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Paroles d'Actu
11 mai 2017

Carole Burillon : « Les cellules souches pourraient révolutionner les perspectives de l'ophtalmologie »

Une fois n’est pas coutume, je vais parler un peu de moi pour débuter cette intro. Votre serviteur, 32 balais au compteur, au dernier décompte, était myope comme une taupe depuis l’âge de 5 ou 6 ans (du style à avoir de grosses lunettes et surtout de gros verres, un joli -7 à chaque oeil). L’idée d’une opération me titillait, des proches ayant déjà franchi le pas. Et tout les retours que j’avais eus étaient concluants voire - souvent - emballés. Fin 2015 début 2016 l’idée se précise. Ok, je pense que je vais le faire. L’ophtalmo m’a fait une ordonnance et suggéré deux noms. Mais pourquoi eux plutôt que d’autres ? D’ailleurs, où aller ? Pour quel coût ? Je m’aperçois vite que je ne sais rien, rien de rien. Je regarde un peu sur le web qui est réputé dans la région - Lyon. Un nom, l’un des premiers, Carole Burillon, doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud, et surtout pour ce qui m’intéresse, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot. Je trouve son mail. Je lui explique mon projet, lui dis à quel point je suis intéressé... mais perdu. Rapidement (dans l’heure je crois, je n’en reviens pas) elle me répond, point par point, et me rassure. Il suffisait de presque rien. C’est décidé, si je le fais, ce sera avec elle. Octobre 2016, le rendez-vous pré-opératoire. On valide. La date du passage sous le billard est fixée : ce sera le 22 novembre. Ce jour-là j’ai "retrouvé la vue", sans besoin d’avoir des verres comme intermédiaires entre moi et le monde, et ça va "clairement" me changer un peu la vie...

Ravi de ce bon contact avec Mme Burillon, y compris après l’opération - elle a été dispo pour répondre à chacune de mes questions et éventuelles inquiétudes - j’ai souhaité lui proposer une interview, qui aurait trois objectifs : 1/ permettre à une grande pro dans son domaine de parler un peu d’elle et de son métier ; 2/ l’inviter à évoquer sous divers angles un sujet de santé - les yeux - qui nous touche tous ; 3/ lui poser surtout, cash, les questions que moi je me suis posées au départ, espérant que peut-être ça puisse aider ceux qui, comme moi il y a un an, s’interrogeraient. Je suis ravi que cet échange ait pu se faire. On y apprend beaucoup de choses - que, par exemple, les écrans, ça "fatigue" les yeux mais que ça ne les "abîme" pas. Ces réponses viennent s’ajouter aux autres, précieuses, qu’elles m’a apportées hors article (par exemple, que je garde les traits physiques du myope, que l’opération c’est un peu "avoir triché", et que, N.B. pour moi un fond de l’oeil tous les deux ans s’impose comme pour tout myope "classique"). Cet article, c’est aussi une façon de mettre mon humble projecteur sur cette profession, sur une équipe qui m’a fait une impression aussi chaleureuse que pro. Merci à vous Mme Burillon, et à vous tous ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Carole Burillon: « Les cellules souches

pourraient révolutionner

les perspectives

de l'ophtalmologie »

Carole Burillon est doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud,

et chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot (Rhône).

Carole Burillon

Q. : 26/02/17 ; R. : 19/04/17.

 

Paroles d’Actu : Carole Burillon, bonjour, merci de m’accorder cet entretien. Vous êtes doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot, et je précise pour les lecteurs que vous m’avez opéré (chirurgie réfractive) et avez corrigé avec succès ma forte myopie en novembre dernier. Voulez-vous nous parler un peu de vous, de votre parcours ? Quand et pourquoi avez-vous décidé de vous spécialiser dans les maladies des yeux ?

Parcours personnel.

 

Carole Burillon : J’ai décidé de faire médecine à l’âge de 11 ans, après un passage à l’hopital Édouard Herriot pour une fracture de l’avant-bras. Aucun médecin dans ma famille. Le père de ma meilleure amie etait un ophtalmologiste de renom et nous faisions des exposés sur l’oeil en SVT, aidées par lui.

 

Une fois interne, j’ai choisi comme spécialité l’ophtalmologie, car c’est beaucoup plus complet qu’on ne l’imagine : il y a de la chirurgie, certes, mais également beaucoup d’affections médicales oculaires, avec des pathologies générales qui ont un retentissement sur l’oeil (endocrinologie, neurologie, médecine interne…). On apprend beaucoup, et c’est cela qui est passionnant. Puis mes patrons ont souhaité que je reste à l’hôpital et j’ai passé les différentes épreuves pour devenir professeur d’université-praticien hospitalier.

 

PdA : Quelques mots d’historique rapide de la chirurgie réfractive, terme barbare qui regroupe en fait les interventions visant à corriger les troubles de la vision (dans le langage courant on parle souvent, un peu abusivement du "laser") ? En quoi ces techniques ont-elles évolué et se sont-elles perfectionnées au fil des années ?

Historique de la chirurgie réfractive.

 

C.B. : Les premiers débuts de la chirurgie de la réfraction (c’est-à-dire : "correction nécessaire pour voir parfaitement") datent de 1980. Le russe Fyodorov inventa la kératotomie (kerato=cornée / tomie=couper) radiaire pour aplatir le centre de la cornée et corriger la myopie. Cela se faisait avec un couteau diamant et on réalisait des incisions radiaires sur la cornée en laissant intacte une zone de 3 à 4 mm au centre. J’ai été une des premières en France à démarrer cette technique avec quelques Parisiens qui sont devenus des amis.

En 1986, je pars à New York et à La Nouvelle-Orléans (USA) pour voir les résultats de cette technique sur de grandes séries, puis à Bochum (Allemagne) pour apprendre le kératomileusis (kerato=cornée / mileusis=taille), ancêtre du LASIK (ce système est tout-manuel, et dune précision limitée).

En 1993, j’ai le premier laser Excimer de toute la région Rhône-Alpes-Auvergne, en prêt à l’hôpital. Ce laser permet d’enlever du tissu cornéen par photoablation, et de corriger les myopies, au début, puis les petits astigmatismes et hypermétropies.

En 1997, naît le LASIK (LASer Intrastromal Keratomileusis) : cela consiste en la réalisation d’un capot cornéen (avec un microkératome manuel), suivie d’un traitement au laser Excimer en dessous. Cette technique permet de corriger des défauts plus importants ; surtout, elle est sans douleur. L’arrivée du laser femtoseconde en 2005 pour faire le capot cornéen permettra une plus grande sécurité et une précision presque parfaite. C’est le LASIK tout laser, tel que vous l’avez eu.

 

PdA : Qui peut bénéficier d’une telle intervention (âge minimum et âge limite, contre-indications...) ?

Quels patients ?

 

C.B. : Il faut avoir un défaut optique stable : donc pas avant la fin de la croissance. Il faut avoir au minimum 18 ans, et il n’y a pas d’âge maximum. Il faut un oeil sain, sans autre pathologie que le trouble réfractif, afin de ne rien compromettre pour le futur du jeune patient. Il ne faut pas être immunodéprimé ou infecté au moment de la chirurgie, ce afin éviter des complications.

 

PdA : Toutes les pathologies liées à la vision sont-elles concernées, potentiellement ?

Quelles pathologies ?

 

C.B. : Tout s’opère, mais il y a des limites en rapport avec l’epaisseur de la cornée que l’on taille pour corriger le défaut. Il faut bien en laisser car c’est le mur antérieur de l’oeil ! En général on ne peut pas corriger des myopies supérieures à 10 dioptries, des astigmatismes et myopies supérieures à 6 dioptries. La presbytie n’est encore pas très bien corrigée mais on peut obtenir des compromis intéressants avec certains patients.

 

PdA : Cette question, je me la suis beaucoup posée moi-même, au moment de prendre la décision de l’opération, donc j’espère qu’elle sera utile à d’autres : une fois qu’on a choisi d’au moins prendre un rendez-vous pour tester la faisabilité d’une telle intervention sur soi, comment bien choisir l’établissement, le médecin auxquels s’adresser ? Public/privé ? Quels sont, là-dessus, les bons réflexes à avoir ?

À qui s’adresser ?

 

C.B. : Cette chirurgie est principalement une chirurgie faite en privé, en secteur libéral. Certains hôpitaux ont proposé un tarif public, un peu inférieur au tarif privé, afin d’attirer de la clientèle et d’amortir les lasers qui sont chers. Cela n’a pas d’importance, il faut surtout choisir le bon chirurgien. Quelqu’un qui connait la cornée, qui est chirurgien, et qui vous explique correctement ce qu’il va se passer. Qui prend le temps de répondre à vos questions. Qui ose vous parler des complications. Qui sait les gérer. Celui-ci connaît son métier. Évidemment, le bouche-à-oreille est important aussi. En dernier, il faut se sentir en confiance. Si l’on doute, il faut fuir !

 

PdA : Une réflexion que beaucoup de gens se font par rapport à la chirurgie réfractive : c’est très coûteux, pas remboursé par la Sécurité sociale, et très peu par les forfaits classiques des mutuelles. Mais je pense qu’il est intéressant d’aller au-delà du constat, et donc de comprendre : pourquoi est-ce si coûteux ? Est-ce que le tarif est fonction du type de structure (hôpital public/structure privée) ? Du nombre d’opérations réalisées ? De la technique employée ? De l’importance de la correction à effectuer ?

La question du coût et du prix.

 

C.B. : C’est coûteux parce que chaque laser coute 500 000€, et qu’il faut up-grader sa machine tous les ans, tellement les evolutions technologiques sont importantes - et le contrat d’entretien est cher. Donc, il faut amortir ces coûts et gagner un peu d’argent évidemment. C’est coûteux aussi parce que sil y a un problème, cela se termine par un procès de nos jours ; la responsabilité du praticien est importante, opérer un oeil sain n’est pas simple, et la pression sur le chirurgien est très forte. Il n’y a pas beaucoup d’écart financier entre les prestations de types public/privé à l’hopital et privé en clinique : cela s’échelonne entre 1 200 et 1 600€ par oeil en moyenne dans notre région.

Je ne supporte pas que les structures privées fassent du low-cost de temps en temps pour attirer les patients : c’est une chirurgie, c’est de la médecine, ce n’est pas une voiture que l’on vend ! ou des habits en solde ! Nous ne sommes pas commerçants.

Les mutuelles ont la charge la plus importante des lunettes et des lentilles : elles devraient prendre en charge correctement cette chirurgie. Malheureusement, cela ne sera pas le cas si nous poursuivons la politique qui a eu cours lors des cinq dernières années. Les mutuelles sont riches, elles ont beaucoup de pouvoirs...

 

PdA : Justement... question liée, je vous la pose en tant que praticienne et en tant que citoyenne : est-ce que vous ne pensez pas qu’on aurait intérêt à prendre en charge en tant que collectivité une partie des dépenses liées à la chirurgie réfractive ? Après tout, quelqu’un qui se fait opérer n’a plus besoin de lunettes au moins pour un temps ; cela décharge d’autant les caisses Maladie de dépenses d’optique. Est-ce qu’en tout cas ce débat existe auprès de ceux qui déterminent ce qui devrait ou ne devrait pas être remboursé par la Sécurité sociale à l’avenir ?

Quels remboursements ?

 

C.B. : Je le redis : la charge financière des lunettes repose sur les mutuelles (la Sécurité sociale ne rembourse que 50€). Donc cela ne repose pas sur l’argent public, il n’y a donc aucune raison pour que cela change. Bien sûr que cela serait bien d’être mieux remboursé par les mutuelles. Mais c’est une chirurgie qui n’est pas obligatoire, qui touche des yeux parfaitement sains. Chacun doit décider tout seul, quand il le souhaite, de se faire opérer. Cette dépense empêche la vulgarisation de cette chirurgie qui, si le patient ne payait plus rien, entraînerait des abus et donc des complications graves. 

 

PdA : On est tous accro, pour le travail ou pour nos loisirs, à des activités sur écran (téléphone, ordinateur), souvent prolongées dans le temps et répétées à l’infini. Est-ce que tout cela fatigue les yeux, voire favorise des problèmes durables de vision, de manière avérée ? Est-ce que, par exemple, on constate de manière anormalement importante des phénomènes de dégradation de l’acuité visuelle de jeunes patients corrélée à un usage abusif d’écrans ? Et y a-t-il, en la matière, de bons conseils de réflexes sains à adopter pour préserver ses yeux de ce mal du siècle ?

Nos yeux face aux écrans.

 

C.B. : Les écrans fatiguent les yeux, comme un footing fait mal aux muscles des jambes…, etc. Oui, le maintien des yeux fixés sur l’ordinateur et immobiles, aggrave la sécheresse oculaire : il ne faut pas hésiter à se lubrifier les yeux au cours de la journée avec des unidoses de collyres hydratants. La position de l’ordinateur est importante, on doit baisser les yeux pour lire sur l’écran et ne pas les lever (écran placé assez bas). Par contre, ce travail intensif avec les yeux nous fait découvrir des petits défauts réfractifs que l’on n’aurait pas corrigés autrefois, ou des insuffisances de convergence qu’il faut rééduquer. Mais pas d’"usure" au vrai sens du mot !

 

PdA : Quelles sont, s’agissant de l’ophtalmologie au sens large, les perspectives d’amélioration des techniques et soins les plus innovantes parmi celles qu’on peut anticiper ? Je pense notamment au traitement des maladies qui peuvent entraîne la cécité : est-il imaginable qu’à terme on réussisse à enrayer et à corriger ces processus, voire guérir la cécité elle-même ?

Recherche : quelles perspectives ?

 

C.B. : La chirurgie de la cataracte, déjà très simplifiée, va bientôt être entièrement réalisée au laser également, avec plus de securité et de précision. C’est encore cher, donc la diffusion sera lente. Mais les plus grosses revolutions seront l’apport des cellules souches qui vont remplacer les cellules malades et effectivement éviter la cécité dans certaines affections héréditaires ou acquises. Je souhaite que nous puissions avancer sur ce domaine le plus rapidement possible. J’ai déja travaillé sur les cellules souches épithéliales en 2010, mais je suis bloquée par les autorités de sécurité sanitaire qui sont très frileuses quant à ce type de recherche.

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ?

Des projets.

 

C.B. : Mes projets à l’hôpital sont de former mon successeur, en étant fière de lui (ou d’elle). Je suis en cours. Que mon service soit reconnu par mes pairs, mais cela, c’est plus difficile, en raison des jalousies humaines...

Mes projets à la faculté de médecine sont d’aider au mieux à faire grandir mes étudiants afin qu’ils deviennent de bons médecins, ayant confiance en eux, aimant ce qu’ils font et aimant leurs patients. Tout cela est indispensable pour bien faire ce métier, sans compter ses heures.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

Des souhaits.

 

C.B. : Me souhaiter que je garde la bonne santé qui me suit depuis toujours, et qui me permet d’avancer. Me souhaiter de toujours croire en ce que je fais et de le faire bien.

 

PdA : Un dernier mot ?

Le mot de la fin.

 

C.B. : Si c’était à refaire, je recommencerais médecine, et peut-être que j’essaierais une autre spécialité car tout est tellement enrichissant... J’aimerais tellement avoir plus d’heures dans une journée, je n’arrive pas a faire tout ce que je veux…

Merci de me donner l’occasion de partager toutes ces réflexions avec vous !

 

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4 mai 2017

« Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », par Fatiha Boudjahlat

Fatiha Boudjahlat, enseignante, militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC) et auteure de Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement, essai à paraître aux éditions le Cerf, s’est imposée en quelques mois parmi les contributeurs les plus fidèles de Paroles d’Actu. Trois tribunes lui ont été accordées jusquà présent avec en toile de fond lélection présidentielle : « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités » (janvier), « Le retour de la IIIe République » (mi-avril) et « Macron, le rêve américain et la simulation du partage » (écrite juste après le premier tour). Comme pour les trois mousquetaires, voici un quatrième texte, le dernier avant l’ultime round de l’élection - il date de quelques heures après le grand  pugi... débat à deux. Sur un des thèmes qui lui sont chers, très chers : la laïcité, valeur cardinale. Merci Fatiha ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Débat

Illustration : Europe 1

 

« Macron ou Le Pen,

la laïcité est perdante. »

par Fatiha Boudjahlat, le 4 mai 2017

On se souvient de la punchline que Clinton infligea à George Bush Père lors de sa première candidature : « It’s the economy stupid ». Cette campagne présidentielle montre au contraire que tout ne se réduit pas à l’économie. La laïcité, le rapport à la Nation, au communautarisme, la lutte contre l’islamisme, s’avèrent déterminants pour le vote du dimanche 7 Mai. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, tous deux fans de Jeanne d’Arc, n’ont ni l’un ni l’autre un rapport sain à la laïcité.

« Sur la laïcité, le FN n’a entamé

son virage républicain qu’en apparence...

et dans une visée électoraliste »

Le FN a réalisé un rapt de la laïcité, qui n’est pas dû à la fille, mais au père. Lors d’un discours prononcé au Bourget en novembre 2006, Jean-Marie Le Pen déclarait : « Ils ont cassé l’égalité républicaine. Ils ont cassé l’égalité par l’abandon de la laïcité, seul principe capable de maintenir le "vivre ensemble", malgré nos diversités ancestrales ou récentes, par la frontière bien marquée entre la sphère publique et la sphère privée... Laïcité abandonnée par clientélisme communautaire, cette sordide soumission aux lobbies et autres minorités qui a récemment donné une loi liberticide de plus. Laïcité abandonnée par la mise en avant permanente et arrogante d’origines ethniques souvent mythifiées, au détriment des valeurs communes. Ces valeurs communes unificatrices qui faisaient de la France un pays de diversité et de fraternité où le Breton, comme l’Auvergnat, l’Antillais comme le Savoyard étaient à la fois fiers de leur région ou contrée d’origine. »* Le parti du culte à Jeanne d’Arc en tant que combattante de la foi et de la royauté française, défend à présent ce qu’il méprisait naguère : il a entamé son virage ‘républicain’, en apparence et dans une visée électoraliste. C’est un détournement massif. Le FN est dans une laïcité à géométrie variable, douce avec les chrétiens, dure avec les autres religions du Livre et en particulier, l’islam.

* Vie publique, les discours dans l’actualité.

« L’extrême-droite n’est pas laïque,

elle est anti-islam et lie cette religion

à une ethnie envahissante »

Dans une interview donnée au magazine hebdomadaire Famille Chrétienne*, Marine Le Pen offre un exemple de cette laïcité à géométrie variable : « Je souhaite une laïcité renforcée, parce que je suis une pragmatique : aujourd’hui, la France est confrontée à la montée du fondamentalisme islamiste. Celui-ci se sert de l’argument de la liberté pour en réalité diffuser son idéologie. (...) Pour bloquer ce fondamentalisme islamiste, cela nécessite quelques sacrifices pour les autres religions, notamment pour nos compatriotes de confession juive, en renonçant au port de la kippa dans l’espace public. » Marine Le Pen et l’extrême-droite ne trouvent rien à redire aux revendications des catholiques intégristes. Ses préconisations sont en infraction avec les lois et les jurisprudences européennes et internationales qui posent comme principe la liberté de manifester ses croyances religieuses. On peut être contre le voilement mais aussi, pour prendre la formule Macronienne, « en même temps » être contre son interdiction totale par la loi, qui ne pourra de toute façon jamais être obtenue. Ce ‘renforcement’ concernerait aussi la communauté juive appelée à faire des efforts… de discrétion. À la question, dont la formulation est contestable, du journaliste « Le christianisme et l’islam doivent-ils être traités de manière identique au nom de la laïcité ? Pourquoi faire payer au christianisme les difficultés posées par l’islam ? », Marine Le Pen répond : « Pourquoi se créer des inquiétudes, alors que l’intégralité de l’inquiétude devrait être concentrée sur la montée en puissance du fondamentalisme islamiste, dont, il faut bien le dire, les chrétiens et les juifs peuvent être en particulier des victimes directes. » L’extrême-droite n’est pas laïque, elle est anti-islam et lie cette religion à une ethnie envahissante. La sémantique du FN a changé au sein du Rassemblement Bleu Marine, auteur d’un rapt des mots et des symboles de la République, alors même que la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen s’est dite appartenir à une génération « un peu saoulée par les valeurs de la République » et pour qui « la République ne prime pas sur la France »**. Cette conception de la laïcité portée par le FN n’a rien de républicain. La brutalité des promesses de Marine Le Pen ont peu à voir avec l’autorité dont ses électeurs l’investissent. Son interview valide les thèses indigénistes, qui seraient les grands gagnants de l’élection de Le Pen. Dans l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne***, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que « la laïcité est pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités ». La laïcité est fustigée comme « conquérante », « extensive », c’est « une laïcité de conquête coloniale », et on repense au vocabulaire de safari employé par Macron : « chasse » et « traque »… La « neutralité laïque servant de paravent aux discriminations »****.

