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Paroles d'Actu
politique
17 janvier 2019

« Président, voici ma réponse ! », par François Delpla (Grand Débat)

Avec sa Lettre aux Français diffusée massivement depuis le 13 janvier, le président Emmanuel Macron, mis en grande difficulté avec l’exécutif qu’il dirige et, dans une certaine mesure, l’ensemble de la classe politique traditionnelle, par la crise dite des "gilets jaunes", entend reprend la main et l’initiative. En proposant d’ouvrir en grand (premier débat ?) les fenêtres de la discussion, il espère apaiser les colères et miser sur les aspirations populaires à la (re)prise de parole, tant et tant exprimées ces dernières semaines, sur les ronds-points et ailleurs. Qu’adviendra-t-il des conclusions de ce "grand débat national" ? L’exercice est à peu près inédit, faut-il par soupçon le crucifier avant même de lui avoir donné sa chance ? À l’évidence, non. J’ai proposé à François Delpla, historien spécialiste du nazisme, citoyen engagé, et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer sa réponse au président de la République et, surtout, ses réponses aux questions proposées. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D’ACTU

« Président, voici ma réponse ! »

GRAND DÉBAT NATIONAL

 

Le premier sujet porte sur nos impôts,

nos dépenses et l’action publique...

 

"(...) Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les travailleurs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin. Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?"

1°) On convient en général que ce paragraphe exclut du "grand débat national" toute remise en cause de la suppression de l’ISF et des ordonnances sur le travail. Or il est singulier de placer ces dernières dans la rubrique "impôts" ! Cela porte un nom : la contrebande. Et mérite une explication : on n’aura pas trouvé, pour caser cet interdit, d’endroit plus adapté.

2°) Même si une majorité parlementaire servile s’est laissé, dans l’été 2017, dessaisir de ses prérogatives, il est singulier de prétendre que des mesures prises par ordonnance ont été votées. Une faute de frappe pour "volées" ?

3°) Il devient envisageable ou du moins il n’est pas interdit, même par ce dirigeant très imbu de lui-même, d’assortir les cadeaux faits aux riches et aux entreprises de conditions en matière d’emploi, ce à quoi s’étaient obstinément refusés le président Hollande et son conseiller économique, aux initiales identiques à celles de l’expression "en marche".

4°) Des mesures aux effets désastreux, reposant sur des analyses tendancieuses, contestées dès l’origine par des économistes compétents, ne doivent surtout pas être remises en question, du moins avant un "recul indispensable". La Liberté inscrite au fronton de nos mairies exige qu’on les laisse produire tous leurs dégâts. Leurs responsables sont, dans l’intervalle, dispensés de toute argumentation.

5°) La discussion sur la fiscalité se voit canalisée dans un sens unique : les citoyens sont invités à proposer des baisses et non des hausses d’impôts, pour quelque catégorie de contribuables que ce soit. Le fait d’engager plus de moyens, en personnel comme en démarches diplomatiques, dans la traque des fraudeurs fiscaux et le démantèlement de leurs paradis ne fait pas non plus partie des options proposées.
Cependant, un rééquilibrage entre l’impôt indirect, payé également par tous, et l’impôt direct, modulable en fonction des revenus, n’est pas frappé d’interdit : oubli, ou imprudente glissade vers plus de justice ?

 

Le deuxième sujet (...), c’est l’organisation

de l’État et des collectivités publiques.

 

"Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux" : précieux aveu du continuateur de Sarkozy et de Hollande... conseillé par Macron -un homonyme sans doute -, dans la baisse du nombre des fonctionnaires, au nom d’une logique comptable et sans la moindre étude prévisionnelle de ses effets. Comme devait être homonyme celui qui déplorait que la politique sociale coûtât "un pognon de dingue", et faisait fièrement fuiter vers les réseaux sociaux un enregistrement où il le disait.

Dans les solutions suggérées, on n’est pas trop surpris de ne pas trouver un mot sur le nombre des fonctionnaires, et de lire seulement de vagues considérations sur l’organisation de l’État.

 

La transition écologique est le troisième thème.

 

"Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses."

Quel aveu encore ! Ici, l’auteur ne cherche même pas à donner le change sur la politique déjà menée. En écrivant comme s’il partait de zéro, il donne raison à Nicolas Hulot d’avoir démissionné et ne prétend même pas que son successeur Rugy ait entrepris la moindre action.

S’agissant de l’avenir, les "solutions concrètes" se bornent au remplacement des vieilles voitures et des chaudières anciennes : on croirait lire les annonces faites en catastrophe par Édouard Philippe à quelques jours du premier samedi des Gilets, dans l’espoir d’étouffer le mouvement dans l’oeuf.

Puis il est question des "solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir" afin d’"accélérer notre transition environnementale". Le grand absent ici est l’aménagement du territoire, tant français que mondial, pour redéployer l’activité au plus près des habitants. Une question jusqu’ici ignorée des conférences internationales sur le climat. Dame, si les multinationales ne sont plus libres d’investir où cela leur chante, où va-t-on ? En attendant, ce sont les oiseaux qui chantent de moins en moins.

 

La lorgnette n’est toujours pas dirigée du bon côté lorsqu’on lit :

"Comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous devons faire [à l’égard de la biodiversité] ? Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et international pour que nos agriculteurs et nos industriels ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?"

Ce n’est pas trop tôt pour parler de l’Europe ! Hélas, elle n’est mentionnée que pour absoudre les reculades françaises, par exemple sur l’interdiction du glyphosate ou le contrôle des OGM, en suggérant que, sans des accords internationaux, on ne peut rien faire.

 

Enfin, il (...) nous faut redonner plus de force

à la démocratie et la citoyenneté.

("à la démocratie et la citoyenneté" : quel niveau de français !)

 

"Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représentation est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des élections."

Ici, le problème n’est pas trop mal posé. Quant aux solutions suggérées, il est à noter qu’elles ont peu à voir avec une certaine réforme constitutionnelle, que le scribe était sur le point de faire prévaloir à grandes enjambées de ses "godillots", quand l’affaire Benalla (que rien n’évoque ici, de près ni de loin) l’a obligé à colmater d’autres brèches. À peine retrouve-t-on son dada de la réduction du nombre des députés.

Les limites imposées au débat n’en sont pas moins sévères. Rien n’est dit du pouvoir présidentiel ni, à plus forte raison, du numéro de la République, alors même que, si certaines des mesures évoquées entraient en vigueur, elles justifieraient qu’on l’appelât Sixième. Il manque aussi le référendum révocatoire, permettant d’écourter le mandat des élus incompétents ou, par rapport à leurs engagements de campagne, excessivement amnésiques. On cherche tout aussi vainement une mention du lobbyisme des intérêts privés auprès des élus, que ce soit par la corruption (un mot absent) ou par la désinformation. Et surtout, peut-être, l’effort annoncé pour "rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative" ignore entièrement la question du rééquilibrage entre la logique nationale ou "jacobine" et la prise en main de leurs affaires par les habitants.

Comme est ignoré le droit de manifestation, si utile pour parer aux abus gouvernementaux. J’ajouterai donc aux suggestions de ce point quatrième, et censément dernier, un modeste codicille :

Souhaitez-vous que, pour que force reste à la loi, la police mette en garde à vue les porteurs d’un vêtement que la loi rend obligatoire, et leur tire dessus sans sommation avec des armes en principe non létales, sauf regrettable malchance ?

 

C’est alors que l’immigration s’invite...

(et que, par une inflation semblable à celle des mousquetaires de Dumas, les quatre questions se retrouvent cinq)

 

"La citoyenneté, c’est aussi le fait de vivre ensemble. Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les persécutions et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le droit d’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration.

Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation ? En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?"

Le fossoyeur du plan Borloo ne manque pas de toupet. Car ce travail était déjà un "grand débat national", d’un meilleur aloi que celui qui s’annonce. Il regroupait, autour de l’ex-ministre, des maires de toutes tendances à la tête d’agglomérations de toutes sortes, pour accoucher de propositions tendant à une meilleure intégration, justement. La crise des banlieues n’est d’ailleurs évoquée ici qu’en filigrane.

Une politique de quotas ? Le projet en avait été esquissé par Sarkozy, dans le sens d’un écrémage des compétences du Tiers-Monde pour compléter celles qui manquaient à la France. C’est évidemment l’inverse qu’il faut faire... et que n’induisent pas les questions. Souhaitons que des suggestions intelligentes sur le développement économique des pays d’émigration éclipsent les considérations oiseuses que ne manqueront pas de nourrir les approches proposées.

 

La laïcité, raccordée de façon malsaine à l’immigration, ferme la marche :

"La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants débats. La laïcité est la valeur primordiale pour que puissent vivre ensemble, en bonne intelligence et harmonie, des convictions différentes, religieuses ou philosophiques. Elle est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix. Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs intangibles de la République ?"

Les valeurs de la République seront mieux gardées, avant tout, quand les autorités seront plus républicaines, les pouvoirs mieux séparés, les puissants punis à l’égal des gueux, et surtout quand le locataire de l’Elysée, soit par un changement de personne, soit par une conversion radicale de celui qui est en place, sera enfin conscient de ses devoirs envers tous, y compris sur le plan de la correction verbale. N’a-t-il pas, dans les jours mêmes où il rédigeait ce texte, trouvé encore le moyen de mettre en doute le "sens de l’effort" de "beaucoup trop de Français" ? Et dès le début de sa tournée de propagande, le 15 janvier, appelé à rendre "responsables" les pauvres "qui déconnent" ? 

En matière d’efforts, il lui reste, à lui, beaucoup à faire, et sa capacité dans ce domaine n’est pas encore démontrée.

François Delpla, le 15 janvier 2019.

 

François Delpla 2019

François Delpla (2014, photo : Paolo Verzone).

 

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12 mai 2018

« Macron, simple exécutant ? », par Henri Temple

Emmanuel Macron est aux affaires depuis un an. Quel bilan tirer de cette première année ? Qu’en penser, d’après telle ou telle grille de lecture ? Après Philippe Tarillon, ex-maire PS de Florange, j’ai demandé à Henri Temple, avocat et juriste spécialiste du droit économique, universitaire et citoyen engagé (il fut jusqu’à très récemment un haut cadre du mouvement Debout la France) d’évoquer pour Paroles d’Actu cette actualité, et de nous dire en quoi sa philosophie politique se distingue de celle portée par le Président. Il y a deux ans, M. Temple s’était déjà prêté, sur ma proposition, au jeu d’un article pour notre blog, à propos de questions constitutionnelles. Tout un programme... là encore, toujours amplement d’actualité... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Macron FR EU

E. Macron, président de la République. Source de la photographie : RFI.

 

« Macron, simple exécutant ? »

Par Henri Temple, universitaire et avocat.

Texte daté du 8 mai 2018.

 

Un an après son élection-surprise que reste-t-il d’Emmanuel Macron ?

Rien qu’on ne sache déjà depuis la mise en place du monde multilatéral et pyramidal post Maastricht/Marrakech. Il ne s’agit pas, ici, de dresser un simple catalogue et une appréciation de ce qui a été fait depuis un an, mais plutôt de se demander ce qui n’a pas été - et ne sera pas - fait pour sauver la France d’un profond déclin, voire de sa déchéance.

Emmanuel Macron est, à plus d’un titre, une personnalité étrange mais sans nul doute un habile calculateur. Pas si habile que cela toutefois, aidé qu’il fut par des adversaires lamentables qui lui ont offert une opportunité unique de s’imposer. On le créditera aussi - pour l’instant - d’un réel facteur chance et d’un talent rare de communiquant.

Il reste qu’il demeure, par nature, par carrière et par sa dépendance à ses soutiens, un exécutant qui ne voudra - ni d’ailleurs ne saurait - adopter les puissantes mesures de fond que les Français attendent, confusément, mais dans une immense frustration annonciatrice de colères sans frein.

 

Réforme démocratique. Alors que près de 60% des Français, écœurés, ne sont plus inscrits sur les listes électorales, ne vont plus voter, ou votent blanc ou nul, la grande urgence est de rétablir la République. Que leur dit le prochain projet de loi de réforme de la Constitution ? Des broutilles : interdiction aux ministres de cumuler leur poste avec des fonctions exécutives dans des collectivités territoriales. Ils seront donc plus disponibles et moins indépendants. Les anciens présidents de la République ne pourront plus siéger au Conseil constitutionnel... Modification du travail parlementaire. Un verrouillage en réalité : à l’avenir, seuls les projets et les propositions "justifiant un débat solennel" (sic) seront examinés. Les lois de finance seront votées plus vite... La Constitution va aussi fixer les principes fondamentaux de la loi en y inscrivant dorénavant la "lutte contre les changements climatiques". Réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats dans le temps et "dose de proportionnelle" (combien ?) aux législatives. Suppression de la
Cour de Justice de la République pour juger les ministres, avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations au parquet...Inscription de la Corse dans la Constitution...

 

« Il y a en France une caste de politiciens qui est hostile

à la vraie proportionnelle et au vrai référendum.

Et donc à la vraie démocratie... »

 

Or la seule vraie réforme que veulent vraiment les Français est celle de la voie référendaire. Leur actuelle anomie date de 2008 lorsque droite et gauche amalgamées au Congrès de Versailles avaient abrogé la Nation française en adoptant la réforme fédéraliste des institutions européennes que les Français avaient rejetée trois ans auparavant. Pour mieux abuser l’opinion publique on introduisit alors, dans la Constitution (article 11), un "référendum d’initiative partagée" avec des conditions de quorum telles (un dixième des parlementaires et... un dixième du corps électoral !) que depuis 10 ans ce mécanisme n’a jamais été obtenu, ni même tenté. Et ne le sera jamais. Or il y a en France une caste de politiciens qui est hostile à la vraie proportionnelle et au vrai référendum. Et donc à la vraie démocratie. Redoutant que cette vraie démocratie mette fin à leurs petites mais juteuses combines. Ainsi, ce qui est permis aux Suisses (1 à 2 référendum par an) et à d’autres nations est honni en France. La Suisse serait "petite" et la France trop grande pour cet exercice. Trop grande ? Ou trop abaissée...

La seule réforme constitutionnelle qui vaudrait serait de faire adopter (par référendum) l’abaissement de 1/10e à 1/20e le nombre des pétitionnaires pour inscrire dans le marbre le référendum d’initiative partagée.

 

Économie. La seule réforme que Macron ne fera jamais est la seule qui redonnerait sa substance industrielle et agricole à la France : un protectionnisme mesuré et de bon sens. Au lieu de se couvrir de ridicule (et nous couvrir de honte; voir les photos officielles de la Maison blanche) aux États-Unis, Emmanuel Macron a gâché la chance française et européenne de suivre le sillage du brise glace Trump. Les médias français (qui les possède financièrement ?) désinforment sans cesse nos concitoyens sur des sujets majeurs comme l’affaire de l’Ukraine et sur la politique économique américaine.

On en vient à infuser l’impression que Donald Trump serait une sot et/ou un fou qui dirige seul les États-Unis à coups de tweets... Or cette politique économique a un seul maître mot : la défense de l’intérêt américain. On aimerait que Emmanuel Macron s’en inspire. Comme on aurait aussi aimé que Chirac, Sarkozy, Hollande le fassent. Hélas. J’ai patiemment étudié la remarquable politique économique et fiscale du gouvernement Trump et me contenterai de renvoyer le lecteur à mes études de droit économique à ce sujet : Trump va-t-il détruire la mondialisation ? ; À Davos, Trump met fin au multilatéralisme absolu ; Le libre-échange, c’est la guerre commerciale ; Guerre commerciale : quand le monde s’éveillera, la Chine tremblera (Causeur).

 

Social. Toute notre société dépend de notre capacité à produire les richesses à partager; et donc à notre capacité de maintenir cette capacité. Quels que soient les moyens employés, la légitime défense est légitime, pourvu qu’elle reste proportionnée au péril.

Aussi toutes les questions d’équilibre budgétaire, de dette, d’impôts ou de CSG, de retraites, de santé, de salaires, d’école, d’armée, de moyens de la police et de la justice ne sont que des conséquences de cette cause première qui est l’affaiblissement continu de notre économie, causé par la sujétion à une Europe elle même auto-soumise à la mondialisation multilatérale.

 

Migrations. Terrorisme. Le débat public est, sur ce sujet, inhibé par la marge étroite que certains juges croient devoir lui laisser. Si le terme "immigration de masse" demeure encore impuni, ceux de "invasion migratoire" sont poursuivis. Et sont pénalement condamnés les propos affirmant que la France vit "depuis trente ans une invasion" et que "dans les innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées" se jouait une "lutte pour islamiser un territoire", "un djihad". Une cour d’appel vient d’estimer que ces deux passages "visaient les musulmans dans leur globalité et constituaient une exhortation implicite à la discrimination". En revanche, curieusement la cour n’a pas retenu trois autres passages d’une émission, pour lesquels un polémiste avait été condamné en première instance, pour avoir soutenu que "tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas" considèrent les jihadistes comme de "bons musulmans".  La cour d’appel a estimé que ces passages ne comportaient "pas d’exhortation, même implicite, à la provocation à la haine, telle que la nouvelle jurisprudence" l’impose. Car la Cour de cassation décide, depuis juin 2017, qu’une "incitation manifeste" ne suffit pas à caractériser le délit et qu’il faut désormais "pour entrer en voie de condamnation" que les propos relèvent d’un "appel" ou d’une "exhortation". Sur ces sujets voir nos recensions de deux livres essentiels : Une exploration clinique de l’islamComprendre l’islamisme (pour mieux le combattre) avec Taguieff (Causeur). Ces livres savants ne disent-ils pas des choses "interdites" ?

En pratique, en dépit de quelques gestes administratifs, d’ailleurs ambigus, Emmanuel Macron ne se démarque pas des politiques permissives de ses prédécesseurs.

 

Politique internationale. Au demeurant même s’il l’avait voulu s’en démarquer, Emmanuel Macron accepte de demeurer assujetti aux politiques européennes sur les migrations et, plus généralement, à la misérable politique étrangère de la Commission bruxelloise ; en tous cas nuisible aux intérêts de la France. S’il en a une, Emmanuel Macron n’exprime jamais sa vue d’ensemble géopolitique pour proposer des idées neuves. On dit d’Emmanuel Macron  qu’il mène une politique étrangère "dans la continuité", ce qui est censé rassurer, faire sérieux. Hélas, c’est-à-dire comme depuis 40 ans : ni lucidité ni anticipation, ni indépendance, ni leadership, ni habileté, ni saisie des opportunités.

