Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
23 février 2024

Nicole Bacharan : « Le maintien de l'unité nationale des États-Unis, un enjeu majeur de la présidentielle... »

Il y a deux ans, le 24 février 2022, débutait l’invasion par la Russie de Vladimir Poutine de l’Ukraine. Deux années au cours desquels les Occidentaux, les États-Unis à leur tête, ont repensé ou en tout cas, adapté leur doctrine de défense collective et d’engagement militaire : l’aide financière et matérielle apportée par les Américains et par les Européens aux défenseurs ukrainiens (rappelons que l’Ukraine n’est membre ni de l’OTAN, ni de l’UE) a été massive, à tel point qu’on se retrouve désormais à un cheveu de la cobelligérance - ce que ni les uns ni les autres ne veulent invoquer explicitement, une confrontation directe entre puissances massivement nucléaires n’étant pas un risque que l’on veut prendre, à moins d’assumer d’être prêt à entrer dans quelque chose de... complètement nouveau.

C’est dans ce contexte particulier que s’est ouverte, en janvier, la saison électorale 2024 aux États-Unis. Dans huit mois et demi, on devrait connaître, sauf surprise qui n’est plus complètement improbable, le nom du prochain locataire de la Maison Blanche : l’actuel, le démocrate Joe Biden, s’il est renouvelé, ou peut-être l’ancien président battu en 2020, le républicain Donald Trump. Une tierce personne ? Peu probable mais pourquoi pas : outre les questionnements sérieux que posent la santé de Joe Biden et la situation judiciaire de Donald Trump, on ne peut que constater le manque d’enthousiasme que suscite, auprès du peuple américain, ce remake d’un duel entre vieillards (dans ce cas, le président élu serait, au début de son mandat, plus âgé que Ronald Reagan à la fin de son second mandat). Une surprise, un coup de théâtre, un coup de tonnerre ? La saison 2024 est ouverte, oui, dans un contexte international et même national compliqué, et potentiellement explosif...

La plus résistante de toutes

La dernière fois que j’ai interviewé la politologue et experte des États-Unis Nicole Bacharan, c’était il y a un an, pour un tout autre sujet : un livre, touchant, celui qu’elle a consacré à l’histoire de sa mère, Ginette Guy, héroïne de la Résistance, presque malgré elle (La plus résistante de toutes, paru chez Stock). En évoquant sa vie, son exemple, je songe forcément à Missak Manouchian et à son épouse Mélinée, entrés au Panthéon il y a deux jours, et à tous leurs compagnons qui ont été prêts à donner leur vie pour ne pas vivre en esclaves, et pour nous l’épargner, à nous... Je ne pouvais pas ne pas les évoquer, elle et eux, aujourd’hui. Je salue Nicole Bacharan et la remercie pour cette nouvelle interview, axée donc sur la politique américaine. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (Q. : 31/01/24 ; R. : 21/02/24)

Nicole Bacharan : « Le maintien

de l’unité nationale des États-Unis

sera un enjeu majeur

de la présidentielle 2024... »

Cloudy White House

Illustration : Adobe Stock.

 

La campagne présidentielle américaine qui s’ouvre semble devoir promettre pour novembre un match retour Biden-Trump, un duel peu enthousiasmant (et qui sera certainement "dirty" comme jamais) entre un président sortant de 82 ans à la santé fragile, et un ex président qui a marabouté le Parti républicain et ouvertement encouragé ses soutiens les plus radicaux à contester les résultats du scrutin de 2020. Si cette affiche devait effectivement être celle de l’élection, ne serait-ce pas le signe d’une démocratie américaine malade, et y aurait-il alors une chance que le vote se joue ne serait-ce qu’un peu sur les programmes ?

Une grande majorité d’Américains – quelque 70% - sont d’accord sur deux choses  : ils n’ont aucune envie de revivre le duel Biden-Trump, et les deux candidats sont trop âgés pour assumer la fonction présidentielle. Les plus jeunes, ceux qui voteront pour la première fois en novembre 2024, devront choisir entre deux candidats qui pourraient être leurs arrière-grands-pères, qui semblent très loin de leur monde, et certainement ne les comprennent pas. La jeunesse ira-t-elle voter  ?

Déjà, ce duel annoncé provoque une grande lassitude, un sentiment de désenchantement et d’inquiétude. Est-ce là vraiment tout ce que la politique américaine peut offrir  ? D’un côté, Biden, le vieux routier démocrate dont le bilan est plus qu’honorable mais dont on déplore qu’il n’ait pas su à temps passer la main. De l’autre, Trump, l’ancien président qui n’en finit pas de vider ses vieilles querelles, de rejouer indéfiniment l’élection de 2020 qu’il prétend encore avoir gagnée, et envisage son prochain mandat comme une opération de vengeance et de transformation des États-Unis en État autoritaire.

À l’évidence, le rôle écrasant de l’argent dans les campagnes (il favorise toujours les sortants, déjà installés, déjà connus), le vieux système du Collège des Grands électeurs qui ne garantit pas l’égalité de vote entre les citoyens, l’ascension d’un démagogue qui incarne exactement ce que les rédacteurs de la Constitution voulaient écarter, sont autant de signes d’une démocratie qui peine à s’adapter au monde moderne et à préserver ses garde-fous.

De quels programmes parlera-t-on  ? De l’immigration, de l’économie, de la santé, du rôle des États-Unis dans le monde… Mais il sera bien difficile de sortir des querelles de personnes et des caricatures.

 

Le contexte international devrait être exceptionnellement chargé lors des élections de cet automne, entre la situation en Russie et en Ukraine, celle au Proche-Orient, et toutes les menaces que le public américain peut percevoir en provenance de la Chine, de la Corée du Nord, de l’Iran. On dit que la politique étrangère détermine rarement l’issue d’un scrutin, mais est-ce qu’à votre avis les choses peuvent être différentes cette année, notamment si des débats portent sur les lignes de fracture interventionnisme/isolationnisme, libre-échangisme/protectionnisme ?

Aux États-Unis comme en France, on a le sentiment qu’au moment de la campagne électorale, le pays devient une île, refermée sur soi et isolée du reste du monde, la politique extérieure peine alors à occuper la moindre place. L’isolationnisme reste un fantasme récurrent, l’interventionnisme un dernier recours que l’on préfère éviter. Cela sera-t-il différent cette année, alors que deux guerres majeures sont en cours, et que la Russie, la Chine, la Corée du nord, l’Iran sont de plus en plus menaçants  ? Joe Biden incarne une forme d’internationalisme, attaché au leadership américain, convaincu de la valeur et de la nécessité des alliances. Donald Trump regarde le monde comme un ring de boxe, où seule compte la brutalité du plus fort. Pour lui, les autocrates sont des modèles, les alliances une charge inutile, il envisage la sécurité américaine à travers un accroissement constant de la force militaire, faisant des États-Unis une puissance écrasante détachée de toute obligation à l’égard des alliés et du reste du monde. Une vision qui peut séduire les tenants d’un isolationnisme extrême, mais bien loin de la réalité d’un monde toujours plus interdépendant.

 

Si l’on regarde le bilan de l’Administration Biden, peut-être aussi les sondages, quelles lignes ont bougé par rapport à novembre 2020 ? S’agissant des indépendants notamment, des indécis aussi, sentez-vous de leur part, à ce stade en tout cas, une propension plus forte à vouloir reconduire les Démocrates, ou bien à retenter l’"aventure" Trump ?

Les Américains commencent à ressentir dans leur quotidien les effets positifs de la politique économique de Joe Biden  : la croissance a redémarré, le chômage est au plus bas, les salaires augmentent. Cependant, il semble que la perception assez pessimiste de l’économie aille de pair avec l’impression de manque de vitalité qui émane du président, il peine à susciter adhésion et enthousiasme, si importants dans une campagne.

Ce manque d’enthousiasme n’aidera pas à attirer indécis et indépendants. Mais ces derniers ont souvent peur de Donald Trump, de sa brutalité et de ses excès. Certes, il garde le soutien indéfectible d’environ 30% d’électeurs fidèles, mais cela ne suffit pas à gagner une élection…

 

Quels seront à votre avis les grands défis auxquels le Président qui sortira des urnes devra faire face entre 2025 et 2028 ?

Le plus grand défi sera peut-être de maintenir l’unité nationale, de convaincre ses concitoyens qu’ils font partie du même pays, et peuvent continuer à vivre ensemble. Préserver l’économie américaine des conséquences des grandes crises géopolitiques sera évidemment un autre défi quotidien. De même, tenter d’imposer une forme de stabilité de l’ordre international dans un monde où il est de plus en plus contesté, en bute au chacun pour soi, à la loi de la jungle et à la fin des tabous pour bien des autocrates.

 

Avec cette réponse vous avez anticipé ma dernière question : la société américaine est-elle véritablement, j’ai envie d’écrire structurellement fracturée, entre ceux qui se sentent fondamentalement "rouges" (la couleur associée aux républicains, ndlr) et ceux qui se sentent fondamentalement "bleus" (celle associée aux démocrates, ndlr) ? Est-ce qu’il y a quelque chose de cassé dans le sentiment d’appartenance à une même nation, à un destin collectif, ou bien, in fine, tout cela n’est que de la politique ?

Jusqu’en 2016, même après des campagnes présidentielles âprement contestées, le vainqueur était reconnu par les vaincus, les citoyens acceptaient paisiblement de vivre avec le résultat sorti des urnes. Rien n’est moins sûr à présent. Les disparités qui peuvent apparaître entre majorité du vote populaire (les voix de chaque citoyen) et majorité des grands électeurs qui s’impose à la fin, sont de moins en moins acceptées. À cause de la décision de la Cour suprême supprimant la protection fédérale pour l’avortement, les femmes américaines vivent déjà l’expérience de droits différents et de citoyennetés inégales  : ce qui est libre dans certains États est pénalement condamné dans d’autres.

