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Paroles d'Actu
8 août 2016

« Du salafisme et du djihadisme en France », par Pascal Le Pautremat

Il est beaucoup question, dans l’actualité aujourd’hui en France, de la manière dont il serait opportun de mieux contrôler ou en tout cas surveiller l’Islam qui se pratique sur le territoire national, les messages qui sont prodigués et les sources de financement notamment - des interrogations légitimes au vu du choc provoqué par les attentats récents perpétrés au nom et à la gloire du dieu des musulmans. « Pas d’amalgame », dit-on, et c’est en effet un point essentiel, fondamental : l’omettre reviendrait avant toute chose à oublier que numériquement parlant, et de loin, les premières victimes du djihadisme au niveau global sont des musulmans. « Djihadisme », « salafisme »... autant de termes qu’on ne maîtrise pas forcément toujours ou toujours bien.

En soi, le réflexe du « Pas d’amalgame » est noble mais il ne suffit plus : pour que puisse se tenir un débat en connaissance et intelligence de cause, loin des raccourcis insinués souvent à des fins politiques, il faut savoir de quoi on parle, définir les termes et les concepts. C’est ce qui a guidé la démarche qui m’a fait contacter le géopoliticien et docteur en histoire contemporaine Pascal Le Pautremat : à la mi-juin, je l’ai invité à écrire quelque chose autour de la thématique, « D’hier à aujourd’hui : le salafisme djihadiste en France ». Il n’était pas prévu que l’article se fasse avant septembre ; c’était sans compter sur les derniers développements, tragiques et sanglants, au premier chef desquels l’attentat de Nice, le 14 juillet. L’entretien, composé d’un long et passionnant propos introductif et de questions-réponses éclairantes, a été réalisé entre le 31 juillet et le 4 août. Je le remercie pour ce document, important ; un élément précieux à ajouter aux pièces du débat qui, à défaut de pouvoir être serein, doit au moins être réfléchi. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« De peur d’être taxé d’islamophobie, on a trop longtemps

refusé d’admettre qu’il y avait un Islam pluriel »

Du salafisme et du djihadisme en France.

Interview de Pascal Le Pautremat

Front al-Nosra

Des membres du groupe djihadiste Front al-Nosra près d’Alep, Syrie. Crédits photo : AFP.

 

Depuis les années 90 et, de surcroît, depuis le début des années 2000, la France est durement frappée par un terrorisme islamique colporté par des courants djihadistes plus ou moins occultes et dormants, également financés en partie par des mécènes en provenance de pétromonarchies. Le problème est aujourd’hui aigu avec un nombre de victimes qui s’amplifie tragiquement, contribuant à créer une atmosphère assez délétère en France sur fond de décrédibilisation de la classe politique, toutes tendances confondues, tant l’opinion publique a le sentiment que les moyens annoncés et les mesures édictées n’endiguent en rien cette menace constante, ce qui témoigne d’une nouvelle forme de guerre au cours de ce début du XXIème siècle.

Il existe pourtant de nombreuses expertises, de nombreuses analyses qui ont mis en avant, depuis plus de vingt ans, la dangereuse montée en puissance d’une communauté fondamentaliste musulmane, tant en France qu’en Europe ; une communauté islamique en relations étroites avec les mouvements les plus conservateurs qui émanent des pétromonarchies historiquement connues pour leur rigorisme religieux, à l’instar de l’Arabie Saoudite et du Qatar.

« Longtemps, le fait de pointer l’ascension

d’un Islam radical en France a valu d’être

catalogué complice ou partisan de l’extrême-droite »

Dénoncer la réalité de cet état de fait était souvent considéré comme faire le jeu d’une extrême-droite en embuscade, à l’affût de la moindre faiblesse des partis classiques pour, justement, légitimer ses états d’alerte répétés. Aujourd’hui, après l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, qui a fait 85 morts et plusieurs centaines de blessés, qui vient s’ajouter aux attentats de 2015, le ton a changé*. L’approche de la situation vis-à-vis de la communauté radicale musulmane de France a changé.

* Entre juin 1995 et l’été 2016, les attentats islamiques ont fait 250 tués et près d’un millier de blessés.

Reste à savoir si l’État français sera en mesure, sans être accusé par ses détracteurs de violer les droits constitutionnels et les principes de libertés et de droits de l’Homme, de mettre hors d’état de nuire tous ces différents réseaux qui, sous couvert de la communauté musulmane de France, ne font qu’attiser en sous-main les tensions et instrumentaliser des hommes et des femmes plus ou moins perdus pour des raisons socio-économiques ou pour des raisons psychologiques ou inhérentes à leur propre parcours de vie, fait de souffrances non digérées, d’amertume, de frustration ou vexations profondes... Des êtres humains, pourtant intrinsèquement sources de vie, qui deviennent instruments de mort, au nom de concepts dits religieux destinés à légitimer l’inacceptable.

En tout cas, les structures comme l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF), dont il ne faut pas sous-estimer la duplicité, les Frères musulmans, représentés notamment par Tariq Ramadan, depuis la Suisse, avec son frère Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève, et bien d’autres encore, sous couvert du salafisme, sous couvert de réseaux opérant en parfaite discrétion aux quatre coins du pays, sont clairement là pour faire avancer leurs principes rigoristes, en faveur de l’instauration de la loi islamique, la Charia, selon la fameuse « stratégie des étapes ».

Face à cette situation d’un Islam pluriel, en France, se pose à nouveau la question récurrente quant à l’opportunité ou non de promouvoir un « Islam de France », à savoir reposant sur une organisation et un financement clairs et transparents, tant en matière de formations et profils des imams que de lieux de culte focalisés sur une approche sereine, apaisée d’un Islam loin de tout prosélytisme communautariste et irascible. La création du Conseil français du Culte musulman (CFCM) en soi, présentée comme l’œuvre de Nicolas Sarkozy – c’est lui qui l’a rendu possible en s’impliquant personnellement même si le projet était « dans les cartons » du ministère de l’Intérieur depuis près de vingt ans – s’inscrit déjà dans cette approche conceptuelle.

« Nos politiques semblent découvrir à peine une réalité

ancienne: une part des financements provient du Maghreb »

On est en train de voir surgir plusieurs constats quant à ces financements, dont il ressort qu’ils proviennent non seulement de l’Arabie Saoudite et du Qatar mais aussi de la Turquie et des pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Je citerai, sans les nommer, les propos de députés en charge de la commission d’enquête sur ces questions-là, qui se sont dit choqués à la découverte des taux de financement importants imputables aux pays du Maghreb. Les bras nous en tombent, nous, experts - dont je pense faire partie, travaillant sur ces questions depuis pas mal d’années - face à ces réactions : il n’y a rien de nouveau sous le soleil, cette réalité-là remonte à plusieurs décennies. Je suis stupéfait de voir combien nous sommes dans une époque où nombre d’hommes et de femmes politiques semblent avoir la mémoire courte, semblent découvrir des situations qui ne sont pas nouvelles. Ce qui témoigne du manque de travail de fond sur le long terme, de manière continue sur ces questions. Tout est vu de manière épidermique, au gré de l’actualité dramatique de ces dernières années. Certains semblent se réveiller, sous les effets de l’appréhension collective, de la peur, de la hantise, du traumatisme inhérent aux attentats passés et de l’appréhension des prochains.

« La représentation actuelle de l’Islam en France

n’est ni stable, ni sereine »

L’autre vrai problème qui se pose par rapport à l’organisation de l’Islam en France et à la cohabitation des différentes tendances en son sein, qu’elles soient plus ou moins modérées, ou clairement fondamentalistes, à l’instar de celles qui sont dans le sillage de l’Union des Organisations islamiques de France, c’est celui des égos des uns et des autres. On y trouve des luttes de tendances, d’influences étatiques : ceux qui représentent l’Algérie veulent avoir l’ascendant sur ceux qui représentent le Maroc ou la Tunisie, et en marge de cela, ceux qui sont pour un Islam plus rigoriste et fondamentaliste, dans le sillage de ce qui émane du wahhabisme saoudien, etc. C’est là une situation de crise à laquelle nous sommes confrontés depuis des décennies et de laquelle l’État français ne parvient pas à s’extirper aisément : il suffit de refaire l’historique du Conseil français du Culte musulman pour constater combien il est difficile de concilier toutes les tendances sans contrarier les uns et les autres, combien l’UOIF s’est estimée lésée et a contribué, à plusieurs reprises, à des tensions en interne. On aborde en tout cas ici un point qu’il faut absolument garder à l’esprit : le manque de stabilité et de sérénité des représentants eux-mêmes de l’Islam en France. Cela reflète finalement la réalité de l’Islam dans le monde qui n’est pas apaisé, est toujours meurtri par une guerre « intraconfessionnelle », entre sunnites et chiites… depuis le VIIe siècle. Quel drame planétaire !

On en arrive maintenant à la question du salafisme. Quelques considérations générales, avant de répondre de manière plus précise à vos questions...

Déjà, et c’est un fait, les fondamentalistes, dans la logique du wahhabisme, ont tous la même finalité : appliquer la charia (ou loi islamique, ndlr) et l’étendre même. Seules les méthodes varient en fonction des tendances. Si vous prenez, par exemple, les Frères musulmans, qui ne sont pas tous pour l’application du djihad stricto sensu, il faut plutôt respecter le régime politique en place, ses institutions ; il faut même profiter des logiques mêmes du multipartisme et des conceptions démocratiques pour gagner un assise de représentativité jusqu’à parvenir à participer à la vie politique puis à changer fondamentalement le système politique une fois au pouvoir.

« Les Frères musulmans entendent instaurer la charia

en jouant le jeu de nos systèmes démocratiques »

C’est cela qu’il faut absolument comprendre : les Frères musulmans souhaitent profiter des systèmes et politiques de communication en place, de l’importance des médias, de la séparation des pouvoirs de nos pays, etc. Ils veulent jouer de tout cela pour faire avancer leurs idées, leur concept de société. À terme, à la faveur de cette fameuse stratégie des étapes, ce qu’ils veulent faire émerger, notamment en France et dans les pays européens via l’Union des Organisations islamiques d’Europe (UOIE), c’est l’affirmation totale, pleine et entière de la charia. Cela ne passerait pas par des révolutions ; pas nécessairement par la violence.

Cette stratégie des étapes, ne satisfait guère certains qui, amers ou vindicatifs, ou en rupture avec la société qu’ils accusent de tous les maux, trouvent que, finalement, les idées développées par l’organisation État islamique en Irak et au Levant (EIIL), devenue État islamique puis maintenant Daech pour nous Français, ont quelque chose de très attractif. Ce qu’ils veulent, c’est mettre à terre les régimes occidentaux le plus vite possible, en y déstabilisant profondément les sociétés, en faisant éclater les tensions communautaristes et en instaurant, in fine, la charia. Donc effectivement, tout cela a eu un écho auprès de jeunes en totale rupture avec nos systèmes traditionnels, ou même un peu en marge sociologiquement parlant. D’autant plus qu’il y a maintenant toutes les nouvelles techniques d’information et de communication, via Internet et même le Darknet (voir à ce propos, l’interview de Vincent Joubert sur Paroles d’Actu, ndlr) notamment, qui contribuent, on le sait très bien, à favoriser, consolider, élargir des campagnes de communication extrêmement bien maîtrisées de la part de Daech.

« L’UOIF a organisé des conférences auxquelles ont été

conviés des prédicateurs légitimant le djihad en Syrie »

Il y a donc cette question majeure des jeunes sociologiquement déviants. Avec notamment les convertis des zones périphériques ou périurbaines, souvent au contact de jeunes maghrébins qui pour certains fréquentent assidûment la mosquée ou des groupes de pratiquants se voulant « puristes », et donc sectaires, avec des imams plus ou moins autoproclamés, qui prêchent des idées parfois déstabilisantes pour nos sociétés mais très attractives pour leur auditoire, notamment donc des jeunes voulant en découdre. Les jeunes convertis, pour certains, se projettent dans ce modèle d’un État islamique à venir. On a d’ailleurs vu l’UOIF organiser des conférences discrètes, au cours de ces dernières années, et faire venir des imams, des prédicateurs venant pour certains d’Arabie Saoudite, pour y promouvoir des concepts extrémistes, légitimant de manière détournée le fait de vouloir se rendre dans l’arc syro-irakien pour participer au djihad (exemple du Syrien Mohamad Ratib Al-Nabulsi ou du Saoudien Abdellah Sana'an, imam de Médine).

« Combien de journalistes se sont accrochés, au moment de

l’affaire Merah, à la thèse du "loup solitaire"... »

On voit donc que l’UOIF, tout comme l’UOIE, ont prôné leur propre logique de promotion d’un rigorisme fondamentaliste et que leurs franges les plus radicales sont dorénavant entrées dans une logique guerrière de manière très concrète. Ces jeunes trouvent plus attractif d’aller se battre en Syrie mais ils ont maintenant tendance à revenir en France et en Europe, contribuant en somme à déstabiliser les territoires occidentaux en question, comme on le sait. Il y a, outre les attentats, les réseaux dormants, les cellules en sommeil, toutes les filières de soutien logistique que l’on connaît ou que l’on subodore... Sur ces points, nombre de journalistes sont dans le déni. Je me souviens combien, au moment de l’affaire Merah, la thèse du «loup solitaire » était l’une des convictions essentielles des médias, et combien il a été compliqué de faire comprendre à certains que la réalité était totalement inverse... La donne a bien changé depuis. La réalité a éclaté au grand jour. Mais il aura fallu ces attentats, ces crimes effroyables et les enquêtes et états des lieux pour que beaucoup ouvrent les yeux… loin des dogmes, des convictions partisanes.

Aujourd’hui, donc, les traditionnalistes qui ne veulent pas nécessairement mettre à bas les régimes occidentaux se font dépasser par ces franges radicales salafistes ; loin du salafisme piétiste. Ces gens-là sont pour un salafisme qui prône le djihad, et il n’est pas question ici de travail sur soi ou de lutte contre soi-même mais bien de lutte contre ceux qu’ils estiment être des mécréants, les kâfir, les non-croyants comme ceux qu’ils estiment adeptes de religion autre que la leur.

Il y a actuellement une espèce d’agitation dans tous les sens de l’establishment politique français puisqu’il y a désormais une vraie prise de conscience de la menace alors que tout était pré-établi, affiché et annoncé depuis, je le répète, plus de vingt ans... Mais il y avait ce refus net de regarder les choses en face : de peur d’être taxé d’islamophobie, on a trop longtemps refusé d’admettre qu’il y avait un Islam pluriel.

« 3 à 400 000 fondamentalistes islamiques en France,

dont 15 000 sur une ligne dure... et plus de 2000 prêts à tout »

Un Islam pluriel qui fait qu’on a, aujourd’hui en France, une communauté de fondamentalistes estimée à entre 300 000 et 400 000, dont 15 000 qui sont viscéralement inscrits dans un fondamentalisme extrêmement rigoureux et véritablement enclin à briser les libertés individuelles, notamment celles de la femme. Et vous y trouvez un noyau dur, estimé, vers la fin des années 2000, à 2000 personnes environ réellement prêtes à tout : actes paramilitaires, propagande et prosélytisme jusqu’au-boutistes et sans nuance...

Depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie en 2011, il est très compliqué de connaître le nombre exact d’activistes ou de personnes potentiellement dangereux : il y a des allers-retours ; ceux qui ont quitté l’arc syro-irakien, qui vont transiter par l’espace pan-sahélien, remonter vers l’Europe puis rejoindre des cellules dormantes. C’est donc très compliqué de connaître la réalité des chiffres. Mais en tout cas, il y a urgence maintenant à agir.

« La solution ne viendra que des musulmans eux-mêmes »

En somme, la solution ne viendra réellement que des musulmans eux-mêmes, même si, bien sûr, il faut que les pouvoirs publics, de France, comme des différents pays européens notamment la Grande-Bretagne, soient à leurs côtés et soutiennent de façon très ferme une politique qui vise à éradiquer et interdire intégralement, sans concession aucune, l’enseignement d’un Islam rigoriste tel qu’on le voit pratiqué dans les institutions universitaires et scolaires financées par l’UOIF – ce qui est en soi est une contradiction stratégique monumentale puisque l’on cherche, conjointement, à tarir la source des dérives salafistes et djihadistes…

 

Quels sont les grands traits caractéristiques de la doctrine salafiste ? Est-elle nécessairement porteuse du concept de djihad en tant que devoir pour les fidèles ?

Pour être synthétique, il faut bien s’inscrire dans cette idée que le salafisme décline du wahhabisme. Le wahhabisme est apparu au XVIIIème siècle, avec le prédicateur et théologien Mohammed ben Abdelwahhab (1703-1792). L’idée est bien d’arriver à un système où il y a mise en place de la charia, qui doit être vraiment le maître-mot, la ligne de conduite politique, économique, sociale, sociétale, etc.

« Les salafistes croient être au plus près de l’Islam originel »

Les salafistes en tant que tels s’affirment davantage au XXème siècle. Parmi eux, il y a ceux qui sont dans une démarche dite piétiste – même s’ils sont très opposés aux soufistes -, ceux-là sont plutôt dans la réflexion intellectuelle, en faveur justement de la mise en place d’un système basé sur la charia, qui doit être vraiment le code de conduite à la fois personnel et collectif. Les salafistes, loin de toute humilité, s’estiment être les plus proches de l’Islam originel, ceux qui pratiquent le plus fidèlement l’Islam tel qu’il a été prodigué par le premier cercle des fidèles de Mahomet. Ils se disent puristes et considèrent que personne ne peut les concurrencer sur ce point.

Ils estiment que pour faire avancer cet Islam originel, il faut passer par le prosélytisme, l’éducation, etc. C’est d’ailleurs ce qu’à bien des égards on voit en France, avec des structures proches du salafisme et du wahhabisme qui pratiquent les mêmes démarches c’est-à-dire enseigner un Islam dit originel et refusant toute interprétation personnelle, toute mise en perspective liée à notre époque. Eux restent attachés à la lettre, mot pour mot, aux principes du Coran qui sont eux-mêmes d’ailleurs, pour certains, décriés, critiqués, par des pratiquants et intellectuels musulmans qui vivent avec leur temps et considèrent qu’il est grand temps de remettre à plat le Coran et de le réactualiser à notre époque.

« Les salafistes djihadistes, eux, veulent à tout prix

la restauration dans l’Oumma d’un califat »

À côté de ce salafisme plus intellectuel, axé sur le prosélytisme et la prospective via l’éducation, etc., il y a les salafistes djihadistes qui, eux, estiment que, de toute façon, à terme il faut absolument restaurer dans la Oumma (la communauté mondiale des musulmans) un califat qui n’existe plus depuis la fin de l’Empire ottoman, on le sait. Pour eux, tous les systèmes politiques autres, même dans le monde musulman, ne sont pas viables. Il faut absolument s’arquebouter sur la mise en place d’un califat en annihilant tous les autres systèmes politiques.

 

Quelles ont été les grandes étapes et causes décelables de l’installation du salafisme en tant que lecture de l’Islam en France, et dans quelle mesure peut-on l’imputer à l’immixtion de puissances étrangères comme l’Arabie Saoudite ?

Originellement, le salafisme est né du sunnisme, le Sunna, la tradition. Il s’inscrit dans la continuité du wahhabisme, qui est à la base strictement saoudien.

« Le salafisme djihadiste a explosé dans les années 80,

pendant la guerre russo-afghane »

Le salafisme djihadiste, celui qui nous inquiète aujourd’hui en France, a véritablement explosé dans les anneés 1980, pendant la guerre russo-afghane (1979-1989). Les États-Unis ont soutenu des mouvements islamistes de combattants, de volontaires musulmans venant du Proche et Moyen-Orient. Oussama ben Laden a été de ceux qui étaient à la tête d’un réseau sollicité par la CIA pour envoyer des combattants se battre auprès des moudjahidines afghans contre les troupes soviétiques.

