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Paroles d'Actu
29 juillet 2016

« De Vigipirate à Sentinelle vers une Garde nationale ? », par Alain Coldefy

L’amiral (2S) Alain Coldefy, directeur de la prestigieuse Revue Défense Nationale, est de ces voix de militaires auxquelles on prête l’oreille dans un pays qui, pendant longtemps, s’est peut-être senti moins directement concerné par les questions de défense. La réalité froide du terrorisme de masse qui, depuis dix-huit mois, a frappé le territoire national à au moins trois reprises et causé plus de 230 morts violentes, ne pouvait pas ne pas remettre la sécurité, la défense, le policier et le militaire au cœur des préoccupations premières de nos concitoyens.

M. Coldefy, qui avait déjà répondu aux questions de Paroles d’Actu en décembre dernier, a fort aimablement accepté la proposition d’article que je lui ai soumise le 17 juillet - soit trois jours après l’attentat de Nice - autour de la thématique suivante : « Quels dispositifs sécuritaires face à la menace terroriste en France ? ». Son texte m’est parvenu ce jour, au lendemain de la confirmation par le président de la République de la constitution d’une « garde nationale ». Synthèse et point de vue d’un expert, précieux parce qu’éclairants - qu’il en soit, ici, remercié. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Sentinelle 2016

Patrouille de soldats à Paris dans le cadre de l’op. « Sentinelle », nov. 2015. Cr. photo : Charles Platiau/Reuters.

 

« De Vigipirate à Sentinelle

vers une Garde nationale ? »

par l’amiral Alain Coldefy, le 29 juillet 2016

Le président de la République a décidé le 28 juillet 2016 la constitution d’une « Garde nationale » à partir des éléments existants des réserves opérationnelles. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État en parle, mais il semble à de nombreux observateurs que le projet pourrait aller à son terme à la suite des récents attentats.

C’est le moment de s’interroger sur le dispositif sécuritaire qui se met en place dans notre pays, au fil tragique des attentats meurtriers qui frappent délibérément « à l’aveugle », les auteurs et leurs commanditaires le revendiquent haut et fort.

Quelques mots d’abord sur le terrorisme...

Le terrorisme est un mode d’action, comme l’espionnage, la piraterie, l’esclavage ou le brigandage. C’est un mode d’action quasi « éternel », et « qui le restera », pour paraphraser un grand homme de l’histoire de France. Mais le terrorisme, pour terrible qu’en soient les effets sur les populations, n’a jamais détruit aucun État digne de ce nom.

La guerre est également un mode d’action, mais ce qui fait la différence, c’est qu’elle est un affrontement temporaire et par les armes entre deux adversaires ou ennemis, et, dût-elle durer cent ans, elle s’achève un jour par nature. En revanche, la guerre peut détruire des États, nul besoin d’être historien pour le savoir.

La « guerre contre le terrorisme » ou « la France est en guerre » sont donc deux expressions qui pourraient apparaître comme pleines de sens « politique », dans les rapports entre l’État et les citoyens, et vides de sens « pratique » comme cela est expliqué plus haut.

« On a mis dix ans à comprendre Mein Kampf...

ne refaisons pas les mêmes erreurs ! »

En réalité, et c’est la mondialisation de l’information et des espaces qui entre autres le permet, nous sommes entrés dans un siècle où tout est lié, tout événement a des répercussions mondiales instantanées :

  • La France doit combattre loin de ses frontières des groupes armés de terroristes qui ont un objectif politique assumé  : construire un État nouveau sur un territoire qu’ils auront conquis par la lutte armée et détruire dans le même temps nos sociétés. Ils l’ont écrit il y a une dizaine d’années et Gilles Kepel rappelle souvent que c’est le délai qu’il a fallu en France pour traduire – trop tard – Mein Kampf et découvrir qu’Hitler avait lui aussi écrit et décrit sa volonté de détruire la France. La cécité niaise, stratégique et politique, qui avait prévalu entre les deux guerres n’a toujours pas servi de leçon aujourd’hui.
     
  • Et simultanément, elle doit prévenir sur son sol national des attentats de toutes sortes et revendiqués comme terroristes par leurs auteurs.

L’exercice est donc délicat et on ne peut que se louer de la maïeutique intellectuelle, soutenue certes par les « kalachnikov » des assassins, qui a fait prendre conscience aux Français et à leurs dirigeants qu’il s’agissait d’un même « combat ».

Ces préliminaires permettent peut-être d’éclairer la question lancinante des dispositifs sécuritaires à mettre en place pour faire face à la menace terroriste en France.

Car au vu de ces éléments, on voit mieux qu’il s’agit, pour prendre une image concrète, de « gripper » cette « vis sans fin » de la terreur qui s’enfonce dans les ventres mous des démocraties.

Des principes forts

Deux principes forts doivent ensuite être soulignés quand on aborde maintenant la question des moyens, au sens large, à mettre en œuvre.

Le premier principe est qu’ils doivent être pérennes car la menace est malheureusement pérenne. Un médecin, William Dab, s’interrogeait récemment avec pertinence dans cette optique sur ce que la lutte contre les pandémies peut nous apprendre face à la menace terroriste.

« Trois piliers essentiel : Renseignement, Police, Justice.

Si l’un d’eux flanche, tout l’ensemble est bancal. »

Ces moyens reposent sur un triptyque bien connu : le Renseignement, la Police et la Justice. Quand l’un des piliers flanche, l’ensemble est bancal.

Le renseignement fonctionne plutôt correctement au vu des informations connues du grand public. Les terroristes sont rapidement identifiés, et il est évident, même si c’est moins dit, que nombre d’actions ont pu être évitées de façon préventive grâce aux moyens mis en œuvre dans ce domaine.

On peut cependant se risquer à deux remarques.

La première est que nous avons hérité de la guerre froide un dispositif, une culture, des méthodes et une organisation du renseignement dédiés au contre-espionnage avec des caractéristiques propres – temps long, réseaux, désinformation, etc… Ce mode opératoire a bien fonctionné jusqu’à la guerre en Irak et l’on se souvient du « jeu de cartes » représentant les responsables de la mouvance de Saddam Hussein. Depuis, il s’agit d’intervenir « urbi et orbi » dans un contexte de contre-terrorisme qui présente d’autres caractéristiques : médiatisation, rôle des opinions publiques, mise en avant permanente des responsables politiques, etc…

La deuxième est que l’intégration du renseignement, en termes d’organisation, est encore inachevée. Les armées, dès la chute du Mur, ont créé ex nihilo une direction interarmées du renseignement militaire, qui n’était pas évidente a priori (fusionner les spécialistes de l’analyse spectrale des bruits rayonnés par un sous-marin soviétique en Atlantique nord et ceux de l’action humaine en profondeur sur les théâtres terrestres par exemple) mais a fait avec le temps preuve de son efficacité. Les sources du renseignement sont multiples, internationales et nationales, et cette intégration est impérative. Pour ce faire, les militaires ont une recette éprouvée : un seul chef pour une mission bien définie et des moyens correctement adaptés….

Les forces de sécurité font preuve au quotidien de leur professionnalisme et il y a peu de commentaires à faire. Elles disposent d’effectifs importants au plan national - la Police nationale comme la Gendarmerie nationale sont chacune plus importantes en personnel que l’armée de Terre – et sont complétées des polices municipales, de la sécurité civile, du système de santé, des pompiers civils et militaires, etc... Ces forces sont suremployées et doivent de plus en plus intervenir en faisant usage de leurs armes létales. L’appel aux forces armées, dans son principe, est donc cohérent.

« Le terrorisme doit être traité dans le cadre

des lois ordinaires de la République »

La justice enfin. La criminalité est pérenne, le terrorisme en fait partie, se traite en démocratie par les lois ordinaires de la République, c’est le second principe. L’exception, comme son nom l’indique, doit rester exceptionnelle car elle réduit temporairement le champ d’action de la justice au profit de l’administration. Ce n’est pas le sujet de cet article, donc nous ne développerons pas ce point. Il est évident que c’est à l’heure actuelle le point de faiblesse du dispositif pour des raisons qui tiennent essentiellement à un budget notoirement insuffisant depuis des années. Il est clair également que depuis l’épisode du « mur des cons » on peut s’interroger sur les motivations de certains - imagine-t-on dans une caserne ou un commissariat un tel spectacle ? L’absence assumée du renseignement dit « pénitentiaire » est également un point de faiblesse. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Il est donc naturel de reconsidérer le rôle de l’armée dans le cadre ainsi brossé.

Et l’on s’apercevra immédiatement que l’armée n’est pas conçue pour cette mission. Les forces armées sont en effet faites pour protéger le territoire national contre des agressions extérieures et les Français de par le monde. Le militaire, soldat, marin, aviateur est formé pour le combat contre un ennemi et il est dépositaire dans ce cadre de la violence de l’État avec le devoir de détruire ceux qui, de l’étranger et à l’étranger, s’attaquent à la France. Ceci n’a rien à voir avec le mandat des forces de police, quel que soit leur statut, civil ou militaire. Ces dernières couvrent une palette extrêmement vaste d’interventions, qui concernent nos concitoyens (grève ou défilé par exemple) et n’autorisent l’ouverture du feu qu’en cas avéré de légitime défense (forces de police civiles).

En revanche, et parce que l’armée dispose parfois de moyens matériels qui font défaut à la sécurité publique (hôpitaux des armées pour le virus Ebola ou l’anthrax en 2001, engins de déminage sophistiqués, ou autres), elle a pour mission de porter son concours au ministère de l’Intérieur quand ce dernier la sollicite. Dans le cas extrême de catastrophes nationales, tout le monde est « sur le pont » évidemment.

Ce concours s’est progressivement étendu au renforcement des capacités de surveillance (Vigipirate) et des capacités de surveillance et d’intervention (Sentinelle) qui ont montré leurs limites légales et réglementaires.

« Les forces de police sont exténuées, l’armée de Terre

employée en soutien de leur mission est exsangue »

Depuis la recrudescence des attentats, il a fallu élever considérablement le niveau de protection si bien qu’aujourd’hui les forces de police sont exténuées et que l’armée de Terre, qui a apporté un soutien (les 10 000 hommes déployés depuis janvier 2015) qui n’était pas prévu par la loi, donc pas financé et désormais insoutenable en termes d’effectifs, est exsangue.

Pour réduire la contrainte sur les forces « régulières », de nombreuses voix se sont élevées pour faire appel aux « réserves », ce vivier de citoyens volontaires, vivier à la fois réel et fictif. Pour résumer, la réserve opérationnelle, qui est la seule concernée, est constituée de personnes (civiles sans expérience ou anciens militaires) qui contractent un engagement à servir, entre un et cinq ans, sur la base d’une durée limitée par an (environ deux mois) et avec l’assurance d’une formation et d’un entraînement d’un mois par an. Mais cette réserve, pour ce qui concerne les armées, a pour mission de compléter les capacités des armées d’active et elle est donc formée et entraînée dans ce but. Or nous avons vu que ce n’est pas le but des armées d’active d’assumer le rôle de force de police. Il y a donc un hiatus de base qu’il faut prendre en compte. Et il y a une deuxième difficulté, d’ordre budgétaire ; la sécurité des Français n’a pas de prix mais elle a un coût que l’État n’a jusqu’alors été capable d’assumer qu’en partie – il y a en effet 28 000 réservistes opérationnels sur un total qui devrait être de 40 000 après avoir été régulièrement revu à la baisse. Inadéquation de la formation et insuffisance budgétaire doivent donc être traitées sans attendre.

La France n’est pas un cas particulier. Dans tous les pays occidentaux, la réserve opérationnelle a pour but de compléter les capacités que les armées ne peuvent entretenir en permanence. Aux États-Unis par exemple, la Garde nationale (US National Guard) est le réservoir des armées de Terre et de l’Air qui ne peuvent se déployer à l’extérieur sans les réservistes qui la composent (par exemple en fournissant la moitié des effectifs de l’US Army en Irak). Elle intervient seule sur le sol américain car par tradition l’armée proprement dite n’intervient pas dans les pays de culture anglo-saxonne.

En France, la Gendarmerie nationale a un système de réserves efficace et cohérent avec ses activités et la Police peut disposer mais en nombre beaucoup plus réduit d’anciens policiers.

Alors quel avenir pour une Garde nationale ?

Puisque l’objectif est fixé, regardons comment l’atteindre. On a déjà signalé la contrainte budgétaire qu’il ne faut surtout pas minimiser. Le coût, pour la société comme pour le bon fonctionnement de l’économie - amputée par roulement de ces travailleurs - de 40 à 50 000 réservistes opérationnels est certainement voisin de près d’un demi-milliard d’euros par an en flux (équipement, formation, entraînement, dépliement, logement, nourriture, compensations, etc.) Elle ne peut être assumée que par un redéploiement de dépense publique en dehors des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice, sinon ce serait une politique de Gribouille. Il faudra dans le même temps prévoir les effectifs indispensables aux armées dans le fonctionnement actuel (renforts en Opérations extérieures, en état-major, dans les forces, etc..) car sinon ce serait amputer les armées de leur efficacité opérationnelle.

Si ces deux conditions sont remplies, la République ouvre une nouvelle page de son Histoire, déjà entrouverte dans le passé et dans d’autres circonstances, mais qui n’a jamais vraiment correspondu dans la durée à la culture de notre société.

« La Garde nationale, une aventure qu’il faut tenter... »

Mais ne serait-ce que pour montrer à notre ennemi - de l’extérieur et de l’intérieur - que la France agit et réagit, c’est une aventure qu’il faut tenter. Nul doute que le sens civique de nombre de nos concitoyens trouvera un lieu privilégié d’expression au sein de la future Garde nationale.