Le Brexit aurait été, par exemple, une belle occasion pour repenser la construction européenne, y maintenir ainsi le Royaume-Uni, respecter les demandes des nations pré-dissidentes (les quatre du groupe de Višegrad : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie ; et désormais les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie) pour redonner confiance en l’Europe aux opinions publiques.

En Afrique en lutte pour la paix, la sécurité, le développement, Emmanuel Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a su entendre, au-delà des faits djihadistes, les appels des populations du nord Mali (une zone plus grande que France) à un respect culturel, économique, social et démocratique. La France avait pourtant toutes les cartes en main après sa victoire militaire. On maintient donc, depuis lors, tout l’Azawad dans les frustrations qui alimentent les rebellions.

 

« Pourquoi ne consacre-t-on jamais de moyens, dans le cadre

de la coopération et du développement, au co-développement

des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois

qui stabilisent les générations migrantes ? »

 

Le 8 février 2018, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a rendu publiques ses préconisations pour le développement économique de l’Afrique dont tout le monde proclame qu’il est indispensable à l’équilibre de notre partie du monde. Ce relevé de conclusions, c’est l’ancien monde calcifié : les priorités affirmées ce sont surtout, outre l’éducation, l’accord de Paris et l’égalité femmes/hommes. Les cadres politiques choisis pour ces actions sont Bruxelles, les structures multilatérales, les fondations. Un travail sans créativité. Beaucoup d’argent dépensé mais rien sur le co-dévelopement des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois qui stabilisent les générations migrantes. Parmi les pays bénéficiaires de nos impôts, il y a l’Éthiopie, la Gambie et le Liberia (du nouveau président-footeux George Weah), anglophones ; mais pas le Cameroun francophone, de la ligne de front contre Boko Haram.

En Europe et au Moyen-Orient, des mouvances politiques nouvelles se constituent : Russie-Turquie-Iran (accords d’Astana), face aux USA-Arabie-Israël. Des face-à-face militaires inédits (turco-américain, notamment) produisent chaque jour des renversements inopinés d’alliances ou d’hostilités.

La France est bien incapable de faire des choix audacieux. Souvenons-nous que François Mitterrand et Jacques Chirac avaient été incapables de prendre, en ex-Yougoslavie, des positions conformes à l’intérêt national. La France pourrait pourtant, en infléchissant la "stratégie" bruxelloise vis-à-vis de l’Ukraine, retourner la Russie et négocier avec les États-Unis pour proposer des solutions politiques innovantes et durables, en Ukraine et en Syrie. Neutralité, fédéralisation, démocratisation et paix en Ukraine. En Syrie/Irak, en finir avec les accords Sykes-Picot et créer enfin les conditions d’une paix ethnico-religieuse au Moyen-Orient.

Mais pour cela il eût fallu une philosophie politique d’une autre hauteur de vues et qui sache tenir compte des réalités et des aspirations humaines, des volontés de vivre (ou de ne pas) vivre ensemble que seules savent incarner les nations démocratiques. Pour un développement de ces analyses : La France n’a aucune stratégie géopolitique (Causeur).

 

Henri Temple

M. Temple interviendra lors d’une conférence-débat à l’Assemblée nationale le 24 mai prochain,

sur le thème : "Demain: quelle monnaie pour quel monde ?". Infos ici.

 

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5 mai 2017

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) », par François Durpaire

Voici deux ans qu’avec son acolyte Farid BoudjellalFrançois Durpaire se fait peur - peur communicative - à imaginer ce que serait la France d’après une hypothétique élection de Marine Le Pen à la présidence de la République. L’intrigue du premier tome de La Présidente (Les Arènes, 2015), le théâtre de lélément perturbateur qui déclenche tout, c’est donc cette élection de 2017, ce fameux scrutin qu’on est en train de vivre en direct, et en vrai.

Dans la réalité, il semblerait que la perspective d’une victoire de la présidente du Front national cette année s’éloigne, et sa (mauvaise) performance lors du débat d’entre deux tours n’a pas aidé à inverser cette tendance. C’est bien vers un succès du candidat dEn Marche, Emmanuel Macron, qu’on s’achemine désormais. Mais il sera le choix par défaut d’un grand nombre de ses électeurs de second tour et très vite, dès le 8 mai, la coalition fort hétérogène qui l’aura porté au pouvoir s’évaporera ; resteront dans la perspective des législatives du mois suivant de nombreuses inconnues, moult points à éclaircir et pierres d’achoppement et, s’agissant du président-élu, une charge écrasante, et une responsabilité singulière : écouter, entendre, comprendre.

J’ai souhaité interroger François Durpaire, que les téléspectateurs connaissent bien pour ses fréquentes interventions sur la politique américaine, sur quelques points essentiels dans la perspective de ce second tour. Nous nous sommes mis d’accord en ce sens au soir du 23 avril, première des grandes soirées électorales de cette année qui en comptera beaucoup. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à ma sollicitation. Il y a eu une interview en décembre, une autre en avril ; celle-ci se retrouve chapeautée dun titre qui sonne comme une mise en garde de la part de cet homme dengagements : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) ». Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

Macron Le Pen 

Source de l’illustration : ouest-france.fr

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre

(et pourquoi il ne faut pas le dire) »

par François Durpaire

Q. : 23/04/17 ; R. : 05/05/17.

 

Paroles d’Actu : Quels sentiments, quels enseignements les résultats de ce premier tour d’élection présidentielle vous inspirent-ils ?

François Durpaire : Je ne sais pas qui gagnera dimanche, mais je sais qui n’a pas perdu : ce scrutin a confirmé la poussée des idées du Front national. Avec 7 643 276 voix dès le premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 18 mille communes, 48 départements, 213 circonscriptions, et dans l’Outre-mer. Ne l’oublions pas quand nous analyserons les résultats du vote. Il y a des tendances qui relèvent du temps long : en six ans, Marine Le Pen a assuré au parti une progression continue.

 

PdA : Emmanuel Macron, inconnu il y a encore trois ans, a viré en tête de la présidentielle sans parti établi mais avec, disons, une bienveillance assez marquée de la part des médias. Dans quelle mesure le parallèle avec le Barack Obama de 2008 est-il pertinent ?

« On ne peut pas tout à fait comparer

Emmanuel Macron à Obama »

F.D. : Il y a la jeunesse et l’émergence soudaine qui peuvent faire penser à un « Obama français ». Mais l’enthousiasme autour du candidat n’est pas de la même nature qu’en 2008. L’origine de Barack Obama en a fait une élection historique. Ne l’oublions pas : si Emmanuel Macron gagne dimanche, il devra sa victoire à fois à son positionnement politique, qui aura facilité un bon report de voix entre les deux tours face à une candidate d’extrême droite, et à des concours de circonstances : élimination de la droite du fait de l’affaire Fillon et de la division de la gauche. Cela n’enlève en rien ses qualités personnelles, mais cela ne peut pas être comparé à Obama.

 

PdA : La présidentielle est l’élection mère en France. D’elle procède quasiment systématiquement l’élection législative, tenue un mois après, et il n’y a pas de scrutins midterms nationaux...

F.D. : Je pense comme vous que l’ordre des deux élections présidentialise notre régime, et subalternise notre Parlement. Et je le regrette.

 

PdA : Est-ce qu’à titre personnel vous ne trouvez pas gênant ce système du winner takes all qui fait qu’une qualification pour le deuxième tour, forcément à deux, puisse se jouer à quelques dizaines de milliers de voix ? Macron avec 24%, Le Pen avec 21,3 au second tour... Fillon avec 20% et Mélenchon 19,6% rayés de la carte. Est-ce qu’un de nos problèmes de fond, je rebondis sur notre réflexion précédente, ça n’est pas précisément que ce soit cette présidentielle, et non les législatives, notre élection mère ?

« Un Macron élu devra être humble au regard

des résultats du premier tour... sinon il s’exposera

à une revanche politique des minorités du 23 avril »

F.D. : J’ai entendu Emmanuel Macron rappeler le fonctionnement institutionnel, et le fait de devoir choisir entre deux candidats après le premier tour. Il faut pourtant se garder de tout arrogance (je ne parle pas de personnalité mais bien de politique...). La vérité institutionnelle n’est pas la vérité démocratique qui prévoit également le respect des minorités, surtout quand votre majorité est faible (avec un vote utile dès le premier tour) et que la somme des minorités (filloniste, mélenchoniste, hamoniste etc.) est nettement supérieure à votre propre score. Si Macron ne comprend pas cela, on pourrait assister à une revanche politique des « minorités de premier tour » lors des élections législatives du 11 juin.

 

PdA : Tous les sondages d’après premier tour ont prédit une victoire d’Emmanuel Macron, sur des rapports d’à peu près 60-40. Dans votre série d’anticipation La Présidente, Marine Le Pen est élue à l’Élysée dès 2017. En quoi la réalité qui est en train de s’écrire sous nos yeux vous semble-t-elle différer de ce que vous aviez imaginé ?

F.D. : Il y a quelques heures, j’étais encore dans un état d’esprit similaire à celui qui m’a fait écrire la BD. J’ai même écrit en début de semaine une tribune pour le journal Libération intitulé « Pourquoi Marine Le Pen peut gagner (et pourquoi il faut le dire) ». Aujourd’hui, je dirai plus : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire...) ». Je m’explique... D’abord, entre temps, il y a eu la catastrophe industrielle du débat, que je qualifierai presque de faute professionnelle pour Marine Le Pen. Ensuite, je maintiens la parenthèse pour signifier que les citoyens doivent rester éveillés, vigilants et concernés par le vote. Si tout le monde se dit que tout est joué, nous pourrions avoir un taux d’abstention record qui pourrait réserver des surprises en termes d’écart entre les candidats. Ce sont les citoyens qui votent, pas les sondages !

 

La Présidente

Couverture de La Présidente, le tome 1. Éd. Les Arènes, 2015.

 

PdA : Ne pensez-vous pas que l’on néglige un peu la capacité qu’aura eu le Front national de dépeindre le candidat d’En Marche comme l’homme du "système" par excellence (le consensus "libre-échangiste", "européiste" et "mondialiste"), point qui rencontre de manière diffuse un écho certain auprès de franges nombreuses de la population qui ne se reconnaissent pas et se sentent perdues dans le monde tel qu’on l’a façonné ? Est-ce qu’il n’y a pas au fond, non sur le résultat final mais à la marge du score (qui pourrait être plus serré qu’on ne le dit comme vous le suggérez), un espèce d’"effet Trump" à imaginer à la faveur de Marine Le Pen ?

« L’erreur fatale de Marine Le Pen aura été

de refuser de s’ériger en candidate de la droite ;

elle aurait dû à certains égards être

une héritière de la campagne de Fillon »

F.D. : Attention à la comparaison. Car la spécificité française tient à cette idée de report de voix, que Marine Le Pen précisément n’a pas su maîtriser. Trump pouvait camper sur ses positions, en surmobilisant son électorat. Il a même pu gagner avec une minorité de voix ! Mais le système français impose aux deux candidats d’élargir leur électorat du premier au second tour. Et c’est l’erreur stratégique majeure de Marine Le Pen, de méconnaître les conséquences politiques de cette spécificité institutionnelle (du scrutin à deux tours). Au lieu de s’adresser à son électorat, élargi d’un électorat de gauche en colère, elle aurait dû essayer d’apparaître comme la candidate de la droite face à l’ancien ministre de François Hollande. Or, en dénonçant sans cesse le libéralisme de son adversaire, elle lui a presque offert l’électorat filloniste avide de réformes. Et je ne parle pas de cette incroyable erreur lorsqu’elle a fini par dire « Macron-Fillon, c’est pareil ! ». Elle n’aurait pu gagner – précisément – qu’en montrant qu’elle était sur un certain nombre de points une héritière de la campagne de Fillon, capable de porter les espoirs de son électorat.

 

PdA : On peut considérer que, sauf accident majeur, Emmanuel Macron accédera à l’Élysée à la mi-mai. Mais s’agissant des législatives, qui interviendront un mois après la présidentielle, pour le coup on est dans le flou total. Pensez-vous que l’on va s’acheminer vers l’émergence véritable d’une troisième force parlementaire, force centrale procédant de l’élection de Macron (les électeurs feraient le choix de la cohérence), ou bien vers une espèce de situation ubuesque pour la Cinquième version quinquennat, un divided government  à l’américaine parce que les partis traditionnels (et notamment LR) retrouveraient du poil de la bête, reprendraient leurs droits à l’Assemblée ?

F.D. : Je pense qu’il faut déjà avoir en tête, pour penser la politique, le propos de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

La grande question est l’ampleur de cette recomposition, de cette transformation. Qu’est-ce qui va véritablement disparaître ? Qu’est-ce qui va naître ? Qu’est-ce qui va renaître sous une autre forme ?

« "Républicains" contre "Démocrates", on pourrait

fort bien assister à une américanisation

de la vie politique française »

Je vous propose d’analyser la chose à partir d’un constat : quelle est force politique qui est sortie la plus affaiblie du premier tour ? Il s’agit du parti socialiste, avec un peu plus de 6% des voix. En considérant cela, on peut imaginer que se reconstituent quatre forces. Un « parti démocrate » qui serait la majorité présidentielle et qui se nourrirait de visages nouveaux et des ruines de l’ancien parti socialiste. Face à lui, les Républicains limiteraient selon moi les dégâts suite à l’élimination du premier tour. Dans la terminologie, on assisterait à une américanisation de la vie politique française – « démocrates » face à « républicains », américanisation entamée par l’importation des primaires.

À gauche du parti démocrate, une force constituée à partir des Insoumis et de l’aile gauche de l’ex-PS.

A droite du parti républicain, tout dépend du score de Marine Le Pen dimanche prochain. S’il apparaît comme amoindri du fait de l’erreur stratégique lors du débat télévisée, cela pourrait conduire sur un conflit entre les deux têtes de l’hydre anti-mondialiste. Le « nationalisme populiste » de Marine Le Pen et Florian Philippot – mixte d’extrême droite et d’extrême gauche – pourrait être concurrencé par le « nationalisme conservateur » de Marion Maréchal Le Pen – mixte d’extrême droite et de droite traditionnelle. Avec toutes les alliances possibles avec LR au niveau local notamment.

 

PdA : Le 7 mai, le choc sera frontal entre deux visions bien distinctes. Si Macron est élu, il incarnera et aura derrière lui peu ou prou l’ensemble des tenants du consensus évoqué plus haut. Une espèce de synthèse ultime entre progressisme et libéralisme - c’est en tout cas ce qui est affiché. Mais est-ce qu’il n’y a pas là, précisément, le risque qu’en cas d’échec, l’alternative, la seule alternative soit, le coup d’après, le Front national, version soft avec Marine Le Pen ou version hard avec Marion Maréchal ? Une alternative qui cette fois aurait des chances de passer parce qu’on aurait essayé tout le reste ?

F.D. : Je suis d’accord avec vous sur le fait que « faire barrage » ou construire des digues ne suffira bientôt plus. Il faut rendre plus performantes nos politiques publiques.

« La clé pour la suite, c’est d’abord

l’amélioration de la qualité de vie des citoyens »

Il ne faut pas avoir un raisonnement cynique. Le problème principal, ce sont les conditions de vie au quotidien des citoyens. Ce sont ces conditions qui amènent au danger démocratique d’avoir un parti d’extrême droite à la tête du pouvoir. N’oublions pas que parmi ceux qui gagnent seulement 1500 euros par mois, Marine Le Pen n’a pas fait 20% mais bien 30% des voix au premier tour ! Donc il faut souhaiter que la nouvelle majorité réussisse, non pas d’abord pour éviter l’élection de l’extrême droite la prochaine fois, mais pour que les citoyens aillent mieux.

 

PdA : Dans le troisième tome de La Présidente, chroniqué récemment sur Paroles d’Actu, Marion Maréchal est contrainte de céder son fauteuil présidentiel à Emmanuel Macron, allié à Christiane Taubira, tandem auquel vous prêtez des intentions de rénovation profonde du système institutionnel et démocratique. On a déjà abordé quelque peu le sujet plus haut, mais au-delà du débat sur le régime (semi-présidentiel contre présidentiel ou parlementaire) quelles sont à votre avis les réformes les plus nécessaires sur ce front des institutions et de la démocratie ? Que faire pour que soit abaissée la crise du politique et de la représentativité dans notre pays ?

« Face à la "frontière", mantra des

nationalistes, on pourrait mobiliser

autour de l’idée centrale de "formation" »

F.D. : J’ai été frappé par le fait qu’on peut résumer d’un mot la solution proposée par les nationalistes, de Trump à Le Pen : « Les frontières ! ». En revanche, face à eux, il y a une difficulté à comprendre le programme de leurs adversaires. Certes, parce que la voie de la complexité est toujours plus dure à emprunter. Mais je crois qu’ils gagneraient à mobiliser autour d’une idée également identifiable. Pour ma part, je pense à « la formation ». Pouvoir se former toute au long de sa vie est la seule solution pour que chacun trouve sa place au sein de toutes les sociétés dans lesquels il aura à vivre (dans le temps et dans l’espace).

 

PdA : Cette question-là, elle est pour le citoyen François Durpaire, plus que pour l’analyste. Quel message avez-vous envie d’adresser à ceux de nos lecteurs qui seraient, à l’heure où ils nous liraient, des électeurs indécis pour le second tour ?

F.D. : Comme le dirait Kant, « agis comme si ton action pouvait être universalisable ».

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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24 avril 2017

« Macron, le rêve américain et la simulation du partage », par Fatiha Boudjahlat

Emmanuel Macron, candidat porté par le mouvement En Marche !, totalement inconnu du public il y a trois ans, a réussi le tour de force de se positionner hier soir à la première place de l’élection présidentielle. Il sera opposé lors du second tour à la présidente du Front national Marine Le Pen, donc, de facto, au vu des forces en présence, de la « machine en marche », il sera le prochain président de la République - n’est-ce pas d’ailleurs un vainqueur sans partage qu’il nous a donné à observer aux dernières heures de ce dimanche ? Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC), a choisi de consacrer à M. Macron l’espace de tribune libre que je lui ai proposé au lendemain de ce premier tour. Il y a onze jours, dans ces mêmes colonnes, elle prédisait un « retour à la IIIème République »... Je la remercie pour cette fidélité, une fois de plus. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

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Illustration : francetvinfo.fr

 

« Macron, le rêve américain

et la simulation du partage »

par Fatiha Boudjahlat, le 24 avril 2017

Une de mes élèves m’a expliqué que son père avait voté pour Macron parce que celui-ci avait présenté des mesures en faveur des ouvriers. Vraiment ? Cela m’avait échappé… Pourquoi ce vote en faveur de Macron  ? Outre les fans-de-l’idole, les européistes et les hyper angoissés du vote utile anti-FN du premier tour, Macron a aussi attiré le vote des couches populaires.

