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Paroles d'Actu
12 janvier 2022

Ian Hamel : « Comment Tapie, simple homme de paille, a-t-il pu ainsi briller ? »

La disparition de Bernard Tapie, survenue le 3 octobre dernier dans sa 79ème année, a sans surprise fait la une de l’actualité du jour. De nombreux hommages ont été rendus à ce personnage au charisme certain qui aura eu mille vies, ou pas loin : il fut chef d’entreprise, député, "Boss" de l’OM, ministre, patron de presse, et même chanteur. Les dernières années de son existence furent marquées par la maladie, et sa lutte courageuse (comme tous les malades) et médiatisée contre le cancer lui a attiré de puissants élans de sympathie populaires.

Mais qui était vraiment Bernard Tapie, au-delà de celui qui nous a été vendu, quarante années durant, par un des plus grands communicants de notre temps, à savoir lui-même ? Ian Hamel, journaliste au Point, répond à cette question dans C’était Bernard Tapie (L’Archipel, 2021), une bio fouillée et sans complaisance. Autant le dire cash : les fans de Tapie risquent de ne pas aimer ce qu’ils liront, peut-être aussi de ne pas reconnaître tout à fait celui qu’ils voyaient presque comme un familier. De son vivant, Bernard Tapie aimait contrôler ce qui le concernait : il n’est plus et appartient désormais, sinon aux historiens, en tout cas à ceux qui voudront bien écrire et enquêter sur lui. Il n’y a pas là de vérité définitive mais une pièce supplémentaire apportée au dossier Tapie, pour mieux cerner l’homme, fascinant autant qu’il fut controversé, les dérives de l’argent roi et d’un pouvoir ayant perdu sa boussole, et parfois son âmeExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Ian Hamel : « Comment Tapie,

simple homme de paille,

a-t-il pu ainsi briller ? »

C'était Bernard Tapie

Cétait Bernard Tapie de Ian Hamel (L’Archipel, 2021)

 

Ian Hamel bonjour. Quelle a été votre réaction à l’annonce de la mort de Bernard Tapie, à propos duquel vous aurez noirci bien des pages dont cet ouvrage, C’était Bernard Tapie (L’Archipel, 2021) ?

À l’annonce de la mort de Bernard Tapie, j’ai eu presque la même réflexion que Tintin dans Le Lotus bleu, concernant la mort de Mitsuhirato : « Dieu ait son âme ! Mais c’était un rude coquin ! » On ne pouvait pas détester complètement Tapie, malgré le mal quil a fait tout au long de sa vie. 

Attaquons-nous d’entrée à un gros morceau : que faut-il retenir à propos des scandales des comptes de l’OM ? Peut-on parler d’une forêt cachée par l’arbre VA-OM ?

Le procès des comptes de l’OM a beaucoup moins passionné les Français que l’affaire VA-OM, qui est anecdotique. Pourtant, on y apprend que, dès son arrivée à l’OM, Tapie a mis tous les moyens possibles pour gagner, notamment en achetant les arbitres. Au total, plus de 100 millions de francs ont été détournés dans les comptes de l’OM.

Comment expliquer la bienveillance inouïe de la Mitterrandie - et d’un Crédit lyonnais aux ordres - à l’égard de Bernard Tapie ?

À partir de 1983, les socialistes se sont rendus compte qu’il couraient à la catastrophe. Si la France ne voulait pas devenir l’Albanie, il fallait retrouver le système capitaliste. Mais pour cela, ils l’ont habillé en tentant de faire croire que des hommes de gauche, comme Bernard Tapie, pouvaient être aussi de bons capitalistes. Mitterrand a donc mis le Crédit Lyonnais au service de Bernard Tapie. Grâce à cette banque, il a pu acheter Adidas qui représentait quinze fois son chiffre d’affaires d’alors. Tous les analystes financiers vous le confirmeront : dès le départ, on savait que Tapie ne pourrait pas rembourser l’achat d’Adidas.

Vous expliquez bien, à propos de la sempiternelle affaire Adidas, que l’arbitrage voulu par le pouvoir sarkozyen (2008), favorable à Tapie et défavorable à l’État, donc aux contribuables, se fit au mépris d’une justice ordinaire qui allait elle dans un sens contraire. Peut-on clairement parler ici d’un fait du Prince, pour des motifs qui restent flous ?

Comment expliquer que Tapie, qui n’a pas mis un franc dans Adidas, aurait pu être floué par le Crédit lyonnais ? Même si je reconnais que le Crédit lyonnais n’a pas non plus été très honnête dans la reprise d’Adidas... Toutefois, personne n’est capable de dire pourquoi Nicolas Sarkozy a voulu faire gagner 405 millions d’euros à Tapie ? En 2007, ce dernier n’avait pas les moyens de lui apporter des centaines de milliers de voix. Mais on sait que Tapie a bien racheté le quotidien La Provence à la demande de Sarkozy qui voulait être candidat en 2017.

Il est beaucoup question, dans votre livre, de Tapie en tant qu’homme de paille. De quelles forces aurait-il été l’homme de paille ? Dans quelle mesure aura-t-il été à votre avis, aux manettes, et dans quelle mesure aura-t-il été instrumentalisé par plus fort que lui ?

Tapie n’a jamais été un homme d’affaires. J’ai rencontré ses proches : il ne mettait pas les pieds dans ses entreprises (sauf pour des reportages). Il n’a jamais été capable de lire un bilan. En 1981, les socialistes, arrivant au pouvoir, ont cherché des hommes de paille pour reprendre des entreprises, les pomper et détourner de l’argent. Mais à la différence des hommes de paille habituels, sans envergure, Tapie est très intelligent. Il ne s’est pas contenté de ce rôle obscur. Il a voulu briller. 

Bernard Tapie fut une figure emblématique des années 80, de ces temps contradictoires où la France élut par deux fois François Mitterrand mais où, sensibles aux vents anglo-saxons, beaucoup s’extasiaient devant les réussites - ou les réussites apparentes - des grands capitaines d’industrie, et même des requins de la finance ("Greed is good"). Qu’est-ce que la starification de Tapie dans ces années-là nous dit des mutations opérées dans la décennie 80 ?

Dès les années 80, l’important n’est plus de « faire » mais de le « faire savoir ». Tapie a notamment déclaré que sa société de pesage Terraillon, en Haute-Savoie, allait faire 1 milliard de chiffre d’affaires et 150 millions de bénéfices, alors que son CA était autour de 2-300 millions et qu’elle accusait 35 millions de pertes. Les journalistes économiques n’ont fait que recopier les chiffres donnés par Tapie qui les invitait, tous frais payés, dans de grands hôtels.

De quelles dérives Bernard Tapie aura-t-il été un symptôme, un symbole durant les 50 dernières années ?

Tapie est le symbole du paraître. Les médias ne s’attachent pas à ce qui est, mais à ce qu’il dit. Et comme tout va très vite, pratiquement plus personne n’enquête. 

Vous l’écrivez vous-même : dans bien des milieux, Tapie aura toujours été vu comme un Robin des Bois plutôt que comme un Stavisky. Il jouissait de mouvements de sympathie véritables (je laisse de côté la dernière période, avec son cancer). Qu’est-ce que la popularité Tapie nous dit de nous, et de ce qui nous touche ?

Tapie invitait les journalistes les plus connus, notamment ceux travaillant à la TV, dans son jet privé, sur son yacht. Ces derniers dressaient de lui des portraits qui ne correspondaient absolument pas à la réalité : homme de gauche, près du peuple, alors qu’en privé, il détestait les gens, et défendait des idées d’extrême droite. J’ajoute que Tapie a toujours été très habile, se présentant comme enfant du peuple, victime des riches, des banques...

Qu’est-ce qui sur le fond différencie Tapie d’un Silvio Berlusconi, ou d’un Donald Trump, deux autres grands ambitieux très charismatiques ? Contrairement à eux, lui a-t-il réellement voulu le pouvoir, en-dehors de celui que confère l’argent ?

C’est difficile à dire : voulait-il réellement du pouvoir ? Ministre de la Ville, il n’a absolument rien fait. Député à Marseille, il n’est jamais allé voir ses électeurs. Certain d’être battu en 1993, il s’est ensuite présenté à Gardanne. Il n’a jamais voulu vraiment être maire de Marseille. Il aurait fallu travailler. Or, Tapie, il ne vivait qu’avec son téléphone. Il ne lisait jamais aucun dossier.  

Quelles parts d’ombre demeurent à propos de Bernard Tapie ? Quels mystères sont encore élucidables, et quels secrets a-t-il vraisemblablement emporté dans la tombe ?

On ne sait que peu de choses sur ses liens avec la mafia. Son ancien bras droit, Marc Fratani, avec lequel j’ai écrit Le Mystificateur (L’Archipel, 2019), n’a jamais voulu m’en dire beaucoup plus sur les liens, bien réels, entre Tapie et le Milieu. Je sais qu’il y a eu des contacts avec la mafia avant la coupe d’Europe gagnée par l’OM en 1993. Mais comme je n’ai pas eu les preuves promises, je n’ai pas pu écrire sur l’événement le plus important dans la vie de Bernard Tapie. 

Si vous aviez pu l’interroger, quelles questions lui auriez-vous posées, les yeux dans les yeux ?

J’ai parlé à plusieurs reprises avec Tapie, notamment en 1992 quand il était candidat pour être président de la région PACA. Et en 2008, quand il savait qu’il allait gagner 405 millions d’euros et cherchait une villa sur les bords du lac Léman à Genève. Je lui ai envoyé une demande d’interview en 2015 lors de la publication de mon livre Notre ami Bernard Tapie (L’Archipel). il m’a fait un procès, m’attaquant sur quinze points. Il a perdu en première instance et en appel sur tous les points.

S’il m’avait reçu, je l’aurai interrogé sur ses liens avec le crime organisé et avec les présidents Mitterrand, Sarkozy et Macron. En revanche, ni Chirac et Hollande n’ont voulu entretenir de relations avec lui.

Comment a-t-on reçu l’information de la mort de Tapie en Suisse, et en quels termes la presse et les milieux d’affaires parlent-ils de lui ?

Bernard Tapie est un personnage connu en Suisse, où il se rendait fréquemment. C’est notamment une société financière genevoise qui lui a prêté de l’argent pour son yacht Le Phocéa. C’est aussi sur les bords du lac Léman quil pensait, un temps, s’installer avec les 405 millions d’euros de l’arbitrage. Bernard Tapie a même pensé racheter Servette, le club de foot de Genève.

