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Paroles d'Actu
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17 novembre 2020

André Rakoto : « N'en déplaise à certains, nous n'en avons pas terminé avec Trump et ses idées »

La victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine, par 306 grands électeurs (et 51% des voix) contre 232 (et 47,3% des suffrages) pour le sortant Donald Trump, constitue à l’évidence un évènement majeur pour les États-Unis. Historique ? Too early to say. Ce qui est sûr c’est que, pour l’heure, derrière ce résultat, s’anime une réalité plus contrastée : un avantage net de 6 millions de voix pour le candidat démocrate, mais un recul significatif de la majorité détenue à la Chambre des représentants par le camp des vainqueurs, tandis que le Sénat restera aux mains du GOP.

De nombreuses questions se posent alors que Donald Trump (gratifié tout de même de 73 millions de bulletins de confiance), l’appareil et une partie de l’électorat républicains refusent toujours de reconnaître leur défaite, sur fond de divisions exacerbées. Décryptage, avec André Rakoto, fin connaisseur des institutions militaires américaines, au moment où s’ouvre une des périodes de transition les plus inflammables de l’histoire du pays. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL ÉLECTION AMÉRICAINE - PAROLES D’ACTU

André Rakoto: «  N’en déplaise à certains,

nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées  »

Rally for Trump

Manifestation pro-Trump. Photo : Ostap Yarysh (Voice of America)

 

André Rakoto bonjour. Quel regard portez-vous sur cette élection présidentielle américaine qui s’est soldée par la défaite de Donald Trump et la victoire de Joe Biden ? Et que restera-t-il de la présidence Trump, notamment au niveau du Parti républicain ?

un scrutin décisif

Commençons par nous féliciter que la victoire de Joe Biden permette pour la première fois à une femme, Kamala Harris, d’accéder au poste de vice-présidente, une femme de couleur qui plus est, ce qui est aussi une première. Ceci étant dit, il convient de reconnaître qu’une nouvelle fois les sondages qui prévoyaient une vague démocrate, Sénat inclus, se sont trompés. C’est d’autant plus intéressant que, contrairement à 2016, la participation au vote a été exceptionnelle. On estime que près de 160 millions d’Américains ont validé un bulletin, contre 139 millions il y a quatre ans. Compte tenu d’un écart actuellement estimé à 5 millions de voix en faveur du démocrate, l’apport de ces plus de 20 millions de votants par rapport à 2016 aura été décisif. Certes, Joe Biden sera le prochain président américain, mais très probablement sans majorité au Sénat, à moins d’un miracle en Géorgie en janvier.

«  Une leçon de cette élection : les Républicains élisent

en priorité les candidats qui sont totalement

loyaux au président et à sa politique.  »

L’autre grande leçon des élections, c’est la solidité du soutien populaire à Donald Trump avec un score de plus de 73 millions de voix au décompte actuel. Preuve est faite que le «  Trumpisme  »  va durer, avec ou sans Trump, notamment avec l’entrée au Congrès de sénateurs directement issus de cette mouvance, à l’image de Marjorie Taylor Greene, qui s’est faite remarquer, entre autres excentricités, par son adhésion à la théorie complotiste Qanon. Cela ne l’a visiblement pas empêchée d’être élue… Donald Trump a donc profondément modifié l’ADN du Parti républicain, au sein duquel les voies modérées se sont tues. Le cas du Sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham est édifiant. Compagnon de route de John McCain, il s’était publiquement moqué du candidat Trump au moment des primaires républicaines. Il a ensuite fait partie de ceux qui pensaient pouvoir manœuvrer le président après son élection. C’est à cette époque que je l’ai rencontré lors d’une visite à Paris, au cours de laquelle il était venu rassurer ses homologues français quant au fait que le tumultueux locataire de la Maison Blanche était sous contrôle. Près de quatre ans plus tard, Graham est l’un des plus fervents défenseurs de Donald Trump, sur lequel il n’exerce évidemment aucun contrôle, et c’est grâce à ce positionnement sans nuance qu’il a été réélu au Sénat malgré une opposition démocrate coriace. Le message est clair  : les Républicains élisent en priorité les candidats qui sont totalement loyaux au président et à sa politique. Donald Trump l’a très bien compris. Il aurait déjà déclaré à ses proches vouloir se représenter en 2024, et il dispose pour cela d’un comité d’action politique, «  Save America  », qui engrange pour l’instant les donations destinées à soutenir les procédures en cours contre le résultat des urnes, mais qui pourrait demain financer une campagne présidentielle. N’en déplaise à certains, nous n’en avons pas terminé avec Trump et ses idées.

 

André Rakoto avec le sénateur de Caroline du Sud Lindsey O

André Rakoto en compagnie, à sa droite,

du sénateur de Caroline du Sud Lindsey O. Graham.

 

Des troubles, voire des violences entre factions sont-ils à votre avis à craindre, au vu du climat actuel de tensions, alimenté par l’attitude disons, très discutable du président sortant ?

après les urnes, la violence ?

Les États-Unis sont politiquement très divisés, comme ils ne l’ont sans doute pas été depuis l’époque qui a précédé la guerre de Sécession, quand la question de l’esclavage avait polarisé le pays jusqu’au point de non-retour. Nous n’en sommes heureusement pas là et le spectre d’une nouvelle guerre civile agité par certains paraît plus qu’improbable, ne serait-ce que du fait de la solidité des institutions régaliennes. La grande manifestation de soutien à Donald Trump samedi n’a donné lieu à aucune vague d’incidents graves malgré la présence de nombreux militants radicaux. Et même si le limogeage récent du ministre de la Défense, Mark Esper, a fait craindre à certains observateurs une volonté d’utiliser l’outil militaire à des fins politiques, le légalisme des forces armées ne doit pas être remis en cause. Parmi la frange la plus extrême des militants qui soutiennent Trump, seuls quelques illuminés sont effectivement tentés par la radicalité, comme ceux qui ont voulu enlever le gouverneur du Michigan il y a quelques semaines. La présidence de Donald Trump a toutefois donné une visibilité inhabituelle aux milices civiles armées d’extrême droite, comme les Proud Boys, les Boogaloo Bois ou encore les Three Percenters, qui font dorénavant partie du décor dans les manifestations.

Pour ne rien arranger, l’actuel rejet du résultat des urnes par Donald Trump et par les principaux chefs républicains contribue malheureusement à entretenir parmi sa base un sentiment de révolte et de défiance vis-à-vis du système, dont on peut difficilement mesurer l’impact politique une fois que la victoire de Joe Biden aura été certifiée. Même si Trump sait qu’il a perdu, persister à ne pas l’admettre finira par avoir un coût pour sa crédibilité personnelle comme pour la réussite de la transition avec la prochaine équipe présidentielle. Les plaintes déposées par les Républicains concernent quelques centaines de voix seulement, et même si certaines aboutissent c’est nettement insuffisant pour retourner le résultat des urnes. Alors que la loi fédérale demande depuis 1963 à la General Services Administration de déterminer quel est le «  vainqueur apparent  » des élections pour pouvoir faciliter l’installation de l’équipe de transition, sa directrice nommée par Donald Trump, Emily W. Murphy, persiste à refuser d’en démarrer le processus.

«  En niant publiquement l’évidence de la défaite,

les Républicains risquent de jeter pour longtemps

le discrédit sur les institutions démocratiques

américaines auprès d’une partie de l’électorat.  »

En niant publiquement l’évidence, non seulement les Républicains renforcent la division à l’intérieur et affaiblissent le pays à l’extérieur, mais ils risquent de surcroît de jeter pour longtemps le discrédit sur les institutions démocratiques américaines auprès d’une partie de l’électorat. La conduite actuelle du président sortant est donc dangereuse à plus d’un titre, et le risque de violences au moment où sa défaite sera définitivement acquise n’est bien sûr pas à écarter.

 

Petit focus d’ailleurs, sur un sujet que vous connaissez bien. Qui se charge de la sécurité intérieure (police) aux États-Unis, et quelles sont les forces en présence ? Qu’est-ce qui dépend de l’échelon fédéral ? des États ? des collectivités locales ?

quelles forces de maintien de l’ordre ?

Aux États-Unis, la sécurité intérieure est avant tout une affaire locale gérée par près de 600.000 policiers disséminés dans 18  000 agences différentes, du bureau des sheriffs de comtés jusqu’à la police des États, en passant par les polices municipales. À titre d’exemples, le sheriff du comté de Los Angeles, qui est un élu, est à la tête du plus grand bureau avec 10.000 «  adjoints  », tandis que le chef de la police de la ville de New-York, désigné par le maire, dirige la plus grande force du pays avec 38.000 agents. Lorsque la situation se dégrade et qu’il est nécessaire de maintenir ou de rétablir l’ordre, les autorités déploient des policiers disposant d’équipements individuels et collectifs anti-émeutes. Toutefois, contrairement à la France, qui possède des forces spécialisées pour ce type de missions, en l’occurrence la gendarmerie mobile et les C.R.S., les policiers américains qui interviennent alors le font complémentairement à leurs autres tâches.

«  Le président Trump a menacé à plusieurs reprises

d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes

en invoquant la loi dite d’Insurrection, mais les conditions

légales, très restrictives, n’étaient pas réunies...  »

Ceci étant, les gouverneurs des États peuvent déployer la Garde nationale, force de réserve militaire territoriale placée sous leur autorité, pour intervenir en cas de troubles civils. En effet, l’armée fédérale n’a légalement plus le droit d’agir sur le sol américain dans un contexte civil depuis 1878. Le président Trump a menacé à plusieurs reprises d’envoyer l’armée fédérale dans les rues des grandes villes en invoquant la loi dite d’Insurrection de 1807, mais les conditions légales n’étaient pas réunies, notamment la nécessité d’une crise grave au point qu’un gouverneur demande lui-même le soutien de l’armée au gouvernement. Donald Trump a utilisé des forces de sécurité et de défense fédérales pour protéger certaines emprises administratives nationales lors des émeutes provoquées par la mort de George Floyd, mais il a dû se contenter de déployer dans les rues de sa capitale la Garde nationale de Washington, seule force territoriale habilitée placée sous son autorité.

 

L’Amérique de 2020 est-elle réellement, au-delà des discours et des postures, un pays désuni et fracturé ne s’entendant  plus, même sur l’essentiel  ? Quelle sera l’ampleur de la tâche de Joe Biden en la matière ?

une maison divisée, à quel point ?

Comme je le disais précédemment, les États-Unis sont divisés comme ils ne l’ont pas été de très longue date. Même aux pires moments de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960 ou encore de l’opposition à la guerre du Vîet-Nam à la même époque, Républicains et Démocrates avaient continué à travailler ensemble au Congrès, tandis la fracture n’était pas aussi nette au sein de l’ensemble de la population. Aujourd’hui on ne compte d’ailleurs plus les amitiés brisées ou les membres d’une même famille qui ne s’adressent plus la parole. On se croirait dans ce fameux dessin de Caran d’Ache évoquant l’affaire Dreyfus. La peur d’aborder les sujets politiques devient palpables dès lors qu’on se sent en minorité d’opinion au sein d’un groupe.

«  La polarisation est totale, exacerbée par la diffusion

constante de désinformation sur les réseaux sociaux.  »

La polarisation donc est totale, exacerbée par la diffusion constante de désinformation sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont réagi tardivement par une censure maladroite, qui a actuellement pour conséquence le départ de nombreux militants républicains vers de nouvelles plateformes non-censurées, comme Parler. L’outrance et l’inexactitude – ou les faits alternatifs, pour reprendre les termes de Kellyanne Conway – sont devenus une norme imposée par Donald Trump. Sa base est persuadée que Joe Biden va transformer les États-Unis en pays socialiste et que ce sera la fin de cette grande nation. 70% des Républicains n’ont pas confiance dans le résultat des élections, alors que les autorités de régulation continuent à affirmer que les élections ne sont pas entachées de fraude.

Joe Biden devra donc tenter d’atteindre des millions d’Américains qui vivent dans une dimension parallèle et qui s’expriment massivement sur les réseaux sociaux pour affirmer qu’ils n’accepteront jamais sa main tendue. L’autre difficulté de Joe Biden va consister à conserver l’unité de son propre camp. Entre les démocrates centristes et les plus progressistes, la synthèse ne sera pas évidente. Une des fondatrices du mouvement Black Lives Matter, Patrisse Cullors, a déjà demandé à rencontrer le futur président et sa vice-présidente, en laissant entendre qu’ils sont maintenant attendus au tournant.

 

Dans quelle mesure Biden risque-t-il d’avoir à gérer un divided government, entre un Sénat hostile et une Cour suprême conservatrice ? Ses talents de négociateurs hérités de son expérience de parlementaire l’aideront-ils à huiler la machine ?

Biden, quelles marges de manœuvre ?

Tout va dépendre des deux Sénateurs qui seront élus en Géorgie en janvier prochain. Si les pronostics qui placent les candidats Républicains en tête se confirment, Joe Biden sera alors le premier président démocrate depuis Grover Cleveland en 1885 à être élu sans avoir le contrôle des deux chambres. Lorsque Joe Biden deviendra le 46e président des États-Unis le 20 janvier 2020, il devra procéder à la nomination de près de 4.000 personnes à différents postes de la fonction exécutive. 1.200 d’entre aux requièrent l’approbation du Sénat, notamment les membres du gouvernement. La tradition voudrait que les sénateurs laissent la main au président pour nommer ses ministres, mais selon des sources proches du Parti républicain, Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et actuel président du Sénat, refusera la confirmation de ministres trop progressistes. De même, McConnell a déjà mené une politique d’obstruction quasi-systématique face au président Barack Obama, avec des résultats désastreux pour ce dernier. La route des réformes voulues par Joe Biden pourrait bien se transformer en cul-de-sac, à moins de gouverner par décrets…

«  En cas de confirmation de la majorité républicaine

au Sénat, l’attitude que choisira d’adopter Mitch McConnell,

le président de la chambre haute, sera décisive.  »

En outre, sans majorité au Sénat, non seulement Joe Biden perdrait tout espoir d’obtenir la confirmation d’un juge démocrate à la Cour Suprême, mais de surcroît il lui serait impossible de renverser l’actuelle majorité conservatrice de la Cour en réformant le nombre de juges qui la composent, au nombre de neuf depuis une décision du Congrès adoptée en 1869. Avec un Congrès favorable, Joe Biden pourrait obtenir une nouvelle décision portant par exemple le nombre de juges à treize, lui donnant ainsi l’opportunité de mettre les conservateurs en minorité grâce à la nomination de quatre juges Démocrates. Malgré tout, en dépit de l’extrême polarisation du paysage politique, l’antériorité des relations entre Mitch McConnell et Joe Biden pourraient jouer un rôle capital dans les mois à venir. Il existe entre les deux hommes une amitié ancienne qui s’est exprimée à titre privé, McConnell étant le seul sénateur républicain présent aux obsèques de Beau Biden en 2015, et à titre public, lors de négociations cruciales quand Barack Obama était président. McConnell maintiendra certainement la pression jusqu’au résultat final des sénatoriales, mais ses liens avec Biden pourraient conduire ensuite à une certaine normalisation de leurs relations.

 

Le système présidentiel américain est probablement plus équilibré (exécutif/législatif/judiciaire) que notre système français, mais plusieurs points posent perpétuellement question : les injustices induites par le collège électoral, les conséquences de la nomination politicienne et à vie des juges de la Cour suprême, et le poids croissant de l’argent en politique. Des espoirs que ça bouge un peu pour atteindre une "union plus parfaite", sur tous ces fronts ?

de la démocratie en Amérique

Cette question est une belle façon de conclure notre entretien. Effectivement, vu de France, le système des élections reposant sur un collège électoral peut paraître rétrograde, voir obsolète, tout comme la nomination des juges fédéraux à vie. Toutefois, si en France nous élisons le président par suffrage direct depuis le référendum de 1962, nos sénateurs sont encore élus par un collège électoral, quand leurs homologues américains sont directement choisis par les électeurs. L’élection du président des États-Unis par un collège électoral, qui permet la victoire d’un candidat n’ayant pas forcément réuni la majorité du vote populaire, avec à la clef des crises comme celle de 2000 entre George Bush et Al Gore, est bien sûr régulièrement remise en cause. Cependant, c’est le seul moyen d’équilibrer la représentativité entre les États fortement peuplés, comme la Californie ou encore New-York, et ceux qui le sont moins, comme le Delaware ou le Montana, dans un système où ces États sont tous égaux dans l’Union. C’est donc le recensement de 2020 qui déterminera le nombre de grands électeurs pour les élections de 2024 et 2028.

«  Clairement, la volonté de réforme qui a contribué

à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité

conservatrice qui domine la Cour suprême.  »

Quant aux juges fédéraux, deux mesures sont en réalité prévues par la Constitution pour préserver leur intégrité et les protéger de toute pression  : la nomination à vie, effectivement, mais aussi la garantie que leur salaire ne pourra être diminué au cours de leur carrière. Ces mesures leur assurent une grande liberté d’action. Cependant la nomination à vie des juges par le pouvoir du moment, comme on a pu l’observer avec Donald Trump, conduit inéluctablement au verrouillage politique des cours fédérales, avec pour conséquence des blocages sur les questions notamment sociétales. Ainsi la volonté de réforme qui a contribué à porter Joe Biden au pouvoir va se heurter à la majorité conservatrice qui domine la Cour suprême. C’est pourquoi certains Démocrates appellent maintenant à limiter dans le temps la nomination des Justices de la Cour suprême.

