Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Paroles d'Actu
Publicité
24 mai 2025

Anny Duperey : « Sans le vouloir, j'ai un peu fait un autoportrait en kaléidoscope »

Le 28 avril, au lendemain d’un joyeux salon du livre à Châteauroux, Anny Duperey s’est prêtée pour Paroles d’Actu, une nouvelle fois, au jeu de l’interview par téléphone : une heure durant nous avons évoqué ses projets, sa carrière, parlé de sa vie et de la vie, nous appuyant notamment sur toutes ces anecdotes qu’elle partage avec bonne humeur dans son dernier livre en date, Respire, c’est de l’iode ! (Seuil, avril 2025). Il faut s’en emparer, de ce recueil de petites nouvelles autobiographiques, qui la racontent beaucoup en voulant pourtant, souvent, mettre le projecteur sur d’autres, personnages illustres ou illustres inconnus (mais dont certains méritent bien de voir leur existence prolongée sur papier). On passe du rire (et il y a matière à rire !) à l’émotion, en passant parfois par la révolte, à la lecture de ces pages qui feront aussi réfléchir le lecteur sur l’importance de la volonté dans le parcours de chacun, sur son rapport à l’Autre, au temps qui passe, au paraître, à la postérité. 33 ans après Le Voile noir, qui fit partie d’une thérapie difficile, cet ouvrage, c’est celui d’une femme apaisée, heureuse autant qu’on peut l’être et avec des tas de projets ; celui d’une artiste authentiquement populaire qui, de par son parcours et la sympathie qu’elle dégage, inspire nombre de ses contemporains.

 

Je remercie Anny Duperey pour la confiance qu’elle m’accorde depuis notre premier entretien, réalisé il y a 15 mois. Comme pour le premier article, j’ai voulu faire un long format, essentiellement retranscrit "comme on l’a dit", pour en préserver l’authenticité, et même, si vous avez un peu d’imagination, nous "entendre" parler en nous lisant. Je signale que Viens Poupoule !, ce spectacle auquel elle tient tant, n’aura pas de représentations à Paris en juin comme il était prévu, la salle Réjane du Théâtre de Paris étant sous le coup de travaux imprévus. Il y aura en revanche une représentation à Ramatuelle, le 6 août, puis la tournée du Duplex, du 15 septembre au 20 décembre de cette année. Je signale également que le très bon documentaire que Ninon Brétécher a consacré à mon invitée du jour est toujours disponible sur le service de replay de France Télévisions. Bref, bonne lecture, et merci ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

>>> Anny Duperey, artiste en équilibre <<<

 

 

Respire, c’est de l’iode ! (Seuil, avril 2025)

 

Anny Duperey : « Sans le vouloir,

 

j’ai un peu fait un autoportrait

 

en kaléidoscope »

 

Bonjour Anny, comment allez-vous ?

Bien. J’étais à un très beau salon du livre hier, à Châteauroux. Je suis même partie en avance, tous mes livres étaient vendus. Je préviens souvent les libraires que je vends plus de mes anciens livres que de mes nouveaux. J’ai un souvenir un peu cuisant, de quelqu’un qui avait commandé six cartons du nouveau, un carton des anciens : ce dernier est parti en un quart d’heure, et lui est reparti avec quatre cartons... Donc depuis, je préviens !

 

Chouette succès, Viens Poupoule !, peut-être même plus inattendu que celui du Duplex ?

J’espère qu’on pourra faire encore pas mal de dates ! Même si je ne ferai plus forcément des 300 dates par an !

 

Le Duplex s’en rapproche !

Oui...

 

Nous allons maintenant parler longuement de ce que vous racontez dans votre livre. L’odeur des balades à Dieppe, qui ne renvoyaient pas que de l’iode d’ailleurs, cette histoire qui donne son titre à l’ouvrage, et la compagnie de votre tante et de votre grand-mère, c’est votre madeleine de Proust ?

Oh oui bien sûr... Y compris les épinards mélangés au maquereau bouilli que cuisinait ma grand-mère. Là, c’est tellement ma madeleine de Proust à l’envers que je ne peux plus manger d’épinards ! J’ai l’impression que ces pauvres épinards sentent toujours la poiscaille, malgré eux ! "Oui d’accord, ça sent la poiscaille !", comme disait ma grand-mère... Une madeleine négative !

 

Mais que vous associez à la compagnie de votre tante et de votre grand-mère.

Bien sûr. Ma grand-mère surtout. Ma tante ne s’occupait pas tellement de la bouffe. Elles cuisaient à l’eau. On cuisait beaucoup à l’eau, à l’époque.

 

Et ces balades à Dieppe, avec elles...

Avec tout ce que j’ai à faire là, je n’y arriverai pas, mais j’avais le projet d’y aller. Vous avez compris que j’adore le cabaret et que j’ai une amitié particulière pour les garçons qui aiment se déguiser en fille. Il y a un cabaret magnifique, très touchant, à Dieppe, qui s’appelle "La Sirène à Barbe". Un gars qui a subi une agression homophobe terrible il y a des années... il a mis un temps fou à s’en remettre, et pour réagir il a créé un cabaret sur le port de Dieppe ! J’ai vu un de leurs spectacles à Paris - ils ont m’a-t-il dit 400 numéros qui sont prêts, pour présenter toujours quelque chose de nouveau !

 

Il faudrait que vous puissiez y jouer Viens Poupoule !

On y a pensé. Il croyait, ne l’ayant pas vu, qu’on pouvait l’insérer à un spectacle, mais pas du tout, c’est une pièce ! On y raconte le café concert, j’ai écrit des textes, expliqué les personnages, etc... Ça ne peut pas s’intégrer dans un spectacle de music-hall.

 

Vous rendez en tout cas, j’y reviens, un très bel hommage dans votre livre à votre tante. Je pense aussi à l’évocation de ses derniers instants. Est-ce que vous diriez qu’elle a été véritablement l’accoucheuse de votre épanouissement ?

Oh oui, complètement ! J’avais déjà fait un grand chapitre à Tata dans Le Rêve de ma mère. J’étais sa revanche ! Elle a été une fille sacrifiée aux frères.

 

Elle voulait être prof...

Oui, mais elle a été sortie de l’école à 11 ans pour servir au bistrot. Ça l’avait profondément marquée, si bien qu’elle continuait d’essayer à apprendre le dictionnaire par cœur ! Il y avait chez elle un tel complexe, une douleur disons-le carrément, de ne pas avoir fait d’études, que quand mon fils a eu son Bac, elle s’est mise à refuser de jouer au Scrabble avec lui ! "Je ne peux plus jouer avec un bachelier"... C’est dire la douleur ancrée en elle qu’on l’ait privée de son rêve d’être professeur. J’en avais parlé avec Annie Ernaux, avec laquelle nous avions fait un interview croisé. Ses parents à elle tenaient un bistrot à Yvetot, certainement à la même époque que les parents de ma tante tenaient un bistrot à Yvetot ! Même milieu, peut-être même se connaissaient-ils, je n’en sais rien. Toujours est-il qu’Annie a eu cette chance d’être fille unique ! Pas de frère à privilégier... Et elle a pu faire ce qu’elle voulait. J’ai été la revanche de Tata, complètement.

 

J’ai raconté dans Le Rêve de ma mère un souvenir datant de quand j’ai quitté l’école pour rentrer aux Beaux-Arts - dont j’ai passé le concours à 14 ans et demi, pour y rentrer à 15 ans pile. Il y avait eu un conseil de famille, et je suppose, enfin j’en suis absolument certaine, que les autres ne comprenaient pas cette idée de me faire entrer aux Beaux-Arts : "elle n’a qu’a travailler tout de suite, pour gagner sa vie". Je me souviens très bien, par contre, du doigt de ma tante pointé vers moi, et de cette phrase qu’elle a martelée : "Celle-là fera ce pour quoi elle est douée !".

 

Sacrée phrase...

Sacrée phrase. Elle m’a défendue comme ça. J’ai un souvenir très précis de ce doigt pointé vers moi, et de cette phrase, avec les blancs entre chaque mot. Histoire de dire : celle-là, vous ne l’aurez pas !

 

Elle a eu l’occasion, la chance de vous voir réussir.

Oui, mais je vous dirais que le métier, ça elle n’a jamais compris.

 

>>> Un éléphant ça trompe énormément <<<

 

Le succès vous l’avez eu, vous, non pas en tant qu’instit, mais en tant qu’auteur. Est-ce que vous évitez de penser à votre enfance (dont je sais qu’il ne vous reste que des bribes) et à votre adolescence pour vivre mieux, ou bien avec le temps êtes-vous apaisée ?

Je n’ai aucun souvenir de mon enfance. Après Le Voile noir, il y a eu toutes ces lettres de lecteurs, et je peux dire que véritablement ils m’ont changé la vie. Quel auteur peut dire ça ? Pour le reste, je n’y pense pas tellement, à l’enfance, à l’adolescence. Je vais vous faire rire : en écrivant les petits textes qui composent ce livre, j’étais mentalement fixée sur les anecdotes sur les personnages. Sur Marielle, sur Rochefort, sur Varda. Je n’ai pas songé une seconde que je faisais une sorte d’autoportrait incroyable ! Enfin, lorsque j’écrivais des choses intimes, comme la phrase de Bernard sur mon refus d’avoir des enfants, j’en étais bien consciente. Mais je pensais surtout à la clocharde, à tous ces gens. Et ensuite les journalistes m’ont posé des questions très personnelles ! Je me suis dit, mince, je me suis encore dévoilée plus que je le pensais, en écrivant. Ma franchise me joue toujours des tours !

 

Justement vous venez de l’évoquer. Cette phrase de Bernard Giraudeau...

Oui... C’est extraordinaire quand on aime les mots. Vous savez que je suis devenue comédienne parce que j’écrivais. Des Beaux-Arts, on m’a envoyée au conservatoire deux fois par semaine pour que je continue à étudier des textes. On n’aurait pas pensé à m’envoyer au conservatoire sans cet orientateur professionnel génial qui avait dit : "Elle va perdre le contact avec les mots, or elle écrit, elle lit tout le temps, il est crucial qu’elle continue à étudier des textes". C’était ça, au départ. Comédienne c’est venu ensuite peut-être parce que, n’ayant aucun investissement là-dessus, j’y étais plus à l’aise que les autres. Quand on n’a aucune projection de soi dans quelque chose, je crois qu’on le fait assez aisément, comme ça pour s’amuser. Je n’avais pas le trac, d’ailleurs je ne l’ai toujours pas. C’est comédienne qui l’a finalement emporté pour me faire gagner ma vie, mais je reconnais que c’est un destin un peu bizarre, d’avoir bifurqué comme ça des Beaux-Arts vers la comédie. Mais, revenant en arrière, je comprends. J’avais beaucoup connu la solitude comme gosse à l’école, et la solitude du travail de peintre m’a effrayée. C’est la découverte des partenaires, des copains, de l’échange, qui m’a complètement séduite dans ce métier. Pour moi l’échange, cette découverte, ça a été un émerveillement. C’est ce qui m’a décidée à être comédienne.