Le jour même de sa disparition, j’ai été interviewé par la TV suisse. C’est surtout la presse francophone qui a parlé de sa disparition. Je dirais qu’elle est traditionnellement plus réservée que la presse française. Elle n’a donc pas fait de gros titres sur la disparition de l’ancien patron de l’OM. Quand aux milieux d’affaires, ils n’ont jamais pris très au sérieux Bernard Tapie.

Qui était-il finalement, ce Bernard Tapie que vous pensez, désormais, bien cerner ?

Bernard Tapie reste un personnage fascinant. Comment un simple homme de paille a-t-il pu ainsi briller ? Cela montre à la fois la médiocrité et le manque d’honnêteté de la classe politique française, des médias. Pourquoi Madame Macron s’est-elle inclinée sur le cercueil d’un type qui devait depuis 2015 plus de 400 millions aux contribuables français, et qu’il ne remboursera jamais ? Un type qui a mis à la porte des dizaines de milliers de salariés... J’ai écrit il y a quelques années un livre avec François Rouge, un banquier suisse tombé pour blanchiment. Il raconte le rôle des voyous dans notre société. Les grands de ce monde, les politiques, les hommes d’affaires, utilisent les voyous pour leurs basses besognes : menacer, espionner un concurrent, etc. Ensuite les voyous les tiennent. Tapie tenait beaucoup de monde.

À la fin de votre livre, vous évoquez l’affaire Thomas Thévenoud, qui a fait beaucoup de bruit pour beaucoup moins que les affaires Tapie. Vous vous empressez d’ajouter ensuite que cela ne présage pas nécessairement d’une plus grande vertu en politique. Malgré tout, peut-on dire qu’avec les nouvelles règles entrées en vigueur ces dernières années, on s’éloigne au moins un peu de la corruption et de l’affairisme en politique ?

Je pense qu’il est effectivement un peu plus compliqué qu’autrefois pour magouiller. Cela n’éloigne pas pour autant les hommes politiques de la corruption. Ils doivent simplement se montrer plus malins. 

Vos projets pour la suite ?

J’ai un projet de livre depuis plusieurs années sur l’arnaque des retraites. Dans certains départements, on arrive jusqu’à 21 % d’erreurs, toujours au détriment des retraités. Mon agenda a été bousculé par d’autres projets, sur Tariq Ramadan, sur Xavier Bertrand, enfin, sur Bernard Tapie.

Un dernier mot ?

Les hommages rendus à Bernard Tapie m’ont sidéré. Je n’avais déjà pas beaucoup d’estime pour la classe politique et les journalistes. Savaient-ils que Bernard Tapie les méprisait ? À peine l’un de ceux rencontrés avait-il franchi sa porte que Tapie le traitait de « merde », de « connard », de « nul », de « pauvre type ». 

 

Ian Hamel

 

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6 janvier 2022

Emmanuel de Waresquiel : « La tige de la girouette Talleyrand est toujours restée droite »

Cet article sera donc le premier de 2022 : je saisis cette occasion pour vous souhaiter à toutes et tous, ainsi que pour vos proches, une année chaleureuse, douce et pétillante, dans la bonne humeur autant que possible et surtout, surtout, avec la santé.

Les origines de ce premier article de l’année remontent à la mi-octobre. Le 16 octobre, j’étais présent parmi le public qui s’était pressé à la Fête du Livre de Saint-Étienne (Loire). Toujours des occasions exaltantes, inspirantes aussi : on découvre des créateurs, des gens qui ont plaisir à faire découvrir leur univers, ou à partager le fruit de leurs recherches. J’ai échangé avec quelques auteurs, dont Hélène de Lauzun, avec laquelle une interview a été réalisée et publiée ici (en novembre, sur l’histoire de l’Autriche). À ses côtés se trouvait un de nos historiens les plus respectés et récompensés, M. Emmanuel de Waresquiel, spécialiste notamment de la Restauration, et de la Révolution. Avant d’oser l’aborder, j’ai pris cette photo sympathique :

Emmanuel de Waresquiel

Plusieurs de ses ouvrages étaient en présentation, dont son récent Sept jours: 17-23 juin 1789, la France entre en révolution (Tallandier, 2020). Je l’ai salué et lui ai parlé un peu de ma démarche. Il m’a répondu avec bienveillance et m’a fait part de son intérêt pour une interview. Mon choix s’est porté non pas sur louvrage cité plus haut, pas davantage sur celui consacré au procès de Marie-Antoinette (deux sujets pourtant passionnants), mais sur sa bio monumentale d’un des personnages les plus fascinants de notre histoire : le grand diplomate à la réputation sulfureuse Talleyrand, qui fut actif au premier plan du règne de Louis XVI jusqu’à celui de Louis-Philippe.

Quelques semaines plus tard, après une lecture captivée et attentive de Talleyrand, le prince immobile (Tallandier), j’ai recontacté l’auteur pour lui proposer des questions. L’interview a été finalisée lors du passage au nouvel an. Je remercie M. de Waresquiel, pour ses réponses très précises, et je ne peux que vous inciter, amis lecteurs, à vous saisir avec ce livre passionnant, d’une vie des plus romanesques, et d’une pensée qui garde aujourd’hui sa pertinenceExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Emmanuel de Waresquiel: « La tige

de la "girouette" Talleyrand

est toujours restée droite »

 

Talleyrand E

Talleyrand, le prince immobile (Tallandier)

 

Emmanuel de Waresquiel, bonjour et merci d’avoir accepté de m’accorder cette interview. Peut-on dire de Talleyrand qu’il a été volage ou plutôt opportuniste quant aux serments prêtés et aux régimes soutenus, et en même temps, constamment fidèle à de grandes idées (au dedans : une liberté tempérée et des cadres sociaux conservés, une forme de représentation du peuple tout en respectant le principe de légitimité ; au-dehors, une certaine conception de l’équilibre entre puissances) ?

l’État comme colonne vertébrale

Il faut distinguer avec Talleyrand, les apparences et le style, de l’intelligence et des idées sinon de ses idéaux. Tout le monde connaît sa boutade  : «  Je porte malheur aux gouvernements qui me négligent.  » Et on a longtemps fait de lui la figure du traitre idéal  : au roi Louis XVI, à l’Église, à la république, à Napoléon, à la Restauration en 1830. En réalité, et pour reprendre l’image d’Edgar Faure, avec lui ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. La tige de la girouette est restée droite. Dès 1789 et jusqu’à la fin de sa vie, celui qui n’est encore qu’évêque d’Autun s’en tient à des principes qu’on pourrait résumer par la phrase suivante  :  un État n’est fort que lorsqu’il est capable de tenir compte du temps et des évolutions de l’opinion dans l’organisation de ses pouvoirs  ; un État n’est grand que lorsqu’il sait ne pas humilier son adversaire dans une négociation alors même qu’il est en position de force. Autrement dit, un gouvernement modéré et aussi libéral que possible, ouvert au principe d’une représentation nationale et qui pratique une diplomatie fondée sur les usages, le droit et le respect des équilibres européens. Le mot est lâché. L’État, sa grandeur, sa continuité, sont bien, aux yeux de l’homme aux treize serments, la seule chose qui résiste derrière les mots et les principes.

 

Comment décrire ses rapports avec Bonaparte, et surtout Napoléon ? Y avait-il là, un rapport complexe d’admiration et de crainte mutuelles ? Et est-ce qu’au final, ce n’est pas la Ruse qui l’a emporté sur la Force ?

des miroirs et des clous

Dès leur première rencontre en décembre 1797, les deux hommes se sont séduits. On se souvient de ce que Talleyrand dit de Bonaparte dans ses mémoires, alors que ce dernier chaussait encore ses «  bottes d’Italie  »  : «  Une figure charmante. Vingt batailles gagnées vont si bien à la jeunesse, à un beau regard, à de la pâleur et à une sorte d’épuisement.  » En réalité les deux hommes correspondaient déjà depuis plusieurs mois et étaient d’accord sur l’essentiel. En finir avec l’instabilité du Directoire, réorganiser le gouvernement autour d’un exécutif fort et rétablir la paix. De son côté Bonaparte qui n’était pas sans vanité est fasciné par le rejeton de la grande aristocratie de cour qu’est Talleyrand, par son style, ses manières et la réputation de très habile diplomate qui le précède déjà.

Pour le reste, ces deux grands séducteurs sont aussi deux grands prédateurs de la politique. Dès la fin du Consulat leurs intérêts et leurs visions divergent. Napoléon construit son système de domination de l’Europe à coup de royaumes de famille et de guerres sans cesse recommencées et Talleyrand finit par perdre toute influence sur lui. Il le dit d’ailleurs quelque part à l’un de ses amis. L’homme avec qui il est le plus difficile de négocier, c’est Napoléon lui-même. Et en 1812  : «  Que voulez-vous faire d’un homme qui pour toute conversation n’a que la conversation de M. Maret ?  » Maret, duc de Bassano était l’âme damnée de l’empereur, son homme lige et son très féal serviteur. C’était dire en substance à quel point le pouvoir l’avait enfermé dans la solitude. Dès lors leurs rapports politiques vont être à l’image de l’expression heureusement trouvée par l’essayiste italien Roberto Calasso  : «  des rapports hérissés de miroirs et de clous.  »

 

Bonaparte avec Talleyrand

 

J’aimerais ici votre sentiment personnel sur un point qui m’a beaucoup intéressé : si Napoléon triomphant avait écouté Talleyrand qui portait le projet d’une alliance généreuse et sincère avec l’Autriche (avec une Vénétie rendue à son indépendance), doublée d’une entente avec Londres, l’Empire aurait-il pu vivre ? N’a-t-il pas lui même sous-estimé les velléités dominatrices de l’Angleterre ?

l’Angleterre et la Méditerranée

L’Angleterre a été le principal adversaire de Talleyrand. Il est loin de l’avoir sous-estimée au point d’avoir cherché toute sa vie, comme ministre et hors du ministère, à battre en brèche l’écrasante prépondérance commerciale de l’Angleterre sur les mers. Il voit dans l’Acte de navigation de 1651, grâce auquel Londres s’est donné les moyens de dominer les océans, l’une des causes du déséquilibre européen qu’il situe donc bien avant le début de la Révolution française. Le rapprochement, voire l’alliance des deux pays, «  la tige de la balance du monde  », comme il le dira plus tard à Lamartine, n’est envisageable à ses yeux qu’à la condition d’un rééquilibrage de leurs puissances commerciales respectives. Son intérêt croissant pour le commerce des Indes, sa conviction née des évènements révolutionnaires (l’abolition de l’esclavage), confortée à l’occasion de son voyage en Amérique en 1794, que l’avenir commercial de son pays n’est plus dans les Caraïbes, mais en Méditerranée et en Amérique du Sud, en concurrence frontale avec l’Angleterre, en font un adversaire redoutable de cette oligarchie politique et commerciale anglaise qu’il a toujours jugée sans complaisance pour l’avoir bien connue. À la fin de sa vie, il parlera encore des «  quinze cent milles égoïstes  » qui habitent Londres.

