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Paroles d'Actu
21 janvier 2024

Françoise Hardy : « Ma plus grande fierté, c'est Thomas : pas seulement ce qu'il fait, mais ce qu'il est »

Françoise Hardy a eu quatre-vingts ans le 17 janvier. Lorsque je songe à elle, presque systématiquement, il y a un titre, une vidéo, parfaits tous les deux, qui me viennent à l’esprit :

 

 

Mon amie la rose. Une pépite, cette chanson. Avis personnel : une des plus belles de tout le répertoire français. Tout est dedans, l’air de rien. Les balbutiements, à la rosée du matin. La vanité de la jeunesse triomphante. Le constat impuissant du vieillissement. Le déclin, jusqu’à la chute finale, définitive. Le retour à la terre / au créateur. Et, imperceptible, quelque chose qui renaît, un cycle qui continue. La lune cette nuit / A veillé mon amie / Moi en rêve j'ai vu / Éblouissante et nue / Son âme qui dansait / Bien au-delà des nues / Et qui me souriait. Je veux ici rendre hommage à son auteure, Cécile Caulier, sans doute trop injustement méconnue. Et saluer, avec émotion, Françoise Hardy, qui fit sienne et porta, de sa voix reconnaissable entre mille, et de sa sensibilité mélancolique, ce titre de 1964. C’était il y a soixante ans.

 

 

J’ai absolument voulu pouvoir adresser un petit message mail à Françoise Hardy le jour de ses quatre-vingts ans. Des planètes bienveillantes s’étant alignées, j’ai pu le faire, lui exprimer ma sympathie pour sa personne, mon respect pour son oeuvre. Parmi les morceaux cités, forcément Mon amie la rose. Message personnel, une incontournable qu’elle a coécrite avec Michel Berger. La reprise charmante de Puisque vous partez en voyage qu’elle fit en duo avec Jacques Dutronc au tout début des années 2000. L’amitié, une des plus belles chansons qui aient été écrites sur le thème, avec Les copains d’abord de Brassens. La question, un texte d’une grande finesse, qu’elle a signé. La touchante Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin, de sa plume, paroles et musique (tout comme pour une autre incontournable, Tous les garçons et les filles). Tant de belles choses, le message bouleversant d’une mère au fils dont elle se prépare à "lâcher (la) main" - ce texte de 2004 est encore d’elle. Que chacun l’ait en tête, une fois pour toutes : Françoise Hardy, c’est une interprète superbe (une des rares, parmi nos contemporains en France, à être connue et respectée en-dehors des zones francophones) ; c’est aussi une grande auteure, sensible et passionnée.

 

 

Dans mon mail, je lui ai glissé aussi, sans trop y croire, que j’aimerais beaucoup l’interviewer. Dès le lendemain, j’avais une réponse encourageante. La nuit suivante, mes questions étaient écrites, envoyées. Et le 20 janvier vers midi, ses réponses, précises, généreuses, désarmantes de sincérité, m’étaient transmises. Je veux, ici encore, la remercier chaleureusement pour l’élégance dont elle a fait preuve à mon égard. Et lui envoyer mes meilleures pensées en ce début 2024. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Françoise Hardy : « Ma plus grande

fierté, cest Thomas, pas seulement

ce quil fait, mais ce quil est... »

Françoise Hardy 1

Crédit photo : Jean-Marie Périer. Photo fournie par F. Hardy.

 

Françoise Hardy bonjour, je suis heureux de pouvoir avoir cet échange avec vous. Vous avez arrêté très tôt, dès la fin des années 60, la scène, les concerts. Vous l’avez fait pour des raisons mûrement réfléchies, vous vous y êtes tenue. Quand on pense à l’énergie partagée, à cette espèce de communion qui peuvent se créer entre un artiste et son public, vous vous dites quoi, que ça n’est décidément pas votre truc, ou bien que parfois, notamment quand vous songez à Jacques et Thomas ensemble, vous auriez pu aimer y retourner ? Est-ce qu’il y a pour vous, dans votre ressenti à vous, le mot est fort mais, quelque chose d’impudique à se donner sur scène ?

Il n’y a pas eu de raisons mûrement réfléchies. J’ai arrêté tout simplement parce que je n’étais pas une chanteuse de scène. Ma voix n’avait qu’une petite tessiture, j’étais souvent enrouée et je ne pouvais pas m’y fier. Je ne savais pas chanter en mesure, je devais compter quand je chantais. Je ne savais pas bouger non plus et j’avais trop le trac, ce qui parfois me donnait des trous de mémoire. Et puis je détestais la vie itinérante qui empêche d’avoir une vie privée à peu près normale. Et si on espère avoir un enfant, ce qui était mon cas, on doit être chez soi presque tout le temps. Il faut aimer être sur scène pour en faire. Rien d’impudique à ce sujet. Mais les grand artistes de scène comme Johnny Hallyday, Jacques Brel, Barbara, et plusieurs autres sont rares.