 

Mais vous avez toujours plaisir à dessiner, à peindre ?

C’est très rare. C’est resté un peu comme, vous savez, ces gens qui vous disent qu’un jour ils feront le tour du monde à la voile. Moi je me dis parfois que peut-être un jour j’entrerai en peinture. Les dons restent, donc je peux faire d’assez jolies choses, mais je n’ai pas peint assez pour me dire peintre.

 

Mais quand vous le faites, ce plaisir vous l’avez ?

Dessiner, moins. Peindre oui. Mon truc c’est la couleur.

 

Bernard Giraudeau vous a donc fait comprendre que le refus d’avoir des enfants pour ne pas reproduire le drame de votre enfance était une forme de suicide. Diriez-vous que cette phrase a sauvé votre vie de la même manière que tous les retours que vous avez eus après Le Voile noir ?

Oh oui, certainement. Je suis encore ébahie. D’abord qu’il l’ait prononcée, parce que malgré l’amour que j’avais pour lui, il n’était pas un fin psychologue. C’était plutôt à l’emporte-pièce. Là il a fait preuve d’un coup de génie. Aimant les mots, j’ai compris tout de suite, à la seconde, à quel point c’était une vérité profonde. Et ça c’est étonnant. Ça a fait son chemin, et on n’en a plus parlé. Pas un mot de commentaire, rien du tout. Juste, j’ai compris qu’il avait raison. Et que c’était le suicide de toute une lignée, en fait. Par colère.

 

Vous en parlez beaucoup, de la colère, d’ailleurs.

Oui. Puisque c’est comme ça, je ne vous donnerai pas de descendants. Quelque chose comme ça. Et aussi la peur de renouer avec ce que j’appelais froidement le "merdier". C’est-à-dire le danger de perte, l’attachement, tout ce qui vous amène à souffrir un jour ou l’autre. J’en voulais plus !

 

Vous évoquez cette mesure-étalon du pire, précisément basée sur cette épreuve horrible de l’enfance. Est-ce que la maturité, la force que vous ont apporté la première de vos grandes épreuves, avec toute cette colère comme moteur, a eu tendance à plutôt accroître votre compassion, ou au contraire votre impatience envers les gens qui parfois se plaignent sans forcément qu’il y ait de bonnes raisons ?

Non, je n’ai pas beaucoup d’impatience. Je crois être assez tolérante envers les autres. Sauf envers une certaine bêtise crasse qui de temps en temps m’énerve. Je cherche toujours à voir le bon côté des choses.

 

Et vous avez fait de cette colère quelque chose de positif, éloigné de la rancœur ou de la haine.

Je l’ai transformée. Il y avait le projet d’un symposium sur l’orphelinat qui n’a pu avoir lieu à cause de questions budgétaires. Si j’avais pu parler là-bas, j’aurais dit ça : ne soyez pas trop pressés de mettre le nez des enfants dans leur malheur pour qu’ils l’acceptent, pour qu’ils pleurent. Faire pleurer les enfants qui veulent ignorer qu’ils souffrent, d’accord, mais pas trop vite. La colère aussi est salvatrice.

 

>>> Donnez-lui la passion <<<

 

Il y a une très belle chanson de Lynda Lemay qui s’appelle Donnez-lui la passion : il y est question d’une mère qui, de peur de partir trop tôt, fait la prière qu’au moins, même s’il est seul, son enfant ait une passion à laquelle s’accrocher. Cette prière vous l’avez faite pour les vôtres ?

Je crois avoir été à peu près comme ma tante, avec mes enfants. J’ai été à l’affût de leurs goûts et de leurs envies, en leur donnant tout de suite toutes les cartes en mains. Vous avez envie de prendre des cours de ceci, de cela ? OK, allez-y, mais attention, c’est vous qui êtes responsables. Si vous réussissez, ou si vous ratez, c’est votre responsabilité.

 

Dans la bienveillance et la complicité, comme votre tante...

Oui. Comme je l’ai dit, je ne savais pas trop quelle mère être, n’ayant pas moi-même de modèle de mère à imiter ou au contraire à rejeter. Je crois remarquer que les gens font souvent cela : soit les filles s’attachent à reproduire ce que leur mère a été, soit elles font exactement l’inverse.

 

Et est-ce que vous diriez que les parents devraient faire tout ce qui leur est possible pour faire éclore chez l’enfant une ou des passions ?

Oh oui je pense. Mais c’est compliqué maintenant, avec ces études à rallonge, et cette compétition souvent qu’on inculque aux enfants... J’en parlais encore avant-hier avec des amis qui étaient là et qui trouvaient effectivement extrêmement dur qu’on pousse les enfants à toujours mieux, toujours ceci... sans réellement se préoccuper de ce que sont leurs dons à côté. Maintenant, on va leur demander ce qu’ils ont envie de faire à 6 ans ? C’est inouï. On ne les laisse plus rêver, il faut tout de suite se spécialiser : lui c’est un matheux, lui plutôt cela, etc...

 

D’ailleurs vous avez déclaré lors d’une interview récente que vous ne pourriez plus faire les Beaux-Arts aujourd’hui, parce que dorénavant il faut le Bac...

Bien sûr... On ne peut plus prendre ce que j’appelle des chemins de traverse pour les enfants qui sont "spécialisables" très tôt. Ceux qui ne savent pas, enfin, laissez-les rêver, s’éclore avant de se décider. En troisième il faut absolument se choisir un parcours, et après on est coincé... Le reste de sa vie en dépend.

 

Il y a dans votre livre, nous l’avons un peu évoqué, beaucoup de moments très souriants et aussi des portraits très touchants. Comme celui de cette femme noire qui errait à Paris, détruite par la mort de ses enfants. Ou comme celui de Robert, cette homme de la Creuse qui était devenu un ami cher. Parler d’eux c’était pour vous comme une évidence ?

Oh oui... J’ai toujours cette phrase de Robert dans l’oreille : "J’me fais un p’tit bouquet", avec l’accent creusois. J’avais été frappée par ça. Vu la vie qui avait été la sienne, ses rêves brisés, et tous les renoncements, qu’il trouve toujours le plaisir de se faire un "p’tit bouquet". Moi ça me fait pleurer... Et cette femme, cette clocharde, je la vois encore, elle est gravée en moi. D’ailleurs c’est le premier truc que j’ai écrit. Vous savez, quand j’écrivais ces petits textes cet été, dans mon chalet en Creuse, j’ai retrouvé un papier jauni sous une pile : "Respire c’est d’l’iode, bon titre, mais je n’ai pas le livre qui va avec". Voilà, j’avais le livre. J’avais le titre depuis quelques années. Moi ça m’évoquait quelque chose comme "Vos gueules les mouettes !" Mais depuis je le trouve moins drôle, parce que les journalistes le prononcent correctement : "Respire, c’est de l’iode". Mais ça, ça me fait pas rire du tout. Ma grand-mère disait : "Respire, c’est d’l’iode", mais c’était compliqué d’écrire ça de cette manière. Le titre est drôle si on le prononce dans sa version originale.

 

C’est en tout cas un livre qui nous trimbale d’émotion en émotion. Une autobiographie qui n’en est pas une...

Non ça n’en est pas une mais effectivement, à la longue, ça devient un portrait en kaléidoscope. Un kaléidoscope aussi de manières de voir les choses. Il y a eu des débats avec mon éditrice, sur la pertinence d’y parler ou non des maçons de la Creuse ou de l’horrible déportation des enfants de la Réunion. Pour moi il fallait en parler. Et c’est un livre à digressions. C’est l’occasion de parler de cette histoire. Je ne sais pas si vous en aviez entendu parler, vous, des 2000 enfants de la Réunion. C’est totalement fou... Mais on n’en parle jamais. Les Réunionnais appellent encore ces déportés, envoyés dans la Creuse pour la repeupler, les "enfants de la Creuse". J’ai vu à la télévision, il y a peut-être deux mois, en rentrant du théâtre, la fin d’un film de télévision qui leur rendait hommage. Je ne les ai pas inclus, mais il y a des témoignages abominables... Notamment d’un jeune Réunionnais qui dormait avec les bêtes et à qui on donnait pour nourriture les excréments des animaux. Certains sont bien tombés, accueillis véritablement comme des enfants adoptifs. D’autres ont été traités comme des esclaves. Et ça a duré jusqu’en 1983. 20 ans !

 

Extrait de Respire, c’est de l’iode.

 

C’est bien que vous ayez mis ce fait en lumière...

Oui je crois. Comme l’histoire de l’origine des quartiers d’artistes à Paris. À cause des cimetières ! C’est un petit-fils de maçon de la Creuse qui m’a appris ça. Quand il y a eu le chemin de fer et que ces maçons se sont établis à Paris, à la fin du 19e, ils se sont installés là. Avant, je suppose qu’ils dormaient en chambrées, etc, mais à partir du moments où ils ont emmené leurs familles ils se sont établis là où ils travaillaient. Et ils ont emmené les copains dessinateurs, les copains peintres, les copains musiciens, et tout le monde s’est retrouvé autour des cimetières !

 

Mais c’est vrai qu’on apprend plein de trucs dans votre livre ! J’ai une dernière question sur un sujet pas très marrant, après ce sera plus léger, promis ! Autre passage émouvant, celui où vous racontez, vous qui aimez tant les chats, le dernier voyage de votre chatte Missoui. Et la façon bien différente qu’avaient vos enfants Gaël et Sara de vivre leur deuil...

Chacun a eu sa façon très différente de le vivre, l’un à l’opposé de l’autre. On connaît maintenant l’aspect transgénérationnel des choses. Je savais depuis longtemps que Sara était un peu le prolongement de moi. Souvent elle a fait les choses au même âge. On a même joué le même Shakespeare au même âge ! C’est un hasard qu’on le lui ait proposé, mais elle l’a joué exactement au même âge ! Et elle, instinctivement, compensait tout ce que je n’avais pas fait. Mon fils lui prenait l’option opposée, et il a réagi comme moi : pas la peine de se faire souffrir en plus, aller pleurer sur une tombe à quoi ça sert, déjà assez de chagrin comme ça...

 

C’est une question qui longtemps vous a fait peur, leur rapport au deuil ?

Je crois qu’ils sont assez sains et vivent cela avec un peu de distance. Mais je ne me suis pas vraiment posé la question. Il y a beaucoup de choses auxquelles je n’ai pas pensé, et c’est très bien !

 

Il est question dans le titre de votre livre d’évocations libres, manière de dire que ce n’est pas une autobiographie classique mais des bribes de vie racontées comme vous avez envie. La liberté c’est vraiment quelque chose qui vous caractérise depuis toujours ?

Complètement oui. C’est pour ça d’ailleurs que je termine sur ce sujet difficile de la fin de vie, et de décider de sa fin de vie. S’il y a une chose qui me terrorise, c’est la perte de ma liberté...

 

Est-ce qu’il y a des choses que vous auriez eu envie de raconter dans ce livre mais que, pour x ou y raison, vous auriez renoncé à inclure dans sa version finale ?