Enfin, le poids de l’argent dans les campagnes électorales américaines est choquant pour les Français, habitués au plafonnement des dépenses de campagnes dans un souci d’égalité et d’indépendance des candidats. Néanmoins, un sondage indiquait en 2018 que deux tiers des Américains étaient en faveur d’une limitation des contributions privées aux fonds de campagnes, jugeant l’influence des grands donateurs préjudiciable. Cependant, n’est pas forcément élu celui qui lève le plus d’argent. Lors de la campagne sénatoriale qui vient de s’achever, Lindsey O. Graham avait accumulé un retard financier tel sur son concurrent démocrate, Jaime Harrison, qu’il avait supplié en direct sur Fox News les téléspectateurs conservateurs de lui adresser des dons. Il n’a jamais comblé son retard, et pourtant il a été réélu…

En conclusion, je ne suis pas certain qu’il faille s’attendre à des réformes radicales imminentes sur ces différents sujets. Et même si Joe Biden a prévu de s’attaquer au financement des campagne, ou encore de nommer une commission pour réformer la Cour suprême, il a pris le contre-pied de nombreux élus démocrates en se prononçant pendant les primaires contre une réforme du collège électoral. Compte tenu de difficultés prévisibles avec un Sénat républicain et du contexte de pandémie qui s’aggrave de jour en jour, d’autres priorités vont certainement l’accaparer.

 

André Rakoto 2020

 

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14 novembre 2020

Mehdi Aleyan: « Un retard de prise en charge d'une pathologie cardiaque peut être catastrophique ! »

Après une accalmie sur le front du Covid-19 pendant l’été en France, les chiffres des infections nouvelles ont connu une nouvelle ascension à partir du mois de septembre, puis une flambée brutale et continue à partir de la mi-octobre. Un nouveau confinement a été décidé par les plus hautes autorités de l’État, sur le conseil de médecins et de scientifiques jugeant une telle mesure nécessaire pour limiter la propagation du virus, éviter une surcharge critique des services de réanimation et contenir un nombre de décès déjà très lourd. À l’heure où j’écris cette intro, ce chiffre atteint presque les 44.000 morts pour la France, et plus d’1,3 million dans le monde.

J’ai souhaité inviter Mehdi Aleyan, cardiologue au CHU Louis Pradel de Lyon, à nous faire part de son expérience de ces derniers mois, à nous livrer ses commentaires vus de l’intérieur, et à nous parler un peu de sa spécialité, vitale avec ou sans Covid. Je le remercie d’avoir joué le jeu, et pour ses réponses, datées du 10 novembre. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Mehdi Aleyan: « Un retard de prise en charge

d'une pathologie cardiaque peut avoir

des conséquences catastrophiques ! »

 

M

On est appelé à expertiser les patients à leur lit avec un appareil

d’échographie cardiaque que l’on trimbale partout. Avec le Covid,

les procédures d'hygiène renforcées ralentissent notre efficacité.

 

Mehdi Aleyan bonjour. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire médecine, et pourquoi vous être spécialisé dans la cardiologie ?

pourquoi la cardio ?

Bonjour Nicolas. J’ai toujours eu ce qu’on appelle une vocation pour la médecine. On est dans la phrase cliché, mais c’est la vérité ! Je me souviens que, lors de nos rentrées scolaires, dès la primaire, je répondais systématiquement que je voulais être médecin quand je serais grand. La médecine est un domaine universel : l’être humain fonctionne de la même façon que l’on soit chez nous où à l’autre bout du monde. Cette science s’applique au-delà des différences culturelles, étatiques, législatives… Et c’est ce que j’aime.

Une chose qui est assez basique mais qu’il faut souligner : pour se lancer dans une carrière médicale, il faut avant tout aimer l’Homme. Et garder à l’esprit que chaque humain doit être soigné sans aucune distinction, c’est ce qui est d’ailleurs rappelé par le Serment d’Hippocrate. On peut être amené à soigner n’importe qui, on se fiche de ses opinions, de ses actions passées, etc…
Enfin, en tant que scientifique, je reste admiratif des prouesses biologiques de la vie et de tous les systèmes qu’elle anime (êtres humains, animaux, végétaux…). Toutes ces “machines vivantes” m’intriguent et me passionnent.

La cardiologie est une spécialité qui s'intéresse aux pathologies du cœur et des vaisseaux. Le cœur, c’est le moteur de notre corps. Sans lui, rien ne fonctionne. Une erreur de diagnostic peut donc avoir de lourdes conséquences pour le patient. Je trouve que cette approche donne un intérêt immense à cette discipline. On est au cœur du problème… permettez-moi le jeu de mot.

Après 60 ans, de nombreuses personnes développent des pathologies nécessitant une prise en charge par un cardiologue. La deuxième cause de mortalité dans les pays développés est l’insuffisance cardiaque (derrière le cancer du poumon). Il y a donc un réel besoin de cardiologie pour la santé publique. J’ai donc l’impression d’être directement impliqué pour répondre aux problématiques sanitaires de notre ère, et d’essayer d’en limiter l’impact. Ne comprenez pas par là que les autres spécialités sont moins utiles. Loin de là ! Toutes les spécialités médicales sont complémentaires et dépendent les unes des autres.

 

Racontez-nous votre vécu de ces neuf derniers mois, soit, depuis la première accélération de la propagation du Covid-19 en France ? Quel regard portez-vous sur la manière dont votre profession a vécu et vit encore tout cela ?

face au Covid

Tout est allé très vite… Je travaille dans un centre hospitalier universitaire dans un service d’explorations cardiologiques où l’on réalise des bilans avant ou après un problème cardiaque (infarctus, pontage, chirurgie de valve, transplantation, arythmie…).

16 mars : nous voilà confinés face à un virus venant de Chine et sur lequel nous avons peu d’informations. Au début, on n’ose pas être trop alarmiste. On ne sait pas vraiment s' il faut porter tout temps un masque, ou uniquement si les patients sont suspects. En plus, il existe une pénurie de masques qui nous force à les économiser. Petit à petit, l’activité cardiologique programmée de mon hôpital diminue pour ne réaliser finalement que des interventions urgentes.

« J’avais l’impression qu’il y avait un grand ennemi

commun et qu’on se battait tous contre lui. »

Rapidement, on s’organise : on transforme des services de cardiologie en service “Covid”, on se rend encore plus disponible, on fait le recensement des médecins aptes à travailler en services de soins intensifs ou en réanimation. J’avais l’impression qu’il y avait un grand ennemi commun et qu’on se battait tous contre lui. C’était assez excitant à vivre. De nombreux services, hôpitaux et cliniques ont collaboré dans cette bataille. On se réunissait (en visio) chaque jour pour faire un point scientifique et sur l’état de notre hôpital. C’était une période pleine de nouveautés avec, sans cesse, de nombreux changements.

Rapidement, je suis moi-même infecté par le Covid, au début de la première vague. J’étais très frustré de ne plus pouvoir aider mes confrères dans cette bataille. J’ai eu la chance d’avoir de nombreux témoignages de solidarité et de messages de soutien de mes confrères. Une fois guéri, j’ai heureusement pu revenir au front.

Une chose qui est peu avouée : de nombreux soignants ont peur. Peur d’attraper eux-mêmes le Covid et de faire une forme sévère, car âgés de plus de 60 ans. Peur de ramener le Covid à la maison et de contaminer les proches. Peur de ne pas avoir de lit pour pouvoir hospitaliser leur patients...

C’est la première fois que je ressens cette sensation de peur, chez les soignants. Habituellement, c’est un sentiment qui n’existe pas à l'hôpital : on sait ce qu’on fait, où on va, on arrive à anticiper, on établit un pronostic… Avec le Covid, c’est le flou total. Finalement, je me dis que c’est une émotion naturelle, et qu’on reste des humains derrière nos blouses blanches et nos masques.

 

Comment ça se passe aujourd’hui, dans les coulisses des hôpitaux, après la nouvelle flambée de cet automne ? Dans quelle mesure le service dans lequel vous exercez est-il impacté ?

faire face à l’hôpital

Même si les hôpitaux ont pu apprendre de l’expérience de la première vague, cette deuxième vague a submergé le système hospitalier. Certes il y a davantage de masques et de protection mais cela ne fait pas tout.

D’un côté l’épidémie requiert l’ouverture de davantage de lits d’hospitalisation, mais de l’autre elle réduit les effectifs de soignants en contaminant le personnel. C’est un casse-tête… Tous les jours, on se bat pour trouver une place pour hospitaliser un malade.

Dans mon service, de nombreux patients auraient dû avoir une expertise cardiologique ou une intervention du cœur lors de la première vague. Cela a été décalé à l’automne : pile pendant la deuxième vague. Ces soins doivent être encore décalés et à ceux-ci s'ajoute la charge de travail habituelle. Cela demande un effort organisationnel considérable et augmente le nombre de patients dans le besoin. Dans mon service, on essaie le plus possible de ne pas tout déprogrammer, car cela peut entraîner une perte de chance pour les patients. Un retard de prise en charge d’une pathologie cardiaque pourrait avoir des conséquences catastrophiques ! C’est ce qu’on appelle les dommages collatéraux du Covid.

En plus de provoquer de nombreuses hospitalisations directement en rapport avec le virus, cette pandémie paralyse tout le reste du système de soin...

 

La région Rhône-Alpes est réputée être une des plus tendues sur le front de la crise sanitaire en ce moment, et pas mal de malades ont d’ores et déjà été transférés dans les services d’autres régions. Vous le ressentez au quotidien ?

tensions en Rhône-Alpes

En fait, je m’en suis vraiment rendu compte il y a une semaine. Un soir de garde à 2h00 du matin, une femme de 78 ans en détresse respiratoire majeure était amenée aux Urgences par le SAMU. Le médecin urgentiste avait besoin d’une évaluation cardiologique pour juger de la gravité de la patiente. D’habitude, on réalise les premiers soins dans le service des urgences puis on transfère très rapidement les patients sévères en réanimation. Or, tous les services de réanimation aux alentours (dont celui de l’hôpital où je travaille) étaient remplis. On a dû commencer les soins intensifs aux urgences, sans savoir ni où ni quand on allait pouvoir transférer cette patiente. Finalement, la place de réanimation disponible la plus proche était à plus de 150km. Du jamais vu !

C’est sur le terrain, et confronté à ce genre de situation que je me suis rendu compte de combien la situation était périlleuse. J’en profite pour partager une petite pensée de soutien pour mes confrères, et à tous les soignants qui sont aux premières lignes.

 

M

Ce masque de protection ne fait-il pas penser à un casque de chantier ?

 

On lit et on entend beaucoup que, face à ce coronavirus, les difficultés respiratoires constituent un signal d’alerte d’une forme plus grave. Est-ce qu’il y a une vulnérabilité plus grande des malades du cœur au Covid-19 ?

Covid-19 et maladies du cœur

C’est une question intéressante. De nombreuses études sont actuellement en cours sur l’interaction entre Covid-19 et les maladies chroniques des différents organes. Je pense qu’il est encore trop tôt pour définir précisément ce qu’il en est. Une chose est sûre : ce virus ne touche pas uniquement le système respiratoire.

On sait que les patients porteurs de cardiopathies sont à risque de faire des complications graves du Covid. On sait aussi que le Covid peut de façon exceptionnelle toucher le muscle du cœur (myocardite) et entraîner ainsi une défaillance sévère de la pompe cardiaque. Par ailleurs, les pathologies du cœur résultent souvent d’autres pathologies (diabète, hypertension, tabagisme, obésité…). L’infection au Covid, en déstabilisant ces facteurs de risques, peut provoquer des décompensations cardiaques. Cela ajoute un critère de sévérité dans la prise en charge.

Une autre information capitale : à cause de l’engorgement des hôpitaux, certains patients ne consultent pas. Soit par peur d’attraper le virus à l’hôpital, soit par peur de “gêner” les professionnels de santé avec des problèmes de santé non liés au Covid. On découvre alors de façon trop tardive que certains patients ont fait un infarctus à la maison, ou un AVC. Ces dernières pathologies nécessitent un traitement en extrême urgence, mais il faut avant tout que le patient appelle le SAMU ou consulte aux urgences. Les conséquences de la prise en charge tardive de ces pathologies peuvent être catastrophiques.

Par exemple, il m’est arrivé de prendre en charge un homme de 45 ans qui avait fait vraisemblablement fait un infarctus à la maison, un mois auparavant. Il m’a avoué ne pas avoir consulté plus tôt de peur d’engorger les urgences avec un problème non lié au Covid lorsqu’il avait ressenti son oppression thoracique. Résultat des courses : son coeur était dans un état critique et son pronostic bien moins bon que si on l’avait pris en charge dans des délais habituels.

« Covid ou pas, on continue de se faire soigner

et de consulter un médecin en cas de problème de santé ! »

Moralité : Covid ou pas, on continue de se faire soigner et de consulter un médecin en cas de problème de santé !

 

Quelles leçons tirer de cette grave crise sanitaire ? Est-ce que vous, quelque part, elle vous aura changé ?

des leçons à tirer

Une des principales leçons est qu’il faut que notre société soit prête à faire face à des situations de crise, aussi bien au niveau du système de santé que dans les systèmes économique, social, éducatif, etc... Si on prend du recul et qu’on s’intéresse à l’Histoire, il y a toujours eu des crises (guerres, crashs boursiers, pandémies…). Et malheureusement, l’Histoire se répète, alors autant s’y préparer !

Concrètement au niveau sanitaire, cela signifie : avoir un stock de réserves suffisant. Par cela, j’entends : un stock de protections (masques, gants…), un stock de personnels de réanimation de réserve, un stock de respirateurs, etc… Quand tout sera redevenu à la normal, je pense qu’il faudra garder une marge de manœuvre et ne pas surcharger l’activité médicale pour qu’elle puisse s’adapter en cas de crise sanitaire comme celle-ci.

Une autre leçon est qu’il faut admettre que l’on vit dans un monde globalisé. Ce qui se passe dans un pays à l’autre bout du monde peut très bien se répandre jusqu’au nôtre. C’est ce qu’il s’est passé avec le Covid venu de Chine. Il faudrait donc davantage anticiper les propagations des crises, pour être mieux préparés.

Aussi, pendant ces confinements, de nombreuses actions ou témoignages de solidarités ont vu le jour. Cela donne de l’espoir. On a beau être dans un monde de plus en plus individualiste, on peut néanmoins encore se soutenir les uns les autres.

À titre personnel, cette crise m’a fait prendre conscience que rien n’est acquis de façon définitive. Sans rentrer dans les gros clichés qu’on pourrait voir dans une émission de NRJ12 : il faut profiter du moment présent, de ses proches, de ceux qu’on aime. Il faut aussi profiter du goût des aliments et de l’odorat... tant qu’on les a !

 

Quelques conseils d’exercices simples pour prendre soin, les uns et les autres, de notre cœur, notamment quand on n’est pas trop sportif ?

savoir écouter son cœur

Pour le cœur, on prévient mieux qu’on ne guérit. Alors pour éviter d’avoir des maladies cardiaques il est conseillé de :

Bouger : prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur, aller au boulot en vélo/à pied quand cela est possible, faire un footing/du vélo d’appartement 30 min 2 fois par semaine, danser, sauter, gambader… être actif ! Certaines études démontreraient que de posséder un chien serait cardio-protecteur, car cela nous contraindrait à sortir le promener.

Manger mieux : adopter un régime méditérranéen avec du poisson et des légumes à volonté, mettre de l’huile d’olive à la place du beurre. Remplacer la viande rouge par de la viande blanche ou du poisson. Éviter les plats préparés (pleins d’acides gras saturés). Réduire sa consommation en sel, en évitant de saler systématiquement les plats. Limiter la consommation des aliments ayant peu d’intérêt nutritif (sodas, bonbons, chips, barres chocolatées…).

Arrêter la cigarette : parfois plus facile à dire qu’à faire, mais c’est primordial pour protéger son coeur. De nombreuses solutions existent (patch, gomme, e-cgarette)... On commence à se pencher aussi sur les médecines alternatives qui peuvent permettre le sevrage pour certaines personnes (hypnose, médecine chinoise, sophrologie).

Parfois, la prévention ne suffit plus et on fait un infarctus (une crise cardiaque). Cela arrive surtout chez les personnes avec des facteurs de risque (diabète, cholestérol, tabac, obésité, hypertension, hérédité), et après 50 ans. Il faut savoir reconnaître les signes : une douleur à la poitrine qui serre, qui irradie dans l’épaule et la mâchoire. Il existe d'autres présentations avec des sueurs, des essoufflements, des douleurs gastriques inhabituelles...

« Savoir reconnaître un début d’infarctus

et alerter, ça peut sauver des vies ! »

Dans ce cas, il ne faut pas attendre : on appelle le SAMU (15) et on se laisse guider. Savoir reconnaître un début d’infarctus et alerter, ça peut sauver des vies !

 

Bips

Les différents bips pour le médecin de garde...

 

Que pouvez-vous nous dire des perspectives les plus encourageantes de la recherche pour ce qui concerne votre spécialité donc, la cardiologie ?

les perspectives de la cardio

La France est un pays pionnier dans le domaine de la cardiologie. Il existe de nombreuses découvertes réalisées par des équipes françaises qui ont été exportées dans le monde entier (prothèse cardiaque, technique chirurgicale, stent…).

De nombreux thèmes de recherche sont en cours avec des perspectives d’analyses prometteuses. Je pense notamment au cœur artificiel total, qui pourrait régler le problème de pénurie de don de cœur pour la transplantation cardiaque. Le concept est d’enlever le cœur malade du receveur pour le remplacer par un cœur artificiel, et continuer à vivre normalement. Cela fait très futuriste, mais c’est un projet en cours de développement. Il s’agit là encore d’un concept français !

Un thème à la mode actuellement est l’étude de l'interaction des éléments de l’environnement (pollution, perturbateur endocrinien, additif alimentaire, etc…) sur le cœur . Mieux cibler et éviter les cardio-toxiques améliorerait la prévention des maladies cardio-vasculaire.

Il y a aussi la greffe de cellules souches pour régénérer une partie du muscle du cœur qui aurait trop souffert. Il s’agit là aussi d’une piste prometteuse...

Enfin, je pense que la génétique a encore beaucoup à nous apprendre sur le développement de certaines maladies cardiaques.

 

Un dernier mot ?

Histoire drôle : j’ai tenté de me prélever moi-même via PCR pour le Covid. J’ai pris un écouvillon et ai essayé de le passer au travers de toute ma cavité nasale. Je vous assure, ce n’est pas évident et ça fait encore plus mal... J’ai fini par passer la main à un confrère... Ne tentez pas de faire cela chez vous. ;)

 

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10 novembre 2020

« Croire en l'Amérique, rassembler le peuple américain : le défi de Joe Biden », par P.-Y. Le Borgn'

Il y a une semaine tout juste, le peuple américain se mobilisait massivement pour élire son prochain président, après quatre années d’un règne Trump clivant et pour le moins controversé. La victoire du ticket démocrate formé par Joe Biden et Kamala Harris, incertaine pendant de longues heures, s’est révélée nette, tant sur le plan du vote populaire que du collège électoral, même si de son côté, l’actuel locataire de la Maison Blanche a également été gratifié de scores impressionnants.