 

Alain Coldefy

 

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21 juillet 2016

« La France et l'EI : vers une guerre perpétuelle ? », par Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste de longue date à RFI, est spécialiste du Moyen-Orient. En janvier dernier, il avait répondu à quelques questions pour Paroles d’Actu touchant en particulier à lArabie Saoudite en tant que chef de file du monde sunnite et propagateur d’une lecture de l’Islam qui lui est propre. Il a accepté, quelques jours après l’odieux attentat qui a frappé Nice le 14 juillet au soir, de saisir la proposition de tribune libre qui lui a été faite. Je len remercie : sa contribution est fort instructive, même si elle n’est pas des plus rassurantes... Je vous invite également à lire en complément, toujours dans nos colonnes, le texte qu'avait signé Guillaume Lasconjarias au mois de mars. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Aux armes

Sur une vitre de la Promenade des Anglais, juillet 2016. Crédits photo : Laurent Vu/Sipa.

 

« La France et l’EI : vers une guerre perpétuelle ? »

par Olivier Da Lage, le 20 juillet 2016 

Il a fallu deux jours pour que l’organisation de l’État islamique revendique l’attaque de Nice du 14 juillet dans laquelle plus de 80 personnes ont perdu la vie et plus de 200 ont été blessés. Mais que le chauffeur meurtrier qui a fauché d’insouciants touristes venus voir le feu d’artifice soit un jihadiste patenté ou un paumé pris de pulsions meurtrières et suicidaires à la fois a finalement peu d’importance. La revendication de l’EI ne laisse aucune place au doute : la France est l’un de ses principaux objectifs.

La France, c’est certain, n’est pas le seul pays considéré comme kafir (infidèle) par le califat autoproclamé. L’ensemble du monde occidental, les musulmans chiites et même la plupart des musulmans sunnites (y compris ceux du Golfe) sont des kouffar (infidèles) selon l’EI et, comme tels, méritent d’être combattus par son armée de jihadistes. Mais pour l’EI, la France est sans conteste un objectif principal, notamment (mais pas uniquement) pour les raisons suivantes :

  • la politique de laïcité mise en avant par l’État français ;

  • les récentes interventions militaires françaises à l’étranger, principalement dans des pays musulmans (Mali, Libye, Syrie, Irak et Afghanistan) ;

  • l’importance de la communauté musulmane sur le territoire français (entre 4 et 5 millions, sur une population totale de 66 millions).

Le concept de laïcité est généralement traduit en anglais par secularism. Mais cela ne rend qu’imparfaitement compte de son contenu. L’Inde et les États-Unis, par exemple, ont une constitution laïque (secular). Mais la religion y est omniprésente dans la sphère publique, y compris étatique. Par contraste, la laïcité française a été forgée au début du XXe siècle afin de rogner l’influence de l’Église catholique en appliquant une stricte séparation entre l’Église et l’État. La loi et la constitution française obligent l’État à être strictement a-religieux. Dans la pratique, cette politique a longtemps été dirigée contre les institutions catholiques.

« Les djihadistes assimilent à dessein la laïcité à la française

à un athéisme inacceptable pour tout musulman pratiquant »

Mais la dynamique actuelle voit un effondrement de la pratique religieuse chez les catholiques (et par conséquent, de l’influence de l’Église) tandis que gonfle le nombre de musulmans. L’islam est donc devenu la principale cible des politiques laïques depuis deux décennies et celles-ci sont souvent mises en avant (et en pratique) d’une façon agressive. C’est la raison pour laquelle de nombreux citoyens français musulmans se sentent marginalisés dans leur propre pays et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une islamophobie ambiante. Les organisations jihadistes profitent de ce sentiment pour assimiler la laïcité à l’athéisme, ce qui la rend inacceptable pour tout croyant adepte de la foi musulmane. Naguère al-Qaïda, désormais l’État islamique puisent la légitimité de leurs attaques contre la France en tant que pays athée de divers versets du Coran et de plusieurs hadith (les « dits » du Prophète) qui enjoignent aux fidèles de traiter sans pitié les incroyants qui refusent de se convertir à la vraie foi.

En dehors du Royaume-Uni, la France est le seul pays européen disposant d’une puissance militaire significative qui a été déployée hors de ses frontières à de multiples reprises depuis plusieurs décennies. Elles ont été menées principalement en Afrique, mais aussi en Bosnie durant la guerre des Balkans des années 90 ; en Afghanistan après le 11-Septembre ; contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011 et en Irak et en Syrie au cours des dernières années. L’intervention française au Mali en janvier  2013 a été le facteur décisif empêchant les jihadistes de s’emparer de la capitale Bamako. Jusqu’à ce jour, des unités françaises patrouillent au Mali et y traquent les jihadistes.

Par ailleurs, bien que d’autres pays soient également engagés dans des opérations à l’étranger contre les organisations jihadistes, aucun d’eux (à la possible exception des États-Unis) ne s’en vante aussi ouvertement que la France. En proclamant en toute occasion que la France est l’ennemi intraitable de l’EI et en revendiquant l’élimination physique de ses combattants et dirigeants, les dirigeants français donnent corps au récit de l’EI selon lequel les attentats commis sur le sol français ne sont que de justes représailles pour les morts provoquées en Syrie et en Irak par les bombardiers français. Naturellement, le point de vue français est diamétralement opposé : la France n’a pas d’autre choix que de détruire à la source ceux qui fomentent de l’étranger les attentats contre ses citoyens. Le seul point sur lequel ils semblent être d’accord est que chacun considère l’autre comme un ennemi mortel et irréductible.

« L’EI cherche à susciter des violences anti-musulmans

qui ouvriraient la voie à une guerre civile en France »

La stratégie développée par l’État islamique semble être la suivante : en multipliant les attaques meurtrières en France, l’exaspération des Français non-musulmans (principalement dans les milieux d’extrême-droite) prendra pour cible leurs compatriotes musulmans qui ont la même religion que celle dont se revendiquent les tueurs jihadistes. Si cela se traduit par des représailles violentes contre les musulmans de France, ce qui, pour l’heure, ne s’est heureusement pas produit, cela renforcera leur sentiment d’abandon par les institutions et l’État français, incapable (ou ne voulant pas) assurer leur protection contre la stigmatisation verbale et les attaques physiques. En fait, voici seulement quelques semaines, le chef de la DGSI Patrick Calvar, interrogé par une commission parlementaire, émettait la crainte que des organisations d’ultra-droite ayant recours à la violence se lancent dans une véritable guerre civile contre les musulmans vivant en France.

Comme les autorités françaises ont tendance à répondre à chaque attentat terroriste par une intensification des bombardements en Syrie et en Irak, cela convient à merveille à la stratégie de l’EI et tient de la prophétie auto-réalisatrice. Le fait est que, jusqu’à présent, le gouvernement français a bénéficié du soutien de l’opinion publique qui approuve les représailles militaires à l’étranger après chaque attentat sur le sol français. Pour le moment, du moins, le gouvernement tout comme l’opposition sont plus que jamais convaincus que les représailles militaires sont la bonne réponse au terrorisme et le soutien de l’opinion ne semble pas chanceler. Avec l’élection présidentielle distante de quelques mois seulement, aucun responsable politique ne veut pouvoir être taxé de faiblesse face au terrorisme.

Si toutefois de nouvelles attaques terroristes devaient provoquer toujours plus de victimes, ce qui, aux dires même du Premier ministre Manuel Valls, est hautement probable, les électeurs français pourraient reconsidérer leur opinion et se dire qu’après tout, le coût humain d’une intervention militaire extérieure est un prix trop élevé à payer. Mais même en ce cas, il n’y a bien sûr aucune garantie que l’EI répondrait par un arrêt des attentats à un arrêt (tout aussi improbable) des bombardements français sur ses fiefs de Raqqa et Mossoul. On a, bien au contraire, toutes les raisons de penser que dans un avenir prévisible, la continuation des bombardements français au Moyen-Orient aura pour corollaire le redoublement des attaques terroristes en France. Et inversement.

 

Olivier Da Lage

 

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20 juillet 2016

Frédéric Salat-Baroux : « Ne soyons pas la première génération qui laissera la France petite... »

Frédéric Salat-Baroux occupa, deux années durant, le poste hautement stratégique de secrétaire général de la présidence de la République (à lire : le livre et linterview de César Armand et Romain Bongibault) auprès de Jacques Chirac, à la toute fin du second mandat de l’ancien président (2005-2007). Fort de ses expériences à la fois dans le public et dans le privé, qui ont chacune nourri ses réflexions, il publie cette année chez Plon La France EST la solution, ouvrage érudit qui entend dresser un diagnostic clair de l’état de la France de 2016 et, surtout, proposer des pistes d’actions concrètes, d’horizons vers lesquels tendre afin d’enrayer le déclin de notre pays. On n’est pas sans penser au Mal français qu’écrivit Peyrefitte il y a quarante ans ; sur le fond, Salat-Baroux demeure optimiste quant à la capacité de la France à rebondir... si elle agit vite et ferme. Le texte mériterait réellement d’être lu par celles et ceux qui s’intéressent aux grandes questions qu’aura à aborder le pays à l’occasion des échéances électorales de l’an prochain. Qui sait si M. Salat-Baroux ne comptera pas parmi les acteurs qui, demain, auront à gérer la France - n’est-il pas à l’évidence de ceux qui en ont l’étoffe ? Je le remercie en tout cas d’avoir accepté de se prêter au jeu de l’interview, ainsi que Julien Miro, pour sa précieuse intermédiation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Ne soyons pas la première génération

qui laissera la France petite... »

Interview de Frédéric Salat-Baroux

Q. : 07/06/16 ; R. : 15/07/16

La France EST la solution

La France EST la solution (Plon, 2016)

 

Paroles dActu : Frédéric Salat-Baroux bonjour, merci de m’accorder cette interview, que j’ai choisi d’axer en particulier sur des questions touchant aux institutions de la république et à des considérations historiques...

Dans votre ouvrage, La France EST la solution (Plon, avril 2016), vous appelez à des clarifications institutionnelles, à une présidentialisation accrue du régime qui verrait le chef de l’État propulsé seul responsable de la branche exécutive (exit donc le Premier ministre et son gouvernement). Est-ce que, comme les historiens Thierry Lentz et Jean-Christian Petitfils dans les colonnes de Paroles d’Actu, vous considérez que la réforme dite du « quinquennat » qui dans les faits conduit à une concordance des mandats présidentiel et parlementaires, a été une mauvaise réforme au regard de l’équilibre des institutions et de la bonne santé démocratique du pays ?

Le quinquennat...

Frédéric Salat-Baroux : Le principal intérêt du quinquennat est de conduire à la concordance, de fait, entre le mandat présidentiel et le mandat parlementaire. Pour l’avoir vécue, la cohabitation est une situation préjudiciable dans laquelle tout à la fois le Président et le Premier ministre chef de la majorité travaillent ensemble dans l’intérêt du pays mais, dans le même temps, rivalisent sur le terrain politique et, souvent, se préparent à s’affronter à la prochaine élection présidentielle. Ce n’était acceptable ni sur le plan de l’efficacité de l’action publique ni sur le plan démocratique. L’inconvénient du quinquennat est, en revanche, qu’il réduit le temps d’action du Président. On le voit un mandat dure, en fait, quatre ans, puisqu’un an avant commence la double campagne : primaires-élection présidentielle.

 

Ma proposition de suppression de la fonction de Premier ministre répond à la fois à l’objectif de clarté et d’efficacité des institutions : sur un exercice de quatre ans le Président doit devenir le moteur et le chef de la majorité, il ne peut plus être l’arbitre. Mais la seconde raison, la plus importante à mes yeux, est qu’il faut simplifier l’organisation institutionnelle pour ouvrir un espace à la démocratie participative, c’est-à-dire, comme le font les entreprises avec les logiques d’Open Source, s’appuyer sur les forces de propositions et d’innovation des citoyens pour améliorer l’action publique. Je prends en exemple le budget participatif d’investissement de la ville de Paris et je propose d’étendre cette démarche jusqu’au droit d’amendement citoyens, à partir du moment où il recueillerait plus de 50.000 signatures et devrait alors être examiné en Commission parlementaire. Ce chantier est le plus prioritaire en terme de réforme de l’État avec le passage à deux échelons seulement d’administration territoriale, comme je le propose également dans le chapitre sur les institutions.

 

PdA : Quel regard portez-vous sur les dix dernières années de pratique de la charge présidentielle, dans les deux cas les plus récents plus directement engagée dans l’arène publique, donc moins « rare », plus « clivante » même si les choses ont le mérite d’être clarifiées ? Est-ce que d’une certaine manière vous considérez, comme Emmanuel Macron l’a formulé l’an dernier, qu’il manque, au moins symboliquement bien sûr, un « roi » en France - non un monarque absolu mais une figure qui se tienne réellement au-dessus des débats partisans pour se concentrer sur les enjeux de long terme, « incarner » pleinement la Nation tout entière ?

La figure du Roi...

F.S.-B. : L’exécution du Roi est une blessure toujours béante dans notre inconscient collectif. Il faut relire les premières pages de l’Histoire de la Révolution française de Michelet pour comprendre l’immense attachement du peuple au monarque et la terrible déception qui a conduit à la Révolution. D’où l’aspiration permanente à un monarque républicain, que de Gaulle avait parfaitement comprise et traduite dans l’élection du Président de la République au suffrage universel. D’où également la tentation tout aussi permanente de lui « trancher la tête », dès son accession au pouvoir. Cela rend la charge présidentielle doublement difficile : exigence d’incarnation de la Nation et contestation permanente de son action à défaut de sa légitimité, qui n’est jamais mis en cause. Même le général de Gaulle, qui est l’exemple par excellence de la capacité à exercer la double mission d’incarnation et de projection du pays dans le futur, a fini par subir ce syndrome avec Mai 1968 et le fameux « dix ans ça suffit ! ».