Pas vraiment... J’ai simplement coupé une phrase, ça valait mieux...

 

C’est trop compliqué de faire dans la nuance de nos jours ?

On ne va pas revenir sur des questions un peu polémiques. Une dame m’a dit un jour, en s’excusant, que peut-être après ce que j’ai vécu, je ne pouvais pas comprendre certaines choses. Notamment le fait d’être sous influence. Peut-être avait-elle raison...

 

Je remarque Anny que ce livre, comme la grosse majorité de tous les autres parus depuis presque un demi siècle, ont été édités au Seuil. Il y a une raison particulière à cela ?

Je n’ai jamais eu de bonne raison de changer d’éditeur. Il a toujours été épatant avec moi, depuis le début. Je ne me suis engueulée avec personne. Mon éditeur depuis trois ou quatre livres est parti récemment, et je me suis très bien entendue avec ma nouvelle interlocutrice. Je trouve ça bien d’avoir tous ses livres chez le même éditeur. Quand on fait des salons c’est pratique. Ils ont tout en s’adressant au même.

 

Vous vous êtes porté bonheur réciproquement, disons. Qu’est-ce qui vous manque de Paris quand vous êtes dans la Creuse, et a contrario pourquoi voulez-vous rentrer vite dans votre paradis creusois quand vous êtes à Paris où ailleurs ?

Ce qui me manque à Paris, c’est la vraie nature. Des arbres avec de l’herbe autour, et pas du béton. J’aime vraiment les arbres et je suis atterrée, en Creuse, de voir que les chênes sont à peu près condamnés, à coup sûr. Ils meurent les uns après les autres. Le chêne a des racines en surface, pas pivotantes. Les arbres qui ont des racines en surface sont les premières victimes du réchauffement climatique... Les chênes vivent, mais toutes les grandes branche du haut sont mortes. On sait qu’immanquablement, en trois ou quatre saisons, il y a pas mal de chênes morts au milieu des champs... C’est vraiment triste. Donc oui la vraie nature, l’espace me manquent à Paris. Par contre, quand je suis dans la Creuse, au bout d’un moment, si je n’ai pas de jardinage à faire, pas de livre à écrire, je m’enquiquine franchement. J’aime bien avoir des gens autour ! D’autant que je vis seule. J’en parle d’ailleurs, de cet échange avec Mme Varda...

 

Et vous avez vos chats dans la Creuse et à Paris ?

Oui ils font le voyage, ils sont habitués.

 

Vous en avez combien en ce moment ?

Trois. Mais un de vingt ans qui... Il va y avoir un deuil, j’essaie de m’y préparer. Je lui parle en lui disant, je t’en supplie, ne me fais pas ça un matin d’émission ou de salon du livre, je vais partir dégoulinante. Un jour où j’aurais au moins trois jours pour pleurer dans mon coin.

 

>>> Les Compères <<<

 

Touchons du bois... J’ai revu il y a peu, avec plaisir, Les Compères de Francis Veber. Je sais que c’est compliqué en ce moment d’évoquer Depardieu...

Oh, il vieillit très, très mal...

 

Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?

Je n’en ai pas beaucoup de souvenirs, à vrai dire. J’ai un souvenir, un peu anecdotique. Je ne connaissais rien à l’alcoolisme, pas de cas autour de moi, à part des grands-pères qui sont morts de ça. On a pris un pot un jour, une glace, et un de mes camarades de tournage a demandé au serveur s’il y avait de l’alcool dedans. J’ai ri, "bah, de l’alcool dans une glace..." Il m’a répondu que les papilles avaient de la mémoire, que les petites cellules avaient une mémoire, et qu’un microgramme d’alcool dans une glace, ou dans une sauce, pouvait vous faire replonger. Il était en train de se soigner. J’avais été frappée par ça. Et ça m’a ouvert les yeux sur ce combat.

 

Si on parle de souvenirs, il y a un film que j’ai revu avec grand plaisir, mais qui malheureusement n’a pas vraiment été numérisé. On a réussi à organiser une projection avec une amie, j’avais demandé à le revoir parce que pour le coup j’en ai de grands souvenirs : c’est Psy, de Philippe de Broca. Ils ont trouvé des bobines. Le film est un peu sépia, un peu rougi, mais moi en tant que photographe ça ne me gêne pas. On l’a revu en public, les gens étaient tordus de rire. Je ne l’avais revu, j’avais peur qu’il ait vieilli mais non. J’avais eu une belle complicité avec Patrick Dewaere, et j’ai rencontré lors de ce tournage deux comédiens au tout début de leur carrière, je les avais repérés dans l’idée de faire quelque chose avec eux un jour, c’était Darroussin et Catherine Frot...

 

>>> Psy <<<

  

Vous avez eu du flair !

Oui, je ferais pas un mauvais casting. Ce film vaudrait le coup d’être numérisé. Et quel rythme ! Moi ça m’a sciée. Si les gens qui nous pondent des comédies maintenant pouvaient le voir... Extraordinaire.

 

Après notre première interview de février 2024, j’avais mis La Face de l’Ogre en ligne. Pourquoi pas Psy...

Oui... Après, je sais qu’il y a des DVD qui existent. Mais on ne peut pas les projeter sur grand écran. J’avais proposé ça pour un ciné-club à Aubusson, en Creuse, mais ils m’ont dit que c’était impossible. Sur une télé à la rigueur...

 

Je note ! Merci. Vous avez souvent été sur la scène de théâtres pour porter les textes d’autres. Auriez-vous envie d’y porter un texte à vous ? Et pourquoi pas quelque chose de plus personnel, où par exemple vous raconteriez vos anecdotes ?

Nous avons monté un jour un spectacle qui n’a pas eu de chance... C’est tombé en plein pendant les Gilets jaunes. J’ai eu la chance, vous le savez, d’avoir "mon" documentaire dans la collection "La France en vrai" de France 3, par Ninon Brétécher. Il y a quelques années, Ninon m’avait appelée pour me proposer de monter un spectacle où j’aurais lu de grands passages des Chats de hasard, qu’elle avait beaucoup aimé. Nous avons toujours sous le coude ces textes choisis, avec des idées pour quelque chose de mi-lecture mi-joué. Il n’est pas impossible qu’un jour me prenne l’idée d’y revenir. Pourquoi pas dans ce théâtre où j’ai adoré jouer Mes chers enfants de Jean Marbœuf, Le Lucernaire ! J’adorerais. Mais sinon, je n’ai jamais vraiment eu envie d’écrire pour le théâtre.

 

Mais raconter votre vie un peu comme ça, sur scène...

Non, je ne crois pas... Si c’est lu ça n’a pas grand intérêt. Me raconter moi, je l’accepte parfois, quand on fait ce qu’on appelle des "rencontres" à propos d’un livre ou autre. Mais une fois de temps en temps.

 

Vous m’avez confié que vous adoreriez jouer la clocharde de votre Tour des arènes...

Oui ! Mais c’est mal parti... Je viens justement de refuser quelque chose pour la télévision. On n’en sort pas, du flic et de la fliquette... Il n’y a plus que ça. Comme s’il y avait une charte d’écriture où il fallait un rebondissement toutes les dix minutes, etc. Alors que mon histoire, c’est un conte. Je crois que les petites histoires qui se déroulent comme ça, simplement, sans qu’il y ait un suspense, n’est pas dans leur charte d’écriture.

 

D’ailleurs vous voyez que la plupart des chaînes sont passées, pour leurs fictions, au format 55 minutes...

Oui de plus en plus. De temps en temps ils se paient un unitaire, mais il faut toujours des rebondissements, du suspense... Ce roman, je ne vois pas comment ça pourrait se faire. Pourtant, indubitablement, c’est un film ! Comme un peu tous mes romans d’ailleurs. Je pense à Une soirée, qui pour moi est aussi un film.

 

J’ai lu aussi L’Admiroir, qu’on pourrait pareillement imaginer adapté à l’écran...

Ou Le Nez de Mazarin, qui est terrible... Il y a trois mois, quelque chose comme ça, j’ai eu par mon agent un message qui disait en substance : "Je voudrais dire à Mme Duperey qu’elle a peut-être contribué à sauver la vie de quelqu’un avec un de ses livres". J’ai été surprise, et ai été un peu plus tard en contact avec lui. Dans Le Nez de Mazarin, il y a une femme qui sommeille dans la voiture de son mari, en Camargue. Et tout à coup elle voit sans réagir, les yeux mi-clos, une espèce de tache. Son mari peut croire qu’elle dort, mais elle s’aperçoit sans réagir que c’est un blessé qui est couché sur le bas-côté. Elle ne réagit pas et comprend en même temps que son mari n’a pas ralenti... Et en un an, elle détruit sa vie, à cause de ça. Elle refoule le truc. Ça la gangrène et ça finit par la tuer, à la fin. Terrible ! Et donc, ce type me dit qu’il se gare dans un de ces parkings à escargot, vous savez. Tout à coup, il voit un type qui remonte à toute vitesse du côté voiture avec une longue corde à la main. L’homme me dit qu’il s’est garé, et mon roman, qui l’avait beaucoup marqué, lui est revenu, paf, comme ça. Cette femme était passée à côté d’un truc, lui ne voulait pas passer à côté. Il remonte, le type était en train de se pendre au premier étage. Heureusement m’a-t-il expliqué, il a réussi à le maintenir, et comme c’était au premier étage, le téléphone passait et donc il a pu appeler les secours. Un roman ! 30 ou 40 ans après ! C’est étonnant...

 

C’est vraiment une belle histoire ça ! À propos de la clocharde du dernier roman justement, est-ce qu’il y a d’autres types de rôles auxquels vous aimeriez vous essayer ?

Je n’ai jamais vraiment planifié ces choses. Mais c’est vrai que j’aime les rôles très différents, très éloignés de moi. J’aime faire des compositions... Et j’ai eu du pot ! Quand on a terminé les Famille formidable, j’étais persuadée qu’on n’allait me proposer que des rôles de grandes gentilles. Mais le premier truc qu’on m’a offert après, ça a été un personnage monstrueux, qui était la mère du tueur, dans une fiction qui s’appelait Le Tueur du lac. Elle n’aimait rien ni personne. Monstrueuse, vraiment ! Un peu plus tard j’ai joué une psychopathe pour un téléfilm qui s’appelait Petit Ange, pour la télévision. Une femme qui rendait ses enfants malades. Jusqu’à une paysanne qui va se retrouver au milieu d’une histoire terrible, un de mes derniers rôles en date, dans Mort d’un berger. J’ai eu une chance incroyable !

 

Ce n’est donc pas vous qui avez sciemment fui les rôles qui vous auraient raccrochée à Catherine Beaumont ?

Non. Mais je dois aussi le dire honnêtement : il n’y a pas des milliards de propositions. Quand je refuse quelque chose, c’est vraiment parce que c’est inintéressant à jouer. Ou bien je ne m’en souviens plus. J’oublie vite. Mais on ne m’a pas trop proposé de rôles à la Catherine Beaumont.