Mais à terme, à la fin de la guerre en 1989, le problème s’est reposé : les Américains voulant prendre la place des Soviétiques, cela a été jugé comme étant irrecevable de la part des Afghans eux-mêmes, les moudjahidines. Ils vont ensuite entrer comme vous le savez peut-être dans des guerres entre différents groupes ethnies (Tadjiks, Pachtounes) sur fond d’arrivée de l’influence de l’idéologie talibane depuis le Pakistan…

C’est à partir de là qu’on va voir émerger des réseaux, via Al Qaïda, qui vont se retourner contre les Occidentaux qui sont entrés en butte avec eux. La suite, on la connaît : recrudescence, à partir des années 1990, des attentats, avec notamment ceux visant les intérêts américains en Afrique (en 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi, au Kenya, et de Dar es Salaam, en Tanzanie), la montée conflictuelle dans la Corne de l’Afrique, en Somalie, etc. Petit à petit des réseaux djihadistes ont malgré tout prospéré, sur fond de prosélytisme, avec des financements venant de mécènes saoudiens et même qataris.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, point d’ancrage majeur dans cette période tumultueuse qu’est notre ère contemporaine, il est clair qu’on a maintenant des financements très importants en faveur d’un salafisme qui n’est pas seulement en France mais est aussi implanté dans différents pays européens, avec un maillage des réseaux polymorphes.

 

Que peut-on dire de la structuration du salafisme en France aujourd’hui : est-ce que, pour une large mesure, il se pratique, se prêche de manière clandestine et, peut-être, de manière structurée, coordonnée ?

Les deux aspects sont présents, c’est le vrai problème : il y a un certain nombre de mosquées, même créées récemment en France, qui l’ont été avec des fonds saoudiens, qataris, turcs. Ces trois tendances, ce tryptique originel au niveau des financements, est loin d’être en faveur d’un Islam apaisé et apaisant. Il y a certes, un wahhabisme salafiste piétiste, prosélyte... mais il y a aussi la facette plus véhémente qui séduit ceux qui veulent aller encore plus loin et souhaitent passer à l’action.

Ceux qui veulent passer à l’action jouent la carte des réseaux dormants, font du relationnel d’homme à homme sans nécessairement passer par les systèmes de communication immatériels pour être moins repérés, moins repérables. Un peu comme faisaient, dans notre histoire, les résistants face à l’occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale. On privilégiait le contact humain, direct, pour éviter d’être trop repérable. C’est un maillage de salafistes qui est dilué au cœur d’une communauté musulmane de France qui est plurielle et qu’on connaît quand même très mal. On le sait très bien, on ne fait pas de recensement sur des données religieuses. Il suffit de voir le flou artistique permanent quant au nombre exact de musulmans en France : personne n’est en mesure de donner des chiffres exacts. On donne des fourchettes. Les estimations basses vont de 3 à 3,5 millions, les estimations hautes jusqu’à 6 millions. On est dans un flou assez stupéfiant.

« Les salafistes savent parfaitement jouer de nos lois, de nos

principes de liberté d’expression et de démocratie »

Les salafistes, eux, profitent pleinement de cette situation globale. Ils savent parfaitement jouer de nos lois, de nos principes de liberté d’expression et de démocratie, où tout peut être dit et pensé. Ils vont toujours avoir des moyens de se préserver, de se protéger. Ils attaquent tout de suite en justice quand il y a un journal, une revue, un livre, un expert qui s’exprime et développe une thématique qui va à leur dépens, pour intenter des procès aux rédactions de revues un peu trop critiques.

Ceux qui ont été un peu étrillés ces derniers temps sont les Frères musulmans, notamment Tariq Ramadan. Il fait partie de tous ces intellectuels – ce n’est pas un idiot, loin de là – qui ont un égo surdimensionné et défendent des approches de l’Islam, fort d’un double langage.

« En France, par souci d’économies notamment, on a

dramatiquement négligé le renseignement humain... »

Pour en revenir à la question de la structuration et de la clandestinité des réseaux : il s’agit d’infiltrer les réseaux pour savoir ce qu’il en est. De visu, de l’extérieur, c’est très difficile. C’est ce qu’on a manqué de faire suffisamment tôt. Les États occidentaux ont négligé le renseignement humain (HumInt pour Human Intelligence) et ont privilégié le renseignement électronique (Signal Intelligence). C’est un défaut qui a été remis à plat et reconnu par les Américains eux-mêmes suite au 11 septembre, donc ça ne date pas d’aujourd’hui... On a pris conscience du problème depuis le début des années 2000. En France on a vraiment péché par négligence, arqueboutés sur les questions de déficit budgétaire. Depuis au moins deux mandats présidentiels, jusqu’aux tragiques évènements récents, le mort d’ordre était à la réduction des effectifs dans les forces de polices et les services de sécurité intérieure, sans parler de ceux des forces armées.

 

Le mouvement djihadiste est-il plutôt en progression aujourd’hui ?

Oui. Le problème, c’est qu’on ne connaît pas le nombre de ses adeptes. D’autant plus qu’on a des petits nouveaux qui viennent de nulle part, des convertis ou des gens qui sont dans un mal-être et qui en ont marre de cette société qui s’effondre sur elle-même pour des raisons multiples. Ils sont capables de passer à l’acte en bénéficiant de complicités plus ou moins structurées, affimées, pour disposer de moyens logistiques, matériels. Les attentats de l’été 2016 comme de ces dernières années en témoignent. Ceux qui ont commis les attentats étaient loin d’être des loups solitaires...

« Notre système de médiatisation à outrance

est une entrave à la lutte contre les djihadistes »

L’un des soucis dans cette lutte contre les djihadistes, c’est notre système de médiatisation à outrance. Il faudrait absolument plus de discrétion de la part des médias et même de la justice, qui fait des conférences de presse donnant tous les détails sur la progression des enquêtes pas à pas, etc... Je trouve cela contre-productif. On ferait mieux de faire prendre conscience à tout le monde qu’on est dans une situation de guerre et qu’il faut garder son sang froid, et faire preuve de discrétion. S’il faut prévenir les familles, on le fait en catimini, mais on ne sort pas cela sur les chaînes d’info, en déclinant le profil des criminels à longueur de journée, etc...

 

Quelles dissensions entre l’organisation État islamique et Al Qaïda ?

On peut en trouver. Al Qaïda n’est pas pour démultiplier les exécutions publiques d’otages ou d’adversaires en grand nombre, etc. pour diffusion ensuite sur les chaînes de télévision. On se souvient du cas d’Abou Moussab al-Zarqaoui qui, jugé trop sanguinaire, avait été désavoué par Al Qaïda. L’Organisation avait même tenté de l’éliminer en vain… avant que les Américains ne le neutralisent en juin 2006, après maintes tentatives.

Al Qaïda est aujourd’hui davantage recentrée sur l’Asie du sud-est, globalement. L’EI se répand maintenant de l’arc syro-irakien - où il se trouve actuellement en difficulté tactique - vers l’Afrique pan-saélienne et vers l’Europe voire les États-Unis même si, s’agissant de l’Occident, c’est l’Europe qu’il privilégie.

 

Comment faudrait-il opérer pour prendre à bras le corps la question de l’Islam radical en France ? Quelles politiques sur notre territoire et à l’extérieur de nos frontières ?

« Il faut absolument fermer les pôles d’éducation liés à

des instituts qui prônent un Islam radical... »

Je le dis et je le répète : il faudrait absolument fermer tous les pôles d’éducation (niveaux primaire, secondaire et supérieur) qui sont liés à des instituts qui prônent un Islam radical. Il faut être franc et clair. Mais il est déjà presque trop tard. Si, en France, des hommes ou des femmes politiques ont le courage de la faire, comme cela s’effectue en Australie d’ailleurs, ils recevront évidemment des volée de bois vert, seront confrontés à une levée de boucliers de la part d’associations diverses et variées, qui s’arrêteront juste à l’idée d’atteinte au droit et à la liberté d’expression, etc...

Quand on voit la capacité de nuisance de l’Islam radical en France et en Europe, et même pour les musulmans eux-mêmes à travers le monde, vraiment nous sommes en train d’assister à la consolidation de toutes les mobiles propices à l’implosion de notre système éducatif global, de nos systèmes sociaux-culturels, de nos systèmes politiques multipartites, axés sur le parlementarisme.

 

Pascal Le Pautremat

 

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8 août 2016

« Les compétitions sportives internationales, lieux d'expression du nationalisme », par Carole Gomez

Les Jeux olympiques de Rio, qui viennent de débuter, apporteront à quelques uns des athlètes qui y prendront part, des déceptions amères pour ceux-ci ; pour ceux-là des joies immenses. Mais au-delà des performances collectives et individuelles, peut-on encore dire, sans parler même des aspects financier et économique, qui sont considérables, qu’il est ici « uniquement » question de sport ? Non, à l’évidence : on est forcément dans un peu autre chose s’agissant d’une compétition dont on estime qu’elle sera suivie, au moins en partie, par plus de la moitié des habitants de la planète ; l’histoire des Olympiades regorge d’ailleurs de moments chargés intensément politiquement parlant - questions intérieures ou tensions internationales. Les tensions sont là, elles sont multiples ; chargé et incertain, le contexte lest assurément : ces JO 2016 seront eux aussi, comme chacun de leurs prédécesseurs, au moins pour partie, « politiques ».

Le 30 juin dernier, alors que l’Euro de football battait encore son plein, j’ai pris l’initiative de proposer à Carole Gomez, chercheure à l’IRIS spécialiste des questions liées à l’impact du sport sur les relations internationales, de plancher sur la thématique suivante : « Les compétitions sportives internationales, un exutoire aux nationalismes ? ». Je la remercie pour son texte, qui m’est parvenu le 8 août : il est riche et, à bien des égards, instructif. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Jesse Owens

Jesse Owens, grand champion afro-américain (de cette Amérique qui n’était certes pas alors un modèle

de totales égalité et concorde entre les races) et meilleur athlète lors des Jeux olympiques de Berlin, en 1936 ;

Adolf Hitler les avait voulus une vitrine exposée aux yeux du monde de la supériorité

de la « race aryenne blanche ». Source de l’illustration : CNN.com

 

« Les compétitions sportives internationales,

lieux d’expression du nationalisme »

par Carole Gomez, le 8 août 2016

Alors que l’actualité internationale est pour le moins morose et complexe, certains commentateurs s’interrogent sur la parenthèse dorée que les Jeux olympiques de Rio vont pouvoir apporter. Place désormais au sport, aux records, aux victoires éclatantes, le tout grâce à la trêve olympique… Vraiment ? À l’heure où le sport est devenu un enjeu économique considérable, où les sportifs deviennent de véritables ambassadeurs, où les diplomaties sportives se multiplient et se diversifient, force est de constater que le mythe de l’apolitisme du sport reste toujours aussi présent et qu’il est brandi, comme un étendard à l’occasion de chaque grand évènement sportif. Qu’en est-il vraiment ? Ne peut-on pas, au contraire, considérer que le sport, loin d’être apolitique, est, au contraire, utilisé par les États comme vecteur de rayonnement et de puissance ? Les compétitions ne peuvent-elles pas être considérées comme un terrain d’expression du nationalisme ?

Le tenace mythe de l’apolitisme du sport

Présent dans la charte olympique depuis 1949 comme dans chaque règlement des fédérations internationales comme nationales, le principe de l’autonomie du sport est affirmé et revendiqué. Pour le comprendre, il s’agira de s’intéresser aux origines du sport moderne. Pierre de Coubertin, alors que le rêve olympique était encore loin, s’intéressa aux modèles anglo-saxons de sport, et y découvrit une liberté et une philosophie qu’il entendit reproduire pas seulement au seul hexagone, mais surtout au niveau mondial. Aussi, afin d’assurer la survie et le développement de son idée, Pierre de Coubertin fait de l’autonomie du sport un concept clé, lui permettant ainsi de ne pas en faire un sujet de débat politique et renforçant, in fine¸ son universalisme.

Plus d’un siècle après, alors que les conditions ne sont guère les mêmes et que le sport a obtenu une importance croissante, ce mythe perdure, envers et contre tout, en dépit de sa politisation galopante.

Une expression du nationalisme

Clausewitz considérait que la guerre était la continuation de la politique par d’autres moyens. Compte tenu de l’importance économique, sociale ou encore symbolique qu’a pu prendre le sport, cette comparaison apparait tout à fait pertinente dans le cas du sport. Ce dernier, et plus particulièrement dans le cas des compétitions sportives, est un terrain d’expression et d’affrontement pacifique entre deux équipes, deux pays. Le vocabulaire utilisé lors des rencontres est lui-même évocateur : « transpercer une défense », « déployer une attaque », « remporter une victoire », etc.

Comment dès lors expliquer cette importance politique croissante du sport ? Il convient dès à présent de rappeler que des organisations sportives internationales comme la FIFA ou le CIO comptent plus d’États membres que l’ONU. Appartenir à une fédération sportive internationale, c’est l’assurance d’avoir une représentation sur la scène internationale, ne serait ce que sportive. C’est aussi l’occasion d’entretenir des relations avec d’autres pays, de faire éventuellement des programmes de formation communs. En d’autres termes, cela permet à un État d’apparaitre indéniablement sur la carte du monde. La récente médaille d’or d’une judokate kosovare, la première de ce pays dans des Jeux olympiques, le démontre. Cette récompense olympique est un symbole fort envoyé à la communauté internationale sportive comme politique.

« Avec l’émergence du "sport power", le sport est devenu

un vecteur de reconnaissance sur la scène mondiale »

L’utilisation politique des grands évènements sportifs n’est pourtant pas nouvelle et les exemples des Jeux de Berlin de 1936 ou de la Coupe du monde de football en Argentine en 1978 sont mondialement connus. Si la Guerre froide nous a aussi offert un certain nombre d’exemples de confrontation pacifique entre les deux blocs et plus particulièrement entre les États-Unis et l’URSS, par le biais de matchs, mais aussi d’organisation de boycott, force est de constater que cette politisation du sport continue encore aujourd’hui. Avec l’émergence d’un « sport power » développé par différents pays, le sport est devenu un vecteur de reconnaissance sur la scène internationale. Par l’accueil de compétitions sportives, par les performances sportives, par la mise en valeur d’une formation, les États souhaitent se mettre en avant et démontrer leur dynamisme, voire leur supériorité dans certains domaines.

À ce titre, l’importance accordée au tableau des médailles et au classement des nations est évocatrice. Chaque pays jauge sa performance à la lumière de celle de ses concurrentes. Souvenons-nous de la réaction du Général de Gaulle en 1960, suite aux Jeux de Rome, où la France avait terminé à la 25ème place avec seulement 5 médailles. Considérée comme un résultat insuffisant, voire pour certains humiliant – le député Hervé Laudrin déclarera à l’Assemblée nationale que « Les Jeux olympiques de Rome ont humilié notre jeunesse à la face du monde » -, un grand nombre d’initiatives, de politiques seront dès lors mises en place pour instituer une véritable politique sportive française, performante, et permettant d’assurer à notre pays son rayonnement. Ainsi, le Général déclarera  : « Si la France brille à l'étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs. Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif ».

De plus, l’exemple des Jeux de Pékin 2008 est en ce sens assez évocateur. Alors que les Olympiades venaient de se terminer, les États Unis et la Chine revendiquèrent tous deux la première place de cette quinzaine, l’une au nombre total de médailles, la seconde au nombre total de médailles d’or. Si cet évènement peut paraitre anecdotique, il n’en demeure pas moins que chacun de ces deux États entendaient fermement remporter cette ultime compétition.

« Quand les États s’en mêlent, on est loin,

bien loin de l’idéal olympique... »

En se plaçant sur le terrain du sport, les Etats ne se heurtent pas frontalement aux codes de la politique et disposent de la sorte d’un nouveau terrain d’expression de leur politique, de leur nationalisme, loin, bien loin pourtant de l’idéal olympique...

 

Carole Gomez

 

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5 août 2016

Michel Goya : « Daech se prépare déjà à sa déterritorialisation »

Alors qu’on n’en finit plus de recenser, dans nos contrées, les actes de type terroriste imputables à l’organisation État islamique, alors qu’on n’en finit plus de comptabiliser les morts tombés au cours de ces lâches attaques, il semblerait qu’on perde un peu de vue ce qu’ont été les terres et les terreaux originels qui ont vu émerger et prospérer l’EI, nouvel avatar spectaculaire de l’islamisme radical, à savoir, pour le premier point : l’Irak et, plus récemment la Syrie (de loin les premiers théâtres des exactions du groupe djihadiste) ; pour le second : la violence et la persistance des sectarismes au cœur des États du « croissant chiite »

Je suis ravi et honoré de pouvoir accueillir de nouveau dans ces colonnes, pour la troisième fois après nos interviews datées d’octobre 2014 et de mars 2015, le colonel à la retraite Michel Goya, grand connaisseur de ces questions. Sa parole experte est de plus en plus prisée par les médias et son blog, La Voie de l’épée, constitue une lecture essentielle sur les affaires militaires. La présente interview, qui mériterait comme les deux précédentes d’être lue attentivement pour une bonne compréhension des enjeux - si vous n’avez pas lu les précédentes, faites-le ! -, a été réalisée dans un contexte de complication apparente de la situation de l’EI sur ses terres historiques. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« LÉtat islamique se prépare déjà

à sa déterritorialisation »

Interview de Michel Goya

Q. : 17/07/16 ; R. : 05/08/16

Drapeau EI

Un militant de l’EI à Raqqa, Syrie. Crédits photo : Reuters.

 

L’organisation État islamique est-elle réellement en train de perdre sa guerre sur les terres d’Irak et de Syrie ?

L’EI perd effectivement du terrain. En Syrie, le lien avec la Turquie, essentiel pour la logistique de l’organisation, est de plus en plus difficile à maintenir et Palmyre, au cœur du désert, a été perdue. Les forces démocratiques syriennes (FDS) kurdo-arabes exercent une pression croissante sur Raqqa (la soi-disant capitale du califat autoproclamé, ndlr). En Irak, les villes de Ramadi et Falloujah ont été reprises par les forces irakiennes sur l’Euphrate. De manière moins visible, les flux humains de volontaires étrangers se tarissent ainsi que les approvisionnements extérieurs. Des dizaines de cadres de l’organisation ont été tuées et une forte pression s’exerce sur les autres. Les désertions semblent augmenter ainsi que les actions de résistance à l’intérieur de la zone contrôlée par l’EI, contrôle qui s’exerce de plus en plus par la force. Significativement, le discours officiel de l’organisation change et se « dé-territorialise ». La défense et le contrôle d’un territoire ne sont plus considérés comme essentiels, reconnaissant ainsi le recul et la perspective d’une transformation.

« La perte des territoires qu’elle contrôle ne conduira pas

nécessairement à la disparition de Daech »

Pour autant, l’EI est encore loin d’être abattu. Il aura fallu sept mois d’efforts aux forces irakiennes proches de leurs bases et appuyées par la coalition pour reprendre le contrôle de 100 km sur le fleuve Euphrate. Au nord, les forces kurdes, divisées et peu motivées dès lors qu’il ne s’agit plus de défendre leur propre territoire, piétinent. On ne peut exclure un effondrement rapide de l’EI à la suite de révoltes et/ou de dissensions internes, ou inversement des retours offensifs plus puissants que ceux, limités, de Deir-el-Zor ou Hit sur l’Euphrate. Il ne faut pas oublier que la prise-éclair de Ramadi par l’EI en mai 2015 est survenue quelque temps après plusieurs discours décrivant le repli et la fin de l’EI comme inéluctables. Le plus probable reste cependant une conquête difficile du Tigre et sans doute de Raqqa en fin d’année ou au début de 2017, ce qui ne signifiera pas pour autant la fin de Daech. L’État islamique a survécu à la mort en 2006 d’Abou Moussab al-Zarkaoui, son inspirateur, et même à son exclusion de Bagdad et des provinces sunnites en 2008. L’organisation peut retourner à la clandestinité.

 

Les reculs de l’organisation sur ses terres de base historiques peuvent-ils annoncer une mutation de ses stratégies (s’il en est encore) de frappes terroristes ?

Les campagnes terroristes peuvent être corrélées aux opérations en cours notamment lorsque Daech est sur la défensive. C’est une manière d’obliger les gouvernements, qui peuvent être mis en cause pour leur incapacité à assurer la sécurité, de détourner des forces du front vers la protection de la population. Cela a été le cas à plusieurs reprises à Bagdad, et particulièrement en mai dernier, ou en Syrie, le 27 juillet dernier à Kamichli, ville kurde près de la frontière turque.