 

PdA : Vous énoncez une idée fort intéressante dans votre livre : la tenue dans la foulée des élections présidentielles et législatives, après passage par les assemblées, d’un référendum visant à faire approuver et valider directement par le peuple l’essentiel du programme du président nouvellement élu. La prise de décision politique s’en trouverait grandement accélérée et nombre de frustrations post-électorales seraient ainsi évitées. Mais n’est-il pas à craindre tout de même, dans cette hypothèse, et partant d’un système où la domination du présidentiel est déjà très forte (beaucoup plus par exemple qu’aux États-Unis) que cela contribue davantage encore à affaiblir la branche législative par rapport à l’exécutif ? Plus généralement, quel est votre idéal d’articulation entre les concepts de « démocratie représentative » et de « démocratie directe » ?

Un grand référendum en début de mandat...

F.S.-B. : Le cœur de mon analyse est que nous avons à relever un double défi : rattraper les retards accumulés (pression fiscale, code du travail, 35 heures, réforme des retraites) et nous adapter à la révolution numérique, qui bouleverse tout. Il faut donc aller vite sur le premier volet pour consacrer le quinquennat à la reconstruction de notre modèle (instauration de l’État participatif, basculement dans un système scolaire décentralisé et centré sur les outils pédagogiques numériques, encouragement à l’émergence d’un nouveau secteur économique fondé sur l’économie du partage en réponse aux risques d’ubérisation, nouveau droit du travail pour protéger les travailleurs dits indépendants mais travaillant pour des donneurs d’ordres uniques comme souvent dans la nouvelle économie, reconstruction d’une ligne de partage entre le temps de travail et le temps pour soi, en allant au-delà du seul droit à la déconnexion… et, bien sûr reconstruction du projet européen pour le recentrer sur les logiques d’efficacité économique et de grands projets).

 

D’où ma proposition de referendum pour faire adopter les mesures de rattrapages. Par rapport au recours aux ordonnances, qui a le même objectif de rapidité d’exécution, le referendum donne aux textes adoptées une légitimité démocratique incomparable. On contestera des ordonnances signées dans le secret du bureau du Président de la République, beaucoup plus difficilement des lois adoptées directement par une majorité de Français. Bien sûr, il y a le risque de perdre le referendum, comme en 2005 ou plus récemment sur le Brexit. Il est réel même si les Français sont un grand peuple politique et devraient donner au Président à la fois une majorité et la validation des mesures qu’il aura clairement annoncées durant sa campagne. L’urgence et la gravité de la situation actuelle exigent que l’on prenne ce risque, car sans redressement rapide et projection dans la nouvelle économie, le danger est considérable que nous en arrivions à un point de non-retour. Sans dramatiser ni employer de grands mots : que nous soyons la première génération qui laissera la France petite, qui la laissera s’enfoncer dans la pauvreté et la confrontation intérieure. Julien Benda le disait justement : n’oublions jamais que la France est le pays des tragédies.

 

PdA : Où entendez-vous placer le curseur entre les principes d’efficacité de la décision politique/puissance publique (qui suppose des majorités nettes dans les assemblées) et de juste représentation des opinions diverses des citoyens ? En quelques mots comme en cent : estimeriez-vous souhaitable l’introduction d’une part de proportionnelle pour l’allocation des sièges de l’Assemblée nationale ?

Une dose de proportionnelle ?

F.S.-B. : Revenir aux logiques de IVème République en l’appelant VIème serait une folie. Comment peut-on imaginer conduire la projection du pays dans un futur si incertain et si violent en revenant à la dilution du pouvoir et à son instabilité, ce que ne manquera pas de provoquer la proportionnelle ? L’enjeu principal est d’installer, à tous les niveaux d’administration, les instruments participatifs non dans une logique d’apparence ou démagogique mais avec la conscience qu’il peut s’agir d’un puissant moteur d’amélioration de l’action publique.

 

PdA : Le gros de votre ouvrage, qui pose un diagnostic juste, bien argumenté et empreint d’une culture historique et économique fort agréable et profitable, s’attache à démontrer où ont été les décrochages de notre pays dans un cadre de globalisation accrue, et à proposer des solutions pour, sinon les effacer, du moins les corriger. En résumé : restaurer la « valeur travail » / alléger les contraintes administratives et fiscales qui pèsent sur l’entrepreneuriat, sur l’investissement / prendre à bras le corps en s’adaptant à ses traits ce qui fonde l’économie nouvelle (l’économie du partage notamment) / point lié : prioriser l’éducation non sans la moderniser / faire le choix du pragmatisme pour atteindre une meilleure efficience quant aux affaires liées aux administrations, à la gestion de la protection sociale collective, etc...

 

Quelle place doit être dévolue dans votre esprit, partant de ce constat de prescriptions philosophiquement libérales, à l’État en tant que « stratège » ? Dans votre chapitre sur les institutions et la décentralisation, vous accordez la compétence économique aux Régions mais l’État en tant que tel, fort de sa vision d’ensemble, a-t-il encore, hors la non-oppression fiscale/réglementaire des acteurs de l’économie, un rôle d’impulsion, d’initiative, d’investisseur à jouer en matière d’économie ?

Quelle place pour l’État stratège dans le cadre européen ?

F.S.-B. : Plus que jamais l’action politique et son bras armé, l’État, devront jouer un rôle déterminant. Il y a d’abord la nécessité de montrer la voie : poser un diagnostic de la situation et proposer des options précises et, à bien des égards radicales. Le redressement de 1958 tient ainsi à deux décisions majeures, et pas trois, prises par le général de Gaulle : sortir de l’économie coloniale pour faire le choix de la construction européenne fondée sur les logiques de marché et de concurrence ; mettre fin au régime parlementaire et à son instabilité par l’élection du Président de la République au suffrage universel. Il y a ensuite la transformation de l’État pour le rendre plus efficace notamment par la simplification de l’organisation territoriale et l’ouverture aux logiques participatives. Il y a également le chantier rattrapage/projection dans la nouvelle économie qui est considérable à conduire dans une période où chaque jour compte. Il y a enfin la nécessité de faire du Brexit un levier pour construire une autre Europe. C’est le sens des propositions visant à tourner la page du rêve d’une Europe politique pour en faire un instrument d’efficacité économique. Cela passe par la nécessité de revoir de fond en comble notre droit européen de la concurrence et des aides d’État. Il faut aussi ouvrir un droit d’exception pour réformes structurelles, c’est-à-dire pouvoir faire temporairement exception aux critères de déficits afin, par exemple pour la France, de pouvoir conduire en même temps une forte baisse des impôts et des réformes structurelles (35 heures, code du travail, réformes des retraites…). Surtout l’Europe doit retrouver sa légitimité en étant porteuse de projets puissants et susceptibles de changer le quotidien. J’en propose deux : lancer la transformation des 180 millions de bâtiments en Europe en petites centrales de production d’électricité verte. C’est une réponse au réchauffement climatique et un moteur de croissance pour des décennies. Mais cela suppose une politique globale et notamment des instruments de financements qui ne peuvent être mis en place qu’au plan européen. Autre projet possible : lancer un Google européen. C’est le portail et le point d’entrée de la nouvelle économie. Est-ce acceptable que Google en ai le monopole alors qu’il y a pas de fatalité à cela comme le montre le moteur de recherche russe Yandex, qui est au moins aussi performant. Seule l’Europe peut relever ces défis. Mais une autre Europe, post Brexit. Une Europe fer de lance de la performance économique que la France doit pousser dans un dialogue qui doit être désormais clair avec l’Allemagne.

 

PdA : On peut penser ce que l’on veut des mouvements sociaux actuels, il y a sans doute matière à parler dans certains cas de prises de position outrancières de part... et d’autre. Ceci étant posé, ne sont-ils pas révélateurs d’un phénomène plus profond et sans doute assez répandu au sein de la société, à savoir : un questionnement quant au sens à donner à la vie collective et à la vie tout court ? Vos propositions, qui souvent sont en matière économique celle de la droite dite « libérale » (augmentation du temps hebdomadaire de travail, allongement de la durée des cotisations...), ne vendent pas précisément du rêve à des salariés pas toujours bien dans leur emploi et qui, de bonne foi, aspirent à autre chose que forcément toujours « travailler plus » sans pour autant « gagner plus », des salariés qui ne se sentent pas nécessairement responsables de la dérive des comptes publics. Qu’auriez-vous envie de dire à, par exemple, une personne proche de la gauche, de celles qui ne se sentent pas proches pour le coup du gouvernement actuel, de celles qui aimeraient encore rêver d’un monde « différent » ?

Quel message pour un électeur de gauche ?

F.S.-B. : Mes propositions ne sont pas marquées par une dimension idéologique. Elles sont le fruit de ma double expérience au service de l’État et, depuis près de dix ans maintenant, dans le secteur concurrentiel. Il y a un effort de rattrapage à conduire qui passe, vous avez raison de le résumer ainsi, par plus de travail. Comment pourrait-il en être autrement dans le monde dans lequel nous vivons. Mais la principale originalité du livre est, à mon sens, d’analyser avec un prisme politique la nouvelle économie. Pour la première fois de l’histoire industrielle, les systèmes coopératifs sont plus efficaces que les structures hiérarchisées et de masse. Le logiciel libre est plus performant que Microsoft. C’est une opportunité fantastique pour construire une société plus juste, plus sobre et tout autant innovante. Pour la gauche, qui s’épuise à vouloir composer avec le capitalisme, c’est une source de renouvellement idéologique considérable. La nouvelle ligne de partage droite-gauche est dans la place faite à l’économie du partage. Je fais en ce sens de nombreuses propositions. Mais il y a urgence, car la nouvelle économie a un double visage. Il y a aussi l’ubérisation. Sans prise de conscience rapide, sans action politique vigoureuse, c’est ce second visage porteur de précarité et de violence économique qui risque de s’imposer.

 

PdA : Question liée : quels arguments opposeriez-vous à ceux de nos compatriotes qui, aimant comme vous notre pays et son histoire, ressentiraient là aussi de bonne foi vivement ce qu’ils verraient comme une espèce de marche forcée et intangible vers une uniformisation généralisée, vers une globalisation porteuse de concurrence toujours plus féroce, de menaces pour les habitudes, les traditions et les identités ? Cette France qui lit Éric Zemmour ou Philippe de Villiers, cette France qui vote Front national... et qui ne le fait pas forcément toujours pour les raisons « contestables » qu’on pointe trop souvent.

Quel message pour un électeur du Front national ?

F.S.-B. : L’esprit patriotique fait cruellement défaut aujourd’hui. Je suis souvent révolté de voir à quel point nous sommes passés maître dans l’art de dénigrer notre pays, qui est pourtant exceptionnel par son histoire, ses qualités, ses atouts et sa générosité.

Là où je diffère totalement des personnes que vous avez mentionnées, c’est que, pour reprendre le mot du général de Gaulle, il n’y a pour moi que deux catégories de Français : ceux qui font leur devoir et ceux qui ne le font pas. Il y a aussi la question de l’esprit de conquête. Nous sommes tiraillés, de manière permanente, entre la tentation du repli et la volonté d’affronter le grand large. J’ai écrit sur ce sujet à travers un de mes livres qui fait le portrait croisé de Pétain et de Gaulle.

C’est en offrant un projet patriotique, libéré du poison des préjugés et conquérant que l’on apportera une réponse à la montée du Front national. Les Français n’ont aucune envie de faire un choix qui les rapetisse.

 

PdA : Vous connaissez très bien l’histoire de notre pays : est-ce que vous considérez, comparant ce qui est comparable, et au vu du contexte global des puissances et forces en place, que la France est dans une situation de déclin relatif plus difficile à enrayer et à rattraper que par le passé ?

Le déclin de la France est-il inexorable ?

F.S.-B. : Bien sûr, l’Occident a perdu sa prééminence et, à l’intérieur, la France est parmi les pays qui ont accumulé le plus de retard. Mais notre histoire le montre, nous avons toujours raté le démarrage des révolutions industrielles et nous avons toujours su « recoller ». D’où le titre du livre.

 

Là où il faut être très vigilant est que le temps s’accélère et que si nous retardons le rattrapage nécessaire et si nous ne nous imposons pas de prendre le virage de la nouvelle économie, nous porterons la terrible responsabilité d’avoir fait de notre pays une puissance de second rang et, peut-être plus grave encore, un pays banal.

 

PdA : La France a-t-elle encore, dans un monde aussi globalisé qu’est le nôtre, un message réellement original et particulier à porter, et si oui comment le définiriez-vous ?

La France, une voix particulière, toujours ?

F.S.-B. : Plus que jamais et notamment sur les valeurs de respect du droit et de dialogue des cultures la voix de la France est attendue. Souvenons-nous de la guerre en Irak : l’Allemagne, la Russie, la Chine se sont placées derrière Jacques Chirac face à l’aveuglement américain. Mais il ne peut pas y avoir durablement d’influence intellectuelle et politique sans puissance économique. D’où la nécessité de donner aujourd’hui la priorité à l’économie. Nous n’en sacrifierons pas nos idéaux mais nous nous donnerons, au contraire, les moyens de les rendre audibles au monde.

 

PdA : Vous avez déclaré à plusieurs reprises soutenir Alain Juppé dans la perspective de l’élection présidentielle de l’an prochain. Cette question-là, comme la suivante, je la pose sans malice ; votre parcours, la profondeur qui transparaît de votre ouvrage la légitiment largement : auriez-vous l’envie de servir votre pays de manière directe (à la tête d’un ministère par exemple...) si le président élu demain vous le demandait, s’il vous promettait que vous pourriez être utile au pays ?

Demain, au cœur de l’action ?