Cela me rappelle un documentaire dans lequel un journaliste interrogeait une femme noire d’un milieu très modeste qui avait voté pour Rudolph Giuliani, soit contre ses intérêts de classe. J’ai été très marquée par sa réponse : « Je voulais voter pour celui qui allait gagner ». Elle voulait être, elle la perdante de l’économie et de la société, du côté des vainqueurs, des puissants. Elle n’a pas voté pour un programme, mais pour l’homme en lui-même. Pas sa personnalité, non, le côté winner.

« Le vote Macron revient un peu à goûter

à sa réussite... par procuration »

N’est ce pas ce qui séduit aussi chez Macron ? Son côté chanceux, l’impression de baraka qu’il véhicule, sa ‘gagne’ ? Ceci ajouté au vide de sa personnalité et de son programme… permet à chacun d’y projeter ce qui l’arrange. Il est assez vide et assez magnifique pour que les perdants de la mondialisation lui accordent leurs suffrages, par lesquels ils goûteront un peu à cette réussite.

« Il n’a aucune colonne doctrinaire solide :

il est son propre programme »

Et tant pis s’il est entouré de félons ou de personnes mues par la rancune, comme l’ex-président de la Région Île-de-France, Huchon. Tant pis si ce dangereux rebelle n’a en fait accompli que la carrière des honneurs classiques: Sciences-Po, ENA… puis un petit tour dans la banque, qui est juste de la haute-fonction publique au service d’intérêts privés. Tant pis s’il ne cesse de se contredire, défendant ici la laïcité qu’il présente comme revancharde ailleurs, ou encore lorsqu’il évoque ces multitudes de cultures qui font la France tout en disant s’opposer au multiculturalisme et alors même qu’il n’y a pas de culture française. Tant pis si dans sa bouche la colonisation, présentée par lui comme bénéfique avant, devient un crime contre l’humanité après, pour rétrograder en « crime contre l’humain » dernièrement. On ne lui en tient pas rigueur. Il est magnifique, avec son fameux « en même temps », qui prouve qu’il n’a pas de colonne doctrinaire solide, il est son propre programme.

Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite.

« Macron est un candidat américain : il use

des codes et méthodes des campagnes

américaines... sans les maîtriser vraiment »

Il est un candidat américain, il incarne le rêve américain et c’est une première en France. D’où cette mise en récit stupéfiante sur sa réussite républicaine qui lui a permis de devenir ministre et de s’enrichir avant. Ses méthodes, sa campagne furent américaines. Il a tenté d’en adopter le code linguistique avec le public address, sans en avoir les capacités vocales ou en maîtriser vraiment la forme : « La culture américaine penche en politique vers le pouvoir amical mais ferme du public address, l’art de s’exprimer en public - un président américain est une machine à faire des discours - combiné avec une version de debate, à savoir conversation, qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la conversation, qui est une technique de simulation du partage. »* Ne serait-ce pas la clef du succès électoral de Macron ? Cette « simulation du partage » de sa réussite ? De sa chance ? De son destin de presque petit poucet ?

* P.J Salazar, Paroles Armées. Lemieux éditeur, 2015.

« Et pourtant il faudra voter pour lui...

un choix contraint, qui n’éblouit que les naïfs

et ne séduit que les cyniques... »

Et pourtant, il faudra voter pour lui. Parce que l’alternative est pire. Parce que l’alternative n’appartient pas au repère orthonormé de tout républicain intègre. Mais c’est un choix contraint. Qui n’éblouit que les naïfs et ne séduit que les cyniques.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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16 avril 2017

« Mélenchon, une candidature intéressante... », par François Delpla

François Delpla, historien spécialiste du nazisme et d’Adolf Hitler (il a consacré à ces deux thématiques évidemment étroitement liées de nombreux ouvrages), m’a fait l’honneur de m’accorder de son temps et de son attention à deux reprises pour des articles riches et qui m’ont beaucoup apporté, en mai et en octobre 2016. Analyste passionné des faits du passé, il est aussi un citoyen actif, bien ancré dans son époque. C’est tout naturellement que j’ai souhaité lui offrir une tribune, libre et sans cadrage pré-établi, sur la présidentielle dont le premier tour se jouera dans une semaine tout juste. Son texte, peaufiné entre le 14 et le 16 avril, m’est parvenu rapidement. Clairement, il est engagé, mais c’est un engagement argumenté, forcément intéressant donc. Merci à lui. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

Un regard sur la présidentielle: François Delpla

« Mélenchon, une candidature intéressante... »

Jean-Luc Mélenchon

Source de l’illustration : AFP.

 

Une issue à nos impasses ?

J’ai trouvé depuis le début la candidature de Jean-Luc Mélenchon intéressante. Il semble que je sois rejoint par un nombre croissant de citoyens !

« L’approche de Mélenchon sur l’Europe me paraît

plus efficace que celle portée par le Front national »

Je partage l’idée que les deux quinquennats précédents ont été catastrophiques. Or tous les autres candidats (pour me limiter à ceux qu’on dit "principaux") promettent d’en reproduire et d’en amplifier les défauts. Ils avaient d’ailleurs tous deux débuté sous le signe d’une "rupture" qui n’est pas venue.
Elle ne saurait venir que d’un changement profond des rapports avec Bruxelles, qu’il résulte soit d’un "Frexit", soit d’une tentative enfin réussie d’amener à la raison le gouvernement allemand. Le programme de Mélenchon, consistant à menacer d’un Frexit en essayant d’entraîner dans une révolte les pays d’Europe du sud, me paraît plus clair et plus efficace que celui du Front national.

Cependant, mon lecteur en cet espace est probablement intéressé, plus que par mes opinions citoyennes, par le jugement du spécialiste français d’Adolf Hitler sur les correspondances entre la situation actuelle et celle des années trente.

Cette dernière me semble avoir été dominée par une personnalité dont l’équivalent est aujourd’hui introuvable. Abstraction faite de la personnalité de son fondateur et metteur en oeuvre, je dis depuis longtemps que le nazisme n’est pas reproductible parce que Hitler était à la tête d’une très grande puissance dont seuls les États-Unis offrent aujourd’hui un équivalent, et parce qu’un Hitler américain est inconcevable car il ne pourrait jouer ni d’une défaite, ni d’une apparente infériorité. Ce n’est pas l’élection de Trump qui est de nature à me faire changer d’avis : tout le monde l’attend au tournant et il ne songe guère à maintenir le masque de pacifisme dont il s’est certes, par moments, affublé pendant sa campagne.

Depuis quelques jours un tir de barrage se déchaîne contre Mélenchon (dont la politique intérieure est globalement passée sous silence, au profit d’une politique extérieure fantasmée à partir de quatre noms : Castro, Chavez, Assad et Poutine), de la part non seulement de ses rivaux mais de l’immense majorité des médias (ceci expliquant cela). C’est en quelque sorte rassurant pour moi qui avais émis sur Médiapart, dès le 18 février, la crainte de son élimination physique et mis les points sur les i le 3 mars en évoquant l’assassinat de Jaurès. En effet, si la situation me fait penser à un avant-guerre, c’est plutôt à celui des années dix que des années trente.

« Il est triste de voir qu’il est seul parmi les candidats

à prendre fait et cause contre les conflits en cours »

Il est triste de voir un seul candidat prendre fait et cause contre les conflits en cours, sonner l’alarme devant le danger d’en voir éclore de plus graves et prôner une ferme action française pour donner à l’ONU les moyens de les juguler. Il est plus triste encore de voir monter contre lui des vagues de haine analogues à celle qui stigmatisait "Herr Jaurès" et avait armé le bras de Raoul Villain contre le "traître" qui avait contesté, en 1913, la prolongation du service militaire de deux à trois ans.

En se laissant glisser dans la guerre en 1914, la planète a perdu un siècle. A-t-elle le droit et le temps d’en perdre un autre ?

 

Halte aux falsifications !

« L’élection de Mélenchon serait le prélude

d’une adhésion de la France à un empire

du Mal ? Soyons sérieux... »

Puisse le nom de Patrick Cohen passer bientôt en proverbe ! Le brillant présentateur de la matinale de France Inter vient de déshonorer sa profession tout en la poussant au vice. Sur un plateau de télévision, lundi 10 avril, il a isolé dans les 127 pages du programme de la France insoumise une ligne, elle-même prélevée sur les 37 de l’article 62 (sur la politique extérieure) en laissant croire qu’il s’agissait de l’intégralité de ce point. Il est question de l’Alliance bolivarienne (ou Alba) à laquelle la France, dit le programme, doit adhérer. Cohen et, après lui, Aphatie (sur RTL) puis Joffrin (dans un édito de Libération) affectent de croire que ce serait en rapport avec la sortie, préconisée par ailleurs, de l’OTAN et qu’il s’agirait d’un bloc militaire intégrant la Russie, l’Iran et la Syrie de Bachar el-Assad. Or il s’agit d’une simple union économique latino-américaine dont la France, en raison de son implantation en Guyane, est déjà partenaire. Le symptôme est un peu léger pour faire apparaître l’élection de Mélenchon à l’Élysée comme le prélude d’une adhésion immédiate de la France à un empire du Mal. Il n’empêche que le gros des médias (à d’honorables exceptions près que détaille Olivier Tonneau) s’est engouffré derrière le Panurge de France-Inter. À l’heure qu’il est ils doivent bien être quarante. Pourquoi l’affaire ne passerait-elle pas à la postérité sous le label BOLIBOBARD et les quarante faussaires ?

 

Il serait temps de lire les programmes...

Un aveu tardif d’Alain Bergounioux (Teleos, le 15 avril) : « Jean-Luc Mélenchon n’est donc pas là par un concours de circonstances. Il est temps de considérer avec sérieux ce qu’il propose et ce qu’il représente. Cette préoccupation est un peu trop tardive. Car les cartes sont sur la table depuis longtemps. Le programme de la "France insoumise", L’avenir en commun, est disponible depuis la fin de l’année 2016. Les essais théorisant son positionnement, L’Ère du Peuple, Le Hareng de Bismark, Qu’ils s’en aillent tous, etc. depuis plus longtemps. »

« Longtemps, on a considéré les positions portées

par Mélenchon avec un souverain mépris... »

Historien et militant du Parti socialiste français, Bergounioux ne va pas jusqu’au bout de son aveu : si lui-même et ses pairs ont tant tardé à se pencher sur les positions de la France insoumise, c’est qu’ils les considéraient avec un souverain mépris, à l’abri du cordon sanitaire des grands médias, lesquels parlaient du candidat le moins possible et toujours en mauvaise part. Ah certes, on en savait un rayon sur son ego surdimensionné, sa volonté d’isolement et son indifférence à la victoire présidentielle, tout occupé qu’il était d’achever le parti socialiste ! On en avait entendu parler de son chavisme, de son castrisme et de son poutinisme, sans la moindre considération pour les incompatibilités de ces étiquettes ! Voilà-t-il pas qu’il a des idées et des auditeurs qui les partagent ? Quel tricheur, décidément !

Pour le reste, Bergounioux et bien d’autres publicistes roulant pour les rivaux de Mélenchon limitent leurs analyses historiques à l’échec des régimes de type soviétique sans omettre, passé de JLM oblige, le coup de griffe rituel à Trotsky. On cherchera vainement sous ces plumes une analyse pourtant évidente : dans bien des pays et notamment en France, depuis de nombreuses décennnies, l’idée du "vote utile" a polarisé les forces de progrès au profit des partis sociaux-démocrates. Lesquels traversent une crise profonde, en raison principalement de l’acuité croissante des problèmes et de leur manque total d’imagination pour y faire face. En France cependant le président Hollande a battu dans ce domaine tous les records. Élu sur un programme nettement axé à gauche après un quinquennat de droite peu concluant, il a trahi méthodiquement ses promesses et semblé calquer consciencieusement sa politique sur celle de son prédécesseur Sarkozy : alignement sur les forces les plus réactionnaires de l’UE et de l’OTAN, répression des syndicats et des manifestations, cadeaux financiers et législatifs au patronat, chef d’État campé le plus souvent possible en chef de guerre, discours et attitudes xénophobes, mépris de la démocratie en installant à Matignon le candidat ayant fait le score le plus faible à la primaire, échecs législatifs sur la nationalité ou les vêtements de plage pour entorses flagrantes aux droits élementaires, etc.

« Une victoire de Macron risquerait de rendre

inéluctable le triomphe de l’extrême droite

la fois d’après... »

Cette situation crée une opportunité sans précédent. Face à une droite moins imaginative que jamais et empêtrée dans des scandales, l’offre socialiste se divise entre un Macron plus du tout de gauche et un Hamon qui n’ose pas l’être tout à fait, tandis que l’exaspération des victimes sociales des deux exercices précédents favorise une montée de l’extrême droite devant laquelle se pose plus que jamais la question du vote utile. Mais, cette fois, c’est le candidat le plus à gauche qui apparaît d’ores et déjà, et risque d’apparaître de plus en plus au fil des jours qui viennent, comme le choix le plus utile. Dans un second tour contre Marine Le Pen, les chances d’un bourgeois immature et méprisant comme Macron, responsable d’une bonne partie des carences du quinquennat, ne sont pas plus éclatantes que celles d’un tribun au mieux de sa forme ayant l’oreille de larges masses, et surtout une victoire de Macron, gage d’un alignement inchangé sur l’Allemagne et les États-Unis, donc d’une austérité renforcée et d’une insolence patronale débridée, risquerait de rendre inéluctable le triomphe de l’extrême droite la fois d’après.

Qu’on le veuille ou non, le vote Mélenchon semble d’utilité publique à un nombre croissant d’électeurs. Et, si le candidat conserve sa sérénité, la haine qui se déploie un peu plus tous les jours va encore, par un effet de contraste, gonfler ses voiles.

 

François Delpla

Crédit photo : Paolo Verzone

 

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13 avril 2017

« Le retour de la IIIe République », par Fatiha Boudjahlat

Il y a trois mois, Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante active au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC), acceptait mon offre de tribune libre autour de la thématique suivante : « L’identité nationale, c’est la République ? ». Son texte, intitulé « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités », riche et sans concession aucune, mérite certainement d’être lu ou relu en cette période trouble - et pas simplement parce qu’on est à dix jours du début de l’élection présidentielle. C’est de ce scrutin, précisément, qu’il est question pour cette nouvelle contribution inédite qu’elle nous livre - sa dernière tribune en tant que secrétaire nationale du MRC : « Le retour de la IIIe République ». Tout un programme... Merci à vous, Fatiha, pour cette nouvelle marque de confiance. Une exclu Paroles dActu. Par Nicolas Roche

 

« Le retour de la IIIème République »

par Fatiha Boudjahlat, le 12 avril 2017

Les experts insistent tous, l’expérience de leurs séries d’échecs y incitant, sur la volatilité des électeurs repartis en 4 quarts, ainsi que sur le nombre d’électeurs indécis. C’est une campagne inédite.

D’abord parce que le vainqueur l’aura remporté sans parti, en dépit, voire contre son parti. La grande majorité des cadres LR avait tourné le dos à Fillon, qui a alors rebondi en s’appuyant sur des groupuscules comme Sens Commun. Mais lui avait la main sur la caisse et sur le parti. Prudence élémentaire que n’a pas eue Hamon, que les cadres du PS ont voulu à plusieurs reprises débrancher. Mélenchon gagne en dehors du PCF et du PG, son parti pourtant, il a bâti sa structure La France insoumise, tout comme Emmanuel Macron avec En Marche. Deux candidats, LR et PS, menant campagne contre leurs partis, deux candidats ne jouant pas la carte du parti. Une dernière ayant elle aussi créé une structure ah doc, le Rassemblement Bleu Marine, avec un logo bien différent de celui du Front national qui reste à la manoeuvre mais qui n’est pas sur le devant de la scène.

Ensuite par le rôle des primaires dans l’essorage des deux candidats naturels de la gauche et de la droite. Remporter les primaires nécessite de mobiliser un électorat qui s’avère le plus extrémiste. L’enjeu consiste après à rassembler, ce qui passe alors pour une trahison de ces premiers électeurs. Ni Fillon, ni Hamon n’ont voulu faire ce choix. Mais tant qu’ils semblaient être en passe de l’emporter, les autres électeurs et leurs concurrents malheureux faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Le cœur de midinettes, volatile, oui, animé par des fidélités successives.

Enfin, c’est un président sans majorité absolue qui sera désigné. Quand on considère que le PS est en passe de réaliser un score à un chiffre !

On se souvient que c’est Lionel Jospin, sûr de sa victoire, qui avait procédé au changement de calendrier induit par le quinquennat, faisant se tenir l’élection présidentielle avant celle des députés. Or, quand la gauche perd, elle perd toujours plus lourdement que la droite. Quand elle gagne, c’est toujours par un pourcentage plus faible que lorsque c’est la droite qui l’emporte. On est toujours plus déçus par la gauche que par la droite, qui dispose d’une assise dans les territoires plus solide.

« Quel que soit le candidat qui l’emportera,

on entrera dans un système de

cohabitation/coalition »

Quel que soit le candidat qui l’emporte, et surtout si c’est Macron, du fait même de la nature de sa chimère, au sens mythologique du terme, nous entrerons dans un système de cohabitation et de coalition. Macron a déclaré : « On n’a jamais vu, depuis 1958, le peuple français dire le contraire aux législatives de ce qu’il a dit quelques semaines plus tôt à la présidentielle. » Mais jamais le peuple français n’avait été autant éclaté, quatre candidats, et jamais il n’a dû se prononcer sur des hommes sans parti. Cohabitation parce que les grands partis LR, PS, RBM-FN remporteront un nombre important de circonscriptions. Et plutôt que d’assurer la gouvernabilité de la France, par une chambre des députés en accord avec la présidence, je pense que les Français, esseulés, retrouveront les reflexes de vote. Les Français gardent aussi un très bon souvenir de la cohabitation gauche-plurielle/Chirac. À ceci s’ajoute la loi sur le non-cumul des mandats, ainsi que la volonté de renouvellement, non des couleurs politiques, mais des têtes. Si Le Pen gagne, le choc sera tel que les Français plébisciteront les autres partis aux législatives, le réflexe républicain prévaut. Ce qui sera une situation idéale pour elle. L’absence de majorité la dispensera d’appliquer ses mesures folles, et elle en restera à la posture de chef, exerçant les missions régaliennes à haute valeur et crédibilité ajoutées.

