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Paroles d'Actu
14 février 2025

Violaine Sanson-Tricard : « Quand elle est sur scène, plus rien ne peut atteindre Véronique... »

Qui, en ce double soir à la fois de Saint-Valentin (sisi) et de quarantième cérémonie des Victoires de la Musique, mérite parmi les artistes d’aujourd’hui d’être honoré autant qu’elle ? Véronique Sanson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a remporté trois de ces trophées. Surtout, elle a écrit et chanté l’amour comme peu d’autres avant elle l’ont écrit et chanté, avec ses tripes. Presque tout ce qu’elle raconte dans ses chansons, c’est sa vie qu’elle partage, sans rien occulter de ses passions, de ses doutes, de ses interrogations existentielles, de ses enthousiasmes, et de ses remords. Sans filtre, comme à nu.

 

Hasta Luego, sur le site de Véronique Sanson.

 

Il y a quelques semaines, son dernier live, Hasta Luego, est sorti en DVD+CD et vinyles, un témoignage précieux d’une longue tournée qui a duré plus de deux ans. On y retrouve, avec bonheur, enthousiaste et en belle forme deux heures durant, la Sanson rock et la Sanson piano-voix, celle qui fait danser et celle qui fait pleurer. Un best of somptueux (il ne manque que Mortelles Pensées pour la perfection !), qui n’est pas d’ailleurs un "simple" best of : on y retrouve, avec Vianney, avec Christopher Stills, des traces de ce qu’elle pourrait bien nous préparer pour la suite...

 

J’ai déjà pas mal expliqué, dans les colonnes de Paroles d’Actu, combien cette artiste me touchait depuis que je l’ai découverte, il y a des années (et des années, le temps est...). Ses textes, sa musique (quasi tout est d’elle), l’émotion dans sa voix. Et son sourire, "pour de vrai", comme a écrit un de ses biographes. Une femme amoureuse, et résolument libre.

 

Plusieurs articles ces dernières années, dont un avec Baptiste Vignol, qui nous a raconté Tout Véronique Sanson dans un ouvrage récent, et un autre avec Yann Morvan, co-auteur d’un livre sur les Années américaines de Sanson. Pour évoquer l’artiste à l’occasion de la sortie de ce live, j’ai eu envie de solliciter non pas un mais deux témoins de choix : Laurent Calut, l’associé de Yann Morvan pour le livre cité plus haut, grand connaisseur de Véronique et social manager en chef de ses réseaux, et Violaine, la sœur et complice indispensable de cette dernière, qui en 2016 m’avait fait l’amitié de répondre déjà à mes questions.

 

>>> Amoureuse <<<

(Saint-Valentin oblige !)

 

Véronique Sanson touche parce qu’en racontant, avec autant de sincérité, sa part d’intimité, elle "parle" à chacun d’entre nous. Il y a tant et tant de chansons à redécouvrir d’elle. Alors, comme elle dirait, vous y allez ? Merci à vous, Violaine (honneur aux dames), Laurent, pour vos regards et ces confidences. Merci à vous Véronique, pour ça... et pour tout. Hasta Luego ? Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PS : Et en cette soirée de Victoires de la Musique donc, une pensée, toujours, pour Françoise Hardy...

 

 

 

partie 1 : Violaine, la sœur, l’indispensable

 

Violaine bonjour. Comment as-tu vécu, et reçu, des coulisses, cette longue tournée Hasta Luego, dernièrement immortalisée sur disques ?

 

La setlist ne change que très peu d’un concert à l’autre, mais chaque concert est différent, Véronique improvise toujours les transitions, on ne sais jamais comment elle va introduire la chanson d’après. C’est donc chaque fois une surprise.

 

>>> Mortelles Pensées <<<

 

Parmi les chansons interprétées, tant de pépites, il y a la chanson qu’elle a consacrée à votre mère, Et je l’appelle encore, et bien d’autres, souvent très personnelles. J’imagine qu’à chacune de ses interprétations de ce titre, de Je me suis tellement manquée, du Maudit, j’en passe... l’émotion doit être au rendez-vous, pour toi aussi ?

 

Évidemment, et chaque fois je me laisse emporter. Heureusement, Mortelles Pensées n’est pas toujours au programme, ça m’évite d’avoir à essuyer mon rimmel qui coule...

 

J’ai justement eu la chance d’évoquer, il y a un peu plus d’un an, Mortelles pensées avec Françoise Hardy, peu avant son départ. Elle la tenait à juste titre comme une des plus belles chansons qui aient été écrites. Il y avait à l’évidence entre elles deux un respect mutuel profond. C’est à se demander pourquoi à ma connaissance ces deux-là n’ont jamais fait de choses ensemble ? As-tu un élément de réponse ?

 

Véronique et Françoise Hardy avaient une profonde affection/admiration l’une pour l’autre. C’est souvent le hasard des carrières qui fait que des artistes font quelque chose ensemble : un album de duos,  une émission de TV… Si ce hasard s’était présenté, il est évident qu’elles auraient chanté ensemble, mais l’opportunité ne s’est jamais présentée. Dommage que ce soit trop tard, ç’eût été un très beau moment. Véro a toutefois fait un superbe duo avec Thomas Dutronc...

 

Est-ce que le fait que Véronique partage tant avec son public, de ses peines, de ses joies parfois, de ses moments les plus noirs aussi, ça explique leur lien si particulier, si intime ? Est-ce qu’en tant que sœur on ne se dit pas, ça elle devrait me le confier à moi ? ;-)

 

Haha, je ne vais tout de même pas me mettre à être jalouse du public ! Plus sérieusement, c’est ce qui fait que Véronique n’a jamais lassé un public, qui revient la voir chaque année plus nombreux : elle partage avec eux les sentiments qu’elle éprouve, et chacun se retrouve dans ce qu’elle décrit...

 

>>> Je me suis tellement manquée <<<

 

À la fois fragile et forte, doutant en permanence, me confiais-tu en 2016 pour décrire au plus près Véronique Sanson. Ce doute qu’elle peut avoir sur elle-même, c’est quelque chose qui parfois peut être bloquant, paralysant ? Ou bien est-ce que, toujours, un fois devant un public, bien davantage que face à un plateau où il faut faire de la promo, hop tout s’illumine ?

 

Au moment où elle met le pied sur scène, Véronique se retrouve dans une bulle de feu. Là, rien ne peut l’atteindre, elle envoie une énergie phénoménale, quel que soit son état de santé ou ses états d’âme. Elle a parfois fait des concerts avec une côte cassée, et personne ne pouvait imaginer ce qui lui arrivait !

 

Les vertus thérapeutiques de la scène donc... Sur cette tournée, sur ce live, on la sent aussi, peut-être, plus authentiquement heureuse qu’à bien des moments de son parcours et de sa vie ? Comme ayant trouvé la sérénité, la paix...

 

Joker !

 

>>> Qu’on me pardonne <<<

 

Veux-tu me raconter l’histoire de cette chanson forte du répertoire de Véronique, que tu as écrite et qui mériterait d’être redécouverte, Qu’on me pardonne ? Johnny l’avait refusée ?

 

Johnny ne l’avait pas refusée. Le président de Warner Music, Thierry Chassagne, m’avait dit à l’époque qu’il manquait à  Johnny une chanson forte sur l’album qu’il était en train d’enregistrer aux USA. J’avais envoyé cette chanson à Thierry, qui m’avait dit que c’était exactement le titre qui manquait à l’album, et m’invitait à l’envoyer d’urgence, de sa part, au directeur artistique qui était avec Johnny en studio, là-bas. Ce que j’ai fait tu t’en doutes, sans jamais recevoir la moindre réponse. Peu de temps après, Véronique est tombée sur la chanson et l’a tout de suite prise pour son album à elle. C’est devenu le single de son album. 

 

Est-ce qu’à ton avis le grand public la perçoit complètement comme elle le mériterait, notamment en tant qu’auteure  et compositrice ? Beaucoup de gens semblent encore croire qu’elle a été "faite" au départ par Berger...

 

Michel Berger a été pour elle une immense source de créativité. Ils ont fait de la musique ensemble pendant des années. Il y a des inspirations très comparables dans leurs chansons mais elle sont finalement très différentes. Et aucune des chansons que chante Véronique n’a été composée par Michel, même si elle a fait un concert pendant lequel elle n’a, pour lui rendre hommage,  chanté que ses chansons à lui.

 

Il était question me semble-t-il il y a quelques années d’un biopic sur elle. Le projet est-il toujours dans les cartons ?

 

Oui !

 

>>> Where love is found <<<

 

Le fils de Véronique, Christopher Stills apparaît dans le live, avec un très beau titre de son cru. Quel regard portes-tu sur son parcours, qui artistiquement se fait plutôt en anglais, aux US ?

 

La chanson que chante Chris sur ce live est une des plus belles chansons que j’aie jamais entendues, tous artistes et toutes périodes confondues. Chris est un rocker américain, il est depuis longtemps un immense guitariste et il est devenu un magnifique pianiste. Il est fait pour chanter dans sa langue maternelle, ce qui ne limite pas son potentiel en France mais lui donne toutes ses  chances aux USA.

