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Paroles d'Actu
3 février 2025

Daniel Pantchenko : « Nougaro cherchait, il inventait, encore et encore... »

Je ne présenterai pas au lecteur fidèle et attentif de Paroles d’Actu Daniel Pantchenko. Journaliste respecté (pour l’Huma et Chorus par le passé) et auteur de nombreuses bios d’artistes de la chanson française, il a à plusieurs reprises accepté de me parler de son sujet du moment : en 2014 et 2021 Aznavour ; en 2022 Cabrel ; Anne Sylvestre l’année d’après. et habitué de Paroles d’Actu. Cette nouvelle interview tourne autour d’un autre grand de la chanson française, qui prouva que le français aussi, ça pouvait swinguer. Claude Nougaro, puisque, vous l’aurez deviné, c’est de lui qu’il s’agit, lui avait accordé plusieurs entretiens entre 1983 et 2002 (soit deux ans avant sa mort).

 

L’an dernier, il y eut pour les vingt ans de sa disparition pas mal d’évènements hommages au fameux Toulousain qui chanta si bien sa ville, dont quelques concerts et conférences tout près de chez moi à Vienne (Isère), dans le cadre du festival jazz de la ville. Claude Nougaro, « Je suis un ouvrier du rêve » (Le Bord de l’eau, janvier 2025) est un recueil qui reprend les échanges entre Pantchenko et Nougaro, dans leurs versions non tronquées, avec quelques témoignages bonus de musiciens avec qui il a travaillé, ou qu’il a inspirés. Le tout ne pourra que ravir celles et ceux qui vibrent encore à l’écoute des sons et de la voix si particulier de l’artiste. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (fin janvier 2025)

Daniel Pantchenko: « Nougaro cherchait,

 

il inventait, encore et encore... »

Claude Nougaro, « Je suis un ouvrier du rêve » (Le Bord de l’eau, janvier 2025).

 

Daniel Pantchenko bonjour. Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce recueil d’entretiens avec Claude Nougaro plutôt qu’une bio, comme vous l’avez fait pour beaucoup d’artistes ?

 

L’idée n’est pas de moi. Elle vient de Jean-Paul Liégeois, grand amateur et connaisseur de la chanson française, en particulier de Georges Brassens à propos duquel il a initié différents ouvrages. En 2016, après que j’ai écrit quatre biographies chez Fayard (sur Charles Aznavour, Jean Ferrat, Anne Sylvestre et Serge Reggiani) il est devenu mon directeur éditorial au Cherche Midi pour un livre en partie biographique sur Léo Ferré. En 2021, j’ai poursuivi l’aventure avec lui pour un ouvrage différent sur Aznavour, cette fois aux éditions Le Bord de l’eau au sein desquelles il a créé la collection Le Miroir aux chansons avec Salvador Juan. Par ailleurs, à la demande des éditions EPA/Hachette, j’ai signé deux «  beau livres » (très illustrés), sur les discographies respectives de Jean-Jacques Goldman et de Francis Cabrel. Là encore, il y avait une forte partie biographique, dimension que l’on retrouve de fait dans mon livre sur Claude Nougaro, puisque c’est toujours et d’abord l’œuvre qui m’intéresse. Autre précision, c’est Jean-Paul Liégeois qui a demandé à François Morel s’il acceptait qu’on utilise en prologue de ce livre une chronique enregistrée pour France Inter à propos de la chanson Assez ! Chose amusante, c’est un extrait d’une autres de ses chroniques que j’ai utilisé en 2023 à la fin de la mise à jour de ma biographie d’Anne Sylvestre !

 

>>> Assez ! <<<

 

Ce qui m’a frappé, à la lecture de ses réponses, c’est la grande qualité littéraire des phrases de Nougaro, très recherchées même dans la réflexion immédiate d’une interview. Ça n’est pas donné à tout le monde... C’était je l’imagine d’autant plus impressionnant de l’interroger, comme jeune et moins jeune journaliste.

 

Oui, ce qui frappe, c’est la fibre native de ses réponses. Il y a chez Nougaro un mélange constant de spontanéité (presque de réflexe naturel) et de choix de mots qui sonnent autant qu’ils réfléchissent. Un pur bonheur pour quelqu’un comme moi. C’était certes impressionnant à l’époque, mais jusqu’en 1985 j’ai été également auteur-compositeur-interprète (j’ai fait des premières parties, j’ai croisé alors pas mal d’artistes) et avant lui, j’avais interviewé des personnalités elles-mêmes très marquantes comme Dick Annegarn, Catherine Ribeiro, Angélique Ionatos, Serge Reggiani, Michel Jonsaz, Fabienne Thibeault, Robert Charlebois ou Julien Clerc.

 

Un rapport de confiance et même, par moments, d’affection s’est instauré entre vous. Il vous a d’ailleurs offert le texte d’une de ses chansons récentes pour votre anniversaire. On a dans le livre les mots qui se sont dits, mais quid de sa présence physique, de son langage corporel ? Comment avez-vous cerné le Nougaro que vous avez rencontré ? Sincèrement généreux ? Avec ses failles  ?