« Macron serait un président de la Vème République

fonctionnant avec un parlement de la IIIème... »

Idem dans le cas de François Fillon, exposé par les procédures judiciaires, concernant sa femme et ses enfants, qui se poursuivront, qui ne bénéficient pas de l’immunité présidentielle. Avec Macron, outre la cohabitation, ce sera un système de coalition. Macron sera un président de la Vème République fonctionnant avec un parlement de la IIIème. Il devra convaincre et coaliser pour chaque décision, au cas par cas. Et même s’il présente le clivage gauche-droite comme désuet, les reflexes seront là pour ses députés qui ne disposent pas d’une colonne vertébrale doctrinaire commune. C’est peut-être la raison pour laquelle il a d’ores et déjà annoncé que tout moderne qu’il soit, il réformerait le code du travail à coup d’ordonnances, en vertu de l’article 38 de la Constitution. Il serait utile de lui rappeler que les ordonnances entrent dans les prérogatives du chef du gouvernement, pas du chef de l’État, il doit donc s’assurer une chambre à ses ordres et à ses couleurs. Or, son mode même de recrutement, le système McDo, venez comme vous êtes, incitera à la fronde permanente. Jean-Luc Mélenchon ne disposera pas non plus de majorité s’il est élu. Les députés ne sont pas élus à la proportionnelle mais à la majorité qualifiée dans chaque circonscription. Dans quelle mesure joue l’étiquette plutôt que l’expérience et le bilan du député ? C’est aussi ce que les prochaines élections permettront d’éclaircir. De bons députés seront sanctionnés, de mauvais candidats seront élus.

« Exercer le pouvoir suppose de la "puissance",

elle-même fonction de la capacité à projeter

de l’autorité... pas gagné pour tous ! »

Est-ce l’élection de trop d’un système, la Vème à bout de souffle ? On n’avait pas mesuré les conséquences du quinquennat et des primaires dans un régime présidentiel fort qu’est celui de la Vème. On dit souvent que notre régime est celui d’une monarchie républicaine. Comme pour les écrouelles, il y a une part de symbolique essentielle, ce que Macron reconnaissait en parlant de transcendance et de verticalité du pouvoir. Ce qui rend les propos et l’attitude de Mélenchon anxiogènes, on ajouterait de l’autorité à de l’autoritaire, et ce pourquoi il annonce qu’il ne restera au pouvoir que le temps de faire adopter une nouvelle constitution. Mais il ne s’agit pas de pouvoir mais de puissance, au sens que lui donna Joseph Nye : la capacité à faire adopter à autrui le comportement voulu par soi. Et cette puissance ne repose pas que sur des institutions, elle dépend en premier lieu de l’autorité. Et cette autorité est d’abord un consentement des personnes soumises à cette autorité. Elles consentent à prêter de la puissance à celui qui incarne cette autorité. Or, si Le Pen est élue, chacun se croira Jean Moulin en refusant d’appliquer la plus insignifiante de ses directives. Idem, pour des raisons différentes, avec Jean-Luc Mélenchon. Quant à Fillon, il ne pourra exiger du peuple des sacrifices parce que les affaires ont dilapidé sa crédibilité et sa capacité à obtenir ce consentement. Enfin, Macron qui joue les politiques modernes et le jeu participatif, est en mesure d’obtenir ce consentement, jusqu’à ses premières erreurs qui ne manqueront pas d’advenir, lui qui n’a eu de cesse de promettre tout et son contraire durant cette campagne folle.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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6 décembre 2016

François Durpaire : « Si Fillon n'élargit pas son électorat, Marine Le Pen a ses chances... »

Un an après la sortie de La Présidente, BD d’anticipation politique qui imaginait les premiers pas d’une Marine Le Pen propulsée à la présidence de la République par les électeurs de 2017, le tome 2 de cette aventure (éd. Les Arènes BD - Demopolis), toujours orchestré par le duo François Durpaire (textes) et Farid Boudjellal (dessins), s’attache à mettre en scène la présidente sortante à l’aube de la campagne pour sa réélection. Sous-titre de ce deuxième opus (en attendant le 3, attendu pour avril) : « Totalitaire ». Les passionnés de politique, comme ceux qui s’y intéressent d’un peu plus loin, suivront avec curiosité, avec angoisse parfois, ce récit joliment illustré.

Le parti pris est clair et les postulats retenus peuvent être contestés, mais l’ouvrage est à lire, en ce qu’il nous interroge, au-delà du simple cas du FN, sur pas mal de questions qui ne manqueront pas de se poser à l’avenir (la postérité de lois restrictives de libertés, notre dépendance aux nouvelles technologies et aux grandes compagnies qui les portent, les utilisations qui pourraient être faites des unes et des autres par un régime autoritaire, etc.) À découvrir, donc. Je remercie François Durpaire, qui a accepté de répondre à mes questions. Avec, comme dans le livre, quelques pointes d’optimisme. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Si François Fillon ne parvient pas

à élargir son électorat aux classes populaires,

Marine Le Pen a ses chances pour 2017... »

Interview de François Durpaire

Q. : 03.12 ; R. : 06.12

La Présidente Tome 2

La Présidente, tome 2 : « Totalitaire », aux éd. Les Arènes BD - Demopolis.

 

Bonjour François Durpaire. Le deuxième tome de votre BD La Présidente, sous-titré « Totalitaire » (éditions Les Arènes)met en scène Marine Le Pen en situation de réélection et se veut une fiction citoyenne, engagée, pour alerter les consciences. Quels ont été vos premiers retours, quel impact en espérez-vous, et ne craignez-vous pas que l’initiative puisse desservir votre cause en apportant du grain à moudre à ceux qui veulent voir un  « système politico-médiatico-culturel » vent debout contre leur championne et leurs idées (y compris ceux qui hésitent) ?

Oui, l’objectif de ce que nous appelons une « science-fiction civique » est de prendre de la distance, d’échapper à l’imposition du flux d’informations immédiates qui empêche le recul de la réflexion. Se poser les bonnes questions - notamment sur la montée du nationalisme et ses raisons, sur le basculement possible vers une société de la surveillance - nous paraît nécessaire. Nous ne nous sentons pas plus appartenir au « système » que Marine Le Pen. Nous pouvons comparer avec elle notre temps de parole à la télévision, notre train de vie, notre accès aux lieux de pouvoir, et nous jugerons qui de elle ou de nous fait partie des élites et de ce qu’elle appelle le « système ».

Jusqu’à quel point croyez-vous ces scénarios que vous avez échafaudés plausibles ? Les derniers événements en date (poussée plus forte que prévu de Trump dans les régions périphériques, défaite de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé aux primaires de la droite au profit de François Fillon, renonciation de François Hollande, scrutins en Autriche et en Italie...) vous paraissent-ils de nature à les rendre moins improbables encore ? À l’instant de votre réponse, à quel pourcentage estimeriez-vous la probabilité d’une élection de Marine Le Pen à la présidence de la République au printemps prochain ?

Je pense que la question actuelle est celle de la capacité pour le programme de François Fillon de susciter un rassemblement, notamment entre les deux tours. Comment un bloc républicain populaire pourrait se constituer derrière un programme aussi radicalement libéral ? Le pourcentage de chances pour Marine Le Pen d’arriver à l’Elysée en mai ne dépend pas de notre boule de cristal, mais de la capacité de François Fillon à élargir son électorat, notamment aux classes populaires.

Dans votre histoire, Marine Le Pen, qui n’est pas dans son camp parmi les plus radicaux, essaie de contenir l’influence de son aile droite (qui d’après les mots que vous lui prêtez la précipiterait, avec sa politique, « dans le mur »), avant d’être dépassée par une ambitieuse et revancharde Marion Maréchal-Le Pen après sa réélection. Est-ce que pour vous, clairement, il y a deux FN, ou bien tout n’est-il pas finalement affaire de stratégies, de degré plutôt que de nature ?

Il y a une différence de stratégie profonde, et une différence idéologique sur le plan économique. Étatisme du côté de Philippot, libéralisme du côté de Marion Maréchal. Mais l’on se retrouve sur la question migratoire et sur la question identitaire. Le refus d’une société française qui s’éloignerait de ses fondamentaux chrétiens blancs.

Votre récit nous présente un régime FN qui n’a finalement qu’à appliquer, pour faire avancer ses desseins, les lois votées par des majorités antérieures à lui, modérées, et notamment l’actuelle de gauche. Est-ce à dire que dans la lutte contre le terrorisme, on met un peu trop rapidement entre parenthèses des libertés au profit de réflexes sécuritaires dans la France de 2016 ? On est sur une pente dont l’inclinaison vous inquiète ?

Oui, car elle est presque indépendante de l’arrivée ou non de Marine Le Pen au pouvoir. C’est l’objet de notre BD : mettre dans les mains d’un chef d’État les lois sécuritaires actuelles et voir ce que cela donne concrètement en termes de remise en cause de nos libertés quotidiennes.

À la fin de la BD, la présidente Marion Maréchal-Le Pen prononce ces mots : « Il ne suffit pas de réprimer l’esprit critique, il faut éduquer le citoyen nouveau ». Un aspect de cette tentation du totalitarisme, plus puissant ici que jamais puisqu’il utilise à plein les possibilités énormes des nouvelles technologies. Est-ce que vous croyez que tout ou partie du FN a réellement cette tentation totalitaire ? Et ne diriez-vous pas qu’on travaille tous, accro que nous sommes à nos smartphones et autres appareils, au stockage et traçage accrus de nos moindres données, faits et gestes, à la réalisation finalement d’une société orwellienne à peu près consentie ?

Vous avez tout à fait raison. La question est de savoir ce que cela donnerait si un jour un régime politique avait la tentation de se servir des moyens technologiques à sa disposition. Et que se passerait-il si un jour les entreprises du numérique et les pouvoirs politiques s’entendaient sur le dos des citoyens ? C’est le totalitarisme 2.0 que nous décrivons pour essayer de conjurer cette évolution. Soyons des citoyens vigilants !

Un point concernant, mais pas seulement, la politique américaine, que vous maîtrisez fort bien : est-ce que la victoire de Donald Trump en novembre dernier, dans des États clés notamment, ça n’est pas aussi le signe d’une exaspération de larges franges de la population par rapport au discours des démocrates - remarque transposable à de nombreux partis progressistes d’Europe - qui, de moins en moins, donnent l’impression de parler au « peuple » dans son ensemble, mais de plus en plus à telle ou telle catégorie d’une population fragmentée (et plus du tout à des « classes sociales ») ?

Oui, sauf que n’oubliez pas que le système américain, avec un vote par État, doit également être prise en compte dans votre analyse. Clinton a bien eu 2 millions de voix de plus que Trump, alors qu’est-ce que le peuple, si ce n’est la majorité des citoyens ? Et la défaite du candidat d’extrême droite en Autriche montre que le peuple n’est pas nécessairement acquis aux idées des nationalistes populistes. L’histoire n’est pas faite, même s’il est temps de se réveiller.

Dernière question, mention comme un clin d’œil mérité aux beaux dessins en noir et blanc de votre complice Farid Boudjellal. Si vous deviez sélectionner des couleurs pour peindre des visions d’avenir de la France, de l’Europe et des États-Unis telles que vous les anticipez pour les cinq prochaines années, quelles seraient-elles ?

On passerait peut-être du noir et blanc à la couleur à la fin du tome 3 de la BD, qui sortira en avril. L’avenir en rose ou en bleu azur, ce serait, pour moi, celle d’une démocratie éducative. Une démocratie toute entière tournée vers l’éducation des citoyens. De l’école du désir d’apprendre à la formation tout au long de la vie. Cette démocratie éducative est seule à même de répondre au défi de notre temps : comment accompagner chacun dans cette transition de civilisation imprimée par la globalisation ?

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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14 novembre 2016

Déjà demain : « 2017, l'entre-deux-tours »

Il y a deux mois, à partir du 12 septembre, fidèle à cette tradition à laquelle je tiens des « articles à plusieurs voix » qui invitent des contributeurs d’horizons différents à s’exprimer sur des points d’actu ou à faire parler leur imagination, j’ai fait la proposition dont le texte est reproduit ci-dessous à plusieurs jeunes intéressés par la vie politique :

« Dimanche 30 avril 2017 : on est entre les deux tours de l’élection présidentielle. Il vous est demandé, en tant que jeune que la vie politique intéresse fortement, de commenter en les rappelant, avec les principaux événements qui ont émaillé la campagne depuis l’automne, les résultats du premier tour du scrutin ; de livrer votre analyse de ce qui est à attendre de ce second tour et de ce que cela peut signifier pour l’avenir de la France. »

J’ai rencontré pour cet article-ci beaucoup plus de difficultés que d’habitude : un grand nombre des jeunes sollicités (jeunes de ma connaissances ou noms suggérés par d’autres) ont eu du mal à se sentir, disons, pleinement à l’aise avec cette perspective de composition de politique-fiction. Parce qu’engagés auprès de tel ou tel parti ou candidat. Parce que l’exercice est difficile et un peu casse-gueule, je le conçois parfaitement. D’autres ont été partants sur le principe, mais à condition d’avoir le temps : pas forcément gagné, en pleine période de rentrée. Je tiens en tout cas à remercier un à un chacune et chacun de ceux qui m’ont au moins adressé une réponse. Au final, cinq textes me seront parvenus : quatre sont publiés ici, le cinquième le sera bientôt, dans un autre article. Mille mercis à vous Adrien, Robin, Louis, Loris, pour chacune de vos compositions. Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Déjà demain: « 2017, l’entre-deux-tours »

Élysée

Palais de l’Élysée. Source de l’illustration : lepoint.fr

 

 

« Le bout du chemin »

Chacun le pressentait, la campagne présidentielle de 2017 ne pouvait s’achever que dans les décombres d’une vie politique qui végétait sous perfusion depuis déjà trop longtemps. Les six derniers mois n’avaient en définitive guère étonné les Français, écoeurés par les scandales et la distance d’une classe politique aux abois, incapables de placer leur espoir en quelqu’un. Était-ce la faible qualité du personnel politique ou tout simplement une lassitude, après l’immobilité de l’ère Chirac, le quinquennat de paroles du régime Sarkozy et la fin de règne catastrophique de François Hollande ? La société, plus clivée que jamais, ne désirait pas, elle attendait. Mis à part les quelques bataillons de militants qui s’agitaient sur les marchés afin de distribuer des tracts, la campagne ne passionnait pas les foules. Lucides, les Français laissaient une nouvelle fois leur avenir dans les mains d’un nouveau chef de l’État, dont ils pressentaient qu’il risquait d‘à nouveau de les décevoir.

Ces dizaines de millions de personnes écartées, la présidentielle mobilisait pourtant journalistes et intellectuels parisiens, qui avaient le temps de suivre l’actualité et l’envie de pouvoir deviner qui occuperait tel ou tel poste ministériel. C’était devenu un jeu bien commode : à quelques jours du second tour, les uns et les autres s’enquerraient surtout de savoir si Monsieur Machin ou Madame Trucmuche allait décrocher un gros maroquin ministériel, trop pressés de s’intéresser à la personne pour prendre le temps de savoir quelles mesures concrètes il ou elle comptait mettre en place derrière.

Il n’empêche, l’affiche était celle prévue depuis bien plus d’un an : Alain Juppé affronterait bien Marine Le Pen au second tour du scrutin. Mais à la différence de l’élection de 2002, là où la quasi-totalité du bloc des partis de gouvernement, des associations et des personnalités de la société civile s’était opposée au Menhir, le dégoût de beaucoup, pourtant sincèrement de gauche ou opposés frontalement à l’extrême droite, ne leur donnait même plus envie d’aller parader dans la rue pour s’opposer à la candidate du Front national. La météo n’avait certes pas aidé : la pluie et les crues, conséquences alarmantes du réchauffement climatique, invitaient davantage les Français touchés à sauver leur chez-soi quand les autres, dans les grandes villes, ne daignaient pas sortir se tremper sur les places de la République avec leurs fanions bariolés.

Le déroulement fratricide des primaires, à droite comme à gauche, n’avaient non plus pas aidé à créer une évidence quant à la légitimité des candidats. À droite, Alain Juppé avait largement gagné la primaire, rejoint au second tour par tous les candidats éliminés au premier. Les diatribes de Nicolas Sarkozy, contre l’Europe, les immigrés ou les fonctionnaires, avaient excédé sinon lassé. Pourtant, il se trouva un quarteron de parlementaires sarkozystes pour dénier quelconque validité au résultat du scrutin, l’estimant entaché par la participation d’électeurs de gauche. Poussé par son mentor, Henri Guaino s’était donc lancé dans la course présidentielle, soutenu par l’aigreur de l’ancien président et une petite troupe de militants sarkozystes consciente de l’absence de chance de leur nouveau champion de figurer au second tour mais bien content de se dire qu’ils pourraient diviser la droite et faire perdre Alain Juppé. Avec ses 4%, Henri Guaino échoua pourtant lamentablement, devancé par un Nicolas Dupont-Aignan qui avait plus que lui profité des voix perdues du sarkozysme.

À gauche, ce fut pire. S’il était arrivé en tête du premier tour de la primaire, François Hollande ne remporta que d’un fil le second face à Arnaud Montebourg. En regardant de plus près, le candidat des frondeurs remarqua pourtant rapidement que certaines fédérations légitimistes avaient « trop bien » voté pour le président sortant, et les accusations de fraude succédèrent bientôt aux diatribes sur l’économie et la finance. Emporté par quelques dizaines de parlementaires qui pressentaient que si Hollande était à nouveau leur candidat, leurs chances de réélection aux législatives étaient bien minces, Arnaud Montebourg franchit à la hâte le Rubicon et décida malgré tout de se présenter directement à la présidentielle. La gauche, en miettes, ne se releva pas, et les deux candidats durent en plus subir l’humiliation d’être devancés par Jean-Luc Mélenchon qui prétendit, malgré la présence au second tour du candidat de la droite et de celle de l’extrême droite, qu’un espoir s’était levé, entendant bien être le porte-drapeau de l’opposition au chef de l’État qui serait élu, quel qu’il soit.

