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Paroles d'Actu
6 mai 2019

« Les quatre enseignements des élections législatives en Espagne », par Anthony Sfez

Le 28 avril le peuple espagnol, appelé aux urnes pour renouveler ses Cortes Generales, a accordé la plus grande part de ses suffrages exprimés aux socialistes menés par le chef du gouvernement sortant Pedro Sánchez. Mais la majorité dont il dispose à ce jour (35% des sièges du Congrès des députés pour le PSOE) est loin de lui assurer une assise parlementaire confortable pour agir. Quels enseignements tirer de ce scrutin ? J’ai la joie, une fois de plus, d’accueillir dans ces colonnes le fidèle Anthony Sfez, jeune doctorant et ex-pensionnaire de la Casa de Velázquez devenu fin connaisseur de la question catalane et, plus généralement, de la politique en Espagne. Son texte, limpide et éclairant, pose bien les enjeux. Merci, Anthony. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Pedro Sanchez

Le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez. Illustration : REUTERS/Javier Barbancho.

 

« Les quatre enseignements des

élections législatives en Espagne »

Par Anthony Sfez, le 3 mai 2019.

 

1) La renaissance du PSOE

« Ce renouveau, le PSOE le doit en grande partie à

Pedro Sánchez, homme politique qui a la singularité

de s’être construit politiquement en radicale

opposition à l’establishment de son parti. »

On pensait le PSOE mort et définitivement enterré après les élections de juin 2016 où il n’avait obtenu que 85 sièges sur 350. Loin, très loin, des heures de gloire du PSOE du «  légendaire  » Felipe González qui en obtenait, lors des élections législatives de 1982, plus de 200. Ce déclin semblait par ailleurs s’inscrire dans la tendance européenne qui semble être à l’inexorable décadence des partis sociaux-démocrates. Le Parti socialiste français, aujourd’hui moribond, n’est-il pas l’exemple le plus criant  ? Mais le PSOE a su, contre toute attente, renaître de ses cendres et échapper au destin qui semblait lui être promis en se hissant largement en tête du scrutin du 28 avril dernier qui a porté 123 des siens au Congrès des députés. Ce renouveau, le PSOE le doit en grande partie à Pedro Sánchez, homme politique qui a la singularité de s’être construit politiquement en radicale opposition à l’establishment de son parti. C’est clairement la stratégie d’intransigeance de Pedro Sánchez à l’égard de la droite, stratégie laborieusement imposée aux cadres de son parti, qui a permis au PSOE de s’imposer. Cette stratégie, elle se manifeste dès fin 2016 lorsque Pedro Sánchez renonce à son mandat de député, car il s’opposait catégoriquement à la consigne de vote des instances dirigeantes du PSOE qui, pour mettre fin à la crise d’ingouvernabilité de l’Espagne, sommait à ses élus, en arguant de la raison d’État, de s’abstenir lors du second vote d’investiture de M. Rajoy afin de permettre à ce dernier de former un gouvernement. Après avoir dénoncé cette compromission avec la droite jugée par lui inacceptable, Pedro Sánchez repart à la conquête de son mouvement et parvient à se faire élire secrétaire général du PSOE en battant l’andalouse Susana Díaz, pourtant soutenue par les pontes du parti. Après cette victoire interne, Sanchez part cette fois-ci de nouveau à la conquête du pouvoir gouvernemental et, toujours en application de sa stratégie de l’intransigeance, parvient à convaincre un à un les cadres du PSOE de déposer, en cours de législature, une motion de censure dit constructive contre le conservateur M. Rajoy. Le succès de cette dernière lui ouvre les portes du pouvoir, mais dans des conditions loin d’être idéales. La succès de la motion, Sánchez la doit en effet au soutien des partis indépendantistes catalans, soutien dont il avait besoin pour se maintenir au pouvoir. Dans ces conditions, le leader socialiste prenait un grand risque. L’électorat n’allait-il pas lui reprocher de remettre entre les mains des indépendantistes l’avenir de l’Espagne  ? Ce coup de poker s’est finalement avéré gagnant. En arrivant au pouvoir, les socialistes étaient au plus bas dans les sondages. Ces quelques mois de gouvernement les ont clairement revigorés. Ils ont permis de redonner le sentiment aux Espagnols que le PSOE était encore crédible en tant que parti de gouvernement. Les attaques, parfois grotesques tant elles étaient excessives de ses concurrents de Ciudadanos et du PP, n’ont guère convaincu les Espagnols qui n’ont pas vu dans Pedro Sánchez le pourfendeur de l’unité de l’Espagne que la droite dépeignait. C’est d’ailleurs précisément parce qu’il a encore et toujours refusé de céder sur la question de l’autodétermination de la Catalogne que Sánchez a fini par tomber. L’enjeu pour le socialiste à présent est de parvenir à former un gouvernement. Ce qui, comme on va le voir plus bas, n’est pas une mince affaire.

 

2) La déchéance du PP

« Sa stratégie droitière, dite de l’intransigeance, et en réalité

de la discorde, n’a guère convaincu dans une Espagne

aujourd’hui très majoritairement désireuse de dialogue

et non de confrontation avec la Catalogne. »

L’autre enseignement de ces élections, c’est la chute spectaculaire du Parti populaire (PP). Elle est loin l’époque dorée du PP de Mariano Rajoy qui avait pu, entre 2011 et 2015, gouverner l’Espagne en solitaire avec 186 sièges. Le PP tombe aujourd’hui à 66 sièges. Certes, le parti conservateur arrive en deuxième position ce qui, dans l’absolu, n’est pas un si mauvais résultat. Mais il perd tout de même plus de la moitié de ses sièges par rapport au scrutin précédent et, surtout, enregistre de très loin son plus mauvais score depuis sa fondation. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette débâcle électorale plutôt inattendue, du moins par son ampleur. D’abord, les affaires de corruption qui empoisonnent la vie politique espagnole depuis des décennies. Si M. Rajoy est tombé début 2019 à l’initiative de M. Sánchez, si ce dernier a pu convaincre les cadres du PSOE qu’il fallait impérativement déposer une motion de censure contre le gouvernement du PP, c’est surtout à cause d’une condamnation en justice visant directement le parti conservateur dans une affaire de corruption généralisée dite «  caso Gürtel  ». Précisons que ce ne sont pas seulement des individus rattachés au PP qui ont été mis en cause par le juge mais, aussi, le parti lui-même. Depuis cette condamnation intervenue au cours du mandat de M. Rajoy, les Espagnols n’avaient pas eu l’occasion de s’exprimer dans les urnes. C’est chose faite à présent et on en voit les conséquences électorales pour le PP. Mais il y une autre raison, celle-ci plus politique, qui explique cette bérézina électorale. Cet autre facteur, c’est la stratégie du jeune Pablo Casado, théorisée en arrière-plan par José-Maria Aznar, l’ancien Premier ministre du PP de 1996 à 2004. Cette stratégie, c’était celle de la droitisation affirmée et affichée qui avait permis à Casado de s’imposer dans les élections internes au PP. Pour enrayer la percée de Vox, il fallait, affirmait le mentor de Pablo Casado et Pablo Casado lui-même, adopter un discours fort sur la question migratoire, sur la baisse des impôts mais, aussi et surtout, sur la question territoriale, c’est-à-dire sur la question catalane. Casado, suivant sur ce point Vox, était allé jusqu’a laissé entendre qu’il était disposé à placer, en appliquant l’article 155 de la Constitution, la Catalogne indéfiniment sous tutelle voire même à interdire les partis indépendantistes, deux propositions radicalement anticonstitutionnelles. Cette stratégie dite de l’intransigeance, en réalité de la discorde, n’a guère convaincu dans une Espagne aujourd’hui très majoritairement désireuse de dialogue et non de confrontation avec la Catalogne. Par ailleurs, dans ce rôle de défenseur viril de l’Espagne contre les «  séparatistes  », le leader de Vox, Santiago Abascal, s’est montré bien plus convainquant que son concurrent du PP. En somme, les Espagnols partisans d’une droite dure ont préféré l’original à la copie. En plus de ne pas avoir su gagner les voix de la droite «  dure  » qui se sont donc tournées vers Vox, Casado s’est coupé de celles du centre droit. Les électeurs de centre droit, fuyant son discours «  derechista  » (droitisant), se sont, en effet, tout naturellement réfugiés chez son concurrent du centre droit incarné par Ciuadanos dirige par Albert Rivera qui talonne désormais, avec ses 57 sièges, le PP et qui ainsi en passe de réussir son pari  : substituer le PP comme parti hégémonique de la droite espagnole comme il l’a d’ores et déjà fait en Catalogne.

 

3) L’éclosion de Vox

« Si cette percée est inédite, son score, relativement faible,

révèle aussi que la société espagnole demeure moins sensible

que d’autres sociétés européennes à la rhétorique autoritaire,

encore largement associée au régime franquiste... »

Avant les élections andalouses de fin 2018, Vox était encore largement inconnu du grand public. Aux dernières élections législatives nationales de 2016, il réalisait ainsi un score anecdotique de 0,2%. Ce parti de droite radicale dont les thématiques favorites sont la lutte contre l’immigration (surtout musulmane), contre le «  féminisme radical  » et contre la décentralisation politique fait pourtant aujourd’hui son entrée au Parlement en obtenant 10% des suffrages, score qui lui permet d’obtenir 24 députés. Le facteur qui a propulsé Vox sur le devant de la scène médiatique nationale, c’est son succès inattendu lors d’élections régionales en Andalousie de décembre 2018. Porté par la crise catalane qui a fait craindre une dislocation de l’Espagne, mais aussi par l’arrivée d’un nombre records de migrants illégaux sur les plages andalouses en 2018, il réussissait, contre toute attente, à faire entrer douze députés au Parlement andalou. Suite à quoi il concluait une alliance législative, toujours dans un cadre régional, avec le PP et Ciudadanos, ce qui lui permettait de connaitre, en quelques jours seulement, une sorte de «  banalisation expresse  ». En Espagne, il n’y a guère eu de «  front républicain  » et l’union de toutes les droites s’est faite assez facilement, presque naturellement, ce qui n’est pas si surprenant que cela lorsque l’on sait que Vox est issu d’une rupture d’avec le PP. Vox était ainsi à peine apparu sur la scène politique qu’il devenait, pour le reste de la droite, un parti parfaitement fréquentable. Au point que Pablo Casado émit l’hypothèse, quelques jours avant les élections du 28 avril dernier, qu’il y ait des ministres de Vox au sein d’un éventuel futur gouvernement de coalition des droites. Finalement la droite ne l’a pas emportée et l’irruption de Vox au Parlement espagnol fut moins spectaculaire que prévu. On est loin des 16% et des plus de 50 sièges que prédisaient certains sondages. La mobilisation massive de l’électorat espagnol, qui dépasse les 70% de participation, a, sans doute, beaucoup joué en la défaveur de Vox. Avec ces 24 députés et ces 10 % de suffrages exprimés obtenus, Vox n’est donc pas, comme l’ambitionnait Santiago Abascal, la troisième force politique du pays. Le parti de droite radicale reste en effet très loin derrière les deux principaux partis traditionnels – le PP et le PSOE – et relativement loin derrière les deux autres partis qui ont émergé dans les années 2010  : Podemos et Ciudadanos. Si l’arrivée de Vox au Parlement demeure un événement important - c’est la première fois que la droite radicale dispose en Espagne d’une représentation parlementaire depuis la transition démocratique - son score finalement relativement faible révèle aussi que la société espagnole demeure moins sensible que d’autres sociétés européennes à la rhétorique autoritaire qu’elle associe encore au régime franquiste dont la mémoire demeure très vive.

 

4) Une donnée constante : l’ingouvernabilité

« L’avenir d’un nouveau gouvernement Sánchez semble

devoir reposer, encore et toujours, sur sa capacité à intégrer

les indépendantistes catalans au jeu national, pour s’en

servir comme force d’appoint et former une majorité. »

Mais l’enseignement fondamental de ces élections ce n’est ni la renaissance du PSOE, ni la déchéance du PP, ni l’éclosion de Vox. L’enjeu de ces élections n’était, en réalité, pas tant de savoir qui allait gouverner que de déterminer si l’Espagne serait, enfin, de nouveau gouvernable. Force est de constater à l’issue de ce scrutin que l’Espagne, élection après élection, continue de s’enliser dans l’ingouvernabilité. La crise catalane y est pour beaucoup. Avant le début de la crise territoriale, les députés catalanistes servaient, en effet, de force d’appoint à la gauche comme à la droite. Aucune force politique ne se privait de pactiser avec eux lorsque leur soutient était nécessaire pour gouverner. Et si ce soutien donnait à l’époque naissance à des gouvernements stables, c’est parce que les nationalistes catalans n’avaient, en ce temps, pas les revendications qu’ils ont aujourd’hui. Ils se contentaient alors de troquer contre leur soutien quelques promesses en termes d’approfondissement de l’autogouvernement de leur Communauté autonome. Les exemples sont nombreux. En 2004, le socialiste José-Luis Zapatero était parvenu au pouvoir, et sans encombre jusqu’au bout de son mandat, grâce au soutien décisif des députés catalanistes en échange de la promesse formelle faite à ces derniers de réviser le statut d’autonomie de la Catalogne. Avant, en 1996, c’était le conservateur José-Maria Aznar qui était parvenu au pouvoir grâce au soutien des catalanistes, à l’époque dirigés par Jordi Pujol, à qui il avait promis des transferts de compétences. Bref, la stabilité politique du système politique espagnol reposait, dans une grande mesure, sur l’intégration des partis catalanistes au dit système. C’est cet équilibre qui est brisé depuis la Sentence 31/2010 relative au Statut d’autonomie de la Catalogne et qui explique, bien plus que la fin du bipartisme, la crise d’ingouvernabilité de l’Espagne. Nous ne disons pas que l’Espagne n’aura pas de gouvernement d’ici quelques semaines, mais que ce gouvernement, s’il parvient à être formé, ne bénéficiera pas, en toute hypothèse, d’une majorité parlementaire solide et cohérente, condition indispensable de la stabilité politique. On l’a vu, Pedro Sánchez et les socialistes ont gagné les élections. Mais le socialiste ne dispose pas de majorité absolue, il en est même très loin, se situant exactement au même niveau en termes de nombre de députés que Mariano Rajoy lors des élections de décembre 2015 qui, rappelons-le, avait échoué à cette époque à former un gouvernement ouvrant ainsi la voie à de nouvelles élections. Pour éviter qu’un tel scénario ne se reproduise, le PSOE va donc impérativement devoir trouver des alliés. Cela n’est pas, en soit, problématique. Une alliance, fondée sur un programme de gouvernement clairement préétabli et négocié de bonne foi entre des partis politiques différents peut parfaitement accoucher d’une majorité parlementaire tout à fait stable. Le problème étant qu’en l’occurrence le PSOE n’a pas véritablement d’allié potentiel. Ciudadanos semble avoir catégoriquement exclu toute alliance et tout soutien. Certes, il y a Podemos. Mais même avec le soutien de Podemos, le PSOE demeure à 11 sièges de la majorité absolue. Où trouver les sièges manquants  ? Il y a bien quelques petits partis ici ou là, notamment le PNV, mais même avec le soutien de ces derniers, Pedro Sánchez demeure, dans le meilleur des cas, à un siège de la majorité absolue. Le socialiste va donc avoir besoin, en toute hypothèse, du soutien direct ou indirect des indépendantistes catalans, ce qui le mettrait finalement dans une situation peu ou prou similaire à celle d’avant les élections.

 

Anthony Sfez

Anthony Sfez est doctorant en droit public et attaché temporaire

d’enseignement à l’Université Paris 2 Panthéon Assas.

 

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25 janvier 2019

François Delpla : « Pétain fut longtemps la dupe d'un Hitler qu'il n'a jamais vraiment su cerner »

L’historien François Delpla travaille sans relâche, depuis une trentaine d’années, sur la Seconde Guerre mondiale et le pouvoir nazi. Il compte aujourd’hui parmi les grands spécialistes français de l’époque, qui estime-t-il demeure très méconnue, y compris des historiens, parce qu’entachée de nombreuses zones d’ombre que la recherche seule pourra, peut-être, lever un jour. Auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit et ses perpétrateurs en chef, il vient de s’attaquer, avec son dernier opus en date Hitler et Pétain (Nouveau Monde, 2018), à un sujet des plus explosifs : les coulisses de la collaboration française avec l’occupant, soit à peu près la page la plus touchy de notre histoire récente.

M. Delpla se base sur tout ce qui a été fait antérieurement, par lui et par d’autres, et sur des éléments nouveaux, pour analyser les rapports de force et les responsabilités de chacun, à Vichy et ailleurs. Sa thèse, à chaque fois étayée, par des faits solides comme par des hypothèses, s’éloigne à la fois de celles d’un Robert Paxton ou d’un Éric Zemmour : il considère que Paxton a surestimé les marges de manoeuvre de Pétain et sous-estimé le poids du joug allemand sur l’ « État français » du vieux maréchal ; il ne prête guère foi non plus à la thèse de l’inévitabilité de l’armistice, dont il lit les effets pervers, et estime que la thèse du « bouclier » et de l« épée », chère à Zemmour comme à bien d’autres avant lui, est inopérante (parce qu’elle supposerait un pouvoir que l’auteur ne prête pas à Pétain).

En somme, pour François Delpla, tout, s’agissant des grandes décisions imputées au gouvernement de la zone dit « libre », s’est fait sous contrôle étroit de l’appareil nazi, lui-même clairement aux mains de son décidément habile Führer. Vichy, un État fantoche, responsable de rien ou presque ? Puisse cet ouvrage, passionnant et dont je vous recommande chaleureusement la lecture, être versé parmi les pièces des débats futurs, qu’on espère moins hystérisés mais davantage éclairés, pour appréhender l’histoire de la seule manière qui tienne : avec intelligence et sérénité. Une interview exclusive (20-21 janvier) Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Hitler et Pétain

Hitler et Pétain, Nouveau Monde, novembre 2018.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

François Delpla : « Pétain fut longtemps

la dupe d’un Hitler qu’il n’a jamais

vraiment su cerner »

 

François Delpla bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions autour de votre nouvel ouvrage, Hitler et Pétain, paru aux éditions Nouveau Monde en novembre 2018. Pourquoi ce choix ?

pourquoi "Hitler et Pétain" ?