Je vais prendre le seul exemple de la Méditerranée pour illustrer mon propos. Avant même d’entrer aux Affaires, Talleyrand pose, dans un remarquable discours prononcé à l’Institut le 3 juillet 1797, les bases de la future politique méditerranéenne de la France : créer en Egypte, sur les côtes de l’Afrique, des établissements «  plus naturels, plus durables et plus utiles  » que ceux de Saint-Domingue et des iles sucrières des Caraïbes. L’expédition d’Egypte qui à ses yeux présentait aussi l’avantage d’ouvrir la route des Indes au commerce français, a été trop profondément modifiée par Bonaparte dans ses principes et ses modalités pour que l’on puisse y voir une première étape de cette politique. La patte du ministre est par contre plus visible dans le traité de paix négocié le 25 juin 1802 avec la Porte (l’Empire ottoman, ndlr) qui accorde de nombreux avantages commerciaux à la République et lui ouvre la mer Noire, à la grande fureur des gouvernements anglais et russe. La prise d’Alger en juillet 1830 est une conséquence directe de cette politique. Talleyrand officiellement chargé de régler à Londres la question de l’insurrection des Belges saura conserver cette première conquête à la France, en dépit de l’hostilité anglaise. Les instructions qu’il rédige avec Louis-Philippe à l’occasion de cette dernière grande mission diplomatique, résument à elles seules, toute sa politique méditerranéenne  : «  La France a un intérêt pressent à diminuer la prépondérance de l’Angleterre dans une mer qui est la sienne et dont l’Angleterre n’est même pas riveraine. Elle doit chercher toutes les occasions de rendre l’occupation de Malte et des îles Ioniennes inoffensive. L’entreprise d’Alger doit avoir les conséquences les plus avantageuses pour notre avenir maritime…  »

 

Je rebondis sur vos propos et me fais l’avocat du Diable, fût-il boiteux : Talleyrand a cette image de traitre corrompu qui lui colle à la peau, mais peut-on dire, tout bien considéré, qu’in fine il a toujours agi dans ce qu’il croyait être l’intérêt de la France, y compris quand cela supposait de saper les chances d’un empire devenu trop gros ? Est-ce qu’objectivement, et considérant notamment son rôle lors du Congrès de Vienne, on peut dire que la France lui doit quelque chose pour la place qu’elle a tenue dans l’Europe du XIXème siècle ?

pour un "droit public" européen

Talleyrand a surtout été celui qui a tenté d’empêcher les grandes catastrophes. Il n’a pas véritablement créé une situation nouvelle à la France. C’est la Révolution qui s’en est chargée. L’esprit de conquête de 1792 n’était pas du tout dans ses intentions. Il l’écrit même à Danton, depuis Londres, en novembre 1792. La France, lui suggère-t-il, doit d’abord songer à perfectionner son propre système politique, administratif et financier avant de vouloir l’imposer à ses voisins. À ses yeux, les notions de «  primatie  », de «  rang  », de «  supériorité dans l’ordre des puissances  » sont à ranger au catalogue des vieilleries diplomatiques. La paix est à ce prix. Dans ce contexte, les velléités guerrières de la République s’inscrivent ni plus ni moins dans le sillage d’un processus de dérèglement des équilibres européens qui remonte à la période qui suit la paix de Westphalie et tend à imposer par la conquête, le droit du plus fort en lieu et place de l’ancien droit public européen.

Ce «  droit public  » que Talleyrand défendra toute sa vie et surtout au congrès de Vienne n’est pas immuable. Il évolue au gré des traités de paix et d’alliance entre les puissances, en fonction aussi de l’état de leur commerce et de leur industrie. Il n’a pas non plus grand-chose à voir avec notre moderne droit international, mais relève «  d’un ensemble de principes, de maximes et de lois  » sur lesquelles tout le monde s’accorde. Dans son esprit, l’incorporation de la Belgique qui se prépare déjà en 1792 n’est idéologique qu’en apparence. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une abstraction qui masque en réalité un processus de conquête des plus classiques, sur le modèle des envahissements russes, prussiens et autrichiens des années 1770-1780  : l’annexion de la Crimée, les guerres «  danubiennes  », les partages de la Pologne, etc. Pour lui, malgré Danton, Barras et surtout Bonaparte, la France doit d’abord songer à stabiliser ses institutions avant de vouloir s’agrandir et « rejeter sans détour tous ces projets de réunion, d’incorporation étrangère qui pourraient être proposés par un zèle de reconnaissance ou d’attachement plus ardent qu’éclairé …  » Il s’inscrit ici clairement dans la continuité des grands ministres d’Ancien régime qu’ont été Fleury sous Louis XV ou Vergennes sous Louis XVI.

 

Il y a quelques passages savoureux dans lesquels vous rétablissez quelques vérités quand aux rapports entre notre anti-héros et Chateaubriand, qui n’a pas toujours été mordant envers Talleyrand. Deux grands intellectuels, deux hommes d’action. À votre avis, lequel des deux a vu juste en son temps, lequel a le mieux anticipé l’avenir ?

moi et Chateaubriand

On connait le mot cruel de Talleyrand sur l’auteur des Mémoires d’Outre-tombe à la fin de sa vie  : «  Si Monsieur de Chateaubriand se croit sourd, c’est qu’il n’entend plus parler de lui.  » À la différence de ce dernier, c’est un pragmatique qui ne croit pas aux sentiments, ni aux causes morales en politique. Les principes valent dans l’exacte mesure de leur efficacité, à un moment donné d’une négociation. C’est pour cette raison qu’il l’écarte du gouvernement en juillet 1815, peu après Waterloo et le second retour de Louis XVIII sur le trône, puis qu’il s’oppose à l’intervention française en Espagne en 1823 initiée et conduite par Chateaubriand alors ministre des Affaires étrangères. Il savait que cette intervention ne pouvait que conduire au rétablissement absolutiste de Ferdinand VII et à la destruction des garanties constitutionnelles imposées par les Cortès en 1812. Talleyrand est un légitimiste de la raison, certainement pas un légitimiste du cœur, des rêves et des sentiments. C’est au nom des Lumières, de la paix européenne et de la raison qu’il contribue à faire monter Louis XVIII, le frère de Louis XVI sur le trône en avril 1814.

 

Chateaubriand

Chateaubriand.

 

Comment expliquer que Talleyrand ne soit pas devenu Richelieu ? Est-ce à mettre, plutôt sur le compte des personnalités des hommes qu’il a servis, des circonstances chaotiques de son temps et non de ses qualités propres ?

de la trempe d’un Richelieu ?

Il est de la trempe du cardinal de Richelieu et il avait certainement autant «  d’avenir dans l’esprit  » que ce dernier, pour reprendre une expression de Bonaparte à son sujet. Les deux hommes se ressemblent par bien des aspects  : opiniâtreté, cynisme des moyens, sens de la continuité et de la grandeur de l’État. Seulement le contexte n’est évidemment pas le même. Richelieu intervient en pleine construction de l’État monarchique d’Ancien régime, face au «  pré-carré  » Habsbourg. Talleyrand œuvre à la restauration d’un État que la Révolution renforce et fragilise tout à la fois. Ce nouvel État fondé sur les principes égalitaires de la Révolution fait peur à l’Europe des rois. Tout son mérite, après sept coalitions anti-françaises et deux défaites cuisantes (en 1814 et en 1815) est d’être parvenu à force de patience à rétablir la France dans ce qu’on appelait «  le concert européen  ». À Vienne d’abord, en 1815, à Londres ensuite, en 1830, en travaillant à la paix et à l’indépendance de la Belgique.

 

Talleyrand passait pour un homme en tout imperturbable. Il ne semble pas avoir été ébranlé par ce que pouvaient signifier ses va-et-vient en matière de serments religieux, pas davantage par la vue des corps sans vie des champs de bataille, ou par son rôle dans le meurtre du duc d’Enghien. Sa grande angoisse n’a-t-elle pas été, finalement, l’élévation de sa race ?

la gloire des Talleyrand-Périgord

… sa grande angoisse et peut-être sa seule illusion, lui qui en avait si peu. Il a cru établir, par-dessus la Révolution, son nom et sa Maison sur des bases solides, par son prestige et par la fortune qu’il est parvenu à faire à la faveur de ses négociations et de ce qu’on appelait pudiquement à l’époque «  les douceurs diplomatiques  ». La suite a prouvé que ce rêve-là n’était qu’un château de sable. Son neveu et successeur Louis (le fils d’Edmond de Talleyrand et de la duchesse de Dino dont il a fait le mariage en 1809) n’a jamais eu l’envergure de son oncle. Et génération après génération, il ne reste presque plus rien de la fortune considérable qu’il avait su construire  : son hôtel parisien de la rue Saint-Florentin, le château de Valençay, les 12 000 hectares de terres et de bois alentours. Tout cela est sorti de la famille. Des Talleyrand au fond, il ne reste que lui.


 
Quand je considère Talleyrand, il me fait penser à trois personnalités, une qui lui fut contemporaine (évidemment Metternich), et deux plus proches de nous : Jean Monnet et Henry Kissinger. Il y a du vrai dans ces rapprochements ?

de Metternich à Kissinger

Il n’avait pas la vanité de Metternich qui bien qu’habile diplomate se prenait pour le «  rocher de l’Europe  ». Et en cela, il lui est supérieur. Talleyrand est l’homme de la virgule placée au bon endroit dans un traité de paix, pas celui des grandes ambitions. L’Europe des États - plus que celle des nations- qu’il a cherché à construire n’a pas grand chose à voir avec celle de Jean Monnet dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Quant à Kissinger, bien des choses les rapprochent en dépit des différences de contexte. Un croyance commune en l’équilibre des forces - à l’échelle de l’Europe pour Talleyrand, du monde pour Kissinger, une préférence pour les relations bilatérales et la prise en compte dans une négociation de l’interdépendance des États à tous les niveaux  : économique, commercial, financier, politique et militaire. Talleyrand est même l’un des tous premiers à l’avoir théorisé. Et pour l’anecdote, si ce dernier a été l’un des principaux acteurs du congrès de Vienne, Kissinger en a été l’historien et l’admirateur. Il en a même fait son sujet de thèse (Les chemins de la paix, publié en 1973).