* Certains catholiques aiment se faire peur, article mis en ligne le 8 mars 2017.

** Article éponyme du Point, mis en ligne le 27 avril 2016.

*** Éditions de l’Aube, janvier 2016.

**** Pour une critique complète du livre : http://la-sociale.viabloga.com/news/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-cette-nouvelle-sociologie-contre-la-science-et-contre-l-intelligence

« Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique,

presque jurisprudentiel, permettant toutes

les revendications communautaristes »

Emmanuel Macron n’est pas plus exemplaire. On se rappelle  son interview par Jean-François Kahn sur la laïcité* qui avait suscité un émoi légitime. Ce n’est pas une maladresse, mais l’expression tranquille de sa pensée empreinte de libéralisme politique. Rappelons cette série d’actes : l’hommage qu’il a rendu à Jeanne d’Arc, son pèlerinage au Puy du Fou aux côtés du désormais frontiste de Villiers, ses rencontres avec des représentants religieux. Il déclarait : « Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ». La laïcité deviendrait dangereuse parce qu’elle serait ‘revancharde’ à l’encontre de l’islam et des Arabes. Avec une alternative qu’il ose poser sans nuance et sans honnêteté : dans les écoles de notre pays, il y aurait soit des menus confessionnels, soit le porc serait obligatoire. Le site de son mouvement « En Marche », à la rubrique laïcité, il y a quelques mois, affichait le même vocabulaire agressif, parlant de « chasse au foulard dans les universités », de « traque dans les sorties scolaires » de « celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ». Interrogé sur l’islam en France par Jean-François Kahn, Emmanuel Macron répond : « Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! On demande à des gens de faire ce qu’ils veulent avec la religion pour eux-mêmes et d’être dans un rapport de respect absolu avec les règles de la République. (…) Dans le champ public, je ne leur demande qu’une seule chose : qu’ils respectent absolument les règles. Le rapport religieux renvoie à la transcendance et, dans ce rapport-là, je ne demande pas aux gens d’être modérés, ce n’est pas mon affaire. Dans sa conscience profonde, je pense qu’un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République  ». Avec comme final cette envolée lyrique : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion ». S’il devient légitime que les pratiquants considèrent que les « lois de la religion dépassent les lois de la République », c’est que la loi qui devrait s’appliquer à tous peut être subordonnée aux préceptes religieux d’une communauté et de ses leaders. Même si E. Macron précise qu’il s’agit des convictions personnelles des croyants, ceux-ci ne manqueront pas de vouloir mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions profondes, et un candidat à l’élection présidentielle leur en aura donné quitus en validant la primauté des normes religieuses particulières, donc communautaristes, sur le Droit qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes**, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. Les extrémistes, dont nous avalisons la stratégie en adoptant leurs éléments de langage, pourront maintenant dire qu’ils ne font que vivre « dans l’intensité » de leur foi. Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique, presque jurisprudentiel, permettant toutes les revendications communautaristes. Il a même pris le contre-pied de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne*** qui a expliqué dans un renvoi préjudiciel qu’une entreprise était tout à fait dans son droit en interdisant dans son règlement intérieur le port du foulard dans certains cas, comme celui de la mise en contact avec les clients. Ce fut une grande victoire pour celles et ceux attachés à la laïcité et opposés à la banalisation du voilement comme pratique ordinaire de l’islam. Emmanuel Macron lui, a préféré évoquer ces femmes en foulard empêchées de travailler. Quant à l’UOIF, qu’il a encore prétendu ne pas connaître lors du débat face à Marine Le Pen, lui qui connaît tant de choses, on ne peut s’étonner de son refus de rejeter le soutien que cette organisation islamiste lui apporte, elle ne fait en effet que « vivre dans l’intensité de sa foi ». Cette formule se referme comme un piège et banalise toutes les radicalités.

* Mis en ligne le 1er octobre 2016.

** Ancienne émission dominicale de Canal +, en date du 24 Janvier 2016.

*** http://curia.europa.eu/…/applica…/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf

« Aucun des deux candidats ne défend

une vision de la laïcité conforme à celle des

républicains dignes de ce nom »

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont une vision de la laïcité opposée en apparence. Mais à la vision multiculturaliste et communautariste de Macron répond la vision identitaire de Marine Le Pen : c’est toujours une conception de la Nation atomisée en segments ethniques, loin de celle à laquelle sont attachés les républicains : un corps politique indivisible. Quel que soit le vainqueur, la laïcité sans adjectif est perdante, ceux qui y sont attachés n’avaient d’ailleurs  guère de représentant durant cette campagne. C’est une drôle de défaite...

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

Elle est auteure de l’essai à paraître (aux éd. du Cerf) :

"Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement".

 

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4 mai 2017

« La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », par Jérôme Maucourant

Alors qu’au lendemain du débat qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle tout désormais nous donne à croire qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République, je vous invite vivement à découvrir la contribution qui suit. Son auteur est Jérôme Maucourant, il est chercheur en sciences économiques et enseignant. Ce texte, né dune invitation que je lui ai soumise il y a une dizaine de jours, est exigeant mais riche et enrichissant. Ce regard porté sur le scrutin, sur les forces en présence, visibles et sous-jacentes, le tout utilement mis en perspective, est âpre et sans concession. À la fin, le message est clair, mais avec une infinité de nuance, parce que rien nest simple ou évident nen déplaise à ceux qui ont la leçon de morale - républicaine, forcément - facile : oui, il faut voter pour « Nicole Thibodeaux ». Mais pas un chèque en blanc. « Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. (...) Demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant [cette froide abstraction quon a tous pris lhabitude dappeler] "le système" ». Merci à vous, Jérôme Maucourant, et merci à la fidèle Fatiha Boudjahlat pour sa précieuse intermédiation. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

The Simulacra

Illustration : http://www.flickriver.com

 

« La science-fiction, viatique

pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 3 mai 2017

Une prophétie américaine

Philip K. Dick fut rendu célèbre, juste avant sa mort, grâce à une remarquable adaptation cinématographique de l’un de ses romans : Blade Runner. Il est également l’auteur de Simulacres (The Simulacra, 1964), autre œuvre de science-fiction d’une redoutable pertinence pour penser notre monde contemporain. Pas simplement parce qu’on y voit le dernier psychanalyste en exercice : notre monde n’est-il pas celui où la quête de soi a cédé le pas à la recherche de simples techniques efficaces d’influence sur soi comme sur autrui ? Dans ce monde sans âme existe un Président : un androïde, en réalité. La first Lady, Nicole Thibodeaux, exerce la réalité du pouvoir et ne connaît pas l’usure du temps car elle est remplacée par des actrices lorsque le vieillissement fait son œuvre. Plus encore, les partis républicain et démocrate ne font plus qu’un, et la puissance des firmes est telle qu’elles en viennent à contrôler la politique et à s’immiscer de façon suffocante dans l’intériorité de chacun. Et l’odeur du nazisme imprègne ce monde de bien des façons…

« Philip K. Dick avait en son temps parfaitement

saisi le système de simulacres propre au capitalisme

post-totalitaire de la consommation de masse »

Plus de cinquante années après son achèvement, ce texte touffu - mais fort riche - se révèle une anticipation de notre brûlante actualité : Dick avait parfaitement saisi le système de simulacres, économiques comme politiques, propre au capitalisme post-totalitaire de la consommation de masse. Les vies politiques, en France ou aux États-Unis, s’inscrivent dans un paradigme dont nous voyons, jour après jour, l’actualisation de toutes les virtualités. La vérité était chose rare dans l’univers de Simulacres : Trump n’a fait que célébrer, de la façon la plus grotesque qui soit, cette vérité de l’absence de vérité et cette autre vérité que tout est permis. Comme Monsieur Jourdain, Trump fait donc du Nietzsche sans le savoir**. Il nous dévoile un monde de faux semblants, et c’est bien pour cela qu’il attise le ressentiment d’un certaine bourgeoisie intellectuelle-libérale, tellement à l’aise dans ce monde, avide du monopole de la critique et, bien sûr, libérée de tout souci de la vérité depuis bien longtemps***

* Je remercie Nicolas Roche de m’avoir donné l’idée de ce texte qui justifie le bien-fondé de cette pétition « Pas de chèque en blanc pour Emmanuel Macron ».

** « Non, ceux-ci sont loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent ,je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret : "Rien n’est vrai, tout est permis"... ». Voir Frédéric Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1887.

*** Son slogan pourrait être celui-ci  : tout n’est que relatif. Sauf cet énoncé…

Hermann Goering voyage dans le temps

L’affaire Mehdi Meklat – du nom de celui qui a envoyé des dizaines de milliers de tweets antisémites et homophobes – illustre parfaitement cette tendance d’une certaine bourgeoise à admirer le lumpenprolétariat. Celui-ci ose, en effet, ouvertement, s’asseoir sur toute forme de règles morales. Tout ce que le Haut-Paris compte de ces très intellectuels jouisseurs transgressifs connaissait parfaitement l’identité de l’auteur à la une de ses magazines ; et d’ailleurs, même après que cela fut connu, France-Culture se bornait à dire que tout cela était fort « complexe »*... Comment cette fraction de l’intelligentsia peut-elle décemment en appeler à la lutte contre le fascisme par un vote Macron le 7 mai 2017, alors qu’elle ne cesse de chérir ce qu’elle désigne par « fascisme » par ailleurs ? D’ailleurs, ces intérêts établis de la sphère culturelle ont assurément oublié que c’est probablement la complexité de Jean-Marie Le Pen qui permet de comprendre son négationnisme ! Mais, deux poids, deux mesures : le père Le Pen n’est pas un « indigène de la République » … Que le lecteur n’oublie pas aussi que, dans un admirable rituel d’inversion, c’est une supposée « fachosphère » qui serait coupable d’une cabale visant Meklat, jeune prodige supposé et déjà publié par le Seuil… Qui ne voit que ce reniement de la morale la plus élémentaire, cette négation de la common decency chère à Orwell, peut nourrir un désir réactif d’ordre qui conduit à bien des dérives ?

« Macron personnifie une politique

post-moderne qui fait bon marché

systématiquement de la vérité » 

Or, notre très probable président, Emmanuel Macron, incarne-t-il une parole de vérité et de courage qui irait à l’encontre de ces tendances néfastes de notre temps ? Il semble que non et qu’il personnifie au contraire une politique post-moderne qui fait bon marché systématiquement de la vérité. Il ne s’agit plus d’user de la ruse, chose naturelle en politique, mais de dire tout et son contraire. Comme vouloir combattre le multiculturalisme et nier simultanément l’existence d’une culture française. Anti- et pro-communautaristes peuvent ainsi se réjouir. Plus encore, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Macron se découvre, en premier lieu, curieusement, « patriote », thème jamais abordé jusque là. Comme ce mot est un fétiche de Marine le Pen, il se l’approprie sans vergogne pour mieux la qualifier de « nationaliste ». Mais, comment être patriote et nier la culture d’un peuple ? Expliquez cela aux Algériens et Irlandais : ils ne comprendront pas. Personne, à dire vrai, ayant quelque bonne foi en cette affaire ne peut comprendre les mots vides de Macron.

* Xavier de La Porte, « Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes », La Vie numérique, le 21.02.2017 : « Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ». URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/mehdi-meklat-internet-est-un-lieu-encore-plus-complique-pour-les-gens

Ne pas nommer l’ennemi ou la politique de la crainte

Il se découvre aussi, immédiatement après sa révélation patriotique, un grand penchant anti-terroriste. Fort bien. Mais c’est en 2012, avant que tant de grands crimes ne suivent, que Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs parce juifs, premier crime de ce genre depuis 1945. Comment peut-on découvrir, ainsi, en une soirée électorale, un tel problème ? N’a-t-il pas déclaré ainsi : « Je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit »* ? Pour un ancien ministre, candidat depuis quelque temps déjà, la découverte de cette réalité sociale et de l’échec de la politique conduite par le gouvernement auquel il a appartenu est, pour le moins, inquiétante.

Il est encore plus inquiétant de refuser de désigner l’ennemi, ses dispositifs mentaux et matériels, autant de devoirs essentiels du vrai politique. Or, épousant la lâcheté d’un certain libéralisme multiculturel, Macron refuse toute critique sérieuse de l’islamisme (ou islam politique) par peur de critiquer l’islam lui-même ; cette équivalence entre islam et islamisme est d’ailleurs l’inadmissible dogme fondateur de l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. Ne pas combattre ouvertement l’islamisme est une grave faute morale et politique, car l’existence même d’une telle matrice idéologique permet que s’installe chez certains esprits l’idée que le passage à l’acte terroriste est légitime. Alors que l’État social est une réalité en  France, que tant de migrants veulent la rejoindre, que nous sommes loin de la situation de l’Irak détruit par les Anglo-Britanniques ou d’Alep anéantie par les Russes, c’est la « société française » que Macron fustige ! L’Express a ainsi rapporté, rappelons-nous**, que, selon le possible président, « la société française doit assumer une "part de responsabilité" dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer. Il a notamment évoqué une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale ». Les morts du Bataclan auraient-ils donc quelque part de responsabilité dans cet assassinat de masse qui les a frappés ?

« Qui ne voit les gages de politiquement correct

adressés par Macron aux ténors d’une bourgeoisie

communautaire émergente ? »

Qui ne voit les gages de politiquement correct adressés ici par Macron aux ténors d’une bourgeoisie communautaire émergente***, jalouse de son capital victimaire ? C’est pourquoi il est une d’indulgence étonnante comme en témoigne son attitude**** face aux comportements communautaristes présents dans son mouvement*****. Faut-il rappeler qu’il n’y a pas d’islamisme modéré ? La logique intellectuelle du CCIF – « frériste » - s’inspire de penseurs comme Sayyed Qotb dont on peut dire le dogme en quelques mots avec un célèbre penseur marxiste arabe : « L’islam, selon Qotb, et avec lui tous les fondamentalistes serait différent et spécifique parce qu’il ne sépare pas le domaine religieux (la croyance) de celui du social (l’organisation du pouvoir de la  famille, de la vie économique »******. Il n’existe pas quelque chose comme un totalitarisme « modéré » avec des expressions parfois « radicales ». Le totalitarisme religieux (islamisme à la Hassan al-Banna, Sayyed Qotb et Tariq Ramadan) ou racial (nazisme) est un totalitarisme. On ne peut transiger avec lui : on doit le combattre.

Sans doute, moins que les questions politiques, la question économique ne se prête pas à autant de manœuvres visant à divertir l’attention de l’électeur. Longtemps, on a reproché à Macron de ne pas avoir un programme : c’était là une injustice affreuse. Car, notre probable président a toujours fait de la soumission aux normes de l’Union européenne l’essentiel de ses préoccupations. Bien sûr, le mot de soumission - comme acceptation de l’hégémonie du capital allemand et imitation d’un modèle de domination pour les autres classes dominantes de l’Europe - n’est pas mis en avant. Il s’agit plutôt, comme on le fait depuis trente ans,  d’affirmer qu’il faut adapter les Français frileux et arriérés aux « grands vents » de la mondialisation et de « construire l’Europe » etc. Comme si les inégalités n’avaient pas explosé, comme si Trump et Poutine n’étaient pas aux commandes …

* Sur RTL, rapporté par France Télévisions, le 21/04/2017.

** Le 23 novembre 2015, selon L’Express, publié le 23/11/2015.

*** Dont une expression associative est le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF).

**** A propos de la récente affaire Saou : « C’est un type bien. C’est un type très bien, Mohamed. Et c’est pour ça que je ne l’ai pas viré », dit-il selon l’échange diffusé sur le Facebook Live de la station de radio. Tout juste le candidat admet-il « un ou deux trucs un peu plus radicaux. C’est ça qui est compliqué. » Voir LeFigaro.fr, « Macron qualifie de "type bien" son ex-référent accusé d’accointances avec le CCIF », le 15/04/2017.

***** Ces dires rapportés par le Figaro sont fiables : il n’y a pas d’exagération relativement à la vidéo disponible. Quoi qu’on pense du Figaro par ailleurs... L’extrême-droite islamiste, incarnée par le CCIF et ses satellites, bénéficie encore ici de la « complexité » de la situation. Complexité alléguée dont ne bénéficie pas l’extrême droite traditionnelle ni ceux qui se refusent à signer un chèque en blanc à Macron  pour le second tour ne la présidentielle : ceux-là sont considérés comme moralement condamnables, comme Jean-Luc Mélenchon, et non pas comme politiquement discutables. Cette moralisation du débat public et ce « deux poids, deux mesures » systématique a quelque chose de proprement intolérable.

****** Samir Amin, La déconnexion – comment sortir du système mondial, Paris, La découverte, 1986.

L’arrivée de Thorstein Veblen

« La fonction de protection, propre

millénaire du pouvoir, doit-elle être

effacée de la discussion politique ? »

L’autre problème – étroitement lié aux précédents -, c’est-à-dire la « subordination de l’industrie à la finance », pour reprendre un mot du grand économiste et sociologue américain, Thorstein Veblen*, n’est jamais posé par Macron. Ses actes, lorsqu’il était ministre, laissent présager plutôt un dédain de l’économie matérielle**, alors qu’elle doit être la fin de la politique économique, la finance n’étant qu’un moyen. Tout se passe comme si il suffisait de faire en sorte que les marchés soient les plus souples possibles, qu’aucune entrave ne leur soit  opposée pour que chacun puisse goûter des dividendes de la liberté capitaliste. Pourtant, la crise de 2008 a eu lieu ! Doit-on également occulter les dégâts causés par une concurrence inique portant sur les règles (environnementales, fiscales, sociales), et non pas sur les seuls biens et services ? Comme si la fonction de protection*** – propre millénaire du pouvoir – devait être effacée de la discussion politique. Il est certes évident que les intérêts établis (de plus en plus héréditaires) de notre société ne veulent pas d’obstacle à leur démesure…

* Sur cet auteur : http://thorstein.veblen.free.fr.

** « Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite. » Voir Fatiha Boudjahlat, « Macron, le rêve américain et la simulation du partage », le 24 avril 2017.

*** Voir du regretté Philippe Cohen, Protéger ou disparaître. Les élites face à la montée des insécurités, Gallimard, 1999.

Peut-on raisonnablement voter pour Macron ?

Dans de telles conditions, voter en faveur de Macron serait pure déraison, si n’existait, en face de lui, une candidate effectivement redoutable, Marine Le Pen. Non que le Front national soit fasciste* : c’est plus un avatar de cet inquiétant mouvement de fond des sociétés occidentales qui a permis à des Trump, Orban etc. d’accéder au pouvoir. Parler de façon inconsidérée du fascisme, comme certains parlent de génocide à tout propos (souvent les mêmes), ne fait que démobiliser les consciences et banalise des événements comme la Shoah. En vidant les mots de leur sens, on produit le contraire de ce qui est attendu. Le problème est plutôt que Marine Le Pen ne soit pas républicaine au sens de la tradition française du républicanisme. Celle-ci se fonde sur la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, ce qui interdit de mépriser autant l’un que l’autre. Et c’est pourquoi les transferts de souveraineté faisant éclater l’identité toute française entre citoyenneté et nationalité** vont contre l’esprit de notre république, c’est pourquoi la doctrine de la « préférence nationale » mutile son âme. Il n’est point besoin d’agiter l’épouvantail du fascisme.

Il ne s’agit nullement donc de nier la légitimité de l’organisation politique d’un peuple singulier sous la forme de la nation et le droit de ce peuple à organiser la venue d’autres hommes sur son territoire. Mais, dès que des hommes vivent ou travaillent dans le territoire de la République, ils bénéficient d’une égale dignité (qui n’existe pas nécessairement dans leur pays d’origine, d’où leur arrivée). C’est notamment vrai dans le cadre du travail : comment penser de façon républicaine que les droits sociaux attachés aux travailleurs puissent varier selon l’origine de ceux-ci, sinon à nier leur égale dignité ? On mesure l’extraordinaire responsabilité de ceux qui, détruisant le cadre de la souveraineté nationale, favorisent le recours à un parti qui prétend la défendre… On objectera que bien des « républiques » (en Turquie, en Iran etc.) font des discriminations selon l’origine et qu’un même mouvement s’enclenche en Europe. Disons que, d’un point de vue français, ce sont des États, et non des républiques, et que dans certains cas, ces États ont un régime économique et un système politique qui les rapprochent, effectivement, du vieux fascisme européen. Raison de plus pour les combattre ouvertement, notamment sous le drapeau de la laïcité, ce que ne fait pas Macron.