 

C’est vrai que lorsqu’un artiste connu - important comme lui -, vous demande en souriant « Ça ne vous dérange pas si je mets en fond sonore un disque d’Eddy Louiss ? », c’est un peu déstabilisant. À l’époque, j’utilisais un magnétophone à cassettes qui n’était pas au top (finalement pas si mal, puisque je peux encore transférer de nombreux enregistrements), mais je savais que dans les cafés et autres lieux publics d’interviews ce n’était pas mieux. Après, il y a la personnalité de l’artiste, le personnage, son caractère du moment, la période qu’il traverse… Avec Nougaro, cela n’a jamais été pareil  : je l’ai rencontré dans des endroits très différents, dans des états très différents et – comme pour d’autres, notamment au cours de festivals – j’ai renoncé parfois à mon idée première de l’interviewer, au profit de la découverte de jeunes artistes comme Jeanne Cherhal en mai 2001 au 16e Festival de Montauban (dans le numéro 36 de Chorus, je lui ai consacré un encadré intitulé La folie Jeanne Cherhal). C’était ainsi. Je n’ai jamais cherché à faire des selfies avec les personnalités connues. Ça a pu arriver mais on voit surtout ma nuque, comme sur la 4e de couverture du livre). Bien sûr, il avait un côté spontané, généreux, mais pas que…  Et c’est pourquoi, avec lui on s’est tantôt vouvoyés, tantôt tutoyés.

 

>>> Nougayork <<<

 

Nougaro refusait d’être présenté comme un artisan, parce qu’un artisan, vous a-t-il expliqué, aussi respectable soit-il, va parfaire sa maîtrise d’une technique, alors que lui entendait se renouveler à chaque fois, d’où la préférence pour la jolie expression d’"ouvrier du rêve". Diriez-vous que son œuvre a réellement été une œuvre de renouveau, de prise de risque permanents ?

 

Comme chez nombre de ses collègues, il a connu différentes périodes, liées à des choix très personnels, à divers moments de sa vie privée, à des rencontres artistiques et professionnelles, et bien sûr à son âge. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a décidé en 2002 (à 72 ans, soit deux ans avant sa mort) de dire ses textes, assis, et de tourner dans des salles plus intimistes de 400/500 places. Après s’être renouvelé à de nombreuses reprises (notamment après son voyage à New York en 1986), il a trouvé là un moyen plus posé de valoriser sa fibre de comédien, ses mots étant comme jamais mis en avant. C’était une autre forme de prise de risques, en solitaire, après avoir multiplié les expériences musicales et très scéniques, avec des virtuoses d’origines diverses.

 

En novembre 2000. Par Francis Vernhet.

 

Il y a dans ces interviews, qui s’étalent sur à peu près 20 ans, des éléments de son actualité du moment (tel album, telle tournée), mais aussi des réflexions intemporelles sur l’art, sur le métier, sur la vie. Qu’est-ce qui vous a marqué particulièrement dans ce qu’il vous a confié  ?

 

Quelque part, sans doute, ses contradictions. Contradictions qu’il reconnaît volontiers au fil des discussions, mais qui le conduisent justement à chercher, inventer encore et encore. Il dit la «  sympathie spontanée  » qu’il éprouve pour Johnny Hallyday parce que «  cela fait 30 ans qu’il mouille  », mais il apprécie la jeune génération du moment, des artistes beaucoup moins médiatisés comme Sanseverino, Thomas Fersen et bien sûr Allain Leprest. Pour un sanguin de sa trempe, difficile de concilier les excès liés à la célébrité médiatique et son ouverture généreuse à la découverte. L’alcool (auquel il fait lui-même allusion en interviews) n’a pas facilité les choses, mais il est certain que sa rencontre avec Hélène - «  la femme de ma mort  » comme il s’est plu à le souligner – lui a apporté une stabilité inédite. Sa confidence qui m’a précisément marquée, c’est «  le coup initial dont je suis issu a été tiré à Saïgon  » (p. 44). Comme je l’ai précisé en ouverture du chapitre, c’était dans un contexte particulier (la maquette d’un nouvel album + la bouteille de whisky bien entamée + le fait de nous revoir trois semaines après ma deuxième interview ) et je ne crois pas qu’il l’ait exprimé de cette façon à d’autres journalistes. Quelques années après son décès, j’ai d’ailleurs donné à Hélène (que je croisais de temps en temps dans des salles de spectacles) une copie CD de cette interview.

 

Nougaro, son œuvre, ça a été la conjugaison de son amour pour les mots, la poésie, le jazz et la world music. Il a d’ailleurs, c’est indiqué aussi dans le livre, fait comprendre que le français ça pouvait "swinguer" aussi. A-t-il ouvert une brèche dans laquelle d’autres se sont engouffrés, ou bien cette page-là, du jazz en français, s’est-elle un peu refermée après lui  ?