« Il n’y a pas de raison pour que les attentats

diminuent à court terme, au contraire... »

Elles peuvent aussi en être indépendantes, hors du Proche-Orient en particulier, ne serait-ce que parce cela demande généralement des mois de préparation. Elles peuvent aussi être « inspirées » au sein de petits réseaux. Le but est peut-être parfois de modifier des politiques, et l’opération Sentinelle, en fixant et usant 10 000 soldats, est à cet égard un grand succès, mais l’objectif est plutôt d’agir sur la société. Il n’y a pas fondamentalement de raison pour ces attaques diminuent à court terme, au contraire.

 

Que sait-on de l’état de structuration, des forces et moyens de l’organisation État islamique aujourd’hui ?

Pour défendre l’ensemble de son territoire, l’État islamique disposait à la fin de 2015 de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, les estimations les plus fiables évoquant 30 000 combattants permanents, dont 40% d’étrangers à l’Irak et à la Syrie, auxquels il faut ajouter environ 70 000 auxiliaires des milices locales, services de police (Hisbah) ou de renseignement (Moukhabarat), soutien logistique ou en formation. C’est, en dépit de quelques matériels lourds, fondamentalement une force d’infanterie équipée de véhicules légers et d’armements soviétiques anciens, par ailleurs disponibles en grande quantité.

« Les combattants de l’EI sont bien moins nombreux

que ceux de l’ex-armée de Saddam Hussein mais

ils sont plus compétents et surtout très motivés... »

En soi, il n’y a là rien de très puissant, une très faible fraction par exemple des armées de Saddam Hussein détruites par les coalitions menées par les Américains. La différence est que les combattants de l’armée de l’EI sont plutôt compétents tactiquement et surtout très motivés. Ce dernier point fait toute la différence. En 2003, l’armée irakienne n’avait pas pu empêcher les divisions américaines de s’emparer de Bagdad en moins d’un mois depuis le Koweït. Un an plus tard, la prise de la seule ville de Falloujah, tenue par quelques milliers de combattants légèrement équipés mais très motivés, a nécessité neuf mois d’efforts.

L’État islamique, dont les forces sont nécessairement dispersées sur un vaste espace (un combattant permanent pour 250 km²), ne peut guère déployer plus de quelques brigades (une brigade représente environ un millier d’hommes et 150 véhicules) pour défendre une seule ville, sans doute dix au maximum pour une objectif important, comme Mossoul. Sa méthode consiste pour l’instant à maintenir seulement une brigade dans les villes qu’elle défend avec comme mission d’en retarder autant que possible sa prise. Aussi les pertes consécutives des combats récents ne représentent-ils pas un pourcentage très important des effectifs totaux.

Quant à l’action directe de la coalition, elle est en réalité très difficile à estimer. Au bilan, on peut estimer que l’État islamique a perdu un tiers de ses effectifs depuis son maximum il y a un an. Ce n’est pas rien, le haut-commandement a été durement frappé et il semble de plus en plus difficile de recruter.

 

Y a-t-il quelque matière à optimisme quant à la question, fondamentale pour la suite, de l’inclusion pleine et véritable des sunnites dans les sociétés irakienne et syrienne ?

C’est sans doute la question essentielle. L’État islamique est revenu du néant en opposition à la politique sectaire de Nouri al-Maliki, toujours présent dans la vie politique irakienne. Une des raisons principales de l’hésitation du gouvernement irakien pour attaquer est d’ailleurs celle de la gestion de l’après. Beaucoup d’Arabes sunnites irakiens n’adhérent pas forcément au projet de l’État islamique mais ils adhérent sans doute encore moins à celui d’un retour à la situation d’avant 2013. Autrement dit, si la conquête des territoires actuellement tenus en Irak par l’EI est possible après beaucoup d’efforts, leur contrôle par des forces de sécurité, et pire encore, des milices, toutes presque entièrement chiite, ne mettrait certainement pas fin à la guerre. Il est probable que dans une telle configuration l’État islamique, qui pourrait éventuellement bénéficier d’une base arrière en Syrie comme lors de la présence américaine, passerait simplement à la clandestinité et à la guérilla. Lors de cette même présence américaine, les mouvements rebelles oscillaient entre contrôle, plus ou moins ouvert, des villes lorsque les forces de sécurité irakiennes et/ou américaines étaient faibles et guérilla clandestine, lorsque celles-ci revenaient en force.

Contrôler militairement les provinces sunnites irakiennes après leur reconquête nécessiterait donc, si on s’appuie sur les abaques habituels (1 militaire ou policier pour 20 à 40 habitants selon le degré d’hostilité de la zone), une présence permanente d’au moins 100 000 hommes soumis à une guérilla constante. Cette guérilla sera menée par l’EI mais aussi sans doute, la clandestinité entraînant plutôt une fragmentation, par beaucoup d’autres mouvements locaux, anciens ou nouveaux. On ne peut exclure à cette occasion l’apparition d’une nouvelle tendance et d’un nouveau projet qui supplanterait même celui de l’État islamique. Ajoutons, que dans ce contexte, l’attitude des forces, qui apparaîtront comme des forces d’occupation, vis-à-vis de la population sera également un facteur important dans le niveau de violence qui régnera alors dans les provinces sunnites.

« Sur le front politique, fondamental pour la suite,

s’agissant de l’Irak comme de la Syrie, rien n’est réglé... »

L’État irakien dispose-t-il, quantitativement et qualitativement, d’une telle force de maintien de l’ordre ? Assurément non en l’état actuel des choses et sa constitution est, là encore, une œuvre de longue haleine. Cela ne suffirait sans doute pas, par ailleurs, à assurer la paix. En réalité, en l’absence de réels changements politiques en Irak, prenant en particulier en compte les aspirations des Arabes sunnites, et une transformation de la gouvernance, on ne voit pas très bien comment cette paix pourrait survenir. Le remplacement de Nouri al-Maliki par Haydar al-Abadi, en septembre 2014, n’a pour l’instant guère changé la donne à cet égard.

Du côté de la Syrie, la situation est encore plus complexe. On peut espérer la conquête de l’Euphrate syrien par les FDS mais quid de la suite ? Qui contrôlera la région ? Les Kurdes ? C’est peu probable. Leurs alliés arabes sans doute, mais sont-ils assez forts pour cela ? De toute manière leur lutte continuera contre le régime d’Assad. Personne n’a en réalité la moindre idée de ce que pourra être la Syrie dans quelques années.

 

Michel Goya F5

Source de l’illustration : www.france5.fr

 

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2 août 2016

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

Cet article-ci n’a pas grand chose à voir avec la plupart de mes publications habituelles, qui bien souvent portent sur des points assez lourds - y’en a-t-il qui soient réellement légers, surtout en ce moment ? - d’actu. Cet article est d’abord né d’un vrai coup de cœur perso. J’ai eu envie d’offrir cet espace d’expression à Lucas Fernandez, un garçon de qualité, de talent(s), un jeune au potentiel élevé. Lorsqu’il m’a parlé pour la première fois de sa pratique de la boxe, discipline que je ne connais pour ainsi dire pas du tout, il l’a fait avec une telle passion, un enthousiasme tel qu’il a réussi à m’intéresser vraiment. Il aurait sa place dans les colonnes de Paroles d’Actu. Forcément.

Depuis la première proposition, il y a eu sur ce blog, en matière de sport, une tribune libre offerte au champion du monde de boxe Mahyar Monshipour et que j’ai, justement, spécial-dédicacée à Lucas, et l’interview fleuve réalisée avec Julien et Gérard Holtz au début du mois de juillet. L’échange qui nous concerne aujourd’hui, après avoir failli tomber à l’eau à plusieurs reprises, s’est finalement fait le 26 juillet. En live intégral, une première dans l’histoire de Paroles d’Actu. Les confidences cash, sans fard ni filet d’un jeune mec de 19 ans, parfois drôles, souvent touchantes et qui en tout cas sonnent à chaque fois justes et vraies. L’occasion également d’évoquer le trente-cinquième anniversaire du club Full Contact Gym Boxe qu’a fondé son grand-père Carlos Fernandez à Vienne (Isère). Un article à découvrir en texte (entièrement retranscrit à la main, ouch !) et en audio, parfois en vidéo, étape par étape, au fil des surprises, jusqu’au petit clin d’œil final. Je ne sais pas si, voyant passer cette publication, Google News décidera de me sucrer son référencement ; tant pis, je prends le risque : c’est et ce sera un bel article, et il en vaut la peine... Merci beaucoup à vous qui y avez participé. Heureux 35 ans au club... et bonne route, Lucas... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez

et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

 

Partie I: l’interview de Lucas Fernandez

réalisée le 26 juillet 2016

L

 

Tu te présentes ?

Je m’appelle Lucas Fernandez, j’ai 19 ans. Je suis né le 14 janvier 1997 à Sainte-Colombe (Rhône). Je viens d’avoir mon Bac professionnel en alternance Commerce section Européenne. Je vais partir un an dans les écoles EF à Brighton (Angleterre) pour étudier la langue. Je travaille actuellement en job étudiant à Easydis, Grigny.

Niveau sport, je ne fais rien actuellement. Je vais reprendre la boxe en Angleterre après l’avoir pratiquée pendant dix ans.

 

Ta découverte de la boxe : les premières

impressions et sensations

Au départ, j’ai commencé par le foot, comme je pense beaucoup de Français, beaucoup de jeunes. Le foot, parce que tous les copains de l’école jouaient du foot. On y jouait déjà dans la cour. D’abord le foot, donc. Mais comme mon grand-père avait son club de boxe c’était un peu une obligation d’en faire. Les premières fois, j’allais à la salle et je donnais des cours de gym aux grands-mères, avec mon grand-père, je devais avoir entre 6 et 8 ans... Avec les petits poids, etc... Mes plus vagues souvenirs. Je voyais déjà les anciens boxeurs, parce qu’à l’époque il y avait des professionnels, comme Abdel Jebahi, qui a été champion d’Europe. Pas mal de bons boxeurs du coin comme Bouzidi Belouettar... des jeunes et bons boxeurs.

J’ai commencé la boxe à 7-8 ans. À part les cours, j’ai commencé par l’éducative. J’aimais pas, déjà parce que c’était une obligation. Mes potes faisaient du foot, j’avais aussi essayé le basket, etc. Moi je voulais rester dans le foot. Mon grand-père me disait que les sports de combat, ça allait m’aider, surtout qu’à l’époque, j’étais plus timide, très gentil. Je me laissais plus marcher dessus quand j’étais petit. Ça m’a aidé à m’endurcir, à m’affirmer. La sociabilité je l’ai toujours eue. Le caractère, c’est venu après. Par la boxe et aussi par les hauts, les bas de la vie. Je retiens bien les choses, du coup, j’analyse beaucoup. Je garde beaucoup les choses pour moi, surtout avec ma famille, où c’est quand même un peu plus bridé. On est très sociable, on rigole bien mais il y a une vraie pudeur.

Ce que j’ai aimé, c’est la compétition. Dès que j’ai commencé la compétition, à ce moment-là j’ai vraiment commencé à aimer la boxe.

 

Ton style de boxe ?

Les premières années avant la compétition il y a eu l’éducative, j’ai dû en faire deux ans. On apprend les bases. La corde, déjà, rien que la corde. Trois années au moins avant de maîtriser. On croit que c’est facile, que c’est un truc de fille, mais en fait c’est pas si facile. Ce qui est dur déjà avec la corde, c’est de ne pas s’emmêler les pieds. De trouver son rythme. Après, avec l’expérience, on se débrouille un peu, on fait des accélérations, doublées, croisées... On prend un peu un style, style parfois à l’américaine. On essaie de nouvelles choses qu’on peut voir à la télé... La corde à sauter c’est très bon pour le cardio, ça aide pas mal.

On travaille aussi le déplacement, la garde. Quand j’ai commencé, j’avais la garde haute. Toujours, parce qu’on commence toujours en apprenant les gardes de base. D’année en année, j’ai adopté un peu plus la garde basse, à part dans les contacts, un peu à la Muhammad Ali ou comme les boxeurs colombiens. On a boxé aussi sur les deux gardes, comme beaucoup de boxeurs colombiens - ça c’est un style que j’aime beaucoup. Les mecs sont vifs, et quand tu sais boxer sur les deux gardes, tu peux boxer aussi facilement contre un gaucher que contre un droitier. Et ça déstabilise, puisque ça n’est pas les mêmes attaques. Mon style : « vif ».

 

On souffre quand on est boxeur ?

Oui ! J’ai deux-trois souvenirs... Pour moi, le truc qui était un peu compliqué, c’est que c’était mon grand-père, l’entraîneur à l’époque où j’ai commencé. Jusqu’à ma dernière année de compétition en éducative, c’était lui. Et mon grand-père, il est, comment dire... pas comme un militaire, mais quand même assez froid. Et comme c’était moi, il fallait que je sois le meilleur. Ce qui me faisait de la peine, c’est qu’il félicitait tout le temps les autres, alors qu’il était plus dur avec moi. Mais après, ça m’a beaucoup aidé. Surtout en éducative : à la fin, je boxais contre des amateurs et des pro ou semi-pro.

Le vendredi soir. Je m’entraînais à cette époque avec Paul Omba Biongolo, qui sera aux Jeux olympiques à Rio. Notre point commun, c’est qu’on était doué. Lui, c’est un mec qui a la technique, il a de la frappe, c’est un puncheur. Il est dans les poids lourds, et il fait mal. Depuis tout petits qu’on était ensemble, ça a toujours été une « brute ». Il y a surement des gênes, puisque son père avait été champion d’Afrique - c’était mon grand-père l’entraîneur. Lui, il avait ça, et moi, comme me disait mon grand-père, j’avais la malice. J’avais beaucoup de cardio, j’avais de la technique. J’apprenais à bien et vite m’adapter aux boxeurs. Il y a aussi le mental : sans mental tu ne montes pas sur le ring. Tout le monde croit que c’est facile, mais c’est pas le cas. C’est des rounds de trois minutes. Il faut avoir l’endurance, la niaque. Savoir encaisser. Si tu te fais mal, ne pas te plaindre. Il y en a beaucoup que j’ai vu pleurer après avoir perdu. Après, c’est une question de fierté : moi, j’ai jamais pleuré. Même après une défaite, j’ai toujours serré la main de mon adversaire. Jamais fait de manière, à dire que c’est l’arbitre, etc... J’ai déjà eu les boules, surtout les dernières années, où je me suis fait voler. Mais c’est le sport : il y a toujours eu du vol, il y en aura toujours.

(...) Pleurer aux entraînements ça m’est peut-être arrivé deux fois, parce que moi je pleure pas beaucoup. Je me rappelle d’un entraînement, c’était ma dernière année. Il y avait ma petite copine de l’époque qui était venue. Comme dit mon grand-père, certaines semaines ça va, d’autres quoi que tu fasses, t’arrives à rien. On rentrait de l’entraînement. Je parlais pas dans la voiture. Je sentais que ça venait... Je sentais qu’il y avait la mort, parce que j’avais ramassé, ce soir-là. Y’avait Marvin Falck, qui avait fait champion d’Europe cette année-là, qui était dans mon club, en full contact. J’avais fait deux-trois rounds contre lui. Moi je boxais. On avait fait des sparring. J’était toujours le même boxeur, et je tournais contre trois mecs. Du coup, à chaque fois qu’ils rentraient sur le ring, ils étaient frais. Toi, t’as déjà enchaîné un ou deux rounds. Surtout contre des mecs comme Marvin et d’autres bons sportifs. Quand t’y arrives pas, t’as les nerfs. Tu te bas. En plus il y avait ma copine, alors t’as encore une fierté, une pression en plus. Et j’ai craqué. En bas de chez moi, je me rappelle... J’ai pleuré pendant au moins une heure, dans la douche. C’était il y a trois ans.

 

Des moments, des combats marquants ?

Quelques uns, oui. Là j’en ai un en tête. C’était dans la Loire. Je boxais contre un Algérien, une racaille un peu. Je l’ai pas montré, mais il était venu avec ses potes de quartier. Moi, je suis toujours resté le mec à rigoler dans les vestiaires, etc. On se voit tous, on se connaît, c’est un petit monde. Surtout quand tu fais les championnats de France, etc. Ce jour-là donc, j’avais une plus grosse pression, parce que je m’étais laissé impressionner par l’image du mec. Comme beaucoup dans la rue, quand on voit la racaille on baisse les yeux. C’est des mecs qui sont tellement dans leur film, je pense, tellement dans leur image, ils montrent une telle confiance que toi, ça te remet en question. Dans la rue, certaines personnes vont prendre peur quand on va leur demander l’heure. Avec l’effet de groupe, etc. C’est une question d’image avant tout.

Je me rappelle, donc, de ce combat. Pendant le premier round, je me laissais dépasser par cette peur. La peur on l’a toujours, ou en tout cas le stress, même quand on est sûr de gagner. Tout le monde l’a. Moi, mon truc, c’est que j’avais tout le temps envie de pisser, je le faisais au moins quinze fois... Pour ce combat, mon grand-père me disait, dans le ring, que quand il était jeune, quand il voyait un Arabe ou un noir, ça lui mettait encore plus la niaque, pas par racisme mais parce que souvent ces mecs-là se croient dans leur film, avec leurs préjugés sur les blancs, etc. Ils se croient à part alors que tout le monde est pareil. Et les deux rounds suivants, je l’ai mené, facile. Tous ses potes de quartier étaient un peu choqué et m’ont félicité à la fin du combat.

Autre bon souvenir : la première année où j’ai fait champion de France. La première fois que j’y allais, c’était à Angers, en éducative. Toute la France était là : des Corses, des Réunionnais, etc... C'était super bien. J’y suis allé trois années de suite. La première année, j’ai eu la médaille de bronze après avoir perdu en demie. Une bonne expérience, vraiment. Les deux années suivantes, j’ai fait champion de France.

En fait, plus j’ai passé des échelons, plus j’ai apprécié. Les dernières années j’ai un peu baissé les bras. J’ai eu des frustrations par rapport au fait de m’être fait voler, mais aussi je dois le dire, je travaillais moins. Mon problème, c’est que j’étais doué - quand j’étais à l’entraînement je travaillais beaucoup - mais j’étais feignant à y aller. Comme mon grand-père, encore lui, m’a toujours dit, quand tu es champion, tu as passé un cap, mais le plus dur c’est de rester à ce niveau. Aujourd’hui son idole c’est Teddy Riner : depuis ses 17 ans il est champion du monde, et le mec il est toujours là. Il s’est toujours remis en question et toujours imposé. D’autres qui ont son âge et qui ont commencé quand lui a commencé le voient comme l’homme à battre absolument. Tu te dis, arrivé là, que des mecs s’entraînent uniquement dans le but de te battre, de te détruire, de prendre ton titre. La roue tourne, il ne faut pas prendre la grosse tête. Mais parfois, malheureusement, il y en a qui tombent là-dedans... Moi j’ai pas vraiment eu la grosse tête, mais était tombé dans l’adolescence, il y a eu les soirées, etc... Maintenant je regrette un peu. Je vais peut-être reprendre un jour mais... Après, moi j’ai fait l’amateur, et c’était très bien. Les dernières années surtout j’avais envie de me lâcher un peu sur les coups. En amateur, tu as droit au KO. C’est une autre expérience. De vrais coups, l’arbitre laisse plus le contact, le cardio c’est pas le même, etc.

Je cite beaucoup mon grand-père parce qu’il est un modèle pour moi et que beaucoup des choses qu’il m’a dites ou des conseils qu’il m’a donnés ont été justes.

 

Tes grosses déceptions ?