Ce livre est une sorte de clé de voûte, au point de rencontre de mes études sur le nazisme (dont la seule bio française de Hitler en 1999 et une synthèse sur le Troisième Reich en 2014) et de mes ouvrages sur la défaite française de 1940 et ses conséquences (notamment le Montoire de 1996, le 18 Juin de 2000 et le Mandel de 2008). Autant d’études utiles pour tenter de cerner la part du chef nazi dans les décisions du maréchal que la défaite avait porté à la tête de la France.

 

Les lacunes de l’historiographie et autres zones d’ombre sont-elles encore nombreuses quant à cette période ?

lacunes de l’historiographie

Les lacunes ? Elles béent ! Et la plupart des études bêlent, du moins sur l’essentiel. Je veux dire qu’au-dessus d’analyses de détail souvent novatrices et pertinentes, elles répètent quelques slogans moutonniers en lieu et place d’une logique cohérente. Et malheureusement, si on le fait remarquer aux auteurs, il leur reste la ressource de répliquer que l’histoire n’est pas toujours logique. C’est assez vrai en général, mais incongru s’agissant de toute histoire où Hitler joue un rôle prépondérant.

 

« Les lacunes ? Elles béent ! »

 

Hitler, à partir de la Grande Guerre, témoignait volontiers du respect pour Pétain. Comment le chancelier du Reich a-t-il reçu la nomination de Pétain à la tête du gouvernement français, le 17 juin 1940 ?

Hitler, du respect pour Pétain ?

Le respect, Hitler n’en a que pour ses lubies et son programme, tout le reste n’est qu’instrument ou matériau. Le 17 juin 1940, on ignore sa réaction à la nomination de Pétain. En revanche, sa joie à l’annonce de la demande d’armistice est notoire. Il faut dire que, comme tout le monde (c’est le cas de le dire), il n’envisage pas que l’Angleterre puisse continuer seule la lutte. Une période de paix s’ouvre donc, pendant laquelle un octogénaire ne saurait s’incruster à la tête de la France.

 

Sa nomination a-t-elle pu être de nature à pousser Hitler à une plus grande clémence dans ses conditions d’armistice ?

vers un armistice...

Les conditions d’armistice, élaborées entre le 17 et le 21 juin, sont calculées avant tout pour pousser l’Angleterre à se résigner : l’armistice enchaîne la France au char allemand, le fait de lui substituer une paix générale permettrait à Londres de reprendre des relations avec Paris, sur tous les plans, et éloignerait les canons allemands des falaises de Douvres.

 

Que sait-on de la manière dont Pétain a observé, dès le début des années 30, la prise de pouvoir par Hitler et sa clique nazie, puis l’affirmation de plus en plus forte de leurs ambitions, au-dedans comme au-dehors, jusqu’en 1939 ?

Pétain et la montée du péril nazi

Pas grand-chose. Rien n’indique qu’il distingue le traditionnel « danger allemand » d’un danger nazi spécifique, ni qu’il ait fait le moindre effort pour analyser ce dernier. 

Certes, comme on le sait depuis peu, il réagit vigoureusement aux brusques atrocités de la nuit de Cristal (9-10 novembre 1938). Mais il est douteux qu’il mesure la place, dans la politique allemande de l’heure, d’un antisémitisme obsessionnel et exterminateur. Il est au contraire probable que ce ne soit pour lui qu’un signe de plus d’une « barbarie » intemporelle, et que l’événement ne l’aide pas à voir en Hitler autre chose qu’un excité brouillon.

 

« Pétain n’a probablement pas vu en Hitler

bien davantage que l’image de l"excité brouillon". »

 

Quelle lecture faites-vous de la déroute de 1940, pour ce qui concerne les responsabilités françaises ? Pétain, qui a assumé diverses fonctions, notamment en matière de planification militaire, durant les années 30, est-il vraiment « tout blanc » en cette affaire des plus traumatisantes ?

Pétain et la défaite de 1940

J’ai peu de goût pour la querelle « franco-française » où l’on sanctifie le courage, devant les juges de Riom, de Blum et de Daladier défendant crânement leur politique de réarmement de 1936-1939, tout en mettant en accusation le maréchal devenu chef de l’État français pour sa gestion du ministère de la Guerre en 1934. De fait, Pétain s’était alors docilement coulé dans les restrictions budgétaires du gouvernement Doumergue. Mais ni les uns ni les autres ne regardaient en face cette évidence : l’Allemagne réarmait à toute vapeur sous la conduite d’un dictateur talentueux dont la France était, chronologiquement, la cible première.

 

Dans vos précédents ouvrages, vous avez affirmé plusieurs fois la thèse suivante : ne nous trompons pas, Hitler est bien à la tête et au cœur du dispositif décisionnel nazi. Dans le livre qui nous intéresse aujourd’hui, vous insistez sur la force du joug et de l’influence allemands sur la France, y compris en zone « libre ». Et vous remettez en cause l’approche de Robert Paxton, estimant, pour schématiser, qu’il a surestimé la liberté d’action du gouvernement établi à Vichy. Concrètement, par quels moyens d’action, visibles ou plus discrets, l’Allemagne nazie a-t-elle pesé sur la France administrée par l’ « État français » de Pétain ?

Paxton et la « zone libre »

Vous dirigez la troisième puissance du monde (après l’Angleterre et les États-Unis) et occupez militairement la quatrième pendant quatre ans, dans un conflit mondial qui tourne de plus en plus mal pour vous… à commencer par l’irritante et angoissante poursuite de la guerre par l’Angleterre malgré la chute du bastion français. De surcroît vous êtes un dictateur, et devez dompter un peuple profondément républicain. Et vous allez, comme ose l’écrire Paxton, vous désintéresser de sa politique intérieure pendant « au moins deux ans » ?

Vous avez raison de mettre des guillemets à la zone « libre ». L’adjectif ne peut s’appliquer décemment qu’à la France libre dirigée par de Gaulle, même si Hitler lui porte quelques coups douloureux. Par exemple en induisant la vigoureuse réaction vichyssoise à sa tentative de s’installer à Dakar, le 24 septembre 1940.

 

« Qui peut croire sérieusement, comme l’a écrit

Paxton, que Hitler se soit désintéressé

de la politique intérieure française

pendant "au moins deux ans" ? »

 

Quels sont les hommes de Hitler ayant eu une influence décisive sur la France non-occupée ? On pense notamment à l’ambassadeur d’Allemagne Abetz, qui d’autre ?

les hommes du Führer

Avant tout Werner Best, le troisième homme dans l’organigramme des SS et le co-fondateur du SD avec Heydrich, qui passe pour brouillé avec ce dernier et laisse croire qu’il est nommé à Paris, le 1er août 1940, par l’effet d’une disgrâce. Il a effectivement, dans l’organigramme du commandement militaire, deux gradés au-dessus de lui, mais il les domine de la tête et des épaules, notamment sur le plan de la politique antisémite.

Je mets également en lumière le rôle de Rudolf Rahn, un diplomate orfèvre qui est théoriquement le n° 3 de l’ambassade, derrière Abetz et Schleier. Et celui de Charles Bedaux, alors un célèbre milliardaire né français et naturalisé américain, qui effectue au moins, de la part de Hitler, une mission des plus délicates pour contrôler le général Weygand en décembre 1940, dans les remous induits par le renvoi de Laval. Je cerne aussi, par exemple, le rôle du juriste Friedrich Grimm dans l’arrêt, en douceur, du procès de Riom en mars-avril 1942, celui de Göring dans le retour au pouvoir de Laval, etc. Avec, dans chaque cas, des preuves documentaires de l’implication de Hitler… par ailleurs indubitable d’un point de vue organisationnel, tant ces manœuvres sont délicates et requièrent un pilote unique.

 

Vous expliquez très bien que, contrairement à tout ce qui se trouvait à l’est du Reich, Hitler ne souhaitait pas tant asservir la France que la diminuer, pour qu’elle ne puisse plus jamais prétendre à la domination du continent européen. Et indiquez même que, souhaitant atteindre un rapprochement favorable avec le Royaume-Uni, le dictateur aurait été prêt, pour acte de bonne volonté, à renoncer à l’Alsace-Lorraine. Dans les faits, a-t-il jamais traité la France comme un partenaire plutôt que comme un État-client ?

la France dans l’Europe hitlérienne

Il la traite avant tout comme un ennemi à sa merci et à la manière d’un dompteur : le fouet n’est jamais loin mais on s’en sert le moins possible… ce qui présente, entre autres avantages, celui de permettre à Pétain de se peindre ou d’être peint en sauveur, jusque dans les proses d’un Eric Zemmour en 2018 !

Dompter, c’est aussi flatter. Hitler sait laisser à la France des satisfactions mineures, qui ne touchent pas à l’essentiel, par exemple en matière de littérature (Sartre ou Camus, insoupçonnables de sympathies nazies, sont publiés librement à l’égal de Céline ou de Chardonne) ou de mode vestimentaire féminine (Goebbels est bridé dans son souhait initial que Berlin éclipse Paris).

L’Angleterre ? Oui, Hitler espère jusqu’au bout s’attirer ses bonnes grâces en l’amenant à éliminer Churchill. C’est l’une des raisons de sa relative mansuétude envers la France.

 

« Hitler espère jusqu’au bout s’attirer les bonnes

grâces de l’Angleterre en l’amenant à éliminer

Churchill. C’est l’une des raisons de sa relative

mansuétude envers la France. »

 

J’avais avant lecture de votre livre, quelques idées reçues : un Pétain réactionnaire à l’intérieur (plutôt d’ailleurs pour la vie des autres que pour la sienne) et collaborateur plus résigné qu’enthousiaste, un Pierre Laval pour lequel ce serait plutôt le contraire (homme venu de la gauche, prêt à des compromissions déshonorantes au nom d’un pacifisme acharné), et un Darlan voulant conserver une fenêtre ouverte avec Washington. Dans quelle mesure votre travail d’historien confirme-t-il ces schémas ?

Pétain, Laval, Darlan

Pétain est en perpétuelle recherche du meilleur compromis possible avec l’occupant ; c’est certainement, des trois, celui qui fait le plus abstraction de ses idées personnelles. Darlan a une dent contre les Anglais et dans le monde anglo-saxon c’est plutôt, effectivement, vers l’élément américain qu’il se tourne. Laval, le seul des trois qui soit un politicien de métier, retrouve un certain nombre de ses marques républicaines après l’année 1940, au cours de laquelle il avait déployé des efforts de nazification censés lui attirer les bonnes grâces de l’occupant. Mais tous trois sont avant tout satellisés par un Hitler soucieux de violer la France avec son consentement.

 

Dans le même ordre d’idées, considérez-vous que Pétain, Laval et les autres ont violé par leurs actes ultérieurs, et par la manière même dont ils l’ont sollicité, le mandat qui leur fut accordé par les parlementaires de la Troisième République, le 10 juillet 1940 ? Thèse qui seule puisse garantir, en plus de sa légitimité politique qui ne fait aucun doute, un fondement légal à l’annulation, à la Libération, de l’acte constitutionnel établissant le régime dit « de Vichy » ?

10 juillet 1940 : la république violée ?

Ce mandat lui-même est un mythe, nazi de surcroît ! L’assemblée nationale siégeant à Vichy est déjà une mascarade dictatoriale, permise sinon imposée par l’ennemi. L’exécutif écrase le législatif, en omettant de convoquer les opposants potentiels les plus virulents (les passagers du Massilia), souvent juifs qui plus est (Mandel, Zay, Mendès France, Lazurick…), et en imposant la teneur et le rythme des débats, ce qui tranche par rapport aux moeurs de la Troisième ! Du reste le mandat principal, celui de rédiger une constitution, n’est pas rempli parce que l’occupant y met violemment obstacle, le 13 novembre 1943, et que Pétain s’incline.

 

« Le mandat principal, celui de rédiger une

constitution, n’est pas rempli parce que l’occupant

y met violemment obstacle, le 13 novembre 1943,

et que Pétain s’incline. »

 

Vous laissez entendre dans votre livre, élément pouvant surprendre, que Hitler se serait fort bien accommodé d’une continuation (certes « épurée ») de la république en France non-occupée : misant en ce cas sur une division accrue du pays, il n’aurait eu que davantage de jeu pour la « tenir en laisse ». N’y a-t-il eu aucune exigence nazie quant à la forme, et à l’exercice du nouvel État français ?

Hitler et la forme de l’État français

Aucune. Cependant, il y a, comme toujours, des suggestions et des manipulations. À certains moments et par certaines bouches, l’occupant semble souhaiter un renversement de la République. Mais au lendemain, et même à la veille, du vote du 10 juillet 1940, la propagande de Goebbels se gausse des Français qui «  jouent au fascisme  » et déclare que le Reich n’est pas dupe ! La division du pays, empêchant toute réaction unitaire aux menées allemandes, est bien le maître mot de la politique d’occupation.

 

Quels autres noms, certainement moins connus, faut-il retenir parmi ceux qui gravitaient autour de l’État français de Pétain, pour mieux appréhender l’époque dans toute sa complexité ?

les hommes de Vichy

Essentiellement Pierre Pucheu qui, pendant ses neuf mois au ministère de l’Intérieur, développe une politique personnelle qui aurait pu être fructueuse… si Hitler n’avait pas été Hitler : redoubler d’anticommunisme tandis que le Reich piétine en Russie, pour l’amener à penser qu’il pourrait confier à la France le créneau de sa défense occidentale. Le livre de Gilles Antonowicz, le premier qui étudie de près le personnage, manque complètement cet aspect des choses.

J’aborde de façon nouvelle le cas Weygand, sur lequel règne encore de manière écrasante un tabou : ce général se distingue certes, dans le haut personnel vichyssois, par son tropisme anti-allemand… sauf le premier mois, pendant lequel il est aussi résigné, et aussi pessimiste sur les chances d’une victoire anglaise, que Pétain, Laval ou Darlan. Le livre récent de Max Schiavon, Weygand l’intransigeant, est, comme l’indique son titre, aveugle sur ce point.

J’éclaire aussi, notamment grâce à ses archives personnelles, le rôle d’Henry du Moulin de Labarthète, chef du cabinet civil de Pétain pendant les deux premières années et adversaire assez conséquent des tentatives de collaboration de Darlan à la fin de son ministère, d’où sa disgrâce exigée par Berlin.

 

Comment qualifier la politique étrangère chapeautée par le maréchal Pétain durant son temps d’influence effective à la tête de l’État français ?

les affaires étrangères de Pétain

Il mange à tous les râteliers mais… surtout à l’allemand, et constamment sous le contrôle de Hitler. D’autre part, il essaye de profiter des difficultés croissantes du Reich (les différentes versions, de plus en plus républicaines, de sa constitution en témoignent) mais le Führer anticipe ses manœuvres, ou y réagit promptement.

Il était tout disposé à s’allier avec le Reich, notamment au moment de Montoire (octobre 1940) et des protocoles de Paris (mai-juin 1941), et encore en janvier 1942.

 

« À plusieurs moments (octobre 1940, mai-juin 1941

ou encore janvier 1942), Pétain fut disposé

à s’allier avec le Reich. »

 

Quelles sont les décisions ignominieuses qui ont été prises « en liberté » par le régime installé à Vichy ?

liberté d’(ex)action

Il me semble impossible de répondre. Berlin investit et gouverne Vichy d’une manière très serrée, sur laquelle il reste sans doute beaucoup à découvrir. Le jeu de Hitler consiste à obtenir que Pétain se discrédite (pour pouvoir cuisiner la France à sa sauce sans devoir composer avec un chef prestigieux) tout en lui conservant un minimum d’autorité : un savant dosage est indispensable, qui suppose un contrôle de tous les instants.

 

Est-ce que, sur le plan de la classification politique, vous positionneriez le régime dit de Vichy comme un régime fasciste, ou bien comme un régime autoritaire plus classique, de type paternaliste ?

quel régime à Vichy ?

Pour des raisons déjà dites, je ne vois pas là un régime. De Gaulle avait à mon avis raison de parler (dès la fameuse affiche intitulée « La France a perdu une bataille… ») de « gouvernants de rencontre » et de rappeler une formule de Napoléon : « Un général tombé au pouvoir de l’ennemi n’a plus le droit de donner des ordres ».

 

Pétain a-t-il réellement songé à rejoindre la France libre en Afrique, et si oui qu’est-ce que cela aurait changé selon vous ?

Pétain avec la France libre ?

Oui. Tout ! Du moins la première fois, que j’ai découverte en 2008 et racontée dans le livre sur Mandel. Ce prisonnier, Paul Reynaud et d’autres hommes politiques de la Troisième, internés par Pétain pendant sa danse du ventre initiale de l’été 40, sont brusquement mis en route vers Alger le 31 décembre 1940. L’équipée avorte à mi-parcours et s’achève à Vals-les-Bains. Ce signe et d’autres montrent que la décision de départ était prise, à l’invitation de Churchill, dans la foulée du renvoi de Laval et de la crise consécutive des rapports vichysso-germaniques. Si Darlan, Chevalier et quelques autres ministres n’avaient pas mené auprès du maréchal une contre-attaque vigoureuse et victorieuse, Hitler était fini, et le nazisme plus encore : obligé de poursuivre les fugitifs, il se serait enlisé à l’ouest, aurait mortellement fâché les États-Unis, recréant la situation de 1917, et aurait dû dire adieu à l’opération Barbarossa, fruit de son racisme et pilier de son programme.