 

Henry Kissinger

Henry Kissinger.

 

Si, hypothèse farfelue mais que j’aime bien, vous pouviez voyager à un moment de cette histoire (qui va de Mirabeau jusqu’à M. Thiers), et fort de vos connaissances de 2021, transmettre un conseil, un avertissement à Talleyrand, ou simplement lui poser une question, que choisiriez-vous ?

Racontez-moi votre vie M. de Talleyrand car j’ai eu beau passer près de vingt ans avec vous, j’ai le sentiment de mal vous connaitre. De ce point de vue, le mot que lui prête la comtesse de Kielmannsegge prend tout son sens  : «  Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter de ce que j’ai été, de ce que j’ai pensé, de ce que j’ai voulu.  »

 

Quels sentiments Talleyrand, ce Charles-Maurice que vous nous avez si bien conté vous inspire-t-il finalement ?

Salut l’artiste  ! Une certaine admiration et au bout du compte de l’empathie même si avec un charmeur de son espèce on doit se garder de se laisser donner le baiser du diable  !

 

E

 

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9 novembre 2021

Hélène de Lauzun : « Pour bien des Autrichiens, le traumatisme de 1918 n'a jamais été surmonté »

Quand on ne connaît que de loin l’histoire de l’Europe, on perçoit l’Autriche avant tout comme un petit pays prospère et pittoresque d’Europe centrale : on pense à des paysages comme le Tyrol, à des folklores, aux fameuses valses de Vienne. En fait, l’Autriche fut, du quinzième siècle jusqu’à 1918, une puissance majeure, centrale en Europe : elle a incarné pendant des siècles l’Allemagne, empire alors décousu mais dominé par les Habsbourg catholiques, avant d’en être chassés par une puissance plus cohérente, plus entreprenante aussi, la Prusse protestante qui allait elle, fonder un État allemand fort, au détriment d’une bonne partie de l’Europe. Une histoire partagée où se mêlent le romanesque et le tragique.

J’ai la joie de vous proposer aujourd’hui cette interview avec Hélène de Lauzun, historienne et auteure d’une passionnante Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021), que je vous recommande. Je la remercie pour sa bienveillance face à ma démarche, et espère que cet article vous donnera envie d’approfondir ces questions. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Hélène de Lauzun: « Pour bien

des Autrichiens, le traumatisme de 1918

n’a jamais été complètement surmonté »

Histoire de l'Autriche

Histoire de l’Autriche, par Hélène de Lauzun (Perrin, mars 2021)

 

Quelle est votre histoire personnelle avec l’Autriche, et pourquoi en avoir fait votre spécialité d’étude?

ich liebe dich Österreich!

Mes lecteurs me demandent souvent si j’ai un lien familial avec l’Autriche, des ancêtres autrichiens… Absolument pas  ! En revanche, j’ai eu la chance immense de pouvoir découvrir l’Autriche pour la première fois quand j’avais quatre ans, grâce à mes parents, avec qui j’ai sillonné toute l’Europe durant mon enfance. J’y suis retournée ensuite un certain nombre de fois, pour l’Autriche elle-même ou au détour de voyages en Suisse, en Pologne, ou encore en Allemagne. Ces voyages m’ont donné l’amour de cette extraordinaire civilisation de l’Europe centrale, dont l’Autriche est le pivot  : un savant mélange d’influences latines, slaves et germaniques, une immense richesse culturelle. Tout cela n’était malheureusement qu’effleuré pendant les cours d’allemand, qui s’évertuaient à nous assommer à coups de problématiques sur la pollution et l’activisme néo-nazi... Heureusement, j’ai eu aussi pendant deux ans un professeur d’allemand qui était d’origine tchèque  et jouait du violon  ! Cette dame adorable était une fenêtre ouverte sur cet univers qui me fascinait. Étant passionnée de musique et de danse, je rencontrai également en permanence l’Autriche sur mon chemin. J’ai passé ainsi un mois magique à Baden-bei-Wien, juste après le Bac, à goûter les délices de l’opérette et des Heuriger (bars à vins). J’en garde un souvenir extraordinaire. À la Sorbonne, deux cours sur les quatre que je suivais en licence étaient consacrés à l’Autriche et à l’espace danubien. J’ai hésité à un moment à me consacrer à mon autre passion, la Russie, à laquelle j’ai consacré mon mémoire de maîtrise, avant de revenir à mes premières amours pour la thèse.

 

Qu’y avait-il de rationnel, et au contraire d’irrationnel dans la vieille rivalité multiséculaire entre l’Autriche et la France?

Autriche/France : je t’aime, moi non plus

Cette rivalité multiséculaire n’a rien d’irrationnel, elle s’explique très facilement  ! La France et l’Autriche ont tenté pendant des siècles, si l’on peut dire, d’occuper «  le même créneau  »  : celui d’une monarchie catholique puissante à vocation universelle. La lutte pour l’héritage bourguignon, le combat de François Ier contre Charles Quint se poursuivent ensuite dans la rivalité qui oppose Louis XIV à Léopold Ier. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 vient répondre à la victoire de la monarchie habsbourgeois contre les Turcs en 1683. L’Italie, puis l’Espagne sont les terrains où les deux dynasties se croisent, s’unissent, mais aussi se disputent en permanence.

En revanche, on peut peut-être parler d’irrationnel dans le monde post-révolutionnaire, alors que la rivalité entre la Maison de France et la Maison d’Autriche n’a plus lieu d’être. Il y a des blocages, des atavismes, des aveuglements idéologiques. La France ne comprend pas la carte qu’elle a à jouer à entretenir de bonnes relations avec l’Autriche, contre l’émergence d’une Prusse qui ne veut faire de cadeaux ni à l’une, ni à l’autre. C’est vrai à l’époque de Napoléon III, sous la IIIe République avant 1914, mais aussi dans l’entre-deux guerres dans les relations que la France entretient avec la fragile Première République autrichienne. Le manque de lucidité de notre pays est malheureusement lourd de conséquences pour la France comme pour l’Europe.

 

J’allais y venir : auraient-elles à votre avis été des alliées naturelles, notamment à partir du dernier tiers du XIXème siècle, face à l’émergence de la nouvelle Allemagne dominée par la Prusse? Voyez-vous dans ce non-rapprochement, une erreur historique?

face à Berlin, une erreur historique ?

J’ai répondu en partie avec la question précédente : à mon sens, oui, il s’agit bien d’une authentique erreur historique. L’incompréhension qui domine en France devant l’épisode de Sadowa, marquant la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, est gravissime. La naïveté de Napoléon III devant le processus bismarckien d’unification de l’Allemagne est assez confondante. De fait, la France paie douloureusement au moment de la guerre de 1870 son incapacité à avoir renoué des liens solides avec l’Autriche. Les occasions manquées ont été légion.

 

À partir de quel point de la Première Guerre Mondiale, l’effondrement du vieil attelage habsbourgeois a-t-il été inéluctable?

Finis Austriae

Cette question n’est toujours pas tranchée et il est difficile d’y répondre en quelques lignes. Selon moi, il n’était pas écrit dans les astres que la monarchie habsbourgeoise devait s’effondrer. Son modèle multinational était peut-être trop en avance sur son temps… Ce qui est certain c’est que la guerre a constitué un formidable accélérateur des tensions déjà bien présentes avant le conflit. L’empereur Charles l’a bien compris, et c’est pour cette raison qu’il entame ses pourparlers de paix au printemps 1917. A partir du moment où ceux-ci échouent, le cours des événements devient très difficile à inverser. Je dirais que l’affaire Czernin* au printemps 1918 constitue définitivement un point de non-retour  : à cette occasion, Charles apparaît aux yeux de l’Europe, aux yeux des Allemands, aux yeux des Alliés, comme un homme faible sur lequel on ne peut plus miser. Le fameux adage de Tocqueville, à savoir que «  le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer  », se prête par la suite particulièrement bien à la situation de la double monarchie. Les réformes que choisit de mener l’empereur Charles sont positives en soi, mais elles viennent au pire moment et accélèrent de ce fait la chute.

* L’affaire Czernin est la révélation au printemps 1918 aux yeux du grand public, à la faveur d’une escalade de provocations diplomatiques entre le ministre des Affaires étrangères autrichien, Czernin, et Clemenceau, des négociations secrètes effectuées par l’empereur Charles pour faire la paix avec la France.

 

Quelle responsabilité imputer à la passivité des Français, et surtout des Britanniques, quant au choix mussolinien de s’allier à Hitler, et aux sorts qu’allaient subir, de leur déstabilisation à leur anéantissement, l’Autriche et la Tchécoslovaquie?

avant l’Anschluss, occasions manquées

La passivité des Français et des Britanniques s’explique sans trop de difficultés. Quant à savoir si elle se pardonne, c’est un autre débat  !

Les Français et les Britanniques dans l’entre-deux guerres sont empêtrés dans le mythe de la sécurité collective, la solution qu’ils ont échafaudée pour ne revivre à aucun prix le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Tétanisées par ce souvenir, les classes politiques de ces deux pays, dans leur immense majorité, n’arrivent pas à faire preuve d’adaptation et de réalisme politique à l’égard des nouveaux défis des temps. Quand la France et le Royaume-Uni choisissent d’appliquer une politique de sanctions à l’égard de l’Italie dans l’affaire éthiopienne, ils se drapent dans une dignité diplomatique séduisante sur le papier, mais ne mesurent absolument pas les effets pervers d’une telle décision  : rejeté par les puissances démocratiques, Mussolini n’a dès lors pas d’autre choix géopolitique que de se rapprocher d’Hitler. Pourtant, l’épisode du coup d’État manqué contre l’Autriche et l’assassinat de Dollfuss, le chancelier autrichien, à l’été 1934, aurait dû les alerter  : à l’époque, l’indépendance de l’Autriche avait tenu grâce à l’envoi de troupes italiennes à la frontière, comme un signal adressé par Mussolini à Hitler sur les limites à ne pas franchir.

