout le temps en position de faiblesse : pauvres contre riches, prieur contre évêque, jeunes adolescents contre adultes etc. En tous cas, toutes les réactions des lecteurs sur les forums ou en dédicaces sont d’ailleurs vraiment très bonnes. De même pour les retours des libraires.

 

Au niveau des coulisses, je peux parler de deux points qui nous ont donné du fil à retordre...

 

Le premier (!!! attention spoiler !!!) c’est la manière dont Jack sort de la cathédrale dans laquelle il a été enfermé et alors que celle-ci est en feu et menace de s’écrouler. Dans le roman, Jack sort en fait par la tour qui était déjà en partie effondrée, mais cela posait plusieurs soucis. Le premier, c’est que ça semblait vraiment terriblement risqué car il allait devoir descendre le long d’une façade sur une hauteur de 20 mètres. Certes la façade était très abimée et donc avec des points d’appuis, mais quand même ça nous semblait un parcours vraiment trop "casse-cou". En fait, on aurait peut-être dû représenter cette tour différemment pour rendre cette scène plus crédible, mais nous n’y avions pas pensé lors de l’élaboration du tome 1. Mais même si on y avait pensé, il y aurait eu un autre problème : logiquement les moines et les serviteurs et visiteurs se seraient amassés dans la cour devant l’église lors de l’incendie, et ils auraient alors forcément vu Jack descendre, ce n’est pas possible autrement. Bref, quand on lit la scène dans le roman, ça marche très bien, mais quand on essaye de la représenter de manière crédible, c’est un vrai casse-tête ! D’ailleurs, tant les réalisateurs de la série télé que ceux du jeu vidéo ont eu visiblement le même problème car dans les deux cas, ils ont escamoté cette scène ! Dans la série télé, Jack finit par sortir tout simplement par la porte, sans que personne ne le remarque, profitant de la confusion (ce qui semble peu probable ou réaliste). Tandis que dans le jeu vidéo, ils ont fait encore plus simple : on voit Jack au sommet de la tour en flammes, regardant vers le bas (la tour effondrée), et on se demande bien comment il va pouvoir descendre... et hop l’image d’après on passe à autre chose et on le retrouve en bas sans savoir du tout comment il a bien pu se débrouiller :-) ! Finalement, nous, nous l’avons fait sortir par une fenêtre de la tour (les autres fenêtres étant inaccessibles), il se laisse ensuite tomber sur le toit du cloître et puis marche sur celui-ci (côté cour intérieure), et sort ensuite par le côté sud du cloître. Honnêtement, c’est nous qui avons fait le parcours le plus réaliste :-) !

 

Le deuxième point un peu délicat, c’était les plans de la future nouvelle cathédrale, que Tom réalise et va présenter à Philip. Dans le roman, ils sont décrits en détails mais ce n’était pas évident, loin de là, ni de comprendre (car il y a pas mal de termes techniques) ni de les visualiser et encore moins de les représenter de manière réaliste. Pour ce faire, je suis alors entré en contact avec Pascal Pigeot, le responsable du site RomanGothique.fr, un site qui fourmille de photos et d’explications sur les cathédrales romanes et gothiques. Je lui ai expliqué notre souci et lui ai demandé s’il pouvait nous aider, et il a été extrêmement gentil et utile, en nous donnant toutes sortes d’explications et en dessinant lui-même les plans qu’on voit aux pages 52 et 53 de l’album. C’est pourquoi nous le remercions à la fin de l’album. Là aussi je suis assez fier de dire que nos plans sont plus fidèles au roman, et plus réalistes, que ceux montrés dans la série télé :-)

 

Intéressants éléments de coulisses ! Quelques éléments supplémentaires du contexte et de l’intrigue, pour inciter nos lecteurs à s’emparer de ce tome 2 des Piliers ?

 

Eh bien, à la fin du tome 1, les Hamleigh avaient attaqué et pris le château du Comte Bartholomew de Shiring, et fait prisonnier celui-ci. Cela a eu comme conséquence que Tom et sa famille, qui venaient d’être engagés par le comte, se retrouvent de nouveau à devoir errer sur les routes pour trouver de quoi subsister. De même, Aliena et Richard, les enfants du Comte déchu, doivent apprendre à survivre seuls, eux qui ont été habitués au grand luxe. Aliena va devoir faire face à William Hamleigh, qu’elle avait humilié en refusant de l’épouser, et il a la dent dure... Quant à Tom et sa famille, ils vont arriver au prieuré de Kingsbridge. Ils espèrent pouvoir y être engagés car ils ont appris qu’un nouveau prieur vient d’y arriver, et que celui-ci veut redynamiser ce centre religieux. Malheureusement, celui-ci n’a pas d’argent pour les engager et ils devront repartir le lendemain... Mais durant la nuit, un violent incendie éclate et ravage la cathédrale. Sa reconstruction va alors donner lieu à des tensions entre le prieur et l’évêque mais aussi les Hamleigh, chacun ayant des intérêts différents...