Enfin, qu’en sera-t-il si Donald Trump perd l’élection  ? Il a déjà indiqué qu’il ne l’accepterait pas, car il ne "peut pas perdre". On sait comment il a tenté de se maintenir au pouvoir en 2020. S’il est élu en 2024, il mettra en pratique son programme autoritaire. S’il perd l’élection, jusqu’où ira-t-il pour reprendre quand même le pouvoir  ?... Nous ne pourrons plus compter que sur la sagesse, espérons le, d’une majorité de citoyens.

 

N

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
20 février 2024

Clément Lagrange : « C'est dans le rôle du messager que Florent Pagny se dévoile le plus »

Il y a trois mois et demi, je publiai sur Paroles d’Actu une interview avec Frédéric Quinonero, auteur que les habitués de ce site connaissent bien. Il venait de consacrer un bel abécédaire à un de nos chanteurs les plus populaires, Florent Pagny. De Florent Pagny, il est à nouveau question aujourd’hui, avec un ouvrage signé Clément Lagrange, auteur que j’ai connu en marge de mon entretien avec Benoît Cachin (il avait assuré l’iconographie de l’ouvrage de ce dernier sur Mylène Farmer). Ce nouveau livre, analyse détaillée de l’ensemble de la discographie de Pagny, s’inscrit dans la collection L’intégrale des éditions EPA - pour cette même collection, pour son "Cabrel", j’avais interviewé en octobre 2022 Daniel Pantchenko.

Bon, je vais arrêter un peu avec le name dropping, ça fait beaucoup pour une petite intro. La lecture de ce livre, fruit de pas mal d’heures de travail, plaira à coup sûr à celles et ceux, et ils sont toujours aussi nombreux, qui aiment Pagny. À recommander, sans aucun doute, en plus du livre de Quinonero, de l’autobio du chanteur, et bien sûr de l’écoute, à côté, de toute son œuvre. Merci à Clément Lagrange, pour nos échanges, et pour cette interview, réalisée mi-février. Florent Pagny, l’intégrale sera dispo dès demain, 21 février, dans toutes les bonnes librairies. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Clément Lagrange : « C’est dans

le rôle du messager que Florent

Pagny se dévoile le plus »

Florent Pagny L'intégrale

Florent Pagny, l’intégrale (EPA, février 2024)

 

Clément Lagrange bonjour, peux-tu nous parler en quelques mots de ton parcours, et aussi de tes premiers émois musicaux ?

Bonjour ! J’ai le plaisir de participer à des livres ou magazines depuis bientôt 20 ans, que ce soit en tant que documentaliste, iconographe ou auteur. J’aime beaucoup travailler avec un auteur, me mettre au service de son projet pour y apporter ce qui est dans mon champ de compétences. Je n’ai aucun problème à ne pas être au premier plan, bien au contraire même : je me suis épanoui dans ce rôle-là.

En dehors de quelques articles pour des magazines il y a un moment, le fait de signer moi-même seul tout un livre est plus récent : il y avait probablement une question de confiance en soi à régler. Pas sûr qu’elle le soit totalement, mais un petit bout de chemin a été fait !

 

Avant ce livre sur Florent Pagny, tu en as écrit un sur Céline Dion en 2020, et réalisé l’iconographie de celui que Benoît Cachin a consacré à Mylène Farmer (dont tu connais très bien l’œuvre par ailleurs) l’an dernier. Trouves-tu spontanément des points communs à ces trois artistes ? Qu’est-ce qui, a contrario, les distingue ?

Leurs carrières à chacun se calquent d’une certaine manière, ils ont tous les trois commencé plus ou moins à la même période, même si quand Céline Dion et Mylène Farmer chantaient déjà, il n’était pas encore question de chanson pour Florent Pagny mais plus de cinéma. Ils ont ce point commun d’être monté très haut et de n’avoir jamais été boudé par le public dans leur rôle de chanteur. Florent Pagny a bien connu le creux de la vague au début des années 1990, mais c’est une partie du métier qui l’avait lâché, pas le public !

Ce qui les distingue est probablement de l’ordre de la personnalité, et c’est très amusant de constater que c’est tout et son contraire ! On aime Florent Pagny comme on aime Céline Dion parce qu’ils sont un caractère entier et sont volontiers expansifs, très transparents. A contrario, si on aime Mylène Farmer, c’est beaucoup pour sa réserve, qui la rend d’autant plus attachante qu’on la sent elle aussi très sincère.

 

Céline Dion et la France

 

La maladie de Florent Pagny et celle de Céline Dion ont provoqué de forts élans de sympathie de la part de ceux qui les aiment et du public en général. Quel regard portes-tu sur cette séquence de leur carrière, et qu’est-ce que cela dit, justement, du lien que l’un et l’autre a établi avec son public ?

Passé le choc de l’annonce pour l’un et l’autre, il faut reconnaitre que ce sont des moments très forts. C’est délicat d’en parler car on manque encore de recul, même si Florent Pagny a donné des nouvelles rassurantes avant les fêtes avec l’espoir d’une rémission complète et que Céline Dion nous surprend avec quelques apparitions publiques qui envoient des signaux encourageants.

Le regard que je porte sur ce moment de leur vie à l’un comme à l’autre est qu’il est finalement dans la continuité du reste : d’autres pourraient se mettre en retrait et évoquer leur combat contre la maladie une fois qu’elle se conjugue au passé, eux font le choix de la partager avec le public, très certainement avec la conscience que leur propre expérience peut donner du courage à ceux qui en auraient besoin - et c’est tout à leur honneur - mais peut-être aussi un peu pour eux : Florent Pagny l’a d’ailleurs exprimé ainsi en déclarant que la vague d’amour qu’il avait reçue du public avait incontestablement contribué à sa guérison.

 

 

Ça a été quoi l’histoire de ton ouvrage sur la discographie de Florent Pagny pour EPA ? Pagny, quand as-tu commencé à l’écouter, à l’aimer ?

La collection L’intégrale des éditions EPA est une très belle collection qui parcourt la carrière d’un artiste francophone sous l’angle de sa discographie. Avant Florent Pagny, il y a eu Johnny, Francis Cabrel, Serge Gainsbourg, France Gall… bref, autant d’artistes aux longues carrières et à la discographie très riche. Le nom de Florent Pagny s’est imposé l’été dernier car le succès de son autobiographie parue au printemps 2023 a remis en lumière son parcours. Sa discographie est atypique puisqu’il aime alterner les albums de variété traditionnels avec des projets plus étonnants : en cela, ça a été un vrai plaisir de se plonger dedans.

Avant cela, j’ai le souvenir d’un 45-tours à la maison, au tournant des années 1980/1990, puis de l’album Savoir aimer, incontournable dans tous les foyers français. J’aimais beaucoup l’écouter à l’époque car j’y retrouvais des signatures que j’aimais par ailleurs : Obispo bien sûr, Zazie mais aussi Erick Benzi ou Jacques Veneruso. Et puis étant passionné de partitions, chez moi s’approprier une chanson passe beaucoup par lire sa partition, l’interpréter… et j’avais acheté le recueil de partitions de l’album Savoir aimer à l’époque. C’est une autre façon de rentrer dans le disque, ça permet de se construire un autre lien avec les chansons, peut-être plus intime.

 

Mais est-ce que réaliser un tel travail sur un artiste, un travail aspirant à l’exhaustivité, ne pousse pas fatalement à devoir écouter dans le détail tout ce qu’a fait l’artiste, peut-être jusqu’à l’overdose ?

La rédaction du livre s’est faite dans un délai assez court, en tout cas bien plus court que ce qui est habituel pour ce type de projet, donc il y aurait pu avoir ce sentiment d’overdose, mais non. Déjà parce que je n’y allais pas à reculons, mais aussi parce que la discographie de Florent Pagny prend plein de chemins différents ! Qu’il s’agisse d’un album symphonique, de reprises de Brel, d’une collaboration avec Maître Gims ou d’un projet dance, on n’écoute jamais la même chose.

Là où j’aurais pu avoir ce sentiment de saturation, c’est sur l’étape de documentation, en amont de l’écriture, où j’ai recherché puis écouté et visionné des dizaines et des dizaines d’interviews de la moitié des années 1980 à 2023. J’avais collecté une telle somme de documents que ça aurait pu donner le tournis, mais c’était indispensable d’avoir la voix et les mots de Pagny pour rendre vivant tel ou tel texte. J’ai échappé à cette overdose en fin de compte parce que quand bien même ça a été beaucoup de travail, il est très agréable à écouter s’exprimer et souvent surprenant, puisqu’il ne manie pas la langue de bois, loin de là !

 

 

Distingues-tu plusieurs périodes bien définies dans la carrière de Florent Pagny (collaborations majeures, colorations musicales, tranches de vie) ?

Oui, clairement. Le livre suit d’ailleurs ce découpage avec les débuts, où Pagny écrit et compose puis estimant avoir atteint ses limites dans le domaine, il se met au service d’auteurs-compositeurs qui renouvellent son répertoire. Bienvenue chez moi et Caruso constituent un réel tournant où le regard qu’on pose sur lui change, et le succès extraordinaire de Savoir aimer qui suit prolonge ce changement. À partir de là, Florent Pagny gagne non seulement une légitimité après laquelle il courait peut-être, mais surtout une liberté qui lui permet de s’épanouir pleinement en tant qu’artiste. Evidemment, cela se calque aussi sur sa vie personnelle.

La suite de sa discographie illustre justement cette liberté, qu’il s’agisse de projets étonnants pour un artiste de son rang ou d’albums nés tout à fait spontanément, avec de nouvelles collaborations notamment Calogero qu’il retrouve ponctuellement ou Marc Lavoine qui n’est jamais très loin.

 

 

Quels sont les titres de Pagny dans lesquels à ton avis il se dévoile le plus ?

Dur à dire, car outre le fait qu’il ne signe plus ses chansons depuis un moment, j’ai fait le constat qu’autant Florent Pagny n’est pas avare de sa parole et dit franchement ce qu’il pense, autant il reste un grand pudique dès qu’il s’agit de sujets plus personnels. Il cache d’ailleurs cette pudeur sous son côté "grande gueule" !