 

Si tu devais avoir une préférence à exprimer pour qu’elle inclue, dans ses prochains concerts, des chansons de son répertoire que tu aimes particulièrement toi, quelles seraient-elles ?

 

Oh... Toutes !

 

Beaucoup d’artistes, jeunes ou moins jeunes, dans ce live et surtout dans l’album Duo volatils. Elle a cette curiosité de ce que font les plus jeunes, et à cet égard vous avez à peu près les mêmes goûts ?

 

Oui, elle et moi aimons très spontanément les mêmes artistes.

 

>>> Et je l’appelle encore <<<

 

Te verrais-tu un jour écrire sur elle, peut-être avec elle ? Sur vous, sur votre histoire si particulière ?

 

Il y a eu de très nombreux livres sur Véronique, certains sont magnifiques comme celui de Didier Varrod (La Douceur du danger) ou celui de Laurent Calut et Yann Morvan (Les Années américaines).

 

La postérité, ce qu’on dira d’elle après elle, elle s’en fout, ou ça la travaille, un peu ?

 

Il faut le lui demander !

 

Petit mot, pour ceux qui l’aiment depuis 53 ans, depuis 20 ans, ou depuis 2 ans ?

 

C’est elle qui vous aime...

 

En résumé... en conclusion ?

 

Merci à toi et à tous ceux qui l’aiment !

 

10-12 février 2025

 

Violaine et Véronique Sanson, in 50Inside. Photo : capture d’écran (TF1).

 

 

 

partie 2 : Laurent, l’ami, le "sansonlogue"

 

Laurent bonjour. Ton nom apparaît dans les crédits de ce live à la rubrique Réseaux sociaux. Depuis combien de temps t’en occupes-tu pour Véronique Sanson ?

 

Avec Yann Morvan, on a mis en place le site officiel en 2010. C’est à peu près à cette époque qu’on a ouvert le compte officiel sur Facebook. On gère ensemble les archives de Véronique, son iconographie, et je m’occupe des réseaux. Mais je suis en train de passer la main, je vais juste garder le compte Harmonies Véronique Sanson pour les happy few.

 

>>> Hasta Luego <<<

 

Comment qualifier cette longue tournée Hasta Luego, dont ce film est le témoignage ? Le setlist, moins thématique que la tournée des Années américaines, a des allures de somptueux best of, avec des surprises...

 

Une tournée purement best of n’intéresse pas Véronique. Comme elle le dit sur scène, son ambition est de faire découvrir des chansons un peu moins connues, des “chansons d’album”, au milieu bien sûr de quelques incontournables. Elle admet facilement être d’une grande paresse et on lui a longtemps fait miroiter la scène – sans laquelle elle ne peut tout simplement pas vivre – à la condition qu’elle travaille sur un nouvel album. Mais son répertoire, son aura de “queen” ou de “taulière” (selon les qualificatifs trouvés sur les réseaux), son public fidèle (et qui fait régulièrement des petits) ont rendu les choses plus souples aujourd’hui : cette tournée est la preuve qu’avec la rumeur d’un nouveau titre (Hasta Luego), elle pouvait jouer partout pratiquement à guichets fermés sur une longue durée.

 

Pourquoi n’y avait-il pas eu de captation des lives portant l’album Dignes, dingues, donc…, dont ne subsiste ici que (last but not least...) Et je l’appelle encore ?

 

C’est une bonne question. La réponse est due à l’effondrement du marché du disque et des DVD musicaux, et peut-être aussi au fait que Véronique a une discographie live déjà très importante. De plus, des vidéos de ses dernières tournées tournent sur les réseaux et sur YouTube. Même si elles sont de qualité modeste, elles nuancent le côté événementiel d’une sortie commerciale. La bonne idée sur Hasta Luego a été de faire une captation pour le cinéma et de créer un événement, une projection unique dans plus de 280 salles qui a attiré plus de 20 000 spectateurs. Il y a ensuite eu une diffusion télé et le CD-DVD marche bien.

 

En quoi ces concerts au Dôme de Paris en mars 2023 ont-ils été particuliers ? Y’a-t-il eu sur d’autres dates avant ou après, d’autres duos, notamment ceux des Duos Volatils ?

 

Ces concerts se sont inscrits dans une tournée commencée à l’automne précédent et qui s’est terminée à l’automne 2024. Le Dôme de Paris est une salle que Véronique connaît bien : elle a été la première femme européenne à la fouler en 1978, au temps où on l’appelait encore le Palais des Sports. L’idée a très vite été d’avoir des invités pour le film (Vianney, Zaz et Natalie Dessay). Il n’y a pas eu d’autres duos sauf, la veille du tournage, celui avec Marc Lavoine (Une nuit sur son épaule).

 

>>> Celui qui n’essaie pas... <<<

 

Quelles chansons ont été retirées, ou ajoutées, au fil des dates ? Pour des raisons d’équilibre du show, ou tout simplement d’envie (ou de non-envie), comme tu le racontes sur ton blog pour le titre Signes ?

 

Il y a une évolution naturelle de la setlist. Dans sa première mouture, le show commençait par Celui qui n’essaie pas, puis par Véronique. Depuis l’automne 2024, il commence par On m’attend là-bas pour être raccord avec le nouveau visuel (Véronique à la guitare). En tournée, il y a des balances avant chaque concert. Pour Véronique, c’est l’occasion de remettre certains choix en question, de penser à tel titre et de se dire qu’il fonctionnerait mieux qu’un autre. Elle expérimente. Dans la dernière partie du concert, seule au piano, elle est tout à fait capable de tester un titre (Les délires d’Hollywood, J’ai l’honneur d’être une fille…).

 

Quelques mots sur les membres de sa team musicale, dont certains comme Basile Leroux ou Mehdi Benjelloun, la suivent depuis des années ?

 

Je ne vais pas être très original : les musiciens de Véronique sont tous de sacrées pointures et, humainement, des mecs formidables. Pendant les balances, on voit clairement leur investissement dans l’affaire, ce qu’ils apportent à sa musique.

 

Au démarrage d’une tournée, la présentation des musiciens par Véronique est toujours relativement sobre mais, au fur et à mesure des dates, elle dégénère jusqu’à finir en de véritables sketchs. Aux derniers concerts de décembre 2024, elle les a tous embrassés sur la bouche !

 

Carrément ! Qu’en est-il de l’album qui devait sortir et sur lequel Vianney devait collaborer ? C’est toujours d’actualité, en stand by ?

 

L’annonce a sans doute été faite un peu prématurément. En avril 2021, Véronique a maquetté 3 titres avec Vianney, dont Hasta Luego et Signes mais elle n’a plus envie de travailler sur un format d’album. Elle a des idées de textes, aimerait réunir 3-4 titres. Et là on rêverait presque d’un producteur qui l’enfermerait jusqu’à ce qu’elle les écrive, comme lors de la création de Vancouver au Château d’Hérouville il y a 50 ans… ;-)

 

Le live dont on parle nous donne à voir la vaste palette de couleurs musicales de l’œuvre de Sanson (rock, pop, soul, world music, et le piano-voix en majesté bien sûr). En quoi est-elle unique dans le paysage musical français ?

 

Elle est unique parce qu’il y a peu de chanteuses instrumentistes aussi clairement identifiées. Dans son cas, on peut même citer deux instruments : le piano bien sûr, mais aussi sa voix, avec laquelle elle se permet d’improviser en totale liberté. Mais au-delà des couleurs musicales dont tu parles (et qui sont bien réelles), c’est je pense la teneur de ses textes qui fait mouche et parle à chacun.e. On voit des gens honnêtes discrètement écraser une larme à ses concerts…

 

Mais est-ce que le grand public d’aujourd’hui la perçoit à la hauteur de ce qu’elle a écrit et composé ? De sa plume sont sortis des textes incroyables, de son piano des mélodies intemporelles. Mais il me semble que beaucoup croient encore qu’elle a été la créature de Berger ?

 

Je ne pense pas, non. De ce que je lis ou entends, il y a même des gens qui ignorent qu’elle a pu être produite par Michel Berger : son public se renouvelle et Michel Berger est mort il y a maintenant plus de 30 ans. En revanche, le grand public a encore indubitablement des chansons à découvrir et c’est bien pour cela qu’elle a raison de mettre en avant certains titres moins connus dans ses concerts. Cela dit, avec l’arrivée des bios écrites avec l’IA et formatées pour les réseaux, on lit d’énormes inepties sur sa période pré-années américaines, un nivellement vers le bas qui ne peut pas être corrigé en temps réel…

 

>>> Visiteur et voyageur <<<

 

Elle se raconte tout au long de son œuvre. Des chansons extrêmement personnelles, d’une finesse folle, presque à la limite de l’impudeur : Le Maudit, Mortelles pensées, Je me suis tellement manquée, La douceur du danger, Visiteur et voyageur peut-être... J’en passe, tant et tant... C’est aussi là, la clé de son lien si fort avec son public, ce partage, cette authenticité, comme Barbara avant elle ?