 

>>> La Face de l’Ogre  <<<

 

Très bien... Comment réagiriez-vous si quelqu’un vous disait vouloir faire une nouvelle adaptation de La Face de l’Ogre ?

Je ne sais pas du tout... Après, il faut avoir en tête que c’est le roman de Simone Desmaison. Je n’en ai rien gardé, à part le principe de base. D’ailleurs on a failli ne pas le faire. C’est grâce à son frère, José Giovanni, qu’on a trouvé une solution : elle ne retrouvait tellement pas son livre dans mon histoire que le film a failli ne jamais exister. Il m’a suggéré de lui faire cosigner les dialogues. Et elle a accepté. Je n’ai gardé que la base de l’histoire : le pendu, la femme dans la montagne... Donc pour vous répondre, il faudrait adapter le roman. Ce n’est pas un scénario complètement original.

 

La Face de l’Ogre avait été réalisé par Bernard Giraudeau, auquel vous rendez justement hommage dans le livre. Mais j’ai l’impression qu’on l’a pas mal oublié. Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de lui ?

Bernard avait une écriture très poétique. C’était un voyageur... Mais vous savez, on ne parle pas beaucoup de lui c’est vrai, mais c’est pareil pour les autres. Les acteurs ou même les écrivains sont très vite oubliés. Certains jeunes acteurs ne connaissent même pas Rochefort ! Si vous leur parlez de Delphine Seyrig, de gens du théâtre d’avant, alors là...

 

On oublie vite...

Il y a cette histoire où je raconte avoir connu Elvire Popesco à la fin de sa vie. Elle était immense, mais personne ne sait plus, même des acteurs de 40 ou 50 ans, qui est Popesco !

 

>>> Les Haricots <<<

 

Vous avez chanté pas mal de chansons dans Viens Poupoule ! et d’autres récemment avec Frédéric Zeitoun...

Justement, on a fait quelque chose hier au salon du Livre de Châteauroux. À 11h30, sous un endroit qui est fait pour des spectacles ou des conférences, on a eu 200 personnes qui ont écouté les deux chansons que nous avons interprétées, avec Frédéric (dont la chanson qu’il m’a écrite) et un pianiste. On a vu que c’était comble, on s’est dit : bientôt l’Olympia ! J’aime beaucoup Frédéric, et hier je lui ai fait une surprise, moi qui n’aime pas les surprises ! Je me suis entendue avec le pianiste, au débotté, sans répéter : il y a une vieille chanson de Bourvil que j’adore, une chanson de saison, au moment des semis pour les jardiniers, Les Haricots. Si vous ne l’avez jamais écoutée, allez voir, c’est une petite splendeur de chanson ! Je crois qu’il l’avait d’abord chantée dans une opérette qui s’appelait La Route fleurie. Et j’ai eu l’immense surprise de voir que Frédéric ne la connaissait pas. J’ai été ravie de la lui faire connaître !

 

Mais par exemple ces chansons-là, y compris celle de Bourvil, vous pourriez vouloir les reprendre, pas dans Viens Poupoule ! mais dans un spectacle musical à vous ? 

Pourquoi pas !

 

Vous m’aviez dit il y a quelque temps qu’écrire vous-même des chansons ne vous intéressait pas du tout. Mais enregistrer vous-même un album avec des chansons que vous aimez bien ou que des gens auraient écrites pour vous, ça pourrait vous tenter ou pas du tout ?

 

Le problème c’est que je pense à ça, je pense tout de suite à spectacle, et pas à album. On me dit, pas de spectacle sans album. Moi je suis dubitative... Oui, j’ai déjà noté, bien évidemment, des chansons que j’aimerais chanter un jour, sur un thème qui serait peut-être "une vie de femme", en partant de l’enfance, en passant par l’adolescence, etc... Histoire d’imager le parcours différent d’une femme, sous tous ses angles. Mais penser "album", j’ai du mal. Je veux tout de suite imaginer le piano sur scène et être face aux gens.

 

Mais l’album ne précède pas forcément le spectacle ?

Oui, peut-être...

 

Vous êtes consciente d’être pour pas mal de gens, femmes mais pas que, une vraie source d’inspiration ?

Oui, c’est assez marrant. C’est assez troublant, même... Tout cela tient beaucoup aux Famille formidable, que les gens ont tellement aimées. Il y a un vrai amour pour cette série. Il y a eu Le Voile noir aussi... Et le fait que ce livre ait été finalisé juste avant le début de la série, encore une fois c’était inouï.

 

Trop bien organisé, comme vous dites !

Trop bien organisé, oui... Mais quand on me dit : "Vous nous faites du bien parce que vous amenez un rayonnement", là je suis très contente. Dans ce monde qui va de plus en plus mal, j’avoue faire ce que je ne pensais jamais faire : l’autruche totale. Je ne veux plus voir... La multiplication des dictateurs, les dangers de partout, cette bagnole électrique qu’on veut nous fourguer à tout prix, les fausses bonnes idées, etc !!! Ce monde ne progresse pas. Si j’amène une petite lumière je suis contente.

 

D’où ce besoin désespéré de rire que vous évoquiez...

Oui, c’est vraiment la meilleure chose à faire en ce moment. Et arriver à se protéger. On n’en peut plus de ces infos...

 

J’ai eu la chance l’an dernier d’interviewer à deux reprises Françoise Hardy, peu avant son décès. Elle m’a notamment confié que sa grande fierté, c’était son fils Thomas, pas simplement ce qu’il faisait mais ce qu’il était. Vous diriez la même chose ?

Oh oui, bien sûr... J’ai des enfants épatants. Très bien sur leurs pieds. Aux mères qui doute je dis : ayez confiance en vos enfants. Je n’ai pas été spécialement éducatrice, mais quand ils étaient ados, j’entendais dire que les enfants avaient besoin de révolte pour se construire contre quelque chose. Moi j’étais terrifiée : contre quoi allaient-ils se construire vu que j’étais d’accord avec tout ? Je vais en faire des chiffes molles. Mais ils se sont construits avec, pas contre, et ça va !

 

Très bien. Vous m’avez confié ne pas beaucoup dessiner, mais comment croqueriez-vous un autoportrait un peu caricatural ?

Oh... Un jour j’en ai fait un, en deux-trois coups de crayon ! Je vous l’envoie, c’est moi un peu plus jeune. J’ai trouvé que ça me ressemblait bien !

 

Anny vue par Anny. Date : indéterminée. ;-)

 

Quels sont vos projets et surtout vos envies pour la suite Anny ? Vous avez touché à tout ou presque, est-ce qu’il y a encore des choses qui vous font rêver ?

Pas forcément... Je veux surtout continuer à jouer. Par exemple j’ai réalisé un rêve avec Viens Poupoule !, un spectacle chanté. Je ne l’avais pas fait depuis Bernard, depuis notre comédie musicale. À l’époque on n’avait pas eu envie de réitérer le genre parce qu’on avait beaucoup souffert en tournée. C’était parfois compliqué dans certaines salles. "Ils chantent, ils dansent ou ils jouent la comédie ?", les trois mon capitaine ! On a été parmi les précurseurs. Chanter aujourd’hui c’est ce qui m’enchante le plus. Je pense aussi à une chanson de Marie-Paule Belle que j’ai chantée un jour pour elle et que j’adore : Les Petits Dieux de la maison... Je pourrais la rechanter ! Et j’adore Marie-Paule, tellement heureuse qu’elle ait retrouvé la scène !

 

Un dernier mot Anny ?

Tâchons d’être heureux !

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Publicité
14 mai 2025

« On ne peut vivre sans le souvenir et les leçons du passé » par Pierre-Yves Le Borgn'

80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, que reste-t-il de ce souvenir, de cette mémoire ? La plupart des témoins de ces années terribles ont disparu depuis longtemps, et ceux qui sont assez vieux pour les avoir connues ne tarderont malheureusement plus beaucoup à les rejoindre. Nous jouissons tous, le 8 mai, d’un jour férié bien apprécié, qui accolé à des récup’ donne droit à un "pont" sympathique. Mais combien, parmi nous, ont ne serait-ce qu’une pensée pour les origines, le sens de cette journée, et pour le sacrifice de celles et ceux qui se sont battus pour leur liberté, et donc pour la nôtre ? Dans combien de familles l’histoire des anciens est-elle réellement transmise, et donc portée par les nouvelles générations ? Pour tant de foyers, où la pudeur, la mauvaise conscience ou les drames de la vie ont empêché la transmission de la mémoire, cette histoire est simplement quelque chose de lointain, qui ne concerne plus vraiment ceux d’aujourd’hui... même avec de la bonne volonté.

 

J’ai souhaité, à l’occasion de cette commémoration de la fin de la guerre, inviter l’ancien député Pierre-Yves Le Borgn’, qui a de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne un rapport épidermique, à se prêter avec moi au jeu des questions/réponses. Une évocation intime, mais aussi un regard éclairé sur un temps de grands bouleversements. 1945 vit la défaite des fascismes et la gloire du communisme soviétique, le début de la Pax Americana et d’une vraie coopération entre des nations européennes à bout de souffle. 80 ans après, il semblerait qu’on soit à l’aube d’un chapitre nouveau, et ce n’est pas forcément rassurant... Merci à Pierre-Yves Le Borgn’, pour ce moment de partage, et pour son message qui résonne et doit résonner, en 2025. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Monument aux morts sur l’Île du Souvenir à la Tête d’Or, Lyon, le 8 mai 2025.

Photo : Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« On ne peut vivre sans le souvenir

et les leçons du passé »

par Pierre-Yves Le Borgn’, le 13 mai 2025

 

Le 8 mai dernier ont été célébrés les 80 ans de la fin – en Europe – de la Seconde Guerre mondiale. Comment as-tu vécu ce moment ?

 

Le 8 mai n’est pas un jour férié en Belgique, où je vis. J’ai travaillé ce jour-là, mais j’avais l’esprit largement ailleurs et auprès des miens. Je suis le fils d’une pupille de la Nation. Ma maman avait un an lorsque son père est mort en mai 1940 lors de la percée de l’armée nazie à travers la Belgique et en direction de la France. Jean-Yvon Gloaguen, mon grand-père, avait 27 ans. Il était à la tête d’un petit groupe de soldats, issus pour l’essentiel de Bretagne et cheminots comme lui. Ils sont morts sous la mitraille de l’aviation ennemie dans le premier village belge après la frontière française. C’est là qu’ils ont été inhumés. Leurs dépouilles ont été ramenées dans leurs villages bretons une dizaine d’années après. Mon grand-père repose aujourd’hui dans le cimetière de Tréméoc, dans le sud du Finistère, auprès de ses parents et de son frère.