Il y a bien sûr des textes très personnels qu’il a signés dans ses premiers albums, mais je pense qu’ils appartiennent vraiment au passé. On n’est clairement pas la même personne à 60 ans qu’à 25 ans et ce qu’il a pu ressentir à ce moment-là au point de le coucher sur le papier n’a probablement plus le même écho en lui aujourd’hui, et c’est bien normal.

Depuis qu’il a abandonné l’écriture, Pagny se revendique régulièrement comme "messager" : il porte les textes des autres pour les amener jusqu’au public, où tout un chacun peut se reconnaître. L’image est très jolie, simple et sincère, et lui convient à merveille : c’est probablement dans ce rôle plus que dans une chanson précise qu’il dévoile vraiment qui il est.

Cela étant, quand il précise que Et un jour, une femme est le titre de son répertoire qu’il préfère et qu’il pense toujours à son épouse quand il l’interprète nous dit aussi qui il est.

 

 

Ceux qui, toi, te touchent le plus ?

Je fais partie de ceux qui sont infiniment plus sensibles à une composition, une production, une atmosphère qu’à un texte. Je ne mets pas de côté les paroles, mais ça me touche différemment.

Dans ce registre, j’ai toujours beaucoup aimé Dors. Et pour parler strictement de production, j’adore la reprise de Les parfums de sa vie qui me transporte !

 

 

C’est quoi la place particulière de Florent Pagny dans le paysage musical français ?

Incontestablement il a acquis une place unique au fil de sa carrière. Florent Pagny c’est en quelque sorte l’ami des Français. Il y a quelques semaines, il a même été consacré deuxième personnalité préférée des Français, toutes disciplines confondues, preuve non seulement de sa popularité mais aussi de l’empathie qu’il dégage.

 

Florent Pagny a récemment sorti des enregistrements de ses titres en duos, avec des vétérans de la chanson mais aussi avec de nouveaux venus. Sens-tu une filiation artistique entre lui et certains jeunes chanteurs ?

À ses tout débuts, Pagny avait l’image d’un ‘loulou’, un mot qu’on n’emploie plus : blouson de cuir, boucle d’oreille, mèche devant les yeux… D’ailleurs, avant la chanson, quand il jouait au cinéma ou à la télévision, c’était la plupart du temps pour incarner des jeunes voyous. En ce sens, aujourd’hui non, personne n’incarne cette image-là ou en tout cas ne s’en revendique. Les choses sont bien plus sages. En revanche, incontestablement il s’est entouré de toute la famille The Voice pour partager des duos sur cet album. Son rôle dans cette émission et le fait de convier autant d’artistes issus du programme prolonge son statut de messager qu’on évoquait il y a quelques instants en lui donnant une dimension supplémentaire, celle de la transmission.

 

Petit fantasme, on imagine un moment de duo rassemblant Mylène Farmer et Florent Pagny : quelle chanson de l’une, et quelle chanson de l’autre ?

Allons bon ! Voilà quelque chose qui ne m’avait jamais traversé l’esprit, je dois avouer ! Je cherche, je cherche mais pour l’un comme pour l’autre, je n’imagine rien donc je les laisse me surprendre !

 

 

Que t’inspire le tour Nevermore de Mylène Farmer ? Ton intime conviction : never more ?

Je prends toujours un grand plaisir à découvrir ses spectacles. Sur celui-ci, la direction musicale m’a un peu moins emballé, disons que j’y trouve moins mon compte sur la globalité. En dehors de ça, mon émerveillement est intact, j’aime toujours comment elle parvient à conserver une dimension très humaine au milieu d’un immense show.

Pour le reste, je dois avouer que je ne me suis jamais pris au jeu de savoir si oui ou non tel ou tel spectacle serait le dernier. Je les prends comme ils viennent. Je crois avoir compris que l’envie de celui-ci lui est venue très spontanément : rien n’est jamais gravé dans le marbre.

 

Trois adjectifs pour qualifier Mylène Farmer, Céline Dion et Florent Pagny ? Dont si possible, un en commun pour les trois ?

Mylène Farmer est inqualifiable (clin d’œil à l’une de ses interviews au JT de France 2 en 1996 : "Je préfère qu’on ne me qualifie pas !"), Céline Dion est hors-normes et Florent Pagny est résolument libre.

Tous les trois sont fondamentalement artistes, en ce sens qu’ils se servent de tout ce que leur art leur offre à la fois pour s’exprimer et pour partager. Je trouve ça merveilleux.

 

Savoir aimer

 

Quand on aime et quand on suit les artistes comme toi tu le fais, on n’a pas un peu le désir de faire ce métier-là ?

Oh lala, absolument pas ! Question de personnalité, déjà. Et puis un détail qui n’est pas des moindres : autant j’ai le bonheur d’avoir une excellente oreille musicale qui me sert à décortiquer ce que j’écoute, autant je suis incapable de produire une seule note juste ! L’oreille et la voix ne vont pas de pair chez moi…

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ? Un nouveau projet Farmer je crois ?

On m’a souvent poussé à faire mon propre livre sur Mylène Farmer, c’est vrai et j’ai toujours repoussé l’idée, pour x ou y raison. Il y a une littérature conséquente sur le sujet, avec plusieurs livres qui paraissent tous les ans depuis des années et des années donc il faut trouver une idée qui sorte de l’ordinaire. Et là, en effet je suis en train de monter un projet éditorial autour d’une idée originale qui rassemble ce que j’aime - et que les fans aiment aussi - à savoir les petits détails et les anecdotes. C’est beaucoup de travail donc je croise les doigts pour que cela aboutisse. Et cela me permettra de retrouver les photographes de Mylène Farmer avec qui j’ai toujours eu beaucoup de plaisir à travailler au service d’autres livres !

 

Sur qui d’autre aimerais-tu pouvoir écrire à l’avenir ?

La collection "L’intégrale" manque de figures féminines jusqu’ici. Il y a sans doute quelque chose à creuser de ce côté-là… En écrivant sur la discographie de Florent Pagny, je suis quelque peu sorti de ma zone de confort, comme on dit, mais l’objectif a été tenu. Donc je suis prêt à retenter l’expérience.

 

Un dernier mot ?

Mon crédo : quand on aime la musique, on aime toutes les musiques !

 

Clément Lagrange

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

12 février 2024

« Robert Badinter incarnait le meilleur de l'engagement politique et de la France », par P.-Y. Le Borgn'

La disparition, le 9 février, de Robert Badinter (1928-2024), a suscité une importante vague d’émotion en France. Sans doute aussi, de nostalgie : l’ancien garde des Sceaux, cheville ouvrière de l’abolition de la peine de mort qu’avait décidée François Mitterrand en 1981, en était presque venu à personnifier une certaine idée de la politique, un subil mélange de rigueur intellectuelle et de combativité pugnace appuyés sur des convictions, des valeurs profondes. Une dignité. On ne l’aurait pas imaginé se livrer à de petits calculs politiciens qui, aujourd’hui plus que jamais, font tant de mal à la politique, tandis qu’on questionne sans cesse la sincérité des engagements des uns et des autres. Plus qu’une voix, il était devenu une source d’inspiration, et une conscience, comme un phare qui, rappelant d’où il venait, d’où "il parlait", gardait qui l’écoutait de céder à ses bas instincts. Il n’est pas garanti que son héritage politique, considérable, essentiel sans doute, se maintiendra toujours face aux bourrasques à venir, demain et après-demain. Mais tant qu’il y aura des hommes et des femmes pour se rappeler qui fut et ce que représenta Robert Badinter, quel que soit le taux d’obscurité, la lumière du phare restera allumée.

 

En 2006, lorsque j’avais interviewé l’ancien ministre socialiste Georges Sarre (1935-2019), qui ne se situait pas nécessairement sur la même ligne politique que Robert Badinter, à propos du positif des mandats de François Mitterrand, il avait eu cette phrase : "On cite souvent (...) l’abolition de la peine de mort, mais je considère que cet acquis était tellement évident, tellement indispensable, tellement consubstantiel à l’humanisme élémentaire, que nous avons fait là non pas une grande avancée, mais simplement notre devoir." Comme un parfum de consensus. A-t-il jamais existé depuis 1981, et si oui, existe-t-il encore ?

 

J’ai souhaité proposer à Pierre-Yves Le Borgn, ancien député socialiste, un espace libre pour une tribune d’évocation de la personnalité et du bilan politique de Robert Badinter. Il y a une quarantaine de jours, il rendait hommage, dans ces mêmes colonnes, à une autre figure emblématique de la gauche, Jacques Delors. Je le remercie pour ce texte sensible et précis, auquel je ne peux que me joindre. Respect, M. Badinter, en attendant l’hommage de la nation reconnaissante. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Robert Badinter incarnait

le meilleur de l’engagement

politique et de la France »,

par Pierre-Yves Le Borgn’

 

Robert Badinter 2024

Robert Badinter. © Joël Saget / AFP (source : site du ministère de la Justice)

 

Comme tant d’autres Français, la nouvelle de la disparition de Robert Badinter m’a profondément attristé. Il était entré dans le grand âge et nous voulions pourtant le croire immortel. Par les causes qu’il avait portées, par sa personnalité unique, attachante et vraie, il incarnait le meilleur de l’engagement politique, la noblesse des plus beaux combats, ceux dont on se souvient, des décennies et des générations après. Robert Badinter avait traversé les époques, acteur du XXème siècle, témoin engagé du XXIème. Il ne s’est jamais tu, même dans les dernières années, quand la fatigue le gagnait. Il était toujours là, silhouette devenue frêle, mais plus que jamais conscience morale, voix claire et écoutée, avec une autorité et une hauteur d’âme qui forçaient l’admiration. Il était attendu, il se savait attendu aussi. Son expression n’en était que plus précieuse, d’autant que, peu à peu, elle avait fini par se faire plus rare. Des livres très personnels et touchants nous rappelaient sa présence et l’immense richesse de sa vie. Robert Badinter n’était jamais avare d’un combat, d’un encouragement à porter plus loin les causes auxquelles il avait consacré son existence. Il avait le souci de convaincre et plus que tout celui de transmettre. Il savait livrer ses convictions avec l’émotion contagieuse qu’il fallait.