« Ce n’est pas tant le racisme que le sentiment

d’une confiscation de la démocratie

qui alimente le vote FN »

Comment alors s’assurer que le Pen ne soit pas élue ? Il suffit d’entendre la rue, qui ne veut redonner un blanc-seing à un président élu comme le fut Jacques Chirac en 2002, et donc de s’engager à former un gouvernement d’union nationale qui autorise, sur certains points, la consultation du peuple par voie référendaire. Notamment pour faire évoluer le système de représentation afin que ne se reproduise plus jamais une situation où, avec 17 % des inscrits au premier tour, l’on puisse aisément gouverner la Nation toute entière en empêchant tout débat de fond. Le fait de refuser, par avance, toute discussion sur ce point au nom d’un supposé danger fasciste, c’est exciter les citoyens à manifester leur colère en votant Le Pen en raison de ce sentiment de dépossession monstrueux qui ne peut que justement les saisir. Ce n’est donc pas par racisme que, fondamentalement, tant de citoyens se sentent autorisés à un tel vote mais parce que la démocratie leur est confisquée.

Macron peut accéder au pouvoir, les cosouverains doivent même lui donner ce mandat ; mais, il ne doit pas abuser de ce pouvoir. Malheureusement, il ne donne aucun signe de renoncer par avance à cet abus que lui permet cette situation extraordinaire. Tous ceux qui estiment normal de ne pas exiger de Macron quelque engagement de la nature de ceux que nous évoquons, qui nous pressent de se fier à sa seule personne comme le réclame le vénérable maire de Lyon, ne font que favoriser un vote de protestation. Jamais le libéralisme n’a justifié autant de distance par rapport à l’exigence démocratique : persévérer ainsi, c’est construire les fondements d’une apocalypse en 2022.

* On ne peut à tort et à travers qualifier de néofascistes ces nouvelles formes politiques. Le fascisme doit être pensé avec des matériaux historiques rigoureux, qu’on peut trouver par exemple dans les Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008 ; inspiré par ces thèses, voir Jérôme Maucourant, « Le nazisme comme fascisme radical », Augustin Giovannoni, Jacques Guilhaumou, Histoire et subjectivation, Kimé, pp.197-218, 2008). Un des facteurs essentiels du fascisme est la non-reconnaissance des élections démocratiques (qu’elles soient politiques ou syndicales) et la dictature économique des propriétaires des moyens de productions. C’est pourquoi le nazisme a impliqué une privatisation de la politique économique du Troisième Reich (comme l’a suggéré Nobert Frei dans L’État hitlérien et la société allemande - 1933-1945, Le Seuil, 1994). La planification nazie était l’expression même d’un pouvoir de classe. L’entreprise, à l’image de la “communauté nationale”, est dirigée par un “Führer” qui n’est rien d’autre que l’ancien patron. Or, le capitalisme ne veut plus, pour l’essentiel, perpétuer sa domination par ce genre de procédés qui impliquait les camps et la terreur au quotidien. L’actuelle mondialisation est bien plus efficace, à cet égard, outre qu’elle est porteuse de profits bien plus amples et aisés à obtenir que par un recentrage de l’économie sur un cadre national ou même continental. Nul hasard donc à ce que la colère contre le système socio-économique se nourrisse du mépris du verdict des urnes… Orban et (Marine) Le Pen ne n’inscrivent pas dans le sillage de Hitler, dont Polanyi nous rapporte ces propos : « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues ». Beaux paradoxes de notre temps ! Enfin, le fascisme comme le nazisme, qui était un fascisme radical, se proposait de créer un homme nouveau. Karl Polanyi précisait ce point en commentant la signification d’une institution fasciste : les corporations. Elles brouillaient la distinction entre l’économique et la politique au seul profit de l’économie de la façon suivante : «  [Les corporations] se transforment en dépositaires de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l’État politique. L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouvent d’expression dans ce cadre. Un tel ordre ne peut exister sur la base de la conscience humaine telle que nous la connaissons. La période de transition vers un autre type de conscience est nécessairement longue. Hitler parle en termes de générations pour donner une idée de sa durée. » (Essais de Karl Polanyi, op. cit., p. 394).

** Voir Claude Nicolet, Histoire, Nation, République, Paris, Odile Jacob, 2000.

Déjouer le jeu des simulacres politiques en dépit d’un nécessaire vote Macron

L’antisémitisme, qui s’est développé sur fond d’une mondialisation libérale, s’est infiltré comme jamais à gauche, comme le montre l’affaire Meklat. Le communautarisme – lié fondamentalement à cet antisémitisme - ne semble pas constituer un problème pour Macron. Comme l’illustre la belle métaphore des voyages dans le temps d’Hermann Goering à la rencontre de Nicole Thibodeaux, la question nazie, cette maladie de la modernité, demeure irrésolue. Dick avait aussi bien anticipé cette constitution d’un parti unique de la pensée unique : Macron se veut ainsi le chef du parti du « progrès », d’une gauche et d’une droite réunifiées sous sa férule. Le parti du « progrès » - dans sa terminologie - s’oppose aux conservateurs de tous ordres : peu lui importe que, parmi ses conservateurs, nombreux sont ceux qui veulent conserver la nature, une certaine idée de la société, de l’école, et que, pour eux, à la différence de Macron, le but est tout et le mouvement n’est rien.

« Oui, il faut voter pour Nicole Thibodeaux...

mais pas sans garantie ! »

Faut-il voter pour Nicole Thibodeaux, allégorie d’un pouvoir politique se vidant de sa substance aux profits de puissants intérêts privés ? Oui. Mais, de grâce, cessons de faire la leçon de morale à ceux qui craignent légitimement la possibilité d’un terrible abus de pouvoir. Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. Bref, demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant le « système » ; selon ce terme si curieusement « populiste »* qu’il emploie, comme Marine Le Pen… En général, ceux qui ne posent pas cette question essentielle favorisent le contraire de ce qu’ils souhaitent. Mais certains, parmi eux, nous le savons, se réjouissent, en réalité, de cette aubaine qui permettra à l’Union européenne de continuer à défaire la République.

Il nous faut voter pour Nicole Thibodeaux : Dick, au secours !

* Selon l’AFP, 16/11/2016, « Emmanuel Macron a levé mercredi à Bobigny le faux suspense en annonçant sa candidature "irrévocable" à l’élection présidentielle, en opposition au "système", compliquant encore les projets de son parrain en politique, François Hollande ». URL : http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-candidat-a-l-election-presidentielle-16-11-2016-2083431_20.php

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé

en sciences économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA).

 

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24 avril 2017

« Les défis du prochain président français en matière de défense », par Guillaume Lasconjarias

Le premier tour de l’élection présidentielle s’est tenu hier ; tirer les enseignements du scrutin n’est pas l’objet du présent article, dont le corps a d’ailleurs été écrit quelques jours avant le vote, le 18 avril. Son auteur, que je remercie ici, est un fidèle de Paroles d’Actu, Guillaume Lasconjarias, chercheur au collège de Défense de l’OTAN. Il a accepté, à ma demande, de plancher sur un sujet à enjeu majeur pour le futur locataire de l’Élysée : les priorités et défis à venir en matière de défense. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

Armée de l'air

Photo : O. Ravenel @ Armée de l’Air.

 

« Les défis du prochain président français

en matière de défense »

par Guillaume Lasconjarias, le 18 avril 2017

Celui ou celle qui entrera à l’Élysée le 7 mai prochain n’aura que peu de temps ou de latitude pour savourer sa victoire, tant son agenda diplomatique et sécuritaire requerra son attention. Après une campagne électorale où les questions de défense ont pris une place plus importante qu’à l’accoutumée, le nouvel élu se trouvera placé face à de lourdes responsabilités, dans un environnement stratégique volatile, complexe et en recomposition. Face à une administration américaine difficile à cerner, dans une Europe qui se cherche après le Brexit, avec un Moyen-Orient toujours rongé par la crise syrienne, et le suspens d’une Corée du Nord jouant avec le feu nucléaire, les incertitudes pèsent sur la place et le rôle que souhaite jouer la France.

Bien évidemment, les défis de l’heure nécessitent de jongler entre de multiples priorités, et quitte à faire des choix, il s’agit peut-être de souligner ceux qui permettront à la France de tenir sa place et de garder sa voix dans le concert des nations. Pour cela, cinq priorités doivent être considérées.

L’épineuse question du budget de défense.

Tous les principaux candidats se sont entendus sur une nécessaire hausse de la part du PIB consacré à la défense, pour atteindre – selon un horizon plus ou moins long – le chiffre de 2% (hors pensions, suivant les normes que retient l’OTAN). Pour la France, qui est actuellement à 1,79%, cela signifierait une hausse régulière pendant la durée de toute la prochaine législature. Si l’année 2016 a marqué un coup d’arrêt à l’érosion continue du budget de la défense avec, pour la première fois depuis 35 ans, un rebond (et près de 650 millions d’euros injectés), politiques et militaires s’accordent sur le besoin de poursuivre en ce sens. Encore s’agira-t-il de savoir à quoi consacrer ce budget : maintien et remplacement d’équipements dont certains sont à bout de souffle, acquisition de nouvelles capacités, modernisation de la dissuasion nucléaire ? Tout est urgent.

Le renouvellement de la dissuasion nucléaire.

Là encore, peu de divergences entre les candidats, qui jugent que la dissuasion nucléaire est la clé de voûte de la défense française. Donc, et à l’exception de Mélenchon, tous gardent les capacités duales (aéroportée et sous-marine), mais ils devront songer à leur modernisation. Pesant actuellement autour de 10% du budget total de la défense, le coût devrait progresser pour doubler dans les dix prochaines années, passant de 3,5 à près de 6 milliards par an. Les nombreux chantiers d’études – de la nouvelle génération de sous-marins lanceurs d’engins aux missiles – ne manquent pas ; ils forceront à des choix critiques : soit le renoncement à l’une des deux capacités, soit une cannibalisation accrue sur les forces conventionnelles, soit – et c’est le plus souhaitable – une augmentation réelle du budget de la défense. 

La lutte contre le terrorisme.

« Comment garantir la sécurité

des citoyens sans obérer les capacités

opérationnelles des armées ? »

Depuis le Livre blanc de 2008 qui a intégré la notion de continuum sécurité-défense, les armées se sont affirmées dans la lutte contre le terrorisme, autant par le biais d’interventions extérieures (en Afghanistan puis au Mali) que dans des opérations intérieures. Mais le choix de déployer plus de 10 000 soldats en permanence après les attentats de 2015 dans le cadre de l’opération Sentinelle pose de vraies questions sur la séparation des rôles entre forces de l’ordre et forces militaires, comme sur l’efficacité d’un tel dispositif. Comment garantir la sécurité des citoyens sans obérer les capacités opérationnelles des armées ? Les réflexions sur l’essor de la réserve militaire et la création d’une garde nationale semble une piste, comme sur une meilleure répartition des tâches entre les armées (dont la gendarmerie) et la police.

Accroître les cyber-capacités.

Après une campagne présidentielle américaine où l’on a accusé la Russie de manipuler les votes, le risque de cyber attaques ou pour le moins de cyber influence sur les élections semble suffisamment sérieux pour que les autorités françaises aient pris des mesures actives. La France s’est déjà dotée de moyens – avec l’Agence nationale de la Sécurité des Systèmes d’information (ANSSI) et la création en janvier dernier d’un « cyber commandement » –, mais il faut encourager cette priorité nationale. Cela passe notamment par un renforcement des capacités technologiques comme techniques, une politique de ressources humaines ambitieuse (en lien avec les entreprises privées et les écoles pour favoriser le recrutement) et une réflexion doctrinale pour adapter notre outil de défense en allant pourquoi pas vers une quatrième armée.

Europe de la défense ou volet européen de l’OTAN.

La France doit-elle revoir ce qu’elle attend de sa participation à des alliances de défense ? Qu’il s’agisse de sa réintégration pleine et entière à l’OTAN en 2009 ou de ce qu’elle espère de ses voisins européens, les dernières années n’ont pas permis de définir les attentes de Paris. Le BREXIT offre peut-être l’occasion d’une coopération renforcée avec l’Allemagne mais aussi avec l’Italie et l’Espagne, à condition que l’Union européenne accepte de passer à la vitesse supérieure. D’un autre côté, les effets de chaud et froid soufflés par l’administration Trump incitent les membres européens de l’OTAN à dépenser plus et mieux pour ne plus se satisfaire d’une position de « passager clandestin ». Dans tous les cas, Paris devra être au centre du jeu pour convaincre ses partenaires que la puissance militaire française sert les intérêts de ses alliances en même temps que les siens propres.

« Plus que des choix, les options du prochain

Président seront surtout des arbitrages... »

Entre grandeur militaire à retrouver, stratégie sur le long terme à définir et budget à consolider et préserver, le 8e président de la Ve République devra accepter que ses choix, quels qu’ils soient, seront avant tout des arbitrages.

 

Guillaume Lasconjarias 2017

Normalien agrégé, Guillaume Lasconjarias est chercheur au collège de Défense de l’OTAN.

 

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16 avril 2017

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes », par Dimitri Casali

L’oeuvre de Dimitri Casali, historien, essayiste auteur de nombreux publications traitant de l’histoire de France, est tout entière empreinte de l’idée suivante : il faut s’attacher à transmettre un récit dont le peuple puisse être fier, il en va de la cohésion nationale, elle-même fonction du respect que devraient inspirer le pays et son passé, de la foi que ce passé devrait insuffler dans l’avenir. Cette position, celle des tenants de ce que l’on appelle le « récit national », est controversée, parce qu’on la soupçonne régulièrement de trop mettre l’accent sur la lumière, d’occulter le moins glorieux - quand tant d’autres se complaisent à dessein dans le travers opposé. Nous ne trancherons pas ici ce débat. Mais, sept mois après sa première tribune dans Paroles d’Actu, j’ai souhaité à l’occasion de l’élection présidentielle approchant lui offrir un espace de tribune libre ayant rapport au scrutin. Sa production, qui coïncide avec la sortie récente de son dernier ouvrage en date (La longue montée de l’ignorance, éd. First), "tape" plus large et plus profond que la présidentielle : « Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique des obscurantistes ». La culture et ses lignes de front... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche

 

La longue montée de l'ignorance

La longue montée de l’ignorance, éd. First

 

« Médias et Wikipédia : le triomphe médiatique

des obscurantistes »

par Dimitri Casali, le 15 avril 2017

Un nouveau plafond de verre est en train de voir le jour. Il concerne tous ceux qui veulent déconstruire notre héritage. Faire table rase de nos racines historiques, voilà bien un projet totalitaire. L’ignorance a toujours été un outil des dictateurs pour asservir les peuples. Mais si les tenants de la table rase sont omniprésents dans les médias ils se font ravageurs sur le Net et en particulier sur Wikipédia. C’est à un vrai plafond que va se heurter la nouvelle génération : celui du réel, car dans les classements internationaux notre école et nos universités n’en finissent pas de chuter. Comment ne pas s’en inquiéter ? Car la culture est aussi ce qui redonne de la force et de l’espoir, ce qui permet de se sentir rattaché à son pays. Là où le « vivre ensemble » ne propose pour relier les individus que le vide de la théorie, la culture générale rassemble les individus, car elle leur permet de se sentir reliés les uns aux autres à travers une histoire commune. Que l’histoire de France ait été faite par tant de nouveaux arrivants qui vouaient un culte à la culture, la littérature, l’histoire françaises n’est pas un hasard.

Grâce à la science, l’homme a cru en la certitude que la connaissance le sortirait des ténèbres. Or, malgré les découvertes scientifiques majeures, l’obscurité est plus que jamais présente à ses côtés. Aujourd’hui, il y a une peur viscérale de la régression, du déclassement, de la déchéance même. La croyance fondamentale dans le progrès, ou même dans le retour des cycles crise/développement, ne fonctionne plus et cela nous oriente vers des solutions radicales. Les actes terroristes au nom des religions en sont l’expression la plus violente. On peut se rendre compte de la montée de l’ignorance et du déclin intellectuel et moral qu’elle entraîne de multiples façons : en regardant la télé, en écoutant la radio, en surfant sur Internet, d’où suintent de partout l’idéologie du relativisme où tout se vaut, le laisser-aller, l’abandon, le reniement, l’habitude de se vautrer dans la détestation de tout ce qui est beau et grand. Nous descendons toujours plus bas dans la déchéance médiatico-politique.

« Pourquoi voit-on si peu de savants

à la télévision ? »

La médiocrité des débats politiques télévisés et des propos politiques ou culturels en est la preuve. Cette plongée dans le néant d’idées, dans l’ivresse narcissique, dans la violence sectaire, dans le culte de l’anecdotique n’est rien d’autre que le reflet du vide absolu de nos dirigeants actuels. Et l’on pourrait se demander pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision. On en voyait dans les grandes émissions comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Le Grand Échiquier » pour ne citer qu’elles. Les vrais savants sont ceux qui connaissent les limites de leur savoir, c’est-à-dire l’infini de leur ignorance… d’où sans doute une grande modestie et une aversion pour les projecteurs.

Tout cela est d’une infinie gravité, car cela reflète l’abêtissement de notre société, conséquence d’un long déclin de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique. L’éducation et la culture à travers les médias devraient être le grand dessein du futur, le but ultime, le vrai miracle qui pourrait avoir, avec un énorme investissement financier, un réel effet. Elles seraient les seuls antidotes à la prise en main par des intégristes religieux ou médiatiques transmettant leurs transes à des foules assommées par la misère et abruties par l’ignorance. Lorsque le journaliste Jean-Michel Apathie déclare que son rêve est de « raser le château de Versailles », on reste dans la même logique, une logique négationniste qui vise à détruire tout ce qui nous a précédés, à détruire nos racines. Le 9 novembre 2016 sur la chaîne de télévision Public Sénat, invité de l’émission « On va plus loin », il explique doctement : « L’esprit politique français est fabriqué par le souvenir de Louis XIV, de Napoléon et du général de Gaulle, quand on fait de la politique en France, madame, c’est pour renverser le monde, moi si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrai ? Je raserai le château de Versailles […]. Ce serait ma mesure numéro un, pour que nous n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France. » Voici un bel exemple de crétinisation, d’ignorance contre laquelle il nous faut nous mobiliser, surtout quand il est fourni par un journaliste qui intervient dans les chaînes et radios publiques. Rien n’exige que l’entrée dans l’ère postmoderne se fasse par la trahison des héritages les plus nobles et des idéaux les plus élevés.

« Faire ses devoirs ne consiste plus à chercher

dans des livres mais à taper des mots-clés »

Pourtant en ce début de XXIe siècle, jamais nous n’avons été aussi connectés, avec une quantité d’informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche. Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les "sources" consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l’incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait Stuart Mills et avant lui Platon, d’une majorité de sots et d’une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n’est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l’amateur, si omniprésente que par contrecoup, l’expertise et le savoir perdent du terrain. Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée...

« Sur les réseaux sociaux, une sorte d’état de nature

proche de celui que décrivait Hobbes »

Force est de constater que quinze ans après son lancement, l’encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu’en règle générale le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l’article de l’encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est par définition bourrée de demi-vérités et d’erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l’internaute prend d’autant plus de poids qu’il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses followers actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d’"amis" sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d’état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l’emportent sur des sujets ardus. Ainsi Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l’Odyssée... L’article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak et celui consacré au général français Gallieni – accusé notamment d’avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l’appui totalement faux), est un monceau de désinformations... Enfin la notice de l’homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932 le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...

« Sur l’histoire et la politique, Wikipedia est un lieu

où se jouent des guerres idéologiques »

Ce qui est problématique, c’est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu’ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d’erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l’histoire ou la politique, sont souvent l’objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d’autant plus facilement que l’anonymat du web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais la principale plaie de l’encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s’amusent à insérer des erreurs. Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des "patrouilleurs" bénévoles volontaires qui peuvent être n’importe qui, spécialiste ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n’ont pas la science infuse. Quant à la "neutralité" de Wikipédia, elle est jour après jour totalement remise en cause. Ainsi, il y a deux mois j’en ai même fait la triste expérience avec des attaques particulièrement odieuses et diffamatoires puisque sur ma notice Wikipédia il était carrément écrit  : « Dimitri Casali  ennemi de la démocratie… ». J’ai dû remuer ciel et terre pour faire supprimer cette ignominie. Cette encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde a accès et peut raconter n’importe quoi devient un véritable péril. C’est devenu une sorte de Big Brother. Bientôt, les gens vont s’auto-censurer pour éviter de se retrouver dans ma situation où mes détracteurs viennent impunément contrefaire la vérité à mon sujet...