 

Ce souvenir est douloureux et intime. Je possède une photographie de mes grands-parents et de leurs deux enfants prise au printemps 1939, quelques semaines avant la mobilisation. Mon grand-père tient par la main son fils, qui n’avait pas encore deux ans. Ma grand-mère porte dans ses bras ma maman, qui avait 3 ou 4 mois. C’est la photo d’un bonheur qu’ils ne savaient pas éphémère. C’est leur dernière photo. Je ne peux la regarder sans éprouver la même émotion, celle qui prend aux tripes tant je ressens l’injustice d’une vie fauchée, comme celles de bien d’autres soldats de la Guerre de 1939-1945. Mon grand-père avait la vie devant lui. Toute mon enfance, je suis allé fleurir sa tombe les jours de Toussaint et la plaque « Mort pour la France » me bouleversait, comme la mention de son nom au monument aux morts.

 

Le grand-père de Pierre-Yves Le Borgn, Jean-Yvon Gloaguen, tombé

au champ d’honneur en mai 1940 à l’âge de 27 ans. Ici entouré de sa famille...

 

Le 8 mai, c’est auprès de lui qu’étaient mes pensées, et aussi auprès de ma maman et de ma grand-mère, dont j’ai tant appris. Veuve de guerre à 25 ans, elle a traversé ces années terribles avec ses deux jeunes enfants, sans savoir de quoi demain serait fait. Je n’ai jamais osé l’interroger sur le souvenir de ces années-là. J’en ai aujourd’hui le regret. J’aimais profondément ma grand-mère et j’avais crainte de la peiner. Le 8 mai, j’ai pensé aussi à mon autre grand-père, Jean Le Borgn’, prisonnier de guerre durant 5 ans à Lüneburg. Et à mes oncles Yves Gourmelon et Henri Le Borgn’, tombés pour leur action de résistants, le premier torturé à mort par la Gestapo à Brest en 1943, le second fusillé sur un quai de Bourg-en-Bresse en 1944. À leur souvenir, je veux aussi associer celui d’un autre oncle, Joseph Quintin, victime civile, fusillé avec 14 autres hommes par l’armée nazie en déroute dans son village de Quimerc’h en août 1944.

 

Comment cette dimension familiale tragique a-t-elle forgé le regard que tu portes sur la Seconde Guerre mondiale et sur le monde d’après ?

 

La première chose que j’ai apprise, c’est que la paix était le bien le plus précieux. Dans ma famille, on parlait des faits de guerre, de dates et de souvenirs parfois très précis, mais jamais ou très rarement des souffrances. Certainement par pudeur et parce qu’il y avait par-dessus tout un ardent désir de paix. Je n’ai pas été élevé dans un quelconque bellicisme à l’égard de l’Allemagne, bien au contraire même. Ma maman a appris l’allemand en première langue étrangère au lycée et j’en ai fait de même. Mes parents m’ont encouragé à connaître l’Allemagne, à l’aimer, comme un acte de foi en l’avenir de l’Europe et en la capacité de dépasser les atavismes qui avaient conduit à 3 terribles conflits en 70 ans. Ils m’ont appris ce qui nous était arrivé, comme famille et comme pays, dans l’espoir que ma génération ne connaisse pas ces drames et, mieux, qu’elle contribue à les écarter par la construction d’une Europe unie qui rende la guerre impossible.

 

À l’évidence, ce message est passé. L’idéal européen a façonné l’homme que je suis devenu. Au Collège d’Europe, j’ai appris ce que la construction de la paix par le droit voulait dire et combien elle était précieuse. Ces convictions sont devenues l’épine dorsale de ma vie de citoyen et bientôt d’élu. Elles m’ont amené à l’engagement politique, à la conquête d’un siège de député, à un engagement public à travers toute l’Europe et à une candidature au mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Je suis convaincu que c’est par le partage de souveraineté, dans une logique fédérale, et par l’attention à la défense de l’Etat de droit, des libertés et de la démocratie que l’on protège le mieux la paix. L’Europe est notre bien le plus précieux. Peuples autrefois ennemis, nous y puisons nos racines judéo-chrétiennes communes et l’héritage des Lumières. Ces racines et cet héritage me sont précieux.

 

Ce monde d’après n’est-il pas aujourd’hui contesté jusque dans ses fondements par le retour des crispations, des nationalismes, en Europe et au-delà ?

 

Si, et c’est pour cela que la célébration des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale était particulière, au-delà du chiffre rond. Les derniers témoins disparaissent. Tous les Compagnons de la Résistance sont partis. Et il ne reste qu’une poignée de survivants de l’horreur de la Shoah dont l’expression et la lucidité ne cessent de m’émouvoir. Nous serons bientôt les témoins de ces témoins. Il nous faudra accomplir cette tâche dignement, se garder de reléguer au rang d’un chapitre de livre ce qui reste le pire de l’histoire de l’humanité. Il faudra continuer à raconter, certes différemment, à partager les lieux de mémoire, les livres et les films. Rien n’est pire que la réécriture de l’histoire, la relativisation des souffrances, la négation des faits. Le retour de l’antisémitisme me révolte et son instrumentalisation aussi. La propension à opposer les souffrances et les époques me choque. On ne peut vivre sans le souvenir et les leçons du passé.

 

Je te disais mon attachement à l’Etat de droit et à l’Europe. La montée des extrémismes, le soutien actif de Poutine à la déstabilisation de nos démocraties, le mépris souverain de Trump pour l’histoire et les valeurs européennes soulignent la crise profonde que traversent nos pays. Je ne peux me résoudre à ce que l’on brade la démocratie, les droits et libertés garantis par des Constitutions souvent adoptées aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale. Se souvenir des enseignements de la Seconde Guerre Mondiale, c’est lutter pour la pérennité de ce cadre démocratique et contre les extrémismes, à droite et à gauche, qui ont en commun de vouloir substituer l’autoritarisme à l’humanisme. C’est aussi intégrer dans ce combat progressiste les défis nouveaux de notre époque : la défense de la planète, la décarbonation de nos économies, la protection de l’humain face aux nouvelles technologies.

 

La dureté de la période requiert de tenir bon face à la vague, d’argumenter, de convaincre. Il faut entendre lucidement les souffrances, les colères et les désillusions qui alimentent le vote pour les extrêmes. N’oublions pas la montée des périls avant la Seconde Guerre Mondiale. Cette leçon-là aussi doit rester. Il faut se garder de la tentation du déni, d’un regard moralisateur. Nos sociétés vont mal. Or, la démocratie est un destin partagé. Elle n’est pas le triomphe d’une majorité sur une minorité, elle ne peut conduire à ignorer ou à humilier. Les politiques menées après la Seconde Guerre mondiale furent des politiques d’émancipation, de progrès pour tous. Pour nous, Français, ce fut la création de la Sécurité sociale. Ce souci de protection et de lutte contre les inégalités de destin doit retrouver sa place centrale dans l’action publique. Des millions de gens attendent que l’on s’occupe d’eux. La haine et la violence ne peuvent être les réponses.

 

Parles-tu à tes enfants de la Seconde Guerre mondiale ?

 

Oui, je le fais. Ils connaissent l’histoire de leur famille. Nous sommes allés à Omaha Beach et à Sainte-Mère-Eglise. Nous étions à la Maison des Enfants d’Izieu en février. Mon fils Marcos était venu avec moi à Mauthausen durant mes années de député. Nous sommes allés sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale aussi. Je me sens un devoir de transmission à leur égard. Je veux qu’ils comprennent d’où ils viennent, quelle est leur histoire. Ils sont également espagnols. La famille de mon épouse a été marquée par la Guerre civile, des deux côtés. Ils le savent. Connaître ces éléments du passé, le tumulte du destin, c’est pour chacun d’entre eux construire sa sensibilité et sa citoyenneté. Désormais qu’ils marchent vers l’adolescence, je partage avec eux ces convictions héritées des miens. Je les encourage à raconter à leur tour. C’est un leg immatériel qu’ils porteront, j’en suis certain, dans les temps d’après.

 

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

9 mai 2025

Olivier Da Lage : « New Delhi ne doit pas sous-estimer ce qu’Islamabad considère comme ses intérêts vitaux »

Faut-il craindre une escalade catastrophique alors que les tensions se font heure après heure plus vives entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires qui depuis des décennies se disputent le contrôle du Cachemire ? Le monde s’interroge et s’inquiète, dans un contexte par ailleurs incertain, avec un gendarme (ou ex gendarme) américain qui ne sait plus trop sur quel pied il veut danser s’agissant des affaires diplomatiques.

 

Pour mieux comprendre la situation, en comprendre les ressorts et les enjeux, j’ai la joie de recevoir à nouveau, cinq jours après sa publication éclairée sur les chaînes d’info en continuOlivier Da Lage, journaliste fin connaisseur du sous-continent indien (je l’avais notamment interviewé il y a deux ans et demi autour de son ouvrage L’Inde, un géant fragile, paru chez Eyrolles).

 

Merci à lui pour ce décryptage précis qui, à défaut de vraiment rassurer, pointe du doigt l’enjeu essentiel lorsqu’il est question de puissance nucléaire : la ligne rouge, celle qu’on ne peut oser franchir sans sombrer dans un terrifiant inconnu, c’est toucher à ce qu’elle considère être ses intérêts vitaux... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (09/05/2025)

Olivier Da Lage : « New Delhi

 

ne doit pas sous-estimer ce qu’Islamabad

 

considère comme ses intérêts vitaux... »

 

L’Inde, un géant fragile (Eyrolles, septembre 2022).

 

La crise actuelle entre l’Inde et le Pakistan est-elle réellement plus grave que les précédentes ?

 

C’est en tout cas la plus grave depuis la guerre de Kargil, qui avait résulté d’une incursion de l’armée pakistanaise en mai 1999 et qu’on avait surnommée la «  guerre des glaciers  ». Elle avait duré trois mois et était restée territorialement confinée à la région de Kargil, au Ladakh. C’est pourquoi on peut craindre qu’en fait, l’actuel début de conflit soit le plus grave depuis la guerre de 1971, au cours de laquelle l’Inde était venue au secours des séparatistes du Pakistan Oriental, devenu le Bangladesh à l’issue du conflit. En effet, d’ores et déjà, les belligérants ne se sont pas cantonnés au territoire du Cachemire mais ont déjà débordé sur le Pendjab pakistanais et dans plusieurs régions du nord de l’Inde, les aéroports ont été fermées, tout comme les écoles et le black-out a été décrété par précaution dans des localités du Gujarat, du Rajasthan et du Pendjab. Le risque est bien entendu qu’en l’absence d’une désescalade, le conflit ne s’étende davantage.

 

Au-delà des circonstances particulières, la question du Cachemire reste-t-elle le point de discorde fondamental entre les deux pays ?