 

Est-ce que pour toi cette histoire a des résonances par rapport à notre actualité des années 2020 (en-dehors de la cathédrale en feu bien sûr) ? 

 

Arf... Joker ! Je réponds par quelque chose qui n’est pas vraiment en rapport avec la question, mais j’ai vraiment une fascination pour ces bâtisseurs médiévaux. Quand on pense aux gigantesques cathédrales qu’ils ont réalisées sans ordinateur, sans électricité, sans calculatrice, etc... C’est incroyable !

 

À quand une collaboration plus directe avec Ken Follett, qui ne tarit pas d’éloges sur votre travail ? Partager le rôle de scénariste avec lui pour un projet en commun, pourquoi pas ?

 

Je ne pense pas que ce soit vraiment de l’ordre du possible, mais qui sait... ? J’aimerais bien en tous cas pouvoir le rencontrer et échanger avec lui, certainement ! Et peut-être lancer une adaptation d’un autre de ses romans...

 

 

Question liée : en quoi dirais-tu que ton travail de scénariste se rapproche, ou bien s’éloigne de celui du romancier ?

 

Ce qu’il y a de semblable, c’est que nous devons imaginer une histoire avec des rebondissements, du suspens, des personnages crédibles. On partage aussi le fait qu’on doit chercher de la documentation souvent, en tous cas pour les histoires historiques, mais même dans d’autres cas. On doit avoir une certaine curiosité intellectuelle.

 

La grosse différence évidemment, c’est qu’un romancier travaille seul, tout ce qu’il écrit a vocation d’être lu par les lecteurs, donc il doit soigner la moindre phrase. De notre côté, nous les scénaristes de BD, nous travaillons avec des dessinateurs et finalement la seule chose que nous écrivons et qui est lue par les lecteurs, ce sont les dialogues de nos personnages. Tout ce qui est descriptif est lu par le dessinateur et transposé en dessin par celui-ci. C’est à travers le dessin que le lecteur va ressentir une certaine atmosphère, percevoir les décors, etc.

 

Donc dans un certain sens, les scénaristes vont sans doute plus droit au but, car une partie du boulot va être faite par les dessinateurs (et les coloristes). Souvent d’ailleurs quand je lis un roman, je me fais la réflexion que je pourrais résumer 100 pages de roman en quelques pages de BD ! C’est ça la force du dessin. Comme on le dit "un petit dessin vaut mieux qu’un long discours"... ^^ Mais je ne cherche pas du tout à dénigrer les romanciers, j’ai beaucoup d’admiration pour les "belles plumes".

 

Du nouveau s’agissant de tes rêves d’adaptation audiovisuelle ? Quid de la possibilité, qui serait aussi chouette à mon avis, de travailler avec des gens de l’animation pour un long-métrage qui adapterait une de tes BD ?

 

C’est une possibilité, et d’ailleurs pour La Bombe, on est en train d’explorer cette voie-là avec un producteur qui a pris une option sur les droits.

 

Qu’as-tu envie de dire à celles et ceux qui prétendent encore que la BD, ce n’est que pour les gamins ?

 

Haha ! Je n’ai pas envie de leur dire grand chose en fait. ^^ Quand on voit tout ce qui se fait et tout ce qui s’est déjà fait en BD, il faut vraiment ne rien y connaître ou être de mauvaise foi pour dire ça. Si c’est par méconnaissance, il suffit de leur donner quelques chefs d’œuvre de la BD pour les faire changer d’avis. Mais si c’est de la mauvaise foi, par exemple par une sorte de vision élitiste, là, on ne peut rien faire...

 

Quel bilan tires-tu, à titre professionnel (et personnel si tu le souhaites), de cette année 2024 qui s’achève et qui pour toi aura été intense ?

 

Je pense que professionnellement 2024 aura été peut-être ma meilleure année. En tous cas, je suis très fier de mes sorties : Les Damnés de l’or brun T2, Whisky San (tous les deux coécrits avec Fabien Rodhain), G.I. Gay, La Diplomatie du ping-pong et Les Piliers de la terre, je peux pas me plaindre ! Ça va être dur de refaire une si belle année...