J’ai toujours essayé de tout faire sans regret. Peut-être d’avoir un peu lâché les dernières années, de m’être moins entraîné. Parce que là, quand j’ai remis les gants les derniers temps, les mecs qu’à l’époque je battais ont pris du niveau. Comme mon grand-père dit souvent, c’est les mecs qui bossent plutôt que ceux qui sont doués à la base qui s’en sortent. Le talent sans travail ça ne marche qu’un temps. Abdel Jebahi me racontait que, quand il était gamin, ses frères étaient tous meilleurs que lui. Lui n’était pas costaud. Il venait quand même, mais n’a jamais rien lâché. C’est devenu le meilleur. C’est comme un pote à moi, Quentin Drevon, poids léger, tout mince. Lui, tous les ans, nous on avançait aux championnats du Lyonnais et lui se faisait éliminer dès les premiers tours. Je crois qu’il a dû mettre cinq ou six ans avant de faire ses premiers titres. Ce mec est toujours venu aux entraînements, sauf pour des enterrements, etc. Il ne lâchait rien. Là, il a arrêté pour les études, mais c’est le genre de mec qui ne sont pas bien quand ils arrêtent. Moi j’étais doué. C’est comme mon grand-père, quand il a commencé les sports de combat, il se battait beaucoup dehors, du coup il y a déjà une appréhension. Moi je suis né comme ça. Ça te vient tout seul. Je me la racle pas, je me la suis jamais raclé : y’a très peu de gens qui savent que j’ai fait des titres en champion de France, des compétitions, etc. Je l’ai jamais dit, parce que je trouve que ça ne sert à rien, il y a toujours meilleur que soi et pire que soi. On en parle en club, mais j’ai jamais jalousé les gens.

Quand on était en éducative, avec mon pote Valentin Armada, aux championnats du Lyonnais, on était dans la même catégorie. Du coup on devait s’affronter. Moi j’ai eu le choix, ou de monter d’une catégorie, ou de l’affronter. J’ai pensé au côté amical, du coup j’ai changé de catégorie, et c’est lui qui a fait champion de France, deux années d’affilée, alors que j’avais un niveau largement supérieur à lui. Je me suis fait voler à Marseille, après j’ai arrêté. Récemment j’ai remis les gants avec lui... et je le tiens toujours. Il a fait ses titres, c’est bien. J’ai fait un choix, je le regrette pas. Lui n’avait jamais fait de titre avant. Au moins, il a eu son heure. J’ai été content quand il a été champion. Après, tu te poses toujours des questions...

Parfois, il y a des mecs qui ne font jamais de compétition, ils sont dans les salles avec un niveau supérieur à des gens qui font des titres. Ce qui est bien, c’est que la boxe c’est un sport d’individualité, mais aussi collectif. Sans les collègues du club, tu n’évolues pas. Tu as besoin d’eux parce que tu apprends à chaque combat, tu ne peux pas affronter uniquement un sac ou une vitre, faire du shadow contre toi-même. Il faut se battre avec des gens qui ont du niveau et ne pas toujours avoir les mêmes adversaires ou des adversaires faciles. Tu t’habitues trop quand c’est des collègues. Quand il y a un challenge, tu apprends plus.

 

Des modèles, des figures qui t’inspirent ?

Déjà il y a les grandes stars, Tyson, Ali... Ils ont créé leur style, à leur époque. Après, j’aime beaucoup les Mexicains, qui ont un mental de taré, ils ne lâchent rien, ou même les Thaïlandais - je fais un peu de boxe thaï. J’ai eu la chance d’aller en Thaïlande. Je voyais des gamins de 8 ans blessés ; les mecs ils ne pleurent pas, il n’y a pas papa-maman derrière. Chez nous, il y en a un qui saigne du nez, ça y est, c’est la fin... Ils jouent un peu leur vie et ils ne naissent pas dans les mêmes conditions que nous. Ils savent bien se battre, mais j’ai pas ressenti d’agressivité dans la rue là-bas. Alors que chez nous, les gens ne savent pas se battre, mais on se sent plus menacé... Alors que c’est qu’une image. Parmi les gens que j’admire aussi, il y a Mayweather, même si c’est un businessman et qu’il se la racle... c’est une légende.

 

Rocky ?

Oui c’est une inspiration, je pense qu’il a poussé beaucoup de monde a faire de la boxe et des sports de combat. Quand je regardais ces films, j’avais toujours envie d’aller à l’entraînement après. Ça a quelque chose d’inspirant. Il y a beaucoup de films comme ça : tu sors du cinéma et tu te dis, « J’ai envie de faire ça ». Parce que ça fait rêver, c’est inspiré d’une réalité. Tu regardes les premiers Rocky, parfois c’est abusé, mais quand tu vois le dernier, Creed, c’est inspirant et c’est souvent juste et vrai. Des films avec beaucoup à la fois d’adrénaline et d’émotion. Il y a la mort, la maladie... On voit aussi que le sport de combat évolue, il y a les MMA (arts martiaux mixtes, ndlr) maintenant, et ça c’est bien. Ces mecs-là sont complets et pour moi ils sont des idoles parce que, souvent, c’est des machines. Des bêtes, des tueurs. Ils sont dans une cage, c’est des combats libres. Le mec, tu le croises dehors, il te tue.

 

C’est quoi un bon boxeur ?

Dure cette question. Il ne doit pas y avoir que le résultat, il y a la personne aussi. C’est comme pour tout sport. Il y en a qui vont être de gros connards de la vie et qui vont réussir et d’autres, des pauvres mecs qui vont s’acharner sans jamais réussir. Pour moi un bon boxeur doit être complet. Il soit savoir se remettre toujours en question, être humble et travailler. Tu peux peut-être plus te lâcher en fin de carrière, quand tu as fait tes preuves. Et même là, tu as toujours à prouver, parce qu’il y a toujours meilleur que soi quelque part. Et quand tu vieillis, il y a les jeunes qui arrivent, tout frais...

C’est comme avec mon pote Paul, qui fait les JO ; tous les mecs du quartier de l’Isle (Vienne, Isère, ndlr) sont derrière lui. Ils lui jettent un peu des fleurs alors qu’il y a des années, c’était pas la même. Là il y a le côté un peu people : il est passé sur beIN, il est passé sur France 3, ils sont sponsorisés par Lacoste... Quand tu es populaire, je pense qu’il faut savoir trier un peu. L’entourage. Écouter les bonnes personnes parce qu’il y a de mauvaises personnes qui sont là pour de mauvaises raisons, pour le pognon... Comme disait un de mes entraîneurs, Olivier Perrotin, il ne faut pas oublier que la boxe, c’est pas comme footballeur où tu peux gagner des millions. La boxe, il y en a qui meurent en Afrique pour des 150€. Ils sont lâchés, les mecs, pour des 150 balles ils se mettent sur la gueule jusqu’à crever... Les professionnels eux ont des séquelles. Ali est mort il y a pas longtemps, il avait Parkinson... ils sont ravagés, souvent, les pro. Mais comme plein de sport : les rugbymen, le foot américain, les sports d’impact. On dirait pas, mais quand tu reçois des coups de poing... Et encore, ça a évolué, les gants...

 

Que t’inspirent les gens dont la boxe est le métier ?

Je me dis qu’ils ont de la chance. Vivre de sa passion, c’est le meilleur métier du monde. Pas que dans le sport : les artistes, etc... Les mecs, ils se lèvent le matin, et vraiment ils kiffent. Ils montrent ce qu’ils aiment ; leur trip, leur vie, c’est ça. Mais il faut du courage aussi parce que c’est pas toujours facile. Même le foot. Je pense à un pote à moi qui est à Évian, en centre de formation. Dans le foot il y a du bling bling mais faut pas voir que ça : souvent, ils n’ont pas trop d’adolescence et doivent faire des sacrifices.

 

Que représente la boxe pour toi aujourd’hui ?

Pour l’instant, je suis un peu en retrait mais ça restera une passion. J’ai grandi avec, donc ça restera. La boxe m’a appris beaucoup de choses. La boxe, ça forge en tout. Les difficultés, comme ma famille m’a toujours dit, tu en as tous les jours. La jalousie, il y en aura tout le temps. Dans le sport c’est pareil. C’est un affrontement. Aujourd’hui, tu affrontes un boxeur mais demain tu affronteras peut-être la misère. Sans compter qu’il y a toujours un combat contre soi-même. Tout est combat : le combat du chef d’entreprise qui va devoir affronter son travail tous les jours, il a une pression...

Quand tu es champion, tu as cette pression. Et quand tu es en haut, dans la lumière, tu as plus une pression parce que tu n’as pas droit à l’erreur. Tout le monde croit en toi, et parfois c’est lourd à porter, pas facile à assumer. C’est encore plus compliqué aujourd’hui, avec l’omniprésence des médias, etc. Pendant l’Euro, un joueur pouvait être traité en roi l’espace d’un match avant d’être descendu celui d’après... Pour la famille aussi, ça doit être dur. Être dans la lumière, c’est loin d’être bon tout le temps. Par rapport à ça, ce qui est bien, c’est les gens, sportifs ou autres, qui se créent une image, un personnage pour le public. Tu joues un rôle en public, et je pense que ça peut les protéger. Moi je pense que je ferais ça. Renvoyer une image... pour continuer de faire rêver un peu les gens, c’est ça qu’ils attendent...

 

Qu’as-tu appris sur l’aspect gestion d’un club ?

Ça va faire 35 ans à la rentrée que le club existe. Mon grand-père, je précise, c’est Carlos Fernandez. L’aspect business, je l’ai jamais trop approché. D’après mon grand-père, c’est beaucoup d’investissement personnel. Il m’a toujours dit qu’un jour il avait été touché par ce que lui avaient dit ma mère et mon oncle, qu’il était plus avec ses boxeurs qu’avec ses enfants. Ça lui avait fait mal. Mais les vrais entraîneurs, les vrais passionnés, en général ils ne font pas gaffe. Même sans vouloir blesser. C’est vraiment beaucoup d’investissement personnel et de sacrifices.

Pour l’aspect business, les déplacements, il faut les payer, la salle et le matériel il faut les payer... après, même si c’est une association, il faut trouver les fonds, etc. Mon grand-père a organisé beaucoup de galas. Il faut trouver les sponsors. Il a beaucoup de connaissances, donc ça l’a beaucoup aidé. C’est bien qu’il y ait des gens comme ça. C’est des passionnés et s’il n’y avait pas de gens comme ça, il n’y aurait pas d’évènements. Je pense que parfois il a pris des risques mais il faut ça, avoir les « couilles » de prendre des risques. Après, ça passe ou ça casse... la vie, il y a des hauts et des bas.

 

Comment se porte la boxe en France ?

Les choses sont beaucoup bridées en France. Ça se développe, mais pas comme aux États-Unis, en Russie, etc. C’est pas la même mentalité, pas le même esprit... Je parlais tout à l'heure du MMA, en France c’est interdit. Du coup, les combattants français vont boxer à l’étranger. Beaucoup de choses changent chaque année, les règles etc... C’est plus en haut que ça se passe, comme avec la FIFA pour le foot...

 

Tu te verrais prendre la suite du club un jour... ?

Je sais que ça rendrait fier mon grand-père, il me l’a toujours dit. Il est content quand je vais à la salle. Aussi parce qu’il faut parfois retirer les mauvaises plantes. Il a toujours dit que quand il y a une mauvaise plante dans un groupe, il faut l’enlever, parce qu’elle peut contaminer l’ensemble. C’est vrai pour tous les sports.

Après, reprendre le club, oui et non. Faire quelque chose de bien, si j’en ai les moyens un jour, oui, franchement oui... Il y a un vrai potentiel. Et c’est bien parce que c’est dans un quartier. Peut-être pas forcément à Vienne, peut-être ouvrir quelque chose ailleurs... mais déjà, ouvrir quelque chose dans un quartier, c’est bien. Parce que ça fait venir tous types de populations, et les gens se mélangent. Saint-Fons, Saint-Priest, etc... c’est bien parce qu’il y a de la racaille mais aussi des parents, etc. Dans mon club aussi il y a des mecs de quartiers, mais il y en a moins, parce que quand ils ne sont pas dans leur élément, ils restent pas. Beaucoup de bla-bla et quand les difficultés arrivent, ils s’en vont. Ils sont dans leur film. Dans mon club, il y a eu deux boxeurs qui sont au GIGN, des mecs de la police, etc. Et il y a des blancs, des noirs, des Arabes... pas de frontière, on est tous là pour la même chose, pour apprendre le combat. C’est bien, surtout pour les jeunes, surtout maintenant.

Tout le monde devrait avoir comme moi j’ai eu l’exemple de ce grand-père. Ça te fait capter les choses. Après, des conneries, on en fait tous. Mais tout le monde aurait besoin de ça, de cette école de la vie pour prendre de bonnes bases. Je suis déconneur, je mange la vie mais je sais me remettre en question. C’est déjà beaucoup. Beaucoup de gens n’y arrivent pas. Et il y en a qui coulent. Certains qui fuient parfois jusqu’au suicide. Mais c’est pareil, fuir et avoir les couilles : il en faut pour se tirer une balle dans la tête ou pour se pendre... Il faut toujours se rappeler que du jour au lendemain tout peut partir, et parfois c’est dur à supporter...

 

Où, comment te vois-tu dans 5 ans ?

Dans 10 ans... ?

J’espère être au mieux. Pas malade, etc. La pêche, toujours. Où je me vois ? Déjà, j’espère avoir fini mes études. Avoir passé les caps que je veux, niveau études, niveau investissements, dans la vie, etc. Même si j’ai 19 ans, malheureusement maintenant il faut penser à l’avenir jeune. Comme ma mère dit, il faut profiter de sa jeunesse parce que ça passe vite, mon père me le dit aussi... mais il ne faut pas oublier que maintenant c’est dur, c’est dur en France, ailleurs aussi. Il faut voir loin. Pas forcément faire le gourmand, il faut avancer étape par étape, mais voir loin. J’espère être au plus loin que je veux et atteindre les objectifs que je veux.

Dans dix ans... je serai peut-être posé, on verra. Surtout, ne pas se faire de film. Rester moi-même. Se fixer des objectifs et avancer dans la vie correctement.

 

Un message pour quelqu’un ?

Déjà, c’était un plaisir de faire cette expérience, que j’avais jamais faite auparavant. Je me rends un peu plus compte de comment ça se passe, les YouTubeurs, etc... Être derrière et devant une caméra, confier ses pensées... et franchement c’est cool ! Parfois il y a des choses qu’on pense mais qu’on n’ose pas dire. Et là on se livre. Le truc, c’est que moi je parle pas sérieux avec tout le monde. J’ai toujours été un peu le déconneur, le fou du groupe, avec mes potes. Mais on peut pas parler de choses sérieuses avec tout le monde. Tout le monde n’est pas ouvert sur tout. C’est malheureux parce que normalement tout le monde devrait parler de tout. Mais le problème c’est que souvent les gens ont une pudeur, ils se mettent des barrières.

Passer un message, oui à ceux qui se reconnaîtront dans ce que je dis. Merci à mon grand-père qui m’a appris la boxe, à mon père et ma mère qui m’ont appris pas mal de choses. Les paroles que normalement tout parent devrait avoir pour ses enfants. Voilà... globalement, un merci collectif.

 

Que peut-on te souhaiter ?

Pas facile comme question... me souhaiter le meilleur. Le meilleur sans prendre la grosse tête. Rester humble. Et si un jour j’ai la chance d’évoluer vers le haut, jamais oublier d’où je viens, je pense que c’est important... Moi, je suis un peu fainéant parfois, malheureusement je reste sur mes acquis, mes capacités... mais c’est un défi que je me lance aussi. Toujours me remettre en question et avancer comme ça.

 

Un dernier mot ?

Gardez la pêche ! La forme, le sourire... profitez de la vie et évoluez !

 

* * *

 

Partie II: l’interview d’Olivier Perrotin

réalisée le 31 juillet 2016

O. Perrotin, entraîneur au Full Contact Gym Boxe de Vienne depuis de nombreuses années, est aussi l’auteur de deux ouvrages sur la boxe : Drôle d’endroit pour un ring... et Le Rose vous va si bien (Édition 7).

 

Le Rose vous va si bien

 

C’est quoi un bon boxeur ?

C'est quelqu’un qui boxe pour lui et non pas pour son père, ses potes, sa réputation... Qui est capable de se créer un objectif et de trouver la motivation, et de s’y tenir. Du point de vue physique, il faut qu’il soit un travailleur acharné pour compenser ses faiblesses et accroître ses qualités. L’idéal, c’est un boxeur possédant une bonne coordination jambes/bras, avec un bon coup d’oeil qui arrive à « lire » la boxe adverse et anticiper, capable d'allier relâchement, contraction musculaire et précision - le punch - et qui accepte de recevoir des coups...

Quels conseils pour quelqu’un qui aimerait boxer ?

Qu’il choisisse bien son club. Qu’il prenne le temps de discuter avec les professeurs et qu’il regarde les séances. S’il existe des groupes de niveau, d’âge et de pratique, que les exercices sont avec des thèmes, que les groupes sont multi-culturels et qu’on ne lui demande pas tout de suite son poids, alors là, il peut y aller !

Quel regard sur le monde de la boxe et sur la boxe pro ?

La boxe pro ne m’intéresse plus vraiment. Je préfère l’aspect formation de la boxe amateur et de la boxe loisir. Je mets l’accent sur la boxe « éducative » destinée aux plus jeunes. Les amener à prendre confiance en eux et à mieux se connaître afin d’être à même de côtoyer les autres et d’apprendre à les apprécier. L’aspect éducatif à base de jeux de rôles (arbitre, juge, boxeur) avec ses règles précises aident à la socialisation et le brassage culturel participe au « mieux-vivre ensemble ».

La boxe a perdu sa médiatisation à l’époque où les promoteurs ont remplacé les entraîneurs dans la gestion de carrière et monté des combats « bidons » pour faire « monter » les boxeurs qu’ils avaient sous contrat. Les spectateurs et les diffuseurs n’étant pas tous des pigeons s’en sont rendu compte et ont cessé, les uns de regarder les matchs à la télé, et les autres de financer.

Quelques mots sur le club, qui fête ses 35 ans ?

La politique du club reste la formation – amener les jeunes boxeurs à leur plus haut niveau personnel, c’est-à-dire « champions d’eux-mêmes » – ; la pratique loisir, pour que le plus grand nombre de personnes connaissent et apprécient la pratique des sports de combat, et en parlent en bien – cette saison, près de deux cents adhérents ont été initiés – ; la convivialité : dans ce monde ou l’égoïsme, la violence, les dogmes religieux reviennent en force, le Full Contact Gym Boxe de Vienne est un lieu ou il fait bon se retrouver autour d’un projet commun.

Lucas

Né au club, il y a fait ses premiers pas : il entre à l’école de boxe à 8 ans et suit notre enseignement jusqu’à ses 18 ans... Il fait partie, en dehors de ses titres sportifs, de ce qui fait notre fierté. Des jeunes garçons et filles que l’on a aidés à grandir, à être sûrs d’eux et de leur capacité à relever tous les défis de la vie.

 

* * *

 

Partie III: l’interview de Carlos Fernandez...

réalisée le 1er août 2016

Le club a 35 ans... quels souvenirs ?

Après neuf mois de travaux et beaucoup de difficultés à surmonter (car j’ai pratiquement tout fait par moi-même pour créer ce lieu réservé aux sports de combat), la naissance de mon club a été pour moi un grand bonheur me permettant de donner aux autres ce que je n’avais pas eu, c'est-à-dire, une salle multi-boxe.

Si c'était à refaire, ce serait plus ou moins dur qu’en 1981 ?

Si c’était à refaire, je pense que ce serait plus simple car, grâce à l’expérience acquise et aux connaissances humaines que j’ai aujourd’hui, j’ai appris et compris beaucoup de choses. Je procéderais différemment, en faisant appel aux organismes d’État pour m’aider à monter ce projet.

Ce qui vous rend fier...

Ce qui me rend fier, ce sont tous les résultats acquis pendant 35 ans et les satisfactions que cela apporte ; l’ambiance familiale que j’ai pu créer dans ce club et, pour couronner le tout, le double titre de champion de France de mon petit-fils Lucas. 

Quelques mots sur lui ?

À part la satisfaction personnelle qu’il m’a apportée, Lucas est un garçon intelligent, malin et très humain. En boxe, il savait s’adapter à ses adversaires et trouver les failles pour remporter la victoire.

Je souhaite tout simplement qu’il réussisse dans la vie comme il a réussi en boxe et qu’il continue à être le petit-fils adorable que j’aime !

Ce qui vous donne des regrets...

L’ingratitude humaine...

Vos projets et envies pour la suite ?