 

Est-ce que vous avez aimé l’exercer ce métier finalement ? Libre, authentique, comme on vous connaît, c’est le plaisir avant tout qui vous y a guidée ? Avez-vous songé à ce que vous auriez aimé faire, à là où vous vous seriez vue si vous n’aviez pas été chanteuse et auteure, ou si vous aviez arrêté de l’être ?

Mon rêve avait été de faire un disque avec les chansonnettes que je composais, pas terribles au début mais qui se sont améliorées par la suite. La chanson était une passion pour moi. Je n’ai jamais été guidée par le plaisir mais par la passion. J’adorais être en studio d’enregistrement, là où les chansons et les albums voient le jour. Impossible de savoir ce que j’aurais fait si ça n’avait pas marché. J’aurais poursuivi mes études sans doute. Mais comment savoir sur quoi elles auraient débouché  ?

 

 

Nous parlions d’impudeur tout à l’heure, et je sais que cette question touchera un peu à cela : avez-vous le sentiment d’avoir traversé, avec Jacques Dutronc, toutes les couleurs de l’amour, le clair et l’obscur, de la passion jusqu’à l’amour-amitié qui vous lie aujourd’hui, en passant par les turbulences, les souffrances, les absences ? Tout bien pesé, ce que vous avez vécu, vous le souhaitez à la jeune fille qui nous lirait ?

Comment voulez-vous que je souhaite ce que j’ai vécu de globalement éprouvant à quelqu’un d’autre ? En même temps, ce sont toutes mes frustrations qui m’ont inspiré la majorité de mes chansons. Et quelqu’un comme Jacques valait la peine. Une jeune fille doit travailler sur son discernement pour ne pas tomber dans les bras du premier venu. Sur ce plan-là, j’ai eu la chance d’avoir assez de discernement.

 

 

Dans une interview de la fin des années 80 vous rendiez hommage à Véronique Sanson et à sa sublime chanson Mortelles pensées, dans laquelle elle mettait à nu, tout en retenue mais à coeur ouvert, sa culpabilité vis-à-vis de Michel Berger. Exprimer par des chansons ce qu’on n’ose ou qu’on ne peut pas forcément dire plus directement à la personne aimée, vous l’avez fait vous aussi : là encore, c’est se faire violence, aller contre une pudeur naturelle ?

Je vous rappelle que dans Mortelles pensées, il y a ce passage  : Lui, qui m’a dit d’un ton vainqueur / Qu’il n’y avait plus de doute ni de douleur / Dans ma musique, ni dans mon cœur/ Je le tuerais d’avoir pensé ça / Et s’il y a des choses qu’il ignore / Il n’a qu’à m’écouter plus fort. Faire des chansons inspirées par les épreuves amoureuses, c’est sublimer celles-ci, mais pour ça, il faut avoir un don, autrement dit du talent. Quand je suis allée auditionner, j’ignorais si j’en avais ou non.

 

 

Quand vous considérez Thomas votre fils, l’artiste qui a trouvé sa voie et qui y prend du plaisir, l’homme accompli qu’il est devenu, vous vous dites que c’est là votre plus grande fierté ? Quelles chansons de lui auriez-vous envie de nous faire découvrir ?

Ma plus grande fierté, c’est en effet Thomas lui-même, pas seulement ce qu’il fait, mais ce qu’il est. J’aime toutes ses chansons mais j’ai une préférence pour Sésame, ainsi que pour Viens dans mon ile dont le dernier couplet me met les larmes aux yeux, j’ai aussi un faible pour À la vanille, J’me fous de tout, et plusieurs autres. Mention spéciale pour Le blues du rose de Francis Cabrel.

 

 

Tant de belles choses, c’est un texte sublime, le vôtre, celui d’une femme qui rassure le fils dont elle s’apprête à "lâcher la main". Une promesse de lendemains meilleurs aussi. Êtes-vous en dépit de tout une optimiste Françoise Hardy ? Quelles sont-elles au fond toutes ces "belles choses" qui, au quotidien, vous donnent à penser que le pire n’est peut-être pas certain ?

Je ne suis pas optimiste mais réaliste. Après une grosse épreuve, d’autres circonstances, rencontres, évènements intéressants arrivent toujours qui font reprendre goût à la vie.

 

 

Quelles sont, s’il faut choisir parmi toutes, les chansons que vous êtes fière d’avoir chantées, et celles que vous êtes fière d’avoir écrites, pour vous et pour d’autres ?

Impossible de choisir, il y en a trop que j’aime beaucoup et je suis même étonnée d’avoir pu les écrire.

 

Il y a eu dans le temps un débat célèbre entre Serge Gainsbourg et Guy Béart à propos de la chanson, art "mineur" ou "majeur", selon les points de vue. Est-ce qu’à votre avis une chanson peut se suffire à elle-même, être lue à tête reposée, comme une poésie, et seriez-vous favorable à ce qu’un recueil des vôtres soit édité par qui voudrait les présenter aux yeux des lecteurs ?