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? 2025, un peu moins de travail ? ;-)

 

Au niveau des scénarios, là je suis justement en train de terminer le T3 des Piliers. J’hésite entre deux options, une avec un peu plus de suspens et d’ambiance; l’autre plus directe mais qui me permettrait de placer un beau flash-back qui figurait bien plus tôt dans le roman... Je me demande si je ne vais pas écrire les deux versions pour pouvoir choisir en connaissance de cause. Ensuite, il y a un très beau projet avec Laurent-Frédéric Bollée et Denis Rodier, mes comparses de La Bombe, ça va bien m’occuper en 2025 mais c’est un peu tôt pour en parler. En fait, j’ai pas mal de projets mais ils sont tous assez embryonnaires pour l’instant. J’aimerais bien réécrire quelque chose de tout à fait inventé aussi, pour me "reposer" un peu de toute cette recherche de documentation.

 

Mais sinon, si vous voulez vraiment me souhaiter quelque chose, j’espère que mes proches et moi garderons la meilleure santé possible, c’est le principal... :-)

 

Un message pour tes camarades des Piliers ?

 

J’en profite pour remercier Steven Dupré, ça fait des années qu’on se connaît, depuis 2004, vingt ans déjà, et je suis super heureux de son travail sur Les Piliers. Je suis très content car c’est moi qui l’ai amené sur le projet, et c’était une très bonne idée. :-) J’adore recevoir ses planches et les agrandir sur mon PC pour voir tous les détails et la finesse de son encrage !

 

Et j’en profite aussi pour remercier Jean-Paul Fernandez qui a fait un super boulot sur les couleurs de ces deux tomes, mais qui ne sera pas sur les suivants car il prend sa retraite, que je lui souhaite la plus agréable possible !

 

Et tant que j’y suis, un tout grand merci aussi à Nicolas Ruffini-Ronzani, l’historien médiévaliste dont l’aide est aussi précieuse qu’agréable !

 

Un dernier mot ?

 

Euh... Joyeuses fêtes de fin d’année à toutes et tous, et ce serait pas mal si les tensions pouvaient un peu retomber au niveau mondial !

 

Interview : début décembre 2024.

 

 

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2 décembre 2024

Luc Mary : « À quoi rêvez-vous, Thomas Pesquet ? »

J’ai eu il y a neuf mois la joie de vous proposer une interview avec l’historien et passionné d’espace Luc Mary, autour de sa bio d’Elon Musk. Depuis, Donald Trump a été élu une seconde fois à la présidence des États-Unis, et son allié Musk a, un peu à la surprise générale, accepté un job dans la future administration républicaine. De cela, de cette histoire encore à écrire, il sera question dans ce nouvel article, fruit d’un deuxième entretien avec M. Mary. Mais on y parlera surtout d’une personnalité beaucoup plus solaire que les deux personnages cités plus haut : le spationaute Thomas Pesquet, sujet (lui aussi passionnant) d’un autre ouvrage fort intéressant et instructif de mon interlocuteur : Thomas Pesquet, l’enfant des étoiles (L’Archipel, juin 2024). Merci à lui pour ses réponses et pour sa disponibilité ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (fin novembre 2024)

 

Luc Mary : « À quoi rêvez-vous,

 

Thomas Pesquet ? »

 

Thomas Pesquet, l’enfant des étoiles (L’Archipel, juin 2024).

 

Luc Mary bonjour. Thomas Pesquet est un modèle formidable pour la jeunesse, et pas simplement pour la jeunesse d’ailleurs : brillant, entreprenant, pugnace, inspirant. À quel moment décide-t-on d’écrire la bio de Monsieur Parfait ? Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette démarche ?

 