Je tire ma révérence progressivement (tout en gardant un oeil bienveillant sur le club) en mettant en place une équipe qui assurera la continuité de cette belle aventure. J’espère quant-à-moi profiter d’une paisible retraite.

 

...et l’album photo qu’il nous fait partager !

 

26 - National La Pommeraye - 17 au 19 Lucas Champion France N°1

« Deux photos de Lucas lorsqu’il est devenu champion de France à La Pommeraye, près d’Angers, en 2012. »

 

Boxe Camp de boxe photo avec l'entraîneur

« Deux photos prises dans un camp de boxe en Thaïlande en août 2008, avec deux

entraîneurs thaïlandais. Je suis avec mes deux petits-fils (Lucas et son frère Enzo),

et nous venions de faire ensemble un entraînement de boxe. »

 

* * *

 

Partie IV: petite surprise, pour les 35 ans... 

réalisée le 1er août 2016

 

Le lien du club FCGBhttp://www.vienneboxe.fr

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2 août 2016

Thomas Snegaroff : « Trump propose de rompre avec le "Siècle américain" »

Thomas Snegaroff, historien spécialiste des États-Unis, auxquels il a consacré de nombreux ouvrages, a accepté de répondre aux quatre questions que je lui ai proposées peu après la conclusion de la Convention démocrate. L’échange s’est réalisé oralement, le 1er août ; j’en ai retranscrit ici l’essentiel. Je le remercie pour ces quelques éléments précieux d’analyse, fort utiles pour une bonne compréhension de la politique américaine et des enjeux de cette présidentielle 2016 qui, à bien des égards, sera hors norme. À lire ou relire également, toujours sur Paroles d’Actu, l’interview que m’a accordée Nicole Bacharan au mois de janvier. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Donald Trump propose de rompre

avec le "Siècle américain" »

Interview de Thomas Snegaroff

Trump Clinton

Source de l’illustration : http://www.atlasinfo.fr

 

Le match Trump/Clinton sera-t-il le match du « peuple » contre les « élites » ?

Non, c’est plus complexe que cela. Donald Trump n’est pas franchement un « homme du peuple » et Hillary Clinton n’est pas uniquement une personne de « l’élite ». Mais il y a de cela, dans la mesure où il y a en ce moment, aux États-Unis, et Donald Trump en est l’émanation, un rejet des élites, non d’ailleurs de toutes les élites, on parle essentiellement ici des élites politiques. Et par « élites politiques », il faut entendre « insiders », à savoir « establishment » ou « système » comme on dit en France. C’est un rejet réel, qui se manifeste notamment par la désaffection profonde qui frappe le Congrès - moins de 15% d’opinions favorables pour le travail du Congrès. « Washington » est devenu un gros mot aux États-Unis parce qu’il symbolise, outre la Maison-Blanche, avant tout ce Congrès honni.

Si les élites politiques font clairement l’objet d’un rejet, tel n’est pas le cas des élites économiques. D’ailleurs, Donald Trump s’attache à mettre en avant sa réussite économique, qui passe pour positive et est un atout en sa faveur. Toutes les élites ne sont donc pas rejetées, mais encore une fois le phénomène est parfaitement clair s’agissant des élites politiques et du « système » qu’elles représentent. Ce n’est pas nouveau aux États-Unis : ce rejet a des racines profondes et anciennes, mais on est certainement à l’heure actuelle à un point haut du phénomène, qui se traduit, à droite comme à gauche d’ailleurs, par la résonnance des milices, par exemple suprématistes blanches à l’extrême droite, ou encore de l’autre côté de l’échiquier, « Occupy Wall Street », il y a quelques années. Le succès de Bernie Sanders procède de la même logique : il traduit cette volonté de reprendre le pouvoir, prétendument confisqué des mains du peuple par une élite. Même si, pour ce qui la concerne, « Occupy Wall Street » rejetait davantage les élites économiques plutôt que politiques.

 

Trump président, ce serait vraiment le retour à une certaine forme d’isolationnisme, de retrait relatif de l’Amérique par rapport aux affaires du monde ?

Il y a effectivement un vrai fond isolationniste dans la politique qu’entend mener Donald Trump. Sur la politique étrangère, c’est assez clair, au moins en apparence. Il y a l’idée qu’il faut désormais faire payer les alliés de l’OTAN pour la préservation des bases américaines - la logique est très comptable et très peu « géopolitique » mais c’est ainsi qu’il voit les choses. L’idée également de passer par des alliances, y compris contre-nature, pour ne pas avoir à s’engager sur des terrains d’affrontement trop éloignés et mal maîtrisés.

America First

Logo du puissant comité isolationniste America First qui s’opposa avec véhémence à l’implication

souhaitée par le Président Roosevelt de l’Amérique dans la guerre contre l’Allemagne nazie, ce jusqu’à

l’attaque japonaise contre la base navale de Pearl Harbor, en décembre 1941.

Tout cela dessine effectivement les contours d’un isolationnisme. Avec tout de même, à mon sens, plusieurs choses à préciser. Ce qui est intéressant surtout en matière de politique étrangère avec Donald Trump, c’est qu’il est en train de proposer de clore ce qu’on appelle le « Siècle américain » né en 1941 sous la plume d’Henry Luce (influent magnat de la presse, il fonda et façonna notamment les magazines Time et Life, ndlr). En vertu de cet « American Century », l’idée était d’intervenir partout dans le monde pour diffuser les valeurs américaines, assurer la sécurité nationale. Désormais, l’idée, c’est qu’au contraire l’interventionnisme américain crée des insécurités sur le sol américain - ce qui n’est pas faux - et que finalement, c’est le message de Trump, les Américains ont plus intérêt à s’occuper de leurs problèmes chez eux plutôt que d’essayer de diffuser leurs valeurs. Ce qui signifierait aussi, au passage, que les valeurs américaines n’ont pas nécessairement à être diffusées partout et à tout moment, ce qui en soi constitue une vraie rupture historique, idéologique voire même philosophique.

Et puis, clore le « Siècle américain » c’est aussi, finalement, clore la Guerre froide. Avec à cet égard des propos très ambivalents sur l’OTAN, sur un rapprochement avec la Russie. Vraiment, on change là de logiciel, de grille de lecture. Le clivage avec Hillary Clinton est net : la candidate démocrate demeure elle très accrochée à l’actuelle grille de lecture, née il y a 70 ans voire davantage aux États-Unis.

 

L’Ohio se colorera-t-il du rouge des Républicains ou de bleu des Démocrates en novembre ? Quid de la Floride, à votre avis ?

Ohio

L’Ohio, c’est effectivement un État qui hésite souvent : 2012, 2008 il vote pour le Démocrate ; 2004, 2000 pour le Républicain ; 1996, 1992 pour le Démocrate ; 1988, 1984, 1980 pour le Républicain ; 1976 pour le Démocrate... On se rend compte assez vite que, quand l’Ohio se choisit un camp, c’est ce camp qui l’emporte à l’échelle nationale. Donc oui vous avez raison, cette question de l’Ohio est utile et nécessaire à analyser. Très souvent, on l’a vu, l’Ohio donne le vainqueur de la présidentielle.

En l’occurrence, cette année, on s’est imaginé que l’Ohio était promis à Hillary Clinton. D’abord parce que Donald Trump est fâché avec le gouverneur de l’État, John Kasich, avec le parti républicain de l’Ohio, on l’a vu à Cleveland lors de la Convention. Tout cela effectivement dessine un État qui pourrait paraître à la portée d’Hillary Clinton. Mais ce qu’on voit aussi, sachant qu’il y a eu beaucoup d’études sur l’Ohio récemment, c’est que l’Ohio pourrait finalement, et contrairement aux attentes - cela tient aussi au rejet de l’establishment que j’évoquais tout à l’heure - tomber dans l’escarcelle de Donald Trump. Celui-ci pourrait même convaincre des électeurs traditionnellement démocrates - des ouvriers en particulier. Un peu comme au temps de Reagan, on pourrait avoir, après les Reagan Democrats, les Trump Democrats.

À cette heure, les sondages restent très serrés. C’est forcément l’un des États qui seront le plus scrutés et analysés. Il représente 18 grands électeurs. On est en tout cas dans l’expectative... mais il n’est pas du tout impossible que Trump l’emporte et même que ce soit un peu à front renversé. En effet, on a vu récemment dans les sondages que les districts et les comtés qui étaient les plus acquis aux Républicains (et qui souvent sont très peuplés), les quartiers d’affaires et les quartiers plutôt chics, étaient plutôt du côté d’Hillary Clinton. Il y a donc une espèce d’inversion des valeurs. On pourrait avoir une inversion totale par rapport à 2008 ou 2012. En tout cas ce sera un État essentiel.

Floride

Source des cartes : http://www.50states.com

La Floride aussi sera un État crucial. Là, le vote latino sera nécessaire, essentiel pour Donald Trump, et aujourd’hui il se situe entre 18 et 23% du vote latino à l’échelle nationale, c’est insuffisant pour gagner la Floride : il doit faire mieux que Mitt Romney (le candidat républicain lors de la présidentielle de 2012, ndlr)... pour l’instant ça n’est pas le cas. D’autant que le candidat démocrate à la vice-présidence, Tim Kaine, est très apprécié des Latinos, et pas simplement parce qu’il est parfaitement bilingue. Aujourd’hui, Trump est un repoussoir pour le vote latino. Ce sera difficile pour lui en Floride... un enjeu forcément important en tout cas (29 grands électeurs, ndlr).

 

Trump président en janvier 2017 : quelle probabilité, à ce jour ?

Clairement, aujourd’hui, c’est une possibilité qui existe. Si je me fie aux analyses de Nate Silver, dont le site fivethirtyeight.com, qui est peut-être le meilleur site d’agrégats de sondages, d’enquêtes et opinions, etc., il considère, avec beaucoup d’honnêteté, que son modèle d’analyse des élections est absolument inopérant pour comprendre Trump. On se trompe souvent sur Trump, mais la probabilité est réelle. Il est aujourd’hui quasiment au coude-à-coude avec Hillary Clinton. Mais on hésite encore à le créditer d’une probabilité de victoire, tant elle semblerait tout même surprenante. Mais, effectivement, comme je l’évoquais sur l’Ohio, Trump parvient à séduire des démocrates, il parvient à séduire des indécis...

Cela dit, les derniers développements autour de ses propos sur la famille d’un vétéran musulman tué sur le front sont de nature à décrédibiliser le personnage, mais on a l’impression que tout lui glisse sur la peau, qu’il est une sorte de « Teflon candidate », un peu comme Reagan en son temps. Que quoi qu’il fasse, rien n’a de conséquence. Lui-même commentait cela il y a quelques mois, prédisant que s’il se positionnait sur la Cinquième Avenue et tirait sur quelqu’un, il ne perdrait aucun point dans les sondages. On a un peu cette impression effectivement. Mais la campagne est encore longue. Il y a des meetings tous les jours, l’argent va manquer... On a vu que les frères Koch (de gros financeurs de causes et candidats conservateurs, ndlr) étaient plutôt voire même totalement réticents à l’idée de soutenir sa campagne. D’autres, comme un Robert Mercer, pourraient le faire ; des fonds il y en aura mais peut-être un peu moins que pour Hillary Clinton, et on sait que c’est le nerf de la guerre.

On sait aussi que l’un des enjeux, ce sera les débats, il y en aura trois, en septembre et en octobre. On n’est pas à l’abri d’une nouvelle gaffe de Trump mais, encore une fois, on a l’impression que, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, rien ne l’affecte. On attend également les derniers chiffres du « rebond » Clinton après la Convention ; il ne faut en général pas en faire trop là-dessus mais, tout de même, il semblerait qu’elle ait gagné pas mal de points après la Convention - l’impact d’Obama, l’impact de Michelle, l’impact de Bill Clinton... Tout cela a des conséquences. (Note : les premiers sondages publiés dès le lundi 1er août confirment en effet cette tendance, ndlr)

 

Thomas Snegaroff

 

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29 juillet 2016

« De Vigipirate à Sentinelle vers une Garde nationale ? », par Alain Coldefy

L’amiral (2S) Alain Coldefy, directeur de la prestigieuse Revue Défense Nationale, est de ces voix de militaires auxquelles on prête l’oreille dans un pays qui, pendant longtemps, s’est peut-être senti moins directement concerné par les questions de défense. La réalité froide du terrorisme de masse qui, depuis dix-huit mois, a frappé le territoire national à au moins trois reprises et causé plus de 230 morts violentes, ne pouvait pas ne pas remettre la sécurité, la défense, le policier et le militaire au cœur des préoccupations premières de nos concitoyens.

M. Coldefy, qui avait déjà répondu aux questions de Paroles d’Actu en décembre dernier, a fort aimablement accepté la proposition d’article que je lui ai soumise le 17 juillet - soit trois jours après l’attentat de Nice - autour de la thématique suivante : « Quels dispositifs sécuritaires face à la menace terroriste en France ? ». Son texte m’est parvenu ce jour, au lendemain de la confirmation par le président de la République de la constitution d’une « garde nationale ». Synthèse et point de vue d’un expert, précieux parce qu’éclairants - qu’il en soit, ici, remercié. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Sentinelle 2016

Patrouille de soldats à Paris dans le cadre de l’op. « Sentinelle », nov. 2015. Cr. photo : Charles Platiau/Reuters.

 

« De Vigipirate à Sentinelle

vers une Garde nationale ? »

par l’amiral Alain Coldefy, le 29 juillet 2016

Le président de la République a décidé le 28 juillet 2016 la constitution d’une « Garde nationale » à partir des éléments existants des réserves opérationnelles. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État en parle, mais il semble à de nombreux observateurs que le projet pourrait aller à son terme à la suite des récents attentats.

C’est le moment de s’interroger sur le dispositif sécuritaire qui se met en place dans notre pays, au fil tragique des attentats meurtriers qui frappent délibérément « à l’aveugle », les auteurs et leurs commanditaires le revendiquent haut et fort.

Quelques mots d’abord sur le terrorisme...

Le terrorisme est un mode d’action, comme l’espionnage, la piraterie, l’esclavage ou le brigandage. C’est un mode d’action quasi « éternel », et « qui le restera », pour paraphraser un grand homme de l’histoire de France. Mais le terrorisme, pour terrible qu’en soient les effets sur les populations, n’a jamais détruit aucun État digne de ce nom.

La guerre est également un mode d’action, mais ce qui fait la différence, c’est qu’elle est un affrontement temporaire et par les armes entre deux adversaires ou ennemis, et, dût-elle durer cent ans, elle s’achève un jour par nature. En revanche, la guerre peut détruire des États, nul besoin d’être historien pour le savoir.

La « guerre contre le terrorisme » ou « la France est en guerre » sont donc deux expressions qui pourraient apparaître comme pleines de sens « politique », dans les rapports entre l’État et les citoyens, et vides de sens « pratique » comme cela est expliqué plus haut.

« On a mis dix ans à comprendre Mein Kampf...

ne refaisons pas les mêmes erreurs ! »

En réalité, et c’est la mondialisation de l’information et des espaces qui entre autres le permet, nous sommes entrés dans un siècle où tout est lié, tout événement a des répercussions mondiales instantanées :

  • La France doit combattre loin de ses frontières des groupes armés de terroristes qui ont un objectif politique assumé  : construire un État nouveau sur un territoire qu’ils auront conquis par la lutte armée et détruire dans le même temps nos sociétés. Ils l’ont écrit il y a une dizaine d’années et Gilles Kepel rappelle souvent que c’est le délai qu’il a fallu en France pour traduire – trop tard – Mein Kampf et découvrir qu’Hitler avait lui aussi écrit et décrit sa volonté de détruire la France. La cécité niaise, stratégique et politique, qui avait prévalu entre les deux guerres n’a toujours pas servi de leçon aujourd’hui.
     
  • Et simultanément, elle doit prévenir sur son sol national des attentats de toutes sortes et revendiqués comme terroristes par leurs auteurs.

L’exercice est donc délicat et on ne peut que se louer de la maïeutique intellectuelle, soutenue certes par les « kalachnikov » des assassins, qui a fait prendre conscience aux Français et à leurs dirigeants qu’il s’agissait d’un même « combat ».

Ces préliminaires permettent peut-être d’éclairer la question lancinante des dispositifs sécuritaires à mettre en place pour faire face à la menace terroriste en France.

Car au vu de ces éléments, on voit mieux qu’il s’agit, pour prendre une image concrète, de « gripper » cette « vis sans fin » de la terreur qui s’enfonce dans les ventres mous des démocraties.

Des principes forts

Deux principes forts doivent ensuite être soulignés quand on aborde maintenant la question des moyens, au sens large, à mettre en œuvre.

Le premier principe est qu’ils doivent être pérennes car la menace est malheureusement pérenne. Un médecin, William Dab, s’interrogeait récemment avec pertinence dans cette optique sur ce que la lutte contre les pandémies peut nous apprendre face à la menace terroriste.

« Trois piliers essentiel : Renseignement, Police, Justice.

Si l’un d’eux flanche, tout l’ensemble est bancal. »

Ces moyens reposent sur un triptyque bien connu : le Renseignement, la Police et la Justice. Quand l’un des piliers flanche, l’ensemble est bancal.

Le renseignement fonctionne plutôt correctement au vu des informations connues du grand public. Les terroristes sont rapidement identifiés, et il est évident, même si c’est moins dit, que nombre d’actions ont pu être évitées de façon préventive grâce aux moyens mis en œuvre dans ce domaine.

On peut cependant se risquer à deux remarques.

La première est que nous avons hérité de la guerre froide un dispositif, une culture, des méthodes et une organisation du renseignement dédiés au contre-espionnage avec des caractéristiques propres – temps long, réseaux, désinformation, etc… Ce mode opératoire a bien fonctionné jusqu’à la guerre en Irak et l’on se souvient du « jeu de cartes » représentant les responsables de la mouvance de Saddam Hussein. Depuis, il s’agit d’intervenir « urbi et orbi » dans un contexte de contre-terrorisme qui présente d’autres caractéristiques : médiatisation, rôle des opinions publiques, mise en avant permanente des responsables politiques, etc…

La deuxième est que l’intégration du renseignement, en termes d’organisation, est encore inachevée. Les armées, dès la chute du Mur, ont créé ex nihilo une direction interarmées du renseignement militaire, qui n’était pas évidente a priori (fusionner les spécialistes de l’analyse spectrale des bruits rayonnés par un sous-marin soviétique en Atlantique nord et ceux de l’action humaine en profondeur sur les théâtres terrestres par exemple) mais a fait avec le temps preuve de son efficacité. Les sources du renseignement sont multiples, internationales et nationales, et cette intégration est impérative. Pour ce faire, les militaires ont une recette éprouvée : un seul chef pour une mission bien définie et des moyens correctement adaptés….

Les forces de sécurité font preuve au quotidien de leur professionnalisme et il y a peu de commentaires à faire. Elles disposent d’effectifs importants au plan national - la Police nationale comme la Gendarmerie nationale sont chacune plus importantes en personnel que l’armée de Terre – et sont complétées des polices municipales, de la sécurité civile, du système de santé, des pompiers civils et militaires, etc... Ces forces sont suremployées et doivent de plus en plus intervenir en faisant usage de leurs armes létales. L’appel aux forces armées, dans son principe, est donc cohérent.

« Le terrorisme doit être traité dans le cadre

des lois ordinaires de la République »

La justice enfin. La criminalité est pérenne, le terrorisme en fait partie, se traite en démocratie par les lois ordinaires de la République, c’est le second principe. L’exception, comme son nom l’indique, doit rester exceptionnelle car elle réduit temporairement le champ d’action de la justice au profit de l’administration. Ce n’est pas le sujet de cet article, donc nous ne développerons pas ce point. Il est évident que c’est à l’heure actuelle le point de faiblesse du dispositif pour des raisons qui tiennent essentiellement à un budget notoirement insuffisant depuis des années. Il est clair également que depuis l’épisode du « mur des cons » on peut s’interroger sur les motivations de certains - imagine-t-on dans une caserne ou un commissariat un tel spectacle ? L’absence assumée du renseignement dit « pénitentiaire » est également un point de faiblesse. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Il est donc naturel de reconsidérer le rôle de l’armée dans le cadre ainsi brossé.