 

Oui, très clairement. Quelques jours avant l’assassinat de 26 touristes à Pahalgam (Cachemire) le 22 avril, le chef de l’armée pakistanaise, le général Wassim Mounir, s’adressant à la diaspora pakistanaise, affirmait que le Cachemire était «  la veine jugulaire  » du Pakistan et qu’on ne l’abandonnerait jamais. De son côté, l’Inde considère que la partie administrée par le Pakistan, qu’elle appelle «  le Cachemire occupé par le Pakistan  » (PoK), lui revient. Pour les nationalistes hindous, au pouvoir à New Delhi depuis 2014, le PoK fait partie intégrante d’Akhand Bharat (l’Inde indivise), et si le gouvernement n’a pas fait de sa conquête un objectif politique officiel, au sein de la galaxie des organisations nationalistes hindoues (la Sangh Parivar dont la tête est le RSS, organisation de masse fondée il y a tout juste un siècle et qui constitue la matrice idéologique du BJP, le parti du premier ministre Narendra Modi), on l’affirme clairement, sans pour autant fixer une date pour cette reconquête. Par ailleurs, au-delà des raisons idéologiques ou nationalistes justifiant de part et d’autre la revendication d’une appartenance pleine et entière (c’est-à-dire sans ligne de démarcation) du Cachemire à son propre pays, il y a également des considérations économiques et stratégiques  : la richesse hydraulique d’un territoire considérée comme le «  château d’eau  » de la région, et le fait que qui contrôle la vallée et les hauteurs du Cachemire surplombe l’État voisin, ce qui confère un avantage militaire évident.

 

Le scénario catastrophe élaboré par le Bulletin of the Atomic Scientists, qui imagine qu’un Pakistan débordé sur le plan conventionnel pourrait recourir à des armes nucléaires tactiques, et donc une escalade apocalyptique, est-il aujourd’hui une hypothèse à prendre au sérieux ?

 

A priori, non car l’Inde est pleinement consciente que la doctrine nucléaire du Pakistan, contrairement à la sienne, ne s’interdit pas l’emploi en premier de l’arme atomique si ses intérêts vitaux sont menacés, comme par exemple, la destruction de l’appareil militaire du pays ou l’occupation ou la destruction de ses principales villes. On peut donc espérer que si, dans un conflit ouvert, elle prenait le dessus, elle saurait s’arrêter à temps. Il est à noter que les deux états-majors continuent de communiquer entre eux malgré l’ouverture du feu. Ce qui est inquiétant, en revanche, c’est que pour le Pakistan, la volonté affirmée par l’Inde de contrôler le débit des eaux de l’Indus, qui coule en aval au Pakistan, représente une menace vitale pour son agriculture qui dépend pour l’irrigation des terres cultivables (blé et riz notamment) de l’Indus et de ses affluents à 80 %, ce qui en fait un sujet vital pour Islamabad.

 

Qui peut aujourd’hui, dans un monde qui change, tempérer les ardeurs des uns et des autres ? L’actuelle administration américaine semble-t-elle vouloir s’engager pleinement comme médiateur ?

 

Les Américains font le service minimum et parlent plusieurs langages. Le secrétaire à la Defense Pete Hegseth a soutenu sans réserve le droit de l’Inde de se défendre comme elle l’entend. Le secrétaire aux Affaires étrangères Marco Rubio a téléphoné aux dirigeants des deux pays en les appelant à la retenue, mais d’une manière générale, Washington n’a pas l’intention de s’impliquer dans ce conflit, contrairement à ce qu’avait été l’attitude de Bill Clinton lors de la guerre de Kargil en 1999, contribuant ainsi à éviter un dérapage nucléaire.

 

L’Inde refuse par principe toute médiation sur le Cachemire, considéré comme un problème intérieur alors qu’au contraire, le Pakistan cherche depuis l’origine à l’internationaliser. De nombreux pays ont appelé l’Inde et le Pakistan à la retenue, mais l’attitude, du moins en Inde, consiste à considérer que les Européens, notamment, prêchent en Asie du Sud ce qu’ils ne font pas eux-mêmes, notamment en Ukraine où leur appui à Kiyv nourrit le conflit, selon une opinion largement partagée en Inde. Il faudra évidemment surveiller le rôle de la Chine qui, tout en étant le «  parrain  » du Pakistan et en lui ayant fourni des armements performants, n’a aucun intérêt à voir une guerre s’enkyster à ses frontières, alors que depuis un an, elle se rapproche de l’Inde avec qui elle a des échanges économiques importants et que surtout, elle ne souhaite pas multiplier les fronts tandis que sa relation avec Washington reste tendue et risque de s’envenimer davantage. Il est donc possible, même si c’est loin d’être une certitude, que Pékin soit amené à jouer un rôle dans une désescalade… lorsqu’elle interviendra.

 

Peut-on imaginer un règlement définitif et équilibré de la question du Cachemire... pour peu qu’il y ait volonté politique et bonne volonté tout court de part et d’autre ?

 

On peut, bien sûr, tout imaginer. Mais il n’y a actuellement aucun élément tangible permettant de penser que cette hypothèse a des chances de se réaliser dans un avenir prévisible.

 

Olivier Da Lage.

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

8 mai 2025

« La capitulation du IIIe Reich, une approche apocalyptique » par Arnaud de la Croix

Ce 8 mai 2025 nous célébrons, non pas uniquement l’avènement sur le trône de Saint-Pierre du pape Léon XIV, mais bien le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe (elle allait durer jusqu’à la mi-août sur le front pacifique). Précisons aussi, pour ne pas les oublier, même si nous ne développerons pas davantage ce sujet ici, que ces moments de liesse bien légitime furent ternis par la grave répression qui eut lieu au même moment en Algérie française. Les 80 ans de la fin de cette guerre qui fut épouvantable sont ainsi célébrés comme il se doit aujourd’hui, demain en Russie, et dans les prochaines semaines. Il ne reste plus beaucoup de témoins directs de ce temps, ce qui rend la préservation de cette mémoire d’autant plus cruciale pour les futures générations.

 

Il y a un peu moins d’un an, j’interviewais Arnaud de la Croix, éditeur et écrivain belge, qui venait de scénariser une BD de synthèse remarquable, La Seconde Guerre mondiale en BD (Le Lombard, mai 2024), que j’invite chaleureusement le lecteur à découvrir. C’est tout naturellement que je lui ai proposé aujourd’hui, si l’idée le tentait, d’évoquer à sa manière la fin du conflit. Il a choisi un angle qui lui tient à cœur : une « approche apocalyptique » de la capitulation du Troisième Reich. Un texte érudit qui résonne aussi, en ces temps troublés où le monde de 1945 semble s’effacer, comme un avertissement de l’Histoire... Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

La Seconde Guerre mondiale en BD (Le Lombard, mai 2024).

Désormais disponible également en néerlandais, en espagnol, et bientôt aux États-Unis !

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La capitulation du IIIe Reich,

une approche apocalyptique »

par Arnaud de la Croix, le 8 mai 2025

 

Je souhaiterais aborder la capitulation de l’Allemagne nazie, qui prend place le 8 mai 1945, sous un angle un peu inusité : celui de la dimension proprement apocalyptique du nazisme.

 

Dès la publication de Mein Kampf, au milieu des années 1920, Hitler utilise un ton qui relève de l’apocalyptique pour parler de l’échec éventuel de son projet, qui relève d’une lutte planétaire entre le Bien, incarné par la race présumée « aryenne », et le Mal incarné par le Juif, qu’il retrouve à l’œuvre tant au cœur du bolchevisme qu’au cœur de la haute finance internationale :

 

« Si le Juif, à l’aide de sa profession de foi marxiste, remporte la victoire sur les peuples de ce monde, son diadème sera la couronne mortuaire de l’humanité. Alors notre planète recommencera à parcourir l’éther comme elle l’a fait il y a des millions d’années : il n’y aura plus d’hommes à sa surface. »

 

Le combat entrepris ne se limite donc nullement à l’Allemagne.

 

Le 21 octobre 1941 à midi, alors que l’invasion de l’URSS commence à marquer le pas et que la décision de la solution finale de la question juive a été prise (la majorité des historiens s’accordent pour situer sa concrétisation à l’automne 1941), le Führer déclare à sa table :

 

« En exterminant cette peste [le Juif], nous rendrons à l’humanité un service dont nos soldats ne peuvent se faire une idée. »

 

Dans le Führerbunker, tandis que les Russes pilonnent Berlin, le 30 avril 1945, alors qu’il va se suicider, Hitler déclare au général de brigade de la Waffen SS Wilhelm Mohnke : « Ce n’était pas seulement pour l’Allemagne ! »

 

Le ton apocalyptique est également celui qu’emprunte le bras droit d’Himmler, Reinhard Heydrich, lorsqu’il rencontre, en octobre 1935 à Berlin, le délégué du Comité International de la Croix-Rouge, le diplomate et historien Carl Burkhardt :

 

« Si l’œuvre millénaire du Führer subissait un échec, si nous nous effondrions, alors tout se débridera, on célébrera des triomphes, des orgies de cruauté auprès desquelles la rigueur d’Adolf Hitler semblera fort modérée. »

 

On peut dès lors se poser la question : l’échec, l’effondrement du « Reich de mille ans », qui advient fin avril, début mai 1945, n’est-il pas inscrit dans le projet nazi dès le début ?

 

On sait Hitler fasciné par la civilisation gréco-romaine, selon lui d’origine aryenne, et il envisage, avec son architecte et confident Albert Speer, à la fois la construction de monuments dignes de la Rome antique – en particulier le projet mégalomane de « Germania », capitale destinée à se substituer à Berlin – et leur destruction. « Que restait-il de l’œuvre des empereurs romains ? Quels étaient les vestiges de leur grandeur, sinon les édifices qu’ils avaient fait construire ? » demande Hitler à Speer. Celui-ci va alors s’ingénier à concevoir les édifices nouveaux du point de vue d’une « théorie de la valeur des ruines », de telle sorte que les monuments élevés par le régime, une fois ruinés, « ressembleraient à peu près aux modèles romains. »

 

(Il est intéressant d’observer que les monuments subsistants du Reich nazi font aujourd’hui l’objet de « tours commentés » à Berlin et ailleurs en Allemagne).

 

La clef de cet appétit pour la destruction se trouve peut-être dans une véritable fascination, chez Hitler, pour le feu. De cette fascination, on retrouve la trace tout au long des douze années que perdure le régime.

 

Le lundi 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de l’Allemagne par le Président Hindenburg.

 

Goebbels note dans son journal :

 

« Tout est allé si vite et si loin ! Nous sommes installés à la Wilhelmstrasse [le quartier des ministères à Berlin]. Hitler est chancelier du Reich. C’est comme un conte de fées ! »

 

De son côté, le général Ludendorff, qui avait été le complice d’Hindenburg dans la conduite de la Première Guerre mondiale, puis celui d’Hitler dans les années 1920, écrit au Président Hindenburg :

 

« Je prédis solennellement que cet homme exécrable entraînera notre Reich dans l’abîme et plongera notre nation dans une misère inimaginable. Les générations futures vous maudiront pour ce que vous avez fait. »

 

Ce même soir, des milliers de membres des Sections d’Assaut, l’organisation paramilitaire du parti nazi, défilent à Berlin, le flambeau au poing. Ils saluent Hindenburg et ovationnent Hitler. Au balcon de la chancellerie, le Führer salue. A ses côtés, on aperçoit Hermann Goering, et Rudolf Hess un peu en retrait.