Ce résultat, beaucoup de gens l’espéraient, notamment parmi les progressistes, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Biden le libéral modéré succédera à Trump, le conservateur revanchard. Une chance, peut-être, de panser un peu les plaies de la division, aujourd’hui très vives en Amérique ; une chance aussi de redonner toute sa place, et toutes ses responsabilités, sur la scène diplomatique, à la plus grande puissance mondiale.

Peu après la confirmation de la victoire de l’ex-vice-président d’Obama, j’ai souhaité proposer à Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer, par un texte inédit, son ressenti et ses espoirs suite à cette élection. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté mon invitation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - SPÉCIAL USA 2020

Joe Biden et Kamala Harris

Joe Biden et Kamala Harris, discours de victoire. Photo : Carolyn Kaster/AP.

 

Croire en l’Amérique, rassembler le peuple

américain : le défi de Joe Biden

par Pierre-Yves Le Borgn’, le 9 novembre 2020

Comme bien d’autres, j’ai suivi la nuit des élections américaines le nez collé aux sites du Washington Post et de CNN. J’aime profondément les États-Unis. J’ai eu la chance d’y travailler deux années au sortir des études. Cela reste un moment de vie fort pour moi, comme une période initiatique, dont je me souviens avec émotion. Les États-Unis me sont chers par leur histoire, celle de la liberté et du droit, et aussi par leur diversité humaine. Il y a une force, une volonté, un dynamisme aux États-Unis qui ne cessent de me toucher. C’est une partie du rêve américain. Mais la vie y est dure pour des millions de gens, confrontés à la pauvreté, aux injustices, à la faiblesse de la couverture sociale et à un racisme latent dont la mort tragique de George Floyd l’été dernier aura été la plus tragique et insupportable expression.

J’ai assisté par deux fois, à Washington, à la prestation de serment d’un président américain. La première fois, c’était en janvier 1997 pour le second mandat de Bill Clinton. La seconde fois fut en janvier 2009 pour le premier mandat de Barack Obama. J’avais envie de vivre, au milieu de la foule rassemblée dans le froid polaire de l’hiver américain, ce que ce moment de ferveur que l’on voit tous les quatre ans à la télévision, au chaud depuis chez nous, était vraiment. Je m’étais acheté un billet d’avion et j’étais parti là-bas exprès. C’était très émouvant, en particulier pour la prestation de serment de Barack Obama. Je l’avais raconté en 2016 sur mon blog. La solennité de l’instant m’avait impressionné. Le sentiment de vivre un moment d’histoire était immense. Je garde précieusement le petit bonnet Obama 2008 dont je m’étais couvert.

« Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme

dépourvu de scrupules, impulsif, menteur,

narcissique, raciste, misogyne et démagogue

ait pu présider au destin de ce pays... »

Je suis heureux et soulagé que Joe Biden l’ait emporté. Sa victoire est incontestable, même si elle a pris plusieurs jours à se dessiner. Par tempérament, par sensibilité politique également, tout m’incline à suivre le Parti démocrate. J’ai aussi des amis républicains. Je conçois volontiers que l’on puisse être conservateur par conviction, économiquement et socialement. Ce que je ne puis comprendre en revanche, c’est que ceci se double d’insensibilité et de cynisme revendiqué. Or, c’est précisément cette face-là que Donald Trump a affichée pendant 4 ans. Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme dépourvu de scrupules, impulsif, menteur, narcissique, raciste, misogyne et démagogue ait pu présider au destin de ce pays, semant le chaos, dressant les gens les uns contre les autres, vivant dans le déni de la tragédie sanitaire comme désormais du résultat même de l’élection.

Aux premières heures du 4 novembre, voyant filer la Floride vers Donald Trump, j’ai cru revivre, avec angoisse le scénario de 2016. Puis la prise en compte différée du vote anticipé, en fonction des législations des États concernés, a permis peu à peu de redresser la barre en faveur de Joe Biden, jusqu’à la victoire en Pennsylvanie samedi et le gain d’une majorité absolue dans le collège électoral. Cette élection a-t-elle été volée, comme le soutient Donald Trump  ? Absolument pas. Les électeurs, dans un contexte de pandémie, ont fait le choix du vote anticipé pour ne prendre aucun risque. Ils voulaient s’exprimer et les manœuvres dilatoires du président pour leur dénier le droit de voter ou la prise en compte de leur suffrage sont indignes. Cette élection rentrera dans l’histoire comme celle qui aura vu la plus forte participation électorale  avec près de 67%, preuve de l’enjeu et de sa perception.

Joe Biden sera sans doute élu avec 306 voix sur 538 dans le collège électoral. Dans le vote populaire, lorsque le dernier bulletin de vote aura été compté, son avance excédera 5 millions de voix. Jamais un candidat démocrate n’aura obtenu autant de suffrages. Mais jamais aussi un candidat républicain n’aura reçu autant de suffrages que Donald Trump. En 2020, même battu, il compte 7 millions de suffrages de plus qu’en 2016. Cela veut dire que le trumpisme, avec toutes ses outrances, y compris dans la libération de la parole de haine, a rencontré un écho dans le pays, en particulier dans les zones rurales à majorité blanche, dans les petites villes et dans les milieux évangéliques. Donald Trump est parvenu à balayer en 2020 plus encore qu’en 2016 la ligne traditionnelle du Parti républicain, certes conservatrice sur le droit à la vie ou le port d’arme, mais modérée sur d’autres aspects.

Il faudra à Joe Biden tout le talent d’une longue vie politique, en particulier au Congrès, pour rassembler un pays divisé comme jamais. Cette victoire est d’abord la sienne. Aucun autre candidat démocrate n’aurait pu l’emporter. Son empathie personnelle, la solidité de ses propositions au centre de la vie politique et une résilience sans faille face aux circonstances inédites de cette élection ont fait la différence. Mais s’il est parvenu à reconstruire le «  blue wall  » dans les États industriels du nord-est des États-Unis, ceux-là même que Donald Trump était parvenu à arracher à Hillary Clinton en 2016, il n’a pas pour autant retrouvé la coalition Obama de 2008 et 2012, en particulier le vote latino. Donald Trump est parvenu à capter le vote des électeurs d’origine cubaine en Floride. Et le score de Joe Biden au Nevada, y est en retrait par rapport à celui de Hillary Clinton il y a 4 ans.

Joe Biden comptera sur le soutien d’une Chambre des représentants où le Parti démocrate, bien qu’en retrait de quelques sièges, reste majoritaire. Au Sénat en revanche, malgré les deux seconds tours en janvier en Géorgie, le Parti républicain devrait garder la main. Cela veut dire qu’il n’y aura d’issue que dans des «  deals  ». Ce sera jouable si la volonté de part et d’autre existe de placer le pays et son intérêt supérieur devant la politique partisane. Les circonstances le requièrent. Le rassemblement voulu par Joe Biden et la volonté de prendre en compte la parole du camp d’en face doivent y conduire. À supposer qu’une part des sénateurs républicains et autres candidats putatifs à l’élection de 2024, déjà dans certaines têtes, ait le courage de s’affranchir de l’ombre probablement bruyante de Donald Trump pour sortir avec le président Biden les États-Unis de la crise économique et sanitaire.

En appeler au patriotisme et au dépassement est le chemin que prendra Joe Biden. Là où Donald Trump n’agissait que pour son camp, Joe Biden s’adresse à tous les Américains. À l’évidence, la maîtrise de la pandémie sera sa première priorité, en particulier par le dépistage généralisé et l’accès de tous au vaccin lorsqu’il sera disponible. En parallèle viendra la relance de l’économie américaine par un plan inédit de dépenses publiques et d’investissements dans des secteurs comme l’école, les infrastructures, les programmes sociaux ou encore les énergies renouvelables. Le salaire minimal sera doublé à l’échelle fédérale. Le plan de relance visera aussi à réduire la fracture raciale et les écarts de revenus. Prolongeant l’Obama Care, un assurance santé sera mise en place au profit des quelque 28 millions d’Américains privés aujourd’hui encore de couverture maladie.

Pour nous, Européens, l’action internationale de l’administration Biden sera essentielle. Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et dans l’ensemble des organisations multilatérales abandonnées ou malmenées durant le mandat de Donald Trump. De cette Amérique-là, active et engagée, nous avons tant besoin. Pour autant, Joe Biden restera vigilant quant à la défense des intérêts américains, en particulier en termes commerciaux, et il est à prévoir que la position des États-Unis en relation à la Chine, mais également à l’Union européenne ne changera pas considérablement de ce point de vue. C’est pour cela qu’il ne faut pas surinterpréter non plus le réengagement américain sur la scène internationale. Mais une Amérique empathique, qui joue le jeu et qui reparle en bien au monde, ce sera déjà un pas considérable face aux défis de notre temps.

« En 2016, brisé par la douleur causée

par le décès de son fils, il avait renoncé.

En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé,

et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. »

Au bout d’une vie publique de près d’un demi-siècle, Joe Biden deviendra le 20 janvier 2021 le 46ème président des États-Unis. Il fut un sénateur respecté et un vice-président déterminant durant les deux mandats de Barack Obama. La vie publique est faite de hauts, de bas, de longueurs, d’espoirs entretenus et déçus, de drames aussi. J’avais été bouleversé par le livre écrit par Joe Biden après la mort de son fils Beau, Attorney General du Delaware. Son titre est «  Promise me, Dad  ». La promesse qu’attendait son fils, c’est que son père tente une dernière fois de conquérir la Maison Blanche. En 2016, brisé par la douleur, il avait renoncé. En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé, et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. Ne jamais renoncer, croire en l’Amérique, rassembler le peuple américain. C’est à Joe Biden désormais qu’il appartient d’écrire la suite de l’histoire.

 

Pierre-Yves Le Borgn' Biden

  

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9 novembre 2020

« Ces fractures révélées et amplifiées par l'assassinat de Samuel Paty », par Olivier Da Lage

Le meurtre de Samuel Paty, le 16 octobre dernier, a bouleversé la nation. Professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, il a été décapité, aux abords de son établissement, par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d’origine tchétchène. Peu avant, M. Paty avait été montré du doigt, dans un mouvement largement amplifié par les réseaux sociaux, par des activistes musulmans lui reprochant d’avoir présenté à ses élèves, lors d’un cours, des caricatures du prophète Mahomet - dont le dogme islamique rejette la représentation imagée et a fortiori, humoristique.

Ce crime a placé à nouveau au grand jour, les fractures qui traversent notre société. Avec, au cœur des crispations, la conception française, stricte, de la laïcité, le droit à la dérision et plus généralement, la liberté d’expression. De nombreux musulmans ont fait montre de leur attachement à ces valeurs, et d’autres, parfois de bonne foi, ou parfois cherchant à faire de la politique, ont exprimé leur gêne, voire leur hostilité quant à certaines libertés prises par des non-croyants avec leur religion. Il y a eu, dans le monde arabe, et au-delà, dans le monde musulman, des témoignages de soutiens, mais aussi des manifestations défiantes envers la France.

Pour faire un point, j’ai proposé à M. Olivier Da Lage, journaliste à RFI spécialiste de la péninsule arabique, une tribune libre autour de ces questions éminemment épineuses, et dont le traitement requiert une bonne dose de doigté. Je le remercie pour son texte, fin et éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Ces fractures révélées et amplifiées

par l’assassinat de Samuel Paty »

Olivier Da Lage

 

Samuel Paty

Source : SIPA.

 

Depuis le terrible assassinat de Samuel Paty devant le collège où il enseignait l’histoire et la géographie, la France est secouée par de violentes répliques, si l’on prend l’analogie sismique de ce meurtre terroriste commis au nom de l’islam.

Plusieurs chocs se succèdent et s’entremêlent  : la prise de conscience que cinq ans après les attaques contre Charlie Hebdo et celles qui ont visé le Stade de France, le Bataclan et les terrasses de l’Est parisien, la France est toujours une cible du terrorisme. S’y ajoutent la division profonde au sein de la classe politique et des milieux universitaires et intellectuels sur l’analyse des causes et des réponses à y apporter, la résurgence de réflexes xénophobes voyant dans l’immigration la raison principale de la situation actuelle et enfin, la remise en cause de l’État de droit au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Il faut y ajouter, pour être complet, que la France se sent bien seule face à l’incompréhension non seulement d’une bonne partie du monde musulman – ne parlons pas des dirigeants qui, presque tous à l’exception du président turc Erdogan, ont apporté leur soutien à la France – mais aussi du monde anglo-saxon où l’on n’a jamais véritablement compris ni admis que la laïcité à la française n’avait pas grand-chose à voir avec le sécularisme dont se réclament un certain nombre d’entre eux. Pour tout ne rien arranger, les deux conceptions de la laïcité qui s’affrontaient au début du XXe  siècle s’opposent aujourd’hui frontalement en public  : Combes d’un côté et Briand ou Jaurès de l’autre ont une descendance décidée à ne rien céder sur sa conception de ce qu’est la laïcité et surtout, de ce qu’elle ne doit pas être.

La France plutôt isolée internationalement

Le discours d’hommage à Samuel Paty prononcé devant la Sorbonne par le président de la République était parfaitement calibré pour l’opinion française et du reste, la quasi-totalité des personnalités de l’opposition l’ont approuvé. Mais on vit dans une ère mondialisée et ce qui s’adresse aux Français est entendu par d’autres, qui en fonction de leur culture, de leur histoire et de leurs croyances, ne l’ont pas reçu de la même façon.

Commençons par ce qui, à ce stade, est le plus rassurant – et ça ne l’est pas vraiment  : la campagne internationale contre la France, qui évoque à la fois celle de 2004, suite à l’adoption de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école (en réalité, le foulard islamique). À l’époque, chefs d’État et de gouvernement, y compris des alliés de la France, rivalisaient de condamnations pour se montrer les meilleurs défenseurs de l’islam, comparés à leurs voisins et adversaires. Même chose, en plus grave, après la fatwa prononcée en 1989 contre Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny. Les pays sunnites n’avaient pas voulu laisser le monopole de la condamnation des Versets sataniques à l’Iran chiite et, s’ils n’avaient pas à leur tour appelé publiquement à tuer l’écrivain britannique, ils ne s’étaient pas non plus dissociés de cet appel.

Rien de tel cette fois-ci. Même si plusieurs pays arabes du Golfe, le Maroc ou l’Iran ont condamné la republication des caricatures de Charlie Hebdo représentant Mahomet, tous ont pris soin de condamner le meurtre de l’enseignant et plusieurs ont apporté publiquement leur soutien à la France contre les violences terroristes qui se sont produites à la suite. Les seules exceptions notables de dirigeants en fonction ayant choisi de réserver leur condamnation à la France en tant que telle sont le président turc Recept Tayyip Erdogan et le Premier ministre pakistanais Imran Khan.

«  Il faut comprendre que parfois, les opinions

publiques du monde islamique se dissocient largement

de leurs dirigeants, voire les associent au monde

occidental dans un même opprobre.  »

C’est rassurant, mais loin d’être suffisant. À force d’assimiler de façon simpliste les pays musulmans à leurs dirigeants, un grand nombre de leaders d’opinion négligent le fait que l’opinion publique du monde islamique s’en dissocie largement, voire associe leurs dirigeants et le monde occidental dans un même opprobre. Il faut suivre avec attention les manifestations d’ampleur qui ont eu lieu au Bangladesh et au Pakistan. En 1989 aussi, c’est dans le sous-continent indien qu’avait débuté la contestation, relayée ensuite dans la diaspora indo-pakistanaise en Angleterre, puis alors seulement dans le monde arabe.

De même, le ferme soutien apporté par plusieurs dirigeants occidentaux (mais pas tous  !) ne saurait dissimuler le fait que beaucoup sont mal à l’aise devant ce qui apparaît comme un soutien officiel de l’État en France à la publication de dessins qui blessent profondément les musulmans. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau ne s’est pas caché pour le dire explicitement et Paris a reçu ses déclarations comme une trahison. Mais si elle fait l’effort de regarder alentour, la France ne peut que constater son isolement sur cette question. La conviction que le modèle laïque français est supérieur à tous les autres est peut-être une consolation, mais bien insuffisante pour faire face aux difficultés politiques et diplomaties à venir.

Ce serait plus facile si la société française était soudée pour faire face à ces multiples défis.

Unie, elle l’a été quelques heures, jusqu’à ce que certaines personnalités, notamment l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls et ses proches, ne rejettent la responsabilité de l’action terroriste de ce jeune Tchétchène sur ceux qui l’ont à leurs yeux rendu possible, à savoir les «  islamo-gauchistes  » et tous ceux qui, par leur déni de réalité, ont fait le lit de la progression islamiste en France.

Sur l’utilisation du mot «  islamisme  »

Avant de revenir sur ces divisions françaises, il peut être utile de s’arrêter quelques instants sur cette notion d’islamisme. Ceux qui y recourent aujourd’hui y mettent des significations très différentes qui n’ont souvent pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Le mot a une histoire et elle a son importance.

Pour résumer, dans la bouche de nombreux responsables politiques et journalistes, il est désormais synonyme de terrorisme. C’est un contresens et le moment est sans doute venu de rappeler l’origine du mot. Depuis la fin du XIXe  siècle et jusqu’aux années 80, il était souvent indifféremment utilisé pour parler de l’islam et de ses adeptes. Les choses changent après la révolution islamique iranienne. À l’époque, pour désigner les partisans de l’ayatollah Khomeiny en Iran, au Liban et ailleurs, les journalistes recourent fréquemment à l’expression  : «  intégristes musulmans  ». Or, ce terme fait directement référence à l’Église catholique et à la dissidence de Mgr  Lefebvre. C’est un non-sens. Pour éviter ce travers, certains choisissent alors d’utiliser à l’instar des anglophones le terme «  fondamentalistes  ». C’est un autre contresens, puisque tout musulman profondément croyant se considère comme un fondamentaliste, ce qui ne fait pas de lui un extrémiste pour autant  : cela signifie seulement qu’il croit fondamentalement aux principes de sa religion, ni plus, ni moins. Donc, ni intégristes, ni fondamentalistes, comment qualifier ces extrémistes se revendiquant de l’islam en tant que projet politique aux régimes en place dans le monde musulman  ?