Historien des sciences et surtout suivant pas à pas toutes les étapes de l’exploration du Cosmos, j’ai d’abord suivi les traces d’Elon Musk et de Jeff Bezos, les champions du New Space. Après avoir retracé leur épopée, il me semblait naturel de me pencher sur ce «  Tom Cruise de l’espace  » qu’est Thomas Pesquet. A la fois héros des enfants et pionnier d’une nouvelle ère, Thomas Pesquet est en effet un modèle d’excellence. S’il est le dixième français à avoir tourné autour de la Terre, il n’en reste pas moins le premier à avoir su communiquer sa passion pour le Cosmos, mieux encore à avoir réconcilié les Français avec la conquête de l’espace, en la faisant apparaître plus proche, plus humaine et plus concrète, et c’est en cela un grand champion. Car Thomas Pesquet est autre chose qu’un simple spationaute, c’est le champion d’une nouvelle race d’hommes, celle des «  Homo Spatiens  »,  à savoir un colon qui a à la fois le regard tourné vers le lointain Cosmos et vers la Terre, mettant ainsi en garde ces concitoyens contre les dangers de la pollution et du réchauffement climatique à court et à long terme.  Scientifique, technicien mais aussi musicien, sportif et polyglotte, il coche toutes les cases du parfait astronaute. En d’autres termes, la conquête de l’espace n’est pas seulement une aventure technologique, c’est aussi une philosophie de l’avenir.

 

« Thomas Pesquet a réconcilié

 

les Français avec la conquête de l’espace... »

 

Le parcours de Thomas Pesquet tel que vous le racontez est en effet exceptionnel : celui d’une élite intellectuelle qui va se frotter aux plus grandes des exigences physiques et mentales. Ces personnalités-là sont-elles, plus encore qu’il y a trente ou soixante ans, des exceptions qui tranchent avec le reste de l’humanité ?

 

Exceptionnel, Thomas Pesquet l’est évidemment, puisqu’il a remporté un énorme concours à l’échelle européenne. En 2009, seulement six astronautes sur un total de plus de 8 000 candidatures ont ainsi été recrutés par l’Agence spatiale européenne pour participer à la grande aventure de l’ISS, perchée à quelque 400 kilomètres d’altitude. Cela étant, les spationautes ne sont pas des «  surhommes  », seulement des hommes et des femmes qui doivent faire preuve d’une exceptionnelle endurance, d’une solidarité à toute épreuve et d’une réactivité impeccable. « Pour pouvoir aller dans l’espace, il faut savoir rester terre à terre » précise Thomas Pesquet. Car si l’aventure à bord de l’ISS est un privilège, c’est loin d’être un luxe. L’inconfort, l’insécurité et l’exiguïté sont ainsi totales.  On peut même parler de véritable camping sous l’œil de l’infini. Dans le milieu de l’apesanteur, les hommes doivent en effet réapprendre à dormir, à boire et à manger. À seul titre d’exemple, il est impossible de boire de l’eau dans un verre ; il faut l’aspirer d’un sachet au moyen d’une paille. Et la plupart du temps, cette eau n’est autre que de l’urine d’astronaute recyclée. Qui plus est, c’est le dépaysement le plus total. À seulement 400 kilomètres au-dessus du plancher des vaches, il n’y a plus de haut ni de bas, plus de jour ni de nuit, le Soleil se lève toutes les quatre-vingt-dix minutes. Pour couronner le tout, nos aventuriers de l’espace perdent à la fois des muscles, des os, des globules rouges, de l’acuité visuelle et même du capital-vie ! Autant dire que les spationautes, à défaut d’être des gens au-dessus du commun des mortels, sont surtout des êtres doués d’une santé exceptionnelle.

 

 Si vous pouviez, à l’occasion de cette interview, lui poser une question, quelle serait-elle ?

 

Après avoir effectué près de 400 jours dans l’espace au terme de deux longues missions, celles de Proxima avec les Russes, et d’Alpha avec les Américains, respectivement en novembre 2016 et avril 2021, Thomas Pesquet n’est toujours pas rassasié d’espace mais aspire encore à flirter avec les étoiles. Son ambition première est de marcher sur la Lune. Il l’a dit et répété plusieurs fois devant les caméras. D’une certaine façon, pour paraphraser un célèbre publicitaire, je dirais qu’un astronaute qui ne contemple pas la Terre depuis la Lune a raté sa carrière. Jusqu’à présent, seuls douze hommes, douze Américains, ont arpenté l’astre sélène. N’en déplaise aux complotistes, les traces des six missions Apollo (1969-1972) sont toujours imprimées sur le sol lunaire. Ma question à Thomas serait la suivante : ses rêves de conquête spatiale s’évanouiraient-ils s’il n’était pas désigné pour marcher prochainement sur la Lune, disons avant 2030 ? Comment verrait-il alors son avenir ? Grand communiquant devant l’Éternel pour prêcher la colonisation et la connaissance du Cosmos, ou alors aspirerait-il à un rêve encore plus grand malgré tout, celui d’être le premier Français à marcher sur la planète rouge ?