 

Oui, indiscutablement. Il existe un dialogue bien réel entre ses mots à elle et les milliers d’oreilles et surtout de cœurs tendus vers sa musique – dialogue dont l’authenticité est intensifiée en concert : sur scène, on ne triche pas. On en arrivera peut-être aux “messes” auxquelles se rendaient les fidèles de Barbara lorsque Véronique consentira enfin à tenir sa promesse de donner des concerts piano solo. Elle en parle régulièrement en ajoutant “quand je serai grande”, mais tient pour le moment fermement à son profil de rockeuse…

 

Donc abandonner le côté big band pour du pur piano-voix ? Ce serait un choix assumé, mais qui supposerait de laisser de côté des pans entiers de son répertoire non ?

 

Il y a un très bon exemple de ce qu’elle sait faire sur plusieurs titres d’affilée en piano-voix avec le Concert d’un soir diffusé sur RTL en 1992 et qu’on trouve sur SoundCloud. Il ne s’agit bien sûr pas de transposer au piano des titres comme On m’attend là-bas - quoique ça pourrait être intéressant - mais de revenir à la composition de base tout en enrichissant de nouveaux arrangements au piano uniquement. Mais on pourrait aussi envisager une formation acoustique très réduite… Il faut dire aussi qu’en tournée il y a un esprit d’équipe, c’est une aventure humaine, et elle aime ces "randonnées folles"…

 

Depuis combien de temps aimes-tu et suis-tu Véronique Sanson ? De quand date le coup de foudre musical ?

 

Je peux dater mes premiers émois de la sortie radio du 45 tours Cent fois (1974). Je connaissais déjà quelques titres mais celui-là a été le déclic qui m’a fait acheter l’album Le Maudit et aller la voir pour la première fois sur scène. On s’est parlé la première fois 5 ans plus tard, au moment de la création du fanzine Harmonies.

 

>>> Une odeur de neige <<<

 

Quelles chansons d’elle te touchent le plus ?

 

Ça dépend vraiment du contexte. J’ai toujours eu un faible pour Ma musique s’en va et je dois avouer qu’à l’écoute de cet album pour sa réédition anniversaire dans les meilleures conditions possibles (en studio Dolby Atmos et en la présence de Véronique), j’ai été cueilli par une émotion que je n’attendais pas (j’avais quand même découvert cette chanson à sa sortie…). Côté up tempo, j’aime le groove de C’est long, c’est court. Et côté madeleine, j’aime bien la version maquette de Une odeur de neige (1969) qui me catapulte à chaque fois dans l’appartement de ses parents quand je l’ai entendue pour la première fois en 1977.

 

Véronique Sanson telle que tu as appris à la connaître, en trois mots, trois adjectifs ?

 

Pour ce qui est de Véronique “en vrai” : excessive (en tout), séductrice, très drôle (on rit beaucoup avec elle). En ce qui concerne la scène : instinctive, inventive, authentique.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? Un autre livre sur elle, bientôt ? Ou tout autre chose ?

 

Il y a un projet (pas une biographie) avec l’ami Baptiste Vignol (déjà responsable de Tout Véronique Sanson chez Gründ). Il m’avait permis de participer grandement au Schnock consacré à Véronique (numéro d’été 2022), et on a écrit l’un et l’autre pour le prochain numéro qui sort le 5 mars.
 

Véronique Sanson et Laurent Calut, octobre 2022. Photo : Hélène de Voisins.

 

Merci à vous deux... Et merci à vous Véronique ! Pour ça... et pour tout !

J’espère vous interviewer... un jour ? ;-)

 

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4 février 2025

Anne Goscinny : « Il m'a fallu 30 ans pour me décider à écrire l'histoire de notre amitié... »

​Que celui de nos lecteurs qui n’a jamais tenu dans ses mains un livre écrit par Goscinny lève la main. Bon, ok, je ne peux pas voir qui lève la main, mais s’il y en a parmi vous, il est peu probable que vous soyez nombreux. René Goscinny a sans conteste été le grand scénariste français de BD du vingtième siècle. Ses enfants de papier, chacun les connaît : Astérix et son inséparable compère Obélix, qui ont fêté leurs 65 ans en 2024 ; Lucky Luke (le fameux lonesome cowboy fut créé par le Belge Morris, mais l’apport de Goscinny à la série fut capital) ; l’attachant Petit Nicolas ; Iznogoud, le vizir aussi méchant que drôle voulant devenir "calife à la place du calife", j’en passe, j’en oublie, il y en a tant...

 

Sa disparition tragique et très prématurée, en novembre 1977 (il n’avait que 51 ans) a privé des millions de fidèles d’un conteur hors pair : il était un chroniqueur fin de son temps, autant qu’un amuseur de génie. Sa fille n’avait que 9 ans au moment de sa mort... Elle est devenue, au décès de sa mère, l’ayant-droit et la gardienne bienveillante de l’univers toujours bien vivant, sous d’autres plumes, de son père. Anne Goscinny est, elle aussi, une auteure. Son dernier roman en date, Mille façons d’aimer (Grasset, octobre 2024), fait le récit bouleversant de la grande amitié qui fut sienne, aux sons de Barbara et de ceux de l’époque, avec ce garçon, cette âme sœur que le Sida, qu’on appelait en ce début des années 90 le "cancer à la mode", emporta alors qu’il avait à peine commencé à vivre...

 

Anne Goscinny a accepté de répondre à mes questions, lors d’un entretien téléphonique qui s’est tenu le 24 janvier. Rencontre avec une auteure sensible et touchante, dont l’œuvre mériterait bien d’être adaptée, elle aussi. Mille façons d’aimer, c’est une belle histoire d’amitié. C’est sans doute aussi, un grand livre sur le deuil (je salue à ce propos, si elle lit ces lignes, Anny Duperey que j’ai interviewée il y a un an et qui a écrit cet autre livre magnifique sur le deuil, Le Voile noir). Deuil de la mère. Deuil de l’âme sœur. Amitié comme on n’en a qu’une dans une vie. Une lecture que je ne peux que recommander, chaleureusement. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (24 janvier 2025)

Anne Goscinny : « Il m’a fallu 30 ans

 

pour me décider à écrire l’histoire

 

de notre amitié... »

 

Mille façons d’aimer (Grasset, octobre 2024).

 

Anne Goscinny bonjour. Quels ont été, s’agissant des romans, vos précieux compagnons de vie durant vos "années d’apprentissage" ?

 

Il y en a beaucoup... Je dirais que deux auteurs m’ont marquée lorsque j’étais adolescente. La comtesse de Ségur m’a toujours passionnée, pour la beauté de sa langue et pour la richesse de ses récits. C’est à la fois complètement désuet et très moderne. Un autre auteur, malheureusement un peu tombé dans l’oubli, m’a également beaucoup accompagnée, c’était Henri Troyat, un de nos plus grands auteurs...

 

Il a écrit pas mal de choses sur la Russie notamment...

 

Oui, il a également écrit beaucoup de sagas, assez faciles à lire, comme Les Semailles et les Moissons. Et pratiquait lui aussi une langue parfaite. J’ai été très portée par eux, puis, évidemment, je suis devenue assez dingue de Dumas, et de Eugène Sue. Ce n’est pas la même émotion, mais la vraie émotion, celle qu’on éprouve vers 11/12 ans, en se disant que la vraie vie est peut-être dans les livres, oui pour moi c’est la comtesse de Ségur et Henri Troyat. Gide aussi... Albert Cohen, ça a été un grand choc pour moi. Et, un peu plus tard Élie Wiesel, autre grand choc...

 

« Très vite je me suis dit que le seul

 

moyen de communication que je pourrais avoir

 

avec mon père serait l’écriture. »

 

Le fait d’avoir eu comme père quelqu’un comme René Goscinny vous a-t-il plutôt encouragée à écrire, ou bien avez-vous eu au contraire plus de mal à franchir ce cap ?

 

En fait, la question ne s’est pas du tout posée comme ça. Quand mon père est mort, j’avais 9 ans. Et assez vite, j’ai compris que pour entendre ses mots, sa voix, pour le retrouver et peut-être le rejoindre, il me faudrait désormais tourner les pages d’un livre. Avec une mythologie toute personnelle je me suis dit que peut-être, là où il était, il faudrait que lui aussi tourne les pages d’un livre pour m’entendre. Dès lors je me suis dit que le seul moyen de communication que je pourrais avoir avec lui serait l’écriture. J’ai commencé très tôt, je devais avoir 10 ou 11 ans, guère plus. Puis un jour, de ce qui était devenu une habitude, j’ai fait un métier.

 

Vous avez déclaré dans une interview que, contrairement à beaucoup de personnes, l’écriture n’était pas pour vous une thérapie mais qu’au contraire vous aviez besoin d’être bien pour écrire. Raconter du vécu, ça ne vous aide pas à le digérer, à exorciser les éventuels démons du passé ?