«  Pour mieux comprendre une réalité, il convient

d’être précis sur les termes : un fondamentaliste

n’est pas forcément un extrémiste, et un extrémiste

pas nécessairement un terroriste.  »

C’est alors qu’un certain nombre d’islamologues français, issus de différentes disciplines et par ailleurs rarement en accord entre eux sur d’autres sujets, proposent un adjectif de rechange  : «  islamistes  ». Pour ces chercheurs, voici ce que signifie «  islamistes  », et rien d’autre. Parmi eux se trouvent des conservateurs bon teint, plus rarement des révolutionnaires, d’autres sont des extrémistes et au sein de ces derniers, sans nul doute, des terroristes, mais il n’y a pas d’équivalence sémantique. Un certain nombre de journalistes, sensibilisés par ces chercheurs (je suis du nombre), à leur tour, reprennent ce terme dans l’acception qui est la leur. Le mot commence à se diffuser dans la société.

Une vingtaine, peut-être une trentaine d’années durant, c’est le sens qu’il conserve. Toutefois, après les attentats du 11-Septembre 2001, son utilisation va rapidement changer de sens et glisser vers sa signification actuelle, liée au terrorisme. Il est désormais utilisé indifféremment pour désigner des personnes qui croient à l’islam en tant que projet politique dans leur pays (du monde arabo-musulman), ceux qui veulent modifier la société européenne au sein de laquelle l’islam est minoritaire, et aussi ceux qui projettent et commettent des attentats terroristes. Employer sans différencier «  islamistes  » pour caractériser des gens et des projets si différents n’aide ni à comprendre, ni à répondre, ni à combattre ces projets. Cela engendre de la confusion et rien d’autre.

«  Islamo-gauchisme  » contre «  islamophobie d’État  »

Le meurtre de Samuel Paty par un terroriste se revendiquant de l’islam a aussitôt donné lieu à la mise en cause simultanée des «  islamistes  » de toute nature avec la volonté affirmée du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de donner un coup de pied dans la fourmilière, voire d’«  envoyer des messages  » à des personnes et associations n’ayant rien à voir avec l’enquête. L’annonce précipitée de la dissolution de plusieurs associations, dont le CCIF, pose de nombreuses questions qui ne sont pas seulement juridiques, quoique cela ne soit pas négligeable, depuis que le Conseil constitutionnel a érigé en 1971 des barrières élevées pour protéger le droit d’association. Il n’est pas besoin d’approuver les buts d’une association ni d’estimer ses dirigeants pour lui reconnaître le droit à l’existence, du moins dans un État de droit. Si le Conseil d’État devait déclarer illégales pour insuffisance de preuves la dissolution d’associations présentées comme favorisant le terrorisme, ce serait un mauvais coup porté à la lutte contre celui-ci. Il faudra attendre l’épuisement des recours pour le savoir, mais les juristes proches du gouvernement semblent peiner pour étayer une décision prise dans l’urgence, pour ne pas dire la précipitation.

La dénonciation du terme «  islamophobie  » est un autre élément à charge  : outre que les historiens ont fait litière de l’affirmation péremptoire de Caroline Fourest selon qui le mot a été forgé par les mollahs iraniens pour interdire toute critique de l’islam (en fait, on retrouve le mot dans des ouvrages datant des premières années du XXe  siècle), ce même terme est employé en anglais et dans bien d’autres langues sans que cela provoque le même émoi qu’en France et désigne couramment non pas la «  peur de l’islam  », mais l’hostilité aux musulmans (tout comme l’homophobie n’est pas la peur de son semblable, mais la haine à l’encontre des homosexuels). Et puisque le débat actuel fait remonter à la surface la participation de politiques de gauche (LFI, EELV, PCF) et de syndicalistes à la Marche contre l’islamophobie organisée le 10  novembre 2019 par un collectif d’organisations dont, entre autres, le CCIF, il n’est pas inutile de rappeler que l’appel a été lancé à la suite de la fusillade contre la mosquée de Bayonne quelques jours auparavant et dans le contexte de l’émotion que cette attaque avait alors suscité, bien au-delà des musulmans français.

Vient enfin l’accusation d’«  islamo-gauchisme  », qui a ceci de particulier qu’elle vise des personnes qui, dans leur écrasante majorité, ne sont ni musulmanes, ni gauchistes, aux fins de disqualifier leur parole. Les islamo-gauchistes seraient des marxistes attardés ayant oublié la dénonciation de l’opium des peuples et ayant remplacé le prolétariat par les musulmans, nouveaux damnés de la terre pour des porteurs de valise en mal de décolonisation à soutenir. Cette vision caricaturale serait risible, si elle n’était portée par des personnages aussi importants que le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Éducation nationale qui s’en prend aux milieux universitaires avec une telle virulence qu’il s’est attiré une réponse cinglante de la Conférence des présidents d’université. La lutte contre l’«  islamo-gauchisme  » semble donc être devenue une priorité politique de l’État et de ses plus hauts représentants, même s’il est exact qu’à ce jour, le président Macron s’est bien gardé de reprendre publiquement cette expression à son compte. Parallèlement, des tribunes d’universitaires réputés pourfendent également, tout aussi publiquement, ceux de leurs collègues soupçonnés de faiblesse pour l’«  islamo-gauchisme  ».

«  Les uns crient à l’ "islamophobie d’État", les autres

ont inventé un nouveau maccarthysme ayant remplacé

le communisme par l’ "islamo-gauchisme"...  »

En retour, ceux ainsi désignés se rebiffent et mettent en cause, pour les uns une «  islamophobie d’État  », pour d’autres, ou pour les mêmes, un nouveau maccarthysme ayant remplacé le communisme par l’«  islamo-gauchisme  ».

La même violence a cours dans le monde des médias. L’universitaire dénonce l’universitaire, le journaliste dénonce le journaliste. C’est le concours Lépine des solutions simple à un problème complexe (le terrorisme) dont tous les spécialistes, quel que soit leur positionnement par ailleurs, s’accordent à dire qu’il est là pour longtemps et qu’aucune solution miracle ne le fera disparaître rapidement.

À ce stade de la réflexion, il est bien difficile de parvenir à une conclusion optimiste. Sur le plan international, on peut penser, en s’appuyant sur les expériences passées, que les tensions liées à l’affaire des caricatures finiront par se calmer, si du moins, certains ne remettent pas une pièce dans le bastringue à intervalle régulier pour faire la démonstration que le prix à payer pour considérer que nous sommes libres et non en état de soumission à l’islam.

En ce qui concerne la société française, le mal est en réalité beaucoup plus profond. Pourtant, jamais dans le passé, on n’avait vu autant de responsables musulmans, du recteur de la mosquée de Paris aux mosquées régionales en passant par le président du CFCM s’exprimer publiquement pour non seulement dénoncer les attentats terroristes, mais affirmer haut et fort le droit à la caricature, même si elle choque les sensibilités. Sans doute aurait-il été utile que ces affirmations viennent plus tôt. Le fait est qu’elles ont été relayées avec une relative discrétion par les médias. Cependant, à tort ou à raison, une grande partie des musulmans de ce pays ont le sentiment que la laïcité n’est invoquée que pour s’en prendre aux musulmans et que les autorités se précipitent au secours des catholiques et des juifs chaque fois qu’ils sont menacés, mais que les musulmans, pour ce qui les concerne, sont sommés de faire preuve à chaque fois de leur républicanisme, même lorsque les cibles sont musulmanes.

Quant au discours politique, il semble inscrit dans une dynamique que l’on voit à l’œuvre dans de très nombreux pays  : lorsque l’économie va mal, a fortiori avec une épidémie que les mesures gouvernementales ne parviennent pas à maîtriser, le seul champ lexical qui reste pour mobiliser une population est celui de la dénonciation de l’ennemi intérieur qui, de façon délibérée, ou parce qu’il se comporte en «  idiot utile  » de ce dernier, aide l’ennemi extérieur à s’en prendre à la communauté nationale. Ce regain de nationalisme, qui n’a pas grand-chose à voir avec le patriotisme, n’unit pas la nation  : il la divise en excluant, à la plus grande satisfaction de ceux qui, ayant toujours tenu ce discours, attendent désormais d’en recueillir les fruits, par exemple lors de la prochaine présidentielle en 2022.

par Olivier Da Lage, le 3 novembre 2020

 

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5 novembre 2020

Trump et le monde, un bilan par Nicole Vilboux

À l’heure où j’écris ces lignes, les résultats complets de l’élection présidentielle aux États-Unis ne sont toujours pas connus, et il est à prévoir qu’il ne seront pas définitifs avant un moment, si les procédures judiciaires prennent le pas sur le processus électoral. En l’état, on s’achemine vers une victoire relativement serrée au niveau du collège électoral de l’ex-vice président démocrate Joe Biden face au président républicain sortant Donald Trump.

Quel que soit le nom de celui qui, le 20 janvier, prêtera serment devant le Capitole, intéressons-nous un instant au bilan du président sortant dans le domaine qui, sans doute, nous concerne le plus : la politique étrangère. Il y a un peu plus de quatre ans, alors que la campagne Clinton-Trump battait son plein, Nicole Vilboux, analyste spécialisée dans la politique de sécurité des États-Unis et chercheur associé à la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS), avait accepté mon invitation de dresser pour Paroles d’Actu les enjeux du scrutin sur les plans diplomatique et stratégique. Cette année encore, quelques jours avant l’élection, je l’ai sollicitée pour quelques questions et ses réponses, fort instructives, me sont parvenues le 4 novembre. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

TRUMP ET LE MONDE : UN BILAN

Un entretien avec Nicole Vilboux.

 

Kim Trump

Rencontre entre Kim Jong Un et Donald Trump, le 12 juin 2018. AFP

 

La politique étrangère menée par l’administration Trump a-t-elle été globalement fidèle aux orientations annoncées par le candidat Donald Trump en 2016 ?

En politique extérieure comme sur les questions intérieures, le candidat Trump s’est fait élire en 2016 sur un programme de rupture avec les orientations prises par ses prédécesseurs. D’abord, Barack Obama, perçu par les Républicains comme un président faible et indécis, ayant renoncé au leadership des États-Unis et amoindri leurs capacités de défense. L’objectif annoncé était donc de «  rendre sa grandeur à l’Amérique  », essentiellement en soutenant la restauration de la suprématie militaire et en affichant une plus grande fermeté à l’égard des ennemis (l’Iran), des rivaux (la Chine) mais aussi des alliés récalcitrants. Dans le même temps, Donald Trump entendait mettre un terme aux engagements militaires hérités de la présidence Bush et de ses projets idéologiques de transformation du Moyen-Orient.

Malgré la brutalité et les improvisations caractérisant le style présidentiel, l’administration Trump a effectivement mené une révision de la politique extérieure cohérente avec son approche réaliste des relations internationales. Elle rompt avec le «  mythe de l’ordre international libéral  » fondé sur l’extension inéluctable de la démocratie et les bienfaits de la mondialisation économique. Pour le président Trump (et les auteurs de la stratégie de sécurité nationale de 2017), le contexte actuel exige une politique  :

  • Fondée sur la défense des intérêts nationaux plutôt que sur la promotion de valeurs  ;

  • Appuyée sur l’entretien de la supériorité militaire nécessaire pour assurer la sécurité nationale face aux puissances rivales, mais dont l’utilisation doit être limitée à la préservation des intérêts majeurs et non à «  faire la police dans le monde  » (D. Trump à West Point en 2020)  ;

  • Donnant la priorité aux relations entre États au détriment des institutions internationales  ;

  • Et plaçant le principe de «  réciprocité  » au cœur des relations avec les partenaires, signalant que les États-Unis n’entendent plus fournir de garantie de sécurité «  gratuitement  », ni signer d’accord de libre-échange qui ne leur semble pas équitable. 

Cette ligne directrice a été suivie tout au long du mandat et est confirmée lors de la campagne de 2020.

 

Quel bilan tirez-vous de ce mandat s’agissant des succès et des échecs diplomatiques des États-Unis, de la solidité de leurs alliances et de leurs positions commerciales, et de la stabilité du monde ?

L’action diplomatique américaine a été compliquée par les initiatives et prises de position incontrôlées du président, de même que par l’affaiblissement du Département d’État, victime de la méfiance de Donald Trump à l’égard de l’establishment de Washington.

Par ailleurs, ce mandat a surtout été celui de la remise en cause de traités signés par les États-Unis, qu’il s’agisse des accords de Paris sur le climat, de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou du traité d’interdiction des armes nucléaires de portée intermédiaire (FNI de 1987). Si ces décisions ont suscité de vives critiques des partenaires des États-Unis, elles sont considérées comme des succès par les experts conservateurs, qui jugeaient ces traités inefficaces et défavorables aux intérêts américains actuels.

Toutefois, la présidence Trump restera marquée par l’ouverture diplomatique audacieuse vis-à-vis de la Corée du Nord, succédant aux menaces de guerre. L’approche adoptée a certes suscité des inquiétudes chez les alliés régionaux et aucun progrès tangible n’a finalement été obtenu, le régime nord-coréen continuant même à développer ses capacités balistiques. Mais cet échec, qui n’a pas été suivi d’une remontée des tensions, peut aussi être considéré comme la reconnaissance «  réaliste  » de la part des États-Unis de l’impossibilité de parvenir à une dénucléarisation négociée. La prochaine administration, quelle qu’elle soit, ne pourra que prendre acte de la nécessité de vivre avec une Corée du Nord nucléaire.

Un autre processus de négociation controversé a été mené à terme par l’administration Trump, en Afghanistan. Poursuivant son objectif de retrait des forces, le président a engagé des discussions directes avec les Taliban, aboutissant à créer les conditions d’une sortie «  honorable  », quels que soient les doutes sur la viabilité à long terme des dispositions de l’accord.

Finalement, le Président Trump a pu terminer son mandat par une victoire diplomatique unanimement saluée aux États-Unis. Faute d’avoir pu proposer un grand plan de paix pour le Proche-Orient, il a présidé à la signature d’un accord important de normalisation des relations entre Israël, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn («  Abraham Accords  »), ce qui conforte en outre la coalition régionale contre l’Iran.

L’approche unilatéraliste de l’administration Trump, renforcée par la prédilection du président pour les relations fondées sur les affinités personnelles plutôt que sur les considérations stratégiques, a créé des difficultés avec certains partenaires, tandis que d’autres ont compris comment faire valoir leurs positions directement auprès de Donald Trump  : ce fut le cas pour le Japon sous la direction de Shinzo Abe, pour la Pologne ou la Turquie. Si l’on ajoute l’insistance du président à «  faire payer  » aux alliés la protection américaine, cela a clairement contribué à remettre en cause la conception traditionnelle d’alliances qui seraient fondées sur des valeurs et des intérêts de sécurité communs. Même si le discours institutionnel continue de souligner l’importance des partenaires, c’est la contribution de ces derniers aux objectifs de Washington qui détermine l’attention qui leur est accordée.

Pour certains observateurs, la dissolution des alliances pourrait aller plus loin en cas de second mandat. Les divergences entre Européens sur l’attitude à adopter seraient amplifiées et pourraient conduire à la paralysie de l’OTAN, si ce n’est à un désengagement formel des États-Unis (qui reste toutefois difficile à envisager du point de vue de la stratégie de défense). En Asie-Pacifique, les difficultés de renégociation des conditions de la présence américaine en Corée du Sud pourraient aussi aboutir à un retrait plus ou moins conséquent.

De tels changements constitueraient des ruptures claires avec le rôle de garant de l’ordre international, que les États-Unis ont souhaité conserver après la fin de la Guerre froide et qui est toujours jugé indispensable par une majorité de la «  communauté stratégique  ». Le renoncement des États-Unis à assumer les responsabilités d’une nation spéciale, pour se focaliser sur leurs intérêts particuliers, est en effet majoritairement perçu comme une erreur stratégique dans un monde où s’affirment d’autres puissances capables de rivaliser avec les États-Unis.

 

Dans quelle mesure estimez-vous que la crise sanitaire mondiale que nous vivons actuellement rebat et va rebattre les cartes de la géopolitique ?

La crise sanitaire a exposé d’une manière générale les vulnérabilités des pays occidentaux et conforté les tendances au repli national, au détriment de la coopération internationale. C’est le cas de manière particulièrement criante aux États-Unis, où la crise économique provoquée par la pandémie va réduire les moyens et les ambitions sur la scène internationale, alors que l’aggravation des fractures sociales affaiblit encore le «  modèle  » sur lequel reposait en partie le leadership américain.

D’un autre côté, la crise a définitivement placé la rivalité avec la Chine au cœur des préoccupations des États-Unis et cette compétition est devenue l’enjeu déterminant pour l’évolution de «  l’ordre international  ». Un certain nombre de pays, notamment en Europe, ont aussi pris conscience des risques de l’interdépendance avec la Chine et peuvent être plus sensibles aux initiatives américaines pour contrer l’influence de Pékin.

 

À quels grands défis diplomatiques le président investi le 20 janvier prochain devra-t-il faire face, et qu’est-ce qui, en la matière, va se jouer le 3 novembre ?

Le premier défi pour une administration démocrate serait de restaurer l’image d’une Amérique fiable et attentive à ses partenaires pour retrouver leur soutien, tout en poursuivant la réduction des engagements extérieurs afin de recentrer les efforts sur la restauration des bases de la puissance, dans les domaines économique, technologique et social. La possibilité de concilier une attitude plus ouverte avec la poursuite de la compétition stratégique avec la Chine serait un second défi de taille.

Pour une seconde administration Trump, la situation serait plus simple, puisqu’elle pourrait poursuivre la réorientation entreprise et que les adversaires comme les partenaires devraient reconnaître que la politique des États-Unis est désormais définitivement régie par la logique «  America First  », ce qui serait sans doute plus facilement acceptable par les premiers que par les derniers.