 

Inaugural, ce défilé aux flambeaux n’est que le premier d’une très longue série. Lors des « grand-messes » annuelles que constituent les Journées du Parti (Reichsparteitag) à Nuremberg, des colonnes immenses, porteuses de torches, s’alignent dans la nuit, aux pieds du Führer. Elles forment parfois un gigantesque svastika tournant sur son axe, toujours en flammes.

 

Un mois à peine après l’accession d’Hitler au poste de chancelier, dans la nuit du 27 au 28 février 1933, le palais du Reichstag, siège du parlement, est à son tour en flammes.

 

On débat encore aujourd’hui pour savoir si cet incendie, certainement d’origine criminelle, était le fait du communiste hollandais Marinus van der Lubbe, condamné et exécuté à l’époque, ou si les dirigeants nazis, et en particulier Goering, alors Ministre de l’Intérieur de la Prusse, n‘étaient pas la cause du sinistre.

 

Cet attentat permit en tout cas à Hitler, devant ce que Goering appela à l’époque « le début de la révolte communiste », de suspendre les libertés individuelles. Elles ne seront plus rétablies avant la capitulation de l’Allemagne nazie.

 

En mai et juin 1931, deux ans avant ces événements, Adolf Hitler avait longuement répondu aux questions du journaliste conservateur Richard Breiting. Cette interview est restée inédite, à la demande expresse d’Hitler, jusqu’à sa découverte et publication en 1968. On y lit les déclarations suivantes d’Hitler au sujet du Reichstag :

 

« C’est un conglomérat de quatre groupes de colonnes parthénoniennes, flanquées d’une basilique romaine et d’une forteresse maure, le tout ressemblant à une gigantesque synagogue. Je vous le dis, le Reichstag est un édifice particulièrement laid, le lieu de rencontre des représentants d’une bourgeoisie pourrie et des masses ouvrières dévoyées. L’édifice lui-même et l’institution qu’il abrite sont une honte pour le peuple allemand. Ils doivent disparaître l’un et l’autre. Je suis d’avis que, plus tôt cette baraque à potins sera brûlée, plus tôt le peuple allemand sera libéré des influences étrangères. »

 

Par « influences étrangères », Hitler entend fondamentalement ce qu’il nomme la juiverie internationale, et il n’est pas indifférent qu’il compare le Reichstag à une « synagogue ». Quand on sait le sort qui attend les Juifs, ces propos, passés relativement inaperçus, éclairent l’incendie du Reichstag d’une lueur nouvelle.

 

Le 10 mai 1933, Joseph Goebbels, nommé en mars Ministre du Reich à l’Éducation du Peuple et à la Propagande, appelle à un gigantesque autodafé, dans tout le pays, des livres « contraires à l’esprit allemand ». Tandis que des milliers de livres sont brûlés par les étudiants, il déclare que, par ce geste, « la nation s’est purifiée intérieurement et extérieurement ». Il s’agit bien du feu purificateur, d’un feu de joie consensuel. Exactement comme à l’époque des grandes chasses aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles, lorsque la communauté villageoise s’assemblait pour voir brûler la sorcière.

 

En novembre 1935, pour célébrer les seize « martyrs » du Parti, tombés sous les balles de la police munichoise lors du putsch manqué du 23 novembre 1923, Hitler fait déterrer leurs corps. Il dresse un mausolée fait de seize sarcophages au cœur de la ville. L’ensemble, baptisé La Garde éternelle (Ewige Wache) est continuellement veillé par des SS tandis qu’il y brûle une flamme également « éternelle ».

 

Mais c’est bien entendu au cours du deuxième conflit mondial que l’intérêt du Führer et de son régime pour le feu va connaître son paroxysme.

 

À l’automne 1941, on l’a vu, après le lancement de l’offensive allemande à l’Est, Hitler prend la décision d’exterminer les Juifs d’Europe. Les cadavres des Juifs, dans les six camps d’extermination d’Auschwitz, Treblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec et Majdanek, feront l’objet de crémation dans les fours prévus à cet effet.

 

Lors de la débâcle allemande, les 103 000 feuillets dactylographiés transcrivant tous les propos tenus, de 1942 à 1945, au Grand Quartier Général du Führer, sont transportés et incinérés à la hâte dans le jardin de la propriété d’Hitler, le Berghof, à Berchtesgaden. Un sergent de la 101e Division Aéroportée des États-Unis, George Allen, a vent de l’affaire, et sauve in extremis, un centième des documents brûlés.

 

Ces sources uniques montrent un Hitler doué d’une mémoire prodigieuse, parfois très intuitif, mais également en proie à un entêtement de plus en plus prononcé, habité par la conviction fatale qu’il ne peut en aucun cas se tromper.

 

Le soir du 20 décembre 1943, le Führer, prévoyant un prochain débarquement des Alliés à l’Ouest, qu’il annonce pour le printemps 1944, s’enthousiasme tout à coup à l’idée d’opposer des lance-flammes aux envahisseurs de ce qu’il nommait « la forteresse Europe » :

 

« C’est la chose la plus terrible qui soit. Cela enlève à l’infanterie de l’assaillant tout son cran pour aller au corps à corps. Ils perdent tout leur cran, quand ils ont soudain le sentiment que, (de tous les) côtés, il y a des lance-flammes et encore des lance-flammes, où qu’on (aille. Alors), ils perdent d’emblée tout courage. C’est la chose la plus (ter)rible qui soit. Et puis, par-dessus le marché, on a encore une (impression) peu agréable quand ça grésille devant vous ; c’est encore plus désagréable que de recevoir (un projectile) sur le crâne, ce qui est déjà une (saloperie). […] c’est sûrement une des armes qui produisent (peut-être l’) impression la plus terrible psychologiquement. Mais l’impression est peut-être encore bien (plus terrible) pour l’assaillant que pour le défenseur d’une position. L’homme qui attaque, on le voit, car il se déplace constamment par bonds, et alors on le balaie […] il faut avoir des lance-flammes partout. Je me suis demandé aussi si on ne pourrait pas les utiliser (aussi) contre les avions volant en rase-mottes ; mais ce n’est (pas réa)lisable. »

 

Le Führer exige alors qu’on lui passe au téléphone Karl Saur, l’adjoint du Ministre de l’Armement, Speer à l’époque. Et, lorsque la liaison est assurée :

 

« Hitler. – Saur, combien de lance-flammes produisez-vous par mois, à présent ? […] Il m’en faut le tri(ple) de ce que vous produisez actuellement, (et cela) dans deux mois. […] C’est le min(imum) de ce que je réclame. Il n’y en a que 1.200 ? Je croyais  (qu’il y en avait) 2.400. Je veux en avoir le triple. […] Nous en avons un besoin tout à fait (urgent) ! Merci ! Heil ! Bonnes fêtes ! »

 

Hitler conclut, devant ses généraux :

 

« Il dit qu’il croit pouvoir accroître ce chiffre. Il peut l’accroître […] les bombardements aériens lui libèrent des ouvriers ; il peut les coller dans les usines. […] Nous ne pourrions (jamais être exposés à une surprise), s’il y (avait) sur le front Ouest 20 000 ou 30 000 lance-flammes. »

 

Mais on sait que la situation va tourner au désavantage des forces allemandes, par suite du débarquement réussi des Alliés à l’Ouest et de la contre-offensive victorieuse des troupes soviétiques à l’Est.

 

Si bien que le Führer finit par retourner contre lui-même le feu purificateur qu’il a déchaîné. Le 30 avril 1945, après avoir mis fin à ses jours d’une balle dans la tempe, son cadavre et celui de sa compagne Eva Braun sont, ainsi qu’il l’avait ordonné, extraits des profondeurs du bunker de la nouvelle chancellerie à Berlin et transportés dans le jardin. Là, devant Bormann et Goebbels, les corps, aspergés par deux fois deux cent litres d’essence, se consument quatre heures durant.

 

Ce qui permet à Hitler, ce messie inversé, d’abandonner un bunker vide, favorisant toutes les supputations.

 

L’origine de l’omniprésence du feu au cours des douze années qu’aura duré le IIIe Reich se trouve peut-être dans la singulière mythologie hitlérienne. En effet, dans un discours prononcé à Munich le 13 août 1920, au tout début de sa carrière politique, Hitler parle de l’Aryen en ces termes :

 

« …L’homme qui pour la première fois produisit artificiellement une étincelle apparut ensuite à l’humanité comme un dieu : Prométhée, le pourvoyeur de feu… »

 

Le signe du Nordique qui descend vers le Sud porter le flambeau de la civilisation, indiquait encore Hitler, est celui du soleil.

 

« C’est la croix gammée des communautés de civilisation aryenne […] les éveilleuses de toutes les grandes civilisations postérieures… »

 

Pour sa part, Hermann Goering, dans un texte peu connu rédigé sous sa dictée début 1934 et destiné au public anglophone, Germany Reborn (« L’Allemagne ressuscitée »), décrivait ainsi la révolution national-socialiste :

 

« De ferme en ferme, de village en village, des montagnes à la mer, du Rhin jusqu’au-delà de la Vistule, les flammes de la révolte s’étendirent […] Finalement les flammes formèrent une mer de feu, d’où s’éleva une Allemagne purgée et purifiée, qui retrouva le rang que Dieu lui avait assigné. »

 

Cet océan de feu prométhéen restera comme un avertissement de l’Histoire.

 

 

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

4 mai 2025

« Quand les chaînes d'info sapent l'information et la démocratie », par Olivier Da Lage

Le 1er juin 1980, il y a presque 45 ans, Ted Turner fondait CNN, la première chaîne d’info 24/24, qui connaîtrait son heure de gloire (ou en tout cas de notoriété mondiale) avec sa couverture extensive de la guerre du Golfe, en 1990-91. La "révolution CNN" a contribué à bouleverser la manière dont l’actualité est traitée à la télévision : longtemps, celle-ci avait eu, hors magazines et évènements spéciaux, ses créneaux bien délimités sur les écrans (en France on avait la "grand messe du 20 heures", concept désormais bien désuet). Depuis, les chaînes info ont fleuri, ici comme ailleurs, avec forcément des enjeux de rentabilité, de compétition, mais aussi de ligne éditoriale et d’influence plus ou moins assumées...

 

20 ans après l’installation dans les foyers français, via leur inclusion à la TNT gratuite, de BFMTV et de iTélé (future CNews), quel regard porter sur le fonctionnement et sur l’impact des chaînes info ? Cette question, j’ai voulu la poser à Olivier Da Lage, ancien journaliste de RFI qui a souvent répondu aux sollicitations de Paroles d’Actu, sur les questions relatives à l’Inde ou à la péninsule arabique, ses grands sujets d’expertise. Qu’il soit ici remercié pour ce texte qui je l’espère sera lu. Parce qu’à l’heure des réseaux sociaux triomphants, les spectateurs sont aussi des acteurs qui dans un monde parfait, devraient à tous égards garder actif leur esprit critique. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

La guerre du Golfe via CNN, version 1.0 de l’info en continu. Illustration : capture d’écran.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Quand les chaînes d’info sapent

l’information et la démocratie »

par Olivier Da Lage, le 2 mai 2025

 

En 1980, à Atlanta, Ted Turner et Reese Schonfeld fondent une chaîne de télévision par câble consacrée à l’information. Ils la baptisent tout simplement Cable News Network. Elle s’illustre en diffusant en direct l’accident de la navette spatiale Challenger. Cet épisode révolutionne la couverture de l’information. Désormais, la priorité est donnée au direct et non plus au résumé de l’actualité du jour dans des journaux télévisés de fin de journée. CNN s’est fait un nom, et des imitateurs.