 

Le premier souvenir que j’ai, c’est celui de Maître Badinter, cet avocat qui se battait contre la peine de mort. J’étais encore un enfant, sur le chemin de l’adolescence. Ce que la presse de l’époque avait dit de sa plaidoirie pour éviter la peine capitale à Patrick Henry, l’assassin du petit Philippe Bertrand, m’avait impressionné. Il n’y a rien de plus abject que l’assassinat d’un enfant. Je me souviens de Roger Gicquel et de son expression, "La France a peur", un soir à la télévision. Mais condamner à mort en retour ne pouvait être la justice. La France des années 1970 n’était cependant pas encore prête à l’entendre. Ce fut la force, le talent de Robert Badinter, investi de la confiance de François Mitterrand, de malgré tout mener le combat, contre une part sans doute majoritaire du peuple français, prenant le pari que cette immense évolution sociétale ferait ensuite son chemin pour conquérir le soutien de la plupart. Ce fut le cas. De l’épopée mitterrandienne, c’est sans doute l’évocation de l’abolition de la peine de mort qui me vient le plus spontanément à l’esprit. Elle fut l’œuvre de Robert Badinter. J’ai encore le frisson lorsque je repense à cette phrase, à ses mots détachés face à l’Hémicycle de l’Assemblée nationale  : "… j’ai l’honneur de demander l’abolition de la peine de mort en France…".

 

L’avocat devint Garde des Sceaux, un très grand Ministre, le meilleur sans doute. Le talent de Robert Badinter était de mettre au service de sa rigueur de juriste la force irrésistible des mots et le sens de l’histoire. Son éloquence n’était jamais vaine ni fausse. Elle servait les combats qu’il portait, elle exprimait une sincérité qui ne pouvait laisser indifférent, qui prenait aux tripes. Robert Badinter a fait aimer le droit à des tas de jeunes gens et leur en a donné la vocation. Je fus l’un d’entre eux. Robert Badinter, c’était le droit pour la justice sociale, pour la reconnaissance de la liberté de chacune et de chacun, pour l’égalité des chances, pour une vie civilisée, sûre et heureuse. Et s’il y eut l’abolition de la peine de mort, il y eut aussi la suppression des juridictions d’exception, la reconnaissance par la France du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme, la dépénalisation des relations homosexuelles, le développement du droit des victimes et celui des peines non-privatives de liberté. Tout cela en cinq années, souvent face à une opinion publique sceptique, si ce n’est hostile, sans jamais pourtant hésiter, sans jamais flancher. Une sacrée leçon pour notre époque, quelque 40 années plus tard, quand les convictions se font rares et varient tristement au gré des sondages.

 

Robert Badinter était courageux. Il était entreprenant aussi. Il osait porter les valeurs du droit là où elles étaient absentes, bannies ou combattues. Bien longtemps après mon apprentissage de jeune juriste, alors que j’arpentais, député, les territoires des Balkans occidentaux, mes interlocuteurs me parlaient avec une émotion partagée de Robert Badinter. Cette partie-là de l’histoire de Robert Badinter, devenu dans l’intervalle Président du Conseil constitutionnel, est moins connue et c’est dommage tant elle fut certainement décisive pour l’avenir d’une région en guerre, marquée par les haines et la tragédie. Robert Badinter présida une commission d’arbitrage en ex-Yougoslavie qui rendit au début des années 1990 des avis d’une rare qualité pour la paix, la définition des frontières, la construction de l’État de droit dans le contexte de succession d’un pays défunt et de reconnaissance de nouveaux États. Je me souviens ainsi d’un échange à Skopje avec Zoran Zaev, leader de l’opposition en Macédoine, à deux doigts de l’emprisonnement pour divergence avec le quasi-dictateur Nikola Gruevski. Zaev m’avait dit trouver en Robert Badinter et son rôle dans l’élaboration de la Constitution de son pays une inspiration constante pour le travail de réconciliation qu’il appelait de ses vœux.

 

Robert Badinter connaissait la cruauté des destins européens. Il l’avait vécue dans ce qu’il y a de pire. J’ai le souvenir de sa voix soudainement brisée lorsque, dans une interview, il évoqua ce moment terrible où il prit conscience que Simon, son père adoré, juif de Bessarabie naturalisé français quelques mois avant sa naissance, arrêté par la Gestapo et déporté, ne reviendrait jamais des camps. Robert Badinter était alors un jeune homme de 17 ans. Son émotion était bouleversante. Il sut évoquer tout au long de sa vie l’horreur de la Shoah et le devoir d’une lutte implacable contre l’antisémitisme. Il sut aussi agir, avec autorité, pour l’émergence de la justice pénale internationale, parce qu’il n’est aucune paix durable qui ne s’écrive sans la justice et la vérité. Là était toute la force et la noblesse de son message : celui d’un humaniste passionné, bienveillant et libre. Robert Badinter aura immensément et à jamais marqué l’histoire de notre pays. Puisse la République savoir rendre le meilleur des hommages à ce parcours exemplaire, si passionnément français et digne. Puisse-t-elle mesurer combien Robert Badinter aura su rassembler, au fil et au terme d’une vie qui mérite un infini respect. J’espère, un jour, qu’elle saura honorer au Panthéon le très grand homme qu’il fut et la référence qu’il demeurera.

 

Texte daté du 11 février 2024.

 

PYLB 2023

Pierre-Yves Le Borgn’ a été député de la septième circonscription

des Français de l’étranger entre juin 2012 et juin 2017.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

7 février 2024

Anny Duperey : « La 'Famille formidable', ça allait bien au-delà de la fiction »

Je ne vais pas vous mentir : il y a des articles dont la réalisation procure une plus grande satisfaction que d’autres. Autant le dire sans faire planer un faux suspense : celui qui vient est de ceux-ci. Grâce à une amie qui se reconnaîtra, j’ai pu contacter une grande comédienne, Anny Duperey. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai découvert Anny Duperey avec la télé et ce feuilleton attachant qu’était Une famille formidable. Pour préparer l’interview, qui allait se faire par téléphone, j’ai regardé ses téléfilms récents et lu, après en avoir acheté une copie, son ouvrage autobiographique, Le voile noir. Une claque, ce bouquin. À tous, je recommande de le lire, parce que c’est un grand livre sur le deuil et le travail de reconstruction, en fait un grand livre tout court. À un ami biographe auquel je racontais l’imminence de l’interview avec elle, j’ai dit : "C’est quelqu’un d’intéressant, tu pourrais avoir envie d’écrire son histoire ?" Sa réponse : "Elle a écrit Le voile noir. Que veux-tu que j’écrive après ça..."

Beaucoup d’actu, pour Anny Duperey. Celle que j’avais notée, et celle que je ne lui connaissais pas. Tout est illustré au fil du texte, et développé dans la retranscription de notre interview, qui s’est faite par téléphone samedi dernier, le 3 février. J’ai souhaité en retranscrire le texte au plus près de ce qui a été dit, pour en conserver l’authenticité, et pour que le lecteur puisse nous "entendre". Cet article aura aussi été l’occasion de mettre à la lumière un film injustement oublié, le premier réalisé par Bernard Giraudeau (avec Anny Duperey au scénario) : La face de l’ogre. Il est désormais, depuis ce jour, en ligne sur YouTube.

Dès que j’ai su que l’interview allait se faire, j’ai voulu solliciter un témoignage sur Anny Duperey, pour assurer si je puis dire, un peu comme au spectacle, la "première partie" de l’article. Et je savais qui je voulais : la grande comédienne de théâtre Béatrice Agenin. Les fidèles de la Famille formidable s’en souviennent surtout comme de Reine, la meilleure amie de Catherine Beaumont qu’incarnait Anny Duperey. Moi j’avais pris la série en cours, je la regardais de manière décousue, mais je me souviens très bien, des années après, que l’épisode où Reine mourait m’avait marqué. Bref, Béatrice Agenin, dès le 30 janvier, a accepté d’écrire pour moi, pour son amie dans-la-vraie-vie-aussi, ce beau témoignage. Merci à vous Béatrice pour ce temps que vous m’avez accordé, et merci à vous chère Anny, pour votre disponibilité, pour ces confidences et ce moment particulier, et pour votre humanité. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

 

partie 1 : le témoignage de Béatrice Agenin

 

Béatrice Agenin

Photo fournie par B. Agenin.

 

J’ai rencontré Anny Duperey au Théâtre Edouard VII dans La répétition ou l’amour puni de Jean Anouilh, en 1986.

Je ne la connaissais pas, je l’avais vue en spectatrice dans Un éléphant, ça trompe énormément, et dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, au Théâtre de la Ville. Sculpturale, étourdissante de beauté, Anny était gentille avec tout le monde, mais distante. Il régnait une incroyable gaieté sur cette aventure, même si Anny semblait toujours impénétrable. Il y avait Pierre Arditi, Emmanuelle Béart dans la distribution, nous étions tous très joyeux dans ce Théâtre Edouard VII. À cette époque, Anny vivait avec Bernard Giraudeau, que je connaissais bien depuis le Conservatoire. Tout naturellement je demande à Bernard pourquoi aucune personne de la famille d’Anny ne vient jamais la voir au Théâtre. Il me répond cette phrase incroyable : "Ses parents sont morts quand elle avait 8 ans et elle pense qu’elle en est responsable". Des années plus tard, elle écrit Le voile noir, où elle raconte la tragédie de ses parents. C’est un poème, un hommage, une réparation. Un cri d’amour. Je lui téléphone pour lui dire mon émerveillement.

Plus tard, nous nous retrouvons sur la Famille formidable. Ce n’est plus la même femme. Nous devenons amies. En relatant son histoire, en recevant les lettres de ses lecteurs, elle perd sa carapace. Un médecin lui a écrit qu’elle avait elle-même subi les émanations du gaz qui a tué ses parents… et la libère de la culpabilité qu’elle avait de ne pas avoir répondu à leur appel, le jour du drame.