 

Les Autrichiens ont-ils toujours du mal à regarder en face cette histoire du Troisième Reich, auquel ils ont été incorporés de force, mais dont ils ont été partie intégrante? Les faits sont-ils bien établis, les disputes apaisées de nos jours?

les fantômes du nazisme

Les années ont beau passer, les blessures sont toujours là. Au sujet de sa responsabilité dans les crimes du IIIe Reich, l’Autriche avance en eaux troubles. Elle est le premier pays à avoir perdu son indépendance devant l’expansionnisme hitlérien… mais nombre d’Autrichiens ont activement collaboré au régime. Hitler lui-même était Autrichien de naissance… mais avait renié sa patrie d’origine de toutes ses forces, jusqu’à devenir apatride. Malgré des épisodes de repentance, le dilemme sur la responsabilité de l’Autriche reste entier et est inévitable. Le rapport des Autrichiens à leur histoire reste complexe. Un ami autrichien m’expliquait récemment que la période de l’entre-deux guerres, la Première République, restait par exemple encore très mal étudiée et peu connue. Ceci dit, quand je parle histoire avec des Autrichiens, il ressort souvent que le principal traumatisme reste 1918 et la fin de l’Empire, plus que la Seconde Guerre mondiale. Ce traumatisme initial, à bien des égards, n’a jamais été complètement surmonté.

 

Que reste-t-il aujourd’hui du passé impérial au sein de l’ex-ensemble Habsbourg? Les Autrichiens, les Hongrois et les Tchèques ont-ils encore le sentiment diffus de partager un héritage commun?

un héritage commun pour l’ex espace impérial?

Quand vous sillonnez les pays de l’ancienne monarchie, vous ne pouvez être que saisis par l’extraordinaire cohérence d’ensemble qui s’en dégage, malgré des particularismes très puissants. Sur le plan patrimonial, c’est manifeste  : l’Europe centrale unifiée par le baroque est une réalité. Les histoires sont totalement imbriquées, et l’empire affleure à chaque pas. Cette histoire commune n’empêche pas que les pays issus de l’ensemble habsbourgeois soient individuellement très jaloux de leur identité propre et de leurs spécificités, qu’ils entendent défendre bec et ongles… comme on peut le constater au vu des derniers débats qui agitent l’Union européenne.

Il est difficile de parler d’une nostalgie de l’empire, unanimement partagée, sur le plan politique. Mais le sentiment confus d’un âge d’or perdu, ou encore une nostalgie habsbourgeoise, oui. Prenez par exemple la Hongrie  : elle sait très bien employer les membres de la famille Habsbourg dans son corps diplomatique  ! Dans une certaine mesure, le groupe de Visegrad** peut être également compris comme un avatar de l’ancienne réalité impériale.

** Le groupe de Visegrad est un rassemblement intergouvernemental de quatre États de l’est de l’Europe  : la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie. Il se caractérise par ses orientations conservatrices, notamment sur la question de la régulation des flux migratoires en Europe, point sur lequel il s’oppose aux orientations de Bruxelles. Tous les quatre ont appartenu d’une manière ou d’une autre (partiellement pour la Pologne) à la monarchie habsbourgeoise.

 

Vos projets et envies pour la suite?

Ils sont nombreux, je ne vais pas m’arrêter là  ! Plusieurs choses sont à envisager  : approfondir tout le versant culturel, autour de l’univers de la valse, que je connais bien pour la pratiquer et l’enseigner. Pourquoi pas organiser aussi, autour de la valse et de l’histoire, un voyage à Vienne  ? L’ouverture d’un train de nuit Paris-Salzbourg-Vienne cette année offre une excellente opportunité  ! J’aimerais aussi me lancer dans la biographie. L’Autriche regorge de personnalités passionnantes encore peu explorées, et le genre de la biographie est pour moi fondamental en histoire. Il pose la question de la liberté, des choix et des responsabilités individuelles, et a eu trop tendance à être négligé au profit de l’histoire du temps long.

 

Hélène de Lauzun

 

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20 septembre 2021

« La chute de l'Empire romain d'Occident », par Eric Teyssier

Un mois et demi après la mise en ligne de linterview réalisée avec l’historien Éric Teyssier autour de la parution de son roman La Prophétie des aigles, je suis ravi de vous proposer ce nouvel article en sa compagnie, conçu autour d’un concept que peut-être, je développerai ici : une question, une réponse. Pour ce premier opus, une question majeure, peut-être la plus importante de toute l’histoire occidentale : pourquoi l’Empire romain s’est-il effondré ? Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Ruines antiques

Ruines antiques, Jean Nicolas Servandoni.

Photo prise le 18 septembre 2021, au Musée des Beaux-Arts de Lyon.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Qu’est-ce qui a favorisé la mort lente de l’Empire romain d’Occident,

et cette question-là est-elle porteuse d’un écho actuel ? »

la chute de l’Empire romain d’Occident

C’est un vaste débat qui agite les historiens et les philosophes depuis des siècles avec à chaque fois des réponses différentes. Comme toujours en Histoire, les causes sont multiples et complexes. Je dirais qu’il y a d’abord le choc épidémique causé par la peste (en fait la variole) qui ravage l’Empire sous le règne du « bon » empereur Marc Aurèle et du « mauvais » Commode. Cette épidémie sans précédent entraîne un déclin démographique dont l’Empire ne se remettra jamais. Ce manque de bras et sans doute de consommateurs entraîne un déclin économique. Le manque d’hommes et d’argent contribue ensuite à la difficulté qu’ont les légions à repousser les barbares. Ces invasions du IIIe siècle sont aggravées par une guerre civile presque constante avec 25 empereurs officiels en 50 ans, plus une kyrielle d’usurpateurs.

Au IVe siècle, on assiste à un rétablissement mais l’Empire a changé de nature. On n’est pas encore vraiment dans le Moyen-Âge mais plus tout à fait dans l’Antiquité. Il y a certes la montée en puissance du christianisme mais les autres religions sont encore bien présentes. Surtout, la nature du pouvoir change en devenant de plus en plus autocratique sans chercher à maintenir cette fiction de la République qui caractérise le Haut-Empire. La société se fige, l’ascenseur social est en panne. Les esclaves devenus plus rares sont plus rarement affranchis, les paysans libres deviennent des sortes de serfs qui se révoltent souvent. Les cités se rétractent car les riches (toujours très riches) ne pratiquent plus l’évergésie et préfèrent vivre dans leurs luxueuses villas à la campagne qui deviendront souvent nos villages.

Au Ve siècle tout est consommé en Occident. Le christianisme a beaucoup glosé sur les persécutions (toujours ponctuelles) perpétrées par les empereurs « païens ». En 395 il devient persécuteur à son tour en faisant de cette religion de paix et d’amour prêchée par le Christ, la seule et unique religion sous peine de mort. Les temples sont fermés, les statues fracassées, les livres brûlés, une part essentielle de la culture antique est détruite à jamais. C’en est fini pour des siècles de la tolérance religieuse propre au polythéisme. À cette époque, l’empereur chrétien devient aussi un fantoche qui doit accepter l’installation de peuples barbares (Francs, Burgondes, Wisigoths, Vandales etc…) dans des portions de ce qui était l’Empire romain d’Occident. Il est à noter que l’historiographie moderne ne parle plus de « Grandes invasions » ni de « barbares », notions par trop stigmatisantes, mais de « Grandes migrations ».

Pour ce qui est de l’écho actuel c’est toujours difficile à dire. Comparaison n’est pas raison. L’épidémie actuelle n’a rien de commun avec celle du IIe siècle car le taux de létalité était alors sans commune mesure avec celui du Covid. La crise actuelle montre surtout notre propre incapacité à accepter la mort comme une donnée de la vie. Elle marque par là un véritable affaiblissement de nos sociétés « évoluées ». Pour le reste, nous revivons peut-être le film de la chute de l’Empire romain en accéléré… ou pas… car l’Histoire adore les tours de passe-passe et ne ressert jamais deux fois des plats identiques. De toutes façons, elle seule le dira…

par Éric Teyssier, le 10 août 2021

 

E

La Prophétie des aigles, son roman paru en juillet (Alcide éditions). À recommander !

 

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2 septembre 2021

Jean-Marc Le Page : « Jusqu'à présent, la Bombe a toujours responsabilisé ceux qui l'ont possédée »

Un mois et demi après l’interview réalisé avec les trois coauteurs de La Bombe, Alcante, Bollée et Rodier, on reste dans le thème et dans le ton. Jean-Marc Le Page, professeur agrégé et docteur en histoire, a signé cette année La Bombe atomique, de Hiroshima à Trump (Passés/Composés). Cet ouvrage fort intéressant revient, depuis août 1945 et les bombardements américains sur le Japon, sur ces moments parfois méconnus de la Guerre froide et de l’histoire plus immédiate au cours desquels la question d’une utilisation de l’arme nucléaire a été posée plus ou moins sérieusement. Soixante-dix ans de relations internationales sont ici relatés, sous un prisme différent mais éclairant (on comprend mieux, notamment, certains renversements d’alliance, et des rapprochements ou éloignements entre États). Je remercie M. Le Page pour ses réponses et vous invite, si le sujet vous intéresse, à vous emparer de son livre ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Marc Le Page: « Jusquà présent, la Bombe

a toujours responsabilisé ceux qui l’ont possédée. »

La Bombe atomique

La Bombe atomique, de Hiroshima à Trump (Passés/Composés, 2021).

 

Jean-Marc Le Page, bonjour. Pourquoi ce livre sur La Bombe atomique (Passés/Composés, 2021) ? Quel aura été, durant votre vie jusqu’ici, votre rapport à cette menace diffuse du nucléaire militaire ?

l’atome et vous

Bonjour. Ce livre est le fruit des mes années d’enseignement en classe de terminale. En particulier les cours sur l’histoire des relations internationales. La question nucléaire arrivait régulièrement, sans être au cœur du programme, mais elle était tout de même en filigrane. J’abordais donc régulièrement ces crises, mais sans véritablement creuser la question, me contentant de la «  vulgate  » des manuels ou de mes lectures éparses. Puis, progressivement je me suis rendu compte que la vision que nous pouvions avoir de ces différents moments n’était pas toujours certaine, bien définie, qu’il y avait de nombreuses interprétations, différents récits, parfois opposés, le plus souvent en liaison avec les opinions personnelles des auteurs. J’ai remarqué également qu’il n’y avait pas d’ouvrages de synthèse sur cette question. Quelques articles, des papiers de chercheurs que l’on peut trouver sur internet. Certaines de ces crises pouvaient connaître des développements plus ou moins long, mais sans qu’elles ne soient vraiment développées. C’est pourquoi je me suis attaché à écrire le livre que j’aurais souhaité lire sur cette question.

Mon rapport à la chose nucléaire est très diffus. Par mes enseignements, mes domaines de spécialisation, mes lectures, je m’y suis souvent confronté, mais sans véritablement approfondir. Par contre, depuis quelques mois ce rapport devient de plus en plus concret  : dans le cadre d’une session régionale de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, ndlr), j’ai eu la chance de pouvoir visiter l’île Longue et l’un des SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engins, ndlr) de la base. De plus, mon lycée – le lycée Kerraoul de Paimpol – à ouvert une classe Défense et Sécurité globale et nous nous sommes rapprochés de l’école de navigation des sous-mariniers de Brest, qui forme en particulier les équipages des SNLE.