 

Je pense qu’il y a plusieurs catégories d’écrivains. Moi j’appartiens à celle qui pense qu’effectivement pour écrire il faut s’être soigné mais qu’il ne faut pas écrire pour se soigner. Ce qui différencie un roman d’une histoire vécue, comme dans le cas du livre que vous avez pu lire, d’un journal intime, d’une séance chez un psy ou d’une confidence à des copains, c’est la structure. Dès qu’on commence à structurer son chagrin, alors on est en route pour l’écriture d’un roman. Le chagrin, quand vous l’éprouvez, est tout sauf structuré.

 

Comme un chaos...

 

Oui, un chaos, et lorsque vous essayez, à l’instant T de coucher votre chagrin sur le papier, ça donne au mieux un journal intime, au pire des phrases décousues qui naviguent entre larme et whisky, ce qui n’est pas intéressant pour le public. S’il vous fait la grâce d’acheter votre livre, ça n’est pas pour se substituer à un psy, ou à un copain. Le public, ce n’est pas un copain...

 

Et vous expliquez bien avoir mis du temps avant d’"accoucher" de cette histoire-là.

 

En l’espèce, pour ce livre, j’ai mis 30 ans à pouvoir me décider à faire quelque chose de cette histoire d’amitié. Si vous remarquez bien, il y a dans cette histoire que j’ai vécue un important travail sur le temps. Je raconte une histoire qui s’est déroulée il y a 30 ans. Et durant cette journée qui s’est déroulée donc 30 ans plus tôt, je convoque des souvenirs qui ont eu lieu encore 15, 20 ans, ou 5 ans avant... La journée de l’action, qui tient en une promenade de deux heures, convoque toute une vie. Là c’est vraiment la structure qui vient différencier encore une fois le roman du journal intime.

 

C’est clairement un vrai travail de romancière, aucun doute là-dessus... Justement, est-il plus facile de parler de choses intimes quand on donne au narrateur d’un récit qui est donc vous me l’avez confirmé en grande partie autobiographique, un autre prénom que le sien - ici, Jeanne ? Ça aide à composer avec une forme de pudeur ?

 

Jeanne, c’est vraiment un prénom que je donne à mon héroïne dans tous les romans. C’est mon prénom de papier, de littérature. Mais la question vaut surtout pour Raphaël. Il ne s’appelait pas Raphaël. Là, j’ai changé le prénom par égard pour notre intimité et par respect pour sa famille. Mais je n’ai pu écrire ce texte qu’en donnant au personnage son véritable prénom. Il m’aurait été impossible de l’écrire avec un prénom de substitution. À la fin je suis allée dans Word, et j’ai modifié toutes les occurrences du vrai prénom par "Raphaël".

 

L’histoire que vous nous racontez est en tout cas bouleversante. Cette amitié incroyable entre la narratrice donc, Jeanne, et son meilleur ami depuis toujours, Raphaël. Jusqu’à la mort bien trop prématurée du second, peu après la mort de la mère de Jeanne. C’est votre texte le plus personnel ?

 

Non... J’en ai écrit d’autres qui sont largement aussi personnels. Notamment un, Le Bruit des clefs, qui a été publié en 2012 chez Nil. C’est une lettre que j’écris à mon père, où je lui raconte, là sans artifice ni faux prénom, ce qui s’est passé entre le moment où il est mort et 2012. Tous mes romans sont empreints d’intimité, mais je me dis que j’ai réussi le travail lorsque mon intimité à moi rejoint l’universel. Si cette histoire intime vient résonner dans le cœur du lecteur, si on me dit : "Tiens, je vais offrir ton livre à mon meilleur ami pour lui montrer à quel point l’amitié c’est précieux", alors je me dis que j’ai en quelque sorte touché à l’universel.

 

Oui, c’est clairement un livre sur l’amitié... Avec pas mal de thèmes abordés. Raphaël meurt du Sida, probablement après une rencontre avec un homme marié, qui mourra lui aussi des suites de ce qui est qualifié par certains, en ce début des années 90, de "cancer à la mode". L’expression est terrible, mais elle devait probablement être en vogue à cette époque...

  

Oui... Vous avez une voix jeune. Lorsque le Sida est arrivé dans les années 82-83, c’était un tout jeune virus. Les gens ont complètement oublié aujourd’hui qu’à l’époque on ne savait pas qu’il ne s’attrapait pas en s’asseyant sur des toilettes, en touchant un objet, simplement en respirant...

 

Ou en embrassant un séropositif...

 

Oui, en embrassant. On ne connaissait rien. Mais ça mettait les séropositifs au rang de pestiférés...

 

D’ailleurs, est-ce que vous considérez, parce qu’il y a eu beaucoup d’avancées scientifiques et médicales sur le front du Sida, qu’il y a eu une forme de relâchement ?

 

Bien sûr... Mais là, ce n’est pas l’écrivain qui parle, c’est la citoyenne et mère de deux enfants, de 22 et 24 ans. Aujourd’hui, le Sida on n’en parle plus. Moi quand j’étais jeune ça faisait partie de toutes les conversations... Le Sida reste une maladie mortelle à plus ou moins long terme. De nos jours, avec la trithérapie, on banalise ce virus, qui ne fait plus du tout partie des conversations des jeunes gens... Ce n’est plus pour mes enfants comme pour les jeunes de maintenant le flip numéro 1... Et c’est d’autant plus dangereux...

 

Il est beaucoup question dans cet ouvrage de transfert, d’amour par procuration : Raphaël est amoureux du proviseur sur lequel il reporte, de manière assez malsaine, tout l’amour dû au paternel qui l’a abandonné. À ce père il écrira, peu avant sa mort, une lettre bouleversante. D’ailleurs cette lettre, j’ai envie de vous demander : c’est vous qui l’avez écrite... ?

 

Là c’est vraiment du roman. Je ne sais plus à quel moment de l’écriture du roman, je me suis dit, et s’il écrivait à son père ? Mais cette lettre, je ne savais pas où la "caser", elle a changé de place plusieurs fois. J’ai finalement pensé que la glisser dans une poche pendant les obsèques serait une idée astucieuse. Une façon de la découvrir sans la décacheter...

 

« Le transfert m’a longtemps permis

 

de me protéger de cette réalité abominable

 

que constitua la mort de mon père. »

 

Et est-ce que ces questions de transfert font écho à des choses que vous avez vécues, à des réflexes que vous avez pu avoir ?

 

Disons que j’ai eu une vie un peu particulière. J’ai perdu mon père lorsque j’avais 9 ans. La seule façon que moi j’ai trouvé de me protéger de cette réalité abominable a été le transfert. Transfert sur des hommes différents, à différents âges. Le premier a duré sept ans. Après, souvent ça s’est porté sur des profs, au lycée, à la fac... C’est l’artifice que j’ai mis en place pour éviter de penser en permanence à l’absence, au deuil, dans ce qu’il a d’ignoble et dégueulasse : mon père était là, il y avait sa présence, sa voix, son rire, et en un quart de seconde plus rien... Ce mécanisme, je pourrais donner des conférences qui dureraient 42 heures dessus !

 

Mille façons d’aimer nous l’avons dit est un livre sur l’amitié, mais aussi sur le deuil. La vie de Raphaël est célébrée, à travers les yeux de Jeanne, et son récit tendre et délicat de leur relation. Mais on sent malgré tout que, si elle a des enfants, auxquels elle a parlé de leur "oncle" Raphaël, trente ans après la blessure de sa disparition reste profonde. Le travail de deuil, c’est quelque chose auquel vous croyez envers et contre tout ? Y compris pour ceux partis bien avant l’âge ?

 

Moi je crois au temps qui passe et aux vertus du temps qui passe. Je trouve qu’accoler le mot "travail" au mot "deuil", ça a quelque chose de scolaire, d’administratif, de professionnel... Le travail c’est une obligation. À tous les âges il y a une injonction au travail. Associer "deuil" et "travail", on est à la limite de l’oxymore... Le deuil c’est une espèce de liquide noir, d’encre qui se répand tout autour de vous. Bien habile sera celui qui saura le circonscrire par la seule force de sa volonté. La notion de "travail de deuil" impliquerait une volonté, comme quand on décide de faire ses devoirs ou d’aller au travail... Pour moi, cette expression toute faite est très galvaudée. Il y a tant de gens qui ne savent pas, qui ne peuvent pas, qui n’ont pas la capacité de... Je suis follement amoureuse d’Anne Sylvestre, il y a cette chanson, Les gens qui doutent, où elle dit : "J’aime les gens qui doutent mais voudraient qu’on leur foute la paix de temps en temps / Et qu’on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps". Elle a magnifiquement résumé le "travail de deuil"...

 

Et est-ce que par rapport à votre expérience personnelle, vous auriez un conseil pour quelqu’un qui peinerait absolument à se défaire d’un deuil ?

 

(Elle hésite) Oui. J’ai trois expériences de deuil. Mon père d’abord. Ma mère ensuite. Puis celui qu’on appellera Raphaël. Il faut surtout éviter les injonctions. Il faut laisser la vie se passer, les choses se faire, et avoir confiance. Ne pas se fixer d’échéances, d’obligations. Mais avoir confiance dans le fait que le temps, à un moment donné, panse les cicatrices, même si elles restent vives sous la peau. Un jour on va se refaire des amis. Rigoler à nouveau. Reprendre plaisir à boire un coup, à danser...

