Frédéric Quinonero : « Françoise Hardy ne se considérait pas comme quelqu'un d'important »
Sans lui, je n’aurais probablement pas eu l’opportunité, disons même le privilège inouï, d’échanger avec Françoise Hardy dans les derniers mois de sa vie. Frédéric Quinonero connaissait bien mieux que moi la vie, la carrière de celle qu’il adora dès son adolescence : elle le touchait au cœur, comme personne, en chantant si justement ce que lui vivait. Il écrivit ensuite pas mal de bio de ses idoles, dont Françoise, en 2017. Françoise avec laquelle un échange à distance s’installa, à partir de 2019, alors qu’il avait entreprit d’écrire l’histoire de Jacques Dutronc.
Sa bio de Françoise Hardy, finement intitulée Un long chant d’amour, vient d’être rééditée dans une version actualisée (L’Archipel, juin 2024). Un document rigoureux et en même temps, plaisant à lire, empreint de la tendresse que l’auteur portait à cette artiste exceptionnelle. Un hommage dans le meilleur esprit, hommage auquel je ne peux évidemment que m’associer. Parce qu’on n’a pas fini de découvrir l’œuvre de Françoise Hardy. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU. Q. : 16/06 ; R. : 01/07.
Frédéric Quinonero : « Françoise
Hardy ne se considérait pas
comme quelqu’un d’important »
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Françoise Hardy, un long chant d’amour (L’Archipel, juin 2024)
Frédéric Quinonero, bonjour. On s’y attendait depuis longtemps, ce moment on le craignait, ça y est Françoise Hardy est partie... Raconte-moi un peu comment sa musique était entrée dans ta vie, comment elle avait trouvé sa place dans tes playlists, entre Johnny, Sheila, Sylvie, etc. ?
Enfant, je préférais les chansons de rythme, de préférence joyeuses, et je trouvais Françoise Hardy austère et triste. La première chanson qui m’a accroché et dont j’ai voulu le disque, c’est Message personnel en 1973. J’avais 10 ans. C’est dire si cette chanson avait un potentiel fou, capable de toucher le public le plus large. J’ai découvert le répertoire de Françoise Hardy à l’adolescence, lorsque ses textes ont parlé au cœur d’un amoureux qui passait son temps – comme elle – à attendre désespérément quelqu’un. J’ai découvert alors la magie des chansons tristes, qui sont souvent les plus belles, surtout lorsqu’elles subliment les sentiments humains et élèvent l’esprit. C’est le cas de beaucoup de chansons de Françoise Hardy.
>>> Message personnel <<<
Je suis bien placé pour le savoir : de toutes les personnalités dont tu as dressé le portrait, Françoise était, de loin, celle avec laquelle tu avais su tisser le lien le plus durable. Depuis quand échangiez-vous ? Tu as vraiment pris cela comme un privilège ?
Depuis son départ, j’ai rassemblé tous les mails que nous avons échangés, toute ma correspondance avec elle : elle commence exactement le 13 septembre 2019. J’écrivais alors la biographie de Jacques Dutronc. Nous nous étions ratés lorsque j’écrivais la sienne. Mon éditeur m’avait communiqué une adresse mail qui était obsolète et la lettre que je lui avais adressée via son éditeur ne lui avait pas été remise. Plus tard, elle m’écrira : « Vous pensez bien que si j’avais reçu une telle lettre, j’aurais répondu. » Et on pouvait la croire sur parole. J’hésitais à l’aborder, je la savais malade et craignais de l’importuner. Je cherchais une façon légère et délicate d’entrer en contact avec elle. Je l’ai trouvée un jour en découvrant une chanson que j’aimais beaucoup et qui m’a fait penser à elle : La rose et l’armure d’Antoine Élie. J’ignorais alors qu’elle aussi l’écoutait en boucle depuis quelques semaines – elle parlera de son engouement pour ce titre plus tard dans son livre Chansons sur toi et nous (2021). Elle était très surprise de cette synchronicité. Je n’ai pu m’empêcher d’y voir un signe du destin. Pour répondre à mes questions sur Jacques Dutronc, elle voulait qu’on se rencontre, mais la distance nous séparait, puis le Covid-19. Alors elle répondit à mes questions par écrit. C’est mon plus grand regret : ne l’avoir jamais approchée. En cinq ans, nous avons communiqué sur divers sujets, la musique surtout, Thomas, Jacques, les livres, la politique… Cette correspondance s’est achevée le 25 mai, elle m’annonçait son départ « imminent ». Elle écrivait souvent qu’elle était « aux portes de la mort ». Cette fois c’était vrai.