F.S.-B. : J’ai eu le privilège d’exercer très jeune des hautes fonctions - je crois que j’ai été un des plus jeunes secrétaires généraux de la présidence de la République. Cela permet de prendre de la distance par rapport aux attributs du pouvoir. Reste le service de son pays. Il peut prendre de multiples formes. Il y en a une à laquelle je pense depuis des années. Nous sommes aveugles aux ravages de la souffrance mentale, en terme de santé publique et sur ceux qui en sont victimes et leurs familles. En 2002, auprès du Président Chirac, j’ai beaucoup poussé au lancement du plan cancer. Je pense aujourd’hui qu’il faut le faire sur ce sujet essentiel. Pour ce type de mission, je serai évidemment toujours présent.

 

PdA : Vous êtes, vous le rappeliez à l’instant, de ces rares hommes qui connaissant parfaitement pour l’avoir touchée de très près, le Saint des saints, la présidence de la République : qu’avez-vous retenu de votre expérience en tant que secrétaire général de l’Élysée auprès de Jacques Chirac (2005-2007) ? Quel regard portez-vous sur cette charge, incroyablement lourde, sur ce qu’elle implique à titre personnel ? Est-ce que dans l’absolu vous pourriez vous y voir ?

L’Élysée, au poste numéro 1, vous vous y verriez ?

F.S.-B. : Je suis heureux que vous me donniez l’occasion de parler des responsables politiques que j’ai bien connus et dont je peux aujourd’hui comparer les conditions d’exercice avec les responsables du secteur privé. Les élus assument une tâche très difficile, ingrate, leurs efforts sont rarement payés de retour alors qu’ils y sacrifient, bien souvent, leur famille, leur vie. On ne cesse de parler des privilèges des responsables politiques, c’est franchement injuste. Il y a, comme partout des exceptions, mais nos responsables politiques sont le plus souvent d’un dévouement et d’un engagement qui les honorent comme ils honorent la Nation.

 

PdA : Un dernier mot ?

F.S.-B. : C’est celui du Maréchal Foch, il y a bientôt cent ans et qui est d’une incroyable actualité : mon centre cède, ma droite flanche, situation idéale, j’attaque !

 

Frédéric Salat-Baroux

Source de la photo : Sipa Press.

 

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12 juillet 2016

« L'Europe et les peuples », par Nathalie Griesbeck

Le vote par une majorité d’électeurs britanniques en faveur du retrait de leur État de l’Union européenne, le 23 juin dernier, vient accroître encore l’impression, déjà prégnante au regard de la poussée constante des mouvements anti-UE sur tout le continent, d’un divorce véritable entre les peuples de l’Europe et les institutions communautaires - les « élites » de manière générale. Le 25 juin, deux jours après le référendum, j’ai souhaité proposer à Mme Nathalie Griesbeck, eurodéputée centriste (depuis 2004), pro-européenne convaincue, de nous livrer pour Paroles d’Actu quelques sentiments et pistes de réflexion personnels autour de la thématique suivante : « L’appareil communautaire et les peuples d'Europe peuvent-ils encore être réconciliés ? ». Son texte, reçu ce jour, brosse un tableau assez critique de la manière dont l’Union européenne fonctionne aujourd’hui. Tout cela ne manquera pas d’alimenter les débats dont l’Europe ne pourra de toute façon plus se passer dans les années, voire les mois à venir... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

UE

Source de l’illustration : huffingtonpost.co.uk.

 

« L’Europe et les peuples »

par Nathalie Griesbeck, le 12 juillet 2016

Le récent référendum au Royaume-Uni a été un véritable électrochoc politique au sein de l’Union européenne. Pour la première fois depuis sa création, un pays a fait le choix de se séparer de l’Union. De cette déchirure, nous devons retenir qu’elle n’est pas un acte isolé. La plupart des consultations électorales de ces dernières années ont témoigné de la méfiance, voire de l’opposition de citoyens européens au processus d’intégration européenne. L’euroscepticisme dont il est ici question semble se répandre en Europe, en même temps que les partis populistes prolifèrent et prospèrent.

Du choc au temps de la réflexion

L’Union européenne n’est pas exempte de reproches. Mais la majorité des citoyens européens ne s’oppose pas à l’idée d’Europe : selon un sondage Eurobaromètre de mars 2016, 54% des Français se voient à la fois français et européens, proportion qui s’élève même à 59% des 18-24 ans !

Si la majorité des citoyens semble attachée à l’Europe, c’est donc que les Européens ne rejettent pas « l’idée » d’Europe, mais l’Europe qu’aujourd’hui on leur propose ou impose ; cette Europe économique, très peu politique et sans protection sociale ; cette Europe qui ne sait pas se faire comprendre, qui paraît lointaine, froide et peu à l’écoute des demandes citoyennes. Enfin cette Europe des États, où ceux-ci décident quasiment de tout sans jamais en assumer les conséquences impopulaires. Ces États qui rejettent en bloc la faute sur cet avatar réducteur nommé « Bruxelles ». Il devient donc urgent de nous plonger dans une réflexion profonde sur les raisons de cette méfiance envers l’Europe.

L’idée d’inclusion citoyenne doit plus que jamais nous servir de boussole. Elle doit être au cœur du nouveau projet européen que nous appelons de nos vœux. Il faut mettre les citoyens en position de pouvoir s’approprier plus aisément les nombreuses particularités de l'Union européenne.

Inclure davantage les citoyens dans le cours des décisions

Des outils et institutions sont spécifiquement dédiés aux citoyens européens : le Médiateur européen, qui examine les plaintes à l'encontre des institutions, organes et agences de l'UE ou encore l’initiative citoyenne européenne qui permet aux citoyens européens d’inviter la Commission européenne à présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l'Union européenne est habilitée à légiférer. Au regard de l’utilisation modeste de ces outils - dont il faudrait simplifier les conditions pour l’initiative citoyenne - la solution passe sans doute par un lien plus direct entre les citoyens et leurs élus.

C’est pourquoi nous demandons depuis des années, que ce soit par la voix de mon parti politique, le MoDem, ou de mon groupe parlementaire, l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE), que le président de la Commission européenne soit élu au suffrage universel direct. Un pas de plus en faveur de l’implication des citoyens avait été franchi en 2014 avec le processus de « Spitzenkandidat » : pour la première fois, les candidats têtes de liste des partis européens pour les élections législatives étaient en position de devenir Président de la Commission européenne. Mais cette nomination est dans les textes toujours du ressort des États-membres et M. Jean-Claude Juncker, bien que « Spitzenkandidat » du Parti Populaire européen (PPE, la droite européenne) doit sa nomination à la volonté des États-membres.

C’est une réforme indispensable pour aller vers une véritable responsabilisation démocratique de la politique européenne. En l’état actuel des choses, d’un côté les politiques européennes demeurent des compromis dont personne n’est responsable, de l’autre, les citoyens votent lors des élections européennes à travers le prisme des enjeux nationaux. Élire le président de la Commission sur un programme rend son parti et lui-même responsables d’une partie de la politique européenne. C’est-à-dire que lors des élections suivantes, les citoyens pourront voter pour plébisciter ou sanctionner un bilan, et non plus seulement pour se prononcer pour davantage ou moins d’intégration européenne.

Il faut, à mon sens, continuer dans cette voie et sanctuariser ce processus si l’on veut rendre l’Union européenne vraiment plus proche des citoyens.

Rendre plus accessibles les institutions

Le processus législatif européen est assez complexe puisque c’est la Commission européenne qui a l’initiative - et non le Parlement - et ce sont le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne qui décident ensemble, via un processus d’aller et retour du texte entre ces deux institutions. Si des oppositions demeurent au terme du processus entre le Parlement et le Conseil, des comités de conciliation sont formés. Appelés « trilogues », puisque la Commission européenne, le Parlement et le Conseil négocient, ils se déroulent en toute opacité. Cela rend irresponsables les preneurs de décisions et accroît - à juste titre - la méfiance citoyenne. Souhaitant davantage d’accessibilité à l’information, je suis en faveur de la publication des comptes-rendus de ces négociations.

Rendre plus accessibles les institutions ne nécessite pas nécessairement de grandes réformes, mais de petits changements relevant parfois du simple bon sens. Je pense ici à certaines terminologies technocratiques et ridicules. Je prendrai pour exemple le terme de « Conseil », qui désigne à la fois l’organe au sein duquel se réunissent les ministres de chaque gouvernement, le Conseil de l’Union européenne, les réunions des chefs d’États que sont les « Conseils européens » et enfin l’organisation internationale distincte de l’Union, le Conseil de l’Europe ! Cette appellation génère des confusions et suscite une incompréhension dont on se passerait bien envers ces institutions !

Reconstruire un projet européen autour d’une Europe sociale

La construction européenne s’est, depuis son origine, appuyée sur la réalisation d’un marché économique, en passant d’une zone de libre-échange à un marché commun, voire à une union économique et monétaire pour 19 États-membres. Cette remarquable réussite ne saurait cependant occulter le manque criant de protection sociale européenne. Demandée avec une certaine insistance par les citoyens de l’Union, cette Europe sociale concilierait croissance économique et amélioration des conditions de vie et de travail. Des instruments existent déjà dans ce domaine comme le Fonds social européen (FSE) ou le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEAM), mais ils sont trop faiblement dotés en ressources pour la mettre réellement en pratique. Surtout, l’Union pourrait affirmer une ambition plus forte dans ce domaine à condition qu’on lui accord cette compétence.

L’événement du Brexit a mis en lumière une incompréhension mutuelle des citoyens européens et de leurs institutions. Le fait est certain, et il est vital pour l’Union de se réformer. Inclusion des citoyens, accessibilité des institutions, Europe sociale constituent des solutions à cette crise. Bref, nous devons aller à contrecourant de certaines voix populistes : plutôt que de « rendre » aux États une souveraineté qu’ils n’ont jamais perdue, intégrons davantage l’Union et passons de l’Union européenne des États à l’Union européenne des citoyens !

 

Nathalie Griesbeck

 

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11 juillet 2016

Violaine Sanson-Tricard : « Véronique, ma merveilleuse petite soeur, fragile et forte... »

Dans une chanson de son album Longue Distance (2004), 5ème Étage, tendre évocation de son enfance parisienne, Véronique Sanson consacre à sa sœur aînée Violaine, ces quelques lignes : « Vio vio t’es la plus belle que j’aie aiméeMes malheurs tu les prends comme des trésorsPetite soeur je n’sais vraiment plus où allerJ’ai trop peur de t’emmener dans mes dangers ». Près de quarante ans plus tôt, les deux sœurs formaient, avec François Bernheim, l’éphémère trio musical des Roche Martin. Elles ne se sont jamais vraiment quittées, loin des yeux parfois - folle Amérique ! - mais jamais bien loin du cœur. Sur l’album Plusieurs Lunes, dernier opus studio en date (2010) de Sanson en attendant le prochain, prévu pour cet automne, Violaine Sanson-Tricard a signé un titre emblématique, Qu’on Me pardonne. On la voit encore apparaître à la fin du tout récent Live des Années américaines, sur scène. Y’a pas de doute... elle fait partie de la Team... (pardonnez-moi Véronique, de l’équipe).

Je vous engage vivement à l’écouter, à le regarder, ce film des Années américaines. Sans grand doute un de ses meilleurs enregistrements publics (voix et énergie de Sanson, instru et musicos au top et setlist de rêve). Après avoir visionné l’ensemble, vous comprendrez mieux pourquoi sa place est si particulière et privilégiée dans l’univers de la chanson française - et, singulièrement, dans le panthéon perso de votre serviteur. Un long article lui a déjà été consacré ici, l’entretien avec Yann Morvan réalisé à l’occasion de la sortie du beau livre qu’il a coécrit avec Laurent Calut, Les Années américaines. Quel dommage qu’on n’ait pu la faire cette interview Véronique, ma plus grosse frustration pour ce blog... Un jour peut-être. Je suis en tout cas ravi de pouvoir vous proposer, ce soir, les fruits de cet échange avec Violaine Sanson-Tricard, tendre évocation de sa « très grande petite sœur ». Votre parole est rare, merci à vous Violaine pour ce témoignage... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« Véronique, ma merveilleuse petite sœur,

fragile et forte... »

Interview de Violaine Sanson-Tricard

EXCLU PdA - 02-05/07/16

Véronique et Violaine Sanson

Photo fournie par Violaine Sanson-Tricard. Par Ken Otter (tous droits réservés).

Véronique, Violaine. En 1976, quelque part à la fin du printemps...

 

Les Années américaines : votre ressenti (tournée 2015-16, Live)

La tournée fut un incroyable succès. La thématique des “Années américaines” reprenait le moment où la musique de Véronique avait pris sa pleine ampleur. Enregistré aux États-Unis avec les plus grands musiciens de la pop musique de l’époque, l’album Le Maudit proposait un son étrange et nouveau, né de l’alchimie entre une voix inattendue, des paroles presque exclusivement en français sur une couleur de production totalement américaine. Cet album fut rapidement suivi de Vancouver, puis de Hollywood, et les trois albums sont devenus des albums cultes, chacun dans son genre.

Témoin d’une époque en phase totale avec l’air du temps, cette musique a attiré un public qui d’emblée, a dépassé le cercle des fans de Véronique.

L’extrême qualité du spectacle, l’énergie inouïe qui s’en dégageait a fait le reste. Il a fallu booker une semaine, puis une autre semaine supplémentaire à l’Olympia, les Zéniths de province étaient pleins, et la tournée, qui devait se terminer mi-Juillet, a dû être prolongée de 6 mois avec un Palais des Sports plein à craquer et debout dès la première partie, et une dernière performance le 9 Janvier à l’Olympia, date de la captation du Live.

Le Live est un magnifique rendu de ce spectacle : François Goetghebeur, le réalisateur, a compris - il est peut-être le premier à l’avoir compris à ce point - que Véronique était bien sûr une merveilleuse interprète et une sacrée bête de scène, mais aussi et surtout un auteur compositeur dont le spectacle est avant tout construit autour de la musique et des musiciens qui la jouent.