« Nos ancêtres, c’est nous dans le passé,

nos descendants nous dans l’avenir...

il convient de ne pas l’oublier »

Malgré cela nous devons continuer à nous battre pour nos valeurs et repères. Notre pays ne pourra résister longtemps aux assauts quotidiens des médias, des contempteurs de la pensée unique, des 80% des journalistes ignares et du gauchisme culturel tout puissant. Ce maelström communicationnel entretient la montée du multiculturalisme, du communautarisme et d’un altermondialisme désintégrant notre identité culturelle qui nous rappelait le génie de la civilisation française. Je vais vous avouer ma grande faute que l’on me reproche chaque jour : c’est d’avoir voulu rester fidèle à la mémoire de nos pères et à notre "Grande Nation", comme on l’appelait au XIXème siècle, qu’ils avaient su bâtir. Car nos ancêtres, c’est nous dans le passé, nos descendants, c’est nous dans l’avenir... Je fais donc le vœu que des plus jeunes m’entendent et prennent enfin le relais.

 

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6 mars 2017

Olivier Da Lage: « Hier chantre du non-alignement, l'Inde se préfère aujourd'hui multi-alignée »

Olivier Da Lage, journaliste à Radio France internationale (RFI) depuis de nombreuses années, vient de publier chez Armand Colin L’Inde, désir de puissance, le troisième des ouvrages qu’il a consacrés à ce pays encore bien mystérieux, géant démographique et possible acteur de premier plan sur la scène mondiale demain, ou plus probablement après-demain, si et seulement si... Derrière ces "si", de multiples conditions, et des chantiers immenses. Dans ce livre, agréable à parcourir et bourré d’informations méconnues, Olivier Da Lage regarde ce qu’a été la politique étrangère de New Delhi depuis l’Indépendance de 1947, les leçons qui en ont été tirées et ses traits plus récents, sur tous les terrains du globe. Il fixe ce que sont, aujourd’hui et pour la suite, les grandes forces et les défis considérables auxquels l’Inde doit ou devra faire face. Un ouvrage à lire, vraiment.

Je remercie Olivier Da Lage d’avoir accepté de répondre à ma sollicitation pour une interview ; il s’était déjà prêté à deux reprises à un exercice similaire pour Paroles d’Actu : un échange principalement consacré à l’Arabie Saoudite et au Qatar en janvier 2016, puis une tribune au titre explicite, « La France et l’EI: vers une guerre perpétuelle ? », en juillet 2016, une semaine tout juste après l’attentat de Nice. Ainsi va le monde... si on veut essayer de le changer, d’abord, attachons-nous à au moins tenter de le comprendre. Pour l’heure, donc... bienvenue en Inde. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage: « Hier chantre du non-alignement,

l’Inde se préfère aujourd’hui multi-alignée »

Interview réalisée le 5 mars 2017.

Inde

L’Inde, désir de puissance (Armand Colin, 2017)

 

Olivier Da Lage, bonjour, et merci de m’accorder cette nouvelle interview pour Paroles d’ActuL’Inde, désir de puissance (Armand Colin, 2017) est le troisième livre que vous consacrez à ce mastodonte qui compte 1,27 milliards d’habitants. Première question : pourquoi l’Inde ?

pourquoi l’Inde ?

On trouve une infinité de livres sur le Moyen-Orient, sur l’Afrique, sur les États-Unis, et à présent sur la Chine, mais curieusement, je trouve, il y en a relativement peu d’ouvrages en français sur l’Inde et sa politique étrangère et ceux qui existent datent pour la plupart déjà un peu.

Quelle est votre histoire avec ce pays ? Quand et comment l’avez-vous "rencontré" ? Qu’est-ce qui vous a marqué, de visu, la première fois, et s’agissant des évolutions perçues lors des séjours suivants ?

l’Inde et vous ?

J’ai mis les pieds en Inde pour la première fois au début des années 80 et j’y suis retourné plusieurs fois dans les années suivantes. Au risque d’aligner les clichés, j’ai été frappé par la vitalité et la diversité de l’Inde et de ses habitants, ses couleurs, ses odeurs, et aussi, sa bureaucratie !

On est frappé de voir à quel point, au vu du gigantisme et des potentiels énormes de l’Inde, la question de la rivalité avec le Pakistan a été sans discontinuer fondamentale pour la politique étrangère et de défense du pays depuis l’Indépendance. Pourquoi la question du Cachemire est-elle à ce point importante pour New Delhi et pour Islamabad ? L’équilibre nucléaire entre les deux puissances condamne-t-il à un statu quo, une paix froide pendant des années, des décennies, ou bien entrevoyez-vous, à titre personnel, des pistes de solution définitive acceptable par les uns et les autres ?

le Pakistan, le Cachemire

Le Cachemire était connu sous le nom de « Suisse de l’Himalaya ». Ses alpages, sa verdure, ses fleuves et ses lacs. C’était le joyau des Indes britanniques, situé géographiquement à la frontière indo-pakistanaise. Dirigé par un maharadjah hindou, le Cachemire avait une population majoritairement musulmane. Il n’est pas difficile de voir pourquoi les deux pays issus de l’empire ont voulu l’avoir. L’Inde a fini par l’obtenir en faisant pression sur le maharadjah qui croyait pouvoir obtenir l’indépendance pour le Cachemire, mais qui, bien davantage que d’être incorporé à l’Union indienne, redoutait les ambitions pakistanaises et l’influence du Pakistan sur sa population musulmane. C’est ce qui a donné la première guerre indo-pakistanaise qui dure de 1947 à 1949 et se traduit par la partition du Cachemire. En 1965, le Pakistan tente à nouveau de forcer le destin pour s’emparer de la totalité du Cachemire mais échoue dans son entreprise. Depuis lors, le Cachemire reste à la fois un enjeu et un symptôme de la rivalité indo-pakistanaise. Le Pakistan soutient et entraîne des groupes terroristes qui s’infiltrent dans l’État du Jammu et Cachemire (indien) à partir de ce qu’Islamabad appelle le « Cachemire libre » (Azad Kashmir) et les Indiens le « Cachemire occupé par le Pakistan ».

Cachemire

Source du document : http://ceriscope.sciences-po.fr

En ce qui concerne les tensions indo-pakistanaises, il est difficile d’envisager une sortie de crise dans un avenir prévisible. D’une part en raison de l’enjeu émotionnel et patriotique que représente le Cachemire pour les deux parties. Mais aussi parce que bien que les deux pays soient des puissances nucléaires ouvertes depuis les années 90, cela n’a pas empêché un conflit armé (la guerre de Kargil, sur les hauteurs de l’Himalaya) en 1999. Les gouvernements des deux pays ont bien tenté à plusieurs reprises de se rapprocher, mais à chaque fois, l’armée et les services pakistanais ont tenté de torpiller le processus en suscitant des attentats et en Inde, les médias et les réseaux sociaux sont prompts à dénoncer toute approche diplomatique comme de la faiblesse envers l’État terroriste qu’est à leurs yeux le Pakistan.

Ce qui ressort de l’examen détaillé que vous faites des politiques étrangères indiennes, c’est, avec son voisinage direct, des politiques un peu gauches, maladroites, et plus globalement, les premières années, une approche idéaliste, un peu naïve, celles des pères fondateurs Gandhi et Nehru. Sur ce point, le réveil brutal a eu lieu en 1962, lors d’une guerre catastrophique provoquée par la Chine. La Chine... puissance qui n’a cessé depuis de s’affirmer. Comment son intrusion (notamment économique) de plus en plus franche dans la sphère de voisinage de l’Inde est-elle perçue par les leaders politiques et économiques du pays, et par sa population ?

la Chine

La Chine fait peur aux Indiens (l’inverse n’est évidemment pas vrai). À la fois du fait de sa puissance militaire, mais aussi de sa force de frappe économique et de ses projets terrestres et maritimes de « nouvelles routes de la soie » qui sont perçues comme une stratégie d’encerclement de l’Inde en s’appuyant sur les voisins de cette dernière (Népal, Bhoutan, Sri Lanka, et bien sûr Pakistan). Certains admirent la hardiesse chinoise et la rapidité de son processus de décision et vont parfois même jusqu’à regretter que la démocratie indienne soit un frein à l’efficacité ! Mais la Chine n’est pas seulement une rivale, c’est aussi une partenaire désireuse, comme l’Inde, de remettre en cause la domination occidentale née de l’après-guerre. Inde et Chine coopèrent d’ailleurs dans toute une série de dossiers, par exemple celui de l’environnement. C’est aussi un partenaire économique très important (et de plus en plus), ce qui rend improbable une confrontation majeure car les deux pays auraient trop à y perdre.

D’abord non-alignée par principe, l’Inde s’est progressivement rapprochée de l’URSS, tandis que, dans la région, Washington choisissait de parrainer le Pakistan. Aujourd’hui, dans un monde post-guerre froide, les choses se sont équilibrées. Quid du Japon, le grand rival régional de la Chine : est-ce que la proximité des profils de leurs dirigeants actuels (deux nationalistes), les orientations stratégiques et le prévisible des circonstances peuvent augurer pour les années à venir un rapprochement plus net entre Tokyo et New Delhi ?

le Japon

L’Inde délaisse en effet progressivement le non-alignement qui, de son point de vue, n’a plus beaucoup de pertinence dans le monde actuel, même si le dire ouvertement relèverait du sacrilège car c’est encore un dogme officiel de la politique étrangère indienne. Elle s’est considérablement rapprochée des États-Unis depuis près de vingt ans, mais pas au détriment de sa relation privilégiée avec Moscou. Car les Indiens demeurent rétifs à tout système d’alliance et insistent pour conserver à tout prix leur « autonomie stratégique ». Ils préfèrent aujourd’hui se définir comme multi-alignés. La relation avec Tokyo est certes facilitée par la proximité idéologique des deux dirigeants actuels Shinzo Abe et Narendra Modi, tous deux nationalistes et religieux. Mais elle a des fondements plus profonds, à commencer par une méfiance partagée à l’égard de la puissance chinoise.

Narendra Modi

Narendra Modi, issu d’un grand parti nationaliste hindou, est l’actuel Premier ministre de l’Inde.

Source de l’illustration : http://indianexpress.com

J’ai, a priori, cette impression qu’on a, en Occident et en tout cas en France, une espèce de désintérêt assez net pour l’Inde, qu’on voit surtout comme un débouché pour nos industries de l’armement, tandis que chacun essaie de "conquérir" la Chine. Comme si l’Inde, bien que plus proche de nous, nous apparaissait plus lointaine, plus mystérieuse aussi que son grand voisin du nord-est. Est-ce que vous avez ce sentiment ?

la France

En partie oui. Pourtant, les Français sont nombreux à se rendre en Inde comme touristes, que ce soit au Rajasthan ou au Kerala. Mais on est un peu toujours dans l’exotisme. Les relations économiques se développent mais difficilement, car il faut bien dire que les Indiens sont des partenaires particulièrement coriaces, que la législation indienne, même si elle s’est beaucoup assouplie, recèle plein de pièges pour les investisseurs étrangers et qu’enfin, l’Inde n’est pas un pays où l’on fait un tour juste pour voir. Si on veut y faire des affaires, il faut avoir en tête le long terme et ne pas se décourager. Politiquement, malgré la volonté affichée des deux côtés, on peine à discerner que l’Inde soit en tête des priorités pour la diplomatie française et les Indiens aiment bien la France, mais ce n’est à leurs yeux qu’une puissance moyenne où l’on ne parle même pas anglais (je caricature un peu, évidemment).

Existe-t-il encore quelque chose, un lien particulier entre le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, et l’Inde, toujours membre du Commonwealth ?

le Royaume-Uni et le Commonwealth

Un lien culturel, sans aucun doute. Un lien humain aussi, en raison de l’importante communauté indienne ou d’origine indienne présente sur le territoire britannique. Mais si à Londres on veut encore croire à une relation spéciale, cette impression n’est guère partagée vue de l’Inde, où l’on s’interroge principalement sur l’intérêt que représentera (ou non) le Royaume-Uni après le Brexit.

L’Inde, vous nous l’apprenez, entend parler avec tout le monde, sans dogme ni idéologie ; elle le faisait notamment avec la République islamique d’Iran quand c’était loin d’être bien perçu par tous. A-t-elle une influence quelconque, du jeu sur les régimes actuellement à la tête de la Syrie ? De la Corée du nord ?

l’Inde, État médiateur ?

Non, justement, et c’est un trait bien spécifique de la diplomatie indienne. À vouloir être amie avec presque tout le monde, l’Inde cherche à éviter tout ce qui pourrait fâcher ses nombreux amis. Elle évite soigneusement de s’entremettre entre des tiers en conflit et est par conséquent très largement absente du marché de la médiation. Cela lui permet de conserver voire de gagner des positions dans différents pays, mais elle renonce par là-même à influencer le cours des choses. Par ailleurs, la diplomatie indienne a horreur du changement et a vécu les « printemps arabes » comme une menace pour ses ressortissants (il est vrai qu’il y a des exemples, avec la crise du Koweït ou la guerre du Yémen) ou même un complot islamiste pour déstabiliser des régimes laïques, comme en Syrie.

Un des objectifs de politique étrangère et d’influence majeurs de l’Inde, c’est l’obtention d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Un tel élargissement paraît-il réaliste à moyen terme, et avec quelles réactions prévisibles de la part des cinq "grands" actuels ?

membre permanent du Conseil de sécurité ?

Cela devient un rituel lors de chaque rencontre diplomatique : le partenaire soutient officiellement le principe de l’appartenance de l’Inde au Conseil de sécurité en tant que membre permanent. Au point qu’à part la Chine ou le Pakistan, il y a peu de pays qui n’y sont pas officiellement favorables. En privé, c’est autre chose et j’ai entendu des diplomates de haut rang expliquer avec délectation que la négociation pour y parvenir ouvrirait une boîte de Pandore à tel point que cela n’est pas près d’arriver. Les Indiens n’en sont pas dupes et c’est pourquoi l’élection de Donald Trump a été très bien reçue par les cercles dirigeants indiens. Pas tant pour sa politique, que pour sa volonté de faire éclater le système international tel qu’on le connaît depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Inde y discerne une opportunité pour participer à une réorganisation de ce système qui lui soit plus profitable et qui reconnaisse son statut de grande puissance du XXIe siècle.

Beaucoup de points passionnants sont abordés dans votre livre, je ne pourrais les évoquer tous : l’importance croissante de l’Inde sur les secteurs de l’agro-industrie, de la santé et du médicament par exemple, part importante de sa diplomatie d’influence notamment en direction de l’Afrique. La visibilité toujours plus grande du yoga et de la culture "Bollywood" participent également de cette diplomatie d’influence, qui a aussi pour but de sécuriser les amitiés éclectiques de l’Inde. Est-ce que les besoins énormes de l’Inde en énergie pour les années à venir sont "sécurisés", et de quelles ressources actuelles ou à développer dispose-t-elle en propre ?

développement et énergie

Non, pas suffisamment. C’est pourquoi l’Inde attache beaucoup de prix à la modernisation de sa marine afin de sécuriser les approvisionnements maritimes  des hydrocarbures. Qu’elle a noué de longue date avec l’Iran et la Birmanie, malgré les pressions internationales, car ces deux pays sont aussi producteurs d’énergie. L’Inde est aussi engagée dans la modernisation de son parc nucléaire avec la Russie et la France, notamment. Et enfin, elle s’est engagée dans l’alliance solaire internationale après la conférence de Paris. Mais tous ces projets suffisent à peine à suivre le rythme de sa progression démographique. Car si l’Inde a des ressources propres (charbon ou pétrole), c’est en quantités notoirement insuffisante.

Vous rappelez l’un des gros points noirs dans l’Inde d’aujourd’hui : la pauvreté, voire l’extrême pauvreté, qui y est encore massive. Les chantiers demeurent immenses sur les domaines notamment de l’éducation et de la santé. Est-ce qu’aux niveaux de l’État fédéral et des États fédérés, les budgets sont à la hauteur de ces priorités ? Plus globalement, comment ces deux types d’entité se portent-ils en s’agissant du poids de la fiscalité et de la dépense publique, et du niveau d’endettement ? Ont-ils des marges de manœuvre importantes pour favoriser des investissements, développer des politiques structurantes ?

budgets et investissements

Tout dépend de l’analyse que l’on fait. En arrivant au pouvoir, le BJP a opéré des coupes claires dans les subventions aux paysans et aux produits de première nécessité, convaincu que la bonne réponse consistait à favoriser les entreprises pour sortir de la pauvreté. Mais dès l’année suivante, le gouvernement Modi a renoué avec la politique qui était celle du parti du Congrès, car les résultats économiques se traduisent trop lentement en réduction de la pauvreté et les autorités ne peuvent faire face à une aggravation de la pauvreté de masse. Deux problèmes majeurs, identifiés par tous les analystes, sont les insuffisances dans le financement de la santé et de l’éducation.  Cela reste toujours vrai. Quant à la fiscalité directe, l’impôt sur le revenu est concentré sur une petite partie de la population (la classe moyenne supérieure salariée). Les pauvres ne payent pas d’impôts directs et les très riches arrivent à en payer beaucoup moins que ce qu’ils devraient. Les marges de manœuvres sont limitées et les gouvernements qui se succèdent tentent de les utiliser de la façon la plus lisible vis-à-vis de l’opinion publique et des marchés. Mais en dehors de quelques opérations spectaculaires, comme la démonétisation de 86 % des billets de banques en novembre 2016 afin de combattre la corruption et l’économie souterraine, les réformes menées ne peuvent produire leurs effets que dans le long terme.

La partie que vous consacrez à la démocratie indienne, "la plus grande du monde", est intéressante en ce qu’elle nous montre à quel point celle-ci paraît dynamique. Il y a bien sûr les problèmes de corruption, présents notamment dans l’administration. Mais cette démocratie que vous nous décrivez a l’air d’être sur de bons rails : des institutions dont les bornes sont respectées (l’armée subordonnée au politique, la justice indépendante par rapport à l’exécutif), une société civile vigoureuse. Est-ce qu’il y a des points de cette démocratie indienne dont on pourrait s’inspirer ? Et quels regards porte-t-on en Inde, pour ce que vous en savez, sur notre campagne pour la présidentielle si particulière de cette année ?

la plus grande démocratie du monde

C’est une démocratie très imparfaite, mais une démocratie quand même. Il me semble que sur certains points, la France pourrait s’inspirer de ce qui se fait en Inde, notamment de la loi sur l’accès aux documents administratifs (« le droit à l’information »). De même, en Inde, lorsque l’on critique un policier, on n’est pas systématiquement accusé d’outrage ou de rébellion. Pour le reste, les sociétés et l’histoire des deux pays sont vraiment trop différentes pour transposer purement et simplement les expériences de l’un à l’autre. Comme bien d’autres observateurs, les Indiens sont surpris des rebondissements que connaît la campagne électorale française, mais il serait très exagéré de dire que la vie politique française est au centre des préoccupations indiennes.

Comment voyez-vous l’Inde en 2050 ?

l’Inde en 2050 ?

Possiblement comme une puissance majeure, influente et en interaction avec la plupart des pays du monde. Mais il est possible aussi qu’elle retombe dans ses ornières si elle n’investisse pas massivement dans l’éducation et la santé, si  elle ne prévoit pas l’arrive massive à la retraite des jeunes actifs d’aujourd’hui et si elle ne parvient pas à gérer son conflit avec le Pakistan.

Quels conseils d’excursions donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait découvrir l’Inde, la "vraie" et pas simplement celle des tours opérateurs ?

conseils à un touriste ?

Toutes les Indes sont vraies. Les couleurs du Rajasthan comme celles du Kerala, mais aussi la vie trépidante de Bombay ou Calcutta, ou au contraire très paisible du Sikkim. Il faut essentiellement être prêt, mentalement, à voir des choses et rencontrer des gens très différents.

Sikkim

Quelques images du minuscule État du Sikkim, histoire de rêver un peu...

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ?

Je travaille actuellement à la rédaction d’un guide de Bombay.

Un dernier mot ?

En Inde, on n’a jamais le dernier mot !