 

On arrivera à vivre avec...

 

Oui, à vivre avec le fait de vivre sans. Ou à vivre avec sans.

 

« La place laissée par mon ami n’est pas libre,

 

il l’occupe toujours... »

 

On se dit, à la lecture du livre, qu’une telle amitié, une relation aussi pure est difficilement remplaçable, y compris par un amour moins platonique. C’est sans doute ce que pense Jeanne. C’est ce que vous, vous avez pensé ?

 

Il n’y a pas un jour où je ne me dis pas qu’il me manque atrocement. Et il n’a jamais été remplacé. Je suis mariée depuis 25 ans avec le même homme, mais j’imagine que, quand on perd son mari, ou sa femme, bref son grand amour, on peut un jour rencontrer quelqu’un et reconstruire autre chose ailleurs. La place laissée par Raphaël, il ne l’a pas laissée libre. Sa place reste occupée, et donc, personne ne peut la prendre. Je me suis fait d’autres amis, après. J’ai des amis proches, des gens que j’aime infiniment. Mais cette amitié-là, inconditionnelle et non remplaçable, c’est vraiment la nôtre.

 

C’est un peu personnel, mais est-ce que vous diriez qu’il était votre âme sœur ?

 

Oui, il était mon âme sœur. Il était mon ami comme on n’en a qu’un dans une vie. On s’engueulait beaucoup. On se raccrochait beaucoup au nez. On se rappelait immédiatement après, à une époque où il n’y avait pas de téléphones portables. Dès que l’un de nous avait un problème ou était dans la peine, l’autre accourait sans poser de questions.

 

Il y a cette séquence émouvante où la mère de Jeanne est très malade et où Raphaël, déjà très diminué, fait l’effort, physiquement éprouvant, de venir épauler son amie... J’ai beaucoup apprécié votre plume, très fine, et où aucun mot ne semble être choisi au hasard. Avez-vous des habitudes, des disciplines d’écriture ?

 

Pas vraiment. J’en ai une, mais qui est un peu bizarre : je ne peux écrire qu’allongée. Je ne peux pas écrire assise à un bureau, parce que j’ai l’impression que l’énergie ne circule pas si je suis contrainte de me tenir droite, bref, contrainte... Quand je suis allongée, je sens que je peux me laisser aller. Sachant, comme vous l’avez remarqué, que mon écriture n’a rien de laissé au hasard. Mais si je n’ai pas d’horaire fixe ou autre, je ne suis pas du tout un écrivain de la nuit. J’écris plutôt entre 14h00 et 22h30.

 

Très bien. On va parler un peu de votre père maintenant. René Goscinny, qui fut un des scénaristes et créateurs les plus fameux de l’après-guerre...

 

Et même de l’avant-Guerre. Pour moi, il a été le plus doué du siècle.

 

Il a été l’un des papas d’Astérix bien sûr mais aussi de Lucky Luke, du Petit Nicolas et de Iznogoud. Quelle place tous ces personnages ô combien emblématiques pour tous les enfants, petits et grands, ont-ils eue dans votre enfance à vous ? Les avez-vous considérés un peu comme des frères de papier, que vous auriez aimé protéger ou dont vous auriez pu être parfois jalouse ?

 

Je suis devenu l’ayant-droit de cette œuvre à 25 ans, quand ma mère est morte. Et j’ai eu dès lors à cœur de les protéger de l’exploitation plus ou moins heureuse qu’on pourrait en faire. J’ai été plutôt une figure protectrice, ni maternelle ni sororale, mais vraiment de l’ordre de la protection éclairée.

 

À partir de 25 ans, mais quel était votre rapport à ces personnages quand vous étiez gosse, ou ado ?

 

Je n’avais pas de rapport avec eux. J’avais lu AstérixLe Petit Nicolas ou Iznogoud, mais c’était tellement violent pour moi de me dire que cet homme, dont j’étais la fille unique, était si drôle, et que ses écrits révélaient tant de sensibilité... Cet homme-là, mon père, je ne l’ai connu que 9 ans. Dans ces neuf années, vous enlevez facilement les quatre premières années, durant lesquelles il n’y a pas de souvenir. Il en reste cinq, et encore... C’est donc à l’époque plutôt un sentiment de colère et de frustration...

 

Vous avez donc un peu fait l’impasse sur ses œuvres dans votre jeunesse...

 

C’était trop douloureux...

 

« Astérix, c’est fondamentalement

 

une histoire de résistance. »

 

Astérix (et Obélix !) ont eu 65 ans l’année dernière. Comment expliquez-vous qu’ils aient autant cartonné, là où tant d’idées pourtant bonnes échouent à rencontrer un public vaste et s’installant dans la durée ? Ils ont parlé aux Français parce qu’ils leurs ressemblaient, et parce que l’air de rien ils parlaient de leur quotidien ?

 

Il y a plein de raisons à cela. Ces raisons, si on arrivait à les identifier, on ne ferait que des best-sellers. C’est une alchimie incroyable, déjà entre Albert Uderzo et mon père. Ils étaient deux amis qui ont créé le symbole d’une amitié, avec ces deux personnages emblématiques. Après, il y a pour moi une raison objective à ce succès, bien que je ne croie pas beaucoup aux raisons objectives, au fait qu’Astérix soit aujourd’hui traduit dans des dizaines de langues et dialectes, alors même que "Nos ancêtres les Gaulois", ça ne parle pas franchement aux Coréens... Astérix, c’est fondamentalement une histoire de résistance. Eux résistent à l’envahisseur romain, mais inconsciemment, ça parle à tout le monde, parce qu’on est tous, de façon intime ou collective, amenés à résister à un moment ou à un autre à quelque chose. C’est une explication à laquelle je crois. Mais très honnêtement expliquer l’alchimie c’est un peu en-dehors de mes compétences.

 

Et c’est aussi vous l’avez suggéré une belle histoire d’amitié universelle...

 

D’un point de vue purement historique, quand mon père crée Astérix avec Uderzo en 1959, il va déculpabiliser les adultes de lire de la bande dessinée, un genre qui était alors exclusivement réservé aux enfants. Les adultes vont se mettre à lire Astérix, parce que c’est intelligent, documenté et très drôle. Ce n’est plus simplement dédié aux enfants.

 

Il y a plusieurs niveaux de lecture dans Astérix...

 

Bien sûr. Quand on est petit, on peut s’amuser à la lecture de l’aventure. Quand on grandit, on a plaisir à repérer un calembour ! Moi il m’arrive encore d’en découvrir certains que je n’avais encore pas vus !

 

On en retrouve pas mal dans Iznogoud aussi. J’ai envie d’en parler, parce que c’est aussi une BD que j’aime beaucoup. Mais personne ne parle jamais d’Iznogoud, ce que je trouve dommage...

 

C’est vrai. Pourtant le personnage est très connu. Vouloir "être calife à la place du calife", c’est presque rentré dans le langage public.

 

Comment expliquez-vous que Iznogoud soit malgré cela moins présent dans l’inconscient collectif ?

 

Iznogoud est d’abord et avant tout un héros négatif. Il est exclusivement méchant. Il est difficile pour le lecteur de vraiment s’identifier à un personnage animé de très mauvaises intentions. C’est une des raisons je pense. Après, il y a encore une fois une histoire d’alchimie.

 

Il y avait dans les Iznogoud des trésors d’imagination pour les différents stratagèmes pour réussir à se débarrasser du calife...

 

Les stratagèmes, les calembours... On sent que mon père s’était vraiment éclaté en écrivant les Iznogoud.

 

Comment faites-vous justement pour convoquer, si je puis dire, l’esprit de René Goscinny lorsqu’il s’agit d’accepter ou non telle ou telle idée inspirée des œuvres de votre père ? D’ailleurs comment le définiriez-vous, l’esprit Goscinny ?

 

Déjà, il y a une chose que j’ai mise en place, lorsque je me suis trouvée être l’ayant-droit de cette œuvre. Quand on me demande si mon père aimerait ou apprécierait telle ou telle chose, je réponds que mon père ne peut plus aimer, penser, parler ou voir. Aujourd’hui, c’est moi qui pense, et c’est moi qui vois.

 

« J’ai de l’œuvre de mon père l’oreille absolue. »

 

Donc maintenant l’esprit Goscinny, c’est vous.

 

Oui... Je suis née avec cette encre dans les veines. On partage cet ADN, et moi j’ai de son œuvre l’oreille absolue. Conserver l’esprit d’une œuvre comme celle-ci, c’est un travail de chaque instant, c’est très difficile. Il faut se poser les bonnes questions et être capable de mettre toute son énergie dans une œuvre qui n’est pas la sienne, sans pour autant se l’approprier. C’est un travail d’équilibriste.

 

S’agissant d’Astérix, y a-t-il pour les nouveaux projets des discussions régulières entre vous et l’ayant-droit d’Albert Uderzo ?