D’autres initiatives avaient bien fleuri, mais elles s’étaient à leur tour effondrées. Emmanuel Macron avait beau jeu de dénoncer l’archaïsme du système politique, il s’était en réalité trouvé bien dépourvu de trouver face à lui deux candidats de gauche et un Alain Juppé qui phagocytait le centre pour creuser un espace, alors que les élus locaux, comme les financements manquaient. Barré par le pouvoir en place, il n’avait pas réussi à obtenir les 500 parrainages nécessaires et rongeait son frein, estimant que le système était trop sclérosé pour lui permettre d’être candidat.

La défiance perlait donc. Alain Juppé rassemblait bien derrière lui une grande partie de la droite, du centre et même des socialistes raisonnables qui se rendaient compte que leurs idéaux républicains ne pouvaient pas s’évanouir en laissant s’installer une présidence Le Pen, il ne pouvait faire face à l’hystérie d’une partie de la population, vannée des attentats qui s’enchaînaient à rythme régulier depuis le début de l’année. Les plus intelligents comprenaient que la bonne politique se faisait sur le temps long, et qu’un fou de Dieu armé d’un pistolet ou d’une machette n’était pas détectable à tous les coups ,que les intentions politiques les plus fermes ne garantissaient pas un risque zéro. Pour l’essentiel ce climat vengeur profita surtout à Marine Le Pen, qui déroulait d’un ton serein de lourdes propositions sécuritaires. Serein car elle savait qu’elle devait présenter le visage d’une extrême droite apaisée. En réalité, le terrorisme islamiste et la liste à la Prévert des scandales politiques qui s’égrenaient depuis plusieurs années (Cahuzac, Bygmalion, Kadhafi, Arif, Benguigui, Guérini, Guéant, Andrieux…) donnaient l’impression qu’elle cueillerait le pouvoir comme un fruit mur, n’ayant pas à hausser le ton quand ses adversaires semblaient avoir tout fait pour précipiter la France vers le vote protestataire.

Encore quelques jours de campagne et des sondages fluctuants mais relativement serrés. L’ordre des choses qui voudrait qu’Alain Juppé l’emporte en proposant aux élus de bonne volonté un pacte pour redresser la France et éviter le marasme de l’extrême droite. Un irrésistible vote en faveur des partis de gouvernement qui avaient pourtant tant déçu. La promesse, cette fois-ci de tout changer et d’être exemplaires. Beaucoup y croient encore mais iront-ils voter dimanche ?

Une alerte sonne sur mon portable. La mise en examen d’un homme politique d’un premier plan ou un nouvel attentat ? La goutte d’eau qui fait se renverser le vase déjà trop plein des désillusions des Français ?

par Arthur Choiseul, le 3 octobre 2016

 

*     *     *     *     *

 

« Le grand retournement »

« Ce qui devait arriver est arrivé » lâche, pensif, Jean-Pierre, accoudé au comptoir du bar de Levallois-Perret où je me trouve. Nous sommes au matin du 30 avril 2017 et les résultats du premier tour de l’élection présidentielle viennent de tomber, ils sont définitifs. Les finalistes seront donc, sans grande surprise, Marine Le Pen, qui est arrivée en tête des résultats avec 35% des suffrages exprimés ; vient à sa suite Alain Juppé, grand vainqueur de la primaire de la droite face à Nicolas Sarkozy en novembre dernier. L’ancien Premier ministre a su réunir 30% des suffrages, non sans grande peine, notamment face à la rude concurrence que lui a imposée l’ancien ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui affiche pour sa part un score de 15%.

Que va-t-il advenir ? L’heure n’est pas encore celle des règlements de comptes mais bien des alliances et autres arrangements. Autour de moi, la France s’apprête à retenir son souffle : Marine Le Pen, fille de Jean-Marie, n’est plus qu’à une marche du pouvoir. Est-ce seulement possible ? « Il est temps que cela bouge ! » peut-on entendre crier au fond de la pièce, alors que sur l’écran de télévision du bar les journalistes des chaines d’information en continu s’affolent et font se succéder leurs analystes en tout genre.

À droite, l’heure est à la confusion, pour ne pas dire à l’éclatement ; pire, à l’implosion. Les copéistes - représentant la droite de la droite - se laissent charmer par les intérêts qu’ils pourraient tirer à assumer un coming out politique en appelant à voter Front national. Jean-François Copé se rêve déjà place Beauvau.

Dans le camp sarkozyste, les débats tournent à la schizophrénie. Que faire ? Soutenir Marine Le Pen et risquer le désaveu de toute la classe politique, ou bien choisir le difficile chemin de la raison politique et appeler à voter Alain Juppé ? La primaire a laissé des traces entre les deux camps et les affaires judiciaires rattrapent l’ancien présidence de la République. Il semble coincé pour de bon. Pour quand, le coup de grâce ?

Dans le camp du maire de Bordeaux justement, les discussions sont plus calmes. « Nous n’avons encore rien décidé, pour le moment, en ce qui concerne la formation d’un possible ticket avec M. Macron. » entend-on alors à la télévision. C’est la voix de Benoist Apparu, le porte-parole d’Alain Juppé, qui répond à des journalistes, surexcités par la possibilité d’un scoop imminent. C’était prévisible : « AJ », comme le surnomment ses troupes, sortirait grandi d’une alliance d’entre-deux tours avec l’ex jeune loup de Bercy, les voix du centre (centre-gauche et droit) lui étant acquises dans une large mesure depuis plus de quatre mois. Leurs scores additionnés signeraient la consolidation du centre du paysage politique français face à ce que beaucoup appellent « la tentation des extrêmes ».

En effet, Jean-Luc Mélenchon, de son côté a totalisé presque 15% des suffrages à l’issue du premier tour du scrutin présidentiel. Il a ainsi quasiment doublé son score de 2012 à la tête de la gauche radicale. Vivement critiqué dans son propre camp pour cause de souverainisme, il aurait pu obtenir encore plusieurs milliers de voix s’il avait pu bénéficier du soutien de dernière minute du Parti communiste et faire de l’ombre à son némésis de gauche, Emmanuel Macron. « C’est dommage, je l’aimais bien Méluche, c’est un sacré tribun et quelqu’un qui est proche du peuple » me fait remarquer la femme à ma gauche en sirotant sa bière. Ma conviction était alors que « Méluche » n’hésitera pas un seul instant à appeler à voter pour Juppé afin de faire barrage à Marine Le Pen, cela ne faisait aucun doute. De ce côté-ci nous étions a priori fixés.

Les pions se déplacent sur le grand échiquier politique national, la droite se disloque, la gauche s’affiche unie contre le Front national, comme dans un remake dépassé de l’élection de 2002 : les coups se rendront plus tard. Le grand oublié de cette campagne a finalement été François Hollande, président de la République pour encore quelques semaines mais inexistant depuis le mois de janvier. En effet, c’est au dernier moment que le désormais « plus impopulaire président de la République » a renoncé à se présenter à la primaire de la gauche, totalement siphonnée par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Ce qui fut présenté comme de la sagesse était empreint de résignation : François Hollande ne se représenterait pas, faute de soutiens. Ses dernières sorties face à des journalistes, fin 2016, lui avaient causé beaucoup de dommages, mais ce qui acheva l’ambassadeur de la Corrèze fut le ralliement in extremis de Manuel Valls à Emmanuel Macron.

Une page serait-elle en train de se tourner ? Voilà un an et demi que l’on rabâche cette question comme une sentence au sein du PAF, mais voilà que les prédictions se traduisent en actes. La génération Hollande/Sarkozy semble bel et bien battue, laissant la place libre à un remue-ménage atypique. Marine Le Pen, Alain Juppé et Emmanuel Macron ont su tirer leur épingle du jeu et obliger les formations classiques à se plier à leur vision de la politique : la transpartisanerie. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, signe un nouvel échec encourageant, comme en 2012, mais peine à rassembler hors de la gauche de la gauche. Ce n’est pas suffisant. Le second tour de l’élection présidentielle promet d’être haut en couleur, la France valsera pendant tout une semaine avant d’affirmer son choix d’avenir. Je reste face à cela, avec toutes mes questions, sans pouvoir faire autre chose qu’attendre.

« Garçon, une autre bière s’il vous plaît. »

Robin_Norman_Lewis

par Robin Norman Lewis, le 21 octobre 2016

 

*     *     *     *     *

 

« L’hypothèse progressiste »

La primaire des Républicains a été un véritable bain de sang et a connu son lot de coups bas. Juppé s’est réincarné en une sorte de Balladur bis et a entamé une folle dégringolade dans les sondages, laissant ainsi le champ libre à un Sarkozy rassemblant bien plus que son « fan club » habituel. Il a réussi à inclure dans son électorat toute une génération de Français ancrés à droite mais rechignant à voter FN à cause de l’assimilation du parti à la personnalité de Jean-Marie Le Pen.

Le premier tour des Primaires de la Droite et du Centre fut très serré ; le trio de tête : 1. Juppé, 2. Sarkozy, 3. Fillon. Avec un écart de moins de 200 voix entre l’ancien président et celui qui fut son Premier ministre, le second tour se déroula sur fond de scandale électoral. Sarkozy l’emporta de peu, les électeurs du centre et de gauche, plutôt favorables a priori au maire de Bordeaux, n’ayant pas souhaité s’impliquer dans une primaire salie par le scandale électoral.

L’électorat habituellement balancé entre la droite et la gauche et n’appartenant à aucun parti s’est par ailleurs retrouvé dans les idées et les prises de position d’Emmanuel Macron.

Notre cher François Hollande, président sortant, ne put, quant à lui, qu’assister à cette montée en puissance de Macron et de Benoît Hamon, et comme si cela ne suffisait pas, Manuel Valls lui tourna le dos, en ce qu’il apparaissait davantage présidentiable aux yeux de l’ensemble des militants PS. Il remporta ainsi la primaire du PS, Hollande n’ayant pas souhaité se présenter à nouveau. Valls se pose ainsi en régalien, il rassemble l’électorat socialiste.

Les résultats du premier tour ont été les suivants : 

1. Le Pen 30%

2. Macron 19%

3. Sarkozy 18%

4. Valls 15%

5. Mélenchon 13%

6. Bayrou 3%les 2% restants étant répartis entre les autres candidats.

« Pédagogie contre démagogie », voici le titre du Monde à la veille du débat du second tour. Emmanuel Macron se montrera-t-il à la hauteur de ses ambitions face à la bête politique Le Pen ?

Louis Poinsignon

par Louis Poinsignon, le 10 novembre 2016

 

*     *     *     *     *

 

« Politique et théâtralité »

Une nouvelle année, un quinquennat s’achève. Mais comme la théâtralité l’exige, un nouveau doit débuter.

Nous voilà donc en 2017, les primaires sont passées. Un constat va évidemment s’imposer ! Un constat que bien d’autres auront fait avant même les élections. Tout est relativement simple en fin de compte, une poignée de pions sont placés sur un échiquier. Des mains les dirigent, un coup à gauche, puis à droite. Le résultat sera toujours le même, un des deux joueurs l’emportera. Mais qui sont ces joueurs me direz vous ? Eh non, à votre grande déception nous, j’entends par là le peuple français, ne sommes que de joyeux observateurs. Observateurs d’une partie rudement bien truquée par les deux joueurs présents.

Quel en est le but dans ce cas ? Les empereurs romains l’avaient compris bien avant nous, il faut nous distraire, nous occuper pour nous détourner des vrais problèmes. Une stratégie qui a su au fil des siècles s’adapter pour rester d’une efficacité à toute épreuve !

Revenons au sujet, l’élection. Rien d’étonnant dans ces résultats, un Parti socialiste à l’agonie (eh oui, on aura au moins compris que la politique sociale dans un pays capitaliste, c’est juste pour nous vendre le truc). D’ici quinze ans, on aura de nouveau oublié cette constatation, mais bon… ! Continuons avec un Mélenchon essayant de rallier tant bien que mal des minorités, en oubliant que le communisme doit être porté par l’immense masse du prolétariat ! Une masse d’ouvriers délaissée qui va tout bêtement voir en face ce qui ce passe. Et là, la mère Le Pen les attend à bras ouverts avec un discours en revanche bien fermé. On offre ainsi sa place au second tour au Front national. Mais n’oublions pas la nature même du Front national, un pion de plus sur l’échiquier. Utilisé tantôt par la droite, tantôt par la gauche comme instrument électoral, Mitterrand ou même Chirac l’avaient bien compris, un deuxième tour contre le FN c’est une victoire quasi assuré. Mais néanmoins tout est possible, eh oui comme je vous le rappelle vous ne décidez de rien, si les puissants veulent la victoire du FN, ils l’auront. Les médias vendus depuis longtemps au plus offrant ne sont ni plus ni moins que la propagande bourgeoise moderne. Une propagande rudement bien exécutée qui nous mène en bateau en toute discrétion. 

Et cette année c’est aux ’’Républicains’’ (chacun son tour) de se retrouver à ce deuxième tour. Fort d’un déchirement interne qui a su faire sa ’’pub’’, et égalemet par manque de choix, le parti mené par le vieux Juppé l’emporte pour ce premier tour avec une avance fragile. Encore une fois tout est calibré. Pour les observateurs attentifs, le résultat de cette partie d’échec est quasiment donné. Tout cela est quand même relativement déroutant.

Néanmoins dans cette partie si bien gérée des trouble-fêtes font leur apparition. À commencer par les abstentionnistes, toujours plus nombreux d’élection en élection. On y caractérise deux types d’individus. Ceux qui ne votent pas par désintérêt et dégoût total pour cette notion abstraite qu’est la politique, pensant peut-être à juste titre que leur vote ne changera rien. Et puis il y a ceux qui ne la connaissent que trop bien, cette politique, et qui ont compris que le suffrage universel depuis son instauration est un moyen pour les puissants de rester puissants. C’est donc dans ce cas-là un abstentionnisme qu’on pourrait qualifier d’anti-système, un système n’existant que par le biais des personnes qui le font vivre.

Ce deuxième type de personne, de plus en plus nombreux lors de ces primaires, fait face à toute une société ! Avec pour seule arme leur prise de conscience. Celle ci aboutit naturellement à une sorte de reprise du pouvoir pour et par le peuple via une perte de légitimité des gouvernements en place. Ce qui accentue ,à mon avis, le rythme des contestations sociales.

Ce phénomène d’opposition radicale au système via l’abstentionnisme découle d’un phénomène de plus grand d’ampleur, le vote ’’anti-système’’. Une notion que certains partis mettent en avant, à l’image du Front national qui se veut en rupture avec ’’l’UMPS’’. Ou également à l’image du candidat Donald Trump qui a su, de l’autre coté de l’Atlantique, jouer cette carte avec brio. Mais ils ne faut pas oublier que ces partis font pour le coup partie intégrante de ce système et ils en sont bien souvent la face la plus sombre.

Au final peu importent les résultats du deuxième tour, entre l’un ou l’autre de ces partis corrompus, le résultat n’en sera que plus ou moins tragique. Ce qui importe, et ce qui mettra fin à mon analyse, c’est le nombre de personnes qui auront compris tout ça et qui oseront dire ’’non’’ de quinquennat en quinquennat à ce système de la corruption.

Loris Cataldi

par Loris Cataldi, le 11 novembre 2016

 

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13 novembre 2016

Paroles d'élus : « Virginie Duby-Muller et Pierre-Yves Le Borgn', députés »

L’élection choc du Républicain iconoclaste Donald Trump à la présidence des États-Unis au milieu de cette semaine a été lue par beaucoup de commentateurs comme la manifestation dans les urnes d’un sentiment puissant - et jusqu’ici latent - de révolte d’une bonne partie du peuple américain. Révolte contre quoi, contre qui ? Sont pointées ces criantes inquiétudes qui touchent au déclassement économico-social dans un monde de plus en plus impitoyablement concurrentiel ; à des problématiques d’identité dans un monde à l’ouverture parfois anarchique et souvent poussée de manière quasi-dogmatique. Les mêmes ressorts que pour le Brexit du mois de juin. Derrière ces phénomènes, massivement ressentis dans un Occident en perte de repères, on croit voir la main d’une élite dont les intérêts divergeraient sur l’essentiel de ceux des peuples : élites économiques et financières, élites bureaucratiques... et bien sûr élites politiques. En France, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, en particulier s’agissant de ce dernier point : la défiance envers le politique atteint des niveaux considérables que ne peuvent qu’alimenter scandales ou « indélicatesses » indignes qui, bien trop souvent, éclaboussent des politiques et salissent nos démocraties ; les chiffres de l’abstention lors de chaque scrutin et les intentions de vote pour les anti-système le démontrent régulièrement.

Dans ce contexte, et alors même qu’à titre personnel je suis issu et me sens donc solidaire de ces milieux qui se sentent laissés pour compte (pour ne pas dire autre chose) ou trahis, j’ai souhaité pour cet article m’inscrire à contre-courant de ces mouvements dont on se surprend à chaque scrutin à découvrir la puissance. Parmi les intervenants qui, tout au long des cinq années et demie d’existence de Paroles d’Actu, ont répondu à mes sollicitations pour des interviews, j’ai été touché par l’accueil qui m’a été fait, immédiatement et de manière constante, par deux primo-députés de la mandature en cours : Pierre-Yves Le Borgn, élu socialiste des Français de l’étranger (Europe centrale et orientale) et Virginie Duby-Muller, élue Les Républicains de Haute-Savoie. Combien de discussions, devant la machine à café, sur les « privilèges exorbitants » des députés ? Et combien, finalement, sur leur travail effectif - c’est-à-dire : tout sauf les questions au Gouvernement ? Mi-septembre, j’ai proposé à ces deux députés que nous ayons ensemble des échanges croisés (ils se sont déroulés jusqu’au début du mois d’octobre) portant sur le fond de leurs actions et engagements respectifs. La parole, donc, en ces temps de défiance profonde envers le politique, à deux élus de la République dont j’ai la conviction profonde qu’ils sont de ceux qui n’ont pas oublié d’où ils viennent, de qui ils tiennent leurs mandats, ni pour qui ils l’exercent. Des confidences précieuses, parfois touchantes, parfois révoltées... et qui sonnent justes. Une exclusivité Paroles d’ActuPar Nicolas Roche.