Et l’on s’apercevra immédiatement que l’armée n’est pas conçue pour cette mission. Les forces armées sont en effet faites pour protéger le territoire national contre des agressions extérieures et les Français de par le monde. Le militaire, soldat, marin, aviateur est formé pour le combat contre un ennemi et il est dépositaire dans ce cadre de la violence de l’État avec le devoir de détruire ceux qui, de l’étranger et à l’étranger, s’attaquent à la France. Ceci n’a rien à voir avec le mandat des forces de police, quel que soit leur statut, civil ou militaire. Ces dernières couvrent une palette extrêmement vaste d’interventions, qui concernent nos concitoyens (grève ou défilé par exemple) et n’autorisent l’ouverture du feu qu’en cas avéré de légitime défense (forces de police civiles).

En revanche, et parce que l’armée dispose parfois de moyens matériels qui font défaut à la sécurité publique (hôpitaux des armées pour le virus Ebola ou l’anthrax en 2001, engins de déminage sophistiqués, ou autres), elle a pour mission de porter son concours au ministère de l’Intérieur quand ce dernier la sollicite. Dans le cas extrême de catastrophes nationales, tout le monde est « sur le pont » évidemment.

Ce concours s’est progressivement étendu au renforcement des capacités de surveillance (Vigipirate) et des capacités de surveillance et d’intervention (Sentinelle) qui ont montré leurs limites légales et réglementaires.

« Les forces de police sont exténuées, l’armée de Terre

employée en soutien de leur mission est exsangue »

Depuis la recrudescence des attentats, il a fallu élever considérablement le niveau de protection si bien qu’aujourd’hui les forces de police sont exténuées et que l’armée de Terre, qui a apporté un soutien (les 10 000 hommes déployés depuis janvier 2015) qui n’était pas prévu par la loi, donc pas financé et désormais insoutenable en termes d’effectifs, est exsangue.

Pour réduire la contrainte sur les forces « régulières », de nombreuses voix se sont élevées pour faire appel aux « réserves », ce vivier de citoyens volontaires, vivier à la fois réel et fictif. Pour résumer, la réserve opérationnelle, qui est la seule concernée, est constituée de personnes (civiles sans expérience ou anciens militaires) qui contractent un engagement à servir, entre un et cinq ans, sur la base d’une durée limitée par an (environ deux mois) et avec l’assurance d’une formation et d’un entraînement d’un mois par an. Mais cette réserve, pour ce qui concerne les armées, a pour mission de compléter les capacités des armées d’active et elle est donc formée et entraînée dans ce but. Or nous avons vu que ce n’est pas le but des armées d’active d’assumer le rôle de force de police. Il y a donc un hiatus de base qu’il faut prendre en compte. Et il y a une deuxième difficulté, d’ordre budgétaire ; la sécurité des Français n’a pas de prix mais elle a un coût que l’État n’a jusqu’alors été capable d’assumer qu’en partie – il y a en effet 28 000 réservistes opérationnels sur un total qui devrait être de 40 000 après avoir été régulièrement revu à la baisse. Inadéquation de la formation et insuffisance budgétaire doivent donc être traitées sans attendre.

La France n’est pas un cas particulier. Dans tous les pays occidentaux, la réserve opérationnelle a pour but de compléter les capacités que les armées ne peuvent entretenir en permanence. Aux États-Unis par exemple, la Garde nationale (US National Guard) est le réservoir des armées de Terre et de l’Air qui ne peuvent se déployer à l’extérieur sans les réservistes qui la composent (par exemple en fournissant la moitié des effectifs de l’US Army en Irak). Elle intervient seule sur le sol américain car par tradition l’armée proprement dite n’intervient pas dans les pays de culture anglo-saxonne.

En France, la Gendarmerie nationale a un système de réserves efficace et cohérent avec ses activités et la Police peut disposer mais en nombre beaucoup plus réduit d’anciens policiers.

Alors quel avenir pour une Garde nationale ?

Puisque l’objectif est fixé, regardons comment l’atteindre. On a déjà signalé la contrainte budgétaire qu’il ne faut surtout pas minimiser. Le coût, pour la société comme pour le bon fonctionnement de l’économie - amputée par roulement de ces travailleurs - de 40 à 50 000 réservistes opérationnels est certainement voisin de près d’un demi-milliard d’euros par an en flux (équipement, formation, entraînement, dépliement, logement, nourriture, compensations, etc.) Elle ne peut être assumée que par un redéploiement de dépense publique en dehors des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice, sinon ce serait une politique de Gribouille. Il faudra dans le même temps prévoir les effectifs indispensables aux armées dans le fonctionnement actuel (renforts en Opérations extérieures, en état-major, dans les forces, etc..) car sinon ce serait amputer les armées de leur efficacité opérationnelle.

Si ces deux conditions sont remplies, la République ouvre une nouvelle page de son Histoire, déjà entrouverte dans le passé et dans d’autres circonstances, mais qui n’a jamais vraiment correspondu dans la durée à la culture de notre société.

« La Garde nationale, une aventure qu’il faut tenter... »

Mais ne serait-ce que pour montrer à notre ennemi - de l’extérieur et de l’intérieur - que la France agit et réagit, c’est une aventure qu’il faut tenter. Nul doute que le sens civique de nombre de nos concitoyens trouvera un lieu privilégié d’expression au sein de la future Garde nationale.

 

Alain Coldefy

 

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21 juillet 2016

« La France et l'EI : vers une guerre perpétuelle ? », par Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste de longue date à RFI, est spécialiste du Moyen-Orient. En janvier dernier, il avait répondu à quelques questions pour Paroles d’Actu touchant en particulier à lArabie Saoudite en tant que chef de file du monde sunnite et propagateur d’une lecture de l’Islam qui lui est propre. Il a accepté, quelques jours après l’odieux attentat qui a frappé Nice le 14 juillet au soir, de saisir la proposition de tribune libre qui lui a été faite. Je len remercie : sa contribution est fort instructive, même si elle n’est pas des plus rassurantes... Je vous invite également à lire en complément, toujours dans nos colonnes, le texte qu'avait signé Guillaume Lasconjarias au mois de mars. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Aux armes

Sur une vitre de la Promenade des Anglais, juillet 2016. Crédits photo : Laurent Vu/Sipa.

 

« La France et l’EI : vers une guerre perpétuelle ? »

par Olivier Da Lage, le 20 juillet 2016 

Il a fallu deux jours pour que l’organisation de l’État islamique revendique l’attaque de Nice du 14 juillet dans laquelle plus de 80 personnes ont perdu la vie et plus de 200 ont été blessés. Mais que le chauffeur meurtrier qui a fauché d’insouciants touristes venus voir le feu d’artifice soit un jihadiste patenté ou un paumé pris de pulsions meurtrières et suicidaires à la fois a finalement peu d’importance. La revendication de l’EI ne laisse aucune place au doute : la France est l’un de ses principaux objectifs.

La France, c’est certain, n’est pas le seul pays considéré comme kafir (infidèle) par le califat autoproclamé. L’ensemble du monde occidental, les musulmans chiites et même la plupart des musulmans sunnites (y compris ceux du Golfe) sont des kouffar (infidèles) selon l’EI et, comme tels, méritent d’être combattus par son armée de jihadistes. Mais pour l’EI, la France est sans conteste un objectif principal, notamment (mais pas uniquement) pour les raisons suivantes :

  • la politique de laïcité mise en avant par l’État français ;

  • les récentes interventions militaires françaises à l’étranger, principalement dans des pays musulmans (Mali, Libye, Syrie, Irak et Afghanistan) ;

  • l’importance de la communauté musulmane sur le territoire français (entre 4 et 5 millions, sur une population totale de 66 millions).

Le concept de laïcité est généralement traduit en anglais par secularism. Mais cela ne rend qu’imparfaitement compte de son contenu. L’Inde et les États-Unis, par exemple, ont une constitution laïque (secular). Mais la religion y est omniprésente dans la sphère publique, y compris étatique. Par contraste, la laïcité française a été forgée au début du XXe siècle afin de rogner l’influence de l’Église catholique en appliquant une stricte séparation entre l’Église et l’État. La loi et la constitution française obligent l’État à être strictement a-religieux. Dans la pratique, cette politique a longtemps été dirigée contre les institutions catholiques.

« Les djihadistes assimilent à dessein la laïcité à la française

à un athéisme inacceptable pour tout musulman pratiquant »

Mais la dynamique actuelle voit un effondrement de la pratique religieuse chez les catholiques (et par conséquent, de l’influence de l’Église) tandis que gonfle le nombre de musulmans. L’islam est donc devenu la principale cible des politiques laïques depuis deux décennies et celles-ci sont souvent mises en avant (et en pratique) d’une façon agressive. C’est la raison pour laquelle de nombreux citoyens français musulmans se sentent marginalisés dans leur propre pays et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une islamophobie ambiante. Les organisations jihadistes profitent de ce sentiment pour assimiler la laïcité à l’athéisme, ce qui la rend inacceptable pour tout croyant adepte de la foi musulmane. Naguère al-Qaïda, désormais l’État islamique puisent la légitimité de leurs attaques contre la France en tant que pays athée de divers versets du Coran et de plusieurs hadith (les « dits » du Prophète) qui enjoignent aux fidèles de traiter sans pitié les incroyants qui refusent de se convertir à la vraie foi.

En dehors du Royaume-Uni, la France est le seul pays européen disposant d’une puissance militaire significative qui a été déployée hors de ses frontières à de multiples reprises depuis plusieurs décennies. Elles ont été menées principalement en Afrique, mais aussi en Bosnie durant la guerre des Balkans des années 90 ; en Afghanistan après le 11-Septembre ; contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011 et en Irak et en Syrie au cours des dernières années. L’intervention française au Mali en janvier  2013 a été le facteur décisif empêchant les jihadistes de s’emparer de la capitale Bamako. Jusqu’à ce jour, des unités françaises patrouillent au Mali et y traquent les jihadistes.

Par ailleurs, bien que d’autres pays soient également engagés dans des opérations à l’étranger contre les organisations jihadistes, aucun d’eux (à la possible exception des États-Unis) ne s’en vante aussi ouvertement que la France. En proclamant en toute occasion que la France est l’ennemi intraitable de l’EI et en revendiquant l’élimination physique de ses combattants et dirigeants, les dirigeants français donnent corps au récit de l’EI selon lequel les attentats commis sur le sol français ne sont que de justes représailles pour les morts provoquées en Syrie et en Irak par les bombardiers français. Naturellement, le point de vue français est diamétralement opposé : la France n’a pas d’autre choix que de détruire à la source ceux qui fomentent de l’étranger les attentats contre ses citoyens. Le seul point sur lequel ils semblent être d’accord est que chacun considère l’autre comme un ennemi mortel et irréductible.

« L’EI cherche à susciter des violences anti-musulmans

qui ouvriraient la voie à une guerre civile en France »

La stratégie développée par l’État islamique semble être la suivante : en multipliant les attaques meurtrières en France, l’exaspération des Français non-musulmans (principalement dans les milieux d’extrême-droite) prendra pour cible leurs compatriotes musulmans qui ont la même religion que celle dont se revendiquent les tueurs jihadistes. Si cela se traduit par des représailles violentes contre les musulmans de France, ce qui, pour l’heure, ne s’est heureusement pas produit, cela renforcera leur sentiment d’abandon par les institutions et l’État français, incapable (ou ne voulant pas) assurer leur protection contre la stigmatisation verbale et les attaques physiques. En fait, voici seulement quelques semaines, le chef de la DGSI Patrick Calvar, interrogé par une commission parlementaire, émettait la crainte que des organisations d’ultra-droite ayant recours à la violence se lancent dans une véritable guerre civile contre les musulmans vivant en France.

Comme les autorités françaises ont tendance à répondre à chaque attentat terroriste par une intensification des bombardements en Syrie et en Irak, cela convient à merveille à la stratégie de l’EI et tient de la prophétie auto-réalisatrice. Le fait est que, jusqu’à présent, le gouvernement français a bénéficié du soutien de l’opinion publique qui approuve les représailles militaires à l’étranger après chaque attentat sur le sol français. Pour le moment, du moins, le gouvernement tout comme l’opposition sont plus que jamais convaincus que les représailles militaires sont la bonne réponse au terrorisme et le soutien de l’opinion ne semble pas chanceler. Avec l’élection présidentielle distante de quelques mois seulement, aucun responsable politique ne veut pouvoir être taxé de faiblesse face au terrorisme.

Si toutefois de nouvelles attaques terroristes devaient provoquer toujours plus de victimes, ce qui, aux dires même du Premier ministre Manuel Valls, est hautement probable, les électeurs français pourraient reconsidérer leur opinion et se dire qu’après tout, le coût humain d’une intervention militaire extérieure est un prix trop élevé à payer. Mais même en ce cas, il n’y a bien sûr aucune garantie que l’EI répondrait par un arrêt des attentats à un arrêt (tout aussi improbable) des bombardements français sur ses fiefs de Raqqa et Mossoul. On a, bien au contraire, toutes les raisons de penser que dans un avenir prévisible, la continuation des bombardements français au Moyen-Orient aura pour corollaire le redoublement des attaques terroristes en France. Et inversement.

 

Olivier Da Lage

 

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12 juillet 2016

« L'Europe et les peuples », par Nathalie Griesbeck

Le vote par une majorité d’électeurs britanniques en faveur du retrait de leur État de l’Union européenne, le 23 juin dernier, vient accroître encore l’impression, déjà prégnante au regard de la poussée constante des mouvements anti-UE sur tout le continent, d’un divorce véritable entre les peuples de l’Europe et les institutions communautaires - les « élites » de manière générale. Le 25 juin, deux jours après le référendum, j’ai souhaité proposer à Mme Nathalie Griesbeck, eurodéputée centriste (depuis 2004), pro-européenne convaincue, de nous livrer pour Paroles d’Actu quelques sentiments et pistes de réflexion personnels autour de la thématique suivante : « L’appareil communautaire et les peuples d'Europe peuvent-ils encore être réconciliés ? ». Son texte, reçu ce jour, brosse un tableau assez critique de la manière dont l’Union européenne fonctionne aujourd’hui. Tout cela ne manquera pas d’alimenter les débats dont l’Europe ne pourra de toute façon plus se passer dans les années, voire les mois à venir... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

UE

Source de l’illustration : huffingtonpost.co.uk.

 

« L’Europe et les peuples »

par Nathalie Griesbeck, le 12 juillet 2016

Le récent référendum au Royaume-Uni a été un véritable électrochoc politique au sein de l’Union européenne. Pour la première fois depuis sa création, un pays a fait le choix de se séparer de l’Union. De cette déchirure, nous devons retenir qu’elle n’est pas un acte isolé. La plupart des consultations électorales de ces dernières années ont témoigné de la méfiance, voire de l’opposition de citoyens européens au processus d’intégration européenne. L’euroscepticisme dont il est ici question semble se répandre en Europe, en même temps que les partis populistes prolifèrent et prospèrent.

Du choc au temps de la réflexion

L’Union européenne n’est pas exempte de reproches. Mais la majorité des citoyens européens ne s’oppose pas à l’idée d’Europe : selon un sondage Eurobaromètre de mars 2016, 54% des Français se voient à la fois français et européens, proportion qui s’élève même à 59% des 18-24 ans !

Si la majorité des citoyens semble attachée à l’Europe, c’est donc que les Européens ne rejettent pas « l’idée » d’Europe, mais l’Europe qu’aujourd’hui on leur propose ou impose ; cette Europe économique, très peu politique et sans protection sociale ; cette Europe qui ne sait pas se faire comprendre, qui paraît lointaine, froide et peu à l’écoute des demandes citoyennes. Enfin cette Europe des États, où ceux-ci décident quasiment de tout sans jamais en assumer les conséquences impopulaires. Ces États qui rejettent en bloc la faute sur cet avatar réducteur nommé « Bruxelles ». Il devient donc urgent de nous plonger dans une réflexion profonde sur les raisons de cette méfiance envers l’Europe.

L’idée d’inclusion citoyenne doit plus que jamais nous servir de boussole. Elle doit être au cœur du nouveau projet européen que nous appelons de nos vœux. Il faut mettre les citoyens en position de pouvoir s’approprier plus aisément les nombreuses particularités de l'Union européenne.

Inclure davantage les citoyens dans le cours des décisions

Des outils et institutions sont spécifiquement dédiés aux citoyens européens : le Médiateur européen, qui examine les plaintes à l'encontre des institutions, organes et agences de l'UE ou encore l’initiative citoyenne européenne qui permet aux citoyens européens d’inviter la Commission européenne à présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l'Union européenne est habilitée à légiférer. Au regard de l’utilisation modeste de ces outils - dont il faudrait simplifier les conditions pour l’initiative citoyenne - la solution passe sans doute par un lien plus direct entre les citoyens et leurs élus.

C’est pourquoi nous demandons depuis des années, que ce soit par la voix de mon parti politique, le MoDem, ou de mon groupe parlementaire, l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE), que le président de la Commission européenne soit élu au suffrage universel direct. Un pas de plus en faveur de l’implication des citoyens avait été franchi en 2014 avec le processus de « Spitzenkandidat » : pour la première fois, les candidats têtes de liste des partis européens pour les élections législatives étaient en position de devenir Président de la Commission européenne. Mais cette nomination est dans les textes toujours du ressort des États-membres et M. Jean-Claude Juncker, bien que « Spitzenkandidat » du Parti Populaire européen (PPE, la droite européenne) doit sa nomination à la volonté des États-membres.

C’est une réforme indispensable pour aller vers une véritable responsabilisation démocratique de la politique européenne. En l’état actuel des choses, d’un côté les politiques européennes demeurent des compromis dont personne n’est responsable, de l’autre, les citoyens votent lors des élections européennes à travers le prisme des enjeux nationaux. Élire le président de la Commission sur un programme rend son parti et lui-même responsables d’une partie de la politique européenne. C’est-à-dire que lors des élections suivantes, les citoyens pourront voter pour plébisciter ou sanctionner un bilan, et non plus seulement pour se prononcer pour davantage ou moins d’intégration européenne.

Il faut, à mon sens, continuer dans cette voie et sanctuariser ce processus si l’on veut rendre l’Union européenne vraiment plus proche des citoyens.

Rendre plus accessibles les institutions

Le processus législatif européen est assez complexe puisque c’est la Commission européenne qui a l’initiative - et non le Parlement - et ce sont le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne qui décident ensemble, via un processus d’aller et retour du texte entre ces deux institutions. Si des oppositions demeurent au terme du processus entre le Parlement et le Conseil, des comités de conciliation sont formés. Appelés « trilogues », puisque la Commission européenne, le Parlement et le Conseil négocient, ils se déroulent en toute opacité. Cela rend irresponsables les preneurs de décisions et accroît - à juste titre - la méfiance citoyenne. Souhaitant davantage d’accessibilité à l’information, je suis en faveur de la publication des comptes-rendus de ces négociations.

Rendre plus accessibles les institutions ne nécessite pas nécessairement de grandes réformes, mais de petits changements relevant parfois du simple bon sens. Je pense ici à certaines terminologies technocratiques et ridicules. Je prendrai pour exemple le terme de « Conseil », qui désigne à la fois l’organe au sein duquel se réunissent les ministres de chaque gouvernement, le Conseil de l’Union européenne, les réunions des chefs d’États que sont les « Conseils européens » et enfin l’organisation internationale distincte de l’Union, le Conseil de l’Europe ! Cette appellation génère des confusions et suscite une incompréhension dont on se passerait bien envers ces institutions !

Reconstruire un projet européen autour d’une Europe sociale

La construction européenne s’est, depuis son origine, appuyée sur la réalisation d’un marché économique, en passant d’une zone de libre-échange à un marché commun, voire à une union économique et monétaire pour 19 États-membres. Cette remarquable réussite ne saurait cependant occulter le manque criant de protection sociale européenne. Demandée avec une certaine insistance par les citoyens de l’Union, cette Europe sociale concilierait croissance économique et amélioration des conditions de vie et de travail. Des instruments existent déjà dans ce domaine comme le Fonds social européen (FSE) ou le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEAM), mais ils sont trop faiblement dotés en ressources pour la mettre réellement en pratique. Surtout, l’Union pourrait affirmer une ambition plus forte dans ce domaine à condition qu’on lui accord cette compétence.