Une deuxième velléité se produit en novembre 1942, au lendemain de l’invasion alliée en Afrique française du nord (AFN). Si Pétain s’était alors envolé vers Alger, les conséquences auraient surtout été « franco-françaises », de Gaulle ayant plus de mal à s’imposer à la Libération. Pour continuer à dominer et à pressurer la métropole, Hitler n’aurait pas pu se conduire beaucoup plus brutalement qu’il ne l’a fait, Pétain étant présent ; il aurait sans doute passé des compromis avec Laval… ou avec n’importe qui. Mais il était bien plus confortable pour lui de garder Pétain… et il a tout fait pour cela, y compris en agitant la menace de tout casser s’il s’en allait (la menace, récurrente pendant toute l’Occupation, d’une « polonisation » menée par un « gauleiter »).

 

« À la fin du mois de décembre 1940, Pétain a failli

rejoindre Alger. Ce qui aurait largement

compromis les plans de guerre de Hitler. »

 

Pétain a-t-il sincèrement été indisposé par certaines des pires exactions de ses « ultras » - la Milice par exemple ?

Pétain et ses « ultras »

Il s’offre le luxe d’appeler un jour Darquier de Pellepoix, bourreau de Juifs nommé par lui-même, « Monsieur le tortionnaire ». Cela s’appelle prendre ses distances sans les prendre. Il en va de même de la lettre à Laval stigmatisant les crimes de la Milice, le 6 août 1944. Il est peut-être sincèrement indigné mais il a couvert ces exactions, et ne les désavoue que dans le cadre d’un calcul politique (favoriser une transition avec le gouvernement que les États-Unis sont sans doute sur le point d’installer).

 

Après la guerre, les défenseurs de Pétain ont porté cette idée qu’il aurait agi, sinon de concert, en tout cas en une logique commune avec celle de De Gaulle. Cette théorie du « bouclier » et de l’ « épée », reprise récemment par Éric Zemmour,  a-t-elle quelque base solide ?

le « bouclier » et l’ « épée »

Zemmour, après bien d’autres, s’appuie sur l’idée que l’armistice de juin 1940 était inévitable et la poursuite de la guerre à partir des colonies, chimérique. Et sur ce corollaire : l’armistice arrêtait Hitler, sauvait les meubles, permettait la reprise ultérieure du combat. En réalité, il offrait à Hitler un contrôle sur des zones, en particulier coloniales, qu’il n’aurait pu dominer sans renoncer à lui-même, à sa cour au Royaume-Uni et à ses ravages en pays slaves. Surtout, à très court terme, l’armistice franco-allemand mine un peu plus la position de Churchill et son option d’une continuation de la guerre quoi qu’il en coûte. Les « raisonnables » du genre de Halifax, après une courte défaite fin mai, au moment de Dunkerque, relèvent la tête, contactent l’Allemagne, ou tentent de le faire, via la Suède et l’Espagne et conspirent contre Churchill, qui ne retrouvera un peu de confort qu’après la tuerie de Mers-el Kébir et, surtout, après le discours par lequel il la justifie le lendemain. Un massacre dû d’ailleurs non à lui-même mais à une exécution hésitante de ses ordres par l’amiral Somerville.

À l’occasion d’un récent séjour en Suède, j’ai eu l’idée du dernier paragraphe du livre : une comparaison terme à terme entre la situation de ce pays et de celle de la France, le 18 juin 1940. En même temps que Pétain fonce vers l’armistice, le premier ministre socialiste Per Albin Hansson et son ministre des Affaires étrangères conservateur Christian Günther accordent à Hitler, sous la menace d’une invasion, un droit de transit vers la Norvège, qu’ils lui refusaient depuis avril et qui va mettre le trafic allemand à l’abri des coups de la flotte anglaise. Les démarches de Pétain et de Hansson regorgent de points communs, dont le plus important est qu’elles portent simultanément un coup au moral du Royaume-Uni, augmentant les chances qu’il se résigne devant le triomphe allemand. En d’autres termes, que Churchill soit promptement renversé par les « raisonnables » précités.

 

« N’en déplaise à M. Zemmour, l’armistice, plutôt que

de sauver les meubles, a offert à Hitler un contrôle

sur des zones (en particulier coloniales) qu’il n’aurait

pu dominer lui-même, et surtout miné, à court

terme, les positions déjà fragiles de Churchill. »

 

Quelle image vous faites-vous du Pétain des années 1940-45 après cette étude ? A-t-il sacrifié honneur et réputation pour gérer au mieux, de bonne foi, une situation exceptionnellement dégradée, ou bien s’est-il prêté sciemment à un coup d’État revanchard ?

Pétain 1940-45, quel bilan ?

Rappelons que l’accusation, lors de son procès, a finalement renoncé au grief de complot contre la République. Mais rappelons aussi que la justice n’est pas l’histoire : une telle renonciation procède d’une insuffisance de preuves, hic et nunc, devant le tribunal, et non d’une impossibilité définitive de prouver. En fait, les options de politique intérieure et de politique extérieure se mêlent étroitement, pendant le mois qui sépare la percée de Sedan du choix de l’armistice. Pétain, qui a toujours sur le coeur la victoire du Front populaire en 1936 et les mouvements sociaux consécutifs, en vient à réprouver le régime lui-même. Il n’a pas adhéré, en 1937, à la conspiration putschiste de la Cagoule… mais ne l’a pas dénoncée à Daladier, son ministre. Tout cela dépeint une atmosphère et suggère des tentations. Et l’anticommunisme est, pendant toute la période, un solide point commun entre pétainisme et nazisme.

L’habileté de Hitler, si longtemps méconnue, est à la fois disculpante et accablante. Elle était (et reste) difficile à percevoir, mais comme toutes ses dupes, Pétain s’est cru, au moins pendant un temps, le plus malin et c’était faux, malheureusement pour lui et pour son pays. Il disait volontiers qu’il fallait être réaliste et ne pas jouer les chances de la France sur un coup de dés… mais c’est exactement ce qu’il faisait : la victoire allemande, à laquelle il croyait dur comme fer en signant l’armistice et assez longtemps après, n’était qu’une apparence, à grand renfort de mise en scène, et il se laissait éblouir. Il refusait de voir en face non seulement la barbarie d’une vision de l’histoire en termes de lutte des races, mais son improbabilité. Pas plus qu’il ne discernait les obsessions qui obéraient l’intelligence hitlérienne, et notamment l’obsession antifrançaise, égale en intensité à l’obsession antisémite, à défaut d’être aussi meurtrière.

Cela peut s’appeler de la trahison, objectivement. Subjectivement, c’est une autre question, mais est-elle si importante  ?

 

Quels arguments pour inciter ceux que la période intéresse, et ceux même qui la connaissent bien, de s’emparer de votre livre ? En quoi fait-il "avancer le schmilblick" de la connaissance et de la recherche historiques ?

avancées historiographiques

  • Sur le filet tendu par Hitler pour piéger la France, au long des années trente : le journaliste Fernand de Brinon, ami d’Abetz (et futur ambassadeur de Vichy en zone occupée), est utilisé par Hitler pour contacter, et amuser par de bonnes paroles, au moins deux chefs de gouvernement, Daladier en 1933 et Laval en 1935.

  • Sur le premier statut des Juifs (18 et non 3 octobre 1940) :
    * Abetz est perçu dès son arrivée (mi-juin 1940) comme un antisémite qu’il convient de satisfaire sur ce chapitre;
    * il organise dès juillet des manifestations antisémites sur la voie publique;
    * de concert avec Werner Best, il incite dès le mois d’août Vichy à prendre des mesures contre les Juifs;
    * les historiens se sont laissés impressionner par un effet de manche de l’avocat Serge Klarsfeld (plein de mérites par ailleurs), prétendant le 3 octobre 2010 que Pétain était l’inspirateur principal de l’antisémitisme vichyssois et de la dureté du statut, sur la seule foi d’un brouillon annoté par lui ; l’étude de ce texte selon une méthode historique oriente la réflexion dans une direction toute différente : la recherche d'une collaboration en tirant parti de la victoire vichyste à Dakar.

  • Sur la préparation par Vichy d’une expédition militaire contre le Tchad passé à de Gaulle : c’est ce que Pétain entend, à Montoire, sous le vocable de « collaboration » et le projet se concrétise tout à fait sérieusement dans une réunion politico-militaire franco-allemande, le 10 décembre. Hitler a poussé à la roue, puis fait machine arrière, conformément à son orientation politique fondamentalement pro-anglaise, et à son intention de guerroyer en Russie plutôt qu’en Afrique.

  • Sur le renvoi de Laval le 13 décembre 1940 : Hitler a de bonnes raisons de penser qu’en convoquant Pétain à Paris comme un domestique, deux jours à l’avance, pour le « retour des cendres de l’Aiglon », il provoquera une crise majeure entre lui et son principal ministre ; il est le premier à estimer que Laval s’est usé en étant trop complaisant envers lui-même (et Goebbels l’écrit dans son journal), alors qu’il l’y a évidemment encouragé. Mais les choses lui échappent un peu à la fin du mois et il rattrape la situation de justesse en faisant intervenir Charles Bedaux.

  • Sur l’affaire des « gardes territoriaux » accusés d’avoir assassiné des parachutistes allemands en mai-juin 1940, arrêtés par dizaines en zone occupée, condamnés à mort en grand nombre et exécutés, à dose homéopathique, en 1941 : il s’agit d’un des principaux moyens hitlériens de chantage, en liaison étroite avec le sort de Paul Reynaud et de Georges Mandel, prisonniers de Vichy et réclamés plus ou moins énergiquement par le Reich.

  • La première exécution d’un Parisien, Jacques Bonsergent, le 23 décembre 1940, doit également être interprétée comme un chantage de Hitler : il refuse sa grâce à ce passant condamné depuis trois semaines (pour avoir été pris dans une bousculade), à la veille du départ de son train vers la France, où il va prendre en main personnellement l’amiral Darlan.

  • Un autre brouillon annoté par Pétain, en novembre 1941, en prévision de sa rencontre avec Göring à Saint-Florentin le 1er décembre, le montre prêt à signer un traité avec l’Allemagne.

  • Sur la persécution des Juifs :
    * le plasticage de la moitié des synagogues parisiennes dans la nuit du 2 au 3 octobre 1941, est indubitablement une provocation hitlérienne, exécutée par Heydrich et destinée à retirer des mains des militaires la direction des opérations de police, au profit des SS; l’événement doit aussi être mis en rapport avec la nuit de Cristal, prélude à une aggravation de la persécution des Juifs allemands, et avec la haine de Hitler pour la religion juive, trop souvent éclipsée par les massacres alors qu’elle en est une prémisse.
    * le remplacement comme « commissaire aux questions juives » de Xavier Vallat par Darquier de Pellepoix au printemps 1942, prélude au tour de vis imprimé par Bousquet (rafle du Vel d’Hiv, etc.), est nommément réclamé par Werner Best à Brinon, en excipant de « pouvoirs spéciaux », le 21 février.
     
  • Sur le procès de Riom : le coup d’envoi est donné par Abetz lors de sa première rencontre avec Laval, le 20 juillet 1940, racontée par Brinon dans un rapport à Pétain que je publie pour la première fois. Comme je publie le compte rendu de la démarche de Friedrich Grimm pour faire cesser le procès suivant un mode d’emploi précis, à la mi-mars 1942.
     
  • Le diplomate Charles Rochat dénonce aux Allemands, le 11 novembre 1942, le général Weygand qui voulait leur faire tirer dessus lors de leur invasion de la zone sud ; il s’agit moins de traîtrise que d’affolement, et de l’éternel souci vichyssois d’éviter un « bain de sang ».
     
  • L’assassinat de l’influent politicien toulousain Maurice Sarraut par un milicien, le 2 décembre 1943, prend place dans la dernière crise importante des relations entre Hitler et Pétain, ouverte le 13 novembre et conclue fin décembre par l’entrée de miliciens au gouvernement et une sévère épuration des personnels. D’autres meurtres de personnalités de la Troisième République, au demeurant d’origine juive (Marx Dormoy, Victor Basch, Jean Zay, Georges Mandel), ressemblent à des coups de fouet pour faire marcher droit le maréchal, même s’il n’est pas toujours possible, en l’état de la documentation disponible, de prouver l’implication du Führer.
     
  • Le massacre d’Oradour-sur-Glane (10 juin 1944), souvent et laborieusement expliqué par des raisons locales, est beaucoup mieux éclairé si on le replace dans la minutieuse préparation, par l’occupant nazi, d’une réaction au débarquement allié annoncé pour 1944. Il convient notamment de remarquer le voyage de Himmler à Montauban pour y chapitrer la division Das Reich et son chef Lammerding, le 12 avril. Il faut aussi tenir compte de l’écriture à quatre mains (maréchaliennes et hitlériennes) de l’allocution radiodiffusée de Pétain le 6 juin, enregistrée en février : le maréchal y déclare que le débarquement est un nouveau malheur pour la France et que, pour limiter les dégâts, ses habitants doivent se conformer strictement aux ordres allemands. Or, entre le 6 et le 10 juin, la Résistance s’était largement manifestée, ce qui justifiait le déclenchement d’un plan d’intimidation… et le fait que ce froid massacre d’un gros bourg paisible entraîne beaucoup plus de décès que les accrochages de la Wehrmacht avec tel ou tel maquis.
     
  • Le fait même qu’après l’étape de Sigmaringen Pétain soit obligeamment conduit en Suisse, sur sa demande, par son escorte de SS peut s’interpréter comme une peau de banane lancée par Hitler sur les pas de De Gaulle, qui s’apprêtait à le faire juger par contumace.
     
  • Ce livre est une contribution à la connaissance du régime nazi, tant il montre un Hitler à l’aise pour peser sur toutes les décisions importantes, soit directement soit par divers intermédiaires, parmi lesquels le mouvement SS s’arroge une place croissante.

 

« Ce livre est une contribution à la connaissance

du régime nazi, tant il montre un Hitler à l’aise

pour peser sur toutes les décisions importantes,

directement ou via, par exemple, les SS. »


Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, François Delpla ?

des projets

Je me lance dans un nouvel ouvrage, sur le cœur du pouvoir nazi. L’éditeur m’a interdit d’en dire plus pour l’instant ! Et bien entendu je suis disponible pour tous les débats, notamment à propos de l’édition française de Mein Kampf, cette Arlésienne qui ne devrait plus trop tarder à apparaître.
 

Un dernier mot ?

dernier mot

L’humanité passe par un moment aussi dangereux que passionnant, qu’on est tenté de rapprocher des années trente tout en espérant qu’il ne soit pas comme elles le prélude d’une période apocalyptique. Les historiens ont des devoirs particuliers : il leur incombe de montrer que le séisme nazi est unique et non reproductible, mais aussi que l’humanité n’en est pas sortie intacte et qu’il requiert toujours, pour éviter des répliques, un effort de compréhension.

 

François Delpla 2019

François Delpla, historien.

 

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23 janvier 2019

Olivier Da Lage : « Le révisionnisme bat son plein dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir... »

Je suis heureux, pour cette première interview-chronique de l’année, de donner la parole, une nouvelle fois, au journaliste de RFI Olivier Da Lage, à l’occasion de la parution de L’Essor des nationalismes religieux (Demopolis), ouvrage collectif qu’il a dirigé et dans lequel il a signé un texte sur le nationalisme hindouiste en Inde, pays qu’il connaît bien. Je remercie M. Da Lage d’avoir accepté de répondre à mes questions (interview datée du 20 janvier) et vous invite vivement à vous emparer de cet ouvrage, qu’on peut lire tout ensemble ou bien en « picorant » dedans, chacun des articles s’attachant à expliquer une situation particulière, et à raconter une partie de la psyché nationale du pays concerné. Un document important qui met en lumière, en tant que phénomène de fond, des éléments d’actualité qu’on aurait pu croire localisés dans l’espace et le temps. Et qui nous aide, et ce n’est pas là son moindre mérite, à mieux comprendre ce monde décidément incertain - mais avec toujours, quelques permanences - dans lequel nous vivons. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

L'essor des nationalismes religieux

L’Essor des nationalismes religieux, Demopolis, 2018.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage : « Le révisionnisme bat son plein

dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir... »

 

Olivier Da Lage bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions autour de L’Essor des nationalismes religieux (Demopolis, 2018),  ouvrage collectif que vous avez dirigé et dans lequel vous avez signé une contribution, sur la situation en Inde. Vous l’indiquez vous-même : peu d’études ont analysé le phénomène de « l’essor des nationalismes religieux » en tant que tel, et moins encore avec une telle vue d’ensemble. C’était nécessaire d’y remédier, à votre sens, pour mieux appréhender le monde d’aujourd’hui ?

pourquoi ce livre ?

Bien sûr. Il y a suffisamment d’exemples à travers la planète de ces mouvements nationalistes d’inspiration religieuse pour que l’on ne puisse plus les négliger ou considérer leur accumulation comme des coïncidences. On parle de populismes, de théocraties, de mouvements religieux, de nationalismes, mais ce qui manquait, à l’échelle globale, c’est une étude systématique du phénomène pour voir ce que ces exemples ont en commun et les spécificités locales qui les distinguent les uns des autres. Au total, il apparaît clairement que les traits communs sont suffisamment nombreux pour que l’on puisse parler de nationalismes religieux en tant que phénomène global, indépendamment de ce qui différencie les uns des autres selon les régions du monde. L’autre raison qui rendait nécessaire une telle étude est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène statique, mais en plein essor, ainsi que l’indique le titre de l’ouvrage.

 

À quand faire remonter le phénomène ? La partition Inde hindoue / Pakistan musulman, en 1947 ? La révolution islamique iranienne en 1979 ? Peut-être, dans une certaine mesure, une tendance favorisée par la dislocation des empires, puis la fin de la guerre froide et des grandes idéologies du vingtième siècle ? Peut-on dire que la religion est, de plus en plus, la « nouvelle couleur » du nationalisme ?

les nationalismes religieux, depuis quand ?