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage

 

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7 février 2017

« En Orient, Bonaparte voulait-il devenir le nouvel Alexandre ? », par Pascal Cyr, PhD Histoire

Pascal Cyrhistorien spécialiste de l’histoire du Consulat et de l’Empire, détient un doctorat de l’Université de Montréal. Parmi ses travaux : Waterloo : origines et enjeux (Paris, L’Harmattan, coll. Historiques, 2011). Il y a deux ans, il avait accepté d’écrire un texte inédit pour ce blog, un focus passionnant sur la ferme de la Haye-Sainte lors de la bataille de Waterloo (18 juin 1815). Voici une nouvelle contribution inédite, très intéressante sur un aspect moins connu du parcours du général Bonaparte : le Levant... la Syrie... 1798, 1799... « En Orient, Bonaparte voulait-il devenir le nouvel Alexandre ? » Merci, Pascal Cyr, pour ces textes et pour votre fidélité... Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

« En Orient, Bonaparte voulait-il

devenir le nouvel Alexandre ? »

Saint-Jean D'Acre

Napoléon Bonaparte au siège de Saint-Jean-d'Acre. Source : Wikipedia.

Dès les premières semaines de sa captivité à Sainte-Hélène, Napoléon revient sur les circonstances de la campagne d’Égypte et de Syrie. Devant Las Cases, l'auteur du Mémorial, il dit : « Si Saint-Jean D’Acre eût cédé à l’armée française, une grande révolution s’accomplissait dans l’Orient, le général en chef y fondait un empire. » Ainsi, pour l'histoire et la légende, Napoléon inscrit ses pas dans ceux d’Alexandre le Grand. Mais qu’en est-il vraiment ? La campagne de Syrie a-t-elle été entreprise afin de jeter les bases d’un nouvel empire oriental ou bien s’agit-il d’une opération militaire limitée dans l’espace et le temps ?

1. Situation de l’armée française en Égypte

Depuis la destruction de la flotte française en rade d’Aboukir le 1er août 1798, la situation du corps expéditionnaire s’en est retrouvée radicalement changée. Le 9 septembre, le Sultan Selim III* bascule dans le camp des coalisés. L’Empire ottoman entre en guerre contre la France. Une série de firmans est immédiatement envoyée dans les différentes parties de l’empire afin de recruter des hommes et lever des armées. Toutefois, le gouvernement de Constantinople craint la réaction de Djezzar Pacha**, alors seigneur de Saint-Jean d’Acre et gouverneur de Syrie. Va-t-il se rallier aux Français ou au Sultan ? Ce dernier prend contact avec les Anglais et, de fait, il choisit de se battre à leurs côtés. Ainsi, un second front s’ouvre sur la frontière de l’est.

Né le 24 décembre 1761, il règne sous le nom de Selim III de 1789 à 1807. Il est renversé cette même année et exécuté, sur l’ordre de son cousin Selim IV le 28 juillet 1808.

** Djezzar Pacha, dit «  le boucher  » en raison des massacres qu’il ordonne sur les minorités chrétiennes et juives en Palestine. Il est né vers 1735. Bosniaque chrétien, esclave de naissance, il sert d’abord les Mamelouks en Égypte et fait allégeance à la Sublime Porte. Pacha de Saint-Jean d’Acre, il règne sans partage sur la Syrie. Il meurt en 1804.

Pour Bonaparte, cette nouvelle arrive au plus mauvais moment. N’ayant pas été en mesure de détruire complètement les Mamelouks lors de la bataille des Pyramides, il a été obligé d’envoyer le général Desaix à leur poursuite. Réfugiés en Haute-Égypte, les Mamelouks, sous le commandement de Mourad-Bey***, sont bien décidés à mener la résistance jusqu’au bout. Même si le général Desaix remporte une victoire à Sédiman (7 octobre 1798), les pertes sont élevées et la campagne s’annonce longue. Sur un effectif initial de 2700 hommes, plus de 900, atteint par les fièvres, la dysenterie, les maux vénériens et l’ophtalmie sont déjà hors de combat. Sans autre choix, Bonaparte porte les effectifs de Desaix à 6500 hommes.

*** Ancien esclave originaire du Caucase, il est né vers 1750. Au fil des ans, il grimpe dans la hiérarchie et devient l’un des principaux chefs mamelouks en Égypte. Il partage le pouvoir avec Ibrahim Bey. Vaincu par Bonaparte à la bataille des Pyramides, il mène une guerre impitoyable en Haute-Égypte. En 1801, il se rallie à Kléber qui le nomme prince du Saïd et gouverneur de Haute-Égypte. Il meurt de la peste la même année.

En Basse-Égypte, la situation n’est guère plus reluisante. Encouragés par les agitateurs à la solde des Anglais et des Turcs, les Égyptiens se mobilisent. Le 2 août, depuis son quartier général d’Alexandrie, le général Kléber écrit à Bonaparte que les attaques se multiplient contre les courriers. Bonaparte estime qu’il s’agit d’actions isolées. Mais de Damiette jusqu’au Caire, les Français doivent conduire des expéditions punitives afin de maintenir l’ordre. La répression est brutale. Chaque village ayant participé à l’assassinat d’officiers français ou à l’exécution de simples soldats est incendié sur-le-champ. Quant aux responsables, ils sont fusillés sans autre forme de procès. Malgré cela, Bonaparte ne croit pas que sa politique de conciliation des élites musulmanes est un échec. Mais s’il refuse d’abord d’y croire, la révolte du Caire des 21 et 22 octobre 1798 le ramène à la triste réalité, car les principaux meneurs sont des membres influents du Diwan, des hommes qu’il a honorés publiquement. Son armée écartelée entre la Haute et la Basse-Égypte, c’est à contrecœur que Bonaparte envisage maintenant la perspective de s’engager en Syrie.

2. Bonaparte ne voulait pas s’engager en Syrie

Depuis quelques semaines, Bonaparte porte une attention particulière à la Syrie et aux mouvements de troupes turques qui s’y déroulent. Le 20 décembre 1798, ses agents l’informent qu’une armée de 12 000 hommes, commandée par le général Abdallah, campe déjà sous les murs de Gaza et le 2 janvier, sans rencontrer de résistance, celui-ci fait ses premiers pas en territoire égyptien. D’entrée de jeu, Abdallah dépêche 4000 hommes afin d’occuper le poste d’El-Arych. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Bonaparte sait qu’il s’agit là des préliminaires d’une prochaine invasion. L’Égypte n’étant pas sous son contrôle, sachant également qu’une armée turque se rassemble sur l’île de Rhodes afin de débarquer sur la côte égyptienne, probablement en juin ou en juillet 1799, il tente de négocier avec Djezzar Pacha. Pour ce faire, il lui envoie l’un de ses officiers, Joseph-Calmet Beauvoisin. Mais dès son arrivée à Saint-Jean d’Acre, le diplomate est maintenu à bord de son navire et jamais il ne réussira à obtenir une audience avec Djezzar. En désespoir de cause, il doit se rembarquer et revenir avec son navire à Damiette. Bonaparte récidive et dépêche auprès de Djezzar Eugène Mailly de Chateaurenaud, l’un de ses officiers d’État-major. Celui-ci a pour mission de lui délivrer une lettre à l’intérieur de laquelle Bonaparte réitère à nouveau ses intentions pacifiques à son égard. Toutefois, il lui fait savoir que, s’il continue de donner refuge à Ibrahim-Bey qui se maintient toujours aux frontières de l’Égypte, il sera forcé de considérer qu’il s’agit là d’un acte de guerre et qu’il conduira son armée à Saint-Jean d’Acre. Sans plus de cérémonie, Djezzar fait jeter Mailly de Chateaurenaud au cachot. Il le fera exécuter le 30 mars 1799.

Devant ce refus, et cela en dépit de son état-major qui juge cette entreprise beaucoup trop risquée, Bonaparte décide de porter la guerre en territoire syrien. Or, cette campagne n’en est pas une de conquête, car en raison de la menace qui plane sur l’Égypte depuis l’île de Rhodes, elle se veut limitée dans l’espace et le temps. Dans ses mémoires, le général Berthier décrit ainsi les objectifs de Bonaparte : « Marcher en Syrie, châtier Djezzar, détruire les préparatifs de l’expédition contre l’Égypte, dans le cas où la Porte se serait unie aux ennemis de la France; lui rendre, au contraire, la nomination du pacha de Syrie et son autorité primitive dans cette province, si elle restait l’amie de la République; revenir en Égypte aussitôt après pour battre l’expédition par mer; expédition qui, vu les obstacles qu’opposait la saison, ne pouvait avoir lieu avant le mois de messidor. (19 juin au 18 juillet) » Dans sa dernière missive envoyée au Directoire, Bonaparte rédige trois directives qui confirment de façon claire et précise le témoignage de Berthier :

Objectifs de la campagne de Syrie

1) Assurer la conquête de l’Égypte en construisant une place forte au-delà du désert, et, dès lors, éloigner tellement les armées, de quelques nations que ce soit, de l’Égypte, qu’elles ne puissent rien combiner avec une armée européenne qui viendrait débarquer sur les côtes.

2) Obliger la Porte (gouvernement de l’Empire ottoman à Constantinople) à s’expliquer, et, par là, appuyer les négociations que vous avez sans doute entamées, et l’envoi que je fais à Constantinople, sur la caravelle turque, du consul Beauchamp.

3) Enfin, ôter à la croisière anglaise les subsistances qu’elle tire de Syrie, en employant les deux mois d’hiver qui me restent à me rendre, par la guerre et par des négociations, toute cette côte amie.

Ainsi, dans le cas où il réussirait à expulser Djezzar Pacha de sa capitale de Saint-Jean d’Acre, Bonaparte désire négocier une alliance avec les tribus qui vivent dans les montagnes de Syrie. Afin d’imposer la paix au Sultan, il croit dans la possibilité de se rallier les Druzes****, les maronites***** et les Arabes. Grâce à eux, il envisage de créer une espèce de zone tampon entre l’Égypte et la Turquie. De plus, comme on peut le constater dans le point trois de son plan, par le truchement de ces mêmes tribus, il souhaite également s’emparer du littoral syrien afin d’éloigner la flotte anglaise de ses bases d’approvisionnements. Dans l’esprit de Bonaparte, cette stratégie aurait comme résultat immédiat d’alléger la rigueur du blocus britannique sur les côtes égyptiennes. Ce plan est évidemment conditionnel à la prise de Saint-Jean d’Acre combinée à l’élimination de Djezzar Pacha. Mais vingt ans plus tard, alors qu’il se trouve à Sainte-Hélène, Napoléon écrit qu’il avait prévu de marcher sur Constantinople et se rallier les Kurdes, les Arméniens, les Perses et les Turcomans. Lorsqu’on lit attentivement sa correspondance ainsi que les témoignages de ses contemporains, on se rend compte que cette dernière affirmation est destinée aux seules fins de la légende.

**** Minorité religieuse musulmane hétérodoxe actuellement établie en Syrie, au Liban et en Israël.

***** Les maronites sont membres de l’Église catholique de rite syrien au Liban.

3. Le mythe d’Alexandre au service de la légende de Bonaparte

Dans leurs mémoires, inspirés par le Mémorial, Bourrienne et Marmont se font l’écho de la légende, de cette « filiation » entre Alexandre et leur ancien maître. Même Stendhal est au diapason du Mémorial. Dans La chartreuse de Parme, il écrit : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. » Dans la geste napoléonienne, à l’instar de la victoire, la défaite doit être sublimée. À Louis-Philippe de Ségur, conseiller d’État, Bonaparte dit : « Oui, si je m’étais emparé d’Acre, je prenais le Turban, je faisais mettre de grandes culottes à mon armée, je ne l’exposais plus qu’à la dernière extrémité, j’en faisais mon bataillon sacré, mes immortels ! C’est par des Arabes, des Grecs, des Arméniens que j’eusse achevé la guerre contre les Turcs ! Au lieu d’une bataille en Moravie, je gagnais une bataille d’Issus, je me faisais empereur d’Orient, et je revenais à Paris par Constantinople. » Mais alors que son armée est rongée par la peste bubonique devant Saint-Jean d’Acre, il est contredit par la correspondance de Berthier. Avant le neuvième et dernier assaut prévu pour le 8 mai 1798, l’assaut de la dernière chance, il écrit au général Dugua : « Le retour du général en chef (en Égypte) est très proche. » Pour Bonaparte, la prise de Saint-Jean d’Acre est vitale, car elle lui permettrait de prétendre qu’il a atteint la totalité de ses objectifs de campagne et du même coup, crier victoire. Mais le sort en décide autrement. C’est la retraite vers l’Égypte.

À l’image de Charlemagne, Bonaparte attache une épopée à son histoire dont Alexandre est le principal élément de référence. Dans le Mémorial, il sous-entend même qu’il lui est supérieur. Il rappelle qu’au moment où Alexandre débarqua en Asie pour faire la guerre à Darius, il était fils de roi et roi lui-même. À titre comparatif, il ajoute : « Mais qu’un simple particulier, dont le nom trois ans auparavant était inconnu à tous, qui n’avait eu en cet instant  d’autre auxiliaire que quelques victoires, son nom et la conscience de son génie, ait osé concevoir de saisir à lui seul les destinées de trente millions d’hommes, de les sauver des défaites du dehors et des dimensions du dedans (…) c’est ce que l’on peut appeler une des plus gigantesques et des plus sublimes entreprises dont on ait jamais entendu parler. »

Mais sa destinée et ses objectifs en Syrie ne correspondent en rien à celle du roi macédonien. Lorsqu’Alexandre débarque en Asie, son objectif est double : unir les Grecs dans la guerre et s’emparer de l’empire de Darius, une entité minée par la corruption et les rébellions. Après la bataille d’Issus, en réponse aux propositions de paix formulées par Darius, Alexandre lui adresse une lettre dans laquelle il lui dit : « La faveur des Dieux m’a rendu maître de votre empire… Lorsque vous m’adressez vos lettres, souvenez-vous que vous écrivez au maître de l’Asie, que vous n’êtes plus mon égal. L’Empire est à moi. » Même lorsqu’il s’aventure jusqu’en Inde avec son armée, Alexandre, selon l’historien Pierre Briant, souhaite uniquement consolider les frontières de l’ancien empire de Darius afin d’y contrôler les routes commerciales indiennes. On l’a vu dans ses trois objectifs initiaux, si Bonaparte entreprend une campagne défensive basée sur une éventuelle négociation avec la Porte, il n’y a pas d’équivoque chez Alexandre. Contrairement à Bonaparte qui veut préserver sa position en Égypte et gagner la France par ses victoires en Orient, il n’y a aucune volonté chez Alexandre de trouver un compromis avec ses ennemis. Pour Jean Tulard, Bonaparte était trop réaliste pour se tailler un empire oriental à la façon d’Alexandre. Trop d’obstacles se dressent alors devant lui. En Syrie et en Égypte, il doit composer avec la langue, la religion et les intérêts des grandes puissances qui s’opposent à la France. Ce dernier point est d’importance, car lorsqu’Alexandre entreprend sa conquête de l’Asie, il n’a qu’un seul ennemi devant lui : Darius et son armée. Pour Bonaparte, une victoire décisive à l’image de celle remportée par Alexandre à Issus n’est donc pas possible. Lui-même ne l’envisage absolument pas. Ainsi, même l’expédition en Inde, envisagée par le Directoire après la conquête de l’Égypte afin de déstabiliser l’économie britannique, n’est pas à l’ordre du jour. En somme, si Bonaparte ne souhaite pas devenir un nouvel Alexandre et s’il n’en a pas les moyens militaires, il s’identifie volontiers à lui afin de sublimer sa propre épopée et la transformer en légende.

par Pascal Cyr, PhD Histoire, le 2 février 2017

 

Pascal Cyr 2017

Pascal Cyr est historien spécialiste de l’histoire du Consulat et de l’Empire ;

il détient un doctorat de l’Université de Montréal.

 

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7 février 2017

« Paroles de passionnés : Quentin Goncalves, coach bien-être »

Quentin Goncalves a fait ses études dans les domaines de la biologie et de l’environnement ; les questions liées à la nutrition le passionnent. Il est depuis peu coach bien-être à Lyon 7è, après s’être lancé suite à une heureuse rencontre et une bonne expérience. Il a accepté de répondre à mes questions, toutes mes questions. Une interview décontractée (retranscrite ici dans ses termes quasiment exacts) pour un article pratique et feel good, inspirant et un peu perso aussi... Merci à lui ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Paroles de passionnés:

Quentin Goncalves, coach bien-être »

Quentin Goncalves 

 

Tu te présentes en quelques mots ? L’histoire de ton rapport au sport ? À la nutrition ?

Je m’appelle Quentin, j’ai 21 ans. J’ai fait des études dans la biologie et l’environnement ; j’ai fait un DUT en génie biologique option génie de l’environnement. J’ai aussi fait une année de licence en biologie des organismes et des populations. Mon dada, avant tout, c’est la botanique, c’est les animaux, l’identification, faire des inventaires de faune et de flore... Et à côté de ça j’ai une deuxième passion, ou en tout cas un domaine dans lequel j’étais plutôt bon : la chimie, plus particulièrement la biochimie. Et puis la biologie, la physiologie végétales ou humaines, et donc la nutrition.

J’ai toujours été quelqu’un de maigre, ou plutôt de très mince. Quand j’étais adolescent, j’ai commencé à me mettre un peu à la musculation. J’ai réussi à me « dessiner » mais mon poids n’a pas vraiment bougé. Je n’ai pas pris un gramme, que ce soit de muscle ou de graisse. J’ai toujours été très mince, peu musclé. Mais durant ces quelques années de musculation, j’ai un peu gagné en force, mais pas franchement en volume, alors que mon objectif était quand même de ne plus ressembler à une simple « crevette ».

Jusqu’ici, je ne m’étais jamais vraiment intéressé à ma nutrition. En soi je ne mangeais pas « mal », pas du tout, mais j’étais vraiment concentré sur la muscu, et c’est en juin, en rencontrant l’opportunité professionnelle avec la marque Herbalife - devenir ambassadeur de la marque, « ambassadeur bien-être » comme on aime dire -, que j’ai pu optimiser ma nutrition, m’y intéresser vraiment à 100% et c’est donc à partir de ce point que j’ai commencé à sentir une différence sur mon corps. (...) Auparavant oui j’étais une crevette : 1,83m pour 63 kgs ; aujourd’hui je tourne autour de 71 kgs, grâce à ma nutrition nouvelle j’ai donc gagné entre 7 et 8 kgs.

Depuis quand es-tu coach sportif et coach nutrition ? Tu nous racontes tes premiers pas ?

Pour être précis, je ne suis ni coach nutrition ni coach sportif. Pour ça, il faut avoir fait une école, avoir le diplôme adéquat, etc. Moi je suis plutôt un autodidacte. Mon cursus me qualifie plutôt pour parler de coach en bien-être, ambassadeur en bien-être, car j’ai adopté un mode de vie sain et actif et j’apprends aux autres à faire la même chose.

Mes premiers pas : je cherchais un travail pour cette année, ayant arrêté mes études pendant un an. C’est sur les réseaux sociaux que j’ai rencontré Charlotte. Charlotte c’est ma coach, ou en tout cas elle l’a été. Aujourd’hui je me débrouille tout seul comme un grand. ;-) Elle est aussi ma sponsor au sein de la marque : c’est elle qui m’a présenté l’opportunité, qui m’a formé au début. Tout ça a commencé au mois de juin donc, époque à laquelle j’ai commencé à remettre de l’ordre dans ma vie, dans ma nutrition, dans ma façon de faire du sport... Une fois que tout ça a été opérationnel, c’est-à-dire que j’étais au point avec moi-même, que j’avais amélioré mon style de vie, alors j’ai pu commencer à m’occuper à mon tour d’autres personnes (amis, famille...) et à partir de là j’ai commencé à lancer mon activité.

Quelles sont les mauvaises habitudes que tu pouvais avoir et qui t’ont sauté aux yeux une fois que tu es entré dans cet univers, que tu as été sensibilisé à ces questions ?

Pour répondre franchement, des mauvaises habitudes dans mon alimentation, il n’y en avait pas tant que ça. J’ai des parents qui consomment beaucoup de produits locaux, qui font le marché, qui achètent souvent des produits bio, qui cuisinent beaucoup à l’huile d’olive par exemple... Donc à la base j’ai déjà une éducation qui fait que je fais attention à ce que je mange depuis longtemps. Il n’y avait pas grand chose qui clochait : je n’étais pas quelqu’un qui grignotait, qui consommait beaucoup de sucre, de gras... J’ai toujours détesté le McDo, les fast-food, etc... j’y ai peut-être mis les pieds deux ou trois fois dans ma vie.

J’ai commencé à faire attention à, par exemple, mon hydratation. Ne pas seulement boire pendant les repas, mais plutôt boire entre les repas, et arriver, à la fin de la journée, à avoir bu 2 litres (sans compter la gourde que je consomme pendant le sport).