 

Depuis la fin de la revue Chorus, en juin 2009, date de mes dernières activités journalistiques importantes, j’aurais beaucoup de mal à répondre. Ce que l’on percevait en tout cas, du vivant de Nougaro, c’était l’arrivée de personnalités comme Sanseverino (qu’il cite), Catherine Lara et Maurane qui – de leur propre aveux – lui devaient beaucoup. Ces dernières années, on constate également une multiplication des spectacles qui lui rendent hommage, notamment un créé par des artistes que j’ai bien connus : Tribu Nougaro, avec Laurent Malot, Franck Steckar et Christophe Devillers, dans une mise en scène de Xavier Lacouture.

 

>>> Il y avait une ville <<<

 

Quelles chansons de Nougaro mériteraient particulièrement d’être découvertes ou redécouvertes à votre avis  ?

 

Comme toujours, il y en aurait beaucoup au fil des époques et c’est d’abord une question de goûts personnels. Je citerai donc la toute première de 1958, Il y avait une ville, qui résonne avec Il s’est passé quelque chose, clin/deuil en 2005 de la Toulousaine Juliette à la catastrophe d’AZF de 2001. Ensuite, disons À bout de souffle (1966, d’après le Blue Rondo à la Turk de Dave Brubeck), la déjà écolo Assez ! et Le Coq et la pendule (1980, amical salut à son complice Maurice Vander qui en a composé la musique et qui est interviewé dans le livre), Nougayork (1987), L’Île Hélène et – évidemment – Mademoiselle Maman (2000) dans laquelle, il confirme les origines saïgonnaises qu’il m’avait avouées 13 années plus tôt.

 

>>> Mademoiselle Maman <<<

 

Nougaro en trois mots  ? Pour l’anagramme ça risque d’être compliqué  ?

 

Là, les trois mots, il me les a offerts lui-même, précisément lors de ma troisième interview en décembre 1987 et c’est quasi devenu le titre de mon livre : Ouvrier du rêve.

 

Côté anagrammes, on peut dire que (le tempétueux) Claude Nougaro / Coule d’ouragan, qu’il représente un trésor toulousain voire un Or au Languedoc. Qu’il reste une marque de référence, mais qu’on peut s’interroger, d’autres ayant trouvé que parfois il ne se foulait pas  : AOC ou glandeur ? D’autres encore ont estimé que son parcours scolaire tourmenté a transformé L’ado en couguar.

 

Que retenez-vous de vos années Chorus, Daniel  ? Cette époque vous manque  ? Faire encore, comme vous le faisiez alors, du journalisme plus immédiat, ça pourrait vous tenter  ?

 

Vaste question. Là, il me faudrait un livre entier pour y répondre. J’ai collaboré à ce trimestriel de 1992 à 2009 après 15 années à l’Humanité, au cours desquelles j’avais déjà écrit de nombreux articles et réalisé de multiples interviews. Toujours comme pigiste, je m’inscrivais dans la continuité, ce que l’on constate d’ailleurs via la construction de mon bouquin sur Nougaro. Bouquin dont, la photo de couverture (+ celle de la 4e de couv’) est comme toujours de mon ami Francis Vernhet, que j’ai précisément connu à Chorus. À l’époque, j’y ai créé le site Internet, j’’ai animé différentes rubriques et je me suis très bien entendu avec toute l’équipe, à commencer par son couple créateur, Fred et Mauricette Hidalgo. Cela étant, pour moi comme pour pas mal d’autres, il y a eu un avant et un après Marc Robine, qui nous a quittés beaucoup trop tôt à 52 ans en août 2003, victime du même cancer que Nougaro l’année suivante. C’est à partir d’un début de biographie d’Aznavour écrite par Marc (environ 150 pages), que j’ai publié mon premier livre chez Fayard au printemps 2006, en le co-signant bien sûr avec lui et en gardant le sous-titre qu’il avait trouvé  : «  le destin apprivoisé  ».

 

>>> Cécile ma fille <<<

 

Aujourd’hui, je n’oublie rien, mais c’était la vie d’avant. Elle ne me manque pas, je suis officiellement à la retraite, mais j’ai la chance de pouvoir continuer à écrire des livres. On m’en suggère (à l’image de ce Nougaro), je collabore – surtout comme correcteur, dit «  Monsieur Virgule  » - au trimestriel de mon quartier de Bacalan à Bordeaux et je continue à animer régulièrement des conférences audiovisuelles (cf. mon site http://www.pantchenko.fr), par exemple le 3 avril sur Francis Cabrel à Bacalan et en juillet sur Anne Sylvestre à Antraigues en Ardèche.

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite  ? Des bios en projet  ? Pourriez-vous réitérer l’expérience du recueil d’entretiens avec d’autres artistes  ?

 

Aujourd’hui pour moi, plus que jamais, il y a la vie de famille, avec un petit-fils de deux ans et demi. J’ai décliné quelques projets de bios, je ne refuserai pas certaines propositions, mais au coup par coup, donc forcément de façon limitée. Outre les conférences que je viens d’indiquer, je travaille sur un livre d’anagrammes autour de la chanson que j’espère terminer d’ici deux ans.

 

Un dernier mot  ?

 

Round terminé ! C’est la réponse-anagramme incluse dans cette dernière question.

 

Photo : Claudie Pantchenko.

 

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