Les idéologies que l’on peut considérer comme les matrices de ces nationalismes religieux sont parfois assez anciennes. La plupart remontent à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle. Mais les mouvements qui s’en réclamaient restaient relativement marginaux, car l’espace politique était occupé par les courants conservateurs qui voulaient perpétuer l’ordre ancien (immuable, aurait dit Bonald) d’un côté, et de l’autre, les mouvements progressistes, souvent nationalistes et positivistes. Par conséquent, pendant des décennies, les idéologues nationalistes religieux et les mouvements qui se réclamaient d’eux ont relativement peu fait parler d’eux.

Cela change en effet avec d’une part la déception qui a suivi l’accession au pouvoir des élites occidentalisées dans les pays décolonisés  : corruption, manque de résultats économiques, comportements dictatoriaux, etc. et d’autre part, l’échec du projet communiste, la disparition de l’URSS et l’effondrement de l’influence soviétique à travers le monde. L’horizon se dégageait pour les nationalistes religieux, dont la place, au sein des courants nationalistes, va croissant à partir des années 80. Donc, oui, dans une large mesure, le nationalisme prend en bien des régions du monde le visage de la religion. Et c’est l’Iran, avec la révolution islamique de 1978-1979 qui a en quelque sorte ouvert la voie, même si à l’époque on ne l’a pas analysé dans ces termes.

 

Il est difficile de tirer des conclusions générales d’un panel aussi complexe de situations variées. Quelques constantes semblent, toutefois, pouvoir être retrouvées. Sur fond de crise de confiance dans le politique (corruption généralisée ou incapacité à résoudre des problèmes majeurs), d’un  sentiment de déclassement, de mise en danger de son identité par « l’autre » (exemple : l’Amérique de Donald Trump), voire même de crise existentielle (quête de sens dans un monde où tout est marchandise et compétition) en profondeur et à grande échelle, les populations formant la composante socio-ethnique majoritaire d’une nation sont celles qui, souvent, vont décider (dans les pays où on leur donne la parole) de confier les rênes de leur destin à des forces politiques à agenda plus ou moins empreint de religieux. Assiste-t-on, dans les pays en question, à des situations de repli identitaire objectif, par choix direct d’une majorité de citoyens ?

un repli sur soi des majorités ?

Oui. Cela va même plus loin que cela. Si on réduit les ingrédients du nationalisme religieux au minimum, à la manière dont on réduit des fractions, on y trouve une constante  : le sentiment de la majorité d’une population que son identité est menacée par les minorités, à qui tout est dû et que l’on «  apaise  » par des concessions sans fins à leurs revendications extravagantes qui remettent en cause l’âme même de la nation. On convoque à cette fin la tradition ancestrale, qui, le plus souvent, est en réalité très récente, mais de plus en plus enracinée dans la religion dominante. Il est frappant, par exemple, de voir Poutine, ancien officier du KGB à l’époque soviétique, se proclamer le héraut de la défense du christianisme orthodoxe. En Inde, les nationalistes hindous au pouvoir rejettent tous les maux de la société sur le «  pseudo-sécularisme  » de Nehru et du parti du Congrès, même Gandhi n’échappe pas à leurs critiques et une part croissante de la population lui reproche d’avoir «  donné  » le Pakistan aux musulmans et d’avoir été dupés par les Anglais. Ce qui ne manque pas de sel car les nationalistes hindous, dans les années 30, s’opposaient bien davantage au Congrès qu’aux Anglais. Enfin, la vie politique en Israël est aujourd’hui largement confisquée par les nationalistes juifs (d’où le vote de la loi sur l’État juif en juillet 2018) alors même qu’Israël a été fondé dans une large mesure par des socialistes laïcs.

 

Dans quels cas, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, ces phénomènes s’accompagnent-ils, dans les faits, d’une transformation des structures de l’État, dans le sens d’un poids accru qui serait accordé à la religion, y compris pour régir la société et la vie de tous les jours ?

une place accrue du religieux dans la société ?

Bien avant d’être religieux, c’est un phénomène culturel avant tout. Il faut reprendre le contrôle de la société selon les valeurs religieuses (et conservatrices) et donc contrôler l’enseignement, à commencer par l’histoire. Le révisionnisme bat son plein dès que les nationalistes religieux arrivent au pouvoir (Inde, Israël, Brésil depuis l’élection de Bolsonaro, ou dans les États des États-Unis dirigés par des Républicains dans la mouvance des Évangéliques)… Les droits des femmes, des minorités religieuses, et à leur suite, de tous ceux qui ne se fondent pas dans la culture dominante normée par le parti au pouvoir sont remis en cause et les critiques sont de moins en moins bien tolérées. Des sociétés démocratiques (Inde, brésil, Etats-Unis, Israël, Hongrie) glissent progressivement vers la «  démocrature  » pour reprendre le néologisme qui associe les contraires  : démocratie et dictature. La Turquie d’Erdogan en est un autre exemple. C’est d’abord un contrôle social sur la population qui est à l’œuvre. Le divin y a finalement peu de place. On serait tenter de se demander  : «  et Dieu, dans tout ça  ?  ».

 

Tous les États des pays à forte poussée de nationalisme religieux n’ont certes pas vocation, vous l’avez rappelé à l’instant, à devenir des théocraties, et on est bien loin, même dans les perspectives « pessimistes », d’une multiplication attendue du cas iranien. Malgré tout, est-ce que tout cela n’est pas, pris tout ensemble, un signe de recul du rationalisme auprès de populations de plus en plus nombreuses ?

un recul du rationalisme ?

Si, à l’évidence. Il est frappant que les ressorts du nationalisme (ferveur, croyance intense dans le caractère exceptionnel de la nation à laquelle on appartient) opèrent dans un registre très proche de la ferveur religieuse. Le nationalisme n’est pas un mouvement fondé sur la raison. A fortiori lorsqu’il prend une dimension religieuse.

 

Plusieurs des textes de votre ouvrage indiquent qu’une recrudescence du sentiment religieux auprès de la population majoritaire s’accompagne malheureusement, parfois, de gestes d’intolérance - voire carrément de haine - de plus en plus marqués envers certaines minorités. Je ne citerai que l’exemple de votre texte, celui des musulmans d’Inde pris à partie par certains tenants d’un hindouisme radical, porté par l’actuel gouvernement. Est-ce que l’on perçoit, auprès de ces minorités qui se sentent de plus en plus mises à l’écart, en Inde ou ailleurs, des réactions à leur tour identitaires, voire des velléités séparatistes affirmées ?

une réaction des minorités ?

Pas vraiment. Une partie essaie de résister sur un plan intellectuel, en alliance avec les autres intellectuels d’opposition. Mais la très grande majorité baisse la tête et fait le gros dos, en attendant des jours meilleurs, par crainte d’aggraver leur situation et de provoquer les milices du courant majoritaire en leur donnant une justification supplémentaire pour les brimer.

 

Où y a-t-il à ce jour, situations ou risques de conflit interne violent sur des bases identitaires et religieuses ? Est-ce que, dans certains cas, il peut y avoir implication d’autres pays se voulant, de bonne foi ou par calcul géostratégique (voir : la guerre au Yémen) défenseurs de telle ou telle foi ?

où sont les risques ?

Je serais tenté de dire, à peu près partout. Aucun peuple n’est immunisé contre cette tentation. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que l’on va constater partout la montée des nationalismes religieux. Par ailleurs, il existe des partis religieux qui ne relèvent pas du courant nationaliste, par exemple la Démocratie chrétienne en Allemagne. Et souvent, même lorsque les arguments prennent un tour religieux dans un conflit (par exemple l’opposition entre chiites et sunnites souvent évoqué dans la tension entre l’Iran et l’Arabie Saoudite), il s’agit le plus souvent d’un habillage pour une opposition classique entre deux nations rivales pour l’hégémonie à l’échelle d’une région.

 

La montée des nationalismes religieux va-t-elle de pair avec une plus grande volatilité des relations internationales ? Le nationalisme religieux, « c’est la guerre », aussi ?

potentiellement la guerre ?

C’est certain. S’il existait un ordre international unanimement accepté, cela laisserait moins de place à ces courants. Mais le nationalisme religieux n’est pas nécessairement un projet expansionniste. Si on prend le cas des extrémistes bouddhistes birmans ou sri-lankais, ou encore des nationalistes hindous en Inde, il s’agit essentiellement de renforcer un contrôle intérieur, sur la population nationale, en excluant du récit national une partie des habitants qui, de fait, deviennent citoyens de seconde zones, autorisés à n’exister qu’à la condition de se soumettre aux exigences du groupe majoritaire.

 

Quels sont les points chauds ou potentiellement chauds qui, en matière pour le coup de conflit potentiel, vous inquiètent le plus ? Est-ce que vous entrevoyez des hotspots qui, de par leur portée symbolique, ou le jeu des sphères d’influence et alliances, pourraient devenir pour leur région, ou au-delà, ce que furent les Sudètes en 1938, voire la Serbie en 1914 ?

des points chauds ?

Je ne m’y risquerai pas à ce stade. Pour l’heure, comme je l’ai dit, j’estime que l’exacerbation de l’idée nationale au nom de la religion obéit avant tout à un projet de contrôle social et politique sur une population à l’intérieur des frontières. Demain, je ne sais pas.

 

On prête volontiers à André Malraux la citation suivante : « Le XXIe siècle sera religieux... ou ne sera pas ». À votre avis : on y est ? ou bien y va-t-on tout droit ? Les épisodes relatés dans votre ouvrage sont-ils des passades plus ou moins longues, ou bien des mouvements de fond ?

vers un siècle religieux ?

Ce sont des mouvements de fond  et l’erreur de beaucoup de penseurs et analystes laïcs/modernistes/progressistes a été de croire qu’il ne s’agissait que des derniers soubresauts du passé. C’est particulièrement vrai en France, compte tenu de notre tradition laïque depuis plus d’un siècle. Ce qui se passe est en réalité tout le contraire et l’essor des nationalismes religieux s’inscrit dans un temps long.

 

Quels sont vos prochains projets, Olivier Da Lage ?

Ils n’ont rien à voir avec ce livre sur les nationalismes religieux. J’ai commencé l’écriture d’un petit roman policier qui se déroule à Bombay. Je ne vais pas en dévoiler l’intrigue, mais je peux déjà vous en donner le titre  : Le rickshaw de Mr Singh.

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste à RFI.

 

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5 janvier 2019

« Sport… encore et encore ! », par Christine Taieb

J’ai la joie, pour ce premier document de l’année 2019, de vous proposer un témoignage inspirant et lumineux, là où l’actualité, et le ciel, ne le sont pas toujours. J’ai rencontré Christine Taieb, qui nous raconte aujourd’hui son parcours sportif et sa conception du sport, dans la foulée de mon article de l’an dernier, autour de Véronique de Villèle. Élève assidue de la coach et ancienne co-animatrice, avec son amie Davina, de l’émission culte Gym Tonic, Mme Taieb avait accepté d’évoquer ces cours par un petit clin d’oeil. Nous sommes restés en contact, et elle a accepté donc, de répondre à ma proposition d’écrire le présent texte, qui m’est parvenu dans les tout derniers jours de 2018. Puisse-t-il vous inspirer, et vous donner envie de vous remettre au sport, de vous fixer à nouveau des objectifs à atteindre. Je vous souhaite, à toutes et à tous, ainsi qu’à celles et ceux qui vous sont chers, une heureuse année 2019. Avec pour maîtres mots la santé bien sûr. Et le sport ? Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Sport… encore et encore ! », par Christine Taieb.

 

Marathon Berlin Sept 2017 C TAIEB

Au marathon de Berlin, en septembre 2017.

 

C’est l’histoire sans doute banale, d’une petite dame normale de bientôt 68 ans qui souhaite partager son expérience, pour aider d’autres femmes tout aussi banales, à accéder à un bon équilibre de vie, par le sport sans records.

C’est mon histoire courte illustrée : une vie parcourue d’aléas et d’obstacles comme nombreuses, apaisée et devenue forte grâce à une activité physique régulière. J’entends par «  normale  »  : ne pas disposer d’aptitudes particulières, et mener une vie très complète par ailleurs  : famille, boulot puis retraite avec engagement associatif très actif, enfants et petits-enfants.

J’ai débuté le sport dès 4 ans sur des parquets flottants, puis délaissé mes chaussons de danse à 44 ans. La petite fille que j’étais ne réfléchissait pas sur le bien-fondé de ses années de conservatoire  : un tutu rose, une pianiste pour rythmer mes entrechats et le travail de souplesse guidaient mes premiers pas … vers le sport.

 

« Parlons franc : il s’agit bien d’"efforts" avec son lot

de sueur, de courbatures et de régularité contraignante

dans l’entraînement : on n’a rien sans rien ! »

 

Quarante années d’une activité qui forge le goût de l’effort, de la rigueur et l’esthétique, le sens de l’équipe et construit une solide détermination, tout en acceptant ses limites. Comment n’ai-je jamais perdu le courage de poursuivre les entrainements malgré un travail exigeant ainsi qu’une vie familiale et associative toujours riche  ? Sans doute dans le plaisir renouvelé d’un corps en harmonie avec l’esprit … et réciproquement  ! Comme une nécessité, un capital en ADN, sans mesurer qu’au fil-de-l’eau tous mes efforts m’ont portée vers bien d’autres satisfactions. Parlons franc  : il s’agit bien d’ «  efforts  » avec son lot de sueur, de courbatures et de régularité contraignante dans l’entraînement  : on n’a rien sans rien  !

J’ai aussi fait partie des adeptes des années aérobic, leur folie et parfois leurs excès. Mon mérite est de n’avoir jamais décroché de la salle de gym, malgré les grossesses, les dossiers à rendre et toutes les bobologies. Les pratiques fitness sans cesse renouvelées ont su nourrir mon besoin de curiosité: monotonie ne rime pas avec envie  !

À l’âge où le grand écart se fait plus ingrat, et le hasard d’un coaching inspirant, m’ont offert la découverte des épreuves pédestres  : une salade composée de course, trek, marche ou trail, sur un principe simple  : «  tu mets un pied devant l’autre …  et tu recommences». Après des premiers pas prudents et progressifs  - 10, 20, 42,195 km, … jusqu’aux 100 km récemment -, voici près de 30 ans que j’accumule les kilomètres sur piste, route, avec ou sans dénivelé, dans les campagnes françaises, le désert, ou l’autre bout du monde, sans jamais délaisser le travail équilibrant de «  barre au sol  », la danse sans les déplacements.

 

Barre au sol - Nov 2018 - CTAIEB

Ingrat, ingrat... tout de même ! ;-)

 

Pour pimenter le menu, quelques détours sur des courses à obstacles comme Mudday, Frappadingue ou Muddy Angel, viennent agrémenter la saveur du challenge sportif et ludique en équipe.

À l’approche des 70 ans, dame santé reste ma fidèle amie à qui je concède une vie et une nourriture saines et des choix de vie éclairés. Ma recette-équilibre est faite d’un sage 50/50 : écoute bienveillante de mes sensations et exigence mesurée. Le prix d’un entraînement régulier ne doit jamais me priver d’une vie sociale aussi riche que nécessaire.

Rester connectée avec mon organisme, apprécier le sport outdoor qu’il pleuve, neige ou vente  : les baskets ne sont jamais bien loin  ! Apprendre à comprendre mon corps, respecter ses limites et ses talents, c’est aussi apprendre à comprendre les autres en restant en éveil, solidaire des différences et s’offrir d’être en paix avec ses rêves.

Le sport témoigne que l’impossible est possible, même sans capacités particulières ni goût de la performance, en gardant motivation et en développant la confiance en soi. Lui adjoindre une dimension solidaire au départ de certaines épreuves, le plus souvent au profit d’une association aidant à lutter contre la maladie, c’est aussi mettre du sens à un projet et traduire cette complicité. Se dépasser, c’est construire des objectifs, être inspirée par des talents et des conseils avisés, donc savoir écouter.

Oser se confronter à un nouveau challenge est une transgression jouissive. J’ai pleuré au départ de mon premier marathon à 60 ans. J’ai été très émue de réaliser mon premier triathlon (format XS) et mon premier 100 km cette année à 68 ans. Je reste émue aux larmes à chaque passage de ligne d’arrivée, comme une enfant qui rêve éveillée. Il est bon de se surprendre, même si bien entendu mon niveau n’impressionne aucun champion.

 

« Mon exploit reste au fond de mon cœur : arriver souriante,

sans blessure tout en gardant l’envie de recommencer. »

 

Mes temps sont très lents et les pros, addicts ou plus jeunes peuvent en témoigner. Mon exploit reste au fond de mon cœur  : arriver souriante, sans blessure tout en gardant l’envie de recommencer. Souvent voisine de la voiture balai, je vis de purs moments de solidarité autour des courageux derniers de la vague, souvent en difficulté. S’échanger un mot d’encouragement ou une barre de céréales devient un geste d’amour et procure d’émouvants souvenirs.

Le sport c’est aussi accepter, autant que s’accepter : l’embonpoint post-ménopause, les épreuves par grand froid, la régularité de l’entrainement programmé, le brushing jamais parfait, mais aussi le respect des règles, des barrières horaires, des temps de récupération, des alertes blessures aux sensations. Bref, être dans la vraie vie, celle qui impose de ne jamais se prendre au sérieux et de garder de la hauteur sur les êtres et les événements qui entourent.

Le sport c’est aussi une grande liberté de choix devant la palette d’épreuves pédestres chaque jour plus nombreuses. M’être confrontée cette année à de nouvelles disciplines comme un relais vélo sur route, le «  Triathlon des Roses  » et le «  100 km de Millau  », ont nourri avec bonheur mon goût de la diversité. Préparations, déplacements, challenges et contextes  : chaque fois différents, chaque fois très enrichissants, dès le partage sur le spot de départ jusqu’à la grande arche de la ligne d’arrivée.