Son montage porte cela avec brio et maestria, et Véronique n’est que louanges pour François, dont elle dit : “Il est un des seuls à avoir tout compris de ma musique”.

 

DVD Les Années américaines

Le DVD+2CD des Années américaines sur le site officiel de Véronique Sanson.

 

“Ses” années américaines (1973-81) comme vous les avez vécues...

Cette époque a été pour Véronique une vie erratique entre star système, mal du pays, isolement et sentiment de culpabilité après sa rupture avec Michel Berger. Sous les paillettes, beaucoup de solitude et de souffrances. Un lien qui ne s’est jamais distendu entre Véronique et sa famille (et surtout avec notre mère, avec qui elle parlait tous les jours au téléphone malgré la distance et le décalage, et, à l’époque, le coût exorbitant des communications. C’était son luxe, disait-elle).

 

Regard sur sa place, son empreinte dans le paysage musical français

L’arrivée de Véronique dans le paysage musical français a fait l’effet d’une petite bombe. À l’époque, il y avait les anglo-saxons et les petits français qui en adaptaient les tubes, ou bien se cantonnaient dans le yéyé. Peu d’artistes avaient apporté une musicalité et une singularité comparable.

 

Quelques moments choisis... (vos 3 ou 5 chansons préférées d'elle)

On M’attend Là-bas, Bernard’s Song, Ma Révérence, Étrange Comédie, Full Tilt Frog.

 

Regard sur le lien qui l’unit au public

Le lien qui unit Véronique à son public est fusionnel. Écoutez ce qu’elle dit (en substance) au tout début du Live : “Avant de monter sur scène, je suis pétrifiée, je pense que je n’aurai jamais la force de mettre un pied devant l’autre. Puis j’entre sur la scène et là, pftttt !!! Tout s’éclaire.” Sa générosité sur scène est absolue, on sent qu’elle se donne à tous et à chacun.

 

Dans la vie comme sur la scène ?

Véronique est ma merveilleuse petite soeur, fragile et forte, éclairée autant qu’écrasée par un gigantesque talent dont elle doute sans cesse.

 

Les Années américaines

Les Années américaines, livre de Laurent Calut et Yann Morvan (Grasset, 2015).

 

Travailler avec elle...

Travailler avec Véronique, c’est comme de jouer avec un bébé chat. C’est ingérable et magique.

 

Quelques scoops sur l’album à venir ?

Le single, qui sort en septembre, est un texte déchirant sur notre mère, porté par une musique qu’on n’arrive pas à se sortir de la tête. On le fait parfois écouter en salle de réunion comme ils se doit dans le métier. Je n’ai jamais levé les yeux sur l’assistance sans voir une quasi totalité d’yeux rouges, quand ce ne sont pas quelques larmes qui coulent.

Et puis comme toujours, le reste de l’album (qui sort en novembre) est un mélange incroyablement éclectique de titres qui dénoncent les abus des forts et les puissants, la bêtise des habitudes, ou parlent tout simplement d’amour avec des mots chaque fois nouveaux.

 

Édit. du 10 septembre 2016 : le clip du premier single de lalbum Dignes, Dingues, Donc...,

le nom du morceau est Et je l’appelle encore, et la promesse est tenue...

 

Véronique par Violaine, en trois mots

Ma très grande petite sœur.

 

Un message à lui adresser à l’occasion de cet article ?

Bonjour, mon Futifu.

 

Un dernier mot ?

Merci d’avoir lu tout ça jusqu’au bout !

 

Les Roche Martin

Photo fournie par Violaine Sanson-Tricard. « Un soir à la Maroquinerie, il y a probablement quatre ou cinq ans, nous avons reconstitué, le temps de deux ou trois chansons, les Roche Martin, un groupe fondé avec François Bernheim lorsque Véronique avait 16 ans. La photo est bien postérieure aux années américaines, et le groupe était bien antérieur à ces années-là. »

 

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10 juillet 2016

Pupazzaro, l'homme qui a grimé Griezmann en général 19è : « Le foot, c'est de l'art... »

L’image fait le tour du web social et média français depuis quelques jours : un portrait de fort belle facture dAntoine Griezmann apprêté à la manière d’un officier supérieur du dix-neuvième siècle. Il faut dire que « Grizou » a, en quelques matchs décisifs de l’Euro, gagné sous le maillot bleu ses galons de héros national. De lui transparaissent, en plus d’un talent dont plus personne ne doute, des impressions de simplicité, dhumilité que pas grand chose ne remet en cause. Combien de « Griezmann président ! » déjà... De fait, défiance généralisée aidant, on se verrait assez volontiers lui remettre les clés de l’Élysée, par acclamation populaire. Votre serviteur a en tout cas la conviction qu’il sera propulsé directement dans le Top 3 des personnalités préférées des Français dans le sondage JDD de la fin de l’année. Et, à quelques heures de la grande finale contre le Portugal, on peut dire qu’à l’occasion de cet Euro qui se joue chez nous, l’Équipe de France de foot a pour longtemps regagné le cœur du public français - et peut-être contribué à lever un peu de la sinistrose ambiante.

J’ai souhaité, après l’avoir contacté, inviter l’artiste qui a réalisé cette oeuvre à répondre sous forme d’un texte inédit à plusieurs questions : qui est-il et comment en est-il venu à réaliser ces portraits ? quel regard porte-t-il sur Griezmann, son Euro ? quel message lui adresserait-il s’il en avait l’opportunité ? quel pronostic pour la finale de ce soir ? en quoi le football est-il, comme il l’affirme sur sa page Facebook, un « art » ? quels sont ses projets et rêves d’artiste ? Voici Fabrizio Birimbelli alias Pupazzaro. Quoi qu’il en dise, un vrai artiste, qui mérite d’être largement découvert et soutenuL’entretien, réalisé en anglais, date du 9 juillet. Je vous le propose ici, traduit par mes soins. Bonne lecture... et allez les Bleus ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Antoine Griezmann

Par Fabrizio Birimbelli alias Pupazzaro.

Lien/link : www.redbubble.com/people/pupazzaro/shop...

 

« Le foot, c’est aussi de l’art... »

Je m’appelle Fabrizio Birimbelli. Pupazzaro est le pseudo que j’utilisais sur DeviantArt.com (une plateforme massive d’art en ligne), je l’ai gardé depuis. Dans les temps anciens, à Rome, le pupazzaro était celui qui fabriquait des marionnettes (pupazzi).

Je ne travaille pas dans l’art et l’art n’est pas pour moi un « hobby ». C’est une vraie passion, je ne saurais même pas dire depuis quand elle est en moi. Je suis actuellement programmeur informatique (un autre job créatif, si vous voulez mon avis). Je me suis mis au dessin, à la peinture numérique il y a quelques années. Partant de la peinture physique ou du dessin à l’encre sur papier, le numérique ouvre des possibilités infinies... et c’est amorti bien plus rapidement !

À propos de ces tableaux de sportifs : j’ai d’abord commencé, sans trop réfléchir, à réaliser des portraits de joueurs de l’AS Roma (ma ville et mon équipe favorite !) en généraux du 19ème siècle. La Roma en a publié quelques uns sur son site, puis j’ai été contacté par Antonio Rüdiger, qui voulait son propre portrait, et m’a invité à Trigoria (le camp d’entraînement de l’AS Roma). Sur place, j’ai pu apporter le sien à une légende, Monsieur Francesco Totti...

Tout cela m’a apporté un peu de notoriété. J’ai été publié sur certains sites de sport, reçu en peu de temps des centaines d’abonnés nouveaux sur Twitter, Instagram et Facebook... Pas mal de gens m’ont incité à en faire davantage encore. Chacun voulait voir ses propres joueurs de ce point de vue disons épique. Et j’ai pensé que les grandes compétitions européennes pouvaient être une bonne source d’inspiration... J’ai commencé avec les capitaines (mon Lloris aussi est un tableau dont je suis fier), etc...

L’idée de faire de même avec Griezmann mest venue naturellement. Il est un bon joueur, qui a la classe mais sait être un combattant sur le terrain. Il a aussi une « bonne figure », des expressions inspirées et un regard rêveur... je savais que ça allait coller parfaitement à mon projet.

Avant le début de l’Euro, je pensais que cette année serait celle de Pogba, lui aussi une grande vedette... mais Griezmann a démontré qu’au-delà de la classe, il savait faire preuve de noblesse dans ses attitudes et, en même temps, de vraies qualités de leader : le mix parfait.

S’il lit cet article ? Peut-être aimerait-il avoir son propre portrait accroché au-dessus de sa cheminée (s’il en a une à Madrid) ? Appelle-moi, Tony ! ;-)

Je ne saurais dire comment cet Euro va se terminer. La France est puissante mais, de l’autre côté, il y a un gars appelé Cristiano Ronaldo... Tout peut arriver.

Tout peut arriver... parce que le football, c’est aussi de l’art. Imprévisible. Injuste. Le foot est le sport le plus apprécié sur la planète. Pas seulement pour le jeu en lui-même mais aussi pour ces « héros » qui le font. Pas de vrais héros, non, on sait qu’il sont des professionnels, on sait qu’ils vous quitteront la saison suivante pour une nouvelle équipe, mais en ce que, durant 90 minutes, ils te représentent, toi et ta ville, tu cries, chantes pour essayer de les aider à mettre ce ballon dans le filet. Si ça, ce n’est pas « épique » ?

Si vous regardez des gens comme Maradona, Falcao, Sócrates, permettez-moi d’y ajouter Totti... Ce n’est pas uniquement un jeu ou du sport. Pas simplement de la technique. Des pieds, pas des coups de pinceau... mais le résultat est dune beauté pure. ;-)

Pour ce qui me concerne, moi, je ne me considère pas comme un artiste. La suite, je ne sais pas de quoi elle sera faite. Continuer à dessiner, c’est ce que j’aime... Que ça devienne un métier ? Un rêve...

Merci à vous de partager ce que je fais !

Fabrizio Birimbelli, le 9 juillet 2016

 

My name is Fabrizio Birimbelli. Pupazzaro was a surname I used on DeviantArt.com (art-related forum) and so remained. In the past days in Rome, pupazzaro was someone making puppets (pupazzi).

Art is not my job, neither a hobby, it’s a great passion that I’ve followed since I can remember. Now I work as a computer programmer (another creative job in my opinion) and since a few years I have started painting and drawing in digital. Coming from the real paint or drawing ink paper, the digital media gives you endless possibilities and is damped quicker !

About this sportsmen portraits : I have started without thinking too much making some portraits in this 1800-generals style of AS Roma players (my city and my favourite team). Roma published some of them on their site, then I was contacted by Antonio Rüdiger who wanted his portrait and invited me in Trigoria (the training camp of Roma). There I was able to bring the portrait to a legend named Francesco Totti.

This gave me some popularity. I was published on sports sites, got tons of followers on TwitterInstagram and Facebook and many people asked me to do more. Everyone wanted to see their own players from this epic point of view. And I thought the European Championship could be a good source of inspiration. I started with captains (my Lloris too is one portrait I am proud of) and so on.

The idea of Griezmann came naturally. I think he is a good player, with class, but a fighter inside the pitch. He also has the « right face », inspired expression and dreaming look that I think works well with my stuff.

Before this Euro champ., I thought this could be the year of Pogba (I think that he is also a great star), but Griezmann showed more than class : a great attitude and leadership, the perfect mix.

If he reads this article maybe he would like to have his own portrait hung on his fireplace (if he has one in Madrid). Well... « contact me Tony ! »

I don’t know how it will end. France is strong but on the other side there’s a guy called Cristiano Ronaldo and anything can happen... cos football is art.

Unpredictable, unfair. Football is the most loved game on earth. And not only for the game itself but for the « heroes » that are part of it. I mean they are not really heroes, you know that they are professionals, you know that they will leave you next summer for another team, but during those 90 minutes they represent you and your city, you scream and sing trying to help put that ball in the net. Epic, isn’t it ?

And if you look at people like MaradonaFalcaoSócrates, and let me add my Totti, you could say that’s not a simple game or sport. It’s not mere techique, it is art. Feet and not brushes, but the result is pure beauty ;-)

I don’t consider myself an artist, so I don’t really know what it will come. Keep drawing is just great, doing as a real job... that’s a dream.

Thanks a lot for sharing my stuff.

Fabrizio Birimbelli, July 9, 2016

 

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5 juillet 2016

« À l'heure des défis : l'OTAN et le sommet de Varsovie », par Guillaume Lasconjarias

À quoi sert encore l’OTAN, plus d’un quart de siècle après l’effondrement de cet ennemi a priori (et donc a posteriori) mortel qui lui donnait sa raison d’être, à savoir le « bloc de l’Est » ? Quelles missions l’Alliance atlantique a-t-elle vocation à assumer dans une Europe et un monde en proie à des défis nouveaux ou en tout cas, à des menaces en pleine mutation ? Les délégations nationales qui se réuniront à Varsovie - quel symbole ! - pour le sommet de l’OTAN à la fin de la semaine devront plancher sur ces épineuses questions, redonner un souffle et un cap à cette organisation qui se cherche une stratégie cohérente à l’Est, une organisation à peu près muette en tant que telle sur la Syrie et peu ou en tout cas pas audible autant qu’elle le pourrait sur la question désormais imposante du terrorisme international. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN et habitué fidèle de Paroles d’Actu (à lire ou relire : notre interview doctobre 2015, réalisée deux semaines avant les attentats de Paris), a accepté de nous livrer quelques clés pour comprendre et analyser les enjeux de ce sommet. Je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

OTAN

Au siège de l’OTAN. Source de la photo : usdefensewatch.com.