Quentin Goncalves avant après

Maintenant j’optimise ma nutrition. Je ne mange plus de pâtes ou de riz simples, je privilégie les produits riches en fibres, etc. Et comme je suis en prise de masse musculaire, il me faut une quantité de protéines journalières bien précise. Donc je continue de consommer des produits d’origine animale, à savoir des oeufs, du poisson, de la viande, quelques produits laitiers... Mais il est vrai que, plus ça va, et plus je privilégie les protéines végétales, à savoir toutes celles issues des légumineuses (petits pois, pois cassés, soja, lentilles, etc...). C’est quelque chose que je consomme beaucoup plus qu’avant. Un changement notable dans ma nutrition donc.

Ces protéines valent les protéines animales, à quantités comparables ?

Ça dépend de quels légumes, de quelles plantes on parle. Certaines céréales par exemple contiennent beaucoup de protéines, mais en matière de qualité de protéines on ne retrouvera pas tous les acides aminés essentiels qu’on peut retrouver dans le lait ou les oeufs par exemple.

À côté de ça, il y a d’autres protéines, pas celles des céréales mais celles des légumineuses (qu’on appelle aussi dans le langage botanique Fabaceae et en alimentation « légumes secs » : petits pois, pois chiches, lentilles, cacahuètes, soja, etc...), qui peuvent potentiellement fournir tous les acides aminés essentiels à l’organisme. Le soja par exemple est une protéine simple d’assimilation qui contient tous les acides aminés. Donc, niveau protéines, c’est parfait et à la hauteur des produits d’origine animale.

Après, c’est valable uniquement à quantités comparables. C’est sûr que, pour avoir 20 grammes de protéines dans son assiette, il faudra peut-être manger plus de petits pois, de pois chiches que de viande, la viande étant plus riche en protéines que les plantes.

Et la viande, tu en es où par rapport à elle ?

C’est une question qui m’embête un petit peu, parce qu’en tant qu’écologiste et protecteur de la nature, le fait de consommer de la viande me dérange. Contre ces élevages intensifs d’animaux, etc. Manger trop de viande, trop de protéines animales, ça peut aussi être dangereux pour la santé. Ces protéines-là peuvent favoriser sur le long terme le développement de cancers, entre autres pathologies. Ce sont des protéines qu’on dit aussi « acidifiantes » pour l’organisme. Dans l’organisme, il y a un équilibre qu’on appelle acido-basique et les protéines animales ont tendance à acidifier l’organisme. Clairement donc je suis contre les protéines animales.

À côté de ça, de ces positions et idéaux, il y a mes objectifs, et donc je dois mettre un peu de côté ces pensées. Mon objectif c’est de prendre de la masse musculaire. Je le fais énormément à l’aide de protéines végétales. Mon petit déjeuner ce sont des protéines végétales, mes collations également. Dans certains de mes repas je vais aussi favoriser les protéines végétales. Mais je continue de consommer quand même, tous les jours, des protéines d’origine animale, que ce soit dans mon fromage blanc du soir, dans mes émincés de poulet, dans mon steak haché, dans mon filet de poisson, dans mes maquereaux ou mes sardines, etc... Pour atteindre mes objectifs je ne me vois pas vraiment faire sans. Peut-être qu’un jour j’arrêterai complètement d’en consommer. Pour l’instant j’en consomme plutôt pas mal.

Tu t’en passerais ?

Je ne pense pas que je pourrais vraiment m’en passer, parce que la viande c’est quelque chose que j’apprécie gustativement. Mais clairement si je pouvais j’en consommerais moins. Sachant que la viande que je consomme, c’est surtout de la viande maigre : plutôt de la volaille, ou alors de la viande de boeuf, donc riche en fer par exemple. Mais je ne suis pas quelqu’un qui aime tout ce qui est charcuterie, etc... Tout ce qui est viande de porc, tout ce qui est gras, etc, j’en consomme peu.

Quand tu regardes les gens autour de toi, ceux qui viennent te solliciter, etc... c’est quoi les mauvaises habitudes et pratiques que tu rencontres souvent ?

Je dirais que quasiment 100% d’entre elles ne prennent pas un bon petit déjeuner le matin : soit pas du tout soit elles en prennent un qui n’est pas équilibré. Or, le petit déjeuner c’est le repas le plus important de la journée, pas en termes de quantité mais plutôt de qualité : c’est vraiment le repas qui va déterminer le bien-être de toute la journée.

Autre mauvaise habitude, qu’on retrouve souvent : trop de graisse, trop de sucre ou de sel... Les gens sont trop tentés par des produits transformés par l’industrie agroalimentaire. Ils ne savent plus vraiment consommer de produits bruts. (...) Beaucoup de plats précuisinés. De ces plats sont absents pas mal de phytonutriments, de vitamines... peu de fibres. Et comme la protéine ça coûte cher, quand on achète par exemple des lasagnes surgelées, il y a souvent plus de béchamel que de viande à l’intérieur.

Le petit déjeuner que je propose moi contient douze vitamines, dix minéraux, des fibres, des protéines, juste ce qu’il faut de glucides et de lipides, le tout pour seulement 220 calories... Un repas équilibré avec peu de calories, super bon et rapide à prendre.

Le petit déjeuner, justement... Pourquoi est-il, comme on l’entend souvent, le repas le plus important de la journée ? Tu nous en dis plus (composition, difficulté et temps de préparation, coût...) sur celui que tu proposes ?

Le petit déjeuner, les Anglais appellent ça breakfast. Ça veut dire briser le jeûne qui a duré tout au long de la nuit. Le petit déjeuner c’est le repas le plus important de la journée parce qu’une journée, c’est 24 heures, et sur 24 heures il y a deux phases : une phase jour et une phase nuit. C’est durant la phase jour qu’on a le plus besoin de calories. La nuit, on brûle beaucoup moins de calories. Durant cette phase jour, on va se déplacer, on va travailler, on va faire le ménage, on va faire les courses, on va s’occuper des enfants, etc... Tout cela demande de l’énergie, et l’énergie on ne la trouve pas uniquement dans les calories. Il faut aussi les minéraux, les protéines, les vitamines... tout un assortiment de nutriments dont le corps a besoin dès le matin.

Le corps humain c’est une immense usine qui a besoin pour travailler de matériaux, de main d’oeuvre, d’énergie... Tout ça est à apparenter aux nutriments : la main d’oeuvre ce sera les vitamines, l’énergie, l’électricité sera apportée par les sucres. Et il faut pouvoir travailler de la matière, et cette matière travaillée ce sera les protéines. (...) Si par exemple la journée commence à 6h le matin, il faut que le petit déjeuner soit le repas le plus complet possible qualitativement. Sinon l’usine tourne mal, elle n’est pas assez productive : ce seront des coups de fatigue dans la journée, des problèmes de surpoids, de transit intestinal, de sommeil, une sensibilité plus grande aux blessures, au sport ou dans la vie de tous les jours...

Le petit déjeuner que je propose, il y a deux façons de le faire. Il y a la façon du samedi ou du dimanche, où on prend son temps : on va mixer des fruits avec, se faire un petit smoothie, quelque chose d’un peu plus chargé, recherché. Ça va peut-être monter à 2€ voire 3€ le petit déjeuner. Il faudra peut-être un peu plus de temps pour le préparer (dans les 5 minutes). Et il y a le petit déjeuner de la semaine, c’est le même mais on se casse moins la tête : on se lève, on shake, et c’est parti. On peut le boire au volant, dans le métro, à vélo ou dans le train... Ça prend une minute ou une minute 30, on verse son lait, son jus de fruit, on shake la Formula One (c’est le nom du petit déjeuner en question), et voilà c’est prêt...

En quoi ce petit déjeuner est-il différent du petit déjeuner traditionnel ? Dans le petit déjeuner traditionnel il y aura toujours une carence. Dans le petit déjeuner traditionnel allemand ou anglais par exemple il va y avoir de la charcuterie le matin, du fromage etc... donc ça va plutôt être salé : ils auront un apport de protéines le matin c’est clair et net. Par contre, les vitamines, les minéraux, les fibres, ça va manquer cruellement. Le petit déjeuner français ça va être plus de la viennoiserie avec par exemple un café ou un chocolat chaud. Riche donc en graisse, en sucre. À la rigueur, un fruit avec, donc quelques vitamines et minéraux, mais pas de protéines. Donc, quel que soit le pays dans lequel on se trouve, le petit déjeuner traditionnel ne sera pas complet.

Celui que je propose moi est complet. Il contient à la fois les protéines (extraites du soja ou du pois), de bons glucides (des glucides de fruit donc du fructose), de bons lipides (il existe trois types d’acides gras, là les trois sont présents, on privilégie les Omega 3 par exemple, donc de bons acides gras polyinsaturés), les fameuses vitamines (12 en tout : A, C, D, E, et toutes celles du groupe B), des minéraux et des fibres (extraites des plantes, du soja...). Ce petit déjeuner contient donc tous les nutriments dont le corps a besoin. Il est pratiquement dénué de calories, c’est-à-dire que la Formula One mélangée à du lait par exemple va revenir à 220 calories ce qui est très peu. Mélangé à du jus de fruit ce sera encore moins calorique. Et sa valeur nutritionnelle, encore une fois, est très élevée.

Au niveau du prix, pour comparer avec le petit déjeuner traditionnel français, celui que je connais le mieux, donc viennoiserie, jus de fruit et café, ce dernier revient à 3,50€ contre 2,20€ ou 30 comme je l’ai dit plus haut. Le petit déjeuner traditionnel français c’est 550 calories au lieu des 220 de la Formula One. Pratiquement aucune vitamine, pas de minéraux, surtout si on parle d’un jus de fruit pasteurisé, contre 12 vitamines et 10 minéraux dans la Formula One. Zéro protéine dans le tradi français, ou 5g à la rigueur si la personne boit un peu de lait, alors que dans la Formula One on monte à 15g de protéines. Donc la différence est nette.

Brunch

« Le brunch que j’organise régulièrement... »

Parmi les personnes que j’aide, en fonction de leur objectif, il y a deux types d’autres choses qu’elles prennent en plus du shake :

- la boisson à base d’aloe vera (l’aloe vera a beaucoup de propriétés favorables pour la peau et l’intérieur de l’organisme : des vertus hydratantes, cicatrisantes pour la peau, l’estomac... ; elle aide à digérer, notamment après les repas bien lourds et longs et le soirées bien arosées, et surtout elle favorise l’assimilation de l’eau par les cellules), rafraîchissante avec son shake ;

- la boisson instantanée à base de thé (plusieurs extraits, avec de la théine donc) et d’extraits végétaux. Cette seconde boisson est énergisante tout en étant parfaitement naturelle, et amincissante. Elle est riche je le disais en théine (aussi appelée caféine ou guaranine) ; cette même molécule stimule les cellules du corps (cellules musculaires et neuronales), cela permet d’améliorer la concentration, notamment en période d’examens ou de révision. Pour rester éveillé c’est super, et comme ça stimule les cellules ça les pousse à brûler des calories, donc c’est très amincissant. Les personnes qui veulent perdre du poids et qui me demandent de l’aide en prennent à peu près 1 litre tous les jours. D’un côté donc on a le petit déjeuner qui n’est pas calorique et donc de l’autre cette boisson rafraîchissante et asséchante.

Et les autres repas ?

Les autres repas, tout dépend des objectifs de la personne en question. D’une manière générale, c’est la règle des trois tiers : 1/3 de l’assiette en féculents, 1/3 de légumes/fruits/crudités, 1/3 de protéines (oeufs, viande ou poisson).

Le repas du soir idem, mais on aura tendance à réduire les féculents surtout quand il s’agit de perdre du poids, car la nuit on perd très peu de calories et on stocke plus... Le soir on évite particulièrement les lipides et les glucides...

Quelle répartition au sein de et entre les repas ? Quels équilibres ?

Au niveau des quantités, on dit souvent qu’il faut manger comme un roi le matin, comme un prince à midi et comme un pauvre le soir, c’est vrai : il faut éviter de manger trop lourd le soir, sinon on passe une mauvaise nuit. Moins de sucres, moins de graisse, moins de viande le soir, peut-être un peu plus de légumes...

Un exemple pour illustrer mes propos : les protéines. Moi j’ai besoin tous les jours de 140 g. de protéines. Mais notre organisme ne peut en assimiler plus de 30 g. toutes les 3 heures. Donc pour avoir mes 140 g. il faut que toutes les 3 heures j’aie un apport de protéines. On ne peut les prendre en une seule fois, par exemple au petit déjeuner, car sur les 140 g. de protéines ingurgités dans ce repas seuls 30 seront absorbés effectivement par l’organisme. Voilà pourquoi tous les repas doivent être équilibrés.

C’est valable pour les autres nutriments ?

Non ce n’est pas valable pour les autres nutriments. L’absorption des lipides et des glucides est limitée par les fibres solubles entre autres. C’est pour cette raison que les féculents complets ont un index glycémique moins élevé. Pour cette raison aussi que l’avoine complet par exemple permet de limiter les problèmes de cholestérol.

Mais l’histoire des 30 g. toutes les 3 heures concerne uniquement les protéines, le surplus pouvant entraîner des diarrhées...
Autre exemple : la vitamine C en excès est éliminée par les urines. Les déchets de protéines aussi, et c’est pour cette raison qu’il faut beaucoup boire quand on augmente son apport en protéines, afin de ne pas souffrir d’insuffisance rénale.

Les barres énergétiques, etc, on peut prendre ou on bannit ?

Les barres « énergétiques » ne sont pas à bannir. Je préfère parler de barres protéinées d’ailleurs. Tout dépendra de la marque, comme toujours il faut regarder les quantités de graisse et de sucres, qui doivent être faibles. Privilégier les barres de marque spécialement conçues pour les sportifs. Moi-même je vais consommer parfois une petite barre protéinée, quand je vais manquer de temps pour me faire une vraie collation. C’est un vrai coupe-faim avec ses 9g de protéines végétales par exemple.

Sur l’aspect forme maintenant, c’est quoi les exercices qui sont à la fois porteurs de résultats et accessibles notamment à celles et ceux qui ne sont pas très sportifs ?

Quelqu’un qui n’a jamais fait de sport et qui ne fréquente pas de salle de musculation peut solliciter ses muscles avec des exercices dit au poids de corps tels que les pompes, squat, fentes, abdo, dips et tractions. Les résultats dépendront de l’intensité et de la fréquence de l’entraînement bien sûr, de la nutrition évidemment mais aussi de la récupération post workout... et évidemment du métabolisme de chacun.

Raconte-nous un peu une journée type, lorsque tu exerces ton job ?

En fait quand on exerce ce job les journées sont rarement les mêmes. C’est difficile d’avoir une journée type. Maintenant, si je devais en décrire une, je dirais lever vers 8h, je prends mon petit déjeuner équilibré évidemment (il faut savoir que je suis mon premier client : j’ai appris à prendre soin de moi, à atteindre mon bien-être pour pouvoir le transmettre aux autres). Toute la mâtinée je vais par exemple traiter les demandes qu’on m’a adressées sur les réseaux sociaux, parce que je travaille beaucoup sur ces médias. En début d’après midi je vais aller à la salle de sport, j’y resterai peut-être 1h30 environ. L’après midi et la soirée qui va suivre, la plupart du temps ce sont des déplacements : soit des clients à domicile (j’en ai peu), soit directement au club. On y reçoit nos clients dans une bonne ambiance, dans un lieu dédié uniquement au sport et à la nutrition.

Quand j’arrive au club, c’est soit parce que j’ai des rendez-vous avec des clients (on leur fait faire des suivis pour voir l’amélioration de leurs résultats, etc...), soit pour rencontrer des gens qui ne sont pas encore clients mais qui veulent se renseigner, essayer, parce qu’on leur a recommandé le club, etc... Ils vont vouloir un bilan bien-être, un bilan corporel etc... Il y a une première partie sous forme de questions, où là j’apprends vraiment à connaître la personne, à cerner son hygiène de vie et ses habitudes, voir ce qui va, ce qui ne va pas... La personne va ensuite monter sur un impédancemètre, une espèce de balance qui envoie des influx électriques dans le corps et qui permet, par impédancemétrie justement, de connaître la composition du corps (poids, masse musculaire, masse graisseuse, masse osseuse, la graisse vicérale qui est une très mauvaise graisse, le taux d’hydratation...).

Une fois le bilan bien-être terminé, je discute avec la personne pour voir si elle est motivée ou pas. Si elle n’est pas motivée, on ne met en place aucun programme, ce n’est pas la peine. Si par contre elle est motivée et si elle en a besoin, en fonction de ses résultats et de ses objectifs (objectifs de prise de masse comme pour moi par exemple, objectifs de perte de poids, objectifs de remise en forme c’est-à-dire qu’on ne revoit pas le poids à la hausse ou à la baisse mais on cherche à gagner en énergie. En fonction donc de ces résultats et de ces objectifs, on peut mettre en place un programme à la fois nutritionnel et sportif.

Enfin, une journée type, on organise des sessions de sport. On appelle ça des fit challenges. On se retrouve tous au club, c’est-à-dire les coachs mais aussi les clients, les membres... tout le monde est invité. Et on part pour 1h de sport, qui comprend à la fois du cardio et du renforcement musculaire. On essaie vraiment de consolider les liens. On fait du sport ensemble et dans une bonne ambiance ! On se retrouve autour d’une activité commune, et moi à l’issue de cette session de sport je discute avec mes challengers, je vois un peu ce qui va et ce qui ne va pas, on fait un suivi et on avance petit à petit vers le bien-être, vers des résultats optimaux, jusqu’au Level 10 (le niveau maximum).

C’est accessible, ces cours et ces conseils ?

Déjà, au niveau des prix, on en a déjà parlé, c’est entre 1,95€ et 2,30€ le petit déjeuner, chaque jour. L’aspect accueil, justement, quand les gens arrivent, tout de suite on leur propose une boisson pour qu’ils se sentent bien etc... Ils s’installent, on discute, etc... il y a une ambiance énergique, sportive. Les gens sont bien dans leur tête, ils sont zen. Tous ces gens sont mis à l’aise, par les coachs mais aussi les autres clients. Les clients satisfaits par un programme vont pouvoir eux-mêmes accueillir d’autres personnes à leur tour. On essaie vraiment de faire disparaître cette distinction entre client et coach. Tout le monde a été client et tout le monde peut devenir coach. Le but c’est d’apprendre, d’améliorer son train de vie et ensuite d’aider les autres à en faire autant.

(...) Le prix dépend du programme. le programme c’est un peu comme une formule. On aura une formule BasicMediumMaster par exemple. Ce qui détermine le prix du programme ce sont les objectifs assignés et donc les moyens employés (quels produits ? quelles boissons ? quel petit déjeuner ?). On peut aussi inclure dans ce prix-là tout le suivi, tout le travail fait avec la personne...

Est-ce que tu es heureux du point auquel tu es parvenu, là ?

Heureux oui, mais peut-être pas satisfait complètement. Je n’ai ni patron ni compte à rendre, je fais les horaires que je veux et bosse comme je veux, donc en ce sens c’est idyllique. Je concilie job et bien-être : je prends soin de moi et quelque part je gagne de l’argent en prenant soin de moi et des autres. Je bosse avec des gens qui ont mon âge, qui partagent le même goût du sport et du bien-être... Mais il y a un hic, c’est que ça constitue un super complément de revenu, mais pas un revenu suffisant pour ne faire que ça.

Mon projet, c’est de continuer à développer ce concept. Et en attendant que ça prenne suffisamment d’ampleur, j’ai pour projet de trouver un deuxième emploi à côté, pour ensuite reprendre peut-être mes études l’année prochaine, tout en continuant en parallèle à développer le concept de coach en bien-être. Sachant que cette activité ne me prend pas en soi énormément de temps.

Justement, c’est quoi tes projets pour les mois à venir ?

Je souhaite continuer ma prise de masse, aller toujours plus loin en prise de muscle. Je veux aider plus de personnes à se remettre en forme, donc développer mon activité. Et donc trouver un petit job à temps partiel, dans la restauration, en boutique ou autre, au moins jusqu’à la rentrée prochaine...

Tes ambitions à plus long terme ?

Ouvrir des clubs un peu partout en France et développer une équipe de passionnés comme moi.

Comment t’imagines-tu dans 5 ans ?

Très bonne question... je me la pose tous les matins en me levant. J’ai des idéaux, des rêves... mais pas évident. Dans 5 ans j’en aurai 26. Donc à 26 ans j’espère être vraiment casé, avoir une relation sérieuse et durable avec quelqu’un. Être propriétaire d’une maison. Avoir un chien. Être marié, avoir une maison, un chien... à 26 ans ce serait déjà bien.

Pour ce qui est du plan professionnel, j’espère avoir mon propre club avec mes associés, un très grand club. Avoir acquis une certaine notoriété au sein de la marque et du concept que je vends. J’espère qu’à 26 ans je pourrai avoir le temps de m’occuper aussi d’autres passions comme la botanique, le jardinage... et donner aussi de mon temps en tant que bénévole à des associations de protection de la nature.