 

Oui, c’est plus que des discussions... Quand un nouveau projet nous est soumis, on s’appelle, on en parle, on voit si on est d’accord ou pas... Si nous ne sommes pas d’accord, on en débat, on en parle. C’est une relation presque quotidienne lorsqu’il y a un projet sur le feu.

 

Il faut forcément qu’il y ait consensus ?

 

Oui, bien sûr.

 

« Le Petit Nicolas me fait un peu

 

rencontrer l’enfant que mon père était. »

 

Si vous pouviez, l’espace d’un instant, dans une hypothèse un peu délirante, vous retrouver à arpenter un des univers imaginés par René Goscinny, quel personnage aimeriez-vous rencontrer ?

 

Peut-être Le Petit Nicolas. Parce que dans cette œuvre-là mon père racontait un peu son enfance. Donc je me dis que rencontrer le Petit Nicolas reviendrait un peu à rencontrer mon père enfant...

 

>>> Souvenir (culte) <<<

 

Quelles œuvres moins connues de René Goscinny vous tenant particulièrement à cœur aimeriez-vous nous inciter à découvrir ?

 

Je dois dire que j’aime beaucoup son œuvre cinématographique. Il a créé avec Albert Uderzo un studio de dessins animés qui s’appelait les Studios Idéfix. Ont été réalisés La Ballade des Dalton, Daisy Town, Les Douze Travaux d’Astérix... Je crois que si mon père avait vécu il aurait eu plaisir à continuer cette aventure. Il avait aussi écrit et coréalisé avec Pierre Tchernia Le Viager, et écrit le synopsis d’un film très drôle qui s’appelait Les Gaspards. Il était un fou de cinéma, de dialogues de cinéma, des scénarios, de la production... Pour moi son œuvre méconnue c’est vraiment l’œuvre cinématographique.

 

D’ailleurs à propos des animés, je trouve que ce qu’a fait Alexandre Astier est intéressant par rapport à Astérix...

 

Oui, ce qu’a fait Astier est remarquable.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite ? Vos projets à vous, et tous ceux au titre de la suite des aventures des enfants de Goscinny ?

 

Je dois vous dire que j’attends avec impatience la série sur Netflix portée, réalisée et écrite par Alain Chabat autour de l’album d’Astérix, Le Combat des chefs. 5 épisodes en animation, je crois que ça sort fin avril. En ce qui me concerne, je sors le volume 10 des aventures de mon héroïne Lucrèce, la suite d’une série faite à la manière du Petit Nicolas que j’ai cocréée avec la dessinatrice Catel en 2018 chez Gallimard Jeunesse. Ce sera pour septembre prochain. Et j’espère, un nouveau roman en 2026.

 

« Écrire de la BD ? J’aurais

 

un énorme blocage. Mais aussi,

 

une intense curiosité. »

 

Et si on vous entraînait un jour dans une aventure où vous seriez scénariste de BD, c’est quelque chose qui vous amuserait, ou bien auriez-vous un petit blocage supplémentaire ?

 

J’aurais un énorme blocage. Mais aussi, une intense curiosité. J’ai beaucoup de propositions. Mais si un jour, une d’elles me fait particulièrement plaisir, pourquoi pas. Si c’est dicté par l’unique plaisir.

 

Mais par exemple vous vous interdiriez de scénariser un nouvel Astérix ?

 

Oui, complètement. Ce n’est vraiment pas d’actualité ! Ce serait très compliqué !

 

Que puis-je vous souhaiter, pour 2025 et pour la suite ?

 

Beaucoup d’inspiration. Je suis véritablement très heureuse quand j’écris, et quand je trouve le mot juste.

 

Le mot juste vous l’avez trouvé avec ce roman qui mérite vraiment, à mon sens, de trouver son public...

 

Je l’espère de tout cœur. Qu’il rencontre son public. Qu’on me dise que cette intimité-là a touché une espèce d’universalité. Que j’ai fait un vrai roman sur l’amitié qu’on s’offrirait entre amis.

 

Et si quelqu’un vous proposerait de l’adapter à l’écran, vous y seriez ouverte ?

 

Je crois qu’à peu près rien ne pourrait me faire plus plaisir... Pour l’instant aucun de mes romans n’a été adapté mais sait-on jamais, ça peut changer.

 

Je vous le souhaite en tout cas !

 

Copyright : Jean-Philippe Baltel.

 

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3 février 2025

Nicole Bacharan : « Donald Trump représente bien la tentation illibérale aux États-Unis »

Lors de notre précédente interview pour Paroles d’Actu réalisée en février 2024, alors que l’année électorale s’ouvrait outre-Atlantique, l’historienne et politologue Nicole Bacharan me confia ceci : « Le plus grand défi [pour le prochain président des États-Unis] sera peut-être de maintenir l’unité nationale, de convaincre ses concitoyens qu’ils font partie du même pays, et peuvent continuer à vivre ensemble. » Un an après nous connaissons la suite - pas la fin - du film : le retrait en catastrophe de la candidature Biden au profit de la vice-présidente Kamala Harris, la dynamique de l’été au profit de la démocrate puis, surprise de novembre, la énième pour lui, une victoire nette, collège électoral ET vote populaire, de Donald Trump qui se paya le luxe, dans un des comebacks les plus retentissants de l’histoire, de remporter sans contestation possible l’ensemble des swing states en jeu.

 

Lorsqu’on assista, le 20 janvier, au discours d’investiture du président Trump, mais surtout le même jour à la causerie revancharde offerte à ses fans, il fut évident pour tous que l’heure était plutôt aux règlements de comptes qu’à la réconciliation nationale. Ainsi, alors que le mandat du 47è président des États-Unis n’est vieux que de deux semaines, peut-on déjà tirer une première lecture de long terme de ce moment particulier de l’histoire américaine ? Vous l’aurez compris, pour ce nouvel entretien, c’est autant à la politologue qu’à l’historienne, récemment co-autrice, avec Dominique Simonnet, d’une version augmentée des Secrets de la Maison Blanche (Perrin), ouvrage fort instructif, que j’ai voulu m’adresser. Un regard sur l’Histoire, qui s’écrit peut-être en direct. Merci à Nicole Bacharan pour le temps qu’elle a bien voulu m’accorder. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (novembre '24 à février '25)

Nicole Bacharan : « Donald Trump

 

représente bien la tentation

 

illibérale aux États-Unis. »

 

Illustration : capture d’écran, investiture D. Trump, 2025.

 

Nicole Bacharan bonjour. La nouvelle élection de Donald Trump a été beaucoup plus nette qu’attendu, alors même que chacun avait en tête les événements de janvier 2021. Le phénomène Trump sera-t-il à votre avis une étrange parenthèse dans l’histoire des États-Unis, ou bien y a-t-il véritablement une mutation de l’électorat républicain, et comme une forme de lassitude des Américains pour la démocratie telle qu’elle a été exercée jusqu’à présent, peut-être une "tentation illibérale" ?

 

Force est de constater que dans notre histoire contemporaine, la parenthèse était la présidence de Joe Biden, qui n’était qu’un répit entre deux mandats Trump. La vague populiste est bien là, elle est forte, mondiale, et elle va durer. Certes, la victoire de Donald Trump n’est pas un raz de marée, mais elle est nette, indiscutable, et il a été porté au pouvoir par des électeurs qui savaient qui il était, qui l’avaient vu à l’œuvre, et en toute connaissance de cause, ont souhaité le réinstaller à la Maison Blanche. Certes, on pourrait aussi énoncer bien des éléments qui ont poussé les électeurs qui n’étaient pas particulièrement “MAGA” ni fanatiques de Trump, à se détourner des démocrates : l’inflation et la vie chère, alors que le premier mandat Trump, dans les années avant la pandémie, avait connu une inflation au plancher ; l’âge de Joe Biden qui le rendait inapte à un second mandat, et son retrait trop tardif, qui a frustré les électeurs d’une période de primaires où les candidats démocrates auraient pu se faire connaitre, exposer leurs différences et leurs programmes, et peut-être faire émerger une personnalité plus convaincante que Kamala Harris ; les excès de ce qu’il est convenu d’appeler le “wokisme” parmi les élites démocrates, non seulement dans le parti, mais aussi dans la presse, l’université, les médias, l’édition, avec ces analyses destinées à tronçonner la société en niches de plus en plus fines selon les origines ethniques, les genres, les orientations sexuelles, apparaissent très loin des préoccupations d’une immense majorité d’électeurs… Mais le résultat est là : a été porté à la Maison Blanche un homme qui a toujours refusé de reconnaître sa défaite en 2020, qui a fomenté une émeute pour tenter de se maintenir au pouvoir, qui, à force d’avocats et de manœuvres judiciaires a réussi à échapper – et pour toujours – à toute condamnation. Le parti républicain, bon gré, malgré, s’est soumis, tandis que nombre d’élus plus traditionnels renonçaient à la politique. Le parti de Reagan a disparu, le vieux GOP est devenu le parti de Trump, et cela va durer. La lassitude face à une démocratie souvent inefficace est bien là, avec le désir de bousculer le monde politique. Oui, Trump représente bien la tentation illibérale.