 

Beaucoup d’histoires racontées, dans votre ouvrage, dont certaines tout à fait méconnues, je pense en particulier aux graves tensions soviéto-chinoises en Sibérie en 1969. Rétrospectivement, ça fait frissonner non, de se dire que, bien des fois, on est passé non pas à un, ni même à deux cheveux, mais pas loin de considérer sérieusement l’usage de la Bombe ?

à un cheveu ou deux

Au contraire. L’étude de ces différents moments de tension montre que cette utilisation n’a que très rarement été sérieusement envisagée. Dans ce cas, s’il y a frisson, il est sans doute de soulagement.

 

Dans chacune des situations de votre livre, on joue ici du bluff, là de la franche intimidation, quasiment tout le temps de la guerre des nerfs, quitte parfois à manquer perdre l’équilibre face au précipice. Cette histoire, c’est d’abord celle d’une guerre psychologique ?  Dans quels cas est-ce que vraiment, ça a failli dégénérer ?

guerre des nerfs

La dimension psychologique, politique est essentielle. L’arme est un moyen de pression diplomatique et elle prend cette forme très rapidement, dès les années 1950. Les pays «  dotés  » en ont bien compris l’intérêt comme démultiplicateur de puissance. De tous ces moments où l’arme nucléaire a été évoquée cela reste sans doute l’affaire de Cuba qui a présenté le plus grand risque de dérapage. La tension était extrêmement vive, les pressions sur Kennedy comme sur les forces soviétiques sur l’île très importantes. Le risque d’accident très fort. Les incidents sont nombreux, en particulier le jour du «  Black Saturday  », entre le U2 abattu au-dessus de l’île, l’arraisonnement musclé d’un sous-marin soviétique équipé d’une torpille à tête nucléaire, un incident de radar qui détecte, à tort, une attaque soviétique sur les États-Unis ou encore un autre U2 égaré au-dessus de l’URSS dont l’interception par les forces de défense aérienne soviétique aurait pu s’avérer dramatique… Aucune des autres crises que j’ai pu étudier ne connaît une telle intensité. Mais il ne faut pas oublier non plus, que même à Cuba, l’utilisation de l’arme nucléaire n’était pas une option.

 

« Il ne faut pas oublier que même à Cuba,

l’utilisation de l’arme nucléaire n’a jamais été une option. »

 

On comprend bien, à vous lire, qu’au départ la Bombe a pu être considérée comme une super arme conventionnelle. Est-ce que le gros changement finalement ne vient pas, et de la parité du statut nucléaire avec l’URSS, et peut-être surtout du développement de la monstrueuse bombe à hydrogène ?

super arme conventionnelle, ou arme à part ?

Les militaires américains y voient effectivement une super bombe. Elle a, à leurs yeux, l’avantage de permettre la destruction d’objectifs à moindre coût, matériel et surtout humain. Je rappelle que les campagnes de bombardement massif sur le Japon et surtout l’Allemagne se sont faites au prix de pertes terribles pour les forces stratégiques américaines et britanniques. La capacité de destruction de l’arme est bien notée et l’idée est de la décliner à tous les niveaux des forces armées américaines, depuis la bombe aérotransportée aux obus d’artillerie et même au lance-roquette du Davy Crockett Weapon System. Mais, au grand dam des officiers supérieurs américains, Harry Truman a tout de suite perçu le caractère exceptionnel de cette arme. Certes, l’URSS réalise son premier essai en 1949, mais lorsque Truman interdit à MacArthur d’utiliser des bombes en Corée nous sommes encore loin de la parité. J’aurais tendance à dire que le changement de perception pour le pouvoir politique est immédiat, dès que les premières informations sur les explosions au-dessus du Japon parviennent à Washington.

 

« Harry Truman à tout de suite perçu

le caractère exceptionnel de cette arme. »

 

D’ailleurs, quand on songe que certaines bombes H opérationnelles (je laisse la Tsar Bomba de côté) avaient et ont une puissance explosive 1000 fois plus puissantes que celle d’Hiroshima, est-ce que la menace change ici de degré, ou bien carrément de nature ?

la bombe H, nouvelle donne

La puissance de ces armes est inversement proportionnelle à leur précision. Pour être sûr de frapper sa cible avec un minimum de succès il fallait des bombes de très forte puissance. D’ailleurs, nous voyons ces armes devenir progressivement de moins en moins puissantes alors que les travaux sur les vecteurs progressent. L’objectif restait le même, dissuader l’adversaire d’attaquer et d’utiliser ses propres armes nucléaires. Comme il n’a jamais été question pour les pays dotés de frapper en premier c’est, à mon sens, le degré de la menace qui a changé durant cette période de la Guerre froide durant laquelle les armes étaient mégatonniques. La nature des objectifs connaît également une évolution pour des raisons techniques et politiques  : durant la Guerre froide, alors que les armes étaient peu précises il était envisagé de frapper les villes, les concentrations de population, l’outil industriel, les nœuds de communication… puis avec les années 1980 il s’agit davantage de frappe de décapitation, qui doivent limiter au maximum les dommages sur les populations. Les nouveaux «  outils  » à disposition permettent de davantage circonscrire les cibles.

 

« Les armes nucléaires sont progressivement devenues

moins puissantes à mesure que les travaux

sur les vecteurs progressaient. »

 

Tout l’aspect des bouleversements géostratégiques est intéressant dans votre ouvrage : Mao qui se sent trahi par le "grand frère russe" après la crise de Formose (années 50), un prélude à la rupture et au chemin autonome ; l’Europe qui perd confiance dans la protection américaine après le retrait des missiles U.S. en Turquie et en Italie après Cuba (1962), ce qui précipitera le développement de la force de frappe française, et le rapprochement De Gaulle-Adenauer, etc... C’est tout un pan des affaires internationales qu’il faudrait relire à l’aune du facteur atomique ?

la Bombe, marqueur de la Guerre froide

L’arme nucléaire est consubstantielle de la Guerre froide. Elle en est l’un des marqueurs. Il est indéniable que sa présence a un impact fort sur la période. L’ignorer serait une erreur puisqu’elle induit des positionnements. En particulier elle devient un marqueur d’indépendance nationale. Si un État souhaite montrer sa puissance, intégrer le club fermé des pays qui comptent dans le monde, échapper un minimum à la bipolarisation, il doit se doter de l’arme. C’est, entre autres, à ce titre que la Bombe est politique. Mao Zedong, le général de Gaulle l’ont bien compris.

 

Est-ce qu’à votre avis, parmi toutes ces histoires, dans l’hypothèse où il n’y aurait pas eu la Bombe, certains des conflits mentionnés auraient été moins froids, voire même carrément chauds ? Sans la Bombe, par exemple, une invasion soviétique de l’Europe de l’ouest eût-elle été un développement probable ?

sans la Bombe, le drapeau rouge à Brest ?

Par cette question nous entrons dans le monde de l’uchronie… C’est compliqué à dire, mais je ne suis pas sûr que cela aurait changé grand-chose. La guerre de Corée s’est réglée sans utilisation de la Bombe  ; Mao n’aurait pas envahi Taïwan puisqu’il n’en avait pas les moyens (pas assez de navires, pas de compétences en opérations combinées, protection américaine…)  ; l’affaire sibérienne n’aurait pas été plus loin qu’elle ne l’a été pour les mêmes raisons. En Europe occidentale rien ne montre que les Soviétiques aient eu la volonté de planter le drapeau rouge à Brest. Je crois que durant cette période nous nous sommes beaucoup fait peur et surtout par ignorance de l’autre. Les Soviétiques étaient convaincus que les États-Unis se préparaient à franchir le rideau de fer. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la crise de 1983. Nous savons que ce n’était pas le cas. L’inverse était vrai. Il n’y avait pas de plans d’invasions de l’Occident à Moscou. Est-ce que l’absence d’armement nucléaire aurait changé les choses  ? Pas forcément, puisqu’il aurait fallu que le peuple soviétique accepte le statut d’agresseur alors que le souvenir très douloureux de la Grande Guerre patriotique était encore très présent. Les déterminants sociaux, économiques et même politiques n’étaient pas réunis.

 

Dans l’affaire la plus connue, celle de Cuba mentionnée plus haut, on constate que les deux grands, Kennedy et Khrouchtchev, avaient bien conscience des enjeux et qu’ils ont tout fait pour éviter une guerre dont chacun savait qu’elle  aurait été apocalyptique. Castro était furieux, lui aurait apparemment voulu que les pions soient poussés plus loin, tout comme Mao dans la décennie précédente. Avoir la Bombe, ça rend responsable, toujours ?

de la vertu rationalisante de l’atome

Je ne fais que reprendre les propos du général Poirier sur la «  vertu rationalisante  » de l’atome. Il se trouve que tous les chefs d’État qui ont eu entre leurs mains ce pouvoir de décision, n’en ont jamais usé. Même Mao d’ailleurs, malgré les propos qu’il a tenu sur le tigre de papier américain ou soviétique. La doctrine chinoise est strictement défensive. Est-ce que la Bombe rend toujours responsable  ? Pour le moment, et heureusement, il n’y a pas de contre-exemple. Les chefs d’État, lorsqu’ils revêtent leur nouvel habit, semblent avoir conscience de la puissance destructrice qu’ils détiennent, de l’impact politique que peut avoir l’éventuelle utilisation de tels armements. Aucun ne semble souhaiter être rejeté au ban des nations. Castro souhaitait des frappes soviétiques malgré les risques encourus par sa population. Mais il n’en avait pas le pouvoir. Aller au-delà de cet état de fait relève de la conjecture.