 

Nicole Vilboux

  

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19 juillet 2020

Eric Teyssier : « La thèse de l'esprit de jouissance coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940 »

Il y a 80 ans, en juillet 1940, les pleins pouvoirs venaient d’être confiés au Maréchal Pétain tandis que s’ouvrait à Vichy, siège du nouvel « État français », une des pages les perturbantes de notre histoire nationale. On parle beaucoup, en connaissant plus ou moins lépoque, de ce gouvernement de collaboration avec - et en partie contraint par - l’occupant nazi, mais tellement peu finalement de la bataille de France qui a précédé ces développements. Parce que oui, même si au bout ce fut la défaite, et même une défaite traumatisante, on s’est battu, et même plutôt bien battu, avec honneur et parfois héroïsme, côté français, en mai et en juin 1940. S’il y a des responsabilités à rechercher du côté des militaires, et clairement il y en a, il semble falloir regarder du côté du commandement, ou plutôt du haut-commandement.

Je suis heureux de vous proposer aujourd’hui, sur ce thème, une interview avec l’historien Éric Teyssier, qui a publié en début d’année L’an 40 : La bataille de France (Michalon), un roman passionnant qui nous raconte, dans toute sa complexité, ce que représenta, côté français, pour les militaires de terrain, pour les civils des régions du nord, et pour les dirigeants politiques et militaires, cette tragédie des mois de mai et juin 1940, qui n’était décidément pas écrite par avance. Je vous recommande chaleureusement cette lecture et remercie M. Teyssier pour sa collaboration. Je dédie cet article à la mémoire de mon ami Bob Sloan, disparu il y a un mois tout juste : il était passionné d’Histoire et notamment de cette histoire-là, bien qu’Américain, et surtout, un homme délicieux. Nicolas Roche

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS 1940

Éric Teyssier: « La thèse de l’"esprit de jouissance"

coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940... »

L'an 40

Des reconstituteurs de l’armée française de l’association France 40.

 

Éric Teyssier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, qui porteront sur votre roman L’an 40 : La bataille de France (Michalon, 2020). On vous connaît principalement pour vos écrits et vos activités (reconstitutions historiques notamment) sur les époques Révolution, Premier Empire, et surtout Rome antique. Pourquoi avoir choisi, ici, d’écrire sur ces mois de mai-juin 1940, parmi les plus tragiques de notre histoire ?

pourquoi l’an 40 ?

En fait deux films anglo-saxons récents sont à l’origine de ce roman, Les heures sombres et Dunkerque. Dans les deux cas, il est question de la bataille de France mais sous un angle exclusivement britannique. Les Français y sont présents mais comme des silhouettes dans l’arrière-plan d’un drame où seuls les Anglais semblent vouloir se battre. Bien sûr, beaucoup de Français, parmi ceux qui connaissent encore leur Histoire, ont été choqués et l’ont dit. Pour ma part, j’ai apprécié ces deux films et je me suis dit qu’il ne fallait pas faire le reproche aux Anglais de raconter leur Histoire de leur point de vue mais qu’il incombait aux Français de faire valoir le leur. C’est pour cela que j’ai pris ma plume. 

 

Cet ouvrage, dont on sent bien qu’il vous tient à cœur, vous le dédiez, je reprends vos mots, « aux 58 829 soldats français morts au combat, et aux 21 000 civils français tués pendant les 45 jours de la bataille de France, pour ne pas oublier leur courage et leur sacrifice ». L’idée centrale de ce roman, c’était de raconter ces heures sombres, mais aussi vous l’indiquiez à l’instant d’expliquer, par l’exemple, que oui, elles ont aussi été héroïques de la part de Français, là où on ne conçoit, trop souvent, que le rouleau compresseur allemand écrasant la France sans résistance ? N’a-t-on pas même oublié qu’on s’est battu, en 40 ?

la France combattante

Oui, on a très vite oublié le sacrifice de ces héros et il y a depuis un « french bashing » entretenu sur ce point dans le monde anglo-saxon et, il faut bien le dire, par certains Français qui éprouvent un plaisir masochiste à dénigrer systématiquement leur propre histoire. Il faut dire que l’exemple vient de loin avec Céline qui décrivait la drôle de guerre et la Bataille de France par une formule à l’emporte-pièce : « Neuf mois de belote, six semaines de course à pieds ». S’il a en partie raison pour la belote, l’ancien combattant de 14 se trompe pour la course à pied. En effet, les fils des poilus de 14 se sont bien battus. Il se sont parfois sacrifiés avec un courage d’autant plus étonnant qu’ils luttaient au milieu de l’effondrement moral des élites et de la population qui s’enfuyaient sur les routes de l’Exode.

 

GP Teyssier

Mon grand-père Adrien Teyssier devant son char Renault FT17.

 

Quelle est votre part personnelle, familiale, j’ai envie de dire « intime », dans cette histoire de la campagne de France, de l’Exode, de l’effondrement de l’État, et de l’Occupation ? Quels souvenirs forts vous ont été transmis par vos aïeux, vos proches, et dans quelle mesure avez-vous été habité par cette mémoire-là ?

histoire familiale

Je suis né dix-sept ans après la fin de la guerre, mais j’ai eu l’impression de la vivre par procuration. Mon père avait dix ans en 1944, et j’ai eu la chance de grandir en étant entouré de mes quatre grands parents qui avaient connu et parfois fait la seconde guerre mondiale, et même la première pour mon grand-père paternel. Le sujet revenait souvent sur le tapis et comme je suis tombé tout petit dans le chaudron de l’Histoire, je n’arrêtais pas de les questionner. Il y a beaucoup de leurs récits dans ce roman et cela m’a donné l’envie d’en rechercher d’autres, car rien ne vaut la réalité qui dépasse toujours, et de loin, la fiction.

 

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, dans le détail de leur être, chacun de vos personnages. On suit le déroulé du récit, entre mai et juillet 40, à travers les destins de l’équipage (aux origines sociales et géographiques très variées) d’un char d’assaut français, de la famille d’un de ses équipiers vivant à Dunkerque, et du haut-commandement politique et militaire de la France et du Royaume-Uni. Comment s’est opéré votre travail de documentation, que l’on devine très conséquent ? Où est le vrai, où est le romancé chez tous ces personnages, dans tous ces moments de vie ?

écrire un roman historique

L’historien précède toujours le romancier chez moi. Je suis donc parti de mes connaissances sur la période car je l’enseigne à l’université de Nîmes. J’ai ensuite approfondi en relisant les mémoires des décideurs que j’avais dans ma bibliothèque. Cependant, ces derniers ont à cœur de justifier leurs actions passées et ont souvent un point de vue « personnel » sur les évènements. Je suis donc allé chercher à l’échelon juste au-dessous, chez les chefs de cabinets. Ces derniers ne sont pas des politiques, mais plutôt des serviteurs de l’État. Ils ont souvent pris des notes au jour le jour et ont publié leurs mémoires plus tard, parfois même après leur mort. Je pense notamment à Roland de Margerie, le conseiller diplomatique de Paul Reynaud qui est une source de renseignements et d’anecdotes étonnantes.

Pour l’aspect militaire, je suis allé du côté des journaux de marche des bataillons de chars. Pratiquement toutes les actions vécues par mon équipage de B1 bis correspondent à des fait d’armes réellement vécus par des équipages français. Ces exploits montrent à quel point ces soldats se sont battus avec courage. Pour les civils, il y a aussi de nombreux témoignages, mais j’ai également eu recours à la presse qui donne à voir la façon de présenter les choses au jour le jour à une population déboussolée, et souvent terrifiée par l’idée que des centaines d’espions étaient parmi eux pour préparer l’invasion, la fameuse « cinquième colonne ». Parmi les sources, l’hebdomadaire Match est très intéressant car il était très lu à l’époque. Bref, au total c’est un roman très historique, où tout ce qui n’est pas strictement authentique est parfaitement vraisemblable.

 

B1 Bis

Le char B1 Bis L’Eure, dont l’histoire a en partie inspiré mon roman.

 

On est surpris effectivement, quand on vous lit, par la combativité de l’équipage du Stonne (éléments vous le disiez inspirés de faits réels), et par la puissance de leur char français, un B1 bis qui semblait n’avoir pas grand chose à envier aux panzer allemands. On est effaré, surtout, quand on découvre, suivant les routes de la débâcle, des chars et des avions flambant neufs dans des dépôts.

Nous parlerons choix politiques dans un instant mais pour vous, s’agissant des opérations de terrain, la faillite, c’est d’abord celle du commandement militaire, de la doctrine défensive statique, de Gamelin ? Est-ce qu’avec un De Gaulle (qui portait depuis longtemps l’idée d’unités mécaniques cohérentes), un Huntziger, ou même un Weygand comme généralissime dès septembre 39, les choses auraient été bien différentes ?

les choix de Gamelin

De Gaulle n’est qu’un simple colonel jusqu’à la fin mai 1940. Personne ne l’imagine à la tête de l’armée en 1940, pas même lui. Huntziger n’aurait pas fait mieux que Gamelin, il commandait les troupes stationnées dans la région de Sedan le 10 mai 1940… avec le succès que l’on sait. Weygand, malgré ses 73 ans aurait eu plus de mordant que Gamelin qui était un général de salon, qui doit surtout sa place à ses accointances avec le ministre Daladier. Malgré tout, il est difficile de dire s’il aurait changé le cours de l’Histoire.

En tout cas, il est probable que Weygand aurait conservé une masse de manœuvre en réserve derrière la ligne de front. Cette réserve stratégique existait. En l’occurrence, il s’agissait de l’excellente VIIe armée du général Giraud. Placée en réserve à Reims, elle aurait pu barrer la route à la percée de Guderian. Mais au lieu de ça, en avril Gamelin l’a envoyé dans la région de Lille pour aller soutenir… la Hollande. C’est ce qu’elle tentera de faire, en vain. Cette décision aberrante aurait dû valoir le peloton à Gamelin, le pire généralissime que la France aura connu dans sa longue histoire militaire.

 

Quel regard portez-vous, comme historien connaissant bien les batailles, la vie et la mort des empires, sur les causes profondes des succès foudroyants de l’Allemagne nazie au printemps 1940 ? Faut-il pointer une politique diplomatique et militaire des démocraties ayant manqué d’audace dans la seconde moitié des années 30, parce que trop empreinte de pacifisme ? Un esprit de jouissance l’ayant emporté sur l’esprit de sacrifice, d’après le mot de Pétain ? Ou bien tout simplement, et avant tout, comme le défend François Delpla, l’excellence du coup allemand ?

les raisons de la défaite

Pas plus que pour la chute de l’empire romain, il n’y a une cause unique pour la défaite de la France en 1940.

Pour comprendre les choses, il faut surtout garder en mémoire l’effroyable saignée causée par la guerre de 14-18. Huit millions de mobilisés pour quarante millions d’habitants et 1,4 millions de morts sur les huit millions de mobilisés… Le « plus jamais ça » n’était pas dû à la couardise des Français ou à « l’esprit de jouissance » mais à la conscience du fait que le pays ne pouvait pas se permettre une autre hécatombe de ce genre. De là vient « l’esprit Maginot ». De l’autre côté du Rhin les choses étaient différentes. Le désir de revanche, une natalité forte, une armée remise à neuf et Hitler, tout cela portait un peuple de 80 millions d’individus vers la guerre. Pour autant l’historiographie a liquidé l’idée de « l’esprit de jouissance ». La France se réarme dès 1937 et consacre la même part de son budget à l’armement que le IIIe Reich, mais l’Allemagne est plus riche et plus peuplée.

Cependant, une autre cause est moins souvent évoquée : la méfiance de l’Angleterre vis-à-vis de la France victorieuse. Londres qui se méfie d’une France redevenue la première puissance militaire mondiale en 1918. Très vite le naturel antifrançais revient au galop. Deux exemples parmi d’autres illustrent cet état d’esprit chez nos voisins d’outre-Manche. En 1935, les Britanniques autorisent unilatéralement l’Allemagne à reconstruire une flotte de guerre égale à un tiers de la Royal Navy. Cette trahison donne pleine satisfaction à Hitler qui peut ainsi considérer que le traité de Versailles est mort et enterré. Le second exemple se passe en 1938 à propos de la Tchécoslovaquie. Les Tchèques ont une excellente armée et des lignes de défenses solides. Face aux appétits d’Hitler, Daladier serait prêt à la guerre pour défendre notre alliée d’Europe centrale, mais il ne peut y aller seul sans l’appui britannique. Hélas, Chamberlain fait confiance au Führer et refuse de soutenir les Français et les Tchèques. Préférant « l’apaisement » à la guerre, il signe les accords de Munich en septembre 1938. C’est Churchill qui voit clair dans cette affaire avec sa formule : « Vous avez préféré le déshonneur à la guerre, vous aurez le déshonneur et la guerre ». On connaît la suite, un an plus tard, l’Histoire lui donne raison.

Enfin, il faut aussi tenir compte de l’extraordinaire culot de Guderian qui va bien au-delà du plan allemand en fonçant devant lui en profitant de la situation. Plus que l’état-major allemand, c’est lui qui emporte la décision, grâce à un coup d’œil et une audace d’une efficacité rare dans les annales de l’histoire militaire.

 

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Deux éléments de détail, mais cruciaux, que j’aimerais développer avec vous...

Premier point : Comment expliquez-vous l’ordre donné par Hitler à Guderian de stopper net sa course triomphale vers Dunkerque, rendant par la même le ré-embarquement quasi-miraculeux de plus de 330 000 soldats britanniques et français ? Crainte réelle de s’exposer dangereusement ? Volonté par le Führer d’affirmer son statut de chef suprême ne goûtant que modérément les initiatives personnelles ? Voire gage de bonne volonté envers Londres pour faire flancher le cabinet britannique ? 

Dunkerque

Le gage de bonne volonté est un mythe forgé par Hitler lui-même après coup. Sa volonté de s’imposer face à ces junkers prussiens que le « caporal de Bohème » déteste pourrait être une explication, sauf que dans ce cas précis, Hitler se rallie à la prudence que prêche les généraux de son état-major. Je pense en fait, qu’Hitler a eu peur de son propre succès dont l’ampleur n’a été prévu par personne. Il a aussi peur d’une réaction des alliés. En cela les réactions des Français à Stonne et à Montcornet ou des Anglais à Arras, ont joué leur rôle. Même si elles n’ont pas été suffisantes pour freiner l’invasion, elles ont semé le doute dans l’esprit d’Hitler. L’ancien combattant de la première guerre connait la valeur de ses adversaires et il redoute un nouveau miracle de la Marne. Aussi joue-t-il la prudence en permettant, malgré lui, le miracle de Dunkerque. Ce dernier est aussi dû à l’échec de Goering qui lui avait assuré que la Luftwaffe pourrait noyer l’armée anglaise dans une mer de sang. Il est également dû à la résistance héroïque des Français qui retiennent les Allemands pendant une semaine autour de Dunkerque. Une résistance qui a fait dire aux Allemands qu’ils avaient devant eux les dignes héritiers des défenseurs de Verdun.

 

Deuxième point : Dans votre récit, la comtesse Hélène de Portes, maîtresse du président du Conseil Paul Reynaud, est omniprésente et fait lourdement pression, jusqu’au harcèlement, sur son amant à bout de nerfs, pour lui faire accepter une demande d’armistice. A-t-elle été pour vous, un acteur décisif de ces temps des plus troublés ?

le cas Hélène de Portes

Difficile de dire si elle a été décisive, mais sa petite musique a toujours joué en faveur de l’armistice à tout prix auprès du faible Reynaud. Ce dernier a passé ces semaines tragiques entre volonté de combattre et désir d’abandon. Et la musique lancinante de sa maîtresse a scié les nerfs du versatile chef du gouvernement français. De toute évidence, Reynaud n’était pas l’homme de la situation. En tout cas, la comtesse est si omniprésente que tous les témoins, Churchill, de Gaulle, Weygand, de Margerie, Villelume… parlent d’elles dans des termes souvent cinglants. Tous, sauf un, Reynaud, qui ne cite même pas son nom dans l’épais volume de ses mémoires. Un silence qui ressemble à un aveu…

 

Weygand devenu généralissime a beaucoup reproché aux Britanniques d’avoir économisé leurs forces, et surtout leurs avions, là où des contre-attaques efficaces pouvaient encore, selon lui, être engagées. Ont-ils pensé trop tôt à l’étape d’après, la défense de leurs îles, ou bien leur décision fut-elle clairement la bonne au vu de la situation déjà très compromise sur le territoire français ?

la part des Anglais

Cette histoire constitue une tragédie grecque où tout le monde à raison. Weygand a raison de reprocher aux Anglais de se replier vers Dunkerque alors qu’il espère encore contre-attaquer. Il a raison d’exiger une aide massive de la R.A.F. au moment où l’aviation française, malgré le courage de ses pilotes, est submergée. Mais Weygand arrive trop tard à la tête des armées alliées. Le 16 mai, l’impression donnée par Gamelin, encore généralissime, est désastreuse. Il n’a pas de plan de contre-attaque, pas de réserve et surtout aucune volonté de combattre. C’est un spectateur passif de l’effondrement et le pouvoir politique hésite encore à le chasser. À partir de là, pour Churchill, la messe est dite. Il faut sauver ce qu’il peut de ses trop rares soldats et sauvegarder la R.A.F. pour tenter de défendre son île. La suite lui a donné raison, mais l’impression d’abandon ressentie par les Français a fait le lit de la demande d’armistice, et donc de Pétain.

 

J’aimerais votre sentiment sur cette question : imaginons un instant que Paul Reynaud soit resté à la barre, après le 16 juin, que le gouvernement ait choisi de continuer la lutte, de partir pour l’Afrique, voire d’aller effectivement vers l’union franco-britannique. Est-ce que ça aurait pu marcher ? Qu’est-ce que ça aurait changé ?

no surrender !