Elle est drôle, vraie, spontanée. C’est une magnifique comédienne, elle se donne à fond dans les rôles qu’on lui propose. Elle aime la vie, ses enfants, les chats, le soleil, l’ardeur au travail, elle est entière. Elle est entourée des fleurs de ses jardins, qu’elle a dessinés. Elle est peintre aussi. Créatrice de costumes. Photographe. Quand elle ne tourne pas, elle écrit des livres.

Elle ne sait pas mentir. Notre amitié dure depuis presque 40 ans.

Témoignage daté du 5 février 2024

 

 

partie 2 : l’interview avec Anny Duperey

 

Anny Duperey

Photo fournie par A. Duperey.

 

Anny Duperey bonjour, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous à l’occasion de cette interview. Je vous ai regardée pendant des années en famille dans Une famille formidable. Beau souvenir pour moi et pour pas mal de gens...

Et pour nous donc ! Merci à vous.

 

 

Une de vos actus du moment, c’est un film qui, je crois, vous vient particulièrement à coeur : Le voyage en pyjama, de Pascal Thomas...

Oui, je l’aime beaucoup... J’espère vraiment qu’il va rester en salle. C’est toujours le problème quand il n’y a pas de véritable tête d’affiche "motrice" pour donner envie aux gens d’entrer dans un cinema. C’est un film un peu choral, le rôle principal est assuré par quelqu’un de charmant, Alexandre Lafaurie, mais qui est totalement inconnu, donc c’était un gros risque... Ce film, je l’aime énormément. C’est un poème. On s’est demandé : est-ce qu’il y aura un petit miracle ? Est-ce que les gens ont envie de ça, de ce questionnement sur le temps qui passe, sur le hasard, les rencontres... Est-ce que ça va les toucher, ou pas ? On espère qu’il y aura un engouement, mais c’est vrai que, suivant les lois commerciales qui régissent un peu notre cinéma, le pari  était hardi, sans tête d’affiche...

 

Je vous souhaite que ça marche en tout cas.

J’espère qu’au moins il restera quelques semaines en salle. Parmi les films que je vois passer, il y a beaucoup de choses que j’appelle quelquefois des télés "déguisées", produits aux trois quarts ou à moitié par la TV, diffusés au cinéma pour faire chic mais qui sont plutôt destinés à un futur passage télé je pense...

 

En tout cas celui-ci vous a plu on le sent bien.

Je ne suis plus vraiment dans le circuit cinéma maintenant. De temps en temps, un fou me propose un rôle. (Elle rit) Sur les chemins noirs, de Denis Imbert, avec Dujardin, a été une bonne surprise. Qu’on me propose de jouer sa tante, c’était sympathique. Mais là, c’était une adaptation d’un livre de Sylvain Tesson, qui est un écrivain très reconnu, et il y avait Jean, qui portait le film... Au début, pour le producteur, ça a été une énorme surprise que ça marche autant. C’était hardi, là encore, de faire un film sur un type qui marche pendant une heure et demie - même s’il y a des rencontres, etc  ! Il y avait dans ce film une quête de la liberté qui, pile après le confinement, a parlé aux gens. Le film tombait bien, même si encore une fois il y a eu l’effet-vedette avec Jean, l’effet Sylvain Tesson... Il est arrivé à un moment où les gens avaient été frustrés de liberté de mouvement d’abord, mais aussi de liberté de l’emploi de SOI. Le personnage refusait le parcours officiel qu’on lui proposait, c’est-à-dire la rééducation en centre de rééducation, pour aller à l’aventure. Les gens ont pris ça comme une bouffée de rêve et d’oxygène. Moi je l’ai analysé comme ça, le succès du film.

 

 

Qu’auriez-vous envie de dire à nos lecteurs pour leur donner envie de donner une chance au Voyage en pyjama, dans un contexte qui est difficile vous l’avez rappelé, notamment pour les petites productions ?

Je dirais que c’est un film qui fait du bien... J’y joue un joli personnage qui dit : "Laissez-vous faire, comme un bouchon au fil de la rivière, croyez en la vie". Laissez-vous faire, laissez-vous porter, par les émotions, etc... J’ai trouvé que ce film commençait joliment, par ce prof qui avait une vie un peu rétrécie, avec sa femme autoritaire et assez désagréable. Il était enfermé dans sa petite vie, puis il a décidé de prendre une année sabbatique "pour savoir ce qu’il restait de sa jeunesse", j’ai beaucoup aimé cette expression. Et il prend son vélo. Et il s’en va ! Je trouve ça...

 

Inspirant !

Oui. Très...

 

Le duplex

 

À partir de la fin février, vous partez pour 40 dates pour Le Duplex, une pièce avec une chouette distribution autour d’affaires de voisins. Vous nous en parlez ?

Absolument (rires). C’est un peu un challenge parce que les trois autres acteurs ont répété et joué cette pièce uniquement pour faire une captation. Elle n’a pas été conçue pour être jouée au public. Mais ils ont eu l’heur, eux, de répéter deux mois (rires). La quatrième larronne est partie pour je ne sais quelle raison, et moi je vais avoir trois répétitions avec la troupe au complet avant de monter sur la scène du Théâtre de Paris. L’exercice est assez Rock ’n’ roll (rires), mais ces circonstances n’ont pas d’intérêt pour les gens, seul le résultat les intéressera, mais c’est un vrai défi. Et je n’ai jamais joué de boulevard léger comme celui-là. En tout cas la compagnie est très gaie, je me suis dit tiens, c’est une bonne manière de finir l’hiver ! Et on s’entend très bien.

 

Et donc vous connaissez très bien, effectivement, en tant qu’actrice, la télé, le cinéma, et donc le théâtre. Est-ce que ce sont véritablement trois facettes distinctes du métier, trois exercices différents ?

Non, le théâtre est extrêmement différent. L’autre jour, à  C à vous,  à Babeth qui me demandait quelle était la différence entre le théâtre et le cinéma,  j’ai dit péremptoirement que "le théâtre est l’état adulte de l’acteur". C’est ma formule et je la partage, parce que c’est absolument ça. Pour le théâtre, on a préparé un rôle. Je pense que le metteur en scène y est beaucoup plus un accoucheur qui aide l’acteur à trouver, LUI-MÊME, son personnage, à être en charge de ce qu’il fait. Parce qu’après l’acteur est totalement responsable du spectacle, de bout en bout, c’est pour ça que je dis "état adulte". Quand la pièce commence, généralement il n’y a plus le directeur, il n’y a pas le producteur, souvent pas le metteur en scène... C’est nous qui menons la barque. Alors qu’on n’a pas ce niveau de responsabilité au cinéma et la télévision - je ne fais pas vraiment de différence entre les deux. C’est filmé, avec un metteur en scène qui pour le coup, n’est pas un accoucheur mais le véritable père du film.

 

Il vous fera refaire les scènes autant qu’il le voudra...

Autant qu’il le voudra. Surtout, il choisit ce qu’il veut. S’il y a une scène en trop il la coupe. Il choisit de vous saisir en gros plan ou de loin, etc. L’acteur n’est maître de rien. Et même lorsqu’il y a une grande complicité avec le metteur en scène, comme j’en ai eu, ça reste SON film. En aucun cas le film d’un acteur.

 

Dans votre expérience, vous avez senti que vous aviez plus de liberté pour vos personnages au théâtre qu’à l’écran ?

Pas du tout, au théâtre on n’est pas Jean Lefebvre (rires), il ne s’agit pas de changer le texte tous les soirs. Au théâtre le texte est absolument répété, fixe, etc... Pour le coup, cette liberté d’invention on l’a plutôt eue avec la Famille formidable. On parlait des thèmes avec Joël Santoni, on les choisissait ensemble... Tant qu’on a fait ces séries tous les deux voire trois ans, on avait le temps pour concocter la saison suivante. Mais complètement en accord avec Joël. On se voyait souvent. Je dois vous dire que j’ai failli y entrer comme auteure, parce que j’ai écrit un nombre incalculable de scènes là-dedans. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je ne voulais pas avoir affaire aux pré discussions sur le scénario avec TF1, je n’aurais pas tenu le coup... J’ai assisté à une de ces réunions, après quoi j’ai dit à Joël que je déclarais forfait parce que je n’aurais pas "le cuir". J’écrivais quand on tournait, ou la veille pour le lendemain, quand j’avais une idée je la lui proposais directement… On improvisait beaucoup, aussi. On fonctionnait comme ça, dans une complicité totale, et souvent TF1 n’y voyait que du feu puisque le résultat leur plaisait. Il n’y avait pas de "flic" sur le plateau pour voir si on tournait réellement ce qui était écrit et validé officiellement au départ (rires). Il y avait des trous dans les mailles du filet !

 

Le voile noir

 

Bel élément d’info sur les coulisses !

J’ai lu avant de préparer cet échange votre fameux ouvrage autobiographique, Le voile noir, et je dois dire, VOUS dire, je ne suis pas le premier et ne serai pas le dernier à le faire, que ça a été comme une claque pour moi. Votre récit, sensible et déchirant d’un drame, le vôtre, la mort accidentelle de vos parents alors que vous n’aviez pas neuf ans - votre soeur était bien plus jeune encore...

Je reste encore étonnée d’une chose. Aujourd’hui encore je reste estomaquée d’avoir écrit à treize ans : "un jour j’écrirai MON LIVRE". C’est dingue. D’avoir eu la conscience totale que ça ne serait pas une confidence - ce n’était pas la mode psy à l’époque, il n’était pas question de ça -, que si j’attaquais le problème un jour ce serait forcément par un livre, rien d’autre.

 

Ce "malheur fondateur" de votre vie, dans quelle mesure diriez-vous qu’il vous a façonnée dans votre vie, mais aussi dans votre parcours professionnel ?