On est encore en janvier, mois des vœux, je te souhaite que tout ça se fasse... et toi, tes souhaits pour nos lecteurs ?

Je souhaite à tous les lecteurs d’avoir la santé et l’énergie dont ils ont et auront besoin pour accomplir tous leurs projets. La santé et l’énergie, voilà les deux choses essentielles à mon avis. Donc je leur souhaite la santé de fer et l’énergie du lion !

Un message pour quelqu’un en particulier ?

Je remercie Alexandra, mon amie, elle m’a fait découvrir le concept que j’ai aujourd’hui adopté. Ce concept fait corps et âme avec mon train de vie, avec ma vie tout court. Merci de m’avoir fait découvrir ce merveilleux concept.

J’aimerais aussi remercier Charlotte, ma sponsor, elle m’a montré le chemin, elle m’a aidé à bien démarrer mon activité, qu’elle me laisse aujourd’hui gérer comme je l'entend.

Quelque chose à ajouter ? Un dernier mot ?

STAY FOCUSED ON YOUR GOALS !

Fit challenge

« Nos sessions de fit challenge, deux fois par semaine... »

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30 janvier 2017

Expériences de vie : Lucas Fernandez en Angleterre

Cette publication est particulière, parce que son objet est particulier, parce que le moment est particulier, parce qu’elle porte beaucoup de choses en elle. Elle est le troisième volet d’une espèce de trilogie qui n’était pas prévue au départ mais que je suis heureux d’avoir pu réaliser, ici, parce qu’on y trouve de l’humain dans ce qu’il a de touchant, de réjouissant et parfois de douloureux ; heureux de les avoir faits sachant que ces articles, ces moments ont compté pour quelques personnes. Après « Paroles de passionnés : Lucas Fernandez et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne » (août 2016), après « Le FCGB : club de sport et de cœur » (septembre 2016), voici « Expériences de vie : Lucas Fernandez, cours d’anglais et immersion à Brighton, Angleterre ».

L’échange s’est fait le 3 janvier dans un cadre familial harmonieux (petits coucous à Estelle et à Enzo, dont les interventions imprévues augmentent encore le côté attachant de cet article), à quelques jours du vingtième anniversaire de notre protagoniste, de retour en France pour les Fêtes. Un document à écouter et à regarder plutôt qu’à lire, parsemé je le disais de petits moments fun inattendus. Un document précieux, comme les précédents, parce qu’eux au moins resteront au fil des ans. Comme des images toujours vivantes d’un moment passé. Merci à toi, Lucas, de t’être prêté à ça. It’s all about you, it’s all for you, mon poulain... ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Expériences de vie: Lucas Fernandez,

cours d’anglais et immersion à Brighton, Angleterre »

 

Lucas Fernandez

 

Tes premiers pas en Angleterre ?

Bien passé, mais il y a eu de bonnes actions, au départ. Mon école s’est trompée de famille, donc ça a un peu animé la chose... En plus, je savais pas parler anglais. Heureusement, le taxi était bien sympathique et il m’a pas mal aidé. Arrivé chez la bonne famille, j’étais fatigué. Premier jour un peu compliqué donc.

Le contact avec la famille, ça se passe bien.

 

Ton anglais, avant l’EF School ?

On va dire... que j’étais nul. ;-) J’ai eu 4 au Bac, et le niveau était bas. Quand j’étais petit, j’ai pas eu l’accroche directement avec l’anglais, par rapport à mes origines ça a plus été l’espagnol. Je trouve qu’en France les cours sont mal faits. C’est bien pour quelqu’un qui sait parler anglais, ça lui fait une culture qu’il peut développer. Beaucoup de gens comme moi se retrouvent au lycée, en terminale avec un niveau faible. Comme les coefficients ne sont pas gros, on se base pas sur l’anglais. Mais comme moi j’étais en cursus alternance commerce européen, les langues étrangères comptaient quand même. Heureusement j’ai eu 17 en espagnol. Ça a équilibré un peu mon 4 en anglais...

 

L’EF School ?

Déjà, c’est très bien situé, en bord de mer. Le cadre est beau. On a des tablettes dernier cri, des ordinateurs high tech... Les locaux sont modernes, très propres. Ça ne fait pas vraiment école, plutôt campus. Il y a le coin cafétéria, le coin canapé... C’est plus adulte. On est libres tout en étant à l’école.

L’accueil a été bon. (...) Il y a pas mal de mélanges. Beaucoup de francophones. Dès le départ, on a tendance ce qui est normal à se regrouper en fonction de notre langue d’origine. C’est une facilité, mais c’est aussi un moyen de s’intégrer plus vite. (...) Sinon, globalement très bien. Ça ne fait que trois mois, on verra la suite.

J’ai l’impression de bien progresser par rapport à mon niveau. Beaucoup grâce à l’immersion dans la famille - moi je suis en famille, pas en résidence. J’ai un très bon contact avec eux, ils sont très ouverts. On parle de sujets d’adultes, on rigole, etc... Ils sont très bien et je pense qu’ils m’ont un peu adopté comme un des leurs.

(...) La mère de famille adore la France, elle connaît quelques mots.

  

L’extrascolaire ?

Là-bas, je me suis remis au sport, après avoir arrêté pendant presque trois ans : boxe, musculation. J’ai pris du poids et j’ai retrouvé l’envie d’aller à la salle, ça ne m’était pas arrivé depuis un moment. Je suis très régulier à l’entraînement. Ça m’a permis aussi de faire des connaissances. À la salle de boxe, je parle avec des jeunes, j’apprends le langage des jeunes, ils parlent vite, ils coupent des mots, etc... comme ça se passe dans chaque pays.

(...) L’Angleterre me donne l’impression d’être un pays plus ouvert sur pas mal de choses. On ne regarde pas si tu es noir ou autre, on sent plus de mélanges. Il y a des femmes qui travaillent avec le voile. (...) On ne sent pas de pression de la police dans les rues. Peu de policiers mais beaucoup de caméras. Une autre approche.

(...) On ne se sent pas agressé. Mais dans tout ce qui est clubs, etc... ça s’est toujours bien passé.

En ville, les bâtiments, etc... ne sont pas les mêmes. Au niveau de mon club de boxe, celui de Brighton, je n’ai pas été trop dépaysé parce que c’est un peu la même que celle de mon ancien club. Que tu sois noir, blanc, etc... ils s’en foutent. Dans ce club, il y a des professionnels. C’est un autre rythme d’entraînement. Moi, je devais commencer avec les débutants, mais je me suis trompé de salle le premier jour, du coup ils m’ont mis directement avec les grands. Ils ont vu que j’avais du niveau : j’ai fait trois sparring, j’ai gagné les trois. Ils m’ont même proposé de boxer pour eux mais j’ai pas voulu, à cause des cours. En tout cas très bonne mentalité.

Les premiers jours, j’avais pas trop de discussions, après ça s’est décoincé c’est normal. Beaucoup à partir de la deuxième semaine, dès que j’ai boxé. Dès qu’ils m’ont vu boxer, ils ont vu que je me démerdais. Ils m’ont demandé si j’avais déjà boxé, où j’avais boxé... Donc j’ai raconté un peu tout ça. Les entraîneurs ne s’y attendaient pas au départ, le premier mec qu’ils m’ont mis c’était un débutant, dans sa première année de compétition. Ils ont vu direct que j’étais à l’aise et du coup ils m’ont fait rencontrer un plus grand. (...) Ils font aussi des cours de CrossFit (de la musculation cardiaque) en intensif, c’est bien pour le cardio de la boxe.

Je me suis aussi inscrit à une salle de musculation, toujours à Brighton. Les personnes sont très gentilles.

(...) Brighton c’est aussi une ville où il y a beaucoup de gays. Il y a la Gay Pride, etc. Une vraie ouverture d’esprit. À la muscu j’ai été touché par une scène. Un monsieur qui avait certainement eu un accident était paralysé ; il était blanc, c’est un noir qui l’aidait et je crois bien qu’ils étaient gays.

(...) Les gens aiment bien boire aussi. En Angleterre l’alcool est plus taxé que chez nous, et on n’a pas le droit d’en boire dehors. Pas le droit de fumer dans la rue non plus.

(...) Au niveau des achats, je me rends compte qu’en France on se fait bien taxer. Les marques américaines (Nike, Levi’s, Calvin Klein...) ça n’a rien à voir, bien moins cher là-bas.

 

Brighton ? London ?

Londres, très bien. La première fois que j’y suis allé c’était pour Halloween. À une fête. Du coup j’ai pas trop profité de la ville, on est directement allés dans le club. Mais ça m’a permis de voir un peu le monde de la nuit de Londres.

(...) Brighton, y’a de tout niveau sorties. C’est une jolie ville. Moi je suis du côté de la mer. Il y a un endroit qui s’appelle le Brighton Pier, une sorte de fête foraine. Ça fait un grand ponton, et tous les couples y vont le soir, c’est éclairé, c’est joli, ils mangent des crêpes, etc... C’est bien romantique. Il y a la grande roue, etc... c’est joli.

Je suis allé à Oxford aussi. Une jolie ville, mais ça se voit qu’elle est axée sur les études. Beaucoup d’écoles, c’est une ville sérieuse. Bien pour travailler ou, je pense, quand on a besoin de se remettre en question, d’être un peu isolé de toutes les tentations de la ville. Il y a un centre-ville mais il est petit...

 

Battle : the most beautiful girls ?

Sauvé par le petit frère. On reprend. ;-) #lover #WTF #bétisier

Personnellement je préfère les brunes, même s’il y a de très jolies blondes.

C’est un autre style de filles. Déjà en boîte de nuit elles s’habillent très court. En France, on dirait que c’est vulgaire. Là encore une question d’ouverture. (...) On voit aussi des filles bien en chair. En partie je crois parce que les personnes rondes s’assument plus, elles se cachent moins. Parce que, je pense qu’il y a moins de critiques.

 

Un ambassadeur de la France ?

Je pense que j’ai donné, expliqué une autre image de la France à ma famille. Pour un étranger souvent la France c’est magnifique, c’est Paris, il y a de l’argent, tout est beau tout est rose... Je leur ai expliqué que la France, c’est plus ça. Déjà, moi, j’ai jamais vu la France comme ça. Quand tu vis dans un pays, tu regardes les choses autrement que quand tu y vas pour les vacances. En vacances tout est toujours bien, tu y restes peu de temps. C’est comme moi, l’Angleterre j’y suis que depuis trois mois, j’en aurai une autre image à la fin de l’année.

Comme je disais à ma famille, maintenant il y a beaucoup de problèmes en France. Des choses qui ont mal été réglées, pas au bon moment. Un peu trop de liberté dans certains cas. Moi là où je m’entraîne, c’est un peu dans les quartiers, donc ma famille me dit souvent de faire attention, mais en fait les gens sont gentils, si tu les déranges pas ils te dérangent pas. En France, il y a plus de confrontations. Plus de mauvais regards, plus de critiques, de femmes qui se font agresser, etc. De plus en plus de rackets, des vols, etc. Je crois qu’en Angleterre les forces de l’ordre sont aussi plus respectées. Et les gens s’accordent moins de libertés.

 

Qu’est-ce qui te manque ?

Faux départ... #fashionista #hairstyle #bétisier

Ma famille et mes potes, déjà. Beaucoup. Avant, je partais beaucoup à l’étranger, mais là c’est la première fois que je pars aussi longtemps. Jusque là j’avais pas eu de petit coup de mou, envie de rentrer, etc... Là, le deuxième mois (novembre) ça m’est arrivé. Pendant deux week-ends j’ai pas eu trop envie de sortir. En plus, il ne faisait pas beau, et les journées sont courtes. L’hiver, il fait nuit dès 16h30. Donc ça joue sur le moral...

Là, comme je suis rentré pour les fêtes, j’ai passé du temps avec ma famille et avec mes amis, je suis resté un peu plus chez moi... (...) Je pense que la distance et cette expérience m’ont un peu ouvert pour dire les choses, parce qu’avant je m’exprimais un peu moins... Ça m’a aidé un peu à me remettre en question.

Par rapport à la France, les problèmes, les histoires pour rien du tout, ça me manque pas du tout. La mentalité des gens, etc... c’est différent.

 

Ça t’a changé ?

Oui. (...) J’ai toujours été ouvert au monde. Là je découvre encore plus la réalité du terrain. (...) Je suis quelqu’un de sociable, j’ai des amis là-bas et ça m’a aidé. Certaines personnes qui sont dans mon école et ont mon âge sont un peu moins ouvertes et ont donc eu un peu plus de mal. Certains d’entre eux sont rentrés plusieurs fois chez eux. Parfois ils sont en couple, donc il y a un manque. Aussi par rapport à la famille, etc.

Moi j’ai toujours été débrouillard. J’ai jamais eu besoin d’appeler ma mère. Et l’expérience m’a beaucoup aidé aussi à être autonome avec mon argent, à me débrouiller. Ça m’a fait grandir et prendre une maturité sur beaucoup de choses. Même sur tout ce qui est sorties, etc... Avant je sortais beaucoup. Je faisais beaucoup n’importe quoi. On se l’est dit avec mes amis d’ailleurs, qu’on a grandi... Avant on était plus des petits cons... Après, je regrette rien de ce que j’ai fait, mais voilà on s’est calmés. Autant avec les filles qu’avec les conneries.

(...) Dans dix jours j’ai vingt ans, ça me met une pression en plus. C’est là que tu commences à penser un peu à ta carrière. Il va falloir prendre un peu la réalité en face. Il y en a beaucoup qui n’ont pas cette réflexion...

 

Des messages ?

Un message global, pour mes amis qui me verront, et qui vont sûrement me charrier. Pour ma famille. Pour mes nouveaux amis, que je me suis fait à l’étranger. For my friends : thank you for these moments in England. Pour mes amis en France : merci d’être là, d’être présents. Ma famille pareil. Mon grand-père qui est en Thaïlande aussi. Voilà, message global donc, pour ma famille partout dans le monde.

 

20 ans ?

Ça me fait rien et en même temps ça me fait chier. Quand j’étais petit, avec mes potes, on disait, vivement qu’on ait 18 ans. Et là, ces deux ans, je les ai pas vu passer. 18-20, ça a été trop vite. Là, tout se passe trop vite.

 

Les deux dernières, video only...

Messages à toi-même ?

 

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15 janvier 2017

« Usage de la force et son contrôle: comparaison France-Allemagne du rôle des parlements », par Delphine Deschaux-Dutard

Delphine Deschaux-Dutard, maître de conférences en science politique à l’université Grenoble-Alpes et membre du Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE), avait à ma demande composé en décembre 2015 pour Paroles d’Actu, peu de jours après les attentats meurtriers du 13 novembre, un très intéressant article intitulé : « ONU, OTAN, UE : implications et perspectives de la sécurité et de la défense collectives après les attentats de Paris ». Treize mois après, voici une nouvelle contribution qu’elle nous livre après commun accord : un texte à haute valeur informative qui compare la manière dont les parlements nationaux de France et d’Allemagne abordent, sur le papier - constitutionnel - et dans la pratique, les questions touchant à l’usage de la force militaire et au contrôle de celle-ci. Deux démocraties libérales, voisines et partenaires, mais des fonctionnements très éloignés sur ces points ; on touche là aux institutions telles qu’elles ont été façonnées, héritage dans un cas comme dans l’autre de l’histoire récente, particulière, de chacun des deux pays. Merci, Delphine Deschaux-Dutard, pour ce document. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche

 

Bundestag

Photo : le Bundestag, la chambre basse du parlement de la République fédérale d’Allemagne.

« Usage de la force et contrôle démocratique: le rôle des arènes

parlementaires. Une comparaison France-Allemagne. »

par Delphine Deschaux-Dutard, le 10 janvier 2017

Dans un contexte de menace terroriste accrue ces dernières années, la question du contrôle démocratique des armées et de l’usage de la force militaire est devenue fondamentale dans nos États de droit contemporains, et se repose aujourd’hui avec force dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et l’implication des forces armées dans cette lutte, sur le territoire national et à l’extérieur des frontières. Ce retour de l’usage de la force ne peut donc faire l’économie d’une analyse du contrôle démocratique sur cette force, et au moment où le vocabulaire employé par les élites gouvernementales tend de plus en plus à employer le terme de « guerre » pour justifier l’usage de la force armée contre la menace terroriste protéiforme*. En parallèle, il importe d’interroger la place de l’arène parlementaire dans son rôle de contrôleur démocratique de l’institution militaire, incarnant le principe fondamental en démocratie de soumission de l’armée aux autorités politiques, dans un contexte global de technicisation des politiques publiques et d’accroissement de la coopération internationale rendant l’exercice parlementaire d’autant plus complexe qu’il tend à leur échapper partiellement.

* Selon un récent sondage Ifop, la lutte contre le terrorisme constitue le premier sujet de préoccupation des Français dans 67% des cas, mais la confiance des citoyens semble aller d’abord aux forces de police et de gendarmerie (69%) plutôt qu’aux forces armées à travers l’opération Sentinelle (39%). Sondage IFOP pour l’Observatoire des politiques publiques, « Les Français et leur sécurité », octobre 2016 (http://www.ifop.com/media/pressdocument/941-1-document_file.pdf, consulté le 8/12/2016).

Ce contrôle démocratique peut varier en fonction de son étendue, des acteurs qui le mettent en œuvre, ou encore de sa qualité ex ante ou ex post quand il s’agit de contrôler les déploiements de forces armées en opérations. L’arène parlementaire représente en effet le lieu de la démocratie le plus emblématique dans l’exercice du contrôle politique sur les forces armées à travers les compétences parlementaires sur les questions de défense, ou « war powers ».

La comparaison de deux cas, la France et l’Allemagne, permet ici d’éclairer combien deux démocraties rompues à la pratique de la coopération militaire bilatérale autant que multinationale continuent de différer en matière de contrôle démocratique de l’usage de la force. Il s’agit en l’occurrence de montrer combien le contrôle parlementaire de l’usage de la force tend à diverger dans ces deux pays, qui peuvent être présentés comme constituant les deux extrémités d’un axe allant du contrôle parlementaire souple et peu formalisé (cas français) à un contrôle parlementaire strict et formalisé (cas allemand).

L’intérêt de comparer ces deux États en particulier provient non seulement de la pratique de longue date d’une coopération militaire institutionnalisée entre eux suite au Traité de l’Elysée de 1963, mais du fait qu’en 2015-2016, ces deux Etats ont été confrontés sur leur propre sol à des menaces terroristes formalisées (attentats de Charlie Hebdo, Paris et Nice en France, faits terroristes à Munich et Ansbach en Allemagne en juillet 2016 et attentat de Berlin en décembre 2016) et ont mis en place une réflexion sur l’usage interne de la force militaire face à cette menace terroriste.

 

Des dispositifs du contrôle parlementaire en matière d’emploi de la force fortement divergents

La relation armée-autorités politiques, naturelle en France, est une relation plus pragmatique en Allemagne, où la technique de gouvernement de l’armée repose sur un asservissement idéologique de celle-ci à l’autorité démocratique par excellence : le Bundestag.

Un contrôle parlementaire ex ante sur l’usage de la force en Allemagne

Le régime politique allemand a placé au cœur de son fonctionnement en matière de défense le principe de subordination de l’armée aux autorités politiques à travers le concept d’« armée parlementaire » (Parlamentsarmee). Ce concept affirmé par la cour constitutionnelle de Karlsruhe lors de son jugement historique de 1994 levant les contradictions contenues dans la Loi fondamentale allemande concernant la question de l’usage de la force militaire et de son contrôle parlementaire a été depuis réaffirmée à maintes reprises par les gouvernements successifs. Il va de pair avec la notion de « réserve parlementaire » (Parlamentsvorbehalt) qui implique la nécessité d’approbation de l’usage des troupes allemandes par l’arène parlementaire. En effet, suite au traumatisme du IIIème Reich, l’Allemagne s’est dotée de dispositions constitutionnelles contradictoires dans la Loi fondamentale de 1949 qui ont eu pour effet de verrouiller les possibilités d’emploi de la Bundeswehr en dehors du territoire couvert par l’OTAN. La contradiction entre les articles 87a et 24 a finalement été tranchée par un jugement historique de la cour de Karlsruhe, en 1994.