C’est une question qui me tracasse depuis longtemps et mon opinion à varié suivant les époques et mes lectures. Dans mon livre, c’est une question qui est au cœur des débats entre les responsables civils et militaires. C’est pour moi l’occasion de donner les arguments des uns et des autres sans pour autant trancher ce débat. Un débat qui ne le sera jamais car on ne peut pas refaire l’histoire. 80 ans après, mon avis personnel est qu’au moment de l’armistice, les faits donnent raison aux partisans de l’arrêt des combats. Rien ne peut laisser supposer que Churchill va continuer la guerre. L’URSS est alliée avec Hitler, les USA détournent le regard et l’Angleterre n’a plus d’armée. Pourtant, la volonté de fer et le jusqu’auboutisme du Premier ministre britannique demeurent inébranlables. Il faut être visionnaire comme de Gaulle pour le percevoir. Si Reynaud avait eu le même courage, je pense qu’une décision de continuer la lutte en Afrique aurait tout changé. Hitler aurait alors concentré ses efforts contre l’Angleterre et aurait subi le même échec. L’Italie aurait été chassé d’Afrique du nord dès la fin de 1940 et on n’aurait jamais entendu parlé de l’Afrika Korps de Rommel. Il est possible que la guerre aurait été raccourcie d’un an et Reynaud, donc la France, aurait été sur la photo de Yalta. Mais tout cela n’est que le reflet de mon opinion, car on ne refait pas l’Histoire… hélas.

 

Antichar

Des soldats français autour d’une pièce antichar.

 

Y a-t-il encore, 80 ans après, un traumatisme vivace quant à l’effondrement national de mai-juin 1940 ? Des séquelles, jamais complètement guéries (et je ne parle même pas de l’après, de Vichy) ?

les séquelles

Oui, je pense que ce traumatisme est fondateur, d’une forme de manque de confiance dans la France et son avenir. Cette période a vu l’effondrement des élites qui se sont souvent enfuies avant de capituler alors qu’il fallait encore se battre. Elle a vu aussi la défaite d’une nation qui passait pour l’une des toutes premières au monde. Vichy a accentué ce phénomène en martelant que c’était « l’esprit de jouissance » des Français qui était la cause du mal. Pourtant, le personnel politique de Vichy, à commencer par Laval, faisait bien partie de ces élites qui ont mené la France à la catastrophe. Il ne faut pas oublier que c’est le parlement de 1936, à 80 exceptions près, qui donne légalement les pleins pouvoir au maréchal Pétain dès le mois de juillet 1940. L’occupation allemande et l’humiliation qu’elle entraîne pendant quatre ans constitue également un traumatisme profond que de Gaulle n’a que partiellement apaisé. S’il n’avait pas été là pour sauver l’honneur, les séquelles en seraient encore plus graves.

 

Quelles leçons tirez-vous de mai-juin 40 ? Les recherches effectuées pour ce livre, et son écriture, ont-elles affermi certaines de vos convictions en la matière ?

résonances actuelles

Paradoxalement, j’en tire un regain de confiance dans l’avenir de la France. Ce vieux pays a connu des catastrophes incroyables mais c’est toujours relevé grâce au courage de son peuple. J’en retire également la conviction que des élites déconnectées des réalités du pays qu’elles dirigent sont dangereuses. Leur fonctionnement en circuit fermé dans une sorte d’entre-soi confortable peut révéler au grand jour une incapacité de réaction face à une crise sans précédent. Je trouve sur ce point de vue, que la « gestion » de la crise du Covid a eu de grandes similitudes avec mai-juin 1940. Le fameux « les masques ne servent à rien » m’a fait penser au non moins redoutable « les divisions blindées ne servent à rien ». On a également assisté à la même auto-satisfaction malgré une impréparation totale. On a vu une communication désordonnée, une incapacité de tenir un cap, les mêmes disputes entre les « experts » devant des décideurs qui ne décident plus grand-chose, les mêmes rumeurs qui agitent l’opinion… Tout cela avait un parfum de Troisième République finissante. Mais on a vu aussi « ceux qui ne sont rien » et autres « sans dents » qui étaient sur le « front ». Ils ont fait tourner le pays de la même façon que les héros de mon roman se battent avec courage face à la catastrophe. C’est cela qui doit être retenu.

 

Pomier

Le lieutenant Pomier qui a abattu l’as allemand Molders. Je consacre un chapitre

à ce duel pour ne pas oublier non plus ceux qui se sont battus dans les airs.

 

Je le rappelais tout à l’heure, vous êtes un grand spécialiste des reconstitutions historiques, qui ré-insufflent de la vie à l’Antiquité ou à l’épopée napoléonienne. On imagine assez peu, en revanche, des reconstitutions sur la Première Guerre mondiale ou, a fortiori, sur le front occidental de la Seconde (je me trompe peut-être). Parce que trop proches, trop sujettes à passions, trop « sombres » aussi ?

histoire vivante

Pas du tout, il existe des associations très vivantes de reconstitutions sur les deux guerres mondiales, pour n’en citer qu’une sur 1940, je parlerais de l’association « France 40 » qui s’attache notamment et restaurer et à faire revivre les véhicules de l’armée française de cette époque. Cette association et beaucoup d’autres font un énorme travail de conservation du patrimoine et de transmission de la mémoire. Elles participent pleinement aux commémorations qui malheureusement pour mai-juin 1940 ont été zappées à cause du Covid. De plus, ces associations d’histoire vivante attirent de plus en plus de jeunes venus de milieux très différents, ce qui est une très bonne chose.

 

Que vous inspirent ces temps, pas mal troublés aussi dans leur genre, où l’on abat les statues assez facilement, et sans guère s’encombrer de complexité historique ?

les nouveaux iconoclastes

Rien ne peut justifier d’abattre une statue qui témoigne d’une époque passée. Au-delà de l’acte barbare, il s’agit d’un crime contre la mémoire d’une nation et donc d’un véritable acte de « populicide ». Le pire dans tout ça, demeure l’inaction voire la complicité des politiques, mais aussi le silence assourdissant des historiens universitaires qui vont parfois jusqu’à cautionner ces actions hallucinantes. Écrire « raciste » sur la statue de Churchill relève en effet de la maladie mentale, lorsque l’on sait que cet homme a été le principal acteur de la défaite du nazisme en Europe… Où seraient ces nouveaux vandales si Hitler avait vaincu ? Mais la bêtise n’a pas de limite puisque même le roi d’Écosse Robert Bruce (mort en 1329) a eu droit lui aussi à son « raciste » sur sa statue… alors même qu’il n’a sans doute jamais croisé un homme noir de sa vie… Je constate en fait que l’histoire est prostituée à des intérêts politiques et « racialistes » (comme on dit) très inquiétants, en voulant opposer les gens les uns contre les autres. Chaque fois que l’on a fait tomber des statues dans l’Histoire, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes.

 

Votre deuxième tome de L’An 40 est-il en bonne voie ? Vos autres projets et envie pour la suite ?
 
Il est bien avancé en effet, c’est l’objectif de l’été. J’ai aussi des projets de documentaire sur la Seconde Guerre mondiale et sur Rome. D’autres projets de livres et de spectacles également. Je ne manque jamais de projets.

 

Un dernier mot ?

Oublier, jamais…

 

E

  

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16 juin 2020

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle »

Il y a 80 ans jour pour jour se jouait, sous les yeux incrédules du monde, un des plus grands drames de l’histoire de France. Le 16 juin 1940, le président du conseil Paul Reynaud acceptait le principe d’une incroyable fusion franco-britannique, porté par Jean Monnet et soutenu par Churchill et De Gaulle, qui eût conduit à une continuation conjointe et résolue du combat contre l’Allemagne nazie. Le soir même, alors que De Gaulle, confiant, quittait l’Angleterre pour Bordeaux (siège du gouvernement en déroute), il apprenait que Reynaud, vaincu en cabinet, avait démissionné, cédant presque naturellement sa place au maréchal Pétain, et aux partisans de l’armistice, dont la demande fut transmise à l’ennemi dès le lendemain. De Gaulle, désormais condamné par le pouvoir, prit ses dispositions pour regagner Londres et y organiser une résistance tandis que Pétain s’apprêtait, bientôt, à installer le pays dans la voie de la collaboration, et son gouvernement à Vichy.

J’ai proposé, pour l’occasion, à l’historien François Delpla, que les lecteurs de Paroles d’Actu connaissent bien (il est notamment l’auteur de Hitler et Pétain, paru chez Nouveau Monde en 2018), une interview portant sur ces journées décisives et à bien des égards tragiques. Je suis heureux qu’il ait accepté de se prêter au jeu, et salue dautant plus son travail de fouille et de recherche qu’il a été injustement banni par un grand réseau social il y a quelques semaines. Je profite également de l’occasion que me procure cet article pour saluer tout particulièrement quelqu’un que j’ai la joie d’appeler mon ami, l’Américain francophile et passionné d’Histoire Bob SloanUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS JUIN 1940

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler

en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. »

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Se figure-t-on encore aujourd’hui l’ampleur du traumatisme que constitua, pour les Français d’alors, la défaite lourde de conséquences - et peut-être inéluctable au vu de l’excellence du coup allemand - de mai-juin 1940 ? La plus grave catastrophe de notre histoire ?

débâcle historique

Oui et non. Sans Churchill - ou n’importe quel Anglais décidé… mais il n’y avait guère que lui -, Hitler mourait dans son lit 40 ans plus tard dans un empire allemand qui aurait eu le temps de faire de « nous » ce qu’était la Grèce par rapport à Rome. Fin de la France. Mais, Hitler ayant finalement été vaincu, elle existe, conserve un poids en Europe et dans le monde, n’est pas si inférieure que ça à l’Allemagne et à l’Angleterre, mais évidemment, l’énorme contribution des « deux grands » à la bataille a fait régresser, relativement, toute l’Europe.

 

Considérant les forces en présence et les moyens matériels dont disposaient les belligérants, peut-on établir que la défaite était davantage affaire de choix stratégique (mobilité mécanique en attaque contre murs statiques en défense) que d’infériorité numérique ? Si, hypothèse, De Gaulle, avec ses conceptions novatrices de l’armée, avait été aux manettes à la place de Gamelin dès la déclaration de guerre de septembre 1939, la France aurait-elle eu une chance de connaître alors un autre destin ?

rapport de forces

Oui.

L’Allemagne est faible, par rapport à ses ambitions. Elle ne peut gagner qu’en prenant de grands risques, en cachant constamment son jeu, en divisant les gens qu’elle veut léser pour les battre séparément. Sa victoire de mai-juin 40 est due à des facteurs politiques beaucoup plus que militaires. On s’attendait à tout sauf à ce qu’elle joue toute sa mise ainsi parce que jusque là elle ne s’était attaquée qu’à des proies nettement plus faibles. Le 10 mai, tout le monde pense qu’elle ne vise que l’occupation du Benelux. Il y a avant tout une faillite intellectuelle, dans le refus de voir Hitler en face, la propension à le prendre pour un bouffon, l’idée que Staline serait plus dangereux, la croyance en une Allemagne divisée et au bord de l’implosion…

 

Qu’aurait-il fallu pour que la position de Paul Reynaud à la tête du gouvernement demeure tenable au-delà du 16 juin 1940 (voire soyons fous la nomination d’un Georges Mandel) ? Une solution autre qu’une demande d’armistice à l’ennemi (l’exil du gouvernement à Londres ou en Afrique, voire la fusion franco-britannique) eût-elle été sérieusement envisageable au regard de l’immense capacité de nuisance et de destruction aux mains des Allemands sur la France occupée ?

pertinence d’un armistice

Parce que l’armistice ne leur donnerait aucun moyen de nuire ni de détruire ?

Si nous convenons que Hitler n’a conclu un pacte avec Staline que pour écraser la France, provoquer par là une résignation anglaise à sa domination du continent et se payer ensuite sur la bête soviétique (mais pas forcément en 1941 et pas forcément en une seule fois), le seul fait de lui refuser tout armistice en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. C’est d’ailleurs bien dans cette impasse que Churchill l’a englué en l’obligeant à tout miser une fois de plus sur une seule case, une Blitzkrieg vers l’est à finir impérativement dans les trois mois.

Avec une France restée en guerre, il n’aurait même plus eu cette échappatoire.

 

François Delpla 2019

  

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5 juin 2020

Isabelle Bournier : « 1944 : le D-Day, certes, mais n'oublions pas la bataille de Normandie ! »

Demain, 6 juin, sera commémoré, comme toutes les années depuis 1944, le débarquement des soldats alliés sur les plages de Normandie, épisode clé de la victoire contre l’Allemagne nazie sur le front occidental. 76 ans après, ce souvenir reste vif, comme la flamme qu’on maintient animée, et c’est heureux : le sacrifice de ces soldats, parfois venus de très loin pour secourir, et parfois inonder de leur sang une terre qu’ils ne connaissaient même pas, force le respect. Mais n’y a-t-il pas surreprésentation du « D-Day » dans la mémoire des batailles de la Seconde Guerre mondiale, telle que transmise par les médias, le cinéma, et même les officiels ? Qui songe, par exemple, à la bataille de Normandie, suite décisive du Débarquement, qui s’est tenue jusqu’à la fin août et a permis, enfin, daffermir les positions alliées en France ?

Invasion of Normandy

Petite expérience réalisée sur Google, quelques minutes avant d’avoir écrit cette intro. Le mot clé recherché : « Invasion of Normandy movies », l’idée étant de voir quels films de cinéma abordaient cet épisode de la guerre. Le constat saute aux yeux : le « D-Day » tire toute la couverture à lui (même si pas mal de ces oeuvres abordent aussi les jours ayant suivi le 6 juin). C’est en tout cas une des questions que j’ai abordées avec Isabelle Bournier, directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen, à quelques jours de commémorations qui se feront dans un contexte bien particulier, celui des restrictions liées à la crise sanitaire. Je la remercie chaleureusement pour ses réponses et sa bienveillance constante à mon égard, et m’associe sans réserve à l’hommage porté aux soldats porteurs de liberté retrouvée, et à tous les résistants de ces temps-là. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Isabelle Bournier: « 1944 : le D-Day, certes,

mais noublions pas la bataille de Normandie ! »

 

Isabelle Bournier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous êtes directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen. Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours ? L’Histoire, c’est une passion depuis longtemps, et comment cette passion est-elle née ?

l’Histoire et vous

Au risque de vous décevoir, non, l’Histoire n’est pas une passion qui remonterait à l’enfance, une passion qui m’aurait été transmise par un membre de ma famille. Je dirais que c’est l’immersion inconsciente et non-consentante dans une histoire familiale, durement marquée par la bataille de Normandie, ses drames mais aussi ses histoires cocasses, qui m’a menée à l’Histoire.

 

Vous vous tiendrez, avec les équipes du Mémorial de Caen, en première ligne pour commémorer, à partir du 6 juin, le débarquement, puis la bataille de Normandie, qui ont contribué de beaucoup à la libération de l’Europe en 1944... Comment les choses se sont-elles organisées, et comment vont-elles se dérouler cette année, en ce contexte exceptionnel de crise sanitaire ? J’imagine que cette fois, les vétérans, leurs familles, et les dignitaires attendus - notamment étrangers - ne pourront être au rendez-vous ?

une année particulière 

La Normandie a, sur son territoire, une trentaine de musée sur le Débarquement. Ils sont implantés sur les lieux mêmes où se sont déroulés les événements. Le Mémorial n’est pas un « Musée du Débarquement », c’est un musée qui ne se trouve pas sur la côte, mais à Caen. Son propos est différent. Même si le Débarquement et la bataille de Normandie y tiennent une place importante, son discours s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide.

Nous avons eu la chance – on peut se permettre de dire cela aujourd’hui – de pouvoir célébrer le 75e anniversaire du Débarquement l’année dernière et d’accueillir des vétérans et leurs familles. Cette année sera très différente et même si les commémorations doivent se tenir en comité restreint, elles auront lieu. Le Mémorial, pour sa part, diffusera sur les réseaux sociaux un concert donné sur un des pianos Steinway qui a débarqué. Pour les cérémonies officielles, il est annoncé une cérémonie internationale à Omaha Beach dans laquelle les pays seront représentés par leurs ambassadeurs. Effectivement, ce format réduit est une première depuis très longtemps !

 

Question un peu poil à gratter, mais allons-y et évacuons-la maintenant : il est beaucoup question, année après année, lorsque l’on évoque la Seconde Guerre mondiale, du débarquement en Normandie. Entendons-nous : l’événement a été énorme et décisif, mais n’est-il pas sur-représenté dans l’imaginaire de tous, comme s’il écrasait tout par rapport à des faits comme, justement, la bataille de Normandie qui a suivi, les débarquements en Afrique du nord et en Provence, pour ne rien dire du front de l’est ? Les Américains, y compris via la puissance de leur culture (je pense au cinéma), n’ont pas un peu trop tiré la couverture vers eux (même si, encore une fois les mérites des vétérans ne sont pas contestables) ?

le D-Day et les Américains

C’est tout à fait exact. Le 6 juin 1944 capte toute l’attention depuis 75 ans. La mémoire américaine de l’événement - on pense au cinéma, aux cimetières militaires et aux photos très largement diffusées – a contribué à faire du 6 juin un épisode héroïque de la Seconde Guerre mondiale. La recherche historique, le Mémorial de Caen et les instances du tourisme œuvrent depuis plusieurs années à faire connaître la bataille de Normandie qui a duré presque 100 jours et à expliquer son enjeu. Sans oublier les 20 000 morts civils qui ont payé cher cette victoire ! Mais le mythe du 6 juin comme clé de la Libération est une image tenace !

Le 6 juin 1944 décisif ? Oui et non. Oui, parce que réussir à faire débarquer 150 000 hommes sur des plages était un pari fou et non, parce que les jours décisifs sont ceux qui ont immédiatement suivis le 6 juin. La consolidation des têtes de pont et l’arrivée de renforts étaient indispensables au maintien des troupes alliées sur le sol normand. Une puissante contre-attaque allemande aurait pu tout compromettre.