 

PAROLES D’ACTU - PAROLES D’ÉLUS

« Virginie Duby-Muller et Pierre-Yves

Le Borgn’, députés de la République » 

Pierre-Yves Le Borgn et Virginie Duby-Muller (perchoir)

Photo pour Paroles d’Actu, datée du 9 novembre 2016.

 

Paroles d’Actu : Comment avez-vous vécu vos premiers jours, vos premiers pas à l’Assemblée nationale ? Votre vie, à l’un comme à l’autre, a-t-elle changé radicalement à partir de ce point ?

Virginie Duby-Muller : Mon élection fut évidemment un moment particulièrement fort et symbolique : après une campagne de terrain, je suis devenue députée de la Nation en juin 2012. Les résultats sont tombés le dimanche soir, et j’ai dûêtre à Paris dès le lendemain : à peine le temps de savourer la victoire, que nous sommes déjà dans la course du mandat.

Mon arrivée à l’Assemblée nationale restera évidemment un souvenir très important. Faisant partie des six députés les plus jeunes de l’Hémicycle, j’ai eu l’honneur d’être membre du « Bureau d’âge » lors du premier jour de séance, et d’assister le doyen qui préside cette séance inaugurale. Ce fut un moment particulièrement marquant et émouvant, où j’ai pu sentir la puissance symbolique du lieu, notamment en vivant moi-même le cérémonial d’entrée dans le Palais Bourbon, depuis l’Hôtel de Lassay jusqu’à l’Hémicycle, entourée par la Garde Républicaine, sous leurs roulements de tambours. Ce moment hors du commun m’a rappelé l’importance de la fonction, la responsabilité qui m’avait été confiée.

« Malgré mon élection, je ressentais ma présence

à l’Assemblée comme étant un peu étrange :

tout était à construire... »

Pierre-Yves Le Borgn’ : Je suis venu à l’Assemblée nationale le jeudi 21 juin 2012, quatre jours après mon élection. J’ai vécu avec beaucoup d’émotion ce moment-là, en particulier lorsque, conduit par un huissier, je suis entré dans l’Hémicycle, pensant à mes parents et à tous ceux qui, dans mon parcours de vie, m’avaient encouragé et touché, sans imaginer un instant que ce parcours me conduirait à la députation. Je revoyais le visage aimant de ma grand-mère, garde-barrière et veuve de guerre, décédée quelques mois auparavant à près de 100 ans, que cet instant aurait rendu très fière (« fi-ru », m’aurait-elle dit en breton). Je viens d’un milieu humble et simple. Sans l’école et les bourses scolaires, sans la volonté et le travail, rien de cela n’aurait été possible. Je me sentais tout petit dans cet Hémicycle silencieux, imaginant sur les bancs et à la tribune, les figures historiques de mon Panthéon personnel : Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès France et François Mitterrand. J’avais gagné une élection et méritais d’être là, mais je ne pouvais m’ôter de l’esprit que ma présence était un peu étrange. Tout était à construire.

Ma vie a changé le 17 juin 2012. Après plus de 20 ans dans le secteur privé industriel, j’ai tourné une page. Je m’y étais préparé. Il y a cependant comme une forme de choc à ne plus tenir de conférence téléphonique avec les équipes, à ne plus avoir les yeux sur les comptes de résultats, à ne plus penser au business et même aux concurrents ! Ce quotidien s’est effacé pour faire place à un autre, commençant par le recrutement d’assistants parlementaires et l’installation de ma permanence à Cologne.

Paroles d’Actu : Comment les « anciens » vous ont-ils accueillis ? Avez-vous senti un soutien de leur part ?

Pierre-Yves Le Borgn’ : À l’Assemblée, dans les premières semaines, en l’absence de bureau attribué, je parcourais les salons devant l’Hémicycle… à la recherche du wifi. Et j’ai mis des jours à trouver la buvette des députés, n’osant pas demander mon chemin. Tout cela apparaîtra sans doute ridicule, mais j’avais l’impression d’entrer en 6ème et de porter l’étiquette de bizuth. Je connaissais quelques députés réélus, qui m’ont aidé et conseillé. Au sein du groupe socialiste, nous étions beaucoup de nouveaux et une forme de solidarité entre nous existait. Avec quelques limites cependant, certaines dents rayant déjà le parquet.

« Pas facile de tutoyer les anciens ministres...

mais on s’y habitue ! »

Virginie Duby-Muller : Au Palais Bourbon, j’ai ressenti un vrai soutien des « anciens », notamment de ceux de mon département. Une règle entre les députés favorise aussi cet esprit de cohésion : le tutoiement, que nous employons tous entre nous. Pas toujours facile de tutoyer des anciens ministres, mais on s’y habitue !

Paroles d’Actu : Comment avez-vous géré ce sentiment qui, comme je peux l’imaginer, vous habite en pareil cas : sentiment de responsabilité ; sentiment d’être « la représentation nationale » ?

Pierre-Yves Le Borgn : La responsabilité, je l’ai ressentie dès la première séance. La nouvelle majorité avait été élue sur une promesse de changement et les électeurs croisés en campagne attendaient que nous tenions nos engagements. J’avais le sentiment que nous devions assumer sans ciller un langage de vérité, expliquant nos initiatives, propositions et votes. Et les difficultés rencontrées aussi. Parler vrai, en somme. Venu à la politique dans le sillage des idées de Rocard et Delors, cette exigence de responsabilité m’habite depuis toujours. Sans doute avais-je déjà, en ces premiers jours de législature, la crainte que les jeux, postures et ambitions ne rendent l’action illisible et confuse. Cela n’a malheureusement pas manqué. Même si l’Assemblée reflète imparfaitement la diversité du peuple français, j’avais conscience que nous étions la représentation nationale et qu’il nous fallait agir avec rigueur, devoir et discipline. C’est pour cela que j’ai vécu l’affaire Cahuzac comme un échec collectif, voire une trahison du peuple souverain, les errements d’un homme éclaboussant la République et la vie politique, à rebours de la noblesse de l’engagement à laquelle je crois.

Paroles d’Actu : Comment avez-vous conçu votre rôle au sein d’un collectif à vocation bien précise (vous Virginie dans l’opposition, vous Pierre-Yves dans la majorité), avec tout ce que ça implique peut-être de « mise en scène » ou de postures au niveau d’un groupe (ça pose la question de la possibilité de travailler sereinement de manière trans-partisane, la distinction entre « plénière » et commission) ?

Virginie Duby-Muller : L’opinion publique a trop souvent tendance à réduire le travail parlementaire aux questions au Gouvernement du mardi et du mercredi. Cela donne souvent une image de brouillon, de politique agressive, d’interrogations uniquement rhétoriques, où chacun y va de sa petite phrase pour « piquer l’adversaire ». C’est surtout le travail en coulisses qui m’intéresse : celui des commissions, des groupes d’études, des rencontres en circonscriptions. J’y suis particulièrement attentive et assidue.

Être dans l’opposition pour un premier mandat, cela ajoute aussi du challenge à ce mandat. J’ai toujours voulu assumer mon appartenance au groupe des Républicains, tout en travaillant de manière constructive, pour des réformes nécessaires, et en valorisant le bien commun. En résumé, je fais partie d’un groupe, mais je souhaite conserver une liberté de parole, de ton et de vote. C’est une question de confiance avec les citoyens de Haute-Savoie, et de convictions.

Pierre-Yves Le Borgn’ : Je crois à la fidélité. Je tiens aussi à l’exigence de vérité et à l’indépendance de jugement. Enfin, je me défie de tout sectarisme. Je me suis engagé à fond dans le travail de la Commission des Affaires étrangères, construisant peu à peu, rapport après rapport, au sein du groupe socialiste comme de la Commission elle-même, une spécialisation sur l’environnement et la lutte contre les dérèglements climatiques, les droits de l’homme et la matière fiscale internationale. J’ai pris mes tours de permanence dans l’Hémicycle pour les débats législatifs, enchaînant (tout en les redoutant) les séances de nuit à n’en plus finir. J’ai souvent pesté contre cette organisation foutraque de nos travaux, le Bundestag, dont je suis familier, me renvoyant en boomerang l’image d’une institution organisée, prévisible et sereine. Je me suis endormi une nuit à mon banc, cuit de fatigue, entraînant un commentaire cinglant au micro d’un collègue de l’opposition, avec qui j’ai eu le lendemain matin une explication de gravure. J’ai défendu mon premier amendement de député à 5 heures 10 du matin en juillet 2012. Sur la vidéo, je ressemblais à Gainsbourg…

« Les différences existent, pas besoin

de les mettre en scène dans l’outrance »

J’ai vite découvert les postures, trucs de séance et autres colères surjouées pour la galerie et plus encore pour la télévision. Je m’y suis toujours refusé. Je ne juge pas cela utile ni digne. Les différences existent, il n’est pas besoin de les mettre en scène dans l’outrance. C’est pour cela que j’ai perdu en quelques mois l’intérêt que j’avais initialement pour la séance des questions au Gouvernement, même si je m’y rends toujours. Flatter le Gouvernement d’un côté, hurler à la ruine de l’autre, tout cela n’a pas grand sens et contribue malheureusement au regard désabusé que portent nos compatriotes sur l’institution parlementaire. J’ai défendu fidèlement le Gouvernement sur tous les textes où j’étais en accord. J’ai aussi assumé publiquement tous mes désaccords en m’abstenant ou en votant contre des textes soutenus par mon groupe parlementaire (loi renseignement, suppression des classes bi-langues, déchéance de nationalité, fiscalité sur les Français de l’étranger). Cela m’a valu parfois un purgatoire politique plus ou moins prolongé, si ce n’est une réputation de type pas facile. J’ai assumé, même si ce n’était ni agréable ni juste.

Paroles d’Actu : Est-ce que vous vous connaissez bien, tous les deux ? Avez-vous déjà eu des occasions de vous côtoyer, de travailler ensemble ?

Virginie Duby-Muller : Nous avons surtout eu l’occasion de travailler ensemble lors des réunions du groupe d’amitié France-Allemagne, que préside Pierre-Yves et qui organise de nombreuses auditions. Nous accueillons également chacun un stagiaire franco-allemand tous les ans à Paris dans nos bureaux, dans le cadre d’un échange mis en place entre l’Assemblée et le Bundestag.

Nous nous entendons très bien, la preuve que l’appartenance politique ne fait pas tout ! Pierre-Yves Le Borgn est un excellent député, pointu et consciencieux sur ses dossiers. Nous avons un peu la même manière d’évoluer à l’Assemblée et de définir notre mandat : avec une liberté de parole, des convictions que nous respectons, et beaucoup de travail !

Pierre-Yves Le Borgn’ : Nous avons en effet fait connaissance au sein du groupe d’amitié France-Allemagne, que je préside. J’ai tout de suite apprécié l’échange franc, direct et sympa avec Virginie. Peut-être y avait-il là une forme de solidarité entre primo-députés, mais pas seulement. Je m’attache à l’unité des gens, à leur sincérité et à leur force, au-delà des différences partisanes et de vote. Tout cela n’est pas très politique, mais je revendique cette approche personnelle, corollaire de l’horreur absolue dans laquelle je tiens le sectarisme. J’ai noué des relations fortes avec des collègues de l’opposition, voire même des liens d’amitié, et j’en suis heureux. Pour une large part, c’est le travail en commun au sein du groupe d’amitié France-Allemagne, l’attachement à l’Allemagne qui nous rassemble, qui y a conduit. C’est ainsi par exemple que, comme elle l’a rappelé, Virginie et moi nous retrouvons chaque année à travailler tous deux avec un(e) stagiaire allemand(e). J’ai souvenir aussi que Virginie avait mentionné mon désaccord sur la suppression des classes bi-langues dans une question qu’elle posait à Najat Vallaud-Belkacem et mes oreilles avaient beaucoup sifflé après coup au sein du groupe socialiste !

Paroles d’Actu : Quels sont les grands moments de la vie du parlement et de la vie de la Nation qui vous ont marqués, en tant que citoyens comme en tant que députés ?

Virginie Duby-Muller : Je pense d’abord au Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 16 novembre 2015. C’est un moment que j’aurais préféré vivre dans d’autres  circonstances. Après l’horreur des attentats, je crois que nous étions tous un peu sonnés, l’émotion dans la salle était palpable. C’était un après-midi très solennel, où la nécessité d’union et de solidarité face à la barbarie a été rappelée.

J’ai également été marquée par le vote de la loi sur le mariage pour tous, qui s’est révélée profondément clivante. Les débats étaient particulièrement agressifs et offensifs dans l’Hémicycle, et m’ont laissés un souvenir amer. C’est souvent le cas pour les votes parlementaires sur des sujets de société, qui instaurent des discussions pesantes, exacerbent les passions, encouragent la démesure des réactions. 

« Le débat sur le mariage pour tous était important,

les arguments des uns et des autres

étaient légitimes ; cela aurait mérité

de vrais échanges, plus apaisés »

Le débat était pourtant important, des arguments étaient légitimes des deux côtés de la mobilisation : cela aurait mérité davantage d’échanges apaisés et dans la co-construction.

Pierre-Yves Le Borgn’ : Le moment le plus impressionnant pour moi restera également cette réunion du Congrès du Parlement à Versailles, le surlendemain des attentats terribles du 13 novembre 2015. Nous étions en état de choc collectif. La guerre venait de nous être déclarée par une organisation terroriste s’en prenant aux valeurs et à l’art de vivre de la France. Je repense aussi au discours de Manuel Valls devant l’Assemblée en janvier 2015, suite aux attentats à Charlie Hebdo et à l’Hypercasher de la Porte de Vincennes. Et cet instant où notre collègue Serge Grouard, député du Loiret, lança une Marseillaise a capella totalement inattendue, que nous avions reprise tous ensemble. Au rang des souvenirs heureux, je revois le moment où je pousse sur le bouton « pour » et contribue, en mai 2013, à l’adoption définitive de la loi sur le mariage pour tous. J’ai dans mon entourage de très proches amis homosexuels et je savais combien cette égalité-là, ce droit d’épouser l’être aimé et de construire une famille, était le combat de toute leur vie. J’en ai eu les larmes aux yeux sur l’instant. À tort ou à raison, j’avais le sentiment d’un moment historique, comme lors de l’adoption, des décennies avant, de la loi Veil ou de l’abolition de la peine de mort.

Paroles d’Actu : Un focus bien sûr sur ces événements si particuliers qu’on a vécus et que vous venez d’évoquer, à travers le prisme peut-être particulier de l’Assemblée et du travail en circonscription (questions, attentes, craintes des citoyens) : les attentats en France.

Virginie Duby-Muller : À Paris comme en Haute-Savoie, toute la France a été touchée par la brutalité et la barbarie de ces attentats. J’ai reçu beaucoup de questions sur l’islamisme, sur nos capacités à agir, sur notre action en tant que députés face à cette guerre contre Daech. J’ai vite ressenti un malaise en circonscription, dû à beaucoup de désinformation sur les attaques et sur nos actions en tant que députés.

Etant élue dans une zone frontalière, je suis aussi confrontée à d’autres problématiques spécifiques de l’état d’urgence, notamment celle des douanes. A l’heure où on les menace de suppression, je les défends sans relâche depuis de nombreuses années.

« L’obsession de voir sa tête, à la faveur

d’un bon mot ou d’un tweet, sur les antennes

des chaînes d’info en continu est un poison »

Pierre-Yves Le Borgn’ : Après les attentats, mais plus généralement aussi sur les textes majeurs examinés au cours de la législature, j’ai ressenti l’attente exigeante de nos compatriotes : des résultats bien sûr, mais aussi de la dignité. Être efficace, juste et respectueux. Ne jamais se donner en spectacle. Les gens ont pris la crise en pleine poire. La désindustrialisation est un drame humain, le chômage des jeunes tout autant. Bosser sans en rajouter dans le jeu de rôles, c’est respecter nos compatriotes. Nous n’y sommes pas toujours parvenus et je le regrette. Le microcosme qu’est le Palais Bourbon ne contribue pas à la sérénité. L’obsession de voir sa tête, à la faveur d’un bon mot ou d’un tweet, sur les antennes des chaînes d’info en continu est un poison. Le travail en circonscription et le contact avec nos compatriotes me ramènent toujours à l’exigence de sérieux et de sobriété. Une seule fois, je me suis mis en colère dans l’Hémicycle et je n’en suis pas spécialement fier. J’avais réagi vivement aux propos d’un collègue de l’opposition me traitant de « meurtrier » en raison de ma défense des droits des enfants nés par GPA à l’étranger. J’en ai été blessé comme homme et comme père. Pour ma part, je n’ai jamais invectivé personne.

Paroles d’Actu : Qu’est-ce qu’être député implique sur un plan personnel, humain : vous avez des enfants en bas âge tous les deux, on imagine que ça n’est pas forcément évident de gérer cela, y compris sur le plan émotionnel, peut-être de la culpabilité ressentie, quand on a une activité aussi prenante (et aussi mobile) que la vôtre ?

Pierre-Yves Le Borgn’ : Lorsque j’ai été élu député, mon petit Marcos avait dix mois. Je le revois encore, à mon retour de l’Assemblée nationale le 21 juin au soir, suçant ma toute nouvelle cocarde tricolore qu’il croyait être une glace. Pablo et Mariana sont nés depuis. Je me suis organisé pour être régulièrement avec eux et mon épouse, même si cela conduit à des nuits courtes et des départs très matinaux. Je suis un père avant d’être un député. J’ai renoncé à des missions et responsabilités pour être avec eux. La vie politique peut ruiner une vie de famille. Je ne veux pas que ce soit le cas pour la mienne. Certains collègues se sont moqués de moi pour cette raison. J’assume et je les plains quelque part. Vivre avec sa famille, voir ses enfants grandir et contribuer à leur enfance, c’est ce qu’il y a de meilleur. Pour eux, pour soi-même aussi. Dans plusieurs de mes interventions et nombre de mes votes, j’ai pensé à mes enfants. Notamment dans mon discours de rapporteur de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Je veux leur laisser un monde meilleur. Et je veux aussi qu’ils se souviennent, le jour venu, de leur papa comme quelqu’un qui aura accompagné leur vie, tendrement et sûrement.

Virginie Duby-Muller : L’articulation entre la vie familiale et les mandats est parfois compliquée. Je suis devenue député quand ma fille avait à peine six mois et je me déplace à Paris deux jours par semaine. Il n’y a malheureusement pas encore de crèche à l’Assemblée nationale !