Comment vous dire... On m’a demandé dans une émission de parler du deuil, et j’ai dit une chose dont j’ai pris conscience petit à petit, bien après avoir écrit ce livre. En me retournant sur mon parcours, j’ai écrit un autre livre, presque plus intime. Parce que finalement, Le voile noir, c’est un livre sur le deuil, sur le déni du deuil, je soulève le pansement, qu’est-ce qui se passe quand on n’a pas voulu faire un pas pendant trente ans ? Cet autre livre donc, Le rêve de ma mère, paru il y a quelques années seulement, est mon plus "perso perso". J’y reviens effectivement sur le parcours, sur comment j’ai évolué artistiquement et humainement avec cette histoire. Je dis au début de ce livre que c’est très étrange d’avoir assez sûrement mené sa vie sans du tout la mener. C’est-à-dire sans volonté. Je n’ai presque fait qu’obéir. Obéir à ce qui se présentait. À ce que je sentais. Dans les rencontres, dans les projets, à ce qui me semblait bon, ou pas bon pour moi... Quelquefois on me disait : tu devrais faire ça, et moi j’avais un sentiment de recul. Parfois j’ai su, après coup, que j’avais raison. C’est d’ailleurs le thème de mon dernier roman,  Le tour des arènes : l’instinct, l’inconscient et le hasard, les trois se donnant la main. Au bout d’un moment, j’ai pensé que j’avais été menée. Du moins, qu’en tant que survivante, j’avais  un instinct de survie absolument démentiel pour me diriger. Je n’avais plus de soutien avec les parents, mais j’avais des antennes terribles !

Je déteste l’expression "faire son deuil". On apprend à vivre avec son drame, mais faire son deuil, mon dieu... on ne fait pas son deuil. Quand on me demande si j’ai accepté ? Jamais de la vie ! Accepter, ça veut dire "oui". Je ne dirai jamais oui à ce qui est arrivé. Admettre que ça ait pu exister c’est déjà énormissime, mais accepter, ça non, et je n’accepterai jamais. Mais on apprend, petit à petit, et il faut bien dix ans pour faire un pas, à vivre avec. Et le déni, la colère, ce sont des forces extraordinaires. Il ne faut pas coller les gens tout de suite dans leur malheur en voulant absolument qu’ils acceptent, qu’ils pleurent, etc... La colère c’est un moteur extraordinaire ! Et la révolte contre ce qui s’est passé, une force. La révolte vous tient debout.

 

Le rêve de ma mère

 

D’ailleurs vous écrivez, à la fin du Voile noir, cette phrase marquante, comme tant d’autres dans le livre : "Je ne veux pas tuer mon regret", ce qui dans votre esprit voulait dire je crois : tout faire pour ne pas oublier ces parents que vous aviez si peu connus, au prix d’une souffrance prolongée, d’un deuil non réalisé...

Je ne me souvenais plus que j’avais écrit cette phrase. Il y a une amie qui écrit aussi et qui, à propos d’une de mes phrases, m’a dit qu’elle aurait aimé l’écrire elle-même. C’est quand j’analyse la photo des enfants dans le pré. J’ai écrit : "Seuls les enfants ne sourient pas, parce qu’ils n’ont pas peur".

 

D’ailleurs je vais vous en reparler de cette photo. Mais en tout cas, un peu plus de 30 ans après l’écriture de cet ouvrage, et notamment après avoir reçu beaucoup de témoignages bienveillants...

Bienveillants et bousculants !

 

Je vous écris

 

Est-ce que vous vous sentez apaisée aujourd’hui ?

Oui. Absolument. Mais c’est venu avec les gens, mes lecteurs. Avec leurs lettres. Je les ai rencontrés d’ailleurs. Après le livre  Je vous écris..., nous avons organisé, avec ma soeur, avec Le Seuil, etc, une expo des photos de mes parents à Beaubourg. Et on a invité tous ceux auxquels j’avais demandé de reproduire une lettre qu’ils m’avaient envoyée. Je dois dire que ça a été chargé en émotion parce que les gens venaient me voir en me disant "Moi je suis la page 87", "Moi je suis la page 132", etc... Ces lettres qu’ils avaient écrites et qui m’avaient bousculée. C’était extraordinaire. Je crois avoir écrit : "Ils m’ont sorti de ma douleur unique pour m’amener dans le sort commun". C’est exactement ça. Ils m’ont pris par la main pour m’amener dans le sort commun ! Et ça c’est... (Émue)

 

Je comprends... Je veux revenir justement, parmi les photos de votre père, sur ce cliché très émouvant dont vous parliez, on y voit votre grand-mère surplombant et regardant avec bonté et une pointe d’inquiétude la famille réunie. Vous disiez l’aimer, cette photo, pour ce qu’elle vous inspirait, et aussi pour son parfum de paradis perdu. Est-ce que vous vous voyez aujourd’hui, apaisée donc, dans la peau de cette grand-mère, de cette matriarche ?

Un peu (rires). Je vais vous dire honnêtement, je pense peu à l’âge, je ne fais pas le point, instinctivement j’oublie les dates, j’estompe les repères. Mais effectivement il y a quelques photos de réunions familiales comme cela, prises dans ma maison en Creuse, qui est la maison familiale où on se retrouve, parce que j’ai réussi à faire une petite tribu comme ça, un peu comme la Famille formidable (rires). Je pourrais bien me voir dans ce rôle-là. Mais comme je m’accroche très fort à mon sentiment d’enfance, je m’en fous un peu aussi, et je suis souvent plutôt parmi les gamins, à faire le clown (rires).

 

Photo A

Extrait de Le voile noir. La photo est de Lucien Legras,

le père d’Anny Duperey, évidemment.

 

Quel conseil auriez-vous envie de donner à quelqu’un qu’un drame de la vie aurait meurtri, paralysé, et qui ne trouverait pas le chemin pour s’en sortir ?

Oh... Bien, peut-être ça : n’allez pas trop vite. Enfin, ça dépend de ce dont on parle. La perte d’un enfant par exemple, c’est un summum dans l’horreur. Comment jamais s’en remettre ? N’allez pas trop vite si vous avez un chemin à construire après, c’est ça le truc. N’allez pas trop vite si vous êtes très jeune.

 

J’ai entendu récemment votre anecdote à propos de la Famille formidable : après Le voile noir vous avez eu envie de faire quelque chose de plus léger, et vous vous êtes trouvé, avec le futur réalisateur de la série Joël Santoni un incroyable point commun : orphelins de père et de mère tous deux, au même âge je crois...

C’est inouï ce qui est arrivé. J’étais sur le point de finir le livre, j’en étais à  sa conclusion - je l’ai écrit dans l’ordre. Un détail, mais je pleurais tellement, parce que ça a fait remonter tant de choses, qu’avec une ficelle je m’étais attaché autour du cou un rouleau de papier toilettes, comme ça ça m’évitait de devoir chercher des kleenex (rires) pour m’éponger. C’est un détail qui a l’air marrant comme ça, mais ça résume bien l’état de la fille ! Et c’est vrai que mon amie et agent Danièle m’a appelée au mois d’août en me disant : "Tu voulais une comédie pour t’alléger, c’est extraordinaire, on t’en propose trois". Trois fois une heure et demie. J’ai trouvé ça merveilleux, et elle a ajouté que ça commençait tout de suite. Là, j’ai dit non, parce que je ne pouvais pas. J’avais promis au Seuil de leur rendre tout mon texte pour le 15 septembre au plus tard - il y avait une mise en page difficile, avec les photos de mon père, etc... Elle m’a dit : "Tu as de la chance, ça commence le 16" : premier "hasard" marquant.

Puis j’ai rencontré Joël Santoni, le futur metteur en scène, qui m’a immédiatement dit : "Anny, je dois te prévenir, je n’ai jamais rien fait de drôle de ma vie". Et c’est vrai que jusque là il n’avait fait que des films assez noirs. Alors, je rigole et je lui raconte ce que je suis en train d’écrire. Là, je vous jure, en cinq phrases, on découvre qu’on est orphelins de père et de mère au même âge ! Je crois que tous les deux on a levé la tête, parce qu’on ne sait pas où ils sont, nos anges, mais on a fait : "Trop bien organisé"...

 

 

Trop bien organisé... Et est-ce que justement cette Famille formidable, si populaire pendant 25 ans, a constitué pour vous deux comme une sorte de thérapie, et créé peut-être une famille bis ?

Oui, on l’a pensé après, au moins pour deux des créateurs donc. Il y avait comme une manière de se fantasmer une famille "tribale" comme on aurait aimé en avoir une. La mienne n’était pas encore tout à fait construite. Joël ne l’a pas construite. Il y a de ça, et je suis même certaine que quelque part les gens l’ont senti, que cette histoire-là allait bien au-delà d’une télévision. Ils devaient sentir que c’était tellement sincère qu’il y avait une nécessité. Ce n’était pas un feuilleton comme les autres. Il y avait de la part de ceux qui nous suivaient véritablement de l’amour pour cette série. Et à mon avis, cet amour, on l’a récolté parce qu’on était nous-mêmes en création de cet amour.  Ça allait bien au-delà d’une fiction...

 

Ça s’est ressenti en tout cas. Il y avait quelque chose de différent... Et justement, vous êtes toujours en contact régulier avec Bernard Le Coq, Béatrice Agenin et tous les membres de cette "famille bis" ?

Les jeunes, les ai revus un peu dernièrement parce qu’il y a une charmante actrice qui a eu envie justement de faire une petite réunion, mais c’est vrai que j’ai moins de contacts avec eux. Bernard, je le vois de temps en temps, on reprend la conversation là où on l’a laissée. Notre entente est intacte, telle quelle, on pourrait recommencer demain avec la même complicité... C’est drôle d’ailleurs qu’il ait joué le père de ma fille (Sara Giraudeau, ndlr) dans ce très beau feuilleton, Tout va bien. Et Béatrice est une très grande amie...

 

Très bien... Et, même si Joël Santoni n’est plus là, vous auriez envie de refaire des choses ensemble, peut-être de reprendre cette histoire ?