 

Comment les Allemands, et je pense notamment aux jeunes générations, perçoivent-ils ces commémorations ? L’évolution au fil des décennies a-t-elle été notable sur ce point, et la mémoire des déchirements passés peut-elle contribuer à renforcer les liens présents et futurs ?

côté allemand

C’est une question intéressante. Au Mémorial, les visiteurs allemands représentent environ 5% des visiteurs étrangers. Ce chiffre est stable depuis des années. Le 6 juin 2004, pour la première fois depuis la fin de la guerre, un chancelier allemand a été officiellement invité aux commémorations. En fin de journée, le président Chirac et le chancelier Schroeder se sont retrouvés à Caen, sur l’esplanade du Mémorial. Le discours prononcé par Gerhard Schröder dans lequel il affirme que « les Allemands ne se déroberont pas à la leçon du passé » et l’accolade avec Jacques Chirac sont restés dans les mémoires comme un moment d’intense émotion à forte portée symbolique.

 

Quelle place cette mémoire si particulière occupe-t-elle auprès des habitants de la région de Caen, et notamment, une fois de plus, auprès des plus jeunes, des écoliers ?

les nouvelles générations

Au-delà du débarquement et de la bataille de Normandie qui a suivi, l’été 1944 peut aussi être raconté à hauteur d’hommes et de femmes. On peut dire qu’il n’est pas une famille qui n’ait subi les bombardements massifs des Alliés, les représailles de l’occupant, l’exode, la séparation, la peur, la souffrance, la mort… Chaque famille a une histoire à raconter. Au plus fort de la bataille, il y avait 2 millions de soldats alliés pour un million de Normands ! Autant dire que les récits ne manquent pas de rencontres pittoresques, de méfiance et de liens d’amitiés qui se sont créée entre les Normands et les GI. Mais la mémoire des Normands n’a, jusqu’à une période assez récente, pas pu s’exprimer complètement. Comment dire que les villes, les maisons, les familles ont été bombardées par les Alliés ? Là encore, il a fallu un anniversaire du 6 juin pour donner la parole aux civils et reconnaître le drame des villes détruites. Le temps qui passe éloigne la jeunesse de l’événement mais un récent sondage auprès de la population normande a révélé que, même si elle déclare ne pas vraiment s’intéresser au débarquement, il fait partie de leur histoire. On ne peut y échapper que ce soit sur la côte avec les restes (très visibles) du Mur de l’Atlantique ou dans les villes reconstruites. L’empreinte de la bataille de Normandie est particulièrement forte dans le paysage urbain.

 

Vous avez, dans le cadre de votre mission, eu le privilège de rencontrer bon nombre de vétérans, ces héros souvent humbles et taiseux qui ont contribué pour beaucoup à notre condition actuelle de citoyens libres. Combien sont-ils aujourd’hui, de ceux des opérations en Normandie, à être encore en vie ? Et si vous le pouvez, racontez-nous en quelques mots l’histoire d’un d’entre eux, disparu ou toujours là, et qui vous aurait particulièrement marquée ?

récits de vétérans

Effectivement, les vétérans ont toujours été présents aux commémorations du 6 juin mais ils sont, malheureusement, de moins en moins nombreux. La très grande majorité d’entre eux venaient des États-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne. C’était un long voyage. Certains revenaient tous les ans, d’autres ont attendu d’être très âgés pour accomplir ce « pèlerinage ». Pendant la semaine qui précède les commémorations – qui commencent le 6 juin et se poursuivent au-delà – on les croise encore dans les musées, sur les sites, dans les communes qui ne manquent jamais d’honorer leur présence. De mon point de vue, c’est un moment irremplaçable. Si parmi eux, il y a quelques authentiques héros, la plupart étaient des soldats, des témoins. Venus d’abord en couple, puis accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants, ils sont là pour partager, pour transmettre, pour se recueillir et pour profiter de l’accueil chaleureux qui leur est accordé. Je pense à Bernard Dargols, un Français engagé dans l’armée américaine qui nous a raconté son parcours étonnant et ses retrouvailles émouvantes avec la terre de France, et n’a jamais cessé de revenir à Omaha Beach jusqu’à la fin de sa vie.

 

Bernard Dargols

M. Bernard Darcols (1920-2019).

 

Dans quelques années, malheureusement, il n’y aura plus de témoins directs de ces événements, et nous n’aurons plus pour nous en souvenir, et alimenter la conscience collective, que les témoignages et documents recueillis. Que fait le Mémorial de Caen sur ce front de la conservation de la mémoire ? Et que faudrait-il faire, tous ensemble, auprès de ces gens pendant qu’ils sont encore là ?

la mémoire des disparus

Le Mémorial a un service d’archives riche en documents, en photos et en témoignages. Après avoir récolté, dès son ouverture, des récits de vétérans et de résistants normands, le Mémorial a lancé des collectes de témoignages de civils dont la parole s’est libérée tardivement. Aujourd’hui, il nous reste à poursuivre l’enregistrement de ceux et celles qui étaient enfants et en âge de se souvenir. Plusieurs programmes de recherche montés avec l’université de Caen ont permis ce travail parmi lesquels EGO (Écrits de Guerre de d’Occupation), qui fait l’inventaire des écrits publiés.

 

Est-ce qu’on enseigne et transmet l’Histoire de manière satisfaisante aujourd’hui, à vos yeux ? Les programmes sélectionnés sont-ils tous pertinents, et les outils pédagogiques employés, efficaces ?

l’Histoire et la jeunesse

N’étant pas enseignante, je ne me prononcerai pas sur les programmes d’histoire. Pour ce qui est des activités pédagogiques proposées par les sites historiques et par les musées, il y a encore beaucoup à faire mais il est certain que travailler l’Histoire et les questions de mémoire dans le cadre d’un musée permet des approches originales. L’objet historique et l’archive apportent une dimension concrète à l’Histoire, et les élèves ne s’y trompent pas. Certains témoins ont aussi beaucoup transmis dans les classes. Ils ont apporté une multitude de détails sur leur quotidien, qui là encore captivent les élèves. La bande dessinée, le roman jeunesse ou le dessin animé, constituent eux de très bons supports d’apprentissage pour les enfants, à la seule condition qu’ils soient rigoureux historiquement, qu’ils ne confondent pas Histoire et mémoire et soient suffisamment nuancés pour ne pas transmettre une image caricaturale de la période et de ses acteurs.

 

Un dernier mot ?

Je pense avoir été trop bavarde ! Je vais m’arrêter là mais je suis curieuse de savoir comment la mémoire du Débarquement évoluera dans les décennies à venir. Que racontera-t-on du D-Day dans cinquante ans ?

 

Isabelle Bournier 2020

Isabelle Bournier est directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen.

  

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30 mai 2020

Renaud Benier-Rollet : « En matière de sciences, la croyance n'a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Un mois après l’interview avec Nans Florens, son acolyte de la chaîne de vulgarisation médicale Doc’n’roll (que je vous invite à aller voir !), je vous propose aujourd’hui la retranscription de mon échange avec Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral. De par sa profession, dont il est finalement rarement question dans l’actu médicale, il est en première ligne lorsqu’il s’agit de rassurer, voire de prendre en charge ses patients, souvent âgés et donc à risque. De la séquence Covid-19, il retient une note d’optimisme par rapport au sursaut que la situation ne manquera pas de susciter ; surtout, il s’attache, comme Nans Florens, à appeler chacun à remettre toujours en question, via l’esprit critique, les infos reçues, et ses certitudes en général. Merci à lui pour ses réponses et sa bienveillance. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Renaud Benier-Rollet: « En matière de sciences,

la croyance n’a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Renaud Benier-Rollet

 

Renaud Benier-Rollet bonjour, et merci d’avoir accepté mon invitation à vous exprimer sur Paroles d’Actu. On parle beaucoup (et toujours pas assez) des infirmier-ère-s en hôpital en ce moment, très peu des libéraux, dont vous êtes. Comment représenter la place qui est la vôtre dans le dispositif général de soins, et pourquoi avoir choisi, d’infirmier hospitalier, la voie du libéral ?

Bonjour et merci de votre invitation.

Les infirmier(e)s libéraux sont un maillon très important de la chaîne de continuité des soins en France. Nous jouons un rôle central dans le maillage sanitaire et social du territoire. Outre les soins infirmiers à proprement parler, nous contribuons très fortement à la coordination des soins et au suivi des patients. Nous faisons quotidiennement le lien entre les médecins traitants, les services hospitaliers, les autres professionnels paramédicaux, et nos patients et leurs familles. 

Bien que nous représentions entre 15% et 20% des infirmiers, il est tout à fait vrai qu’on ne parle que très peu de notre profession, certainement parce qu’elle est mal connue et moins emblématique que celle des soignants hospitaliers. On peut dire que nous sommes invisibles à quiconque n’ayant jamais eu besoin de nos services pour lui ou pour un de ses proches. 

J’ai rejoint cette voie un peu par hasard à vrai dire, après plusieurs années à travailler au service d’accueil des Urgences du CHU de Besançon, et j’en suis très satisfait. Il s’agit d’un métier différent, passionnant à plusieurs égards et j’y ai surtout trouvé la reconnaissance des patients, qui manquait cruellement à l’époque de l’hôpital - je ressentais très peu de reconnaissance de leur part et de celle des familles, comme de la part de la direction de l’hôpital d’ailleurs... À domicile, j’ai pour habitude de dire qu’on m’a plus dit « Merci » lors de ma première journée de remplacement qu’en cinq années aux Urgences...

 

Finalement, par les temps qui courent, vous êtes en première ligne, y compris pour voir, à domicile, les angles morts qui ne rentreront pas dans les stats. Comment vivez-vous, dans votre métier, et notamment auprès de vos patients, cette crise du Covid-19 depuis son commencement ?

Je la vis plutôt bien. Au début de l’année, j’avoue avoir été trop optimiste (mea culpa), comme beaucoup de gens, n’imaginant pas l’ampleur que cette crise sanitaire prendrait. Au fur et à mesure des événements, nous nous sommes organisés pour répondre de manière efficace aux modalités de prise en charge spécifiques qu’imposait la présence du Sars-CoV2 sur le terrain.

Nos patients sont en majorité des personnes âgées, donc plus à risque que la population générale. Notre rôle a surtout été de les informer et de leur expliquer l’importance du confinement et des nouvelles précautions qu’ils devaient prendre.

 

« Ma plus grande crainte a été d’être moi-même vecteur

du virus, et de contaminer mes propres patients. »

 

Au final, tout se passe plutôt bien, les consignes sont plutôt bien acceptées et respectées. La plus grande crainte que j’avais était donc d’être moi-même vecteur du virus et de contaminer mes propres patients, vu que je les côtoie de très près tous les jours.

 

On parle beaucoup à l’heure actuelle de la rémunération des infirmier-ère-s (en hôpital et en libéral, vous connaissez bien les deux casquettes on l’a rappelé), pas à la hauteur par rapport au travail fourni et à l’utilité sociale. Votre sentiment sur la question ?

La question de la rémunération est tout à fait justifiée. Je comprends tout à fait les revendications de mes collègues, principalement hospitaliers.

Personnellement, je suis satisfait de mon salaire mais il est vrai qu’on nous demande d’effectuer de plus en plus de tâches et de travail administratif, sans pour autant les rémunérer. Après, je pense que on ne fait pas le métier de soignant pour le salaire à la fin du mois, c’est avant tout une vocation. Ça peut paraître un peu « bateau » dit comme ça, mais c’est une réalité d’après moi.

 

Quel regard posez-vous, comme professionnel de santé, et aussi comme citoyen éclairé, sur la manière dont le déconfinement est en train de s’opérer ? Est-ce que, du côté des pouvoirs publics (les décisions prises et leur calendrier), et s’agissant descomportements de nos concitoyens, globalement vous vous sentez plutôt optimiste ou pessimiste quant à la suite des événements ?

À vrai dire, il est difficile, depuis le départ, de prévoir comment va se dérouler cette crise sanitaire. Je pense que toutes les personnes qui disent savoir ce qu’il aurait fallu ou ce qu’il faudrait faire sont beaucoup trop confiantes. Dans les faits, l’évolution est totalement inconnue de tous. Les décisions ne doivent donc pas être faciles à prendre. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, et pas seulement sanitaires. Je ne suis pas spécialiste en gestion de pandémie donc je me garderais bien d’émettre un jugement définitif.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, les comportements de nos concitoyens sont de manière générale plutôt responsables, je m’en remets donc à ma nature optimiste : on en sortira un jour, même si je pense que cela va changer durablement notre façon d’interagir les uns avec les autres.

D’après moi, il ne faut pas voir cette crise comme une parenthèse dans nos vies mais plutôt comme une nouvelle phase, avec ses nouvelles règles. On ne reviendra pas à la vie d’avant, en tout cas pas dans les prochains mois voire, les prochaines années.

 

Êtes-vous de ceux qui, à titre perso et à titre collectif, ont vu dans le confinement des vertus ? Croyez-vous qu’il y aura véritablement un monde d’après, plus soucieux des autres (notamment nos aînés) et de la nature, plus responsable et plus vertueux ?

Personnellement, je n’ai pas vraiment eu l’impression de vivre un confinement. J’ai continué à travailler au même rythme et donc à sortir de chez moi, et à avoir des relations sociales avec mes patients au quotidien. Il m’est du coup difficile d’imaginer à quoi peut ressembler un isolement total pendant plusieurs semaines.

Concernant « le monde d’après », j’aimerais bien sûr voir plus d’entraide et de solidarité entre les gens, et plus de conscience écologique chez chacun, mais les habitudes de consommation de notre société ont la dent dure. C’est à chacun d’y réfléchir, mais j’imagine que beaucoup de monde s’est rendu compte qu’on pouvait moins prendre sa voiture, regrouper ses sorties, éviter les centres commerciaux le week-end et moins consommer d’une manière générale.

 

Vous participez, avec Nans Florens que j’ai eu le plaisir d’interroger ici il y a quelques jours, à la nouvelle chaîne YouTube de vulgarisation médicale Doc’n’Roll. La place que tiennent les débats tronqués et la désinformation, sur les réseaux sociaux notamment, vous inquiète-t-elle aujourd’hui ?

C’est en effet un gros sujet d’inquiétude pour moi. La présence de fausses informations et de contenus complotistes ou conspirationnistes sur les réseaux sociaux n’a fait qu’empirer durant cette crise. Je trouve ça catastrophique.

Il est vrai qu’il est désormais très difficile de savoir à qui se fier, et du coup, on assiste à une grosse crise de confiance du public vis-à-vis de l’information en général. C’est tout à fait compréhensible d’ailleurs.

Je me passionne depuis quelques années pour l’esprit critique et la zététique (l’art du doute, ndlr), et cela m’a aidé à prendre conscience de tous les biais auxquels j’étais soumis, notamment le biais de confirmation (un biais cognitif consistant à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues, ndlr), qui est un véritable fléau. Je me suis beaucoup remis en question, j’ai changé d’avis sur de nombreux sujets et j’appréhende désormais très différemment les informations que je reçois.

 

« L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait

au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. »

 

À titre personnel, j’ai arrêté toute source d’information en continu. L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. Ensuite, j’essaie de vérifier toutes les informations que je lis, je m’intéresse aux sources, je recoupe les témoignages, je lis différents médias sur le même sujet. Cela prend énormément de temps, mais c’est pour moi la seule façon de faire qui soit.

Avec Nans, l’idée d’une chaîne YouTube de vulgarisation nous trottait dans la tête depuis longtemps et cette crise du CoViD-19 a été le déclic. Le but est d’apporter des informations précises et sourcées au gens sur des sujets qui peuvent les questionner ou les intéresser.

 

Dans ce contexte, que vous inspire la discussion, passionnée bien au-delà du rationnel, sur l’hydroxychloroquine ?

Cela révèle, d’après moi, que le niveau scientifique général est plutôt bas en France, et qu’à défaut de savoir comment appréhender une information scientifique, beaucoup de personnes vont se fier à leur impression et à leur ressenti pour choisir ce qu’elles vont croire. Mais l’erreur est qu’en matière de sciences, la croyance n’a pas sa place. C’est le savoir qui importe.

Ce débat est donc un immense constat d’échec. On a d’un côté un professeur qui profite du manque de connaissance scientifique du public pour se faire mousser, et de l’autre des scientifiques qui s’offusquent mais qui sont inaudibles, car très peu pédagogues. D’où l’importance de la vulgarisation.

D’ailleurs, et c’est un scoop, une vidéo sur ce sujet sortira bientôt sur Doc’n’roll ! ;)

 

Quelque chose à ajouter ?

Quelques recommandations peut-être, pour les personnes qui s’intéresseraient à ce sujet passionnant qu’est l’esprit critique : la chaîne Hygiène Mentale sur YouTube est parfaite pour commencer à réfléchir sur la manière dont on pense, tout comme la chaîne de Mr. SamEt rejoignez-nous sur Doc’n’roll évidemment... :)

Et merci encore de votre invitation.

  

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27 mai 2020

Romain Mouchel : « Cette crise du Covid-19 aura été pour tous une belle leçon d'humilité »

Les jours se suivent, et la pandémie de Covid-19 semble, heureusement, être contenue dans de vastes territoires. Ce nouvel article, pour lequel j’ai choisi de donner à nouveau la parole à un soignant (pris au sens le plus large du terme, lire l’interview), me met en joie car il permet à la fois d’évoquer cette situation, sur un ton moins pessimiste que les premiers temps, et également de faire un « clin d’oeil » au premier médecin que j’ai interrogé pour ce blog, le Pr. Carole Burillon (mai 2017). Comme elle, mon invité du jour a fait de l’oeil sa spécialité, et comme elle, il est basé à Lyon. Je salue Romain Mouchel, chef de clinique spécialiste de la greffe de cornée, et le remercie pour ses réponses, intéressantes et inspirantes : notons que, comme d’autres médecins avant lui, il n’oublie pas de rendre hommage à tous ceux qui forment, dans le domaine du soin, les maillons indispensables d’une chaîne. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Romain Mouchel: « Cette crise du Covid-19

aura été pour tous une belle leçon d'humilité. »

 

Romain Mouchel bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Parlez-nous un peu de votre parcours : pourquoi la médecine ? et pourquoi l’ophtalmologie ?