 

L’historienne que vous êtes pressent-elle, au vu des premiers éléments que l’on a de l’administration Trump, et au regard de la longue épopée américaine, que quelque chose de réellement unique, something completely different, va se jouer au cours du nouveau mandat ? Va-t-on vivre un réel tournant s’agissant du rôle de l’Amérique dans le monde tel qu’elle-même le conçoit depuis 80 ans ?

 

Je crois que nous sommes en train d’assister, en effet, à something completely different. J’en veux pour preuve cette hallucinante cérémonie d’investiture, dans la Rotonde de Capitole, qui, le 6 janvier 2021, avait été saccagée, désacralisée par des émeutiers envoyés par Trump. Le nouveau président a ainsi prêté serment sur la Bible, s’engageant à défendre la Constitution, qu’il avait violé en 2021, et tente à nouveau de violer à travers ses premiers décrets, comme celui sur l’abolition du droit du sol, en contradiction directe avec le 14ème amendement. Il a gracié quelque 1500 émeutiers qui avaient attaqué des policiers.

 

Depuis 1945, les États-Unis étaient les garants de l’ordre mondial tel qu’ils avaient tant contribué à le mettre en place. Aujourd’hui, cet ordre est attaqué de toutes parts, par la Russie, par la Chine, par le “Sud global”… Mais, et c’est une première, cet ordre est maintenant attaqué par le président des États-Unis, qui remet en cause les frontières intangibles et la souveraineté des États. C’est une recette pour le chaos.

 

Les Secrets de la Maison Blanche (Perrin, octobre 2024)

 

Considérant la personnalité de Donald Trump tel qu’on le connaît, on imagine mal le cas de figure où il aurait été à la Maison Blanche en octobre 1962, en pleine crise des missiles soviétiques à Cuba... Mais est-ce que vous lui reconnaissez malgré tout des atouts qui peuvent in fine être utiles à son pays ?

 

Donald Trump, toujours en colère, toujours prêt à l’affrontement, à la provocation, paradoxalement, n’aime pas la guerre, et surtout pas la guerre nucléaire. Je suis persuadée que non, il n’aurait pas “appuyé sur le bouton”… Aussi, aujourd’hui, s’il parvient à imposer un certain apaisement dans les zones les plus “chaudes” de notre globe, je le reconnaîtrai et m’en féliciterai.

 

Si vous pouviez, les yeux dans les yeux, poser une question à Donald Trump, quelle serait-elle ?

 

Tristement, je dois admettre que je n’en aurais aucune. Je n’ai rien à lui dire, ni à lui demander. Ne vous méprenez pas : je ne conteste nullement son élection, ni la nécessité de réformer l’État, et particulièrement de revoir et contrôler les gaspillages d’argent public qui existent bien. Mais cet homme – il l’a si amplement démontré – n’a aucune parole, aucune structure morale, aucune empathie. Il ment à tout propos. Il est en rage, en guerre contre tout et tout le monde. Il entraîne le monde dans sa colère.

 

 

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3 février 2025

Daniel Pantchenko : « Nougaro cherchait, il inventait, encore et encore... »

Je ne présenterai pas au lecteur fidèle et attentif de Paroles d’Actu Daniel Pantchenko. Journaliste respecté (pour l’Huma et Chorus par le passé) et auteur de nombreuses bios d’artistes de la chanson française, il a à plusieurs reprises accepté de me parler de son sujet du moment : en 2014 et 2021 Aznavour ; en 2022 Cabrel ; Anne Sylvestre l’année d’après. et habitué de Paroles d’Actu. Cette nouvelle interview tourne autour d’un autre grand de la chanson française, qui prouva que le français aussi, ça pouvait swinguer. Claude Nougaro, puisque, vous l’aurez deviné, c’est de lui qu’il s’agit, lui avait accordé plusieurs entretiens entre 1983 et 2002 (soit deux ans avant sa mort).

 

L’an dernier, il y eut pour les vingt ans de sa disparition pas mal d’évènements hommages au fameux Toulousain qui chanta si bien sa ville, dont quelques concerts et conférences tout près de chez moi à Vienne (Isère), dans le cadre du festival jazz de la ville. Claude Nougaro, « Je suis un ouvrier du rêve » (Le Bord de l’eau, janvier 2025) est un recueil qui reprend les échanges entre Pantchenko et Nougaro, dans leurs versions non tronquées, avec quelques témoignages bonus de musiciens avec qui il a travaillé, ou qu’il a inspirés. Le tout ne pourra que ravir celles et ceux qui vibrent encore à l’écoute des sons et de la voix si particulier de l’artiste. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (fin janvier 2025)

Daniel Pantchenko: « Nougaro cherchait,

 

il inventait, encore et encore... »

Claude Nougaro, « Je suis un ouvrier du rêve » (Le Bord de l’eau, janvier 2025).

 

Daniel Pantchenko bonjour. Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce recueil d’entretiens avec Claude Nougaro plutôt qu’une bio, comme vous l’avez fait pour beaucoup d’artistes ?

 

L’idée n’est pas de moi. Elle vient de Jean-Paul Liégeois, grand amateur et connaisseur de la chanson française, en particulier de Georges Brassens à propos duquel il a initié différents ouvrages. En 2016, après que j’ai écrit quatre biographies chez Fayard (sur Charles Aznavour, Jean Ferrat, Anne Sylvestre et Serge Reggiani) il est devenu mon directeur éditorial au Cherche Midi pour un livre en partie biographique sur Léo Ferré. En 2021, j’ai poursuivi l’aventure avec lui pour un ouvrage différent sur Aznavour, cette fois aux éditions Le Bord de l’eau au sein desquelles il a créé la collection Le Miroir aux chansons avec Salvador Juan. Par ailleurs, à la demande des éditions EPA/Hachette, j’ai signé deux «  beau livres » (très illustrés), sur les discographies respectives de Jean-Jacques Goldman et de Francis Cabrel. Là encore, il y avait une forte partie biographique, dimension que l’on retrouve de fait dans mon livre sur Claude Nougaro, puisque c’est toujours et d’abord l’œuvre qui m’intéresse. Autre précision, c’est Jean-Paul Liégeois qui a demandé à François Morel s’il acceptait qu’on utilise en prologue de ce livre une chronique enregistrée pour France Inter à propos de la chanson Assez ! Chose amusante, c’est un extrait d’une autres de ses chroniques que j’ai utilisé en 2023 à la fin de la mise à jour de ma biographie d’Anne Sylvestre !

 

>>> Assez ! <<<

 

Ce qui m’a frappé, à la lecture de ses réponses, c’est la grande qualité littéraire des phrases de Nougaro, très recherchées même dans la réflexion immédiate d’une interview. Ça n’est pas donné à tout le monde... C’était je l’imagine d’autant plus impressionnant de l’interroger, comme jeune et moins jeune journaliste.

 

Oui, ce qui frappe, c’est la fibre native de ses réponses. Il y a chez Nougaro un mélange constant de spontanéité (presque de réflexe naturel) et de choix de mots qui sonnent autant qu’ils réfléchissent. Un pur bonheur pour quelqu’un comme moi. C’était certes impressionnant à l’époque, mais jusqu’en 1985 j’ai été également auteur-compositeur-interprète (j’ai fait des premières parties, j’ai croisé alors pas mal d’artistes) et avant lui, j’avais interviewé des personnalités elles-mêmes très marquantes comme Dick Annegarn, Catherine Ribeiro, Angélique Ionatos, Serge Reggiani, Michel Jonsaz, Fabienne Thibeault, Robert Charlebois ou Julien Clerc.

 

Un rapport de confiance et même, par moments, d’affection s’est instauré entre vous. Il vous a d’ailleurs offert le texte d’une de ses chansons récentes pour votre anniversaire. On a dans le livre les mots qui se sont dits, mais quid de sa présence physique, de son langage corporel ? Comment avez-vous cerné le Nougaro que vous avez rencontré ? Sincèrement généreux ? Avec ses failles  ?

 

C’est vrai que lorsqu’un artiste connu - important comme lui -, vous demande en souriant « Ça ne vous dérange pas si je mets en fond sonore un disque d’Eddy Louiss ? », c’est un peu déstabilisant. À l’époque, j’utilisais un magnétophone à cassettes qui n’était pas au top (finalement pas si mal, puisque je peux encore transférer de nombreux enregistrements), mais je savais que dans les cafés et autres lieux publics d’interviews ce n’était pas mieux. Après, il y a la personnalité de l’artiste, le personnage, son caractère du moment, la période qu’il traverse… Avec Nougaro, cela n’a jamais été pareil  : je l’ai rencontré dans des endroits très différents, dans des états très différents et – comme pour d’autres, notamment au cours de festivals – j’ai renoncé parfois à mon idée première de l’interviewer, au profit de la découverte de jeunes artistes comme Jeanne Cherhal en mai 2001 au 16e Festival de Montauban (dans le numéro 36 de Chorus, je lui ai consacré un encadré intitulé La folie Jeanne Cherhal). C’était ainsi. Je n’ai jamais cherché à faire des selfies avec les personnalités connues. Ça a pu arriver mais on voit surtout ma nuque, comme sur la 4e de couverture du livre). Bien sûr, il avait un côté spontané, généreux, mais pas que…  Et c’est pourquoi, avec lui on s’est tantôt vouvoyés, tantôt tutoyés.