Dans cette troisième tranche de vie, je réalise que le sport aura toujours été un fidèle ami. Il m’a aidée à être plus forte devant les épreuves et plus sensible aux autres, me permet de rester connectée à la nature, m’impose sa règle d’or «  ne jamais se prendre au sérieux  » et penser à tous ceux qui n’ont pas la chance d’une santé solide.

Finalement, le sport reflète un art de vivre, conscient que les efforts sont récompensés, que la nature humaine est complexe et riche et que chaque challenge, même modeste, est un nouveau graal. Je privilégie l’endurance à la vitesse pour savourer chaque sortie, solitaire ou collective, comme un partage d’émotions.

 

« Le sport aide à accepter les déceptions : l’échec devient

une expérience, la colère s’estompe devant la réflexion

et la rancœur s’efface pour de la confiance. »

 

Le sport n’est pas une recette miracle. Triste, serait une vie toute tracée comme une voie parfaitement lisse. Le sport aide à accepter les déceptions : l’échec devient une expérience, la colère s’estompe devant la réflexion et la rancœur s’efface pour de la confiance.

Le père Noël vient de m’adresser le calendrier des courses 2019  : 6.000 épreuves et 2.700 trails en couverture. Résultat  : un agenda sportif déjà bien rempli jusqu’en 2020 et l’envie intacte de me mesurer à des défis, même modestes. Que me réservera l’année 2021, celle de mes 70 ans  ?

Enfin, pour ma future mais inévitable et joyeuse reconversion, le terrain est lui aussi déjà balisé. Bénévole depuis déjà plusieurs années sur certaines épreuves, je sais que mes émotions y sont presque plus fortes qu’en tant que participante. Les échanges sont authentiques et la bienveillance réelle, tant au sein des fidèles équipes de bénévoles qu’avec les sportifs. Le sport n’a donc pas fini de continuer de me faire vibrer.

Puisse mon témoignage, aider des femmes, quand bien même une seule, à oser pratiquer un sport, ne pas lâcher devant la difficulté pour en mesurer tous les bienfaits, prendre du plaisir et intégrer la grande famille du sport-réconfort … sans plus jamais utiliser les escalators  !
Alors, le sport ça va fort  ! … d’accord  ?

Christine Taieb, le 29 décembre 2018.

 

Trianthlon des Roses Sept 2018 C TAIEB

Lors du Triathlon des Roses, en faveur de la recherche sur le cancer du sein, en septembre 2018.

 

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11 novembre 2018

« 100 ans après, que reste-t-il de 1918 ? », par Cyril Mallet

Peut-on encore comprendre, en 2018, bien qu’actuellement baignés dans le souvenir de cette mémoire - centenaire oblige -, l’intensité de ce qu’ont dû ressentir celles et ceux qui ont entendu retentir, en cette fin de matinée du 11 novembre 1918, les cloches de France signalant à tous la fin d’une guerre effroyable ? Cyril Mallet, doctorant en études germaniques (Rouen) et en histoire contemporaine (Giessen), a accepté de plancher sur cette question, et de nous livrer son ressenti, qui n’est pas des plus rassurés quant au passage de flambeau auprès des jeunes générations. Je ne conclurai pas cette intro sans avoir apporté, bien humblement, ma pensée émue pour celles et ceux qui ont souffert, et qui trop souvent souffrent encore, dans leur chair et dans leur cœur, de la guerre, celle-là, et les autres, dans ce que la guerre a de cruel, et bien souvent d’absurde. Document exclusif, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« 100 ans après, que reste-t-il de 1918 ? »

Par Cyril Mallet, doctorant en études germaniques et en histoire contemporaine (10/11/18).

Cimetière C

Photographie : Cimetière de Longueville sur Scie. Les tombes de victimes

de la Première Guerre mondiale. © Cyril Mallet, 2017.

 

«  La vérité était (je la tiens de la bouche de notre capitaine Hudelle) que nous étions réellement sacrifiés, pendant trois jours, notre régiment devait procéder à une série d’attaques pour attirer les forces ennemies et masquer une attaque anglaise sur la Bassée et française vers Arras. L’ordre d’attaque portait – le capitaine Hudelle me le mit le lendemain sous les yeux – qu’il fallait «  attaquer coûte que coûte, sans tenir compte des pertes  ».

Louis Barthas, Cahiers de guerre, 3ème cahier  :  Massacres 15 décembre 1914 – 4 mai 1915.

 

Nous commémorons le centenaire de la fin de la Grande Guerre. Avec un peu plus de 2 000 000 de victimes militaires du côté allemand, 1 376 000 du côté français et 1 016 200 du côté austro-hongrois, ce conflit aura été véritablement mortifère. Rares sont les familles dans ces trois pays belligérants à ne pas avoir reçu l’annonce du décès d’un proche au cours de ce conflit. Cent ans après, que reste t-il de ces sacrifices  ?

Il n’est pas rare d’être effaré par la lecture de certains écrits sur les réseaux sociaux. Il y a peu, je n’ai pu m’empêcher de faire un rapprochement entre le texte que j’avais sous les yeux et le courage des hommes qui partirent défendre leur Patrie plus de cent années auparavant. Le sujet de la discussion concernait alors la Journée défense et citoyenneté.

Pour les jeunes Français de l’étranger, cette journée se déroule dans nos consulats de par le monde. Lors de la récente session de l’Assemblée des Français de l’étranger, le directeur de l’administration des Français de l’étranger au Ministère des Affaires étrangères a annoncé la fin prochaine de cette prérogative pour nos postes consulaires. Cette décision, sous couvert d’un recentrage vers des activités régaliennes propres aux consulats, s’inscrit surtout dans un contexte budgétaire difficile. Un tel choix l’année même où l’on célèbre le sacrifice de millions de soldats est, il faut bien l’avouer, quelque peu malheureux. Mais le plus choquant fut pour moi la réaction de certains parents sur les réseaux sociaux faisant suite à cette décision.

Un parent français d’enfant binational était soulagé pour ne pas dire heureux que son enfant ne participe pas à cette journée car cela lui évitera de s’embêter au consulat un jour durant. Et de préciser que même si l’enfant a la nationalité française, il se sent plus proche de son autre patrie. N’est-ce pas justement cette journée entourée de jeunes Français qui aurait pu lui faire comprendre un peu mieux quelles sont ses origines et ce que signifie être Français avec tout ce que cela implique  ? Ancien professeur d’allemand en France et de français en Allemagne, j’ai déjà eu à affronter certains parents pour qui la moindre contrainte pour leurs enfants n’était pas acceptable. Mais dans le cas mentionné, j’étais triste de constater que certains Français n’ont même plus conscience de la chance et de l’honneur que nous avons de partager cette nationalité et les valeurs qui nous sont propres. C’est une réelle chance d’être binational. Cela ne fait aucun doute. Mais cela l’est d’autant plus si l’on a bien conscience d’appartenir à deux cultures bien distinctes et non à une seule. Et cette prise de conscience ne peut se faire que grâce aux parents qui transmettent chacun justement un peu de ce patrimoine national. Qu’un adolescent rechigne à participer à cette journée ne serait pas vraiment une surprise. On peut de fait comprendre aisément qu’à son âge, celui-ci préfère passer du temps avec ses amis plutôt qu’avec un militaire ou un agent consulaire. Qu’un parent français ait cette réaction est en revanche plus qu’affligeant, qui plus est dans le contexte du centenaire de la fin de la Grande Guerre.

Ma réflexion d’alors était d’imaginer ce qu’auraient bien pu penser de jeunes Français ou bien de jeunes Allemands appelés à protéger leur drapeau en 1914 et dont certains n’eurent pas la chance de retourner dans leur foyer. Et pour ceux qui rentrèrent parfois gazés, avec une «  gueule cassée  » ou bien psychologiquement atteints par plusieurs mois voire plusieurs années de combat, une impossible reconstruction commençait alors. Oui, qu’auraient pensé ces personnes en lisant leurs descendants se réjouir de ne plus avoir à donner vingt-quatre heures de leur vie à leur Patrie, eux qui partirent parfois plus de 1 500 jours affronter les projectiles ennemis, essayant de se protéger dans la crasse des tranchées ?

 

« Que penseraient, en lisant leurs descendants se réjouir

de ne plus avoir à donner vingt-quatre heures de leur vie

à leur Patrie, ceux de 1914, eux qui partirent parfois

plus de 1 500 jours affronter les projectiles ennemis,

essayant de se protéger dans la crasse des tranchées ? »

 

Certains argueront que cette journée n’est pas nécessaire et que le programme peut laisser quelque peu à désirer. De plus, ce rendez-vous implique un déplacement pour rejoindre soit le consulat si l’on est Français de l’étranger, soit un lieu «  militaire  » si l’on est sur le territoire national. Personnellement, jeune Longuevillais, j’ai eu à me déplacer à l’autre bout de la Seine Maritime pour assister à ce que l’on appelait alors la Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD). Je garde de ce rendez-vous quelques souvenirs. Je me souviens avoir appris des choses intéressantes lors de ces quelques heures et je ne regrette en rien d’avoir eu à y assister. Qui plus est, cette journée est l’une des rares obligations que nous avons en tant que Français. Il y a 104 ans, des hommes n’ont pas eu la chance de pouvoir choisir. Ils ont été appelés à se battre des mois voire des années durant et bien souvent à se sacrifier pour la Patrie. Se réjouir que son enfant ne fasse pas l’effort de donner une journée à son pays prouve que le sacrifice fait par ces hommes il y a cent ans n’a vraisemblablement pas été compris de tous.

Confronté à ce genre de réaction, je n’ai pu m’empêcher de penser à un article de journal retraçant la cérémonie d’inauguration, pour le moins patriotique, du monument aux morts de mon village normand dans l’édition du Journal de Rouen du 17 octobre 1921.

Grâce à un article intitulé «  Longueville honore ses morts  », on comprend combien le journaliste a été subjugué par ce qu’il avait sous les yeux : «  L’inauguration du monument aux morts de Longueville a donné lieu, hier, à une éclatante manifestation d’union sacrée  », «  la nef [de l’église] est trop petite pour accueillir tous les assistants  ». Le monument aux morts est décrit par le biais d’un oxymore comme étant d’une «  noble sobriété  ». Au cours de la cérémonie, le nom des 31 soldats tombés pour la Patrie, dont l’identité est gravée sur le monument, a été rappelé avant l’entrée en scène des enfants du village : «  Les enfants des écoles ayant déposé des gerbes innombrables au pied du monument, chantent un chœur à la gloire des héros de la patrie et une cérémonie particulièrement poignante se déroule alors  ».

Que reste t-il aujourd’hui de la Grande Guerre et de son cortège de victimes  ? Je me pose souvent cette question lorsque je suis dans mon village. Que ce soit en entrant dans le cimetière, où les premières tombes sont celles des Morts pour la France de 14-18, que ce soit en passant devant le monument aux morts ou bien encore en regardant les plaques de marbre apposées à l’intérieur de l’église rappelant les victimes de la paroisse du premier conflit mondial. Beaucoup de lieux dans le village rappellent ce qu’a coûté ce conflit aux familles de Longueville sur Scie et des environs. Finalement, ce sont ces traces qui restent en 2018 tels des éléments indélébiles. Sans ces traces, point de souvenirs.

Alors qu’en 1921, les enfants participaient activement aux cérémonies, je constate, et c’est toujours un peu triste, que la jeune génération est souvent la grande absente des cérémonies d’hommage, notamment dans le monde rural. Cette même génération qui devra reprendre le flambeau des Anciens combattants une fois que ces derniers seront partis. En effet, je suis convaincu que ces cérémonies ont un sens et une mission  : rappeler à chacun l’idiotie d’une guerre. Non, nous n’avons pas besoin d’une «  bonne guerre  » comme on peut l’entendre parfois  ! Une guerre n’a jamais rien apporté de bon. Il suffit de se tourner vers les monuments aux morts pour le constater.

 

« Je suis convaincu que ces cérémonies ont une mission :

rappeler à chacun l’idiotie d’une guerre... Et ce flambeau-là,

il faut absolument que les jeunes s’en saisissent... »

 

Cyril Mallet

Cyril Mallet est doctorant en études germaniques auprès de l’Université de Rouen Normandie et en histoire

contemporaine auprès de la Justus Liebig Universität de Gießen en Allemagne. Spécialiste de l’Autriche et

de la Déportation, il est membre du laboratoire de recherche ERIAC EA 4705 de l’Université de Rouen.

 

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7 novembre 2018

« Commémorer 1918 n'est pas tourner une page, c'est apprendre du passé pour construire l'avenir », par Pierre-Yves Le Borgn'

À quatre jours du centième anniversaire de l’Armistice qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale, et au lendemain de la publication de l’interview de Sylvain Ferreira sur les derniers feux de l’armée allemande, j’ai l’honneur de vous proposer un texte totalement inédit, dont j’ai proposé l’idée dans son principe à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn, fidèle de ce site. M. Le Borgn’ fut, de 2012 jusqu’à 2017, l’élu de la septième circonscription des Français établis à l’étranger, soit, notamment : l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, et la Hongrie. Certains de ces États constituaient il y a cent ans le cœur du camp ennemi, celui des Empires centraux. D’autres allaient obtenir leur indépendance à la faveur de l’effondrement des puissances vaincues. Une partie importante des drames de l’Europe contemporaine s’est jouée en ces terres, en ces heures ici d’abattement profond, là de soulagement intense, qui dissimulaient mal les nouvelles tragédies à venir. Je remercie chaleureusement Pierre-Yves Le Borgn’, homme d’engagements forts, pour cette contribution touchante et qui, bien que lucide, est porteuse d’un message d’espoir. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Commémorer le centenaire de l’Armistice

de 1918 n’est pas tourner une page, c’est

apprendre du passé pour construire l’avenir. »

Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 1er novembre 2018.

Enfants PYLB

Petit tour avec mes deux garçons, Marcos et Pablo, dans le village de mon enfance,

Quimerch (Finistère), le 1er novembre. Je leur ai montré le Monument aux morts de la

Guerre de 1914-18, leur expliquant pourquoi il avait été construit. Ils étaient très intéressés.

 

Le 11 novembre, j’accrocherai un petit bleuet à ma boutonnière, comme tous les ans et avec la même émotion. Cette commémoration de l’armistice de 1918 aura pourtant une force particulière  : elle sera celle du centenaire. Voilà un siècle en effet que les armes se seront tues après quatre années de feu, de drames et de sang. Terrible guerre que ce premier conflit mondial, avec près de 19 millions de morts, d’invalides et de mutilés, dont 8 millions de victimes civiles. Une tragédie qui se lira tout au long du siècle dans la pyramide des âges et que racontent à ce jour encore les monuments érigés dans chaque ville et village, avec la liste des enfants tombés au champ d’honneur, tombés loin, sans parfois qu’une sépulture n’ait pu leur être donnée. Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. J’ai voulu parler de lui, rendre hommage à son souvenir et par lui finalement à tant d’autres dans l’un de mes derniers discours de député à l’automne 2016 en Allemagne. Le visage de cet homme humble et digne reste dans ma mémoire comme le symbole d’une rupture ou d’un passage  : tout un monde avait disparu avec la Première Guerre mondiale, un autre arrivait et un siècle nouveau avec lui, mais était-ce pour le meilleur ?

 

« Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé

de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par

le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. »


Souvenons-nous de cette phrase du Président du Conseil Georges Clémenceau, le Tigre, au Général Henri Mordacq au soir du 11 novembre 1918  : «  Nous avons gagné la guerre et non sans peine. Maintenant, il va falloir gagner la paix et ce sera peut-être encore plus difficile  ». La suite a tristement et tragiquement donné raison à Georges Clémenceau. Au matin du 11 novembre 1918, quelques heures après la signature de l’armistice dans la forêt de Rethondes, les cloches sonnaient à pleine volée. À quoi pensait-on si ce n’est à la fin des souffrances  ? Au retour des soldats, à l’avenir à construire, aux familles à réunir à nouveau, aux chagrins avec lesquels il faudrait vivre. C’était si compréhensible, si juste également. Tant d’espoirs, tant d’attentes et, somme toute, tant d’illusions aussi, nourries par ces années de souffrance, avec le risque que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. Or, la paix était un autre type de combat, dès lors qu’il s’agissait de bannir les nationalismes, de construire le droit international et d’assurer par une organisation mondiale, la Société des Nations, les bases de la paix future. Ce combat-là, consacré par le Traité de Versailles en juin 1919, ne fut pas gagné. Des clauses inappliquées, des prétentions inapplicables, une organisation internationale qui sombre peu à peu. Et la montée au tournant des années 30 du fascisme et du nazisme, à mesure que les démocraties se couchaient.

 

« Tant d’espoirs, tant d’attentes, et tant d’illusions aussi,

nourries par ces années de souffrance, avec le risque

que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. »

 

Je me suis souvent interrogé sur les conditions de la paix, les conditions de toute paix. Je l’ai fait comme étudiant, puis comme citoyen et durant cinq années comme parlementaire. Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple ou d’un pays, la violation caractérisée du droit  ? La paix commande de faire un pas l’un vers l’autre, au-delà de la qualité de vainqueur ou de vaincu, de vouloir dépasser tous les atavismes et donner une chance à l’avenir en l’organisant par le droit. La paix entre la France et l’Allemagne, que des siècles d’affrontements condamnaient à l’hostilité, s’est forgée grâce au courage de quelques hommes d’État, en particulier Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, et par la mobilisation formidable de la société civile. Elle s’est construite par le partage du charbon et de l’acier, puis par l’intégration des États d’Europe dans un processus fédéraliste que je veux croire irréversible. Rien de cela malheureusement n’était encore imaginable aux lendemains du 11 novembre 1918. Il aura fallu deux conflits mondiaux, l’un découlant pour partie de l’autre, pour que l’Europe se prenne en main et pose les bases d’un monde nouveau autour des valeurs de liberté et de solidarité. Mais la paix, c’est aussi la fermeté et l’intransigeance, c’est un combat pour le droit et le respect du droit se défend, fut-ce au prix de tensions comme la situation en Ukraine nous le rappelle.