>>> La rose et l’armure <<<
Elle t’appelait « Quinero », et cela aussi, ça restera. Que retiens-tu de tous tes échanges avec elle ? As-tu réellement appris des choses à son contact direct ?
Elle avait nommé « ITW QUINERO » le fichier word envoyé en 2019 de ses réponses à mes questions sur Dutronc (rires). On m’a rapporté aussi ses propos au sujet de mon livre sur elle : « La biographie de Quinero est juste sur le fond, très bien écrite pour la forme », ce qui venant d’elle était un compliment précieux. En revanche, elle avait interrompu sa lecture au moment où j’évoque un épisode qu’elle ne souhaitait pas voir apparaître et me l’avait fait savoir de façon abrupte, selon son habitude. J’aimais sa franchise, sa sincérité, sa sensibilité. C’est ce que je retiens d’elle. Elle ne raisonnait pas en termes d’intérêt personnel, elle fonctionnait au feeling et ne se souciait pas de l’importance des gens, de leur notoriété. Elle n’avait pas l’attitude d’une star, ne se prenait pas pour une idole, une icône, jamais. Elle entretenait avec les gens des rapports d’une grande simplicité. Elle ne s’embarrassait pas non plus de formules de politesse, de salutations, de formules cérémonieuses. Ses réponses étaient directes et concises. Cela pouvait surprendre parfois. Une seule fois, elle m’a écrit « Mon cher Frédéric », car elle était touchée d’un compliment que je lui avais fait.
Ta bio de 2017, Un long chant d’amour, est rééditée par L’Archipel, dans une version actualisée, augmentée. Est-elle une version définitive ? Je précise ma question : as-tu encore des interrogations, que peut-être tu n’aurais pas osé ou pas pu lui soumettre directement, à propos de Françoise Hardy ?
Je n’aime pas le terme de « biographie définitive ». Comme si on ne pouvait plus rien écrire après. Je ne veux pas m’interdire cette possibilité-là. On a toujours des interrogations sur un artiste à l’œuvre aussi riche. J’ai plein de questions en suspens, des sentiments, des émotions dont je n’ai pas osé lui faire part. J’espère qu’on lui rendra encore longtemps l’hommage qu’elle mérite.
Dans une interview Françoise Hardy m’a confié avoir voulu écrire son autobiographie précisément pour éviter que des choses fausses ne soient écrites sur elle. Mais, a contrario, dans quelle mesure t’es-tu justement attaché, en tant que biographe, à aller au-delà de ce qu’elle-même a pu raconter ?
Elle me disait même qu’elle ne comprenait pas qu’on puisse encore écrire sur elle alors qu’elle estimait avoir tout dit dans son autobiographie. Mon livre, même si elle le trouvait bien écrit, faisait partie du lot de ceux auxquels elle faisait allusion (rires). Un jour, elle m’a clairement demandé pourquoi j’avais jugé nécessaire de sortir ce livre. J’avais répondu que Le désespoir des singes, son autobiographie, était l’histoire de sa vie personnelle, le reflet de ses états d’âme et le récit de tout ce qui paraissait essentiel à ses yeux dans le domaine privé comme professionnel. Et que mon livre était arrivé ensuite comme un complément, relatant des épisodes qu’elle avait occultés, ou simplement oubliés, mais qui intéressaient ses admirateurs. Il était aussi un regard extérieur porté sur sa carrière, son œuvre. Elle avait admis que j’avais sûrement raison. D’autant que certains fans qui correspondaient avec elle lui disaient beaucoup de bien de mon livre.
A-t-elle jamais été heureuse à ton avis ? Peut-on dire, à cet égard, qu’elle n’a pas eu de chance, ou plutôt qu’elle plaçait tellement haut la barre de ses attentes, pour les autres, pour la vie, pour elle-même surtout, qu’elle ne pouvait jamais être réellement satisfaite ? Masochiste, ou simplement d’un grand réalisme ?