Nous sommes d’ailleurs peu de femmes de moins de 40 ans dans la vie politique. Pour ce faire, il faut donc une bonne logistique, l’appui de son conjoint, de sa famille et une bonne nounou. Je n’accepte pas toutes les sollicitations, en particulier le dimanche après-midi, et je fais en sorte de préserver des moments exclusifs pour ma vie de famille, privilégier la qualité à la quantité. Et j’emmène aussi ma fille avec moi sur le terrain en Haute-Savoie, lors de déplacements moins officiels !

Je pense que la famille peut parfaitement évoluer avec une maman député : j’ai d’ailleurs toujours eu pour modèle des femmes actives, qui m’ont poussée dans mes études et incitée à être indépendante.

Paroles d’Actu : Comment vous vivez l’articulation, peut-être le « fossé » entre les phases « Hémicycle » et « circonscription » de vos mandats ? Quelques mots peut-être sur l’échange que vous pouvez avoir avec les habitants de vos circonscriptions respectives ?

Virginie Duby-Muller : J’accorde dans mon travail une grande place au terrain, sinon on peut très vite être déconnecté des réalités. J’effectue chaque année « une tournée » sur les 53 communes de ma circonscription. La circonscription et l’Hémicycle sont complémentaires : des problèmes remontent au niveau local, que nous pouvons régler au niveau national. Mon objectif, c’est d’être un relai efficace entre ce que je constate sur le terrain et ce qui peut être fait et voté à l’Assemblée nationale.

« Une bonne articulation Hémicycle/circonscription

est essentielle en ces temps

de crise de confiance citoyenne »

Cette articulation Hémicycle/circonscription permet aussi d’avoir un rôle pédagogique, pour expliquer ce que nous faisons à Paris, comment nous votons les lois, comment nous travaillons à l’Assemblée. C’est profondément nécessaire, à l’heure de la crise de confiance citoyenne et des préjugés sur les élus. C’est ce que je fais, le plus souvent possible, notamment en accueillant des groupes de visiteurs de mon département au Palais Bourbon.

Pierre-Yves Le Borgn’ : Je préfère la circonscription à l’Hémicycle. La vraie vie, la première des valeurs ajoutées, c’est le contact humain, la rencontre in situ avec les compatriotes et la résolution des questions qu’ils portent à mon attention. À chaque déplacement que je fais en circonscription, je tiens une permanence qui me permet de recevoir individuellement les gens, puis j’enchaine avec une réunion publique de compte-rendu de mandat. Je réponds à tous les courriers et courriels individuels que je reçois, sans aucune exception. Je prépare tous les trimestres une lettre d’information précise, qui présente dans le détail mes interventions et fait le point sur tous les dossiers affectant la vie des Français établis dans les 16 pays de ma circonscription d’Europe centrale et balkanique. Je tiens un blog dans lequel j’écris plusieurs fois par semaine. Je trouve que la vie politique communique mal et trop peu. Les gens n’attendent pas de moi que je les appelle à voter pour le Parti socialiste ou que je me comporte comme la brosse à reluire du Gouvernement. J’ai à leur égard à tout le moins une obligation de moyens et j’y rajoute une obligation de résultats.

Paroles d’Actu : Un point qui m’intéresse : de par vos circonscriptions respectives, vous êtes l’un et l’autre pas mal en rapport avec l’étranger, vous Virginie le transfrontalier, vous Pierre-Yves l’international. On a l’impression que beaucoup de vos collègues raisonnent quand même pas mal en des termes très « franco-français ». Est-ce qu’il y a une espèce de « communauté » particulière des parlementaires qui touchent à l’international ?

« Nous avons un devoir de curiosité d’esprit,

qui commence par l’exercice régulier

de la législation comparée »

Pierre-Yves Le Borgn’ : Il y a en effet une sorte de solidarité informelle des députés connaisseurs de l’étranger. D’une certaine manière, la vingtaine de collègues régulièrement présents depuis quatre ans aux manifestations du groupe d’amitié France-Allemagne que j’organise en est un exemple. Il faudrait que nous mobilisions davantage les groupes d’amitié dans cette perspective. Certains groupes n’ont aucune activité et c’est regrettable. Je suis membre de France-États-Unis, en souvenir d’une lointaine vie en Californie au début des années 1990. J’avais demandé au printemps dernier au président du groupe, durant la campagne des élections primaires américaines, d’organiser une réunion avec des journalistes américains à Paris pour parler des phénomènes Trump et Sanders. Il n’en a jamais rien fait. L’on s’étonne après de la tournure franchouillarde ou chauvine de certains débats… Nous avons un devoir de curiosité d’esprit, qui commence par l’exercice régulier de la législation comparée. Soyons fiers de notre pays, reconnaissons aussi qu’il n’est pas une île et que la connaissance de l’étranger est une chance pour bien légiférer.

Virginie Duby-Muller : [Ce contact avec l’étranger] est en effet une chance et un atout dans ma circonscription : notre proximité avec la frontière suisse amène de nouvelles problématiques, comme le travail des frontaliers, les relations économiques avec le bassin suisse, les questions de mobilité… Je pense que cette ouverture à l’international est primordiale aujourd’hui, et que nous ne pouvons plus nous permettre de raisonner uniquement sur du « franco-français ».

On se retrouve d’ailleurs, avec Pierre-Yves Le Borgn’, sur cette question, ce qui nous amène à avoir des positions communes. Ce fut notamment le cas dans notre opposition à la suppression des classes bi-langues, lors de la réforme des collèges de Najat Vallaud Belkacem. Etant tous les deux sensibles aux relations internationales et aux relations frontalières, nous connaissons l’importance de cet enseignement et les réussites de ces classes pour l’ouverture des élèves sur le monde.

D’une manière globale, les notions d’international et de transfrontalier sont fondamentales : en tant que représentants de la Nation, nous avons besoin d’avoir une ouverture sur le monde. J’ai eu l’opportunité d’effectuer plusieurs missions parlementaires à l’étranger, car il est important, effectivement, de s’ouvrir au monde, de faire preuve de curiosité, pour voir ce qui se passe ailleurs, et faire du « benchmarking ».

Paroles d’Actu : Parlez-nous de quelques uns de vos grands moments de joie, mais aussi de déception, peut-être parfois de découragement ?

Virginie Duby-Muller : Être élue de l’opposition n’est pas toujours facile, tant le fait majoritaire nous contraint dans l’Hémicycle. Mes principales déceptions (mais toujours pas de découragements !) viennent donc de là, de toutes ces occasions ratées où j’ai vu un sujet important et des mesures nécessaires être refusées par la majorité en place.

Mes moments de joie sont donc souvent des « petites victoires », comme lorsque ma proposition de loi relative à la déclaration de domiciliation fut examinée dans l’Hémicycle, mais malheureusement rejetée par la majorité socialiste.

Pierre-Yves Le Borgn’ : J’en ai déjà un peu parlé pour ce qui est de la joie ou à tout le moins des moments heureux, en référence notamment au vote de la loi sur le mariage pour tous. Mes moments de satisfaction sont cependant bien plus sur les dossiers que je traite en circonscription que dans l’Hémicycle. Avoir contribué, par exemple, à mettre un terme au prélèvement indu opéré par les caisses d’assurance-maladie allemandes sur les retraites complémentaires de l’AGIRC et de l’ARRCO perçues en Allemagne. Avoir bataillé pour le remboursement de la CSG prélevée à tort sur les revenus des personnes non-affiliées à la sécurité sociale française. Ce sont des centaines d’heures de travail et de batailles, que j’ai eu la chance de mener à bien. Les déceptions, c’est quand rien n’avance, que le Gouvernement dit quelque chose et que l’administration fait l’exact inverse, quand une promesse est faite et qu’elle n’est pas tenue, quand les courriers aux ministres ne reçoivent pas de réponse. Je n’ai jamais été découragé. Je n’ai pas le droit de l’être, outre que ce n’est pas non plus dans ma nature. Je me suis fâché parfois, fort même, face à l’incurie, au manque de rigueur et à la duplicité. Cela me vaut de croiser des ministres qui ne me saluent plus et me zappent de toute information lorsqu’ils se rendent dans ma circonscription. Ce n’est pas drôle, mais je préfère le résultat à la courtisanerie.

Paroles d’Actu : Comment vivez-vous cette espèce de défiance très perceptible des citoyens envers le politique, qu’on sent par moments assez explosive ? Qu’est-ce qui à vos niveaux pourrait être fait pour y répondre (réformes institutionnelles ou démocratiques notamment) ?

Pierre-Yves Le Borgn’ : Je la vis mal, surtout lorsque se rattache à cette défiance une présomption d’incompétence et de malhonnêteté. Cela me met en rage. Mais si la vie politique française en est là, c’est parce que l’on promet tout le temps et abuse ensuite les gens. Les déclarations de matamore dans les campagnes électorales ou les petits coups tactiques font le plus grand mal. Voyez Sarkozy et Hollande, qui avaient promis par écrit aux pupilles de la Nation de la guerre de 1939-1945 un dédommagement, par extension de décrets datant de 2000 et 2004. Parvenus aux responsabilités, l’un comme l’autre n’en ont rien fait. Près de 10 000 personnes, les pupilles de la Nation, le vivent aujourd’hui cruellement. C’est inacceptable. Avec Yves Fromion, député LR du Cher, j’ai déposé une proposition de loi transpartisane, co-signée par 30 collègues PS, LR et UDI, pour que ces promesses soient tenues. À l’arrivée, parce que cette proposition de loi inédite rappelait chaque camp à ses engagements, ni le groupe socialiste ni le groupe LR n’ont accepté l’inscription de notre proposition à l’ordre du jour de l’Assemblée. C’est affligeant.

« La vie politique crève d’un entre-soi coupable :

la démocratie participative doit être l’une

des réponses à privilégier »

Je voudrais par exemple pouvoir imaginer une organisation institutionnelle plus simple permettant un droit effectif de pétition citoyenne, contraignant pour l’examen d’un texte au Parlement. Je pense aussi que les tâches de contrôle du Parlement devraient être renforcées, quitte à prendre du temps sur le travail législatif, obstrué par des centaines, voire des milliers d’amendements inutiles car hors du domaine de la loi et impossibles à mettre en musique au plan réglementaire. On perd un temps infini à discuter du sexe des anges à 4 heures du matin dans l’Hémicycle, juste parce qu’un ou plusieurs collègues entendent coller leurs noms derrière un amendement dont tout le monde sait, à commencer par les intéressés, qu’il ne débouchera jamais sur aucune action publique que ce soit. Il me semble également qu’il faudrait mieux rendre publiques les études d’impact et y associer bien davantage les Français. La vie politique crève d’un entre-soi coupable, alimentant l’idée – injuste – d’une caste. La démocratie participative doit être l’une des réponses à privilégier.

Virginie Duby-Muller : La défiance envers nos institutions, envers les « politiques », envers notre fonctionnement législatif et exécutif n’a jamais été aussi forte. On parle de « crise du politique », du « tous pourris », de scandales médiatiques, de crise de confiance envers les représentants du peuple. On reproche à l’administration ses structures verticales, ses hiérarchies pesantes, son management basé sur la méfiance, avec peu de place pour la créativité…

Bref, la fracture est imminente, et tout l’enjeu est d’agir rapidement et efficacement, pour adapter notre gouvernance. Nous sommes des citoyens du 21ème siècle avec des institutions conçues au 20ème, voire au 19ème siècle !

Un des bouleversements que nous subissons, c’est le numérique. Notre démocratie doit s’adapter à l’ère internet, et nous devons trouver comment. Nous sommes aujourd’hui à un tournant.

Et je pense que le numérique n’est pas la fin de la politique, mais c’est une révolution de la politique, un formidable outil pour la moderniser, et permettre une démocratie plus directe, ouverte, simplifiée, réactive et contemporaine. C’est une chance pour révolutionner l’engagement citoyen, et plus modestement améliorer la relation administration/citoyen. En France, les initiatives ne manquent pas. Il ne s’agit plus de projets futuristes encore dans les cartons. Ce sont par exemple des projets de co-production législative, comme c’est permis par le site internet « Parlements et Citoyens » : cette plateforme propose, en quelques clics, d’associer les citoyens à la rédaction des propositions de lois sur lesquelles nous, parlementaires travaillons. C’est un vrai travail de collaboration, pour arriver à un texte législatif au plus proche des intérêts des Français. Je pense aussi à la création de « La Vie Publique », émission qui propose sur YouTube de décrypter les questions au Gouvernement, avec la possibilité d’interagir en direct via un tchat intégré. Des applications se développent aussi dans les villes et métropoles, comme c’est le cas à Marseille, à Saint-Étienne, à Asnières, qui proposent une application portable permettant à n’importe quel habitant de signaler les problèmes de propreté. La mairie reçoit directement les géolocalisations, et peut ainsi agir, au plus grand bonheur des usagers. Je m’intéresse également à la Blockchain, qui permet aux personnes de réaliser entre elles des opérations garanties sans l’interaction d’un tiers de confiance. C’est évidemment une remise en question latente des institutions et de leur rôle d’intermédiaire dans bien des domaines.

« Le numérique devient une formidable opportunité

pour nos concitoyens en mobilisant l’innovation,

l’intelligence collective, la co-création »

Bref, le numérique devient une formidable opportunité pour nos concitoyens, en mobilisant l’innovation, l’intelligence collective, la co-création. Il leur permet de devenir eux même acteurs directs de leurs institutions, et partenaires dans les collectivités territoriales.

Paroles d’Actu : Un regard peut-être, lié, sur la nette poussée prévisible des anti-système en 2017 ?

Virginie Duby-Muller : Ces anti-système, extrême-droite et extrême-gauche, sont une menace réelle pour notre état de droit, et je les combattrai sans relâche. Ils profitent des faiblesses de notre société et surfent sur la peur des citoyens. Sur la forme, ils sont bien souvent excellents à ce jeu. Heureusement, sur le fond, leurs propositions sont biaisées par leur idéologie, et ne tiennent pas la route.

Le vote vers les extrêmes révèle avant tout un déficit d’adhésion, un vote par défaut, parce que notre politique actuelle est entachée par des « affaires », à gauche comme à droite. Nous devons faire preuve d’exemplarité, pour défendre le rôle des élus. Nous devons aussi nous réinventer, nous moderniser dans notre façon d’appréhender la politique. Et c’est mon engagement.

Pierre-Yves Le Borgn’ : Les anti-système surfent sur nos échecs, nos silences coupables et nos promesses inconsidérées. À ne pas dire toute la vérité, à la travestir ou à promettre sans tenir, on récolte la colère. Je crois à l’exigence de vérité, même lorsqu’elle est dure à entendre. Et face à la démagogie des anti-système, il faut se battre. Le racisme du Front national est insupportable. Tout cela doit se combattre frontalement, au nom des valeurs de la République. De même, raconter que l’on va sortir des traités européens et vivre notre vie de notre côté, c’est dire n’importe quoi, le savoir pertinemment et berner ainsi les gens à dessein. Voulez-vous d’une France autarcique, raciste, haineuse, ruinée et ridiculisée à l’échelle internationale ? Voilà ce qu’il faut dire face à tous ces oiseaux de malheur qui réapparaissent dans les périodes électorales, fuyant toute éthique de responsabilité, imbus d’eux-mêmes tant il est facile, avec le délire incantatoire pour seul fonds de commerce, de se payer de mots et de se faire applaudir.

Paroles d’Actu : Comment jugez-vous, l’un et l’autre, votre action depuis quatre ans et demi ?

Virginie Duby-Muller : En 2012, j’ai axé ma campagne autour de valeurs - travail, mérite, liberté - et me suis fixé une ligne de conduite - assiduité, transparence, disponibilité. Quatre ans et demi après, je trouve avoir tenu mes engagements, et je m’applique ces principes.

Sur la forme, j’ai toujours voulu faire preuve de disponibilité pour les citoyens, avec une permanence ouverte et accueillante, des déplacements et des permanences annuelles dans chaque commune de la circonscription, l’accueil de nombreux groupes de visiteurs à l’Assemblée nationale. Cela passe aussi par du travail de terrain, des visites d’entreprises et d’associations, des journées d’immersion (police, gendarmerie, pompiers).

Sur le fond, j’ai défendu de multiples dossiers, avec plus de 5000 interventions auprès des ministères, des collectivités, des administrations pour établir un projet de développement cohérent pour notre territoire, et relayer les préoccupations des citoyens : sur l’Education, sur le Logement, l’Emploi, le Transport, la Culture, les Relations transfrontalières, l’Agriculture, le Développement durable, le Commerce et l’Industrie…

Le tout, en m’appliquant à moi-même les valeurs de transparence et d’intelligibilité de mon travail  : j’ai voulu rendre compte de mon mandat tous les jours, via mon site internet et les réseaux sociaux, et avec une newsletter hebdomadaire et d’une lettre annuelle. Je publie également chaque année ma réserve parlementaire.

N’oublions pas que le mandat n’est pas fini : mes électeurs seront les seuls juges en juin 2017 !

« En entreprise, je n’aurais jamais accepté

cette inefficacité qu’en politique

je déplore au quotidien »

Pierre-Yves Le Borgn’ : J’ai sincèrement tout donné pour les compatriotes de ma circonscription, obtenant des succès dont j’ai parlé un peu plus haut. Je pense avoir fait avancer des sujets importants, localement et à l’Assemblée (notamment sur la lutte contre les dérèglements climatiques). J’ai aussi enregistré des frustrations face à des dossiers qui n’avancent pas, parce que le politique dit oui et que les instructions ne suivent pas. Je pense notamment aux drames des conflits d’autorité parentale dans les ex-couples franco-allemands. J’en suis à 14 réunions ministérielles en tête à tête, 10 en France et 4 en Allemagne. Les échanges sont toujours intéressants, si ce n’est prometteur, mais rien ne suit après coup. Cette impuissance du politique m’insupporte car il y a derrière cela des tas de petites vies d’enfants bousillées. Je repense parfois à ma vie d’entreprise. Jamais je n’aurais toléré que des instructions ne soient pas exécutées et que l’inaction, la pusillanimité et les tergiversations soient une manière de faire. Je n’ai pas été un député spectaculaire et médiatique tant je me défie de l’agitation personnelle et de l’autopromotion. Cependant, peut-être aurais-je dû parfois mieux m’appuyer sur la presse pour dénoncer l’inaction et le manque de résultats que je déplore ici.

Paroles d’Actu : Comment voyez-vous la suite, pour vous... et « accessoirement »... pour la France ?