 

« Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter

le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple

ou d’un pays, la violation caractérisée du droit ? »

 

Vouloir la paix n’est pas baisser la garde. C’est rester vigilant, demeurer imaginatif, agir pour le droit et par le droit. C’est vivre avec l’idée que la folie, le mépris, les envies et les haines peuvent surgir à nouveau. L’époque que nous traversons n’est pas sans inquiéter. En octobre 1938, juste après les accords de Munich, Winston Churchill, s’adressant au Premier ministre britannique Neville Chamberlain, avait eu cette phrase terriblement prémonitoire  : «  Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur  ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre  ». C’est avec l’histoire au cœur, ses tragédies et ses fulgurances aussi, qu’ému, je penserai le 11 novembre aux victimes de la Première Guerre mondiale. Député, parcourant les Balkans occidentaux, je m’arrêtais dans tous les cimetières français du front d’Orient pour honorer, ceint de l’écharpe tricolore, les nôtres tombés là-bas, pour qu’ils ne soient pas oubliés. Ces moments étaient forts. Commémorer un centenaire n’est pas tourner une page. C’est apprendre du passé. Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées. Je n’oublie pas que je suis le fils d’une pupille de la Nation. Je sais ce que «  mort pour la France  » veut dire. Je l’ai lu toute ma jeunesse sur une tombe qui me raconte l’histoire des miens. Et c’est pour cela, avec tant d’autres, par millions, chez nous et ailleurs, que j’ai mis depuis toujours mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. L’avenir, c’est le droit. L’avenir, c’est l’Europe.

 

« Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations

soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées.

Je sais ce que "mort pour la Franceveut dire. Et c’est

pour cela, avec tant d’autres, que j’ai mis depuis toujours

mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. »

 

PYLB 1918

Photo prise en avril 2016 au cimetière français de Bitola (Macédoine),

où sont enterrés plus de 13 000 soldats français du front d’Orient.

 

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6 novembre 2018

Sylvain Ferreira : « N'oublions pas qu'en 1918, nos anciens étaient fiers, aussi, d'avoir vaincu les Allemands... »

Dans cinq jours, le 11 novembre de cette année 2018, sera commémorée, dans le recueillement la fin de la Première Guerre mondiale, la fin d’un choc de blocs ayant provoqué des souffrances, des dégâts inouïs, et abouti sur l’effondrement de systèmes de gouvernement qu’on croyait solides quatre ans plus tôt. Dans cinq jours, cent ans auront passé depuis qu’un armistice a mis fin à cette guerre, si effroyable qu’on s’était promis qu’elle ne pouvait qu’être la « der des der ». Mais à peine vingt ans après, tous les éléments seraient réunis pour un remake, encore plus terrible. Mais tenons-nous-en, pour l’heure, à 14-18. Je vous propose, pour cet article, une rencontre avec Sylvain Ferreira, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont celui qui nous occupe aujourd’hui : L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LEMME Edit. Une lecture que je vous conseille, parce que le livre est très bien documenté, et qu’il nous sensibilise à des considérations militaires qui ne sont pas vraiment « grand public », mais fort éclairantes. Interview exclusive, d’un passionné qui n’a pas la langue dans sa poche. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

L'inévitable défaite allemande

L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, publié par LEMME Edit, 2018.

 

Sylvain Ferreira (l’auteur)

Q. : 30/10/18 ; R. : 05/11/18. 

Sylvain Ferreira

 

« N’oublions pas qu’en 1918, nos anciens étaient fiers,

aussi, d’avoir vaincu les Allemands... »

  

Sylvain Ferreira bonjour, et merci de m’accorder cette interview autour de votre ouvrage L’inévitable défaite allemande - Mars-juillet 1918, paru chez LemmeEdit (collection Illustoria) en juin dernier. Voulez-vous nous parler un peu de vous ? D’où vous vient ce goût, et à ce stade on peut dire « passion », des affaires militaires ?

pourquoi les affaires militaires ?

Ma famille paternelle a été décimée par le conflit et j’ai eu la chance de connaître assez longtemps mon arrière-grand-mère, veuve de guerre, pour d’abord m’intéresser à la Grande Guerre, mais uniquement sous un angle familial. Pour l’aspect historique plus général, j’ai d’abord été fasciné par les guerres napoléoniennes et la guerre de Sécession tout au long de mon adolescence. Puis, je me suis « spécialisé » dans la Seconde Guerre mondiale pendant de longues années, avant d’accepter d’étudier la Grande Guerre d’un autre regard à partir de 2009, date à laquelle j’ai commencé à visiter les grands sites des combats sur le front occidental. À travers toutes mes recherches, au-delà du déroulement des combats et des opérations, je me suis toujours intéressé aux questions de stratégies et de commandement. Aujourd’hui, l’essentiel de mes travaux (articles ou livres) s’intéresse en priorité à ces questions sur la période entre 1850 et 1945 qui marque l’émergence de l’art opératif.

 

L’art opératif... vous pouvez préciser ?

Même si personne n’a encore défini précisément ce qu’est l’art opérationnel de la même manière que la stratégie ou la tactique, je dirais qu’il s’agit de l’articulation entre les deux et qu’il est apparu suite à la disparation progressive de la notion de bataille sur un point fixe à partir du milieu du 19e siècle. La première mention du terme « opératif » apparaît sous la plume du penseur allemand Schlichting dans son ouvrage Taktische und strategische Grundsätze der Gegenwart en 1898.

 

Pourquoi cet ouvrage ? Pourquoi avoir choisi de consacrer toute une étude aux derniers feux de l’armée allemande sur le front occidental, et notamment aux prises de décision de ses têtes pensantes, au premier chef desquels Ludendorff ?

focus sur l’armée allemande

Depuis que j’étudie l’histoire militaire, j’ai découvert avec une certaine stupéfaction que l’armée prussienne puis l’armée allemande était perçue comme supérieure aux autres armées européennes, de la guerre de 1870 à la Seconde Guerre mondiale. Or, l’étude des faits permet de comprendre qu’il s’agit d’un mythe fabriqué de toutes pièces, à la fois par les généraux allemands, mais aussi par leurs adversaires et en particulier par une certaine historiographie française - notamment en ce qui concerne la Grande Guerre. En 2014, j’ai commencé à m’intéresser au déroulement des opérations de septembre 1914 communément appelées « bataille de la Marne ». J’ai découvert à travers les travaux du professeur Hermann Plot, un universitaire allemand, que le « miracle » de la Marne, comme les Français l’appellent, n’en était pas un et qu’au contraire, tout dans le plan allemand (Schlieffen-Moltke) portait les germes de la défaite allemande. Par ailleurs, j’ai découvert que l’exercice du commandement par Joffre et son état-major avait été beaucoup plus efficace et moderne que celui de son homologue allemand Moltke le Jeune. Partant de ce constat, j’ai publié un premier ouvrage sur cette question pour démonter ce mythe. Il m’est ensuite apparu comme une évidence d’effectuer la même démarche au sujet de l’échec des offensives dites « Ludendorff » entre mars et juillet 1918. Elles sont en effet marquées du même sceau de faiblesse conceptuelle. Si les Allemands ont pris une certaine avance dans le domaine tactique au cours de la Grande Guerre, ils font preuve de carences importantes en matière de pensée stratégique et ne voient pas émerger l’art opératif.

 

« Très doués dans le domaine tactique, les Allemands

font preuve de carences importantes en matière de

pensée stratégique durant la Grande Guerre. »

 

On a dit de la Prusse qu’elle était « une armée possédant un État ». Pendant la Première Guerre mondiale, dans quelle mesure l’effort de guerre totale allemand est-il conduit par les militaires ? L’organisation au sein du  Reich est-elle, sur ce point, bien différente de ce qu’on peut retrouver en France ou au Royaume-Uni, ou même en Russie ou en Autriche-Hongrie ?

les militaires aux commandes ?

Cette citation, qui remonte au 18e siècle, est encore en partie vraie lorsqu’éclate la Grande Guerre. Les plans de guerre conçus par le Grand État-Major ne sont absolument pas soumis au contrôle et encore moins à l’approbation du pouvoir politique civil de l’empire allemand. Dès 1913, son chef Moltke le Jeune persuade le Kaiser que plus vite la guerre interviendra, mieux ce sera pour les desseins du Grand État-Major. Dès la déclaration de guerre en août 1914, le Kaiser ne fait qu’approuver les décisions prises par une poignée d’officiers. À partir de 1916, lorsque le tandem Hindenburg-Ludendorff prend la tête du Grand État-Major, l’empire sombre dans une véritable dictature militaire – qualifiée de dictature silencieuse - qui régit bien sûr les opérations militaires mais aussi l’économie et la diplomatie sans laisser le pouvoir civil exercé ses prérogatives. Même en Russie, le tsar autocrate n’exerce pas un tel pouvoir, et bien sûr on ne trouve rien de comparable en France ou en Grande-Bretagne.

 

« À partir de 1916, l’empire allemand sombre

dans une véritable dictature militaire. »

 

Qui est Erich Ludendorff, et quelle est sa place dans le dispositif de planification militaire allemand ? À quels faits, et à quelles figures doit-il son ascension ?

qui est Ludendorff ?

Il est le pur produit de la militarisation de la société impériale née de la victoire contre la France en 1871. Bien qu’issu d’un milieu bourgeois, il choisit la carrière des armes et montre un talent certain au cours de ses études, ce qui lui permet de gravir tous les échelons de la hiérarchie pour accéder au Grand État-Major en 1894. Brillant tacticien, il se fait remarquer par son plan audacieux pour s’emparer des forts de Liège dès le mois d’août 1914, avant d’être transféré sur le front russe où il se fait encore remarquer lors de la victoire de Tannenberg par Hindenburg. Dès lors, il forme un duo avec ce dernier qui le propulsera au poste prestigieux de premier quartier-maître du Grand État-Major en 1916. Si ses connaissances tactiques sont impressionnantes, c’est un piètre stratège incapable de concevoir un plan stratégique à la hauteur du poste qu’il occupe. 

 

Comment qualifier la situation militaire et les rapports de forces sur le front occidental, les premiers mois de 1918 ? Existe-t-il, d’un côté ou de l’autre, le sentiment d’un avantage décisif sur l’adversaire, après le retrait des Russes, après l’entrée des Américains dans la guerre ?

début 1918, l’état du front

Tous les belligérants savent que 1918 sera une année décisive en raison de l’armistice imminent entre les Allemands et le gouvernement bolchevik d’une part, et d’autre part en raison de la montée en ligne progressive des divisions américaines qui poursuivent leur arrivée et leur instruction en France. Les Alliés savent qu’au cours des premiers mois de l’année les Allemands vont bénéficier d’une supériorité relative en nombre de divisions sur le front occidental grâce au transfert d’une partie des divisions qui combattaient jusqu’alors en Russie. Ils s’attendent donc à ce que les Allemands lancent une ou plusieurs offensives pour obtenir la décision. Mais cette attente est sereine car, notamment côté français, Pétain a pris soin de mettre en place de puissantes réserves mobiles pour intervenir rapidement sur le ou les points où porteront les coups allemands. Ludendorff de son côté est persuadé que la maîtrise tactique et la supériorité numérique momentanée de l’armée allemande lui permettront de rompre enfin le front et de dissocier l’armée britannique de l’armée française pour négocier une paix favorable au Reich. Certains de ses subordonnés soulignent pourtant, qu’à leurs yeux, l’armée impériale ne dispose de moyens humains et matériels que pour mener UNE seule grande offensive.

 

Vous expliquez dans votre livre que la défaite allemande est liée, sur le plan militaire, à la médiocrité de Ludendorff s’agissant de la définition d’objectifs stratégiques clairs, alors qu’il excellait sur les questions tactiques. Y a-t-il, chez lui et au sein du staff allemand de planification de la guerre, un déficit réel sur les questions stratégiques et comment cela se manifeste-t-il ?

les Allemands et la pensée stratégique

Effectivement, Ludendorff, excellent tacticien, ne maîtrise absolument pas les fondamentaux de la stratégie comme le souligne l’historien Holger H. Herwig : « La vérité c’est que Ludendorff n’a jamais dépassé le niveau intellectuel d’un colonel de régiment d’infanterie. » Pour Ludendorff, l’emploi massif des troupes d'assaut – Stosstruppen – soutenues massivement par l’artillerie suffira pour emporter la décision. À aucun moment, et ce malgré les remarques de certains chefs d’état-major des armées impliqués dans ses plans, il ne désignera d'objectifs opérationnels et stratégiques clairs (ex : Amiens lors de l'opération « Michaël » ou Hazebrouck pendant l'opération « Georgette »). Si certains généraux allemands ont compris les limites de Ludendorff et qu’ils les soulignent et font des contre-propositions, personne ne songe à remettre son autorité et ses décisions en question. Le rapport de subordination est bien trop fort dans la culture militaire prussienne pour l’envisager. Même le Kronprinz de Bavière Rupprecht, qui est probablement le meilleur officier général du Reich au cours de la guerre, ne se l'autorise pas malgré son rang.

 

« Si certains généraux allemands ont compris les limites

de Ludendorff sur le plan stratégique, personne ne songe

à remettre son autorité et ses décisions en question. »

 

Le 26 mars 1918, un commandement militaire unique est (enfin !) instauré chez les Alliés, en la personne du général Foch. Est-ce qu’on assiste alors à un tournant de la guerre, et quelle postérité cette décision aura-t-elle s’agissant de l’organisation future des guerres, entre alliés ?

Foch et le commandement unique

C’est effectivement un tournant décisif pour les Alliés dont les effets positifs se ressentent autant sur le front franco-belge que sur les fronts dits périphériques, en Italie et sur le front d’Orient. On peut bien sûr penser qu’en 1939, et a fortiori en 1942-43, les Alliés occidentaux s’inspireront de cet exemple lors de la nomination d’Eisenhower à un poste comparable.

 

Un point très intéressant de votre ouvrage : sur le plan tactique, on constate que de nombreux officiers de tous les pays (dont la Russie, supposément arriérée), réfléchissent sur le terrain à la manière optimale d’utiliser leurs ressources, et notamment les outils de choc que sont l’artillerie et les chars. Dans son ouvrage Vers l’armée de métier (1934), le lieutenant-colonel Charles de Gaulle prônait des idées innovantes, et notamment la mise en oeuvre de divisions de blindés mobiles et autonomes. Ses écrits furent lus dans plusieurs pays, et dans leur esprit, on les retrouve appliquées notamment par l’Allemagne hitlérienne lors de ses foudroyantes Blitzkrieg (avec l’appui décisif et novateur d’une aviation forte). Dans quelle mesure peut-on considérer que ces idées-là sont déjà en germe, à la fin de la Première guerre mondiale ? La guerre éclair a-t-elle déjà été théorisée, en 1918 ?

technologies et guerre éclair

Les combats de 1918 s’appuient effectivement sur la prise en compte de nouveaux matériels (avions et chars de combat) pour emporter la décision. Des penseurs comme le général Estienne (le père des chars français) ou le britannique Liddell Hart commencent à conceptualiser l’emploi des chars. Pétain prend des dispositions pour créer une vraie coopération interarmes entre les chars, l’artillerie et l'aviation. Les bases de réflexion qui déboucheront sur le concept de Blitzkrieg sont donc jetées en 1918. Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte l’émergence de l’art opératif, dont seule l’armée tsariste avait pourtant ébauché certains principes au cours l’offensive Broussilov en juin 1916. Cela explique qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Blitzkrieg participera de la même mystification quant à la supériorité de la Wehrmacht alors que cette stratégie a montré toutes ses limites lorsqu'elle a trouvé face elle une Armée rouge remise en selle à partir de 1944 et qui elle maîtrisait déjà les concepts théoriques de l'art opératif depuis les années 30. Paradoxalement, ce sont les Soviétiques qui tireront les vrais enseignements théoriques de la Grande Guerre. Leurs échecs de 1941 et 1942 sont essentiellement liés aux purges menées par Staline contre l'Armée rouge en 1937, pas à un problème conceptuel.

 

« Les bases de réflexion qui déboucheront

sur le concept de Blitzkrieg sont jetées en 1918.

Mais aucune d’entre elles ne prendra en compte

l’émergence de l’art opératif. »

 

On le voit bien dans votre livre, la situation logistique est très dégradée du côté des Empires centraux en fin de conflit (la réaction des soldats allemands après leur découverte de dépôts de vivres alliés pleins à craquer est en ce sens significative), signe d’un épuisement marqué et désormais critique de l’Empire allemand (pour ne rien dire de l’Autriche-Hongrie, où c’est sans doute pire). Y a-t-il véritablement, sur cette question de l’épuisement de l’économie et du pays, dissymétrie entre les Puissances centrales et les Alliés ? En est-on arrivé, à la fin de la guerre, à un degré de pourrissement rendant inévitables pour Berlin et pour Vienne les violences révolutionnaires ?

effondrement d’empires

La situation économique et sanitaire des Empires centraux, dans lesquels il ne faut oublier l’empire ottoman, est effectivement catastrophique comparé aux mesures de rationnement mises en œuvre en France et en Grande-Bretagne, notamment lors du pic dans la guerre sous-marine à outrance au printemps 1917. Le blocus mené par la Royal Navy provoque dès octobre 1914 des pénuries de certaines matières premières essentielles à l’industrie de guerre allemande, qui d’ailleurs tient à bout de bras ses deux alliés. Puis, au cours des années suivantes, à mesure que le blocus allié se renforce, la pénurie touche également l’alimentation et l’approvisionnement en médicaments. En 1918, les populations des empires centraux sont à bout physiquement ! La malnutrition a des effets terrifiants sur la mortalité enfantile. Les carences alimentaires sont telles que l'armée impériale n'est pas épargnée, et la condition physique des combattants s’en ressent. Dès lors, il est indéniable que cette situation délétère ne pouvait qu’engendrer des violences populaires qui se transformeront en mouvements révolutionnaires.