 

« À lheure des défis : lOTAN et le sommet de Varsovie »

Dans quelques jours, du 7 au 9 juillet, chefs d’État et de gouvernement se retrouveront à Varsovie pour un sommet de l’Alliance atlantique qui devra orienter les principales décisions de 28 alliés dans un environnement toujours plus complexe, plus volatile et pour tout dire, plus dangereux. Alors que la Russie s’affirme comme un acteur toujours plus agressif, que l’État islamique malgré ses reculs n’a rien perdu de ses capacités d’attraction et poursuit ses engagements à mener des attaques terroristes sur le sol occidental, que les nations européennes sont fragilisées par des cohortes de migrants fuyant guerres, conflits et situations économiques désespérées et qui forcent les responsables politiques à reconsidérer le pacte social, comment une alliance pensée pour défendre des valeurs libérales et démocratiques au temps de la Guerre froide peut-elle se régénérer pour demeurer crédible ?

Qu’attendre d’un sommet de l’OTAN et plus spécifiquement, de celui qui vient ? Doit-on souhaiter de nouvelles annonces qui, à l’instar de celles avancées au sommet de Newport (Pays de Galles, en septembre 2014) chercheront à rassurer les alliés en montrant la capacité de l’Alliance à s’adapter au nouveau désordre mondial ? Cherche-t-on au contraire à marquer une pause pour analyser ce qui a été fait et qui devra être accompli ?

Dans l’histoire de l’Alliance, les sommets ont un rôle très particuliers en cela qu’ils servent de point d’orgue et de cap aux nations comme aux éléments qui composent la structure permanente de l’Alliance, son secrétariat international et sa chaîne hiérarchique. Depuis la fin de l’Union soviétique, les sommets se succèdent à intervalles réguliers, soit tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Lors de ces rencontres sont mises en avant les grandes décisions qui justifient l’existence de l’Alliance, soit en ouvrant la porte à de nouveaux membres, soit en décidant de poursuivre ou d’étendre des opérations, soit en proposant de nouvelles initiatives destinées à améliorer le fonctionnement interne de l’ensemble. Dans tous les cas, il s’agit de montrer la pertinence de l’OTAN, tout en lui redonnant un « coup de fouet ». En effet, ces moments où le politique s’interroge et s’intéresse à l’alliance est aussi un moyen de forcer la structure à ne pas se contenter d’une routine ou d’une administration qui s’auto-animerait, pour lui redonner son allant et sa motivation.

« Le "retour" de la Russie avec Poutine

a ravivé la flamme otanienne »

Mais qu’attendre de Varsovie ? Depuis deux ans, le travail accompli a été très important. L’alliance, qui au début 2014, semblait être en retrait et cherchait un moyen de ranimer la flamme parmi ses membres a sans nul doute bénéficié du retour de la Russie de Poutine, dont les actions en Crimée puis dans l’est de l’Ukraine ont balayé le rêve d’une Europe libérée de tout conflit. Confrontée à la montée en puissance de Daesh, à une crise syrienne dont nul ne sait l’issue, à la tragédie de l’immigration massive et à la déstabilisation d’États dans sa périphérie, l’OTAN a entamé un travail de réflexion sur ses points forts : répondant aux préoccupations de ses alliés du flanc Est, c’est d’abord à une remontée en puissance qu’elle s’est attelée, ravivant ses capacités militaires et invitant tous ses membres à non plus se plaindre de la dangerosité de l’environnement mais bien à se prendre par la main et à dépenser plus et mieux pour redevenir un acteur politique et militaire crédible. La promesse - bien qu’elle ne soit pas contraignante - d’amener les budgets de défense à 2% du PIB des nations marque en cela un premier tournant.

Le second temps a été de se repositionner face à la Russie. S’il est possible de soupçonner une certaine facilité quant à se redonner un adversaire qui flaire bon le temps passé, les alliés se gardent bien de toute similitude avec la guerre froide. À raison : Poutine n’est pas Staline, la Russie d’aujourd’hui n’a rien de comparable avec l’URSS, et malgré les rodomontades du maître du Kremlin, la puissance russe se débat avec une économie fortement affaiblie, dans un environnement géopolitique où les compétiteurs sont de plus en plus nombreux. Il n’empêche que l’affaire ukrainienne a rappelé que la surprise et la déstabilisation d’un État situé à trois heures d’avion de Bruxelles était une possibilité et que la Russie avait fait quelques progrès en matière de guerre sous le seuil, employant des tactiques hybrides et annulant toute possibilité de réaction de la part du pays visé, comme de ses voisins.

L’OTAN a donc redécouvert une forme de conflit à laquelle elle n’avait plus songé, ses interventions dans les Balkans, puis en Afghanistan l’ayant surtout amenée à réfléchir aux problèmes de reconstruction d’États faillis, occultant parfois l’idée de guerre, quitte à la subir. Ainsi, en Afghanistan pendant douze ans, la notion de campagne de contre-insurrection s’est-elle imposée, forçant les nations contributrices à penser comment des armées doivent parfois se charger de tout pour gagner la paix. La Libye, par certains aspects, a été un cas hors norme, sans engagement au sol et la possibilité de changer le régime du dictateur Kadhafi par une rébellion victorieuse.

« L’OTAN brille par son absence sur la question syrienne »

Toutefois, cette dernière décade a porté en elle les problèmes qui grèvent aujourd’hui l’alliance. La longueur du conflit afghan et l’absence de résultats concrets ont éloigné les opinions publiques et convaincu certains hommes politiques à retirer leurs forces, affaiblissant encore plus l’esprit de la mission. L’action en Libye, quoique réussie d’un point de vue militaire, a donné naissance à deux gouvernements proclamant leurs droits tandis que dans les creux et vides naissait et prospérait l’État islamique. L’alliance s’est trouvée remarquablement silencieuse quant au drame syrien, et si une part non négligeable de ses alliés prend part aux actions contre Daesh au-dessus de la Syrie et de l’Irak, ce n’est pas l’établi qui est à la manoeuvre. Enfin, au regard de la situation dans l’est de l’Europe, une véritable fracture s’est instaurée entre ceux qui voient dans la Russie le nouvel ennemi quand d’autres jugent plus préoccupants les questions migratoires ou le terrorisme.

En réalité, ce qui est en jeu à Varsovie, c’est moins la question des priorités de l’Alliance que sa capacité à créer de la cohésion entre ses membres. L’idée de développer une Alliance capable de penser son environnement à 360 degrés et donc, de se saisir - et potentiellement de traiter - des problèmes survenant à l’est ou au sud sont les conditions de sa pérennité et de sa crédibilité. La mise au point de « directions stratégiques » concourt naturellement à cela, mais il faut poursuivre ses efforts en évitant de séparer les fronts ou de spécialiser les nations. Il est bon de rappeler quels sont les fondamentaux sur lesquels repose cette alliance et notamment le principe de défense collective contenu dans l’article 5 du traité de Washington (1949). Sans doute, au cours des vingt dernières années, a-t-on offert aux autres missions élaborées dans le concept stratégique de 1999 (sécurité coopérative et gestion de crise) une caisse de résonance qu’il convient de ne pas oublier, mais peut-être de considérer comme moins fondamentale à la survie de l’OTAN. Peut-être, comme le suggèrent quelques auteurs, est-il temps de redéfinir ce concept stratégique ou de lui assurer d’autres responsabilités, comme le développement de la résilience au sein des populations de l’Alliance.

« Il est peu probable que le sommet de Varsovie

soit des plus ambitieux pour l’OTAN »

Varsovie, pourtant, risque fort de n’être qu’un rapport d’étape peu ambitieux malgré des déclarations ci et là. L’attente des élections américaines puis, en 2017, de la présidentielle française et de la remise en jeu du mandat de la chancelière allemande plaident pour ne pas prendre de décisions hâtives. La tragi-comédie du « Brexit » et les tensions que traverse l’Union européenne ne font pas non plus le jeu de l’Alliance qui a besoin de partenariats solides pour maintenir une pression sur la Russie. Peut-être ne faut-il pas espérer de grandes mesures ou des décisions marquantes : si les chefs politiques poursuivent et renforcent ce qui a été fait il y a presque deux ans à Newport, ce sera déjà un beau résultat car l’adaptation et la crédibilité de l’OTAN passent plus par une suite de petits pas auxquels chacun contribue qu’à des grandes annonces peu suivies d’effets.

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juillet 2016

 

Guillaume Lasconjarias

 

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4 juillet 2016

« J'aurais tant aimé qu'il fût Président », Michel Rocard vu par Jean Besson

La disparition de l’ex-Premier ministre Michel Rocard (il officia à ce poste sous la présidence de François Mitterrand, entre 1988 et 1991), figure de la gauche dite « réformiste » en France et, jusqu’à la fin, infatigable militant pétri de convictions fortes, a suscité de nombreux hommages, y compris de la part de ses adversaires qui ont, a minima, reconnu de vraies qualités à l’homme. Le 3 juillet, j’ai proposé à M. Jean Besson, ex-sénateur socialiste de la Drôme (1989-2014) qui avait répondu à une longue interview pour Paroles d’Actu en 2012, d’écrire quelques lignes pour évoquer Rocard. Son texte m’est parvenu le lendemain, peu avant midi. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Photo Jean Besson M

« Ma photo : avec Rodolphe Pesce, lui aussi rocardo-mauroyiste, au milieu des années 80, accueillant Rocard

qui avait démissionné du Gouvernement Fabius et préparait sa candidature à la Présidentielle de 1988. »

 

« J’aurais tant aimé qu’il fût Président »

L’annonce de la mort de Michel Rocard me laisse un sentiment de très grande tristesse et le regret d’un destin inachevé.

Cet homme d’État restera comme une figure de la politique française, inventeur de la « deuxième gauche ». Il a été le premier à gauche à introduire la notion de rigueur financière. Un homme du siècle dernier mais tellement tourné vers l’avenir, qu’aujourd’hui encore ses idées sont non seulement d’actualité mais pourraient inspirer bon nombre de nos hommes politiques. Cette « gauche moderne », résolument réformiste, il l’aura conduite pendant trop peu de temps à Matignon entre 1988 et 1991. Mais assez de temps pour ramener la paix en Nouvelle-Calédonie et mettre en place le RMI et la CSG, pour ne citer que ses plus grandes réformes.

Je n’étais pas ce que l’on appelait un « rocardien » mais mes engagements à la CFDT m’ont naturellement conduit à être très proche de Michel Rocard. C’est un peu de la préhistoire politique et ceux qui n’appartiennent pas à ma génération ne comprendront pas trop de quoi nous parlons, mais disons que j’ai appartenu à ce qu’on a appelé à l’époque les courants rocardo-mauroyiste puis jospino-rocardien. Une anecdote : j’ai toujours eu parmi mes plus proches collaborateurs des rocardiens ! Comme militant socialiste et comme parlementaire je l’ai soutenu et j’aurais tant aimé qu’il fût président de la République.

L’amateur de voile qu’il était a aujourd’hui pris le large, il va manquer à la politique française et au débat d’idées.

par Jean Besson, sénateur honoraire

1 juillet 2016

Julien Holtz : « Il faut se fixer des challenges réalistes, c'est ainsi qu'on progresse... »

Les Jeux olympiques d’été 2016, qui se tiendront à Rio (Brésil), s’ouvriront dans un peu plus d’un mois. Une bonne occasion de se replonger dans la petite et grande histoire de l’Olympisme: ça tombe bien, c’est précisément ce que propose l’ouvrage 100 Histoires de légende des Jeux olympiques, paru chez Gründ il y a quelques semaines. Un beau livre écrit à quatre mains, par un père - le célèbre journaliste sportif Gérard Holtz, qui commentera à partir de demain son dernier Tour de France sur France Télévisions - et son fils - Julien Holtz, jusqu’ici largement méconnu. J’écris « jusqu’ici » parce que j’ai le sentiment qu’après publication de cette interview, ça risque de bouger un peu.

Un long et agréable échange dont je vous remercie, Julien. Le présent article, que je me suis efforcé de ponctuer d’une multitude de liens et visuels pour compléter l’expérience, est une plongée passionnante dans l’univers des JO et du sport de haut niveau en général. Expression d’une passion incontestable, d’une culture solide et de sentiments perso souvent touchants, parfois dérangeants, inspirants dans bien des cas... l’émergence d’un futur journaliste sportif populaire ? La suite le dira... Bonne lecture ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

PS : un grand merci, également, à Caroline Destais, sans qui rien cet article naurait pu être réalisé, ainsi qu’à Gérard Holtz, pour ses contributions précieuses (en P.II)

 

Exclusif - Paroles d’Actu

« Il faut se fixer des challenges réalistes,

c’est ainsi qu’on progresse... »

Interview de Julien Holtz

27-29/06/16

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100 Histoires de légende des Jeux olympiques (Gründ, 2016)

 

Partie I : l’interview de Julien Holtz

 

Paroles dActu : Julien Holtz bonjour, merci de m’accorder cet entretien pour Paroles d’Actu à l’occasion de la sortie de l’ouvrage 100 Histoires de légende des Jeux olympiques, que vous avez coécrit avec votre père. On ne présente plus Gérard Holtz, votre père, mais vous, parlez-nous de vous ? de votre parcours ?

 

Julien Holtz : Bonjour ! Gérard n’a plus beaucoup de secret car tout ce qu’il fait est destiné au partage. La télévision, le théâtre, la réalisation, l’écriture. Et c’est vrai que les «  fils de » ont à se faire une place, dans l’ombre de leurs parents. J’avais choisi de faire mon propre chemin : prépa HEC, école de commerce (l’ESC Lille) puis une carrière qui de fil en aiguille m’a mené vers le web et le conseil en expérience utilisateur. Je ne voulais pas devoir mes réalisations et mon épanouissement d’adulte à mes parents. Je ne voulais pas qu’au jour de leur décès, je n’aie rien fait de constructif, et que je sois comme un oiseau tombé du nid avant d’avoir appris à voler… Alors je l’ai fait, j’ai déployé mes ailes. Puis au bout de dix ans de carrière, j’avais des doutes, envie de changer d’air. Gérard m’a écouté, il a eu une opportunité, une occasion en or qu’il a voulu partager avec moi et je l’ai saisie !