Non, pas sans Joël. Bien sûr que non. C’est en partie pour ça qu’on a arrêté d’ailleurs. Joël était extrêmement malade, on savait qu’il allait disparaître incessamment. Il était évident qu’on ne continuerait pas sans lui.

 

C’est en tout cas un bel héritage collectif !

Oui...

 

Je trouve d’ailleurs dommage, au passage, qu’on ne la diffuse plus que très rarement, la série, ne serait-ce que sur TF1 ?

Oui. Je crois que pendant quelque temps elle est passée en boucle sur TV Breizh !

 

Plus ou moins consciemment, vous vous êtes dit qu’être comédienne, vous mettre dans la peau d’autres femmes, ça vous aiderait à vivre ?

Il y a une chose qui m’a aidée, je l’ai écrit dans Le rêve de ma mère justement. J’ai compris après coup pourquoi le métier de comédienne l’avait emporté sur ma vocation de peintre. J’avais, avec ce déni du deuil qui me tenait, une espèce de force, comme ça, incroyable, après cette petite tentative de suicide qui ne disait pas son nom que j’ai fait à 13 ans. Ayant vérifié que, non, on ne voulait pas de moi là-haut (rires) et qu’il fallait rester ici-bas, là plus rien ne pouvait m’arrêter ! J’ai fait les Beaux Arts, et je me destinais donc à être peintre - j’ai fait deux ans de Beaux Arts et j’allais rentrer en section Peinture au moment où j’ai réussi le concours du conservatoire de Paris.  Pour suivre les copains. Tout cela était encore très indéfini.

Après, je me suis dit que, un peu murée comme je l’étais avec mon deuil impossible, et en même temps cette force, j’avais grand besoin d’exprimer des émotions. Mais il ne fallait pas qu’elles me surprennent... J’étais en maîtrise, en maîtrise totale. Ce métier m’a aidée sur ce point : j’avais à exprimer des sentiments, y compris dramatiques, mais je les avais concoctés, je savais comment ils me venaient, s’ils surgissaient brusquement, si c’était une montée lente, etc... En fait, c’était absolument under control. Et j’avais besoin de ça. D’exprimer des émotions je l’ai dit, tout en gardant le contrôle. Ce qui est tout à fait le travail du comédien.

 

L'admiroir

 

Bien. Je le disais tout à l’heure, la qualité de votre plume impressionne, quand on vous lit. Longtemps je crois, l’écriture a été pour vous comme un refuge, plus jeune vous écriviez de longues lettres à une tante...

Oui, 10 pages par semaine, environ. Et un jour ma tante, cette chère "Tata" qui m’a élevée, a eu le téléphone. Je me suis dit : "Zut, j’ai perdu ma lectrice, à qui je vais écrire maintenant ?", et c’est là que j’ai eu l’idée d’écrire une histoire, mon premier roman L’admiroir. Mais si ma tante n’avait pas eu le téléphone, j’aurais peut-être continué à lui écrire des lettres (rires). Sans penser à écrire autre chose. J’étais frustrée de ne plus lui faire ses dix pages par semaine, on se disait désormais tout en cinq minutes.

L’idée de la comédie, en plus des Beaux Arts, est venue d’un orientateur professionnel. J’étais déjà entrée aux Beaux Arts de Rouen, une magnifique école, à 14 ans et demi. Et ma tante, qui voulait se rassurer elle-même de cette orientation artistique, m’a envoyée faire un test d’orientation professionnelle. On a vu qu’en arithmétique, j’étais au niveau d’une enfant de 4 ans. Mais première en français, première en espagnol, etc. Le mec a dit une chose extraordinaire : "Écoutez, elle vient de réussir son entrée aux Beaux Arts, entrée deuxième sur concours, qu’est-ce que vous voulez de mieux ? Seulement, il y a un truc qui me chiffonne : vous me dites qu’elle écrit, qu’elle lit tout le temps, première en français, etc. Pourquoi ne l’inscrivez-vous pas au conservatoire d’art dramatique deux fois par semaine pour qu’elle continue à étudier des textes ?" C’était ça le principe de base : étudier des textes !

Donc tout est parti de l’écriture, en fait. Et figurez-vous qu’il n’y a pas si longtemps, deux trois ans je crois, dans un salon du Livre, une très vieille dame est venue me voir et m’a dit : "Vous cherchez le nom de l’orientateur professionnel qui vous a dirigée ainsi aussi intelligemment, il s’appelait M. René Galligeau". C’est dingue. Et d’ailleurs dans Le rêve de ma mère, je parle de l’entrée aux Beaux Arts, de mon parcours artistique, et j’ai eu la surprise de me rendre compte en l’écrivant que j’avais de l’entrée aux Beaux Arts un souvenir éblouissant, et AUCUN souvenir de l’entrée au conservatoire, aucun ! Même pas les premiers mois, rien. Je n’avais aucun investissement là-dessus. J’y allais comme ça... J’ai écrit aussi qu’il y a une chose qui m’a complètement embarquée aussi vers ce métier, à part le fait d’exprimer des émotions, c’est la découverte des copains... J’avais été très solitaire à l’école, puis aux Beaux Arts où le travail est un travail aussi solitaire - chacun seul devant sa toile, devant son dessin... Là tout à coup, émerveillement, le "à toi"-"à moi", on se monte des scènes ensemble, on discute…, (elle soupire) mais quelle merveille... C’est ça qui m’a poussée aussi vers ce métier. L’échange.

 

Aimez-vous écrire aussi en tant que scénariste, en vous disant que vos mots prendront forme et vie sur scène ou à l’écran ?

J’ai écrit un scénario dans ma vie, pour que Bernard (Giraudeau, ndlr) fasse son premier film, qui s’appelait La face de l’ogre. Il est fort dommage d’ailleurs que ce film, et je ne sais pourquoi, soit oublié. Quelquefois dans des festivals, quand on parle de Bernard, des films qu’il a faits, on ressort souvent certains titres, mais son premier film, qu’on a fait ensemble donc et dont j’ai écrit le scénario complètement, est passé à la trappe ! La face de l’ogre est un très beau film que j’avais écrit en m’inspirant, de manière assez lointaine, d’un livre de Simone Desmaison. Je n’avais pas compris à l’époque pourquoi j’étais autant à l’aise dans le sujet du refus du deuil. Mais c’est bien de ne pas comprendre, parce que sinon on ne fait pas les choses... C’était l’histoire d’une femme en montagne dont le mari était resté pendu, là-haut, au bout d’une corde. Tous les touristes venaient voir "le pendu", et elle, elle était là tranquille, elle buvait son thé, elle n’avait pas regardé dans la jumelle… Elle faisait absolument comme s’il allait revenir. Elle était dans ce déni, jusqu’à ce qu’on la force à prendre conscience qu’on allait le faire descendre de là-haut. C’était un film super sur le déni du deuil, sur la montagne aussi, j’en suis très fière.

 

La face de l'ogre

(Avec aussi, Anny Duperey y tient et elle a bien raison, Jacques Denis !)

 

Et ce que vous racontez, sur cette femme qu’on pousse à affronter la réalité, à toucher du doigt sa souffrance, ça évoque forcément ce que vous racontez dans Le voile noir, quand on vous a disons fortement incitée à assister à l’enterrement de vos parents...

Bien sûr. Et en même temps, heureusement qu’ils l’ont fait...

 

Mais vous pourriez avoir envie d’écrire à nouveau des scénarios ?

Pas vraiment, quoique... Mon dernier roman est manifestement un film. Mais personne n’en veut (rires). Le tour des arènes est un scénario total, avec un très beau rôle pour moi puisque j’ai la chance que les gens m’acceptent dans des rôles extrêmement différents. Dernièrement, j’ai fait une psychopathe dans un téléfilm qui s’appelait Petit ange. Dans Mort d’un berger, j’incarnais une paysanne assez dure... Pour ce film, s’il se faisait, j’aurais une clocharde extraordinaire à jouer. Mais ça n’intéresse personne !

 

Le tour des arênes

 

Peut-être que ça viendra ? Je vous le souhaite.

Pour la télévision, je sais comment ils fonctionnent. S’il n’y a pas de suspense pour maintenir les gens devant leur écran, ils rechignent. Or, c’est un film (sic) où il n’y a pas de suspense. C’est un conte. Moi je suis persuadée que les gens peuvent rester accrochés à un conte, mais convaincre les gens de la télévision c’est compliqué... J’espère que ça se fera. Et comme ma clocharde est hors d’âge, il n’y a pas de limite d’âge ! (Rires)

 

Revenons à votre métier de comédienne. Comment choisissez-vous vos rôles en général ? Beaucoup aux coups de cœur ? Est-ce qu’il y en a que, de par votre histoire, ou peut-être simplement, de par votre sensibilité, vous ne vous verriez pas jouer ?

En général, quand je lis un scénario, une pièce, etc, il faut évidemment que ça me plaise, qu’il ne me tombe pas des mains. Si je le lis jusqu’au bout, que je le trouve bien écrit, etc, c’est tout simple : je le pose et je vois sans même m’en rendre compte si, cinq minutes ou une heure après, je me dis "Tiens, dans telle scène, je ferais bien ça..." Dans ce cas je me dis, ça commence à travailler ! Et pour ce qui est des rôles, il y en a deux que j’ai obstinément refusés, et que ma copine Béatrice Agénin a brillamment joués d’ailleurs. Deux rôles que je n’ai pas voulu interpréter, et qui m’ont été proposés plusieurs fois. Je n’ai jamais voulu jouer Phèdre, je ne comprends rien à cette bonne femme. Et je n’ai pas voulu jouer Qui a peur de Virginia Woolf ?. Béatrice j’en suis sûre a été magnifique dans Phèdre, et aussi dans Virginia Woolf ! Moi, une dame qui meurt d’amour sans avoir jamais couché avec l’objet de son tourment, j’avoue que je ne comprends pas. C’est là où je me dis que j’ai peut-être une petite infirmité : je dois comprendre ce que je vais jouer, or la passion, c’est un truc que je ne comprends pas. La passion qui vous tombe dessus comme ça et dont on est victime...