 

« La situation économique et sanitaire

des Empires centraux est, à la fin de la guerre,

bien plus dégradée que chez les Alliés. »

 

Après l’armistice, Ludendorff comptera, avec d’autres, parmi ceux qui porteront la théorie du « coup de poignard dans le dos », qui aurait été infligé par les politiques corrompus, internationalistes, et pour tout dire juifs, à l’armée allemande : cette dernière, invaincue sur les champs de bataille, aurait été acculée à endosser une défaite humiliante et imméritée. Hitler reprendra allègrement cette thèse, avec des dégâts incalculables dans les esprits, puis dans les événements à venir. Mais, quand on se reporte à votre livre, on se surprend à constater que, régulièrement, alors qu’à bout de souffle, l’armée allemande entreprend de nouvelles opérations, ambitieuses et qui, parfois, manquent percer le front. On se dit que cette armée allemande avait « du ressort ». Jusqu’à quand en a-t-elle eu, réellement ?

quand l’Allemagne a-t-elle perdu la guerre ?

Selon moi, l’armée allemande a commencé à ne plus croire en sa victoire à partir de juin 1918 après l’offensive démarrée sur le Chemin des Dames le 27 mai. Le moral des combattants est bien trop atteint par l’ampleur des pertes et la désillusion règne. Cela engendre d’ailleurs les premiers mouvements d’insubordination massifs des permissionnaires qui refusent de quitter l’Allemagne pour regagner le front. Les scènes de désobéissance se multiplient alors dans les gares des grandes agglomérations allemandes. Mais sur le plan purement militaire, comme le souligne le général von Hutier le 27 mars 1918, la guerre était perdue avant même la fin de l’opération « Michaël », car les réserves dont disposait alors l’armée impériale ne suffisaient déjà plus pour emporter la décision. La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff malgré des succès tactiques sans lendemain constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand, pour avoir gaspillé la jeunesse allemande dans d’inutiles combats.

 

« La poursuite aveugle des offensives par Ludendorff

constitue à mes yeux un crime contre le peuple allemand,

pour avoir gaspillé la jeunesse allemande

dans d’inutiles combats. »

 

Est-ce que, pour vous, la guerre de 1939-45 fut une suite logique de celle de 1914-18 ? Était-elle en germe dans les traités de paix ?

1939-45, suite logique à 1914-18 ?

Je pense comme beaucoup d’historiens qu’on doit aborder la période 1914 – 1945 comme une « nouvelle » guerre de Trente Ans que les traités de paix n’ont pas su empêcher. Mais néanmoins, je récuse une partie de l’accusation qui pèse sur la diplomatie française qui n’aurait pas su ménager l’Allemagne vaincue en oubliant que les exigences françaises s’appuyaient sur un constat des terribles destructions opérées délibérément par les Allemands en 1917 lors de l’opération « Alberich » et surtout entre juillet et novembre 1918, à mesure de leur repli vers leurs frontières. Si on ne mesure pas clairement et précisément l’ampleur de ces destructions, on ne peut pas apprécier correctement la démarche française lors des négociations à Versailles. Selon moi, les diplomaties britannique et américaine sont bien plus « fautives » que la nôtre dans leur double jeu, pour n’avoir pas voulu voir la France asseoir de nouveau sa prépondérance sur le continent.

 

« Si on ne mesure pas clairement et précisément

l’ampleur des destructions par les Allemands,

on ne peut pas apprécier correctement

la démarche française lors des négociations à Versailles. »

 
 
Nos générations ont-elles « oublié » ce que fut le 11 novembre 1918, cet immense soulagement après une boucherie inouïe ? Et si oui, est-ce dommageable ?

la Grande Guerre aujourd’hui ?

Je pense qu’une partie de nos générations a surtout oublié que le 11 novembre, le soulagement était aussi important dans la population française que la fierté d’avoir vaincu les Allemands. Les courriers trouvés dans ma famille soulignent les deux phénomènes, et il est très grave à mes yeux de vouloir gommer depuis plusieurs décennies cette fierté de nos aïeuls d’avoir tout simplement gagné la guerre !

 

Il y a eu débat, récemment, à propos de la bonne manière de commémorer le centenaire de l’armistice. Il semblerait que le président Macron ait préféré opter pour une solution sans parade militaire, pour ne pas froisser les Allemands, avec lesquels nous entendons toujours constituer l’avant-garde de l’Europe communautaire. Que vous inspire ce débat ?

quelles commémorations ?

Le président s’inscrit dans une démarche lamentable de soumission à l’égard de l’Allemagne, qui a depuis longtemps pris la place du pilote dans le couple franco-allemand. Comme je l’ai expliqué plus haut, les Français de 1918 étaient fiers d’avoir vaincu l’empire allemand et ses volontés hégémoniques sur le continent européen. Le 11 novembre rime avec cette victoire et, n’en déplaise à madame Merkel, nous sommes encore un pays souverain qui, à l’exemple de ce que furent les commémorations du 50e anniversaire en 1968, doit célébrer son histoire et sa grandeur sans que ses ennemis d’hier ne se sentent rejetés ou vexés. Il y a 50 ans, le général de Gaulle, ancien combattant de la Grande Guerre, avait parfaitement réussi à commémorer cette victoire dans la plus grande dignité et dans un grand moment de communion nationale.

 

Vos projets, vos envies pour la suite, Sylvain Ferreira ? De nouveaux ouvrages en prévision ?
 
Je viens de sortir un ouvrage sur la guerre de Sécession chez Economica, La campagne de Virginie de Grant (1864) dans lequel je reviens une fois encore sur les origines de l’art opératif. Je démarre par ailleurs la rédaction d’un hors-série du magazine Batailles & Blindés (Caraktère) sur les dix derniers jours du 3e Reich. Je travaille également avec Serge Tignière et l’équipe de l’émission « Champs de Bataille » sur les scénarios des prochains épisodes dans lesquels j’interviendrai, sur la bataille de la Somme et la campagne de France en 1940.

 

Un dernier mot ?

Je dédie tout le travail que j’ai accompli depuis 2013 pour le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, ainsi que mes trois livres (Dardanelles..., La Marne..., et L’inévitable défaite allemande) à mes aïeuls « Morts pour la France », et en particulier à mon arrière-grand-père Achille Moutenot, toujours porté disparu devant Juvincourt, depuis le 18 avril 1917.

 

Achille Moutenot

Photo : Achille Moutenot, aïeul de S. Ferreira.

33 ans et père de trois enfants, il était membre du 82e RI,

et tomba face à lennemi près de Juvincourt (Aisne), le 18 avril 1917.

 

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28 octobre 2018

« L'Arabie saoudite, de puissance de statu quo à facteur de déstabilisation du Moyen-Orient », par Olivier Da Lage

La disparition du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, au début de ce mois, a provoqué dans les chancelleries de vives critiques, et quelques non moins vifs embarras, à mesure que s’établit la responsabilité du pouvoir saoudien dans cette affaire. Cible de tous les regards, le prince héritier déjà tout-puissant Mohammed ben Salmane, dit « MBS », 33 ans. Il y a onze mois, le journaliste de RFI spécialiste de la péninsule arabique Olivier Da Lage avait répondu à mes questions à propos de MBS et de la révolution de palais qu’il venait de mener, à la manière d’un Louis XIV en sa jeunesse. Il a accepté d’écrire pour Paroles d’Actu le présent article, qui pose un constat sévère quant aux politiques actuelles du royaume, et aux complaisances des uns, et des autres. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jamal Khashoggi

Portrait de Jamal Khashoggi. Photo © Jacquelyn Martin/AP/SIPA.

 

« Comment l’Arabie saoudite, puissance de statu quo,

est devenue un facteur de déstabilisation du Moyen-Orient. »

par Olivier Da Lage, le 27 octobre 2018

Depuis le 2 octobre et la disparition de Jamal Khashoggi au consulat général d’Arabie saoudite à Istanbul, le monde entier découvre, horrifié, quel personnage est vraiment Mohammed ben Salmane, dit MBS, le prince héritier saoudien.

Naguère encore, il était encensé par une grande partie des médias occidentaux comme le dirigeant réformateur qui allait moderniser au pas de charge son pays englué dans des pratiques moyenâgeuses.

Sur le plan économique, Mohammed ben Salmane devait sevrer le royaume de sa dépendance aux hydrocarbures, mettre au travail les Saoudiens en mettant fin à l’omniprésence de l’État dans l’économie et en développant le secteur privé, notamment en attirant les investisseurs étrangers et en privatisant 5 % du capital de Saudi Aramco.

Sur le plan social, ce jeune dirigeant d’à peine 33 ans se montrait en phase avec la jeunesse du pays (les moins de 30 ans représentent 60 % de la population d’Arabie saoudite) en mettant enfin un terme à l’interdiction de conduire des femmes, en ouvrant des salles de cinémas, en autorisant les concerts, etc.

Bref, Mohammed ben Salmane faisant entrer de plain-pied l’Arabie saoudite dans le XXIe siècle. Vu à travers le prisme des articles louangeurs décrivant les Douze travaux de cet Hercule des temps modernes, c’était en quelque sorte un Macron saoudien. Certes, avec des méthodes brutales que permet un régime absolutiste dans lequel toute opposition est légalement assimilée au terrorisme, mais, avec indulgence, les gazetiers séduits louaient son sens de l’efficacité plutôt que d’insister sur l’embastillement des opposants ainsi que des princes et hommes d’affaires susceptibles de lui faire de l’ombre.

Mais du coup, on s’interroge : comment ce jeune homme pressé de moderniser son pays et d’obtenir la reconnaissance internationale pour que les capitaux s’investissent dans le royaume a-t-il pu laisser faire (interprétation charitable) ou ordonner (interprétation plus vraisemblable) la torture et l’assassinat d’un dissident qui ne remettait même pas en cause le régime saoudien ?

La réponse est simple : parce qu’on l’y a encouragé. «  On  » étant d’une part son père, le roi Salman et d’autre part les principaux pays occidentaux, États-Unis en tête, suivis par le Royaume-Uni et la France.

Son père, qui dès son accession au trône en janvier 2015, l’a propulsé ministre de la Défense à l’âge de 29 ans, et a écarté l’un après l’autre tous ses rivaux potentiels jusqu’à en faire son prince héritier en juin 2017, est évidemment le principal responsable. Il n’est pas le seul.

 

MBS Trump et Kushner

M. ben Salmane, D. Trump et J. Kushner. Photo © Jonathan Ernst/Reuters.

 

Donald Trump, qui à l’évidence, a passé un pacte avec lui par l’intermédiaire de son gendre Jared Kushner dès avant l’élection présidentielle de novembre 2016, ainsi que l’ont révélé plusieurs enquêtes approfondies publiées ces derniers mois aux États-Unis, s’appuie sur lui dans sa politique anti-iranienne. Il compte sur l’Arabie pour soutenir les ventes d’armes américaines et pour garantir une production de pétrole suffisante pour que le gallon d’essence soit suffisamment bon marché pour son électorat. En échange, il a clairement dit dès son premier voyage à l’étranger qu’il a réservé à l’Arabie Saoudite en mai 2017 qu’il n’avait aucune intention de donner des leçons sur les droits de l’Homme.

Mais si la responsabilité de Trump est avérée dans le sentiment d’impunité que ressent MBS, la France et le Royaume-Uni ne sont pas exempts de reproches. L’une et l’autre vendent des armes au royaume qui, en dépit de ce que l’on affirme dans les cercles officiels, sont pour partie au moins utilisées par les Saoudiens au Yémen. Qui plus est, la France participe, par ses moyens satellitaires, à la sélection des cibles qui sont bombardées au Yémen par l’aviation saoudienne. Et lorsque – rarement – le Quai d’Orsay s’émeut de bavures particulièrement graves lors de bombardements qui ont provoqué de nombreuses victimes civiles yéménites, la compassion française pour les victimes ne va pas jusqu’à mentionner le nom du pays à l’origine des bombardements.

Pareillement, lorsque le 2 janvier 2016, le pouvoir saoudien a procédé à l’exécution d’opposants chiites dont certains n’avaient commis aucun acte de violence, parmi lesquels l’influent cheikh Nimr al Nimr, il a fallu attendre une journée complète pour que le porte-parole du Quai d’Orsay «  déplore profondément  » ces exécutions. Cette «  déploration  », cela mérite d’être précisé, n’a entraîné aucune conséquence et, en termes diplomatiques, n’est en rien l’équivalent d’une «  condamnation  », terme en revanche employé de façon routinière s’agissant de l’Iran ou du Nicaragua comme tout un chacun peut le constater à la lecture des communiqués du ministère des Affaires étrangères sur le site du Quai d’Orsay.

Comment s’étonner que Mohammed ben Salmane ait pu y voir autre chose qu’un alignement de feux verts placés sur sa route par les grandes puissances  ? On a voulu voir en lui ce prince moderniste qu’il affirme être sans écouter l’autre partie de son discours, celle dans laquelle, affirmant qu’il n’est pas le Mahatma Gandhi, il fait l’éloge de l’absolutisme comme garant de l’efficacité (déclarations à la presse américaine lors de sa tournée au printemps 2018).

Longtemps, l’Arabie saoudite a été considérée par les pays occidentaux comme une puissance de statu quo, un facteur de stabilité au Moyen-Orient. Au vu de l’expérience de ces quatre dernières années (guerre du Yémen, kidnapping du premier ministre libanais, blocus du Qatar, assassinat du Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul…), le moment est venu d’admettre que ce n’est plus le cas et d’en tirer les nécessaires conclusions.

 

« Le moment est venu d’admettre que l’Arabie saoudite

n’est plus un acteur de stabilité, et d’en tirer

les nécessaires conclusions... »

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage.

 

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8 octobre 2018

« N'Golo Kanté sera encore présent en 2022. Comment voulez-vous qu'une malédiction nous touche ? » (L. Bacon, J. Choquet)

Il y a un peu moins de trois mois, le 15 juillet en début de soirée (heure française), l’équipe de France de football décrochait, en Russie, sa deuxième étoile de championne du monde en battant, au cours d’un match épique, une constamment impressionnante équipe croate, par 4 buts à 2. Un moment de grande joie collective, réunissant jeunes et moins jeunes autour d’une équipe, efficace et sympathique, et d’un drapeau, trop souvent ressorti précédemment pour des événements tragiques ; une communion comme on n’en connaît plus beaucoup mais dont le foot est capable et qui nous a rappelé 98, tout juste vingt ans auparavant. Dès le 20 juillet était publié, chez Hugo Sport, le bel ouvrage collectif Champions, les Bleus sur le Toit du Monde, confectionné par une bande de passionnés. J’ai pu interroger, tout récemment, deux des auteurs du livre, Lucie Bacon et Julien Choquet, tous deux journalistes pour Football Stories (Konbini). Merci à eux d’avoir accepté mon invitation et répondu à mes questions, et merci à Olivia Debarge (Hugo & Cie), sans qui cet article n’aurait pas été possible. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« N’Golo Kanté sera encore présent en 2022.

Comment voulez-vous qu’une malédiction nous touche ? »

Interview de Lucie Bacon et Julien Choquet.

Q. : 03/09/18 ; R. : 04/10/18

Champions les Bleus

Champions, les Bleus sur le Toit du Monde (Hugo Sport, 20 juillet 2018).

 

Bonjour, et merci d’avoir accepté mon invitation pour évoquer votre ouvrage, Champions, les Bleus sur le Toit du Monde (Hugo Sport, 20 juillet 2018). Parlez-nous de vous, qui l’avez composé ? Ça a été quoi, votre parcours aux uns et aux autres ? Parmi vos points communs, vous êtes tous fans de foot ? 

Lucie Bacon : Nous sommes six amis (enfin je crois) liés par la passion du football et de Didier Deschamps. Je suis journaliste depuis 3 ans chez Konbini, et suis rédactrice en chef de leur site de foot.

Julien Choquet : Je suis également rédacteur chez Football Stories, et je pense aussi être amis avec les cinq lurons qui ont écrit ce livre à mes côtés.

 

Comment avez-vous vécu le 15 juillet 2018, jour de la finale bien sûr, et que retiendrez-vous de cette soirée ?

Lucie : La soirée, je n’en ai pas tellement profité car il fallait boucler les dernières pages du livre. Donc je me souviendrai surtout de l’après-midi et du match, où ça a été une succession de toutes les émotions, puis le partage entre le bonheur d’être champions du monde et le stress de devoir tout boucler sans pouvoir tout de suite fêter ça dignement.

 

Si vous étiez assez "grands" pour avoir des souvenirs de 1998, en quoi cette émotion, et ces moments-là ont-ils été différents, pour vous et au niveau collectif ? Est-ce que l’époque a changé, peut-être moins innocente, plus "cynique" qu’alors ?

Julien : J’avais sept ans en 98 donc ça a forcément été des moments différents, étant donné que je préférais jouer aux Lego à l’époque.

 

C’est quoi l’histoire de ce livre ? On notera qu’il est sorti très, très rapidement après la fin de la Coupe du monde. Comment vous y êtes-vous pris pour le confectionner ? Et est-ce que la décision de le réaliser a été prise au moment où vous avez compris que la France irait loin (voire l’emporterait) ou bien cet ouvrage sur la Coupe du monde 2018 serait-il malgré tout sorti ?

Julien : L’histoire de ce livre est très simple. Nous avons tous été contactés par Hugo Sport peu avant le début du mondial, afin d’écrire un livre sur le parcours de l’Équipe de France. Dès le début la consigne était claire : il ne sortirait que si les Bleus soulevaient le trophée. Étant donné que nous étions tous persuadés qu’Olivier Giroud et sa bande iraient au bout, on a pris nos petites plumes et on a accepté ce challenge. Et si le livre a pu sortir aussi rapidement, c’est parce qu’on écrivait les résumés de chaque rencontre du mondial au jour le jour. Nous nous sommes donc tous retrouvés après la finale pour écrire le résumé de la finale, réaliser les dernières retouches, et envoyer le livre en impression le lendemain matin.