 

PdA : Ce florilège de grands moments et noms des JO, publié chez Gründ à quelques semaines de l’ouverture de ceux de Rio, vient à la suite d’une série de livres que vous avez ensemble consacrés, toujours chez le même éditeur, au Tour de France (2013), au sport français (2014) et au rugby (2015). Je ne vais pas vous demander comment vous est venue l’idée de ce dernier opus... mais plutôt comment est née celle de ces ouvrages réalisés avec votre père, et quelques éléments des coulisses de leur élaboration : qui fait quoi/quand/comment ? Est-ce que celui-ci avait une saveur, des traits particuliers par rapport aux autres ?

 

J.H. : Je vous parlais d’une opportunité. C’est tout simplement notre éditeur, Gründ, qui a contacté Gérard fin 2012 alors que la 100ème édition du Tour de France approchait. Gérard m’avait alors parlé d’un livre de photos du Tour à légender. Sans même y réfléchir, même si je n’avais jamais encore confronté ma plume au marché, j’ai dit « oui » ! Nous avons rencontré notre éditeur et découvert qu’il s’agissait en fait d’histoires à choisir et à raconter avec nos mots. D’un album de portraits, d’exploits et de scandales à butiner et picorer.

 

Sur ce premier livre, nous avons un peu tâtonné d’un point de vue méthodologique. Mais il s’avère que la méthode était la bonne et nous avons reproduit la recette sur les trois livres suivants ! Nous sommes « associés » à 50/50 tant sur la recherche d’idées, la liste des histoires, le choix des thèmes, la répartition des textes, le choix des photos, la promo. Un duo équilibré et complémentaire ! Gérard plutôt sur l’histoire et les petits secrets. Moi plutôt sur les scandales, les tragédies, les grands exploits et les images fortes. Gérard source son écriture dans les livres et moi je farfouille sur internet. YouTube est mon ami  !

 

PdA : Dans cet ouvrage riche et agréablement illustré, on retrouve, comme promis, tous les marqueurs qui ont fait l’histoire des Jeux olympiques au 20ème siècle : exploits incroyables et injustices terribles, portraits d’hommes et de femmes d’exception et incursions, souvent, de la grande Histoire dans celle de l’Olympisme. Quelles sont, parmi toutes ces histoires, que vous les ayez « vécues en direct » ou apprises après coup, celles qui, à titre personnel, vous ont le plus marqué et pourquoi ?

 

J.H. : Il y a l’image de Derek Redmond à Barcelone en 1992, foudroyé par un claquage en pleine course du 400m, qui veut passer la ligne quoiqu’il lui en coûte. Son père passe les cordons de bénévoles et saute sur la piste pour le soutenir !

Derek Redmond

Src. de la photo : www.athslife.com. Vidéo : cliquez sur la photo.

Il y a Elizabeth Robinson, championne olympique du 100m en 1928, promise au doublé à Los Angeles en 1932 et qui entre-temps frôle la mort dans un accident d’avion avec son cousin… Prise pour morte, elle avait même été envoyée au croque-mort  ! Figurez-vous qu’en 1936 elle glanera une nouvelle médaille, malgré une jambe raidie, avec le relais 4x100m !

Il a les japonais Nishida et Oe qui en 1936 refusent de se départager sur le podium du saut la perche. De retour au pays, ils couperont leurs médailles d’argent et de bronze pour en ressouder deux, mi-argent mi-bronze !

Il y a Károly Takács, le Hongrois qui mettait dans le mille au tir. Il devra franchir bien des obstacles pour parvenir au titre olympique. Jeune soldat, il n’avait d’abord pas le grade suffisant pour participer aux Jeux. Plus tard, une fois la condition remplie, il s’était blessé à la guerre et avait du apprendre à tirer de l’autre main ! Cela ne l’a pas empêché d’être double champion olympique !

Il y a les immenses exploits, comme Carl Lewis qui égale Jesse Owens aux Jeux de Los Angeles avec quatre titres lors d’une même olympiade. Les stakhanovistes comme Emil Zátopek ou plus récemment Steven Redgrave en aviron.

Dans le sport comme dans la vie, on n’a rien sans travail. Le plaisir est fade, la fierté est inexistante s’il n’y a pas eu de la souffrance pour y parvenir !

 

PdA : Combien d’athlètes présents sur ces pages ou lors de ces manifestations avez-vous pu rencontrer jusqu’à présent ? Que retenez-vous de ces rencontres et comment percevez-vous ces personnalités ? Les classeriez-vous « un peu à part » du commun des mortels ?

 

J.H. : À vrai dire, j’en ai rencontré assez peu. Les grands événements sportifs n’étaient pas mon quotidien, c’étaient mes récréations exceptionnelles. Il me faut reconnaître que j’ai eu une enfance particulièrement privilégiée de ce point de vue-là !

J’ai croisé récemment Marie-Jo Pérec dans un Monoprix du 17ème arrondissement de Paris. Une femme douce, gentille. Une timidité qui cachait certainement une rage de vaincre à toute épreuve. Marie-Jo c’était notre gazelle face aux félines sprinteuses.

À l’intronisation de Renaud Lavillenie à Grévin, j’ai pu échanger quelques mots avec lui et rencontrer aussi la fille de Colette Besson. Renaud est assez fidèle au portait que nous avons fait de lui : on sent sous ce masque de cire une impétuosité et un caractère de feu ! Un vrai voltigeur.

Renaud Lavillenie

Renaud Lavillenie aux J.O. de Londres en 2012. Src. de la photo : http://www.lejdd.fr.

Lors d’un spectacle de Michael Gregorio au Bataclan, j’étais assis derrière Teddy Riner, inutile de vous dire que je n’ai pas vu grand-chose du spectacle tellement le colosse est immense !

Enfin je connais intimement Thierry Rey et il est dans la vie comme il l’était sur les tatamis : un bosseur, un fonceur. Un gars authentique, fidèle et loyal.

 

« Tous ces champions ont eu en eux ce feu sacré

qui les poussait à ne jamais renoncer »

 

J’ai la conviction qu’on ne peut être un champion sans avoir une envie au-dessus de la moyenne. Vouloir réussir, c’est accepter l’idée de sacrifice. Que ce soit en sport comme en business ou dans n’importe quel art. Tous ces champions dont nous racontons l’histoire ont eu en eux ce feu sacré qui les poussait à ne jamais renoncer, ou en tout cas à renoncer plus tard que les autres !

 

PdA : Quels sont les sentiments qui vous habitent lorsque vous vous trouvez, devant votre poste de télé ou dans un stade, face à un exploit authentique ? De l’admiration certainement mais est-ce qu’il n’y a pas aussi, quelque part, une espèce, sinon de jalousie, en tout cas d’envie de se retrouver, à ce moment-là, dans la peau de l’athlète, à sa place ? Avez-vous jamais caressé cette envie, ne serait-ce qu’un temps, d’embrasser vous-même un parcours sérieux de sportif de haut niveau ?

 

J.H. : Je conseille à tout le monde d’avoir des rêves et des projets. De tracer un chemin pour s’approcher au plus près de ce qui vous guide. Je n’ai jamais éprouvé de la jalousie. C’est un sentiment négatif. A contrario l’envie est un élément moteur. Quand je suis dans mon canapé comme téléspectateur, je vis par procuration des émotions intenses. J’adore les retournements de situation, quand le petit dépasse le grand, quand le fort faiblit et que sa carapace se fendille.

 

Être un champion, un sportif de haut niveau ne m’a jamais fait envie. L’écart est bien trop grand pour qu’il fasse envie. C’est comme si je vous demandais, rêveriez-vous d’habiter l’Élysée ou le château de Versailles ? C’est tout simplement irréaliste. En revanche, monter un col mythique du Tour de France, gravir le Mont Blanc, courir un marathon, participer à une course de karting ou de vélo de 24h, ce sont des choses réalistes qui permettent de réaliser des exploits à sa portée. J’ai fait tout ça et à chaque fois, j’ai été fier de moi de le faire, d’y arriver et de progresser.

 

PdA : La question du dopage est omniprésente quand on parle de sport de haut niveau depuis des années et même... bien plus que ça. Est-ce qu’il n’y a pas aussi, là-dessus, une hypocrisie de la part du (télé)spectateur qui demande toujours plus de performances à l’athlète, quel que soit le sport concerné (et je pense évidemment en premier lieu au cyclisme) ? Le doping dans le sport n’est-il pas devenu inévitable au vu des masses financières impliquées ?

 

J.H. : Le téléspectateur n’a rien à voir dans le problème du dopage. C’est dans la nature humaine de chercher le petit truc qui va lui simplifier la tâche et lui donner les 5% ou 10% de performance en plus pour aller chercher la victoire. Astérix, un personnage de BD, en est le meilleur exemple ! Qui n’a pas fait une cure de vitamines avant de passer le bac ? Quel chanteur ne s’est pas saoulé avant un concert (pour ne pas dire pire) ?

Le problème en réalité c’est la suspicion entre les sportifs : Tiens, il marche à quoi lui ? Ben, je veux la même chose ou je veux mieux ! L’engrenage est rapide, au début on prend des petites médications pour récupérer, puis on arrive in fine aux transfusions sanguines, à l’Aicar, etc…

En cyclisme par exemple, il y a une énorme pression sur les coureurs. Leur carrière est tellement précaire et les sponsors veulent un retour sur investissement (qu’on cite le maillot). La tentation est grande de « passer du côté obscur de la force ». C’est presque culturel. Et plus on s’enfonce moins on a de scrupules. L’histoire de Lance Armstrong est le summum.

Le rugby a pris la même direction. Dans les années 80, c’étaient encore des gabarits comme vous et moi. Puis avec le professionnalisme, la multiplication des matches, les nouveaux gabarits de l’hémisphère sud aussi et ce nouveau style de jeu où on n’évite plus le défenseur et l’on cherche  l’impact… Il fallait se muscler, lever de la fonte. Tout cela nous donne des éléments pour comprendre la plongée vers le dopage.

 

PdA : Muhammad Ali, figure de légende par excellence, sur le ring comme à la ville, nous a quittés au début du mois de juin. Que vous inspire le personnage ? Qu’est-ce que vous auriez envie d’écrire sur lui si on vous ouvrait un espace pour le faire ?

 

J.H. : Il y a eu un magnifique film sur lui avec comme acteur principal Will Smith. Son caractère et son aura sont très inspirants. Maintenant écrire sur lui, il y a matière c’est sûr mais la question est « y-a-t-il un public pour ce sujet en France ? »

 

PdA : Lionel Messi, un des meilleurs footballeurs du monde, vient tout juste d’annoncer sa retraite internationale. Est-ce que vous l’intégreriez dans la catégorie des « légendes » du sport ? Question liée : comment définir ce concept de « légende » ?

 

J.H. : Messi est une légende, ne serait-ce que par son palmarès collectif et inviduel. Son histoire comporte tous les ingrédients pour en faire une de nos histoires de légende. Son enfance, sa petite taille, le Barça qui le recueille et l’aide à grandir tant physiquement qu’humainement. Son jeu, sa vista, ses records… Typiquement le genre de logique qui colle au concept des 100 Histoires de Légende !

 

Lionel Messi

Lionel Messi aux couleurs du F.C. Barcelone. Src. de la photo : CNN.com.

 

PdA : Justement... On vit aujourd’hui à l’époque de l’instantané, du trop-plein médiatique ; peut-être vit-on les événements avec moins de recul, peut-être néglige-t-on les vertus de la rareté et du silence. Les coulisses sont de plus en plus accessibles, on connaît davantage la vie des athlètes, eux-mêmes s’expriment sur Twitter, etc. Est-ce que, dans ce contexte, l’émergence de « légendes » est encore possible ? Les grands exploits sportifs font-ils rêver autant qu’avant ? Avez-vous à l’esprit des noms de sportifs ayant émergé dans les toutes dernières années et qui à votre avis porteraient bien (ou seraient susceptibles de bien porter) le qualificatif de « légende » ? Usain Bolt peut-être ?

 

J.H. : Usain Bolt est un champion hors normes. Laissons de côté les soupçons de dopage en Jamaïque, si un jour il devait tomber, il deviendrait un paria comme Lance Armstrong

Quelques journalistes triés sur le volet ont ces dernières années pu suivre le sprinteur à l’entraînement. C’est un sportif très bien entouré et qui sait se faire mal. Il a fait de sa taille (un handicap potentiel) un atout car il a travaillé sa puissance et sa fréquence de foulée.

 

« C’est souvent a posteriori qu’on dit d’untel

qu’il a été une légende »

 

Il faut être vigilant avec le qualificatif de « légende » car il y a une notion d’absolu. Or, un sportif en activité n’est jamais dans l’absolu, il se compare tous les jours aux autres. C’est souvent a posteriori qu’on dit d’untel qu’il a été une légende.

On peut dire de Bubka qu’il a été une légende du saut à la perche. Inversement, on ne peut pas encore le dire de Lavillenie car sa domination n’est pas absolue. Il lui arrive de faire « chou blanc » lors de quelques grands rendez-vous. On peut dire de Federer qu’il a été une légende du tennis tout comme Djokovic. Leur domination a été ou est absolue. Ils collectionnent les Grand Chelem.

En sports auto : Schumacher a été une légende, Loeb aussi. Alain Prost et Senna, des pilotes de légende mais pas des palmarès ahurissants. À mon sens la nuance est fine, c’est cette histoire de domination absolue.

 

PdA : « Votre » top 3 ou 5 des sportifs, passé/présent, toutes catégories et toutes disciplines confondues, que vous placeriez au-dessus de tous les autres, au top de votre palmarès personnel ?