L’événement du Brexit a mis en lumière une incompréhension mutuelle des citoyens européens et de leurs institutions. Le fait est certain, et il est vital pour l’Union de se réformer. Inclusion des citoyens, accessibilité des institutions, Europe sociale constituent des solutions à cette crise. Bref, nous devons aller à contrecourant de certaines voix populistes : plutôt que de « rendre » aux États une souveraineté qu’ils n’ont jamais perdue, intégrons davantage l’Union et passons de l’Union européenne des États à l’Union européenne des citoyens !

 

Nathalie Griesbeck

 

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5 juillet 2016

« À l'heure des défis : l'OTAN et le sommet de Varsovie », par Guillaume Lasconjarias

À quoi sert encore l’OTAN, plus d’un quart de siècle après l’effondrement de cet ennemi a priori (et donc a posteriori) mortel qui lui donnait sa raison d’être, à savoir le « bloc de l’Est » ? Quelles missions l’Alliance atlantique a-t-elle vocation à assumer dans une Europe et un monde en proie à des défis nouveaux ou en tout cas, à des menaces en pleine mutation ? Les délégations nationales qui se réuniront à Varsovie - quel symbole ! - pour le sommet de l’OTAN à la fin de la semaine devront plancher sur ces épineuses questions, redonner un souffle et un cap à cette organisation qui se cherche une stratégie cohérente à l’Est, une organisation à peu près muette en tant que telle sur la Syrie et peu ou en tout cas pas audible autant qu’elle le pourrait sur la question désormais imposante du terrorisme international. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN et habitué fidèle de Paroles d’Actu (à lire ou relire : notre interview doctobre 2015, réalisée deux semaines avant les attentats de Paris), a accepté de nous livrer quelques clés pour comprendre et analyser les enjeux de ce sommet. Je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

OTAN

Au siège de l’OTAN. Source de la photo : usdefensewatch.com.

 

« À lheure des défis : lOTAN et le sommet de Varsovie »

Dans quelques jours, du 7 au 9 juillet, chefs d’État et de gouvernement se retrouveront à Varsovie pour un sommet de l’Alliance atlantique qui devra orienter les principales décisions de 28 alliés dans un environnement toujours plus complexe, plus volatile et pour tout dire, plus dangereux. Alors que la Russie s’affirme comme un acteur toujours plus agressif, que l’État islamique malgré ses reculs n’a rien perdu de ses capacités d’attraction et poursuit ses engagements à mener des attaques terroristes sur le sol occidental, que les nations européennes sont fragilisées par des cohortes de migrants fuyant guerres, conflits et situations économiques désespérées et qui forcent les responsables politiques à reconsidérer le pacte social, comment une alliance pensée pour défendre des valeurs libérales et démocratiques au temps de la Guerre froide peut-elle se régénérer pour demeurer crédible ?

Qu’attendre d’un sommet de l’OTAN et plus spécifiquement, de celui qui vient ? Doit-on souhaiter de nouvelles annonces qui, à l’instar de celles avancées au sommet de Newport (Pays de Galles, en septembre 2014) chercheront à rassurer les alliés en montrant la capacité de l’Alliance à s’adapter au nouveau désordre mondial ? Cherche-t-on au contraire à marquer une pause pour analyser ce qui a été fait et qui devra être accompli ?

Dans l’histoire de l’Alliance, les sommets ont un rôle très particuliers en cela qu’ils servent de point d’orgue et de cap aux nations comme aux éléments qui composent la structure permanente de l’Alliance, son secrétariat international et sa chaîne hiérarchique. Depuis la fin de l’Union soviétique, les sommets se succèdent à intervalles réguliers, soit tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Lors de ces rencontres sont mises en avant les grandes décisions qui justifient l’existence de l’Alliance, soit en ouvrant la porte à de nouveaux membres, soit en décidant de poursuivre ou d’étendre des opérations, soit en proposant de nouvelles initiatives destinées à améliorer le fonctionnement interne de l’ensemble. Dans tous les cas, il s’agit de montrer la pertinence de l’OTAN, tout en lui redonnant un « coup de fouet ». En effet, ces moments où le politique s’interroge et s’intéresse à l’alliance est aussi un moyen de forcer la structure à ne pas se contenter d’une routine ou d’une administration qui s’auto-animerait, pour lui redonner son allant et sa motivation.

« Le "retour" de la Russie avec Poutine

a ravivé la flamme otanienne »

Mais qu’attendre de Varsovie ? Depuis deux ans, le travail accompli a été très important. L’alliance, qui au début 2014, semblait être en retrait et cherchait un moyen de ranimer la flamme parmi ses membres a sans nul doute bénéficié du retour de la Russie de Poutine, dont les actions en Crimée puis dans l’est de l’Ukraine ont balayé le rêve d’une Europe libérée de tout conflit. Confrontée à la montée en puissance de Daesh, à une crise syrienne dont nul ne sait l’issue, à la tragédie de l’immigration massive et à la déstabilisation d’États dans sa périphérie, l’OTAN a entamé un travail de réflexion sur ses points forts : répondant aux préoccupations de ses alliés du flanc Est, c’est d’abord à une remontée en puissance qu’elle s’est attelée, ravivant ses capacités militaires et invitant tous ses membres à non plus se plaindre de la dangerosité de l’environnement mais bien à se prendre par la main et à dépenser plus et mieux pour redevenir un acteur politique et militaire crédible. La promesse - bien qu’elle ne soit pas contraignante - d’amener les budgets de défense à 2% du PIB des nations marque en cela un premier tournant.

Le second temps a été de se repositionner face à la Russie. S’il est possible de soupçonner une certaine facilité quant à se redonner un adversaire qui flaire bon le temps passé, les alliés se gardent bien de toute similitude avec la guerre froide. À raison : Poutine n’est pas Staline, la Russie d’aujourd’hui n’a rien de comparable avec l’URSS, et malgré les rodomontades du maître du Kremlin, la puissance russe se débat avec une économie fortement affaiblie, dans un environnement géopolitique où les compétiteurs sont de plus en plus nombreux. Il n’empêche que l’affaire ukrainienne a rappelé que la surprise et la déstabilisation d’un État situé à trois heures d’avion de Bruxelles était une possibilité et que la Russie avait fait quelques progrès en matière de guerre sous le seuil, employant des tactiques hybrides et annulant toute possibilité de réaction de la part du pays visé, comme de ses voisins.

L’OTAN a donc redécouvert une forme de conflit à laquelle elle n’avait plus songé, ses interventions dans les Balkans, puis en Afghanistan l’ayant surtout amenée à réfléchir aux problèmes de reconstruction d’États faillis, occultant parfois l’idée de guerre, quitte à la subir. Ainsi, en Afghanistan pendant douze ans, la notion de campagne de contre-insurrection s’est-elle imposée, forçant les nations contributrices à penser comment des armées doivent parfois se charger de tout pour gagner la paix. La Libye, par certains aspects, a été un cas hors norme, sans engagement au sol et la possibilité de changer le régime du dictateur Kadhafi par une rébellion victorieuse.

« L’OTAN brille par son absence sur la question syrienne »

Toutefois, cette dernière décade a porté en elle les problèmes qui grèvent aujourd’hui l’alliance. La longueur du conflit afghan et l’absence de résultats concrets ont éloigné les opinions publiques et convaincu certains hommes politiques à retirer leurs forces, affaiblissant encore plus l’esprit de la mission. L’action en Libye, quoique réussie d’un point de vue militaire, a donné naissance à deux gouvernements proclamant leurs droits tandis que dans les creux et vides naissait et prospérait l’État islamique. L’alliance s’est trouvée remarquablement silencieuse quant au drame syrien, et si une part non négligeable de ses alliés prend part aux actions contre Daesh au-dessus de la Syrie et de l’Irak, ce n’est pas l’établi qui est à la manoeuvre. Enfin, au regard de la situation dans l’est de l’Europe, une véritable fracture s’est instaurée entre ceux qui voient dans la Russie le nouvel ennemi quand d’autres jugent plus préoccupants les questions migratoires ou le terrorisme.

En réalité, ce qui est en jeu à Varsovie, c’est moins la question des priorités de l’Alliance que sa capacité à créer de la cohésion entre ses membres. L’idée de développer une Alliance capable de penser son environnement à 360 degrés et donc, de se saisir - et potentiellement de traiter - des problèmes survenant à l’est ou au sud sont les conditions de sa pérennité et de sa crédibilité. La mise au point de « directions stratégiques » concourt naturellement à cela, mais il faut poursuivre ses efforts en évitant de séparer les fronts ou de spécialiser les nations. Il est bon de rappeler quels sont les fondamentaux sur lesquels repose cette alliance et notamment le principe de défense collective contenu dans l’article 5 du traité de Washington (1949). Sans doute, au cours des vingt dernières années, a-t-on offert aux autres missions élaborées dans le concept stratégique de 1999 (sécurité coopérative et gestion de crise) une caisse de résonance qu’il convient de ne pas oublier, mais peut-être de considérer comme moins fondamentale à la survie de l’OTAN. Peut-être, comme le suggèrent quelques auteurs, est-il temps de redéfinir ce concept stratégique ou de lui assurer d’autres responsabilités, comme le développement de la résilience au sein des populations de l’Alliance.

« Il est peu probable que le sommet de Varsovie

soit des plus ambitieux pour l’OTAN »

Varsovie, pourtant, risque fort de n’être qu’un rapport d’étape peu ambitieux malgré des déclarations ci et là. L’attente des élections américaines puis, en 2017, de la présidentielle française et de la remise en jeu du mandat de la chancelière allemande plaident pour ne pas prendre de décisions hâtives. La tragi-comédie du « Brexit » et les tensions que traverse l’Union européenne ne font pas non plus le jeu de l’Alliance qui a besoin de partenariats solides pour maintenir une pression sur la Russie. Peut-être ne faut-il pas espérer de grandes mesures ou des décisions marquantes : si les chefs politiques poursuivent et renforcent ce qui a été fait il y a presque deux ans à Newport, ce sera déjà un beau résultat car l’adaptation et la crédibilité de l’OTAN passent plus par une suite de petits pas auxquels chacun contribue qu’à des grandes annonces peu suivies d’effets.

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juillet 2016

 

Guillaume Lasconjarias

 

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1 juillet 2016

Julien Holtz : « Il faut se fixer des challenges réalistes, c'est ainsi qu'on progresse... »

Les Jeux olympiques d’été 2016, qui se tiendront à Rio (Brésil), s’ouvriront dans un peu plus d’un mois. Une bonne occasion de se replonger dans la petite et grande histoire de l’Olympisme: ça tombe bien, c’est précisément ce que propose l’ouvrage 100 Histoires de légende des Jeux olympiques, paru chez Gründ il y a quelques semaines. Un beau livre écrit à quatre mains, par un père - le célèbre journaliste sportif Gérard Holtz, qui commentera à partir de demain son dernier Tour de France sur France Télévisions - et son fils - Julien Holtz, jusqu’ici largement méconnu. J’écris « jusqu’ici » parce que j’ai le sentiment qu’après publication de cette interview, ça risque de bouger un peu.

Un long et agréable échange dont je vous remercie, Julien. Le présent article, que je me suis efforcé de ponctuer d’une multitude de liens et visuels pour compléter l’expérience, est une plongée passionnante dans l’univers des JO et du sport de haut niveau en général. Expression d’une passion incontestable, d’une culture solide et de sentiments perso souvent touchants, parfois dérangeants, inspirants dans bien des cas... l’émergence d’un futur journaliste sportif populaire ? La suite le dira... Bonne lecture ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

PS : un grand merci, également, à Caroline Destais, sans qui rien cet article naurait pu être réalisé, ainsi qu’à Gérard Holtz, pour ses contributions précieuses (en P.II)

 

Exclusif - Paroles d’Actu

« Il faut se fixer des challenges réalistes,

c’est ainsi qu’on progresse... »

Interview de Julien Holtz

27-29/06/16

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100 Histoires de légende des Jeux olympiques (Gründ, 2016)

 

Partie I : l’interview de Julien Holtz

 

Paroles dActu : Julien Holtz bonjour, merci de m’accorder cet entretien pour Paroles d’Actu à l’occasion de la sortie de l’ouvrage 100 Histoires de légende des Jeux olympiques, que vous avez coécrit avec votre père. On ne présente plus Gérard Holtz, votre père, mais vous, parlez-nous de vous ? de votre parcours ?

 

Julien Holtz : Bonjour ! Gérard n’a plus beaucoup de secret car tout ce qu’il fait est destiné au partage. La télévision, le théâtre, la réalisation, l’écriture. Et c’est vrai que les «  fils de » ont à se faire une place, dans l’ombre de leurs parents. J’avais choisi de faire mon propre chemin : prépa HEC, école de commerce (l’ESC Lille) puis une carrière qui de fil en aiguille m’a mené vers le web et le conseil en expérience utilisateur. Je ne voulais pas devoir mes réalisations et mon épanouissement d’adulte à mes parents. Je ne voulais pas qu’au jour de leur décès, je n’aie rien fait de constructif, et que je sois comme un oiseau tombé du nid avant d’avoir appris à voler… Alors je l’ai fait, j’ai déployé mes ailes. Puis au bout de dix ans de carrière, j’avais des doutes, envie de changer d’air. Gérard m’a écouté, il a eu une opportunité, une occasion en or qu’il a voulu partager avec moi et je l’ai saisie !

 

PdA : Ce florilège de grands moments et noms des JO, publié chez Gründ à quelques semaines de l’ouverture de ceux de Rio, vient à la suite d’une série de livres que vous avez ensemble consacrés, toujours chez le même éditeur, au Tour de France (2013), au sport français (2014) et au rugby (2015). Je ne vais pas vous demander comment vous est venue l’idée de ce dernier opus... mais plutôt comment est née celle de ces ouvrages réalisés avec votre père, et quelques éléments des coulisses de leur élaboration : qui fait quoi/quand/comment ? Est-ce que celui-ci avait une saveur, des traits particuliers par rapport aux autres ?

 

J.H. : Je vous parlais d’une opportunité. C’est tout simplement notre éditeur, Gründ, qui a contacté Gérard fin 2012 alors que la 100ème édition du Tour de France approchait. Gérard m’avait alors parlé d’un livre de photos du Tour à légender. Sans même y réfléchir, même si je n’avais jamais encore confronté ma plume au marché, j’ai dit « oui » ! Nous avons rencontré notre éditeur et découvert qu’il s’agissait en fait d’histoires à choisir et à raconter avec nos mots. D’un album de portraits, d’exploits et de scandales à butiner et picorer.

 

Sur ce premier livre, nous avons un peu tâtonné d’un point de vue méthodologique. Mais il s’avère que la méthode était la bonne et nous avons reproduit la recette sur les trois livres suivants ! Nous sommes « associés » à 50/50 tant sur la recherche d’idées, la liste des histoires, le choix des thèmes, la répartition des textes, le choix des photos, la promo. Un duo équilibré et complémentaire ! Gérard plutôt sur l’histoire et les petits secrets. Moi plutôt sur les scandales, les tragédies, les grands exploits et les images fortes. Gérard source son écriture dans les livres et moi je farfouille sur internet. YouTube est mon ami  !

 

PdA : Dans cet ouvrage riche et agréablement illustré, on retrouve, comme promis, tous les marqueurs qui ont fait l’histoire des Jeux olympiques au 20ème siècle : exploits incroyables et injustices terribles, portraits d’hommes et de femmes d’exception et incursions, souvent, de la grande Histoire dans celle de l’Olympisme. Quelles sont, parmi toutes ces histoires, que vous les ayez « vécues en direct » ou apprises après coup, celles qui, à titre personnel, vous ont le plus marqué et pourquoi ?

 

J.H. : Il y a l’image de Derek Redmond à Barcelone en 1992, foudroyé par un claquage en pleine course du 400m, qui veut passer la ligne quoiqu’il lui en coûte. Son père passe les cordons de bénévoles et saute sur la piste pour le soutenir !

Derek Redmond

Src. de la photo : www.athslife.com. Vidéo : cliquez sur la photo.

Il y a Elizabeth Robinson, championne olympique du 100m en 1928, promise au doublé à Los Angeles en 1932 et qui entre-temps frôle la mort dans un accident d’avion avec son cousin… Prise pour morte, elle avait même été envoyée au croque-mort  ! Figurez-vous qu’en 1936 elle glanera une nouvelle médaille, malgré une jambe raidie, avec le relais 4x100m !

Il a les japonais Nishida et Oe qui en 1936 refusent de se départager sur le podium du saut la perche. De retour au pays, ils couperont leurs médailles d’argent et de bronze pour en ressouder deux, mi-argent mi-bronze !

Il y a Károly Takács, le Hongrois qui mettait dans le mille au tir. Il devra franchir bien des obstacles pour parvenir au titre olympique. Jeune soldat, il n’avait d’abord pas le grade suffisant pour participer aux Jeux. Plus tard, une fois la condition remplie, il s’était blessé à la guerre et avait du apprendre à tirer de l’autre main ! Cela ne l’a pas empêché d’être double champion olympique !

Il y a les immenses exploits, comme Carl Lewis qui égale Jesse Owens aux Jeux de Los Angeles avec quatre titres lors d’une même olympiade. Les stakhanovistes comme Emil Zátopek ou plus récemment Steven Redgrave en aviron.

Dans le sport comme dans la vie, on n’a rien sans travail. Le plaisir est fade, la fierté est inexistante s’il n’y a pas eu de la souffrance pour y parvenir !

 

PdA : Combien d’athlètes présents sur ces pages ou lors de ces manifestations avez-vous pu rencontrer jusqu’à présent ? Que retenez-vous de ces rencontres et comment percevez-vous ces personnalités ? Les classeriez-vous « un peu à part » du commun des mortels ?

 

J.H. : À vrai dire, j’en ai rencontré assez peu. Les grands événements sportifs n’étaient pas mon quotidien, c’étaient mes récréations exceptionnelles. Il me faut reconnaître que j’ai eu une enfance particulièrement privilégiée de ce point de vue-là !

J’ai croisé récemment Marie-Jo Pérec dans un Monoprix du 17ème arrondissement de Paris. Une femme douce, gentille. Une timidité qui cachait certainement une rage de vaincre à toute épreuve. Marie-Jo c’était notre gazelle face aux félines sprinteuses.

À l’intronisation de Renaud Lavillenie à Grévin, j’ai pu échanger quelques mots avec lui et rencontrer aussi la fille de Colette Besson. Renaud est assez fidèle au portait que nous avons fait de lui : on sent sous ce masque de cire une impétuosité et un caractère de feu ! Un vrai voltigeur.

Renaud Lavillenie

Renaud Lavillenie aux J.O. de Londres en 2012. Src. de la photo : http://www.lejdd.fr.

Lors d’un spectacle de Michael Gregorio au Bataclan, j’étais assis derrière Teddy Riner, inutile de vous dire que je n’ai pas vu grand-chose du spectacle tellement le colosse est immense !

Enfin je connais intimement Thierry Rey et il est dans la vie comme il l’était sur les tatamis : un bosseur, un fonceur. Un gars authentique, fidèle et loyal.

 

« Tous ces champions ont eu en eux ce feu sacré

qui les poussait à ne jamais renoncer »

 

J’ai la conviction qu’on ne peut être un champion sans avoir une envie au-dessus de la moyenne. Vouloir réussir, c’est accepter l’idée de sacrifice. Que ce soit en sport comme en business ou dans n’importe quel art. Tous ces champions dont nous racontons l’histoire ont eu en eux ce feu sacré qui les poussait à ne jamais renoncer, ou en tout cas à renoncer plus tard que les autres !

 

PdA : Quels sont les sentiments qui vous habitent lorsque vous vous trouvez, devant votre poste de télé ou dans un stade, face à un exploit authentique ? De l’admiration certainement mais est-ce qu’il n’y a pas aussi, quelque part, une espèce, sinon de jalousie, en tout cas d’envie de se retrouver, à ce moment-là, dans la peau de l’athlète, à sa place ? Avez-vous jamais caressé cette envie, ne serait-ce qu’un temps, d’embrasser vous-même un parcours sérieux de sportif de haut niveau ?