Personnellement, en dehors de quelques vers de Charles Baudelaire, Alfred de Musset, Victor Hugo, la poésie m’a toujours ennuyée. Un art majeur requiert une initiation, alors qu’un art mineur n’en requiert aucune. J’en suis un bon exemple puisque j’ai fait des chansons sans connaître la musique, sans savoir l’écrire. Mais il peut y avoir des chefs d’oeuvre dans un art mineur et beaucoup de choses médiocres dans un art majeur. C’est Serge qui m’avait appris ça et il s’était amusé à faire mousser Guy Béart qui, comme la plupart des gens, croyait à tort qu’art majeur et art mineur concernent la qualité ou la médiocrité de l’art en question, alors que cela informe juste sur la nature de cet art. À la demande de mon éditeur, j’ai écrit tout un recueil (sorti en 2019, je crois) de mes textes écrits, avec mes commentaires (Chansons pour toi et nous).

 

Qu’aimeriez-vous, si vous aviez un avis à donner là-dessus, qu’on dise de vous après vous, Françoise Hardy ? Peut-être me répondrez-vous que vous vous fichez bien de ce qu’on pourra écrire sur vous ?

Un éditeur m’avait harcelée pendant trois ans pour que j’écrive mon autobiographie ce dont je n’avais pas la moindre envie. Mais quand il m’a finalement fait valoir que lorsque je ne serais plus là, des biographies bourrées de choses fausses sortiraient, j’avais été convaincue et attaqué tout de suite mon autobiographie  : Le désespoir des singes... et autres bagatelles. Je ne regrette pas qu’elle existe car plusieurs livres sont déjà sortis sur moi qui sont tous truffés d’erreurs d’appréciation sur ma personne ou de choses fausses sur ma vie.

 

Le désespoir des singes

 

Quand vous regardez derrière, votre trajectoire d’artiste et surtout de vie, le chemin parcouru sur quatre fois vingt ans, vous vous dites quoi : contente, si c’était à refaire je referais tout pareil ? À la petite Françoise retrouvée au début des années 50 votre conseil ce serait quoi, "Accroche-toi malgré tout, crois à ton étoile et ça ira" ?

Je ne me dis rien du tout car je n’y pense pas et je crois par ailleurs qu’un enfant a besoin avant tout qu’on l’aime et qu’on l’éduque. Il aurait été très inopportun de dire à la petite Françoise des années 50 de s’accrocher et de croire à son étoile. Elle n’aurait pas compris de quoi il s’agissait et ça l’aurait inutilement perturbée.

 

Tenez-vous la déshumanisation des rapports entre les hommes pour le fléau de notre temps ? Quels souhaits voudriez-vous adresser à vos contemporains, pour 2024 et pour la suite ?

Les fléaux de notre époque ont toujours existé  : ce sont l’ignorance et le manque de discernement. Mais les catastrophes climatiques qui vont s’aggraver de plus en plus et durer longtemps, l’avenir de la planète, tout ça fait peur et je m’inquiète non seulement pour mon fils mais pour tous les enfants, tous mes amis, tout le monde finalement... Je pense aussi qu’il est insupportable que des religions telles que l’Islam radical puissent encore sévir et, comme les Talibans en Afghanistan, empêcher les femmes de vivre. Il est insupportable par ailleurs qu’il existe encore des dictateurs tels que Poutine, Xi Jinping et ce dirigeant de la Corée du Nord qui provoquent des guerres inqualifiables...

 

 

Nous sommes très, très nombreux, anonymes ou non, à avoir eu pour vous à l’occasion de votre anniversaire une pensée chaleureuse, tendre. Que peut-on vous souhaiter, chère Françoise Hardy ?

Eh bien quand mon heure viendra, que moi qui ai eu tellement de souffrances physiques depuis 2015, je puisse partir vite et sans trop de souffrances.

 

Mais le plaisir, l’envie d’écrire des textes, vous les avez toujours ?

Non, car je n’ai jamais pu écrire qu’à partir d’une belle mélodie, mais même si on m’en envoyait une, je n’en aurais pas la force. Je suis dans un état inimaginable de faiblesse.

 

Interview datée des 19 et 20 janvier 2024.

 

Françoise Hardy 2

Crédit photo : Jean-Marie Périer. Photo fournie par F. Hardy.

 

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Commentaires
A
Tellement pertinent et touchant 🫶
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M
Ici du Portugal, Je vous dis que j’ai trouvé cette interview très interéssante. Merci de la partager avec nous.
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F
Bravo Nico ! Ton interview est mille fois plus intéressante que celle du Parisien. Les réponses de Françoise sont touchantes et d'une rare intelligence. Très content pour toi.
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