 

On se rapproche de notre époque : la Corée du Nord est une puissance nucléaire depuis une dizaine d’années. Malgré ses provocations, personne ne l’attaquera plus, mieux, on la courtise pour l’inciter à la modération. La stratégie de trois générations de Kim semble avoir réussi à merveille : chacun doit désormais composer avec Pyongyang, et le pays est doté d’une assurance-vie à toute épreuve. Est-ce que le signal envoyé n’est pas dérangeant, quand on songe au sort qu’a subi, par exemple, l’Irak en 2003 ? Ces deux exemples mis côte à côte ne risquent-ils pas de favoriser de nouveaux pôles de prolifération ?

le cas Pyongyang

Il est clair que l’exemple nord-coréen pose question. Ce positionnement montre tout l’intérêt pour un État de se doter de la bombe. On peut effectivement considérer que si Saddam Hussein avait pu pousser son programme nucléaire à son terme il serait encore vivant. La question de la prolifération est complexe. L’acquisition de l’arme nucléaires tout autant. Elle demande des moyens intellectuels, matériels, financiers considérables que peu d’États dans le monde sont en capacité de réunir. Il faut réfléchir aux raisons qui poussent certains États dans cette direction  : désir de puissance (les cinq grands), auto-défense (les quatre autres), prestige, qui rejoint la puissance. La prolifération n’est pas inéluctable et nous savons que des pays ont dénucléarisé comme l’Afrique du Sud, l’Ukraine… d’autres ont renoncé à leur programme (Libye, Brésil), en partie pour des raisons économiques et politiques. La Corée du Nord est effectivement un mauvais exemple du fait de la particularité de ce pays. Mais il y a fort à penser qu’il restera une exception.

Il ne fait pas non plus oublier qu’il existe un courant de pensée qui considère que la prolifération est positive. Ce sont les «  réalistes optimistes  ». Pour eux la possession de cette arme oblige à la retenue. À ce titre elle serait un facteur de paix.

 

Quels sont justement, pour vous, les maillons faibles actuels s’agissant du nucléaire militaire, les points de grand risque qu’il s’agisse de prolifération, de fuite auprès de groupes terroristes, voire de potentielle utilisation suicidaire de l’arme par des régimes de type messianique (vous évoquez la République islamique d’Iran même si on n’est pas tout à fait dans un tel cas de figure) ?

les maillons faibles et l’Iran

Bien que l’on puisse en trouver les plans sur internet, fabriquer une bombe nucléaire reste un exercice très difficile. Il faudrait ensuite la déplacer, puis la faire détonner. Ce n’est pas permis à tout le monde. Le risque du terrorisme nucléaire relève plus à ce titre du fantasme. Tom Clancy l’a bien développé dans La Somme de toutes les peurs, mais cela me paraît peu réaliste. Depuis le temps que l’on parle des fuites de matières fissiles depuis la chute de l’URSS, j’imagine que l’on en aurait entendu parler… L’utilisation d’une bombe sale semblerait plus plausible, mais même ce type de moyens demande des compétences particulières. La question est toujours la même  : il faut trouver la matière fissile. Seuls quelques États dans le monde ont la capacité d’en produire et ce sont des processus très surveillés par l’AIEA et les grandes agences de renseignement.

La grande question actuellement tourne évidemment autour de l’Iran et de son programme nucléaire. Faut-il laisser cet État théocratique, aux velléités de puissance régionale affirmée, se doter de l’arme nucléaire  ? Les discours provenant de Téhéran ne sont pas toujours très rassurants… Cependant, l’accord de 2015 (le JCPOA) a montré que l’Iran acceptait la discussion et a suspendu son programme. Le durcissement actuel du régime sur la réouverture des négociations est tout de même à mettre au passif de l’administration Trump qui s’est retirée de l’accord, tout en accentuant les mesures de rétorsion par la politique américaine de «  pression maximale  ». Les conditions émises par Washington pour un retour des États-Unis dans l’accord étaient inacceptables pour l’Iran, comme elles l’auraient été pour tout état souverain. Il n’est donc pas étonnant que les dirigeant iraniens fassent actuellement monter les enchères pour revenir à la table de négociation. Il n’y a aucune raison objective pour qu’ils ne reviennent pas dans l’accord, mais il faudra que les États-Unis en paient le prix.

 

« Il n’y a aucune raison objective pour que les Iraniens

ne reviennent pas dans l’accord, mais il faudra

que les États-Unis en paient le prix. »

 

Ensuite, sans doute que la prudence voudrait que l’Iran abandonne son programme nucléaire militaire. Mais il n’y a que deux moyens pour y parvenir  : la négociation ou l’interdiction qui ne peut passer que par des actions militaires. Et personne ne veut d’une guerre avec l’Iran.

 

Diriez-vous que les populations sont moins sensibilisées, peut-être moins concernées, y compris via la culture populaire, par les problématiques du nucléaire militaire que dans les années 50 à 80, et si oui est-ce préoccupant ?

l’opinion publique face au nucléaire militaire

Avec la fin de la Guerre froide le risque potentiel a fortement diminué. Les populations sont donc plus éloignées de ces questions. Si tant est qu’elles en aient été proches à un moment… Toutefois, le feuilleton nord-coréen montre que nous sommes en présence d’une arme très particulière qui suscite toujours la crainte et le frisson. Mais j’aurai tout de même tendance à penser que la population, en France en particulier, a d’autres sujets d’inquiétudes que l’éventualité d’une frappe nord-coréenne très hypothétique.

Il est toujours bon d’avoir des populations sensibilisées sur ce type de question. Qu’elles soient en capacité de construire un avis argumenté sur le nucléaire  : le coût de cette arme qui n’est pas négligeable, la nécessité ou non d’une force de dissuasion, l’impact de cette dissuasion sur l’économie française… Ce sont des points qui mériteraient d’être débattus au-delà du cercle des experts ou des initiés. Le quasi consensus politique sur la dissuasion et l’arme nucléaire n’aide pas à se forger une opinion.

 

Existe-t-il, ici ou là, des risques de "conventionnalisation" de l’arme nucléaire, avec l’émergence de mini-nukes par exemple, qui pourraient être calibrées pour des théâtres d’opération ?

armes tactiques

Ici nous abordons les armes tactiques. Les États-Unis comme la Russie en sont dotés. À la différence des armements stratégiques, ce sont des armements qui seraient déployés sur les théâtres d’opération en cas de conflit. Mais je pense qu’il en va de même qu’avec les «  grosses bombes  ». Elles ne seraient utilisées qu’en cas de péril grave. Si leur emploi a pu être pensé durant la Guerre froide, en particulier au moment du New Look (durant l’administration Eisenhower, dans les années 50, ndlr), il est très peu probable qu’elles soient utilisées. Encore une fois, le risque politique est trop grand, sans parler de celui d’escalade si elles sont employées contre une autre puissance nucléaire.

 

Cette question, je vous la pose en vous avouant qu’elle me hante un peu depuis pas mal de temps : pensez-vous que, de notre vivant, nous assisterons, quelque part sur Terre, et hors essai, à de nouvelles explosions nucléaires, accidentelles ou délibérées ? Cette perspective vous paraît-elle plus ou moins probable que durant les 70 dernières années ?

un jour une détonation ?

Le risque n’est pas nul. Tant qu’il y aura des armes nucléaires il peut y avoir une détonation. L’accident paraît malgré tout peu probable, sauf effondrement d’un État nucléaire. Les mesures de sûreté sont tout de même très efficaces. Un échange nucléaire est toujours possible dans le cas d’une dégradation extrême dans un conflit interétatique. Nos pensées vont régulièrement du côté de l’Asie du Sud dans le face à face entre l’Inde et le Pakistan. Mais la crise de 1999-2002 a montré qu’ils savaient se «  retenir  » et que la montée aux extrêmes n’était pas inéluctable. Je note que dans 2034 : A History of the Next World War, le roman coécrit par un ancien Marine, Eliot Ackerman, et par un ancien amiral de groupe aéronaval américain, James Stavridis, la Chine et les États-Unis s’opposent et ça s’achève par l’utilisation d’une arme nucléaire. Nous retrouvons ici le schéma qui était celui du général Sir John Hackett dans son ouvrage La Troisième guerre mondiale en 1983. L’ancien commandant de l’OTAN s’est trompé, nous pouvons espérer qu’il en sera de même pour les auteurs de 2034, mais le risque existe...

 

Le  Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur en ce début d’année. Même si aucune puissance nucléaire ne l’a signé, c’est un signe encourageant ? Un monde dénucléarisé sans arme nucléaire, c’est une utopie qui n’est plus réalisable, ou bien... ?

un jour sans arme nucléaire ?

Nous évoquions la sensibilisation des populations plus haut. Cette initiative partie de la société civile montre qu’une frange de la population s’inquiète du risque que représentent ces systèmes d’armes. Nous sommes dans la continuité des combats anti-nucléaires qui se sont développés dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement je considère qu’un monde sans armes nucléaires relève pour le moment de l’utopie. Peut-être qu’à la fin de la Guerre froide il y a eu une ouverture, les grands traités comme START le montrent, comme le démantèlement des arsenaux dans les anciennes républiques soviétiques. Barack Obama lui-même avait initié un mouvement en ce sens. Mais ce temps semble révolu. Le monde est plus instable, les tensions croissent entre les principales puissances. Les états-majors n’hésitent plus à communiquer sur de futurs combats à haute intensité, donc entre puissances. Les comportements de la Russie, de la Chine, n’invitent pas au désarmement nucléaire. Le TIAN a le mérite d’exister et montre que le tout-nucléaire n’est pas inéluctable, mais je ne vois aucune puissance dotée se défaire de ses arsenaux actuellement, à moins de faire preuve d’une très grande naïveté.

 

« Au vu des tensions, je ne vois aucune puissance dotée

de l’arme nucléaire se défaire de ses arsenaux actuellement,

à moins de faire preuve d’une très grande naïveté. »

 

Vos projets et envies pour la suite ?

J’ai plusieurs projets, plus ou moins en chantier. Le plus avancé est un ouvrage sur la pacification pendant la guerre d’Indochine. Cet aspect de la guerre, pourtant central, est le parent pauvre des études sur le conflit indochinois. Je travaille sur le sujet depuis plusieurs années et je pense que le temps de la synthèse est venu. Mais nous sommes ici sur un horizon 2022-2023.

Je suis spécialiste de la guerre d’Indochine et de l’histoire du renseignement et à ce titre j’ai également comme projet de faire le point sur le passage de témoin, dans ce domaine, entre les conflits indochinois et algérien, sur la période 1954-1957. Là encore c’est un sujet peu traité et il y a matière.

Enfin, je réfléchis à un nouvel ouvrage, sur le modèle de La Bombe atomique qui permettrait de revenir sur les grands débats encore en cours sur la Guerre froide. Il y a toujours des positions très tranchées sur certains aspects – la «  peur rouge  », le communisme de Castro ou de Hô Chi Minh, la place des services de renseignement… - des thèmes qui mériteraient sans doute une mise au point.

J’ai donc encore de quoi m’occuper. Même si pour le moment c’est la rentrée qui m’occupe et mon futur voyage au Vietnam avec l’une des mes classes de terminale. Ce sera le cinquième groupe à partir et cela me prend tout de même un peu de temps.