 

J.H. : Je conseille à tout le monde d’avoir des rêves et des projets. De tracer un chemin pour s’approcher au plus près de ce qui vous guide. Je n’ai jamais éprouvé de la jalousie. C’est un sentiment négatif. A contrario l’envie est un élément moteur. Quand je suis dans mon canapé comme téléspectateur, je vis par procuration des émotions intenses. J’adore les retournements de situation, quand le petit dépasse le grand, quand le fort faiblit et que sa carapace se fendille.

 

Être un champion, un sportif de haut niveau ne m’a jamais fait envie. L’écart est bien trop grand pour qu’il fasse envie. C’est comme si je vous demandais, rêveriez-vous d’habiter l’Élysée ou le château de Versailles ? C’est tout simplement irréaliste. En revanche, monter un col mythique du Tour de France, gravir le Mont Blanc, courir un marathon, participer à une course de karting ou de vélo de 24h, ce sont des choses réalistes qui permettent de réaliser des exploits à sa portée. J’ai fait tout ça et à chaque fois, j’ai été fier de moi de le faire, d’y arriver et de progresser.

 

PdA : La question du dopage est omniprésente quand on parle de sport de haut niveau depuis des années et même... bien plus que ça. Est-ce qu’il n’y a pas aussi, là-dessus, une hypocrisie de la part du (télé)spectateur qui demande toujours plus de performances à l’athlète, quel que soit le sport concerné (et je pense évidemment en premier lieu au cyclisme) ? Le doping dans le sport n’est-il pas devenu inévitable au vu des masses financières impliquées ?

 

J.H. : Le téléspectateur n’a rien à voir dans le problème du dopage. C’est dans la nature humaine de chercher le petit truc qui va lui simplifier la tâche et lui donner les 5% ou 10% de performance en plus pour aller chercher la victoire. Astérix, un personnage de BD, en est le meilleur exemple ! Qui n’a pas fait une cure de vitamines avant de passer le bac ? Quel chanteur ne s’est pas saoulé avant un concert (pour ne pas dire pire) ?

Le problème en réalité c’est la suspicion entre les sportifs : Tiens, il marche à quoi lui ? Ben, je veux la même chose ou je veux mieux ! L’engrenage est rapide, au début on prend des petites médications pour récupérer, puis on arrive in fine aux transfusions sanguines, à l’Aicar, etc…

En cyclisme par exemple, il y a une énorme pression sur les coureurs. Leur carrière est tellement précaire et les sponsors veulent un retour sur investissement (qu’on cite le maillot). La tentation est grande de « passer du côté obscur de la force ». C’est presque culturel. Et plus on s’enfonce moins on a de scrupules. L’histoire de Lance Armstrong est le summum.

Le rugby a pris la même direction. Dans les années 80, c’étaient encore des gabarits comme vous et moi. Puis avec le professionnalisme, la multiplication des matches, les nouveaux gabarits de l’hémisphère sud aussi et ce nouveau style de jeu où on n’évite plus le défenseur et l’on cherche  l’impact… Il fallait se muscler, lever de la fonte. Tout cela nous donne des éléments pour comprendre la plongée vers le dopage.

 

PdA : Muhammad Ali, figure de légende par excellence, sur le ring comme à la ville, nous a quittés au début du mois de juin. Que vous inspire le personnage ? Qu’est-ce que vous auriez envie d’écrire sur lui si on vous ouvrait un espace pour le faire ?

 

J.H. : Il y a eu un magnifique film sur lui avec comme acteur principal Will Smith. Son caractère et son aura sont très inspirants. Maintenant écrire sur lui, il y a matière c’est sûr mais la question est « y-a-t-il un public pour ce sujet en France ? »

 

PdA : Lionel Messi, un des meilleurs footballeurs du monde, vient tout juste d’annoncer sa retraite internationale. Est-ce que vous l’intégreriez dans la catégorie des « légendes » du sport ? Question liée : comment définir ce concept de « légende » ?

 

J.H. : Messi est une légende, ne serait-ce que par son palmarès collectif et inviduel. Son histoire comporte tous les ingrédients pour en faire une de nos histoires de légende. Son enfance, sa petite taille, le Barça qui le recueille et l’aide à grandir tant physiquement qu’humainement. Son jeu, sa vista, ses records… Typiquement le genre de logique qui colle au concept des 100 Histoires de Légende !

 

Lionel Messi

Lionel Messi aux couleurs du F.C. Barcelone. Src. de la photo : CNN.com.

 

PdA : Justement... On vit aujourd’hui à l’époque de l’instantané, du trop-plein médiatique ; peut-être vit-on les événements avec moins de recul, peut-être néglige-t-on les vertus de la rareté et du silence. Les coulisses sont de plus en plus accessibles, on connaît davantage la vie des athlètes, eux-mêmes s’expriment sur Twitter, etc. Est-ce que, dans ce contexte, l’émergence de « légendes » est encore possible ? Les grands exploits sportifs font-ils rêver autant qu’avant ? Avez-vous à l’esprit des noms de sportifs ayant émergé dans les toutes dernières années et qui à votre avis porteraient bien (ou seraient susceptibles de bien porter) le qualificatif de « légende » ? Usain Bolt peut-être ?

 

J.H. : Usain Bolt est un champion hors normes. Laissons de côté les soupçons de dopage en Jamaïque, si un jour il devait tomber, il deviendrait un paria comme Lance Armstrong

Quelques journalistes triés sur le volet ont ces dernières années pu suivre le sprinteur à l’entraînement. C’est un sportif très bien entouré et qui sait se faire mal. Il a fait de sa taille (un handicap potentiel) un atout car il a travaillé sa puissance et sa fréquence de foulée.

 

« C’est souvent a posteriori qu’on dit d’untel

qu’il a été une légende »

 

Il faut être vigilant avec le qualificatif de « légende » car il y a une notion d’absolu. Or, un sportif en activité n’est jamais dans l’absolu, il se compare tous les jours aux autres. C’est souvent a posteriori qu’on dit d’untel qu’il a été une légende.

On peut dire de Bubka qu’il a été une légende du saut à la perche. Inversement, on ne peut pas encore le dire de Lavillenie car sa domination n’est pas absolue. Il lui arrive de faire « chou blanc » lors de quelques grands rendez-vous. On peut dire de Federer qu’il a été une légende du tennis tout comme Djokovic. Leur domination a été ou est absolue. Ils collectionnent les Grand Chelem.

En sports auto : Schumacher a été une légende, Loeb aussi. Alain Prost et Senna, des pilotes de légende mais pas des palmarès ahurissants. À mon sens la nuance est fine, c’est cette histoire de domination absolue.

 

PdA : « Votre » top 3 ou 5 des sportifs, passé/présent, toutes catégories et toutes disciplines confondues, que vous placeriez au-dessus de tous les autres, au top de votre palmarès personnel ?

 

J.H. : Mon Top 5  :

Michael Jordan
Carl Lewis
Michael Phelps
Lance Armstrong
Hicham El Guerrouj

 

PdA : Armstrong, malgré tout ?

 

Lance Armstrong

Src. de la photo : www.sportsinside.fr.

« J’ai malgré tout de l’admiration pour Armstrong »

J.H. : Ça peut vous étonner mais j’ai une certaine « admiration » pour Lance Armstrong. Malgré tout ce qu’il a fait. Malgré le tort qu’il a causé aux coureurs propres, à ceux qu’il a muselés. 7 Tours de France, 7 ans d’une domination absolue et mensonge de 14 ans. Comme toujours, les tricheurs ont un coup d’avance sur la police. Et à travers les livres L.A. Confidential de David Walsh et Pierre Ballester ou encore La Course secrète de Tyler Hamilton, on découvre le « Système Armstrong », cette mafia organisée autour de la victoire. La victoire à tout prix. Les menaces à ceux qui se plaignent ou veulent parler (Bassons, Simeoni, Betsy Andreu, etc...), le déni systématique de l’intéressé face aux médias (« pas positif donc pas dopé ») mais en réalité des moyens colossaux et des complicités à tous les étages. L’Américain aurait souscrit à toutes les méthodes, à tous les produits : corticoides, EPO... les microdoses pour ne pas être positif au contrôle... pire, les transfusions sanguines ! En 1999 lorsqu’il est positif aux corticoides, Armstrong répond à mon père que c’était une « skin cream » (une pommade pour son irritation sous les fesses). Face à ce crime de lèse-majesté que Gérard a commis, Armstrong répond par un boycott de son émission pendant quatre ans. Avec le nouveau thème du dopage mécanique, il serait même question qu’il ait déjà triché dès 1999, ce qui expliquerait sa cadence de pédalage folle en montagne... Telle est la face sombre du champion... Et dans la liste, Il y a Carl Lewis, qui n’est pas non plus le champion irréprochable qu’il affirmait être durant les années 80. On l’évoque dans notre livre, Les 100 Histoires de Légende des Jeux olympiques. Carl Lewis s’est dopé, lui aussi exerçait une certaine influence sur son sport. Le pouvoir et son exercice donnent des moyens et certaines libertés que l’on protège par tous les moyens.

Pourtant ces deux types font partie de mon Top 5 car ce sont des personnages hors normes, ils ont fait l’histoire de leur sport, l’histoire du sport en général. Êtres de conquêtes, assoiffés de victoires. Des exigeants, des champions du moindre détail qui ne laissaient rien au hasard. Ils programmaient leur victoire. Cela retirait le charme de l’imprévu mais cela dopait le spectacle de la performance. « Mais comment fait-il ? », « Comment est-ce possible ? ». Aujourd’hui on se pose la même question à propos d’Usain Bolt. Ce concours 1991 du saut en longueur pour Lewis face à Powell. Ce contre-la-montre de 2005 entre Fromentine et Noirmoutier-en-l’Île où Armstrong, parti une minute après Ullrich, revient comme un boulet de canon sur l’Allemand et le dépose en moins de 19km ! Grande image de télévision, sacré souvenir de passionné. Tout comme l’Alpe d’Huez 2001 dans une étape où il avait d’abord bluffé sur une possible méforme, ce qui tactiquement était intelligent (cela incitait l’équipe d’Ullrich et les autres concurrents à rouler à la place des US Postal), avant au pied de l’Alpe d’Huez de toiser l’Allemand du regard, de le jauger puis de la déposer. Intelligence tactique qui frisait l’humiliation. Mais Ullrich, l’éternel second de l’Américain, n’avait et n’aurait jamais les moyens de se défendre.

Ce que je retiens de ce type, c’est sa soif insatiable de victoire. Cette hargne qui vous mène aux grandes réussites et nourrit les palmarès. Un sportif de haut niveau ne peut prétendre devenir un grand champion et marquer son temps sans avoir cette envie qui vous aide à supporter et apprivoiser la souffrance. Entre art et business, il faut ajouter à cela une maîtrise absolue et certaine intelligence tactique. Chose qu’Armstrong avait et qu’Ullrich et Virenque n’avaient pas. L’Américain décidait de tout, dirigeait, organisait comme un entrepreneur. Alors que ses principaux concurrents n’étaient que des pions, parmi les meilleurs de l’échiquier, mais jamais ils n’auraient pu prétendre à être rois !

 

PdA : Quels seront les athlètes français, connus et moins connus, à suivre de près durant cette Olympiade 2016 ?

 

J.H. : Si Diniz est dans la forme de sa vie, il peut nous ramener la breloque comme on dit ! Je trouverais cela extraordinaire. Même si la marche athlétique n’a rien de spectaculaire, Yohann est garçon plein d’envie et ultra méritant !

 

Yohann Diniz

Yohann Diniz. Src. de la photo : www.sport.fr.

 

PdA : Peut-on raisonnablement espérer une récolte de médailles meilleure peut-être que les années précédentes (qui n’étaient déjà pas si mauvaises...) ?

 

J.H. : La France peut espérer une trentaine de médailles. Ce serait bien qu’en cyclisme sur piste, en escrime, en judo et en natation les Français respectent la tradition et fassent le plein ! Yannick Agnel n’était pas à son meilleur niveau aux championnats de France, espérons qu’il ait rattrapé son retard ! Sur piste, Greg Baugé et Pervis : des valeurs sûres.

 

« Ça va être compliqué cette année

pour l’athlétisme aux JO... »

 

En athlétisme, ça va être très compliqué. Le niveau mondial est très élevé. Jimmy Vicaut peut prétendre à une finale sur le 100m mais le podium, j’en doute. Et il est bien possible que l’âge d’or de Lemaitre soit passé aussi…

 

PdA : Gérard Holtz va quitter France Télévisions après avoir animé, cet été, son dernier Tour de France... qu’est-ce que ça vous fait à titre perso ?

 

J.H. : J’ai grandi en regardant « Papa » à la télé. Il fallait se faire une raison, l’âge fait son œuvre et il faut laisser la place. Depuis quelques années, avec cette aventure des livres, j’ai le plaisir de partager un peu de son aventure avec le public français. Des lecteurs passionnés, connaisseurs et parfois novices aussi.

 

C’est sûr que ça fait un vide dans mon quotidien mais maintenant c’est mon épouse que je regarde à la télévision ! Elle présente un magazine sur France 3 le matin !

 

PdA : Partagez-vous complètement la passion de votre père pour le vélo ou bien avez-vous une préférence pour d’autres sports ?

 

J.H. : Oui je la partage mais cela m’est venu « sur le tard ». Je faisais souvent du VTT au Parc de Saint-Cloud dans mon adolescence mais rien de plus. Puis en 2003, lorsque j’ai signé mon premier CDI au marketing chez Kärcher, Gérard a fait un exploit en faisant à vélo le parcours du Tour 1903. J’étais envieux de son aventure… et je me suis mis à la petite reine un an après !

On a souvent roulé ensemble à Longchamp et sur les jolies routes des Yvelines. On a même fait des cyclosportives comme la Ronde Picarde, la Look, et aussi les 24h du Mans en relais. Nous avions même fini 24ème de la première édition ! Nous avons aussi des passions communes pour le ski et le karting.

Et j’ai développé aussi un attrait particulier pour la course à pied, sport plus accessible et qui nécessite moins de temps. Du coup je peux m’entrainer la semaine et j’ai bouclé le Marathon de Paris en 2011 ! Je viens tout juste de courir ma 3ème Transbaie, une course nature à travers la Baie de Somme et je prépare pour octobre l’Ecorun de Vaucresson, un 20km 100% nature.

 

PdA : Un mot tout de même sur l’Euro de foot qui se joue actuellement en France: que vous inspire l’équipe nationale ? est-elle cette année au niveau des meilleures du continent ? votre pronostic pour la finale ? 

 

J.H. : L’Euro est en train de me réconcilier avec le football. On retrouve enfin du spectacle, de la bonne humeur et moins de vulgarité et de violence. Même le 0-0 des Bleus contre la Suisse était un beau match ! Le nombre de tirs sur les poteaux le prouve !

 

« Je ne me retrouve pas dans ce que sont

les Bleus d’aujourd’hui »

 

Je n’ai pas d’amour particulier pour notre équipe de France comme je l’avais dans les années 90. J’aimais nos joueurs, les Papin, Canto, Ginola, Pirès, Deschamps, Sauzée... Il y avait du talent avec Zidane et des valeurs aussi. De l’éducation et des principes. Aujourd’hui je ne me retrouve plus du tout dans le collectif des Bleus, dans l’image qu’ils renvoient, dans leur état d’esprit.

 

PdA : « Votre » anthologie du foot, c’est pour l’an prochain ?

 

J.H. : Nous aurions pu la sortir cette année mais nous avons pensé que le thème des JO se prêtait plus à notre concept et notre écriture romanesque… Il faudra probablement attendre 2018 et la Coupe du Monde ! Nous aimons bien nous adosser au calendrier des grands événements pour que notre travail soit dans l’ère du temps et correspondant aux envies ou besoins de notre public. L’année prochaine ce seront les sports mécaniques. Il y a là aussi matière à raconter plein de choses !

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Julien Holtz ?

 

J.H. : Coté plume, poursuivre l’aventure avec Gründ et étoffer notre collection. Coté crayon et souris, prendre du volume dans mon métier de consultant en expérience utilisateur !

 

PdA : C’est tout le mal que je vous souhaite... ;-) Un dernier mot ?

 

J.H. : Tout simplement merci de votre curiosité ! Et à vos lecteurs : foncez en librairie, vous le verrez, vous serez surpris par nos histoires !

 

Partie II : Gérard Holtz, quelques mots...

Réponses datées du 3 juillet 2016... Merci !

 

Paroles d’Actu : Votre top 5 des grands sportifs ?

 

Gérard Holtz : J’en sélectionnerai six.

 

Killy, car notre triple champion olympique (dont nous parlons dans notre livre Les 100 Histoires de Légende du Sport français), est un champion d’une intelligence supérieure. Il a eu justement cette intelligence de savoir s’arrêter au sommet. Cette notion d’absolu dont on parlait. C’est exactement ça. Pas la compétition de trop. Et suite à sa carrière, il a poursuivi dans l’élite au sein du Comité international olympique, chez Coca-Cola et au comité d’organisation des Jeux d’Albertville notamment.

Bolt, qui a pulvérisé tous les records de vitesse sur piste et que m’a marqué par sa décontraction avant le départ de ses courses alors que d’autres ont besoin de faire le vide, de s’isoler. Barbara par exemple arrivait à midi au théâtre avant ses représentation du soir ! Lui, il ne se prend pas la tête !

Ali, champion olympique de boxe à Rome, dont nous dressons le portrait dans Les 100 Histoires de Légende des Jeux Olympiques, fait partie de mon top en vertu de son immense carrière et de sa personnalité. Au-delà de son palmarès et de son style unique, c’était un personnage public, un type qui avait du caractère et du courage. Le courage de dire haut et fort ce qu’une communauté pensait tout bas. Le courage de s’opposer, notamment, à la guerre du Viet Nam.

Muhammad Ali

Cassius Clay, futur Muhammad Ali, aux J.O. de Rome en 1960. Src. de la photo : rio2016.com.

Pelé est mon footballeur préféré, une véritable idole ! Je garde en mémoire sa Coupe du Monde 56 en Suède qu’il a survolée et son illustre « grand pont » lors d’un match au Mexique.

Coté tennis, Roger Federer, qui est pour moi le plus grand tennisman de tous les temps. Il a tout gagné et c’est un vrai gentleman.

Je ne pouvais oublier un 6ème : Eddy Merckx, le cannibale. Lui aussi dans son domaine, il a tout gagné. Il a dévoré tout le monde, la faim de victoire... Sept Milan-San Rémo, cinq Tours de France par exemple ! Et comme les autres de mon top, un gars gentil et simple.

 

« Mes pronos ? Allemagne-Portugal en finale

de l’Euro (2-1) et Froome pour le Tour » (G. Holtz)

 

PdA : Votre pronostic pour la finale de l’Euro 2016 (affiche et score) ? 

 

G.H. : Ma finale, ce sera Allemagne-Portugal. Et je pensais à l’Allemagne avant qu’elle ne gagne hier contre l’Italie !

Le score : 2-1 pour l’Allemagne.

 

PdA : Votre pronostic pour le nom du futur maillot jaune de cette édition 2016 du Tour ? 

 

G.H. : Je vois la 3ème victoire de Froome. Il est clairement au-dessus en montagne.

 

Partie III : l’album photos commenté

Julien Holtz a accepté, à ma demande, de nous livrer quelques photos... et de les « légender »...

 

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« Le Mont Blanc, en 2006. Je suis à gauche. Antoine, le cadet, est à droite. »

 

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« Entre mecs à la maison, en 2014. Je suis en bas et Antoine en haut. »

 

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« En plein effort durant la Gentleman du Cœur en 2009.

On a emmené les Sannier père et fils pendant deux tours... »

 

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« Août 2009, les 24h du Mans Vélo. J’ai dessiné la tenue ! Et on finit 24è de l'épreuve.

Je suis le troisieme en partant de la gauche. Antoine est derrière, Gérard à droite de la photo.

On court avec la famille Legeay. Roger a deux fils qui sont de gros rouleurs et se sont mis à l'ultra trail. »

 

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« Marathon de Paris, 2011. Coup de chaud à Bastille... cette édition était presque caniculaire. »

 

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« L’arrivée de la Paris-Saint-Germain-en-Laye 2012. »

 

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« 24h de karting du Circuit Carole. »

 

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« Essais en Formule France à Lohéac. »

 

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