 

Ce livre on l’a dit c’est un vrai travail d’équipe. Comment vous êtes-vous réparti les tâches ? Qui a écrit ? Qui a récupéré, et sélectionné les photos ? Qui a obtenu les (prestigieuses) interventions de Marcel Desailly (préface), et des champions Adil Rami et Benjamin Mendy ?

Lucie : On s’est réparti les tâches grâce à un outil très performant : Facebook. La maison d’édition a obtenu les autres interventions.

 

Franchement, qui parmi vous a cru d’entrée que la France ferait le parcours qu’elle a fait ? C’était quoi, les uns et les autres, vos prono de finale et de vainqueur d’avant Coupe du monde ?

Lucie : Pas moi, j’avais misé sur le Brésil puis sur la Croatie après les premiers matches

Julien : Dès le début du mondial, j’ai mis mon maillot de Giroud et je ne l’ai jamais enlevé. J’avais confiance en ce groupe France dès le début, je n’ai jamais douté (c’est faux j’avais parié 100€ chez Winamax que l’Espagne soulèverait le trophée).

 

Vos matches références de cette Coupe du monde, toutes équipes confondues ? A-t-elle été, sportivement parlant, de bonne et de haute tenue ?

Julien : En tant que Français, je suis obligé de citer le France - Argentine en huitièmes, qui a été déterminant pour la suite du parcours des Bleus, en plus d’être un grand match de foot. Sinon, j’ai beaucoup aimé le Belgique - Japon, ou le Brésil - Belgique.

 

La France l’a emporté d’une bien belle manière, battant une constamment impressionnante Croatie 4 à 2 en finale, après avoir éliminé un à un chacun de ses adversaires. Objectivement, cette équipe de France était-elle la plus douée, la plus méritante des 32 en lice ? Quelle part pour le "facteur chance" dans ce parcours, et quels mérites incontestables pour ce Team France ?

Julien : Peut-être pas la plus spectaculaire, peut-être pas celle qui avait le plus de possession (n’hésitez pas à insérer un drapeau belge à cet emplacement), mais c’est bien elle la plus méritante étant donné que nous sommes CHAMPIONS DU MONDE ! C’est la manière la plus simple de couper court à tous ces débats, qui au fond n’ont pas réellement de sens.

 

Qui à votre avis mériterait le Ballon d’Or cette année ? Quel podium... et qui, à votre avis, sera dans les faits sacré ?

Lucie : Ngolo Kanté (Varane et Modric le méritent).

Julien : Paul Pogba pour un avis subjectif, Modric pour un avis objectif. Et le podium : Modric, Griezmann, CR7 (même si Varane mériterait d’y être).

 

Raphaël Varane et Didier Deschamps

Raphaël Varane, avec Didier Deschamps. Photo : L’Équipe (D.R.)

 

Cette équipe de France a été belle. Elle a fait rêver. Et elle est plutôt jeune. Est-ce qu’elle a, à ce stade, le monde à ses pieds, et l’avenir devant elle ? Comment échapper à la malédiction qui, depuis vingt ans à peu près, frappe chacun des champions en titre, voué à une performance médiocre le coup d’après ? C’est quoi l’idée, garder la tête froide avant tout ? Cette équipe-là a-t-elle appris de ses anciens, a-t-elle la maturité pour pouvoir espérer aller (encore plus) loin ?

Julien : N’Golo Kanté sera encore présent en 2022. Comment voulez-vous qu’une malédiction nous touche ? Un peu de sérieux quand même...

 

Un message pour Didier Deschamps à l’occasion de cette interview ? ;-)

Lucie : Didier Deschamps, merci beaucoup, on est ensemble...

Julien : Merce.

 

Quels arguments pour convaincre ceux de nos lecteurs que cette équipe de France a fait rêver que c’est bien votre livre, l’objet-souvenir qu’il leur faut ?

Julien : Parce que vous ne connaissez pas les surnoms de tous les joueurs de l’Équipe de France, tous donnés dans notre livre par Benjamin Mendy.

 

Vos projets pour la suite ?

Lucie : Écrire un livre pour la victoire à l’Euro.

Julien : Aider Lucie à écrire un livre pour la victoire à l’Euro.

 

Un dernier mot ?

Didier Deschamps, merci beaucoup, on est ensemble !!!

 

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20 septembre 2018

Jean Marcou : « Les moyens médiatiques d'opposition sont désormais marginaux en Turquie »

Jean Marcou est enseignant-chercheur et titulaire de la Chaire Méditerranée-Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble. Ce spécialiste de la Turquie a d’ailleurs fondé il y a une dizaine d’années l’Observatoire de la Vie politique turque (OVIPOT), une structure de réflexion et de documentation qu’il s’attache à faire vivre. Deux ans après une première interview, qui tombait peu après un coup d’état raté contre l’appareil Erdoğan, il a accepté une nouvelle fois, cette fois dans un contexte de reconduction triomphale et de renforcement du pouvoir actuel, mais aussi de troubles économiques croissants, de répondre à mes questions. Je l’en remercie et vous invite à suivre ses travaux. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Les moyens médiatiques d’opposition

sont désormais marginaux en Turquie... »

Interview de Jean Marcou

Q. : 25/06/18 ; R. : 16/09/18

Erdogan 2018

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, le soir de sa victoire. Crédits photo : Anadolu Agency.

 

M. Erdoğan vient d’être réélu à la présidence de la République turque et, référendum de 2017 oblige, il assumera la totalité du pouvoir exécutif durant les prochaines années, tandis que son parti a dans le même temps remporté les élections législatives. Est-ce qu’une transformation en profondeur de la Turquie, de ses institutions et de la manière dont l’État influe sur la société, est aujourd’hui en marche ?

Oui, c’est effectivement un tournant qui consacre les évolutions en cours depuis plusieurs années, notamment : depuis de 2010-2011, avec les premières atteintes graves à la liberté d’expression ; depuis 2013, avec la répression des événements de Gezi et la rupture de l’AKP avec le mouvement Gülen ; depuis 2014, avec la première élection de Recep Tayyip Erdoğan à la présidence au suffrage universel ; et surtout depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016. Cette dernière a favorisé une accélération irrésistible du processus de présidentialisation autoritaire amorcée antérieurement, parce qu’elle a permis de légitimer le recours à la législation d’exception et la "nécessité" de transformer du régime. Il ne faut pas oublier que la Turquie était alors en outre dans une situation instable (fin du processus de paix avec les Kurdes, attentats spectaculaires de Daech dans les grandes villes turques, proximité du conflit syrien...).

 

« La Turquie est entrée indiscutablement

dans "une nouvelle ère politique"... »

 

En deux ans, le régime a été complètement restructuré. Sur le plan partisan, tout d’abord avec une épuration interne de l’AKP (en particulier une élimination politique des premières générations de cadres Abdullah Gül, Ahmet Davutoğlu, Bülent Arınç, Melih Gökçek, Kadir Topbaş...) et par une alliance du parti au pouvoir avec le MHP, c’est à dire avec l’extrême-droite nationaliste. Sur le plan constitutionnel, avec une réforme des institutions adoptée, grâce au MHP, par le référendum d’avril 2017 mettant un terme au régime parlementaire qui avait toujours gouverné la Turquie depuis son passage au pluralisme et à la démocratie. Enfin, sur le plan politique et administratif, avec avant et après les élections anticipées du 24 juin 2018, des purges drastiques conduites dans tous les secteurs de l’appareil d’État, une restructuration de l’ensemble de l’exécutif, c’est-à-dire du pouvoir de décision et des moyens logistiques autour de la personne même du président. Comme l’a affirmé Recep Tayyip Erdoğan lui-même, la Turquie est ainsi entrée indiscutablement dans "une nouvelle ère politique".

 

L’opposition à M. Erdoğan a-t-elle gagné en organisation et en cohérence ces dernières années ? Les résultats proclamés de ces élections sont-ils conformes à ce qui était anticipé au niveau des rapports de forces ?

Il y a une opposition forte à Recep Tayyip Erdoğan et aux transformations politiques précédemment décrites. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, l’AKP a dû s’allier avec le MHP de Devlet Bahçeli. Sans cette alliance, Recep Tayyip Erdoğan aurait eu du mal à remporter le référendum de 2017 et même les élections de juin 2018. Mais le problème de cette opposition est qu’elle est trop hétérogène, rassemblant outre les kémalistes du CHP (qui en constitue le noyau central), les Kurdes du HDP et les nationalistes dissidents du "Bon Parti"... Ces formations disparates ont pu créer la surprise en 2015, en privant l’AKP de sa majorité absolue. Elles pouvaient espérer empêcher Recep Tayyip Erdoğan de l’emporter dès le premier tour à la présidentielle anticipée de juin 2018. Mais elles ne constituent pas une alternative crédible à l’AKP triomphant. L’opposition sort ainsi, des dernières élections, plus affaiblie que jamais. Au sein du CHP, le candidat du parti à la dernière élection présidentielle, Muharrem Ince conteste la légitimité du leader actuel, Kemal Kılıçdaroğlu, et demande un congrès extraordinaire. Après son résultat décevant, Meral Akşener, semble vouloir se retirer de la vie politique. Enfin, les Kurdes du HDP ont confirmé, même dans une situation extrêmement défavorable, la réalité de leur audience politique, en restant troisième formation politique au parlement, mais ils sont marginalisés et réprimés, une partie de leurs cadres étant en prison ou l’objet de poursuites judiciaires. De surcroit, ni le CHP, ni le "Bon Parti", n’imaginent actuellement une possible alliance avec eux. Dans ces conditions, on voit mal quel peut être l’avenir de l’opposition en Turquie actuellement.

Il est probable néanmoins qu’un autre type d’opposition risque de se développer sur le terrain, en lien avec des revendications concrètes : respect voire développement des droits des femmes, défense de l’environnement, ou encore, comme il y a quelques jours, manifestations (contre le non-respect des règles de sécurité) des ouvriers construisant le nouvel aéroport d’Istanbul, qui doit ouvrir le 29 octobre prochain. Mais là encore la voie est étroite et le régime veille... Depuis fin août dernier, le sit-in des mères kurdes, qui se tenait chaque semaine sur İstiklâl Caddesi, à Istanbul, sur le modèle du rassemblement des "mères de la place de Mai" en Argentine" est interdit et, le cas échéant, dispersé par la police...

 

Plusieurs incidents se sont produits en France autour des élections en Turquie, du fait notamment de soutiens de M. Erdoğan qui ont exprimé violemment leur désapprobation face entre autres à des articles de presse mettant en cause leur champion. La diaspora turque est-elle plus ou moins pro-Erdoğan que les Turcs qui vivent au pays ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous inquiète dans ces débordements ?

Depuis 2014 (date à laquelle les Turcs vivant à l’étranger ont pu voter), les résultats des élections montrent que la diaspora turque des pays occidentaux vote majoritairement en faveur de Recep Tayyip Erdoğan (plus de 60% en France). Cela tient au fait que les communautés turques qui vivent en Europe occidentale se sentent ostracisées, marginalisées, notamment en raison de leur appartenance religieuse. Dès lors, un président turc qui parle haut aux gouvernements européens, dénonçant notamment leur réticence à accueillir des réfugiés et leur refus de voir la Turquie entrer dans l’Union européenne (UE), a toutes les chances de recevoir un accueil favorable des Turcs vivant en Europe. Et ce d’autant plus qu’à la différence de ses prédécesseurs, ce président n’hésite pas à s’adresser à ses compatriotes expatriés, en leur recommandant de s’impliquer dans la vie politique de leur pays d’accueil. L’approche des dernières élections par la presse occidentale, et surtout la une du magazine Le Point qualifiant Erdoğan de "dictateur", ont été ressentis par nombre de Turcs vivant en France, comme une sorte d’agression à leur égard. Si on ajoute à cela, la propagande d’associations liées à l’AKP et au gouvernement turc, on comprend comment certains ont pu aller jusqu’à s’en prendre directement au magazine lui-même et à ses publicités sur le mobilier urbain.

 

Le Point Erdogan 

Le Point, le canard de la colère.

 

Toutefois, la démographie turque en France, comme dans d’autres pays voisins d’Europe, n’est pas monolithique. Outre les sympathisants de l’AKP, elle est composée aussi d’opposants : Kurdes proches du HDP, voire du PKK, membres du mouvement Gülen, nouveaux opposants politiques en exil... Les développements du conflit syrien ou la tentative de coup d’État de 2016 ont montré que les différends existants en Turquie ou à aux frontières de celle-ci pouvaient s’exporter et diviser les diasporas turques en Europe.


On a souvent pu lire, ici ou là, que la démocratie était en danger en Turquie, et quelques faits d’actualité, comme le traitement réservé à des journalistes d’opposition, ne sont pas pour rassurer en la matière. Quel est votre sentiment : y a-t-il une dérive autoritaire objective en Turquie ?

Comme je le disais précédemment la démocratie et plus spécifiquement la liberté d’expression est en recul depuis le début de cette décennie. Ce sont des atteintes à la liberté de la presse en 2010-2011, à une époque où l’AKP était encore allié au mouvement Gülen, notamment l’arrestation des journalistes Ahmet Şık et Nedim Şener, qui ont constitué la première alerte sérieuse en la matière. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer avec le développement d’une logique d’intimidation permanente des médias. Les poursuites pour insulte au président ont ainsi souvent frappé des journalistes, au cours des dernières années, et amènent ces derniers à s’auto-censurer. Un journaliste, au demeurant député du CHP, Enis Berberoğlu, a été condamné à 25 ans de prison, accusé d’espionnage, pour avoir révélé des livraisons d’armes suspectes des services de renseignement turcs, en Syrie. Mais, surtout, il faut voir que le paysage médiatique turc a profondément changé, au cours des dernières années, voire au cours des derniers mois. Depuis 2013, les médias gülenistes qui étaient très importants ont été démantelés ou "récupérés" par l’AKP, et en mars 2018, le seul groupe médiatique important réputé d’opposition qui restait (le Holding Doğan) a été vendu au groupe Demirören, proche du pouvoir. Les moyens médiatiques d’opposition sont donc désormais marginaux. Difficile dans ces conditions de ne pas parler de tournant autoritaire comme nous l’avons fait récemment dans un numéro du magazine Moyen-Orient ("Turquie, le tournant autoritaire", Moyen-Orient N°37, janvier-mars 2018). C’est d’ailleurs bien ce qui a été relevé par les observateurs internationaux, lors des dernières élections (Conseil de l’Europe, OSCE...). Bien que ces élections aient pu se tenir dans l’ensemble librement, notamment pour ce qui est de la procédure de vote, la situation médiatique pendant la campagne était en revanche particulièrement déséquilibrée en faveur du pouvoir en place.


Est-ce que, s’agissant de la manière dont sont pensées les politiques intérieure et étrangère de la coalition conservatrice de M. Erdogan, l’on peut dire que l’ottomanisme y tient une place déterminante ? Peut-être plus forte qu’à aucun moment de l’histoire turque récente ?

Le néo-ottomanisme de l’AKP a été maintes fois observé en matière de politique extérieure et de politique intérieure, car il constitue le terreau d’une sorte de néonationalisme très significatif de ce qu’est devenu aujourd’hui l’AKP et le régime que Recep Tayyip Erdoğan entend promouvoir. L’exaltation de l’Empire ottoman permet, en effet, au régime actuel de renouer avec le passé musulman des Turcs que le nationalisme kémaliste avait effacé pour des raisons religieuses et "progressistes".

 

« La crise économique est devenue aujourd’hui le premier défi

que doit relever le nouveau régime de Recep Tayyip Erdoğan. »

 

Lorsque l’AKP a pris le pouvoir, les scénarios dominants étaient celui des "musulmans démocrates" (qui allaient sortir la Turquie du cercle-vicieux de la démocratie interrompue par des coups d’État) ou celui de "l’agenda caché islamiste" (qui allait transformer ce pays en république islamique). En fait, force est de constater que c’est un troisième scénario qui se noue sous nos yeux, celui d’un populisme nationaliste, soutenu par le développement de classes moyennes néo-urbaines conservatrices et par l’exaltation du passé ou de l’avenir transcendantal des Turcs. Dans ce cadre-là, le néo-ottomanisme joue un rôle important, mais il n’est pas la seule instrumentalisation de l’Histoire.... Lors de ses meetings, Recep Tayyip Erdoğan a pris pour habitude de faire référence à trois dates clefs: 1453, la prise de Constantinople, un moment majeur de l’histoire ottomane par excellence ; mais aussi antérieurement 1071, la bataille de Manzikert, une victoire du sultan seldjoukide Alparslan sur les Byzantins, qui vit les Turcs prendre pied en Anatolie, leur territoire d’aujourd’hui ; et enfin postérieurement 1923, la proclamation de la République de Turquie par Mustafa Kemal après sa victoire sur les Grecs, à l’issue de la Première Guerre mondiale. C’est dire si le régime actuel récupère et instrumentalise l’ensemble de l’histoire des Turcs pour leur construire une destinée contemporaine et donner du sens à ses politiques et objectifs en cours : grands travaux, ambition de faire entrer l’économie turque dans les dix premières du monde, développement du rayonnement diplomatique international et régional de la Turquie. Mais cet appareillage idéologique risque de perdre de son efficacité, si le régime de l’AKP n’est pas en mesure de surmonter les difficultés économiques que traverse aujourd’hui le pays. Il est certain que l’affaiblissement de la monnaie et l’accélération de l’inflation ont été accentués par la crise en cours avec les États-Unis, mais ces signaux viennent également confirmer plusieurs années de dépréciation monétaire régulière, d’augmentation de l’inflation et d’accroissement spectaculaire du déficit du compte courant de la Turquie. La crise économique est devenue aujourd’hui le premier défi que doit relever le nouveau régime de Recep Tayyip Erdoğan.

 

Jean Marcou

Jean Marcou. Crédits photo : Nathalie Ritzmann.

 

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