 

>>> Nougayork <<<

 

Nougaro refusait d’être présenté comme un artisan, parce qu’un artisan, vous a-t-il expliqué, aussi respectable soit-il, va parfaire sa maîtrise d’une technique, alors que lui entendait se renouveler à chaque fois, d’où la préférence pour la jolie expression d’"ouvrier du rêve". Diriez-vous que son œuvre a réellement été une œuvre de renouveau, de prise de risque permanents ?

 

Comme chez nombre de ses collègues, il a connu différentes périodes, liées à des choix très personnels, à divers moments de sa vie privée, à des rencontres artistiques et professionnelles, et bien sûr à son âge. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a décidé en 2002 (à 72 ans, soit deux ans avant sa mort) de dire ses textes, assis, et de tourner dans des salles plus intimistes de 400/500 places. Après s’être renouvelé à de nombreuses reprises (notamment après son voyage à New York en 1986), il a trouvé là un moyen plus posé de valoriser sa fibre de comédien, ses mots étant comme jamais mis en avant. C’était une autre forme de prise de risques, en solitaire, après avoir multiplié les expériences musicales et très scéniques, avec des virtuoses d’origines diverses.

 

En novembre 2000. Par Francis Vernhet.

 

Il y a dans ces interviews, qui s’étalent sur à peu près 20 ans, des éléments de son actualité du moment (tel album, telle tournée), mais aussi des réflexions intemporelles sur l’art, sur le métier, sur la vie. Qu’est-ce qui vous a marqué particulièrement dans ce qu’il vous a confié  ?

 

Quelque part, sans doute, ses contradictions. Contradictions qu’il reconnaît volontiers au fil des discussions, mais qui le conduisent justement à chercher, inventer encore et encore. Il dit la «  sympathie spontanée  » qu’il éprouve pour Johnny Hallyday parce que «  cela fait 30 ans qu’il mouille  », mais il apprécie la jeune génération du moment, des artistes beaucoup moins médiatisés comme Sanseverino, Thomas Fersen et bien sûr Allain Leprest. Pour un sanguin de sa trempe, difficile de concilier les excès liés à la célébrité médiatique et son ouverture généreuse à la découverte. L’alcool (auquel il fait lui-même allusion en interviews) n’a pas facilité les choses, mais il est certain que sa rencontre avec Hélène - «  la femme de ma mort  » comme il s’est plu à le souligner – lui a apporté une stabilité inédite. Sa confidence qui m’a précisément marquée, c’est «  le coup initial dont je suis issu a été tiré à Saïgon  » (p. 44). Comme je l’ai précisé en ouverture du chapitre, c’était dans un contexte particulier (la maquette d’un nouvel album + la bouteille de whisky bien entamée + le fait de nous revoir trois semaines après ma deuxième interview ) et je ne crois pas qu’il l’ait exprimé de cette façon à d’autres journalistes. Quelques années après son décès, j’ai d’ailleurs donné à Hélène (que je croisais de temps en temps dans des salles de spectacles) une copie CD de cette interview.

 

Nougaro, son œuvre, ça a été la conjugaison de son amour pour les mots, la poésie, le jazz et la world music. Il a d’ailleurs, c’est indiqué aussi dans le livre, fait comprendre que le français ça pouvait "swinguer" aussi. A-t-il ouvert une brèche dans laquelle d’autres se sont engouffrés, ou bien cette page-là, du jazz en français, s’est-elle un peu refermée après lui  ?

 

Depuis la fin de la revue Chorus, en juin 2009, date de mes dernières activités journalistiques importantes, j’aurais beaucoup de mal à répondre. Ce que l’on percevait en tout cas, du vivant de Nougaro, c’était l’arrivée de personnalités comme Sanseverino (qu’il cite), Catherine Lara et Maurane qui – de leur propre aveux – lui devaient beaucoup. Ces dernières années, on constate également une multiplication des spectacles qui lui rendent hommage, notamment un créé par des artistes que j’ai bien connus : Tribu Nougaro, avec Laurent Malot, Franck Steckar et Christophe Devillers, dans une mise en scène de Xavier Lacouture.

 

>>> Il y avait une ville <<<

 

Quelles chansons de Nougaro mériteraient particulièrement d’être découvertes ou redécouvertes à votre avis  ?

 

Comme toujours, il y en aurait beaucoup au fil des époques et c’est d’abord une question de goûts personnels. Je citerai donc la toute première de 1958, Il y avait une ville, qui résonne avec Il s’est passé quelque chose, clin/deuil en 2005 de la Toulousaine Juliette à la catastrophe d’AZF de 2001. Ensuite, disons À bout de souffle (1966, d’après le Blue Rondo à la Turk de Dave Brubeck), la déjà écolo Assez ! et Le Coq et la pendule (1980, amical salut à son complice Maurice Vander qui en a composé la musique et qui est interviewé dans le livre), Nougayork (1987), L’Île Hélène et – évidemment – Mademoiselle Maman (2000) dans laquelle, il confirme les origines saïgonnaises qu’il m’avait avouées 13 années plus tôt.

 

>>> Mademoiselle Maman <<<

 

Nougaro en trois mots  ? Pour l’anagramme ça risque d’être compliqué  ?

 

Là, les trois mots, il me les a offerts lui-même, précisément lors de ma troisième interview en décembre 1987 et c’est quasi devenu le titre de mon livre : Ouvrier du rêve.

 

Côté anagrammes, on peut dire que (le tempétueux) Claude Nougaro / Coule d’ouragan, qu’il représente un trésor toulousain voire un Or au Languedoc. Qu’il reste une marque de référence, mais qu’on peut s’interroger, d’autres ayant trouvé que parfois il ne se foulait pas  : AOC ou glandeur ? D’autres encore ont estimé que son parcours scolaire tourmenté a transformé L’ado en couguar.

 

Que retenez-vous de vos années Chorus, Daniel  ? Cette époque vous manque  ? Faire encore, comme vous le faisiez alors, du journalisme plus immédiat, ça pourrait vous tenter  ?

 

Vaste question. Là, il me faudrait un livre entier pour y répondre. J’ai collaboré à ce trimestriel de 1992 à 2009 après 15 années à l’Humanité, au cours desquelles j’avais déjà écrit de nombreux articles et réalisé de multiples interviews. Toujours comme pigiste, je m’inscrivais dans la continuité, ce que l’on constate d’ailleurs via la construction de mon bouquin sur Nougaro. Bouquin dont, la photo de couverture (+ celle de la 4e de couv’) est comme toujours de mon ami Francis Vernhet, que j’ai précisément connu à Chorus. À l’époque, j’y ai créé le site Internet, j’’ai animé différentes rubriques et je me suis très bien entendu avec toute l’équipe, à commencer par son couple créateur, Fred et Mauricette Hidalgo. Cela étant, pour moi comme pour pas mal d’autres, il y a eu un avant et un après Marc Robine, qui nous a quittés beaucoup trop tôt à 52 ans en août 2003, victime du même cancer que Nougaro l’année suivante. C’est à partir d’un début de biographie d’Aznavour écrite par Marc (environ 150 pages), que j’ai publié mon premier livre chez Fayard au printemps 2006, en le co-signant bien sûr avec lui et en gardant le sous-titre qu’il avait trouvé  : «  le destin apprivoisé  ».

 

>>> Cécile ma fille <<<

 

Aujourd’hui, je n’oublie rien, mais c’était la vie d’avant. Elle ne me manque pas, je suis officiellement à la retraite, mais j’ai la chance de pouvoir continuer à écrire des livres. On m’en suggère (à l’image de ce Nougaro), je collabore – surtout comme correcteur, dit «  Monsieur Virgule  » - au trimestriel de mon quartier de Bacalan à Bordeaux et je continue à animer régulièrement des conférences audiovisuelles (cf. mon site http://www.pantchenko.fr), par exemple le 3 avril sur Francis Cabrel à Bacalan et en juillet sur Anne Sylvestre à Antraigues en Ardèche.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite  ? Des bios en projet  ? Pourriez-vous réitérer l’expérience du recueil d’entretiens avec d’autres artistes  ?

 

Aujourd’hui pour moi, plus que jamais, il y a la vie de famille, avec un petit-fils de deux ans et demi. J’ai décliné quelques projets de bios, je ne refuserai pas certaines propositions, mais au coup par coup, donc forcément de façon limitée. Outre les conférences que je viens d’indiquer, je travaille sur un livre d’anagrammes autour de la chanson que j’espère terminer d’ici deux ans.

 

Un dernier mot  ?

 

Round terminé ! C’est la réponse-anagramme incluse dans cette dernière question.

 

Photo : Claudie Pantchenko.

 

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