Pierre-Yves Le Borgn’ : Je souhaite me représenter en 2017 pour un second mandat de député. Je dois pour cela solliciter la confiance des membres de mon parti dans le cadre d’une élection primaire ouverte à d’autres candidatures éventuelles. En tout état de cause, si j’étais réélu, ce second mandat serait le dernier. Je suis partisan du non-cumul des mandats, dans le nombre et dans le temps. Le Président Sarkozy avait dit un jour quelque chose de très juste en assurant qu’il arrivait dans la vie politique un moment où l’on passe plus de temps à durer qu’à faire (sauf qu’il ne semble pas y avoir pensé pour lui-même…). Deux mandats, c’est le bon timing pour moi : s’investir, bosser, avoir des résultats et transmettre le témoin. J’ai eu une vie avant d’être député, j’entends en avoir une après, notamment pour mes enfants. Cela ne veut pas dire se désintéresser de la chose publique, cela veut dire y participer différemment. La classe politique (expression que je n’aime guère) retrouvera le crédit qui lui manque si elle sait se renouveler.

Pour la France – et ce n’est aucunement accessoire, cher Nicolas – je souhaite un débat électoral vif, profond et serein, qui consacre l’urgence de réformes pour remettre le pays sur les rails d’une croissance pourvoyeuse d’emplois. La source de tous nos malheurs, de la désespérance et du pessimisme terrible du peuple français, c’est l’absence de jobs et de perspectives. Si la croissance ne revient pas, nous ne pourrons plus financer nos stabilisateurs sociaux. Et la croissance ne se décrète pas. Ce sont les entreprises qui créent l’emploi. Il faut travailler à un cadre économique et fiscal stable, qui encourage l’investissement, la recherche et l’embauche. J’ai tendance à croire que la majorité à laquelle j’appartiens peut y parvenir. Je m’emploierai à en convaincre, dans le respect de la diversité d’opinions des Français et de leur vote final.

Virginie Duby-Muller : Je souhaite me représenter aux législatives de 2017, parce que j’ai l’impression d’avoir encore beaucoup de choses à accomplir, de nombreuses autres batailles à mener au service de mon pays. Je reste aussi particulièrement vigilante sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont encore loin d’être acquises.

Enfin, la France est actuellement soumise à ses contradictions : nous devons réformer, libérer l’État, les énergies créatrices, les initiatives individuelles, tout en garantissant la sécurité de nos concitoyens et en assumant nos valeurs. En un mot : nous avons besoin d’audace.

 

Virginie Duby-Muller et Pierre-Yves Le Borgn

Photo pour Paroles d’Actu, datée du 9 novembre 2016.

 

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2 novembre 2016

Thierry Lentz : « Paris n'est pas qu'une fête, c'est aussi une cible... l'a-t-on déjà oublié ? »

Thierry Lentz, grand historien spécialiste des périodes Consulat et Empire et directeur de la Fondation Napoléon, compte parmi les contributeurs fidèles de Paroles d’Actu ; j’en suis fier et lui en suis reconnaissant. Quelques jours avant le premier anniversaire de la soirée terrible du 13 novembre 2015, je lui ai soumis quelques questions davantage ancrées dans une actualité immédiate que d’ordinaire : la parole en somme à un citoyen imprégné d’histoire - et il m’est d’avis qu’on devrait s’intéresser un peu plus à ce qu’ils ont à dire de l’actu, ces citoyens qui connaissent vraiment l’Histoire !

Joseph Bonaparte La fin des empires

Je signale au passage la parution, cette année, de deux ouvrages que je vous engage vivement à découvrir : la bio évènement, hyper-fouillée signée Thierry Lentz de Joseph, frère aîné à la « vie extraordinaire » de Bonaparte (Perrin, août 2016), et un ouvrage collectif passionnant, j’ai envie de dire « essentiel », que M. Lentz a co-dirigé aux côtés de Patrice Gueniffey (Perrin-Le Figaro Histoire, janvier 2016) et qui porte sur la fin des empires - lui-même a rédigé le texte sur la chute de l’empire napoléonien. C’était en aparté. Place à l’actu. Une actu dont on ne sait encore comment elle sera exploitée par ceux qui, demain, écriront l’Histoire. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Paris n’est pas qu’une fête, c’est aussi

une cible... l’a-t-on déjà oublié ? »

Interview de Thierry Lentz

Q. : 30.10 ; R. : 02.11

Bataclan

Après l’attaque du Bataclan... Photo : REUTERS.

 

Dans quelques jours, nous commémorerons, à l’occasion de leur premier anniversaire, les « Attentats de Paris », leurs 130 morts et leurs 413 blessés. Pour cette première question, déjà, j’aimerais vous demander comment vous les avez reçus et vécus à titre personnel, ces événements, à chaud puis, peut-être, avec le recul de l’historien ?

« Après la folle nuit du 13 novembre,

le 14 au matin, un silence terrible

dans le métro et les rues de Paris »

J’ai vécu ces attentats comme tous les Parisiens, dans l’angoisse d’abord, la colère ensuite. Il se trouve qu’habitant sur le chemin de l’hôpital de la Pitié, j’ai eu toute la nuit pour y penser : des dizaines d’ambulances, des sirènes… puis le lendemain matin, plus rien. Un terrible silence dans les rues et le métro. Je crois que je n’oublierai jamais ce moment-là. Heureusement, devant participer à un festival d’histoire près de Metz, je suis immédiatement allé « ailleurs », au milieu de personnes qui étaient certes abattues mais pas « témoins directs ». Le temps du recul est venu bien après, comme vous l’imaginez, d’autant qu’il y a eu Nice, ville où habitent beaucoup de mes amis et une partie de la famille. Une cousine de mon ex-épouse a été tuée ce soir-là, de même que deux amies d’une amie. Pour ce qui est du travail « d’historien », je crois qu’il est un peu tôt pour qu’il puisse commencer. Nous sommes encore en pleine crise et si je suis parfois frappé par certaines insouciances…

Est-ce qu’il y a, à votre sens, un « avant » et un « après » 13-Novembre, une rupture marquée dans l’esprit de la population française qui peut-être se serait sentie jusqu’à ce point relativement préservée en tant que telle des convulsions du monde, des soubresauts de l’Histoire ? Est-ce que vous pressentez, à la suite de ces attentats, une sorte de réveil, de sensibilisation nouvelle - durable ? - aux problématiques de sécurité, de renseignement, de défense ; une signification régénérée de la notion de « citoyenneté » ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait déjà un « après ». Il suffit de voir à quel point les pouvoirs publics masquent autant les causes profondes que les causes directes de ce qui nous arrive. Concernant le 13 novembre, j’ai suivi de près les travaux et conclusions de la commission d’enquête parlementaire, j’ai, je crois, lu à peu près tout ce qui a été publié de sérieux et ma conclusion est assez déprimante. Pour fuir certaines responsabilités, on a menti, par omission souvent, sciemment parfois. En ce premier anniversaire, je n’allumerai aucune bougie mais continuerait à poser des questions factuelles qui me taraudent. En voici quelques-unes auxquelles le ministre de l’Intérieur n’a toujours pas répondu. Pourquoi a-t-il attendu le 30 octobre 2015, neuf mois après les premiers attentats, pour annoncer son plan de modernisation des équipements de la police, plan qui n’est toujours pas mis en œuvre, ce que nous savons à travers les mouvements policiers actuels ? Pourquoi le Bataclan, qui était ciblé depuis 2009, n’a-t-il pas fait l’objet de mesures de protection particulières ? Pourquoi les dirigeants de la salle de spectacle n’ont-ils jamais reçu « l’avis à victime » prévu par la législation ? Qui a refusé l’intervention de la patrouille Sentinelle qui était devant le Bataclan pendant la fusillade (le ministère prétend qu’il n’a pas pu retrouver le responsable, ce qui est encore pire : il ne sait même pas qui donnait les ordres ce soir-là) ? Pourquoi les unités d’élite ne sont-elles intervenues que plus de deux heures après le début des faits ? etc, etc, etc.

Sur Nice, nous le savons tous, les questions sont encore plus graves. Il semble bien que les autorités de l’État aient, au départ, essayé de masquer des éléments essentiels. On avait baissé la garde… toujours l’insouciance. L’état d’urgence n’a été utilisé qu’avec parcimonie pour aller au fond des choses. Les territoires perdus sont bien loin d’avoir été reconquis. On ne nous parle que des « valeurs de la République », qui empêcheraient ceci ou cela. Parmi ces valeurs, n’y a-t-il pas le respect, y compris par la contrainte, du pacte social qui implique la protection des citoyens ?

« La fuite des responsabilités est quasi-générale... »

La fuite des responsabiltés est quasi-générale. Tiens : pourquoi, ne serait-ce que pour la forme, le ministre ou le préfet de police n’ont-ils pas présenté leur démission dans les jours qui ont suivi le 13 novembre ? Ça aurait eu « de la gueule », quitte pour le président de la République à leur demander de rester en fonction. C’est ce qui s’est passé en Belgique après les attentats de Bruxelles. Mais voilà, nos responsables ne le sont plus. On a décrété que M. Cazeneuve était l’homme de la situation, je ne le crois pas. Il passe son temps à finasser, à sauter d’une jambe sur l’autre, et ça n’est pas son air sérieux qui changera ma perception. Il n’a pas toujours dit la vérité et il en est une autre : il a été incapable de nous défendre. Quant au préfet de police de Paris, son incapacité, ses incohérences sont manifestes : 13 novembre, incapacité à faire respecter l’état d’urgence, interdiction d’une manifestation le matin et autorisation à midi, camps de migrants partout dans Paris (et pas qu’à Stalingrad), approbation béate des projets les plus absurdes de la mairie de Paris, dont la fermeture des voies sur berge, etc. Autrefois, le préfet de police de Paris était là pour maintenir l’ordre. Il était craint. On le regarde aujourd’hui avec un sourire triste. Je vous donne quelques exemples récents que j’ai constaté de visu de l’insouciance revenue. Récemment, le marais était rendu piéton pour un dimanche. Il y avait des milliers de personnes sur les voies. Au bout des rues, deux policiers municipaux et de frêles barrières Vauban. Ces policiers laissaient passer les taxis et beaucoup d’autres véhicules. Idem quelques heures plus tard à un vide-greniers de la Butte aux Cailles. Là, rues étroites et encore des milliers de personnes dans les rues. Aucun, je dis bien aucun, policier pour empêcher, par exemple, un camion fou de faire un carnage. Comme on nous le serine depuis des mois : Paris est une fête, il ne faut pas la perturber… Mais Paris n’est pas qu’une fête, c’est aussi une cible.

Quel regard et quel jugement portez-vous, globalement et dans le détail, sur les grandes orientations de politique étrangère de la France au cours des deux derniers quinquennats ? Est-ce que de vraies bonnes choses sont à noter ? Des imprudences de portée potentiellement historique ?

(...) Êtes-vous de ceux qui considèrent que la France serait encore trop « dans la roue » des Américains en politique étrangère, ce qui nous empêcherait de mieux dialoguer, comme il en irait peut-être de nos intérêts, avec par exemple des pays comme la Russie ? La question de l’appartenance de notre pays à l’Alliance atlantique devrait-elle être posée, d’après vous ? La France a-t-elle encore une voix originale, singulière à porter sur la scène des nations ?

Là, nous changeons de sujet… Il est frappant de voir que certains pensent que, parce qu’ils changent de politique un beau matin, l’état du monde et les forces profondes de la géopolitique changent en même temps. C’est à la fois présomptueux et dangereux. La politique gaullienne est morte avec Nicolas Sarkozy et l’intégration complète à l’Otan. Dès lors, la France n’a plus qu’une politique suiviste et sans originalité. Nous nous en rendrons compte bientôt.

« On n’arrivera jamais à rien avec la Russie

si on ne s’attache pas d’abord à la comprendre »

Vous parlez de la Russie, essayons de regarder ce dossier plus précisément. Prenons un exemple qui commence avec Napoléon, au hasard. On a coutume de dire qu’à Tilsit, Napoléon et Alexandre se sont « partagé le monde ». On en rajoute même avec l’histoire - jolie - du radeau sur le Niémen et des embrassades entre les deux empereurs. Même si l’on oublie qu’ils décidèrent très vite de poursuivre leurs discussions à terre tant le radeau était inconfortable, la légende du partage et de la séduction mutuelle ne tient pas. Elle tient d’autant moins que le traité de Tilsit était un accord uniquement justifié par les rapports de force entre un vainqueur (Napoléon) et un vaincu (Alexandre). J’ajoute qu’il ne pouvait pas durer pour une simple raison : il était par trop contraire aux réalités du monde et à la tradition séculaire de la diplomatie russe. Que recherchaient les tsars depuis Pierre le Grand ? Essentiellement deux choses : être pris au sérieux et considérés comme des Européens (d’où leurs appétits polonais et finlandais, leurs mariages allemands, etc.) et avoir accès aux mers chaudes (conquête de la Crimée par Catherine II, revendications sur Malte et Corfou de Paul 1er, nombreuses guerres avec l’Empire ottoman pour atteindre la Méditerranée, etc.) Quelle fut la réponse de Napoléon : la création du duché de Varsovie, la mainmise sur l’Allemagne avec la Confédération du Rhin, l’obligation pour Saint-Pétersbourg de rendre la Valachie et la Moldavie à l’Empire ottoman, soit tout le contraire des tropismes internationaux de la Russie. Qui plus est, l’obligation de déclarer la guerre à l’Angleterre (effective mais si peu active à partir de novembre 1807) ruina en un temps record le commerce extérieur du « nouvel allié » de l’Empire français. Qu’on ne s’étonne pas ensuite si Alexandre ne songea qu’à prendre sa revanche, non pour lui, mais parce que c’étaient la politique et l’intérêt de son pays, ce qu’il annonça de Tilsit-même à sa sœur Catherine. On connaît la suite et le résultat : au congrès de Vienne, on donna un gros morceau de Pologne à la Russie, on lui garantit de pouvoir commercer par les Détroits, Naples lui ouvrit ses ports et on accepta l’empire des tsars en tant que nation européenne en l’intégrant au « concert des puissances » qui allait gouverner le monde pendant un siècle. Suivez ces lignes de la politique extérieure russe pour la suite des décennies et, peut-être, vos réflexions sur un présent brûlant gagneront en profondeur. Pour dire les choses trivialement sur le présent : s’« ils » n’ont pas forcément raison (ils ont même probablement tort quelquefois), « ils » sont comme ça. Être européen, avoir accès aux mers chaudes - pourquoi pas avec un port au Moyen-Orient ? -, développer l’économie, montrer qu’on compte dans le concert des nations… Cela nous rappelle évidemment quelque chose d’immédiat.

En histoire, comparaison n’est pas raison, on ne le dira jamais assez. Mais en politique internationale, oublier l’histoire, c’est marcher sur une jambe en se privant de comprendre celui avec qui on discute (ou on ne discute pas).

Comme le dit un excellent spécialiste de politique étrangère de LCI, « ainsi va le monde » et il ne change pas si vite qu’on veut. Mon but n’est évidemment pas de « soutenir » Poutine, cela n’aurait à la fois aucun sens et aucune importance concrète. Je veux simplement souligner qu’avec Poutine ou sans lui, la politique extérieure de la Russie ne change pas comme on le croit sur un claquement de doigts. Notre seule possibilité de manœuvre est de contenir ce qu’il y a d’agressif dans la politique russe en ce moment. Sûrement pas de les forcer à abandonner ce qui fait le sens profond de leur position dans le monde.

Si on laisse de côté, ne serait-ce qu’un instant, le niveau déplorable du gros des discussions autour de l’élection présidentielle américaine à venir pour ne considérer que les orientations de politique étrangère affichées des deux candidats principaux, on remarque qu’il y a bien plus que d’habitude une véritable différence d’appréciation entre Hillary Clinton et Donald Trump : la première s’inscrit sur une ligne qui se veut volontiers interventionniste, le second paraît proche des isolationnistes. Est-ce qu’à votre avis, considérant l’état du monde et les intérêts de la France, l’une ou l’autre de ces alternatives est préférable ?

« Le monde paiera peut-être un jour, en mer

de Chine, le prix de la politique de retrait d’Obama »

Ce qui est frappant avec les grands politiciens américains, c’est qu’ils commencent toujours avec des avis péremptoires sur un monde qu’ils ne connaissent pas ou mal, avant de revenir au réalisme une fois élus. Encore que ça ne marche pas à tous les coups : voyez George W. Bush qui a vraiment tenté de faire ce qu’il avait promis, et avec le résultat que l’on connaît. Ce que l’histoire nous enseigne est ici de toute façon que la puissance prépondérante ne peut se désintéresser des affaires du monde, sauf à se faire prendre sa place ou, pire, à déclencher un cataclysme : voyez l’Angleterre à partir du début du XXe siècle ; elle laisse pourrir la crise des Balkans sous prétexte que ses « intérêts directs » ne sont pas menacés ; au bout du compte, l’Allemagne veut prendre sa place et l’explosion a lieu. Plus près de nous, c’est sans doute la plus grave erreur d’Obama qui a mis un mandat à se rendre compte que le retrait des États-Unis laissait toute grande la place à la Chine. L’Amérique (et le monde) en paieront peut-être le prix un jour en mer de Chine où il se passe des choses dont on ne parle pas en Europe, mais qui sont graves.

Ce n’est pas vous sans doute qui me direz le contraire : dans cette pré-campagne pour la présidentielle française de 2017, il est très peu question de retour d’expériences, de regards en arrière... en un mot d’Histoire. Est-ce que nos élites, nos hommes politiques ont perdu le « sens de l’Histoire » - et si oui est-ce que c’est manifestement néfaste au pays ? Question liée : on a pléthore de personnalités politiques qui vont prétendre à la charge suprême... mais a-t-on encore des hommes d’État, dans le lot ?

« Cessons de chercher à faire "parler les morts"

et écoutons plutôt ce qu’ils ont à nous dire »

Nos hommes politiques connaissent mal l’histoire. Il se contentent de faire « parler les morts » en en appelant à Jaurès, de Gaulle et quelques autres encore. Au lieu de cela, comme le dit si bien Michel de Jaeghere, ils feraient mieux d’écouter ce que les morts ont à leur dire. L’historien a sans doute sur ce point quelques conseils et éclairages à donner. À eux ensuite de bâtir un avenir sur ce passé qui parle. Mais c’est encore un autre sujet…

 

Thierry Lentz

 

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