Bonjour, tout d’abord merci de m’avoir proposé cet interview. J’ai choisi médecine par passion, par envie. Vers l’âge de 10 ans, après avoir rêvé de devenir boulanger, j’ai rapidement été fasciné par le métier de chirurgien, et c’est en ce sens que j’ai débuté mes études supérieures par le concours PCEM1 (PACES aujourd’hui) en 2006/2007. Dès mon premier cours à la faculté - anatomie de l’os coxal -, j’ai su que j’avais choisi la bonne voie. Ensuite ma passion pour l’ophtalmologie, je ne sais pas exactement comment elle est venue. Famille de myopes du côté de ma mère, je vais tous les ans chez l’ophtalmologiste depuis l’âge de 6 ans. Alors quand on m’a demandé, plus jeune, « Chirurgien oui, mais de quoi ? », je répondais « Des yeux ! » sans vraiment savoir à quoi ça correspondait. En 2012, j’ai effectué mon stage de 5ième année dans le service d’ophtalmologie du Pr Muraine, à Rouen, et j’ai vraiment été fasciné par cette spécialité. Sans le savoir, j’allais prendre quelques années plus tard la même surspécialisation que le Pr Muraine, la cornée !

 

Dans quelle mesure votre activité première - le soin ophtalmologique donc - a-t-elle été, à Lyon, impactée, pour ne pas dire perturbée, par la crise du COVID-19 ? Tous les patients à traiter ont-ils pu être pris en charge, et ne craignez-vous pas que, par peur du virus ou par crainte même de déranger, certains soins ou examens importants aient pu être remis à plus tard par les patients ?

Du jour au lendemain, nous avons dû annuler tous nos blocs opératoires programmés (c’est-à-dire « non urgents à court terme »), et annuler toutes nos consultations, sauf urgence. La définition de l’urgence est très subjective et personnelle, il a donc été difficile pour certains patients de comprendre qu’ils ne relevaient pas de l’« urgence ». En deux semaines, c’est plus de 2500 consultations, et entre 100 et 150 chirurgies qui ont du être annulées dans notre service. Cependant, nous, nous étions là et par chance, peu touchés par le virus. Les urgences ophtalmologiques ont connu une baisse historique de leur fréquentation, et cela nous a permis de répondre présents pour les principales urgences ophtalmologiques.

« Un patient sur deux ayant une pathologie chronique

ne venait pas à son rendez-vous en ophtalmologie

durant la période de confinement... »

Il faut reconnaître que les Hospices Civils de Lyon ont mis rapidement en place une réorganisation de l’hôpital qui, associé au confinement et aux mesures barrières, a permis d’éviter le pire dans notre ville. Je pense donc que oui, nous avons pu prendre en charge les urgences même pendant cette période, mais que malheureusement certains patients n’ont pas consulté par peur du virus, et de la psychose générale générée par la médiatisation du virus. Il a fallu plus de trois semaines avant que le gouvernement annonce que les patients présentant une pathologie chronique devaient continuer leur suivi, cela même pendant le confinement, mais malgré tout, environ 50% des patients ne venaient pas à leur rendez-vous.

 

Vous m’avez confié, pour préparer cet entretien, avoir été bénévole à la régulation du SAMU durant quelques semaines critiques alors que la peur s’installait chez nos concitoyens, aussi sûrement que la pandémie. Que retiendrez-vous de cette expérience ?

Une expérience assez unique, que j’aurais bien sur préféré ne jamais connaître, mais qui aura un impact sur ma vie professionnelle. En effet, j’ai pris place dès la première semaine de confinement dans la cellule "COVID" du SAMU 69. Il s’agit d’une cellule de crise où nous (médecins, chirurgiens de toutes spécialités) avons géré les patients appelant le SAMU pour une suspicion de COVID-19 et ne présentant pas de signe de gravité immédiate (détresse respiratoire aigüe).

Le plus souvent, il s’agissait surtout de rassurer, et d’orienter les patients. En médecine de ville, des maisons médicales se sont spécialisées COVID-19 pour recevoir des patients suspects dans les conditions sanitaires nécessaires afin d’assurer la sécurité des patients, et des soignants. Pour la majorité des patients atteints, le COVID se manifeste par une grippe, assez sévère, qui se résout spontanément en 7 à 14 jours. Certains patients ont eu des symptômes atypiques (comme l’agnosie, les troubles digestifs ou des atteintes cutanées) et enfin d’autres ont eu des symptômes pendant plusieurs jours (15, parfois 20 jours de fièvre intermittente).

« Une expérience enrichissante, mettant en lumière le travail

de l’ombre de l’ensemble du personnel du SAMU... »

Le plus difficile était surtout de juger d’une « difficulté respiratoire » au téléphone, celle qui signe l’atteinte pulmonaire sévère pouvant nécessiter une prise en charge hospitalière (jusqu’au syndrome de détresse respiratoire aigu, nécessitant un passage en réanimation). Nous avions différentes stratégies, et surtout un médecin régulateur du SAMU, entraîné, toujours disponible pour nous aider. Enfin, il a fallu sortir, pour ma part, de l’ophtalmologie et revenir à une médecine plus générale pour maîtriser les différents symptômes et traiter, à distance, les patients. J’en retiens une expérience enrichissante, mettant en lumière le travail de l’ombre de l’ensemble du personnel du SAMU qui gère, par téléphone, toute l’année, des appels de personnes malades et inquiètes. La proximité avec la détresse de certains patients très isolés, ou stressés était également un paramètre difficile à appréhender et avec lequel il a fallu se familiariser.

 

R

 

Quel regard portez-vous justement sur cette séquence « COVID-19 », malheureusement pas achevée, qui aura mobilisé comme rarement nos soignants et structures de santé, et sans doute, marqué pour longtemps bon nombre de gens ? Quelles leçons en tirez-vous, comme soignant, et comme citoyen ?

« Nous avons vu certains de nos jeunes collègues

soutenir leur thèse de docteur en médecine, moment

unique et solennel, derrière leur ordinateur. »

Tout d’abord, une belle leçon d’humilité. Lorsqu’on vit dans un pays industrialisé, riche et développé, notre confort de vie nous rend exigeants, et dépendants. Nous sommes dépendants de pouvoir demander, et avoir tout ce que l’on désire dans un délai court. Du jour au lendemain, notre routine a été stoppée brutalement. Vous vous réveillez un matin, et vous ne pouvez plus sortir de chez vous sans remplir une feuille préalablement imprimée ou recopiée, avec votre carte d’identité et une petite crainte de devoir vous justifier d’être en dehors de votre domicile. Il a fallu redécouvrir les plaisirs simples de la vie, pour passer le temps : cuisiner, lire, écrire, jouer de la musique. Il a fallu apprendre à travailler à domicile, télécharger des nouvelles applications (Zoom, Webex et autres) pour pouvoir communiquer avec ses collègues, ses amis ou sa famille. En médecine par exemple, nous avons vu certains de nos jeunes collègues soutenir leur thèse de docteur en médecine, un moment unique et solennel dans la vie d’un médecin, derrière leur ordinateur avec un petit carré pour le jury, un autre pour la famille, très loin des grands amphithéâtres de la faculté.

En temps que soignant, je retiendrai de cette expérience que nous avons vocation à soigner, et qu’il sera toujours de notre devoir de répondre présents, pour aider nos patients et ne pas hésiter à changer son quotidien pour s’adapter aux besoins. C’est le fameux plan blanc, qui est mis en place depuis le début de la pandémie.

En temps que citoyen, j’en retiendrai que, quelles que soient nos convictions politiques, nos convictions personnelles, nous vivons dans un pays démocratique, avec des valeurs républicaines, des droits et des devoirs, et que nous devons les respecter. Certes nous pouvons être en désaccord avec le gouvernement, ou juger qu’il y a eu des insuffisances, mais en tant que citoyens notre devoir, à court terme, est de respecter la loi. Alors c’est naturellement qu’en dehors de mes sorties pour me rendre à l’hôpital, j’ai respecté comme tout le monde le confinement et j’ai passé de longues heures dans mon appartement à regarder le beau temps, et mon vélo, sans pouvoir associer les deux le temps d’une balade.

 

Diriez-vous, collectivement, et peut-être sur un plan plus personnel, que ce confinement subi a eu quelque chose de vertueux ? Et êtes-vous de ceux qui croient en un « monde d’après » plus solidaire et plus responsable (je pense notamment au respect de notre planète) ?

Bien sur que ce confinement a quelque chose de vertueux. Déjà de par sa rareté, pourrons-nous un jour revivre une telle période dans notre vie ? Je ne l’espère pas, mais vu l’impact qu’aura eu cette période sur l’économie française, européenne et mondiale, il est peu probable que les grandes nations du monde puissent prendre le risque de ne pas faire le nécessaire pour l’éviter. De multiples simulations vont être réalisées pour que les pays s’équipent et se préparent à une telle pandémie afin de pouvoir mieux l’affronter (protection individuelle, collective, réorganisation du système de soin).

Quel plaisir de revoir vivre notre planète : des animaux dans les villes, dans les parcs, les oiseaux qui chantent, le ciel qui se dégage et libère des paysages magnifiques. La planète n’a jamais autant respiré qu’au cours du mois d’avril 2020. J’espère, sincèrement, que la majorité de la population prendra conscience de l’importance de cette planète, des ressources limitées et de l’importance de la respecter.

« J’ai envie de croire à un monde d’après, mais

il sera progressif et passera aussi par un gouvernement

qui devra faire les bons choix et montrer l’exemple. »

Oui j’ai envie de croire à un monde d’après, mais il sera progressif et il passera aussi par un gouvernement qui devra faire les bons choix et montrer l’exemple : favoriser et valoriser le « made in France », réduire les usines polluantes, encourager la production en France et en Europe, et retrouver les valeurs d’autosuffisance. Nous ne devons plus dépendre d’un pays exportateur pour subvenir à nos besoins, car lorsque ce pays bloque ses exportations, la France se retrouve sans rien (voir : les masques et la Chine). À titre personnel, je me sensibilise depuis plusieurs années à l’écologie. J’essaie de diminuer drastiquement ma consommation plastique, je trie mes déchets et je cours français (Coureur du dimanche fabrique en France des vêtements de sport en recyclant des bouteilles en plastique).

 

Il est beaucoup question, en ce moment, du statut des soignants, et des insuffisances à la fois de la reconnaissance dont ils jouissent, et de leur rémunération, au regard de leur utilité sociale. Que vous inspire ce débat, où s’entrechoquent dignité du travailleur et rareté des fonds publics, et que faudrait-il faire à votre avis en la matière ?

Nous avons pu voir beaucoup de solidarité envers ceux qui ont continué à travailler : services publics, soignants, artisans, commerce de proximité, livreurs et tous les autres que j’oublie et qui ont fait tourner le pays pour apporter les besoins de premières nécessités aux français.

« Cessons d’opposer soignants et médecins : le corps

médical ne forme qu’un et chaque pièce

est indispensable à son fonctionnement. »

Je vais m’intéresser à ceux que je connais le mieux : les soignants. Je n’aime pas beaucoup ce terme, car je trouve qu’il divise la profession : on oppose souvent soignants et médecins. Et je trouve ça dommage, car le corps médical ne forme qu’un et chaque pièce est indispensable à son fonctionnement. Par exemple, dans mon service, chaque personne est indispensable à la consultation : le matin, tôt, les premiers agents mettent en ordre la consultation, les aides soignants préparent nos lentilles et cônes de consultation, allument nos lampes à fente, nos ordinateurs. Les agents d’accueil enregistrent administrativement nos patients, puis nos infirmières les préparent à la consultation à travers un premier interrogatoire. Elles sont aussi là pour poser une perfusion en cas de traitement, ou pour réaliser des soins dans une salle dédiée. Les étudiants, en médecine et en orthoptie, débutent l’examen des patients, complété ensuite par les internes et un médecin sénior. La cadre de santé veille à la bonne organisation de la consultation, à ce que le matériel soit en état de marche, à ce que l’effectif des équipes soit en nombre au vu de l’activité. Nos orthoptistes séniors jonglent entre la pré-consultation et la formation des étudiants, nos secrétaires organisent les agendas, programment les chirurgies et répondent au téléphone. Enfin notre chef de service encadre tout ce monde et nous représente auprès de la direction de l’hôpital. Au total, un patient qui passe 5 à 10 minutes en consultation avec un médecin sénior, a en fait vu au moins six soignants : un agent administratif, une infirmière, un étudiant, un interne, le médecin, puis la secrétaire du médecin pour son prochain rendez-vous.

Nous tirons le signal d’alarme depuis très, très longtemps. Déjà en 2014, j’avais pour la première fois de ma vie participé à un mouvement de grève, pour défendre et valoriser le travail des internes en médecine. Depuis un an, le corps médical est dans la rue ou dans les médias et demande à ce que plus de moyens soient donnés aux hôpitaux. La réduction drastique des effectifs et la fuite de nos médecins vers le secteur libéral (pour une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail) entraîne une fragilisation du système qui est au bord de la falaise. Le COVID-19 a révélé au grand jour les faiblesses de notre système, et des mesures sont indispensables pour sauver l’hôpital public. J’espère que cette médiatisation permettra de recentrer le débat lors des prochaines grandes réformes du sytème de santé en France.

Que faudrait-il faire ? Il n’y a pas de secret : donner plus de moyens aux hôpitaux, à la recherche, et mieux payer son personnel pour éviter la fuite vers le secteur libéral, ou vers d’autres pays.

 

Revenons, avant de conclure, à votre spécialité au sein de l’ophtalmologie : la greffe de cornée. Que représente cette technique (déjà ancienne !) aujourd’hui, et quelles en sont les perspectives d’avenir ?

Depuis la première greffe de cornée réussie chez l’homme en 1905 par le Dr Eduard Zirm (Autriche), la chirurgie a beaucoup évolué. À cette époque, la technique consistait à remplacer intégralement le tissu cornéen : on parle aujourd’hui de kératoplastie transfixiante. Cette technique, efficace et encore utilisée aujourd’hui, a progressivement laissé place à des techniques plus fines : les kératoplasties lamellaires. En effet, la cornée est composée de 5 couches distinctes, et nous savons aujourd’hui greffer la couche spécifiquement atteinte : greffe lamellaire antérieure (greffe de la couche de Bowman dans le kératocône, greffe stromale dans les atteintes plus profondes) et greffe lamellaire postérieure (greffe endothélio-stromal, DSAEK ou endothelio-descemetique, DMEK). Aujourd’hui, la première cause de greffe est la décompensation endothéliale du pseudophake, suivie par les dystrophies endothéliales de Fuchs. Les pathologies endothéliales sont donc la première étiologie de greffe de cornée en France (plus de 50%), loin devant le kératocône (11%) qui a longtemps était en première position. Dans ma pratique quotidienne, je réalise 70% de greffes endothéliales (DMEK) et 30% des autres greffes (transfixiante ou lamellaire antérieure).

« La thérapie cellulaire est probablement

la principale évolution sur laquelle nous pouvons

miser pour les années à venir en matière

de pathologies cornéennes. »

Les perpectives : nous aimerions, un jour, être capable de cultiver les cellules endothéliales. En effet, à l’état naturel, ces cellules ont perdu leur capacité de reproduction. Nous naissons avec un pool, et ce pool diminue tout au long de la vie. La moindre intervention dans l’oeil (inflammation, chirurgie) fragilise les cellules et fait donc diminuer le pool plus rapidement. Alors si nous arrivons à cultiver, en laboratoire, les cellules endothéliales, nous pouvons imaginer qu’un jour nous pourrions simplement injecter des cellules endothéliales dans l’oeil d’un patient, sans avoir besoin de lui apporter des cellules provenant d’un donneur. La thérapie cellulaire est probablement la principale évolution sur laquelle nous pouvons miser dans les années à venir et qui fera évoluer positivement la prise en charge de nos patients présentants des pathologies cornéennes. Une seule équipe, japonaise, a traité des patients (11) par la thérapie cellulaire avec des résultats spectaculaires. La recherche avance, et nous travaillons actuellement à Lyon sur cette thématique au sein de la banque de cornée et de tissus du Dr Céline Auxenfans.

 

R

 

Tenant compte des avancées scientifiques et médicales existantes, et de celles que l’on peut entrevoir, qu’est-ce qui s’oppose encore à ce que, demain, une personne aveugle puisse voir ?

Malheureusement, il existe encore de nombreux facteurs qui entravent le résultat de nos interventions. En effet, si l’on prend l’exemple de la greffe de cornée, à l’heure actuelle c’est un tissu humain, qui est greffé sur un autre humain. L’immunité propre à l’être humain, qui lui permet de survivre auprès des nombreux micro-organismes qui nous entourent (bactéries, virus, champignons et parasites), peut aussi se retourner contre lui. Parfois le corps fabrique des auto-anticorps, dirigés contre ses propres cellules : ce sont les maladies inflammatoires et auto immunes. Dans la greffe, on parle de rejet immunitaire. L’organisme d’un patient greffé se met à produire des cellules qui ont pour fonction d’attaquer l’hôte : le greffon. Le risque de rejet peut être en partie contrôlé par un traitement inhibant l’inflammation : la corticothérapie ou les immunosuppresseurs. Mais ces traitements ne sont pas sans risque, et il faut donc apprendre à jongler entre la suppression de l’immunité pour éviter le rejet et la prévention des complications liées au traitement. De plus, il existe encore beaucoup de pathologies ophtalmologiques qui n’ont pas de traitement pour « redonner » la vision : les dystrophies rétiniennes, certaines formes de DMLA, les stades avancés de glaucome pour ne citer que les plus fréquentes, et il existe donc encore de nombreux progrès à faire pour lutter contre la cécité.

 

Un dernier mot ?

Merci. Merci de m’avoir proposé de donner ma vision du confinement, de la pandémie COVID-19 et de mon vécu pendant ces longues semaines de restriction. Merci également de donner de la visibilité à notre profession.

J’aimerais partager aux lecteurs, pour conclure, une citation d’Albert Einstein sur l’humain : « Le véritable signe d’intelligence ce n’est pas la connaissance, mais l’imagination ».

Alors Nicolas, qu’imaginez vous pour demain ?

 

Je veux conserver la vision optimiste en tout, même quand les éléments vont dans l’autre sens, et croire dans le progrès. Merci à vous Romain. ;-)

  

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