 

Dès 1985, en créant CNN International, Ted Turner ne se limite plus au câble et aux États-Unis et, grâce au satellite, élargit son audience au reste du monde. Cette position alors unique lui donne un quasi-monopole pour rendre compte en temps réel de la chute du mur de Berlin en 1989 et, l’année suivante des conséquences de l’invasion du Koweït par l’Irak, notamment la guerre du Golfe couverte non seulement de Washington, mais avec deux reporters commentant les bombardements en direct de Bagdad. Selon la prédiction de Marshall McLuhan, le monde est véritablement devenu un village et CNN y est pour beaucoup.

 

La faute du CSA

 

Sous son influence, dans les médias audiovisuels d’une grande partie du monde, la priorité au direct est devenue un mantra. Aux États-Unis même, mais aussi dans le monde arabe (Aljazeera, notamment) et ailleurs, des concurrents s’engouffrent dans la brèche ouverte par Ted Turner. En France, c’est LCI (La Chaîne Info), lancée en 1994 par le groupe TF1. Priorité est donnée aux reportages et à l’approfondissement des sujets. Contrairement aux chaînes généralistes, LCI a du temps d’antenne à revendre pour les spécialistes, souvent inconnus, mais très compétents, qui viennent pour la première fois décrypter leur domaine d’expertise à la télévision. BFM et iTélé s’y mettent à leur tour. Mais ces trois chaînes d’information, en compétition pour le scoop et l’audience le sont aussi pour la publicité. Or, le marché publicitaire français n’est pas extensible. La coexistence des trois chaînes chassant sur le même terrain compromet leur viabilité.

 

C’est là qu’intervient le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) qui, au moment de l’ouverture des fréquences de la TNT gratuite, conditionne en 2014 le renouvellement de l’autorisation de LCI, jusque-là une chaîne payante, à son abandon du format tout info. Le groupe TF1 s’exécute et donne désormais la priorité aux débats délaissant les reportages qui sont au contraire la marque de fabrique d’iTélé et de BFM. Cela fait l’affaire du groupe TF1 : LCI connaissait alors des difficultés financières. La nouvelle formule lui permet à moindre coût de se maintenir.

 

Chacun se surveillant et se copiant, sans renoncer aux reportages, BFM et iTélé alimentent également leur temps d’antenne en invitant des experts et en organisant des débats, ce qui allège leurs dépenses. Lorsque le groupe Bolloré rachète Canal+ et les chaînes associées, dont iTélé, la purge de l’équipe rédactionnelle de cette dernière se traduit par un renouvellement presque total des équipes œuvrant au sein de la chaîne, rebaptisée CNews, comme le journal gratuit qu’éditait jusqu’alors Bolloré. Désormais, il n’y a presque plus de reportages sur cette chaîne consacré à des tables rondes autour d’animateurs-maison. Parallèlement, le contenu diffusé est de plus en plus marqué à droite, et bientôt à l’extrême-droite, notamment autour de la personnalité d’Éric Zemmour, futur fondateur de Reconquête et candidat à la présidentielle. Le rachat d’iTélé par Bolloré et la brutale réorganisation de la rédaction s’était traduite par une chute d’audience, mais progressivement, le choix de sujets polémiques et la culture du « clash » entretenue par les dirigeants de CNews commencent à payer. Ce regain d’audience n’échappe ni à BFM, ni à LCI qui, à leur tour, commencent à délaisser l’explication pour privilégier l’éditorial, ne reculant pas devant les polémiques, quand ces dernières ne sont pas expressément recherchées. L’islam, l’immigration, la criminalité s’avèrent porteurs d’audience, soit !

 

Le format « tout-débat », qui a pris la suite du format « tout-info » est en effet infiniment plus économique que les reportages de terrain. Les invités, experts ou responsables politiques, ne se font pas prier pour venir partager leur savoir et leurs opinions gratuitement. Et lorsque l’actualité le requiert (Covid-19, guerre en Ukraine, etc.), les chaînes s’attachent pour quelques mois l’exclusivité de certains de ces intervenants, devenus « consultants », contre rémunération.

 

L’invasion des « toutologues »

 

Avec les experts, cela avait plutôt bien commencé. Les journaux télévisés n’avaient pas l’espace nécessaire dans le temps contraint qui leur était imparti. Au contraire, les chaînes d’info continue ont de nombreuses plages horaires à mettre à leur disposition et font très largement appel au savoir de spécialistes dans les domaines les plus variés qu’impose l’actualité. Les responsables éditoriaux des différentes chaînes surveillent chez les concurrentes quels sont les « bons clients », autrement dit les intervenants qui sont facilement disponibles pour intervenir si on les appelle et qui s’expriment bien à l’antenne.

 

Jusque-là, tout va bien. Le problème est que l’on a commencé à demander aux spécialistes d’un sujet sur lequel ils sont incontestablement qualifiés leur avis sur des questions ne relevant pas de leur compétence. Certains ont, par rigueur intellectuelle, refusé de s’engager sur ce terrain. La vérité oblige à dire que beaucoup n’ont pas eu ces scrupules et, flattés que l’on demande leur opinion, se sont empressés de la donner. Pour peu qu’ils s’expriment bien et ne disent pas trop de bêtises, cela convenait aux rédactions. Le pli était pris, pour le meilleur (rarement) mais surtout pour le pire. Et l’on a vu ces experts, mus par un ego mal placé, sortir de leur domaine d’expertise avec gourmandise sans que cela leur pose le moindre problème et des présentateurs et responsables de rédaction renier sans vergogne leur déontologie professionnelle, parce que c’était pratique et que « tout le monde fait ça », ce qui malheureusement est de moins en moins faux.

 

Entre la fierté de passer à la télé, l’orgueil d’être interrogé sur tous les sujets, et pour un certain nombre d’entre eux, la satisfaction d’être rémunérés pour cela, on a vu émerger une caste, non plus d’experts, mais de « toutologues », comme nombre de journalistes qualifient avec mépris ces intervenants qui ont un avis sur tout, incapables de prononcer les mots « je ne sais pas ». Pour ces médecins, généraux à la retraite, universitaires, anciens journalistes, le piège s’est refermé : comment, après y avoir goûté, renoncer à ces avantages ? Ils sont aspirés par le système comme un estivant imprudent par des baïnes. On a vu certains « experts » se lamenter publiquement qu’ils n’étaient plus appelés sur la chaîne où ils avaient précédemment leur rond de serviette.

 

Le couple toxique chaînes d’info-réseaux sociaux

 

Une autre caste d’intervenants, complémentaire de la précédente, s’est dernièrement imposée sur les plateaux télévisés des chaînes d’info : de jeunes éditorialistes, réactionnaires pour la plupart, à qui l’on offre une exposition aux meilleurs heures d’écoute pour vendre à la fois leurs idées et leur journal. Réactionnaires, car on ne voit guère l’équivalent dans les autres secteurs de la vie politique et intellectuelle. Le poids du groupe médiatique de Vincent Bolloré, qui regroupe désormais non seulement CNews mais aussi Paris-Match et Europe 1, influence considérablement ses rivaux de LCI et BFM. Dans une large mesure, ces trois chaînes partagent une partie des invités, et des thèmes dont le « la » est souvent donné, à l’origine, par les médias bolloréens à partir du triptyque déjà mentionné islam-immigration-criminalité.

 

Au fil du temps, un couple toxique, mais redoutablement efficace, s’est noué entre les chaînes d’info et les réseaux sociaux : Tik-Tok, Facebook, mais surtout X (ex-Twitter), en particulier depuis le rachat de Twitter par Elon Musk. Un sujet clivant est abordé en matinale, un extrait de quelques dizaines de secondes est diffusé sur les réseaux sociaux, suscitant une amplification de la polémique initiale, et à son tour, ce « clash » sur les réseaux sociaux devient un sujet à part entière traité par les intervenants présents sur les plateaux du média qui en est à l’origine. La boucle est bouclée. Jamais auparavant les bulles médiatiques, déclenchées de façon délibéré par le choix de quelques-uns, n’ont été aussi perverses, s’entretenant largement par auto-allumage.

 

Cet engrenage pernicieux n’était peut-être pas inévitable, mais qu’importe, il s’est produit et c’est son résultat, peut-être pas encore définitif, qui s’impose à nous aujourd’hui.

 

Lorsque les chaînes d’information ont fait leur apparition, j’en ai été un chaud partisan. J’ai passé des jours et des nuits devant CNN à suivre les événements en Irak et ailleurs en 1990-1991 et par la suite. Lorsque LCI a été créée, je l’ai accompagnée, en tant que téléspectateur, pendant de nombreuses années. D’abord et pendant longtemps avec beaucoup d’intérêt et, depuis quelques années, avec un désenchantement constant. Il m’arrive de faire des incursions sur BFM et même sur CNews. En ce dernier cas, je ne suis jamais déçu car je n’en attends rien, mais je suis quand même parfois surpris par l’intensité des obsessions autour de l’islam et de l’immigration qui, à des degrés divers, ont également contaminé les autres chaînes.

 

Certains intervenants sont intéressants, mais les débats sont pratiquement inexistants. Par confort – ou paresse – intellectuelle, on met face-à-face, ou plutôt côte à côte, des intervenants qui sont presque d’accord sur tout et, plus important encore, on s’abstient soigneusement de les mettre en présence d’un expert qui serait d’un avis divergent. Lorsque, par extraordinaire, cela arrive, soit il s’agit d’un traquenard auquel prennent part tous les autres (CNews s’en est fait une spécialité), soit il s’agit d’une malencontreuse initiative de l’assistant qui cherche à renouveler le carnet d’adresse des invités et l’on peut être sûr que l’intrus ne sera plus jamais appelé.

 

De tout cela, il ne résulte que pauvreté en information : lorsque l’exercice se limite à entretenir des polémiques et organiser les commentaires sur ces dernières, il devient difficile de parler même d’information et à plus forte raison de journalisme. Quand le débat est restreint à un cercle de gens que ne séparent que d’infimes nuances tout en tenant à l’écart des experts qualifié qui ne s’inscrivent pas dans le consensus rédactionnel décidé par la direction de la chaîne, ce débat n’en est plus un et ne sert pas la démocratie.

 

C’est pourquoi, près de quarante ans après l’émergence des premières chaînes d’information continue qui avaient suscité mon admiration et mon adhésion, je suis désormais convaincu que ces mêmes chaînes, pour la plupart – je veux croire qu’il existe des exceptions ! – nuisent aujourd’hui à la fois à l’information qu’elles prétendent diffuser et à la démocratie qu’elles devraient servir.

 

 

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !

Publicité
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 089 377
Publicité