 

J.H. : Mon Top 5  :

Michael Jordan
Carl Lewis
Michael Phelps
Lance Armstrong
Hicham El Guerrouj

 

PdA : Armstrong, malgré tout ?

 

Lance Armstrong

Src. de la photo : www.sportsinside.fr.

« J’ai malgré tout de l’admiration pour Armstrong »

J.H. : Ça peut vous étonner mais j’ai une certaine « admiration » pour Lance Armstrong. Malgré tout ce qu’il a fait. Malgré le tort qu’il a causé aux coureurs propres, à ceux qu’il a muselés. 7 Tours de France, 7 ans d’une domination absolue et mensonge de 14 ans. Comme toujours, les tricheurs ont un coup d’avance sur la police. Et à travers les livres L.A. Confidential de David Walsh et Pierre Ballester ou encore La Course secrète de Tyler Hamilton, on découvre le « Système Armstrong », cette mafia organisée autour de la victoire. La victoire à tout prix. Les menaces à ceux qui se plaignent ou veulent parler (Bassons, Simeoni, Betsy Andreu, etc...), le déni systématique de l’intéressé face aux médias (« pas positif donc pas dopé ») mais en réalité des moyens colossaux et des complicités à tous les étages. L’Américain aurait souscrit à toutes les méthodes, à tous les produits : corticoides, EPO... les microdoses pour ne pas être positif au contrôle... pire, les transfusions sanguines ! En 1999 lorsqu’il est positif aux corticoides, Armstrong répond à mon père que c’était une « skin cream » (une pommade pour son irritation sous les fesses). Face à ce crime de lèse-majesté que Gérard a commis, Armstrong répond par un boycott de son émission pendant quatre ans. Avec le nouveau thème du dopage mécanique, il serait même question qu’il ait déjà triché dès 1999, ce qui expliquerait sa cadence de pédalage folle en montagne... Telle est la face sombre du champion... Et dans la liste, Il y a Carl Lewis, qui n’est pas non plus le champion irréprochable qu’il affirmait être durant les années 80. On l’évoque dans notre livre, Les 100 Histoires de Légende des Jeux olympiques. Carl Lewis s’est dopé, lui aussi exerçait une certaine influence sur son sport. Le pouvoir et son exercice donnent des moyens et certaines libertés que l’on protège par tous les moyens.

Pourtant ces deux types font partie de mon Top 5 car ce sont des personnages hors normes, ils ont fait l’histoire de leur sport, l’histoire du sport en général. Êtres de conquêtes, assoiffés de victoires. Des exigeants, des champions du moindre détail qui ne laissaient rien au hasard. Ils programmaient leur victoire. Cela retirait le charme de l’imprévu mais cela dopait le spectacle de la performance. « Mais comment fait-il ? », « Comment est-ce possible ? ». Aujourd’hui on se pose la même question à propos d’Usain Bolt. Ce concours 1991 du saut en longueur pour Lewis face à Powell. Ce contre-la-montre de 2005 entre Fromentine et Noirmoutier-en-l’Île où Armstrong, parti une minute après Ullrich, revient comme un boulet de canon sur l’Allemand et le dépose en moins de 19km ! Grande image de télévision, sacré souvenir de passionné. Tout comme l’Alpe d’Huez 2001 dans une étape où il avait d’abord bluffé sur une possible méforme, ce qui tactiquement était intelligent (cela incitait l’équipe d’Ullrich et les autres concurrents à rouler à la place des US Postal), avant au pied de l’Alpe d’Huez de toiser l’Allemand du regard, de le jauger puis de la déposer. Intelligence tactique qui frisait l’humiliation. Mais Ullrich, l’éternel second de l’Américain, n’avait et n’aurait jamais les moyens de se défendre.

Ce que je retiens de ce type, c’est sa soif insatiable de victoire. Cette hargne qui vous mène aux grandes réussites et nourrit les palmarès. Un sportif de haut niveau ne peut prétendre devenir un grand champion et marquer son temps sans avoir cette envie qui vous aide à supporter et apprivoiser la souffrance. Entre art et business, il faut ajouter à cela une maîtrise absolue et certaine intelligence tactique. Chose qu’Armstrong avait et qu’Ullrich et Virenque n’avaient pas. L’Américain décidait de tout, dirigeait, organisait comme un entrepreneur. Alors que ses principaux concurrents n’étaient que des pions, parmi les meilleurs de l’échiquier, mais jamais ils n’auraient pu prétendre à être rois !

 

PdA : Quels seront les athlètes français, connus et moins connus, à suivre de près durant cette Olympiade 2016 ?

 

J.H. : Si Diniz est dans la forme de sa vie, il peut nous ramener la breloque comme on dit ! Je trouverais cela extraordinaire. Même si la marche athlétique n’a rien de spectaculaire, Yohann est garçon plein d’envie et ultra méritant !

 

Yohann Diniz

Yohann Diniz. Src. de la photo : www.sport.fr.

 

PdA : Peut-on raisonnablement espérer une récolte de médailles meilleure peut-être que les années précédentes (qui n’étaient déjà pas si mauvaises...) ?

 

J.H. : La France peut espérer une trentaine de médailles. Ce serait bien qu’en cyclisme sur piste, en escrime, en judo et en natation les Français respectent la tradition et fassent le plein ! Yannick Agnel n’était pas à son meilleur niveau aux championnats de France, espérons qu’il ait rattrapé son retard ! Sur piste, Greg Baugé et Pervis : des valeurs sûres.

 

« Ça va être compliqué cette année

pour l’athlétisme aux JO... »

 

En athlétisme, ça va être très compliqué. Le niveau mondial est très élevé. Jimmy Vicaut peut prétendre à une finale sur le 100m mais le podium, j’en doute. Et il est bien possible que l’âge d’or de Lemaitre soit passé aussi…

 

PdA : Gérard Holtz va quitter France Télévisions après avoir animé, cet été, son dernier Tour de France... qu’est-ce que ça vous fait à titre perso ?

 

J.H. : J’ai grandi en regardant « Papa » à la télé. Il fallait se faire une raison, l’âge fait son œuvre et il faut laisser la place. Depuis quelques années, avec cette aventure des livres, j’ai le plaisir de partager un peu de son aventure avec le public français. Des lecteurs passionnés, connaisseurs et parfois novices aussi.

 

C’est sûr que ça fait un vide dans mon quotidien mais maintenant c’est mon épouse que je regarde à la télévision ! Elle présente un magazine sur France 3 le matin !

 

PdA : Partagez-vous complètement la passion de votre père pour le vélo ou bien avez-vous une préférence pour d’autres sports ?

 

J.H. : Oui je la partage mais cela m’est venu « sur le tard ». Je faisais souvent du VTT au Parc de Saint-Cloud dans mon adolescence mais rien de plus. Puis en 2003, lorsque j’ai signé mon premier CDI au marketing chez Kärcher, Gérard a fait un exploit en faisant à vélo le parcours du Tour 1903. J’étais envieux de son aventure… et je me suis mis à la petite reine un an après !

On a souvent roulé ensemble à Longchamp et sur les jolies routes des Yvelines. On a même fait des cyclosportives comme la Ronde Picarde, la Look, et aussi les 24h du Mans en relais. Nous avions même fini 24ème de la première édition ! Nous avons aussi des passions communes pour le ski et le karting.

Et j’ai développé aussi un attrait particulier pour la course à pied, sport plus accessible et qui nécessite moins de temps. Du coup je peux m’entrainer la semaine et j’ai bouclé le Marathon de Paris en 2011 ! Je viens tout juste de courir ma 3ème Transbaie, une course nature à travers la Baie de Somme et je prépare pour octobre l’Ecorun de Vaucresson, un 20km 100% nature.

 

PdA : Un mot tout de même sur l’Euro de foot qui se joue actuellement en France: que vous inspire l’équipe nationale ? est-elle cette année au niveau des meilleures du continent ? votre pronostic pour la finale ? 

 

J.H. : L’Euro est en train de me réconcilier avec le football. On retrouve enfin du spectacle, de la bonne humeur et moins de vulgarité et de violence. Même le 0-0 des Bleus contre la Suisse était un beau match ! Le nombre de tirs sur les poteaux le prouve !

 

« Je ne me retrouve pas dans ce que sont

les Bleus d’aujourd’hui »

 

Je n’ai pas d’amour particulier pour notre équipe de France comme je l’avais dans les années 90. J’aimais nos joueurs, les Papin, Canto, Ginola, Pirès, Deschamps, Sauzée... Il y avait du talent avec Zidane et des valeurs aussi. De l’éducation et des principes. Aujourd’hui je ne me retrouve plus du tout dans le collectif des Bleus, dans l’image qu’ils renvoient, dans leur état d’esprit.

 

PdA : « Votre » anthologie du foot, c’est pour l’an prochain ?

 

J.H. : Nous aurions pu la sortir cette année mais nous avons pensé que le thème des JO se prêtait plus à notre concept et notre écriture romanesque… Il faudra probablement attendre 2018 et la Coupe du Monde ! Nous aimons bien nous adosser au calendrier des grands événements pour que notre travail soit dans l’ère du temps et correspondant aux envies ou besoins de notre public. L’année prochaine ce seront les sports mécaniques. Il y a là aussi matière à raconter plein de choses !

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Julien Holtz ?

 

J.H. : Coté plume, poursuivre l’aventure avec Gründ et étoffer notre collection. Coté crayon et souris, prendre du volume dans mon métier de consultant en expérience utilisateur !

 

PdA : C’est tout le mal que je vous souhaite... ;-) Un dernier mot ?

 

J.H. : Tout simplement merci de votre curiosité ! Et à vos lecteurs : foncez en librairie, vous le verrez, vous serez surpris par nos histoires !

 

Partie II : Gérard Holtz, quelques mots...

Réponses datées du 3 juillet 2016... Merci !

 

Paroles d’Actu : Votre top 5 des grands sportifs ?

 

Gérard Holtz : J’en sélectionnerai six.

 

Killy, car notre triple champion olympique (dont nous parlons dans notre livre Les 100 Histoires de Légende du Sport français), est un champion d’une intelligence supérieure. Il a eu justement cette intelligence de savoir s’arrêter au sommet. Cette notion d’absolu dont on parlait. C’est exactement ça. Pas la compétition de trop. Et suite à sa carrière, il a poursuivi dans l’élite au sein du Comité international olympique, chez Coca-Cola et au comité d’organisation des Jeux d’Albertville notamment.

Bolt, qui a pulvérisé tous les records de vitesse sur piste et que m’a marqué par sa décontraction avant le départ de ses courses alors que d’autres ont besoin de faire le vide, de s’isoler. Barbara par exemple arrivait à midi au théâtre avant ses représentation du soir ! Lui, il ne se prend pas la tête !

Ali, champion olympique de boxe à Rome, dont nous dressons le portrait dans Les 100 Histoires de Légende des Jeux Olympiques, fait partie de mon top en vertu de son immense carrière et de sa personnalité. Au-delà de son palmarès et de son style unique, c’était un personnage public, un type qui avait du caractère et du courage. Le courage de dire haut et fort ce qu’une communauté pensait tout bas. Le courage de s’opposer, notamment, à la guerre du Viet Nam.

Muhammad Ali

Cassius Clay, futur Muhammad Ali, aux J.O. de Rome en 1960. Src. de la photo : rio2016.com.

Pelé est mon footballeur préféré, une véritable idole ! Je garde en mémoire sa Coupe du Monde 56 en Suède qu’il a survolée et son illustre « grand pont » lors d’un match au Mexique.

Coté tennis, Roger Federer, qui est pour moi le plus grand tennisman de tous les temps. Il a tout gagné et c’est un vrai gentleman.

Je ne pouvais oublier un 6ème : Eddy Merckx, le cannibale. Lui aussi dans son domaine, il a tout gagné. Il a dévoré tout le monde, la faim de victoire... Sept Milan-San Rémo, cinq Tours de France par exemple ! Et comme les autres de mon top, un gars gentil et simple.

 

« Mes pronos ? Allemagne-Portugal en finale

de l’Euro (2-1) et Froome pour le Tour » (G. Holtz)

 

PdA : Votre pronostic pour la finale de l’Euro 2016 (affiche et score) ? 

 

G.H. : Ma finale, ce sera Allemagne-Portugal. Et je pensais à l’Allemagne avant qu’elle ne gagne hier contre l’Italie !

Le score : 2-1 pour l’Allemagne.

 

PdA : Votre pronostic pour le nom du futur maillot jaune de cette édition 2016 du Tour ? 

 

G.H. : Je vois la 3ème victoire de Froome. Il est clairement au-dessus en montagne.

 

Partie III : l’album photos commenté

Julien Holtz a accepté, à ma demande, de nous livrer quelques photos... et de les « légender »...

 

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« Le Mont Blanc, en 2006. Je suis à gauche. Antoine, le cadet, est à droite. »

 

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« Entre mecs à la maison, en 2014. Je suis en bas et Antoine en haut. »

 

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« En plein effort durant la Gentleman du Cœur en 2009.

On a emmené les Sannier père et fils pendant deux tours... »

 

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« Août 2009, les 24h du Mans Vélo. J’ai dessiné la tenue ! Et on finit 24è de l'épreuve.

Je suis le troisieme en partant de la gauche. Antoine est derrière, Gérard à droite de la photo.

On court avec la famille Legeay. Roger a deux fils qui sont de gros rouleurs et se sont mis à l'ultra trail. »

 

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« Marathon de Paris, 2011. Coup de chaud à Bastille... cette édition était presque caniculaire. »

 

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« L’arrivée de la Paris-Saint-Germain-en-Laye 2012. »

 

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« 24h de karting du Circuit Carole. »

 

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« Essais en Formule France à Lohéac. »

 

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