Il y a eu un metteur en scène, Michael Cacoyannis, ce n’est pas rien (il a notamment réalisé Zorba le Grec, ndlr), qui a voulu que je joue Phèdre. Il a failli me faire fléchir, avec un argument-massue quand je lui ai dit que je ne comprenais rien à ce que vivait cette femme, que j’allais devoir penser aux enfants qui meurent de faim dans le monde, à n’importe quoi mais tout sauf ce qui se passe dans la pièce. Parce que je n’y comprenais rien. Et il m’a dit (elle l’imite en prenant l’accent grec) : "C’est exactement pourquoi tu es faite pour le rôle, parce qu’elle aussi ne comprend pas" (rires). Et là, c’est la phrase qui vous fait vaciller. Il m’a dit aussi (elle reprend l’imitation) : "On prend toujours des actrices qui ont une voix vaginale pour jouer Phèdre ! Au contraire, c’est une femme qui est plutôt une intellectuelle sur laquelle tombe quelque chose qu’elle ne comprend pas." Et c’était très juste comme argument. Mais je n’y suis pas allée quand même.

 

 

J’aime la manière dont vous racontez tout cela, et votre façon de choisir un rôle ! Et justement vous en parliez, est-ce que, comme dans votre personnage de Mort d’un berger, vous pensez que vous pourriez endosser la responsabilité d’un crime pour protéger quelqu’un que vous aimez ?

Oh, là je ne sais pas du tout. Je ne me pose pas cette question, et je me garderais bien de me la poser ! (Rires)

 

Très bien (rires). Dans Petit ange, votre personnage était moins sympathique, névrosé au point de broyer sa fille pour des malheurs passés...

Ce rôle était extraordinaire. Une psychopathe... Il y a dans le scénario cette histoire de jumeau qui meurt dans son ventre et qui "re meurt" après, etc... On voit très bien comment a pu se développer la folie de cette femme autour de sa petite fille, en disant "Elle l’a déjà tué dans mon ventre, etc..." C’est terrible ! Tordre sa douleur, comme ça, pour en faire une espèce de folie.

 

 

C’est jubilatoire de jouer un rôle aussi éloigné de soi et de l’image qu’on renvoie ? Vous aimez jouer des personnages négatifs, inquiétants même ?

Oh oui alors ! Vous savez, j’ai eu beaucoup de chance sur ce plan. Tout de suite après les Famille formidable, quand on a arrêté, je me suis dit qu’on n’allait plus me proposer que des "grandes sympas". Finalement, le premier rôle qu’on m’a offert, ça a été la mère d’un tueur dans quelque chose qui s’appelait Le tueur du lac. C’était une série pour la 3. La mère du tueur, ce personnage !!! Je me suis foutu les boules à moi-même. Je vous assure que quand j’ai regardé ça, il y avait des scènes où je me serais presque fait peur ! Une femme si dure, qui n’aimait rien ni personne, un personnage à l’oeil complètement froid, fermée à tout sentiment… C’est drôle à jouer ce genre de personnage ! Et c’était génial d’avoir ça tout de suite après La famille formidable. Ça m’a immédiatement démarquée du personnage de Catherine.

 

J’espère qu’ils rediffuseront ça ? Dans toute votre filmographie, et j’inclus dans ce terme les choses faites pour la télé, de quoi êtes-vous particulièrement fière ?

Oh... Il y en a pas mal. Il y a des films qui ne valent pas le coup, mais aussi de belles choses. Il y a une chose qui est très belle, un téléfilm que j’avais fait avec Christopher Frank. Je l’ai revu, celui là, parce que j’ai un ami biographe qui écrivait sur Colette et sa fille. Quand j’ai su ça, je lui ai dit que j’avais tourné un jour avec Christopher Frank donc, un beau metteur en scène qui avait fait l’adaptation de La seconde de Colette. Le film est formidable.

 

La seconde

 

Je parlais tout à l’heure de La face de l’ogre, le premier film de Bernard. J’adorerais qu’on en diffuse une copie correcte. J’ai cherché partout, il n’est dispo ni en DVD, ni en téléchargement, ni même en VHS.  Il n’est même pas disponible sur l’INA. Un ami amoureux de ce film m’en a envoyé une copie, des techniciens ont travaillé dessus, ils ont enlevé un maximum de défauts...  J’adorerais que les gens voient ça. Par ailleurs, une troupe de théâtre amateur, au Havre, en a fait une adaptation théâtrale, qu’ils ont jouée plusieurs fois. Le scénario s’y prête parfaitement : c’est presque un huis-clos.

 

Si notre interview pouvait y contribuer j’en serais vraiment ravi...

 

Note de l’auteur : à la suite de notre entretien, Anny Duperey m’a envoyé

une copie de La face de l’ogre, que j’ai visionné (et aimé). Je l’ai légèrement retouché

pour en gommer certaines imperfections liées aux supports d’origine (TV, puis VHS).

J’ai proposé à Anny Duperey, dans l’attente d’une restauration et d’une mise à disposition

par l’INA ou autre, de le mettre, via YouTube, à la disposition des internautes,

au premier rang desquels, les lecteurs de cet article. Bon film !

 

Est-ce que vous êtes heureuse aujourd’hui, Anny Duperey ?

Ça fait partie des questions que je ne me pose pas. Je crois que je peux dire oui... Disons que je suis bien dans ma vie. J’ai la chance de travailler encore beaucoup, j’adore ça. Je ne me vois pas arrêter d’écrire, de jouer, de chanter aussi - ça c’est nouveau, ça vient de sortir.

 

 

Avec un camarade du music-hall nous avons écrit un spectacle  sur  et  de  café concert. On a 18 chansons à deux, et on a concocté un historique du café concert pour expliquer aux gens, gaiement, ce qu’était vraiment le café concert. J’ai donc ce spectacle, que je joue de temps en temps. Le jouer davantage c’est mon grand projet du moment - avec le fait de faire un film de mon dernier roman. Je veux reprendre au théâtre ce spectacle donc, Viens poupoule, qui m’avait été commandé au départ à l’occasion des Journées Marcel Proust de Cabourg, où j’avais fait des lectures très sérieuses, avec des musiciennes classiques... Et un jour ils m’ont appelée pour me dire : "On vient de trouver un texte magnifique de Proust sur le café concert qui s’appelle Éloge de la mauvaise musique. Ce texte on l’a gardé dans notre spectacle bien sûr. Et ils m’ont demandé si je voudrais y ajouter quelques chansons, comme j’avais déjà fait des comédies musicales, etc. Je ne me voyais pas faire ça toute seule !

J’ai pris par la main ce camarade du music-hall, que je connaissais et qui joue un personnage féminin, on a monté ce spectacle. Après les Journées Marcel Proust de Cabourg, on l’a réglé en l’améliorant au théâtre de Passy, on l’a joué dans un cabaret et on va le rejouer d’ailleurs dans ce même Cabaret de la brèche, près de Paris, les mercredi 12 et jeudi 13 juin - qu’on se le dise ! On l’a joué aussi, figurez-vous, pour être le spectacle surprise de la maison de la culture d’Orléans ! Nous sommes passés pour cette occasion d’une scène de 5 m de large à 14,5 m ! Et 650 personnes dans la salle du CADO. Et c’était génial. Alors ce spectacle, je veux absolument le reprendre quelque part au théâtre, en  2025.

Avant cela, j’espère faire une jolie tournée avec le beau "seul en scène", le texte de Jean Marbœuf, Mes chers enfants. C’est formidable...

 

 

Vous avez pas mal écrit sur les chats, et je crois comme vous qu’ils sont un joli remède contre la déprime. Vous en avez eu beaucoup dans votre vie ?

J’en ai eu beaucoup oui. Actuellement j’en ai deux. Un très vieux chat, tombé dans une grave dépression quand sa vieille compagne est morte il y a deux ans, tiens, au même moment que lorsque j’ai créé Viens poupoule à Cabourg... Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, il était au bord de se laisser mourir. De chagrin, vraiment. Sur le passage du grand hôtel de Cabourg, où se tenaient les journées Marcel Proust, il y avait une SPA et j’y ai adopté une petite chatte qui l’a sauvé, et que j’ai toujours.

Je vis avec des chats, je ne pourrais pas avoir de chien. Il faut être le dominant, le roi d’un chien. On est son patron. Ils sont faits comme ça, puisqu’il viennent de "la meute", avec sa hiérarchie. Mais moi je n’ai envie d’être le dominant de personne. Alors, les gens me parlent de l’indifférence des chats. Mais non les chats ne sont pas indifférents du tout ! Mais il n’y a pas cette demande constante, cette attente, qui moi me serait insupportable. Mon livre sur les chats, je l’ai commencé par cette phrase : "J’ai pour les animaux un amour raisonnable". À partir de ce moment-là, on n’a pas arrêté de me dire que j’étais folle, ou amoureuse des chats. Non : j’aime les chats tels qu’ils sont. Il y a des cons, j’en ai rencontré, comme chez les hommes. Beaucoup de "braves" gens, quelques personnalités exceptionnelles, et de rares authentiques salopards… Exactement comme chez les humains !

 

Les chats de hasard

 

C’est une jolie réponse. Je voulais vous interroger sur vos projets mais vous avez déjà largement répondu.

Oui. Il y a une vague idée de livre. La tournée de Mes chers enfants, j’espère qu’elle sera belle, c’est vraiment un texte qui parle à tellement de gens : qu’est-ce qu’on fait de sa vie après 65 ans ? Si on ne veut pas rester dans le canapé en attendant désespérément que les enfants viennent vous voir, comment se réinventer, repartir... Et je l’ai dit, remonter Viens poupoule dans un théâtre à Paris !

 

Que peut-on vous souhaiter, chère Anny Duperey ?

Que tout ça marche ! (Rires) Et de continuer à avoir la santé, parce que sans elle rien n’est possible... Continuer, voilà.

 

Interview datée du 3 février 2024.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Publicité
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 587
Publicité