 

« Trump-Musk ? On ne peut imaginer

 

deux Jupiter sur le mont Olympe... »

 

Dans quelle mesure peut-on comparer Thomas Pesquet à Elon Musk, auquel vous avez aussi consacré un livre ? Par ailleurs, Donald Trump, qui vient d’être de nouveau élu président des États-Unis, a nommé son allié Musk à la tête d’une nouvelle administration qui sera chargée de rationaliser les dépenses fédérales américaines. Croyez-vous que ce sera faisable ? Que Musk devra céder le contrôle de certaines de ses sociétés, pour être confirmé ? Et que l’attelage Trump-Musk, deux personnalités fortes qui n’ont pas les mêmes idées sur tout, tiendra ?

 

Même s’ils partagent le même rêve, celui d’explorer l’espace lointain, Thomas Pesquet et Elon Musk sont vraiment aux antipodes. L’un rend l’espace attractif, l’autre veut y transporter toute l’Humanité. Quand Pesquet veut marcher sur la Lune, Musk veut mourir sur Mars. Le premier est astronaute, ingénieur et bardé de diplômes ; le second est un autodidacte patenté mais doué d’une énergie et d’une imagination débordantes. Encore une fois, notre Normand de 45 ans symbolise l’excellence, la rigueur, le courage, le dynamisme et la soif de découvertes. En comparaison, même si on ne peut pas nier l’esprit pionnier et aventurier de l’ex-Sud Africain de 53 ans, Elon Musk se distingue aussi par son éclectisme mais surtout par ses folies et ses extravagances. L’image féérique du Docteur Jekyll du spatial est aussi quelque peu ternie par le Mr Hyde du social ; Elon Musk considère ainsi ses employés comme des pions que l’on peut jeter d’une minute à l’autre. Ces derniers temps, le Walt Disney de l’espace s’est même transformé en un Kissinger un peu déjanté de la diplomatie mondiale. Pour couronner le tout, depuis la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines, Elon Musk a accepté en effet un poste en tant que ministre de l’efficacité gouvernementale. À ma grande surprise. À mon humble avis, cette expérience politique ne durera pas. Elon Musk n’aime ni les règles, ni les normes, contre lesquelles il peste régulièrement quand elles le freinent dans ses affaires. Il pourrait aussi profiter de son poste pour en finir avec ses adversaires, comme Boeing ou Lockheed. Son ambition est aussi de gérer les États-Unis comme il préside X (ex-Twitter), c’est-à-dire en se fichant radicalement du quotidien des Américains. Enfin, Elon Musk a un ego surdimensionné, à l’égal de Donald Trump. Leur collaboration ne peut donc pas tenir à long terme. On ne peut imaginer deux Jupiter sur le mont de l’Olympe. Parions qu’il reviendra vite à ses premiers objectifs, offrir la planète Mars à l’Humanité.

 

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite, Luc Mary ?

 

Depuis la parution de mon livre sur Thomas Pesquet, je n’ai pas quitté le domaine de l’espace. Mieux encore, j’ai pris un billet pour le lointain Cosmos en imaginant un voyage au cœur de notre Galaxie, à près de 1 500 années-lumière de notre berceau céleste. Intitulé Vers l’infini mais pas au-delà, il s’agit d’un vrai routard galactique,  le premier guide touristique interstellaire pour être précis. À bord d’un vaisseau spatial construit d’ici mille ans, nous explorons ainsi toutes les planètes du Système solaire, mais surtout toutes les exoplanètes exubérantes et sidérantes qui gravitent dans un rayon relativement proche. À la fois ludique et scientifique, ce guide d’un genre nouveau répartit ainsi les planètes en quatre catégories, des plus fréquentables aux plus infernales en passant par les plus incontournables et les plus improbables. Ces planètes sont parfois aussi fascinantes qu’étranges. Certaines sont ainsi éclairées par deux soleils quand d’autres sont littéralement collées à leur étoile. D’autres encore interdisent toute implantation d’un club Med ; à l’exemple d’Osiris, une planète infernale tapie à 154 années-lumière où les vents dépassent plus de 10 000 km/h. À l’inverse, d’autres mondes s’avèrent presque aussi hospitaliers que notre vieille planète, comme Kepler 452-b, une super terre cachée dans la constellation du Cygne. Voyez-vous, la conquête de l’espace nous réserve encore plusieurs siècles de surprises. Nous vivons aujourd’hui encore dans la préhistoire de l’exploration du Cosmos…

 

« Nous vivons aujourd’hui encore dans la

 

préhistoire de l’exploration du Cosmos… »

 

 

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