Je ne dirais pas ça. On peut penser qu’elle a été au moins heureuse d’avoir le privilège de vivre de son métier, de sa passion. De bénéficier tout au long de sa vie d’un confort matériel et de la liberté de ses choix. Pour tout ce qui est d’ordre sentimental, on évolue selon différents critères liés à l’enfance, à l’éducation. On cherche souvent chez l’autre ce qui nous a manqué. Et la dépendance affective découle de ce qu’on est systématiquement attiré par le même genre d’individu, que l’on considère comme un idéal amoureux et qui ne se sent pas forcément à l’aise sur le piédestal où on l’a érigé et s’avère difficilement capable de combler votre besoin, votre manque, votre attente. Masochiste ? Non. Lucide, assurément. On n’est jamais satisfait lorsqu’on est en quête d’absolu. Et de cette complexité des sentiments, Françoise a fait une œuvre, un long chant d’amour…
Elle était drôle aussi, parfois sans le vouloir...
Ah oui ! Elle l’était, et probablement qu’elle aimerait qu’on retienne cela d’elle. Sa vivacité et sa franchise implacable prêtaient souvent au rire. Je raconte une anecdote dans le prologue de mon livre à propos d’un jour d’anniversaire. Elle estimait qu’à partir d’un certain âge, prendre une année de plus n’était pas forcément un événement joyeux. De même pour les vœux de nouvel an, elle ne trouvait pas approprié que l’on souhaite une bonne année à une personne âgée et malade. Alors, pour lui manifester mon affection en ces jours particuliers, je cherchais un prétexte : le clip d’une chanson, une anecdote, une photo. Ce jour que je raconte dans mon livre, j’avais choisi une photo de Jacques et d’elle riant aux éclats en trinquant au champagne. Je l’avais trouvée sur le Net, elle n’était pas d’une grande qualité, ce devait être une photo tirée d’un magazine de l’époque genre Bonne soirée ou Ciné revue. C’était pour le clin d’œil de les voir ensemble et joyeux. Elle avait répondu : « Quelle vilaine photo ! » Puis, en dessous : « Mais merci quand même ». J’en ris encore.
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La photo en cause. À chacun de juger. ;-)
Comment qualifier, justement, le couple mythique, mais compliqué, qu’elle forma avec Jacques Dutronc ?
Un couple atypique. Jacques a coutume de dire qu’il s’est comporté avec Françoise à l’inverse des autres hommes : absent au début - et préoccupé de ses copains -, plus présent ensuite. Françoise reconnaissait que cette relation intermittente expliquait en partie la durée de leur histoire. L’absence, l’attente ont inspiré ses plus belles chansons. Ce que je trouve admirable dans l’attitude de Françoise, c’est d’avoir accepté que son mari vive auprès d’une autre femme tout en restant « l’homme de sa vie ». Elle en parle magnifiquement lorsque je l’interroge à ce sujet. Le plus beau de leur histoire est sans doute d’avoir su rester complices jusqu’au bout, au point de s’appeler tous les jours.
>>> Tant de belles choses <<<
Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes le 16 juin, et c’est l’anniversaire de son fils Thomas, son rayon de soleil et sa grande fierté. Ont-ils souvent travaillé ensemble ? Que peux-tu nous dire sur leurs liens, leurs ressemblances, leurs différences aussi ?
Elle ne vivait que pour Thomas, les dernières années. Elle disait qu’elle ne voulait pas lui faire de la peine en partant trop tôt. Que, sans lui, elle serait morte depuis longtemps. Il était sa plus grande fierté, oui, sa plus belle réussite. Il avait l’avantage sur Jacques de ne jamais l’avoir fait souffrir. Leur relation était fusionnelle. Ils ont travaillé une fois ensemble, en 2005, pour l’album Tant de belles choses, dont la chanson-titre a été écrite à son attention. Il se dit moins sérieux que sa mère pouvait l’être dans le travail, plus décontracté, plus proche en ce sens de son père. Mais il a en commun avec sa mère la simplicité et une certaine forme de générosité. Comme avec sa mère, j’ai pu échanger quelque temps avec Thomas, lors du second confinement. Au fil des jours, il me faisait le compte-rendu de la lecture de ma biographie de son père, dont il écrira ensuite la préface.