« En Allemagne, il n’y a aucun "chèque en blanc"

du parlement en matière d’interventions

militaires extérieures »

Néanmoins, selon les dispositions de la Loi fondamentale, le Bundestag doit approuver à la majorité simple tout engagement de l’armée allemande dans une opération extérieure, qu’elle soit militaire ou humanitaire (article 87a). De même, toute intervention de la Bundeswehr doit immédiatement cesser si le Bundestag ou le Bundesrat le décident (article 87a). C’est ainsi bien un contrôle ex ante qui est défini en Allemagne. Le Bundestag vote d’ailleurs en détail le mandat donné au ministre de la Défense pour envoyer la Bundeswehr en opérations extérieures, y compris les lieux précis et les coûts engendrés par l’opération en question (article 3). Il n’y a donc aucun « chèque en blanc » mais au contraire un examen parlementaire scrupuleux des circonstances et des conditions du déploiement militaire extérieur.

La loi de 2005 définit également les rares exceptions permettant une procédure de contrôle accélérée et une approbation parlementaire ex post : c’est le cas des déploiements de très faible intensité, de même que les déploiements militaires rendus nécessaires par un péril imminent ou par l’existence d’une catastrophe naturelle par exemple (article 4). Ainsi si l’initiative de l’usage de la force armée revient bien au gouvernement allemand, la responsabilité repose néanmoins conjointement sur le gouvernement et sur le parlement à travers la nécessité d’approbation parlementaire préalable : certains auteurs évoquent un système de « double clef ».

Le Bundestag a ainsi approuvé entre 80 et 100 déploiements extérieurs de la Bundeswehr depuis 1994**. Le dernier vote du 10 novembre 2016 a consisté à prolonger le mandat de la Bundeswehr en Irak***. Bien entendu, les war powers du Bundestag s’étendent également aux autres domaines classiques qui composent le contrôle parlementaire des politiques de défense, telles que l’approbation du budget de la défense par exemple.

** Ce chiffre inclut les prolongations de mandat, comme dans le cadre de la participation de la Bundeswehr à la FIAS en Afghanistan ou à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime.

*** 150 soldats allemands sont actuellement déployés à Erbil, depuis l’été 2014, dans le cadre d’une opération de formation des soldats Peshmerga : environ 2000 Peshmerga sur les 11 000 concernés par l’opération ont ainsi été formés par la Bundeswher en deux ans.

« En Allemagne, les forces armées disposent de leur

propre représentant auprès du parlement »

Outre le dispositif constitutionnel et juridique, deux autres éléments renforcent la capacité de contrôle du Bundestag sur l’usage de la force armée :

  • La commission parlementaire allemande sur la Défense, dotée d’un statut constitutionnel, exerce un contrôle effectif sur le gouvernement en matière de défense (à travers son droit d’information et ses compétences d’enquête), de conseil auprès de l’assemblée plénière du Bundestag sur les questions militaires et de lien avec le représentant de l’armée allemande au Bundestag, le Wehrbeauftragte.

  • Le commissaire parlementaire aux forces armées (Wehrbeauftragte), constituant un accès direct au parlement sans équivalent en France. Celui-ci incarne un relai direct entre l’institution militaire et l’arène parlementaire, permettant à la fois un échange d’informations mais également une prise en compte des opinions véhiculées par les forces armées à travers leur représentant parlementaire.

Concernant le cas de l’usage des forces armées en interne sur le territoire allemand, la question divise la classe politique allemande depuis plusieurs décennies. La Loi fondamentale définit, outre l’emploi de la Bundeswehr pour la défense territoriale traditionnelle du pays (article 87a §2.2), des possibilités très strictement circonscrites d’emploi des forces armées allemandes en interne en cas de situations d’une extrême gravité (Notstandgesetz) pour la défense d’objectifs civils et pour des accidents extraordinaires (article 87a §3.3). Leur emploi en interne doit être approuvé à une majorité des deux tiers par le Bundestag, et la déclaration de l’état de défense (Verteidigungsfall) requiert l’approbation du Bundesrat (représentant des Länder)****. C’est donc encore ici un contrôle parlementaire ex ante qui s’applique. La Bundeswehr avait par exemple été déployée en interne lors de la crue extraordinaire de l’Elbe, de la Mulde et du Danube en août 2002. 45 000 soldats avaient été engagés dans cette mission aux côtés des forces de sécurité civile.

**** L’état de défense n’a jamais encore été invoqué en Allemagne. Un député du Bundestag nous indiquait qu’il s’agissait d’un cas extrême en donnant l’exemple d’un bombardement du Bundestag comme élément déclenchant, autrement dit un événement plus qu’improbable. Entretien à Berlin, 30/11/2016.

Plus récemment en 2015, les soldats de la Bundeswehr ont participé à l’accueil des migrants sur le territoire allemand. Ainsi, le dernier Livre blanc allemand de la Défense de 2016 rouvre la discussion sur les possibilités d’emploi de la Bundeswehr en interne, en évoquant également le cas de la lutte contre le terrorisme. Suite aux attentats de Paris et Nice, et aux attaques terroristes isolées à Munich et Ansbach à l’été 2016, la ministre de la Défense a invité à la réflexion sur un élargissement du spectre d’engagement de la Bundeswehr en interne afin de prendre en compte la responsabilité collective de l’État fédéral et des Länder dans la sécurité intérieure. Pour autant, la séparation de principe entre police et armée n’est pas remise en question dans le texte en projet.

Prééminence présidentielle et contrôle parlementaire ex post en France

« En France, sur l’usage de la force armée,

c’est l’exécutif, et non le parlement,

qui est souverain »

L’armée française constitue une institution au positionnement particulier au sein de l’État, liée à l’autorité politique suprême : le président de la République est constitutionnellement le chef des armées (article 15 de la Constitution), témoignant d’un héritage monarchique fort. Dans le cas du recours à l’usage de la force armée, le contrôle parlementaire en France ne ressemble en rien à la situation allemande. L’exécutif est en position de force et le législatif en position de faiblesse quand il est question de l’usage de la force armée. En effet, l’approbation parlementaire de l’emploi des forces militaires ex ante n’existe pas dans le système politique français. Jusqu’à la révision constitutionnelle de 2008, le parlement n’avait tout simplement aucune voix au chapitre sur la question des opérations extérieures, sauf cas particulier de la déclaration de guerre (article 35 de la Constitution). Néanmoins, le nouvel article 35 de la Constitution dispose en effet que :

« Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. »

La prudence des termes est frappante lorsqu’ils sont comparés avec les dispositions constitutionnelles allemandes. Le premier vote historique a eu lieu le 21 septembre 2008 à l’occasion de la décision de prolongement du mandat de l’armée française en Afghanistan. Depuis lors, le parlement français a pu voter sur la prolongation des interventions militaires au Mali ou en Libye notamment, sans vive polémique. La question de l’opération en Afghanistan a néanmoins révélé à partir de 2008 une fissure dans le consensus politique national autour des questions militaires. Cela n’a pour autant pas entraîné d’activisme majeur des parlementaire sur les questions militaires.

En outre, les députés français peuvent certes constituer une commission d’enquête, ou convoquer des auditions d’acteurs clefs de la défense, ce qui est fréquent dans le cadre de l’opération intérieure Sentinelle depuis 2015, mais ils ne peuvent pas convoquer directement le chef d’état-major des armées pour l’auditionner si le ministère de la Défense ne donne pas son aval au préalable. Cette faiblesse parlementaire en matière de défense est traditionnellement favorisée par le gouvernement.

Cependant, il existe plusieurs instruments qui peuvent lui permettre d’exercer non pas un réel contrôle mais plutôt un suivi des questions de défense et plus précisément de l’usage de la force :

  • Les questions orales et écrites ;

  • les parlementaires peuvent organiser un débat sur un sujet déterminé (article 50§1 de la Constitution modifiée en 2008) ;

  • ils peuvent par un vote à la majorité simple, établir une commission d’enquête sur des questions de défense (article 140 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale) et disposent, comme en Allemagne, d’une commission spécialisée. Plus précisément, la commission Défense de l’Assemblée nationale joue ici un rôle non négligeable en conduisant des auditions de hauts responsables de la défense(article 45 du règlement de l’Assemblée nationale), en étant apte à lancer une mission d’information ou d’enquête, et en produisant surtout de nombreux rapports sur les questions de défense.

  • ils effectuent des visites régulières auprès des troupes sur le terrain.

Enfin, dans le cas de l’usage de la force armée à l’intérieur du territoire national, le cas spécifique de l’opération Sentinelle mérite examen. Cette opération prend tout d’abord naissance dans un contexte juridique particulier : celui de l’état d’urgence. Proclamé par le président de la république le 14 novembre 2015 suite aux attentats de Paris, l’état d’urgence est un cadre juridique d’exception. L’opération Sentinelle est une action décidée par le chef de l’État en réaction aux attentats terroristes de janvier 2015. Cette opération est inédite et vient en complément des forces de sécurité intérieure pour renforcer la sécurité sur le territoire national. Mais elle est également une action de renforcement du plan initial, Vigipirate. Et contrairement au cas de l’état de siège défini à l’article 36 de la Constitution, aucun pouvoir exceptionnel n’est attribué aux autorités militaires dans le cadre de l’état d’urgence.

« Le parlement a son mot à dire sur la prorogation

de l’état d’urgence ; il n’exerce pas

de contrôle direct sur l’opération Sentinelle »

Le parlement doit d’ailleurs - et il l’a fait à cinq reprises depuis novembre 2015 - se prononcer par un vote sur la prorogation de cette situation juridique d’exception au-delà de douze jours. C’est donc bien le cadre juridique et non l’opération Sentinelle elle-même qui a fait l’objet d’un contrôle parlementaire. L’article 35 de la Constitution révisée en 2008 insiste sur la nature extraterritoriale des interventions militaires dont le Parlement peut être en mesure d’approuver la prorogation. De plus l’engagement des armées sur le territoire national, y compris dans le cadre du contrat opérationnel de protection, s’inscrit dans le droit commun en matière de sécurité et de défense. Le code de la défense (article L.1321-1) prescrit « qu’aucune force armée ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civile sans une réquisition légale. » Cet article rappelle ainsi le principe de séparation des pouvoirs et engendre l’absence de toute intervention du législateur.

→ Depuis le 14 janvier 2015, plus de 10 000 soldats de l’armée de Terre sont ainsi déployés sur le territoire français, à des fins de protection de la population sur le territoire français, cela sans que l’arène parlementaire n’ait eu à se prononcer sur cet usage de la force armée, ce qui serait une situation impensable outre-Rhin.

 

Des pratiques de contrôle parlementaire de l’usage de la force enracinées dans la construction historique des régimes

Les divergences de mise en œuvre des dispositifs existants, si elles révèlent quelques rares convergences, démontrent bien plus le rôle de l’historicité de la relation armée-autorités civiles dans les deux États ici considérés.

En Allemagne, l’importance accordée au parlement dans l’emploi de la Bundeswehr offre une plateforme à l’opposition politique, notamment à travers l’usage des questions au gouvernement. Les questions parlementaires peuvent d’ailleurs être adressées à un ministre en particulier, et en l’occurrence au ministre de la Défense, qui est en Allemagne le chef des forces armées. De même, chaque député peut demander l’accès à des documents ministériels concernant la sécurité et la défense (article 16).

Enfin, les députés, tant de la majorité que de l’opposition, n’hésitent pas à faire usage de l’instrument de l’enquête parlementaire en matière de défense : un quart des députés allemands peuvent demander une enquête sur n’importe quel sujet d’intérêt public (article 44 de la Loi fondamentale). Un exemple récent permet de saisir la force de l’instrument d’enquête parlementaire aux mains du Bundestag : il s’agit de l’enquête parlementaire sur le raid mené par l’OTAN à Kunduz, sur les ordres d’un commandant en Afghanistan en 2009 ; cette action avait mis en grande difficulté politique le ministre de la Défense de l’époque, Karl-Theodor zu Guttenberg. Les députés allemands, mais c’est également vrai pour les députés de la commission Défense français, font également régulièrement usage de leur droit de visite des troupes sur le terrain.

Un autre instrument offre dans la pratique une arme puissante au Bundestag : les recours devant la cour constitutionnelle : un tiers des députés du Bundestag peut déposer une requête devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe à l’encontre d’une décision d’engager les forces armées allemandes dans une opération (article 93§1.2 de la Loi fondamentale).


Un recours récent permet d’illustrer cet argument : il s’agit du recours adressé à la cour en 2007 par la fraction des Verts du Bundestag contre l’utilisation de Tornados de la Luftwaffe dans le cadre de la surveillance aérienne du sommet du G8 à Heiligendamm. L’argumentaire des Verts consistant à dire que cet usage allait à l’encontre des conditions fixées dans la Loi fondamentale a été validé par la cour constitutionnelle allemande, démontrant combien l’utilisation de la force armée en interne divise profondément la classe politique allemande. Un élargissement du spectre d’emploi interne de la Bundeswehr nécessiterait cependant une révision constitutionnelle car les conditions de l’article 87a§3.3 sont très restrictives. Or, les sociaux-démocrates et les Verts s’opposent pour l’instant à cette éventualité. Ce point de l’emploi interne de la Bundeswehr, malgré la thèse du risque terroriste en interne, est d’autant plus litigieux que la cour constitutionnelle a rendu un arrêt en 2005 sur la loi de sécurité aérienne (Luftsicherheitsgesetz) dans lequel elle interdit un emploi de la Bundeswehr contre des avions de ligne détournés par des terroristes en avançant que cela n’est pas conciliable avec le principe de dignité humaine. Et même si la ministre de l’Intérieur de Bavière avait évoqué la possibilité d’un emploi de la Bundeswehr comme soutien aux forces de police suite à l’attaque terroriste de Munich le 22 juillet 2016, cette question clive très fortement la coalition avec des conservateurs (CDU) enclins à assouplir les conditions d’emploi de la Bundeswehr en interne face à la menace terroriste, et des sociaux-démocrates, des libéraux et des Verts fermement opposés à cet argument qui franchirait une ligne rouge allemande héritée de la structuration historique du lien-armée nation dans la République Fédérale, soit la stricte répartition des tâches entre la police (responsable de la sécurité intérieure) et l’armée (responsable de la défense et de la sécurité extérieure).


Il ne faut pas occulter la dimension polémique que revêtent les questions de défense, et surtout de l’usage de la force en Allemagne. Si 77% des citoyens allemands interrogés pensent que la Bundeswehr est importante pour l’Allemagne, 71% d’entre eux perçoivent positivement la participation de la Bundeswehr à des opérations extérieures, mais 25% s’y déclarent opposés (d’après un sondage daté de 2013).

« Dans la pratique, l’exécutif fédéral allemand

ne soumettrait au vote aucun projet d’usage

de la force susceptible d’être rejeté par le

parlement ; c’est pourquoi il n’y a pas eu

d’intervention de l’Allemagne en Libye »

Fait étonnant : malgré l’incontournable approbation parlementaire ex ante, dans la réalité aucun vote négatif concernant un déploiement de la Bundeswehr en opérations extérieures n’a été enregistré depuis 1994. Cela provient de ce que le gouvernement et les députés négocient en amont : en pratique, le gouvernement allemand ne se risquerait pas à soumettre au vote un projet d’usage de la force qui n’aurait aucune chance d’être adopté. C’est d’ailleurs ce qui permet de comprendre pourquoi la chancelière a finalement refusé d’engager l’Allemagne militairement en Libye en 2011 (abstention allemande au Conseil de sécurité de l’ONU sur la résolution du 17 mars 2011).

En France, la tendance à la présidentialisation du régime sous la Vème République conduit à une exacerbation du « domaine réservé » du Président sur les questions de défense. En outre, le poids de cet exécutif par rapport à l’arène parlementaire est renforcé par l’existence d’un état-major particulier composé de trois officiers supérieurs au service du Président, ainsi que d’un cabinet militaire du Premier ministre, leur permettant d’acquérir très rapidement une palette d’options militaires à mettre en œuvre. Ainsi, dans la pratique, seuls, le Président - avec le Premier ministre, en vertu de l’article 19 de la Constitution française de 1958 - décident de l’envoi des troupes à l’étranger ou, dans le cas de Sentinelle, d’un déploiement sur le territoire français.

Une fois passé le délai de quatre mois sur le terrain pour la force déployée, ou dans le cas du vote d’une prolongation de mission, il paraît difficilement envisageable que l’Assemblée nationale puisse imaginer retirer sa confiance aux soldats engagés en opération pour tenter de punir le gouvernement. En outre, l’examen de l’ensemble des questions parlementaires démontre un usage a minima de l’instrument des questions parlementaires en matière de défense.

« Il existe en France un consensus transpartisan

solide quant aux grands fondamentaux

de la politique de défense »

Cette pratique minimaliste du contrôle parlementaire s’explique également en France par l’existence pendant de nombreuses décennies d’une forme de consensus transpartisan sur les grands fondamentaux de la politique de défense. Ce consensus a néanmoins été remis en cause par la durée de l’engagement français en Afghanistan depuis 2008 et la réintégration de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN, mais sans que cela n’ait de conséquence majeure sur le contrôle parlementaire de l’usage de la force en France. Dans un contexte post-attentats en 2015-2016, le phénomène de ralliement au drapeau de l’opinion publique française ne favorise guère l’émergence de réelles remises en cause.

Pour autant, dans la pratique, le parlement n’est pas complètement effacé : la commission Défense reste le maillon le plus symbolique du suivi parlementaire - à défaut de réel contrôle ex ante - des questions militaires, et notamment d’usage de la force. Cette commission se caractérise par la détention d’une expertise et d’un volontarisme.

En ce qui concerne l’opération Sentinelle en revanche, le parlement n’exerce guère d’autre prérogative que l’approbation des rallonges budgétaires demandées par le gouvernement en 2015-2016. Aucun débat de même type que les débats sur les opérations extérieures n’a encore eu lieu en séance plénière à l’Assemblée nationale (il n’y a d’ailleurs pas eu de vote sur ce point lors du Congrès de Versailles 16 novembre 2015). Sa dimension faiblement polémique jusqu’ici, même parmi les rangs de l’opposition, favorise cette situation inédite d’un déploiement sur le territoire français et dans la durée, sans vote majeur au Parlement.

Néanmoins, les groupes parlementaires conduisent régulièrement des débats internes sur ce déploiement militaire spécifique, et une quarantaine de députés assurent un suivi, notamment par le biais de rapports parlementaires réguliers et d’auditions du ministre de la Défense. Quelques voix discordantes tendent d’ailleurs à s’élever parmi les parlementaires, comme dans le cas de la sénatrice Leila Aichi déplorant l’absence de réel débat parlementaire d’ampleur. Cet absence de contrôle parlementaire sur le cas du déploiement Sentinelle se double d’un argumentaire politique soulignant le renforcement du lien armée-nation, en obérant ainsi toute capacité d’examen parlementaire critique à court terme, dans un contexte d’état d’urgence prolongé jusqu’aux élections présidentielles de mai 2017 au moins.

« Les différences marquées sur le contrôle

parlementaire de l’usage de la force

dans les deux pays tiennent pour beaucoup

à l’histoire particulière de l’un et de l’autre »

Ces divergences dans la mise en œuvre du contrôle parlementaire, outre la différence criante des dispositifs constitutionnels en France et en Allemagne, s’expliquent à travers la structuration historique du lien armée-autorité politique dans les deux États. Les relations entre les hauts responsables militaires et politiques en France et en Allemagne demeurent marquées par le poids de la structuration historique des liens entre institution militaire et autorités civiles. En France, l’institution militaire a assimilé les grands courants de tradition nationale, révolutionnaire et jacobine et les a intégrés avec ceux de la tradition royale et impériale. En revanche, dans le Reich bismarckien marqué par une hiérarchie sociale fermée, le statut des militaires surplombait largement celui de la bourgeoisie. Ce statut privilégié du personnel militaire sous l’empire allemand a d’ailleurs été repris et exacerbé par Hitler dans le fonctionnement du IIIème Reich. De ces deux historicités, sont nés deux types de relation entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire en France et en Allemagne : une méfiance de la sphère politique allemande envers l’armée et la construction d’une armée citoyenne et nourrie à l’instruction civique ; une prééminence de l’exécutif présidentiel sur les affaires de défense, héritées à la fois de l’appartenance du général De Gaulle à l’institution militaire et de la méfiance suscitée par le rôle joués par une partie de la hiérarchie militaire française lors de la Guerre d’Algérie, et en particulier pendant le putsch d’Alger de 1961. Ces historicités différenciées du lien armée-politique se retranscrivent aujourd’hui dans les différences marquées du contrôle parlementaire de l’usage de la force sur les deux rives du Rhin.

 

Delphine Deschaux-Dutard

Delphine Deschaux-Dutard est maître de conférences en science politique

à l’université Grenoble-Alpes et membre du Centre d’études

sur la sécurité internationale et les coopérations européennes.

 

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