>>> Ma jeunesse fout le camp <<<
Si tu devais ne garder que cinq, six ou sept chansons d’elle, pas forcément les plus emblématiques, mais celles qui te touchent le plus, quelles seraient-elles ?
Quelques chefs-d’œuvre, comme Tant de belles choses, Message personnel, Mon amie la rose, L’amitié, Ma jeunesse fout le camp et La question. Et encore Soleil, Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin, À quoi ça sert, Tu es un peu à moi, Dans le monde entier, Il vaut mieux une petite maison dans la main qu’un grand château dans les nuages, Personne d’autre, Que tu m’enterres… J’ai beaucoup aimé aussi, quand j’étais ado : J’écoute de la musique saoule.
>>> J’écoute de la musique saoule <<<
Les hommages à sa musique ont été nombreux depuis son départ. Comment la positionnerais-tu dans le paysage musical français ? S’inscrit-elle dans une tradition particulière, et a-t-elle des héritiers ou héritières évident(e)s ?
En 2023, elle était désignée par la revue Rolling Stone comme la seule Française parmi les 200 meilleurs chanteurs de tous les temps ! Un honneur amplement mérité. J’avais alors saisi l’occasion pour lui présenter mes vœux de nouvel an. Je lui avais écrit ces mots qui l’avaient touchée : « Ce classement salue votre créativité, votre voix unique et votre interprétation magique. Je m’en réjouis pour vous. » Oui, je pense qu’elle était unique. Déjà, enrôlée à ses débuts dans le clan Salut les copains, elle était à part. Différente des autres. Plus grave, plus impliquée. Elle a inspiré plus d’une chanteuse, comme Clara Luciani et Juliette Armanet qu’elle aimait beaucoup – nous nous sommes un peu disputés, elle et moi, à leurs propos, car je trouvais les textes de Luciani un peu faiblards et je ne goûte guère la voix aiguë d’Armanet (rires). Mais elle reste incomparable.
Que retiendras-tu de Françoise Hardy, l’artiste que nous admirons tous, et au-delà, la femme que tu as connue ? Penses-tu avoir saisi quelque chose de sa vérité profonde ?
Je ne l’ai pas vraiment connue. Je le regrette. Si j’avais habité Paris et eu l’opportunité de lui rendre visite, peut-être aurions-nous davantage sympathisé. Cependant, même si je sais qu’elle communiquait beaucoup par mail, je me sens privilégié d’avoir partagé quelques mots et quelques coups de cœur avec elle pendant cinq ans. Ce que j’ai retenu d’essentiel, c’est qu’elle ne se considérait pas comme quelqu’un d’important. Et cela faisait qu’elle pouvait s’attacher à quiconque parvenait à l’émouvoir, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne.
Entretiens-tu toujours l’espoir d’établir un tel lien avec d’autres artistes que tu aimes, comme Sheila ou Sylvie Vartan, ou bien estimes-tu, un peu fataliste, que ce que tu as vécu avec Françoise était exceptionnel, parce qu’elle l’était ?
Je penche pour la seconde estimation, mais je laisse la porte entrouverte à toute bonne surprise.
Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? D’autres parutions à venir notamment avec La Libre Édition ?
À la rentrée, on relance la promotion de mon livre sur Sylvie Vartan, Les chemins de sa vie, avec la sortie aux éditions Mareuil d’un coffret qui va le coupler avec le best-seller de Patrick Roussel, ancien chauffeur et garde du corps de Johnny Hallyday, Tout le monde l’appelait Johnny. Un projet qui me réjouit car il fait l’objet d’une sympathique rencontre et de possibles dédicaces à deux. Je pense proposer à La Libre Édition un roman que j’avais autoédité en 2013 mais que je ne trouvais pas vraiment abouti, donc j’y retravaille… Côté chanson, j’attends que des projets se concrétisent, mais cela devient de plus en plus difficile.
Un dernier mot ?
Une pensée, plutôt : je pense que Françoise, qui s’intéressait beaucoup à la politique, n’aimerait pas beaucoup ce qui est en train de nous arriver… Dieu s’il existe l’en a préservée.
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Frédéric Quinonero avec Thomas Dutronc.
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