 

Un dernier mot ?

Non, si ce n’est un grand merci pour la possibilité que vous me donnez de m’exprimer. Et j’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire ce livre que j’en ai eu à l’écrire.

Interview : août 2021.

 

Jean-Marc Le Page

 

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1 septembre 2021

Raphaël Doan : « L'assimilation passe forcément par une politique de mixité culturelle volontariste »

Raphaël Doan, premier adjoint au maire du Pecq (Yvelines), compte parmi ces jeunes citoyens qui, au-delà des polémiques parfois stériles, entendent s’intéresser au fond des sujets avant d’émettre des opinions. Et ça fait plutôt du bien ! Son ouvrage, Le Rêve de l’assimilation (Passés/Composés, 2021), constitue un apport précieux à des débats essentiels, parfois casse-gueules (parce que rarement pris comme il le faudrait), et qui pourtant n’ont pas fini d’avoir cours dans nos sociétés : comment bien intégrer les étrangers ? que recoupe le concept d’assimilation et dans quelle mesure celle-ci est-elle souhaitable ? qu’est-ce qui fonde l’identité nationale ? quels moyens pour restaurer le vivre-ensemble là où il est abîmé ? Dans son livre, Raphaël Doan étudie plusieurs expériences historiques (souvent des empires) à l’aune de ce concept d’assimilation, de la Grèce antique jusqu’aux États-Unis et à la France d’aujourd’hui : entre succès et ratés, on y voit peut-être un peu plus clair quant aux chemins à suivre, ou à ne pas suivre. Je vous recommande cette lecture, parce qu’elle est très documentée, et parce qu’elle est utile. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Raphaël Doan: « L’assimilation passe forcément

par une politique de mixité culturelle volontariste »

Le rêve de l'assimilation

Le Rêve de l’assimilation (Passés/Composés, 2021).

 

Raphaël Doan bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Qu’est-ce qui, dans le cheminement de vos réflexions, et dans votre parcours (y compris comme élu local), vous a incité à vous lancer dans cette grande étude sur l’assimilation ?

pourquoi cette étude ?

C’est tout simplement un manque  : je pensais depuis longtemps que l’idée d’assimilation était au croisement de nombreuses problématiques actuelles (la laïcité, l’immigration, l’identité…), et je cherchais un livre synthétique qui en fasse l’histoire. Quand je me suis rendu compte que ce livre n’existait pas, je me suis proposé de le faire, en élargissant la focale à d’autres civilisations que la France récente. C’est une sorte d’histoire comparée des pratiques d’assimilation à travers le monde. Comme mon parcours est plutôt tourné vers l’action publique, c’est le prisme que j’ai adopté à travers l’ouvrage  : comment les gouvernements incitent-ils à l’assimilation d’étrangers  ? On aurait pu faire un livre très différent sur la manière dont, de l’intérieur, les étrangers vivent ce processus.

 

Votre ouvrage, richement documenté, nous invite à un voyage dans l’histoire des empires, de leurs conquêtes plus ou moins brutales, et surtout donc, des différentes politiques menées pour composer avec les populations des territoires acquis. C’est aussi en passionné d’histoire que vous avez entrepris cette aventure ; est-ce qu’on ne néglige pas, trop souvent, de se tourner vers elle pour mieux comprendre notre présent ?

l’Histoire comme repère

J’ai toujours été persuadé que l’histoire longue donne un recul salutaire sur les débats actuels. Ne serait-ce que parce qu’elle permet de définir concrètement ce dont on parle, alors que la plupart des discours politiques tendent à accumuler des mots creux qui ne font plus référence à rien. En plus, il y a un réel appétit pour l’histoire en France  : on le voit dans l’édition comme dans la production audiovisuelle.

 

Je reprends les mots de Lucien Febvre, cités dans votre ouvrage : on s’assimile d’autant plus facilement à une culture ou civilisation reconnue comme étant « enviable et belle ». Il me semble que, dans tout ce que vous racontez, Rome avec ses cités et son modèle clé-en-main aura été la plus efficace, de ce point de vue. Peut-être aussi la civilisation arabe, avec la force d’attraction de l’islam - même si dans les deux cas, la force a précédé l’adoption spontanée, et l’essaimement durable. N’est-ce pas là aussi, un constat des vertus du soft power, ou de l’acculturation, et qui tient ces rênes-là aujourd’hui ?

des cultures enviables et belles

Bien sûr, tout est plus simple quand la société d’accueil suscite le désir de s’assimiler, avant même toute mesure incitative ou contraignante. Rome était désirable parce qu’elle était le véhicule d’une culture universelle, qui était en réalité la culture gréco-romaine, largement héritée du monde hellénistique. De même avec la civilisation arabe, dont la culture avait été enrichie et polie par les apports perses ou byzantins. Aujourd’hui, même si certains sont particulièrement pessimistes sur la qualité de notre propre civilisation, je continue de penser que la culture européenne ou plus largement occidentale, en incluant l’Amérique, reste attirante  ; les problèmes d’assimilation que nous avons dans certains cas ne doivent pas faire oublier qu’il y a aussi beaucoup de gens, à travers le monde, qui désirent rejoindre notre modèle parce qu’ils veulent l’adopter. Si nous avons aujourd’hui des difficultés à assimiler des populations en France, je pense que c’est largement en raison de problèmes politiques et matériels, plutôt qu’en raison d’un hypothétique déclin.

 

Parmi tous vos développements, quelques faits méconnus, mais fort intéressants : la France n’a jamais réussi à franciser les Indiens d’Amérique, car les colons, censés propager un modèle par l’émulation, ont toujours été très (trop) peu nombreux - les Français étant des terriens plutôt que des hommes de la mer. Les Japonais ont connu des problèmes similaires dans leur tentative d’intégration  de Taïwan, et surtout de la Corée. Autre point commun entre les deux pays : tous deux  ont tendu vers une standardisation culturelle - et notamment linguistique - assez autoritaire, via, entre autre, l’abaissement des parlers locaux au profit de la langue nationale. Établissez-vous de vraies ressemblance quant aux modèles suivis par la France et le Japon ?

France, Japon, même combat ?

Oui, c’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé en écrivant le livre, car non seulement on peut y déceler des ressemblances dans l’esprit et la pratique de l’assimilation, mais en plus les hommes de l’époque étaient conscients de ces ressemblances. Les intellectuels japonais réfléchissant sur la politique à suivre dans leur empire colonial citaient les Français, parfois en décelant chez nous des erreurs à corriger, mais malgré tout en reconnaissant une identité de principes. Lors de la conquête de Taïwan, les Japonais firent même appel à un consultant français (après avoir écouté et écarté les conseils d’un Britannique et d’un Américain) pour décider des mesures à adopter concernant les Taïwanais. La principale raison de cette similitude me paraît être le goût pour l’uniformité, qu’elle soit culturelle (chacun des deux pays a souhaité que sa population soit aussi homogène que possible et y a travaillé grâce à un modèle scolaire rigide) ou administrative (on y retrouve la centralisation et le modèle préfectoral).

 

Les États-Unis d’aujourd’hui sont-ils devenus, peu ou prou, l’ « internat polyglotte » - ou « salad bowl » que rejetait Teddy Roosevelt, et si oui, si je vous suis, est-ce d’abord, une conséquence de la mauvaise conscience de l’Amérique par rapport au traitement que, longtemps, elle a infligé à ses Noirs ?

de l’américanisation au « salad bowl »

On oublie souvent que les États-Unis ont été un grand pays d’assimilation, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ils voulaient transformer les immigrés européens en «  Américains complets  », selon les mots du président Wilson, qui rejetait toute idée d’Américain «  à trait d’union  » - italo-américain, irlando-américain… Et ils n’y ont pas mal réussi, au prix de beaucoup d’efforts d’éducation et de conditionnement, surtout pendant et juste après la Première Guerre mondiale (on avait peur des immigrés allemands, qui pourraient se rebeller ou au moins former une contre-culture). Mais la faille de ce modèle, c’est qu’il excluait deux parties importantes de la population américaine  : les Amérindiens et les Noirs. Rien n’aurait empêché, sur le papier, leur inscription dans cette politique «  d’américanisation  », comme on disait. Mais je pense comme Tocqueville que les préjugés raciaux étaient depuis longtemps trop ancrés en Amérique pour qu’ils disparaissent de sitôt. Or, à partir de l’époque des droits civiques, il a semblé à beaucoup de militants que l’assimilation, qui ne concernait en fait que des immigrés blancs, était une entourloupe qui ne visait qu’à renforcer la domination blanche. Comme, au même moment, la mode idéologique était de surcroît plutôt hostile à l’homogénéité, à l’uniformité, au comportement majoritaire, l’assimilation a été rapidement remplacée dans le discours officiel américain par son contraire, c’est-à-dire le pluralisme culturel.

 

Dans quelle mesure la faiblesse de la mixité rencontrée, notamment, dans certains quartiers populaires, contribue-t-elle à votre avis à saper l’assimilation en interne, et peut-être in fine, les fondements mêmes de la vie en société ?

assimilation et mixité

Elle est déterminante  : une conclusion qu’on peut tirer de l’étude historique, c’est que l’assimilation a très peu de chances de réussir si les étrangers qu’on souhaite assimiler ne sont pas plongés dans le bain culturel de la population d’accueil. S’ils vivent entre eux sans jamais fréquenter leurs nouveaux compatriotes, ils n’ont ni modèle, ni incitation à modifier leurs mœurs ou leurs comportements. Mais ce phénomène de regroupement entre familles et communautés est assez naturel quand on arrive dans un pays d’étranger  : c’est donc à l’État de faire en sorte que la mixité soit assurée par des mesures volontaristes.

 

L’École est-elle, s’agissant de l’assimilation des masses autour d’une culture commune, le meilleur des atouts ?

la place de l’École

C’est un outil essentiel, au fond le deuxième moteur de l’assimilation. Le premier, on vient d’en parler, c’est la vie en commun avec la population d’accueil  : on apprend à lui ressembler dans la vie quotidienne. Mais pour connaître et comprendre la culture à laquelle on doit s’assimiler, rien ne remplace l’école, qui permet d’accéder à la langue, à l’histoire et à tous les codes qui font une société unie. Toutefois, elle n’est pas suffisante en elle-même, comme on semble parfois le croire. Vous parliez plus haut des Français qui ont tenté de «  franciser  » les Indiens du Canada au XVIIe siècle, leur échec vient notamment de ce qu’ils se sont contentés, pour une large part, de mettre des Indiens dans des écoles de Jésuites. Comme en dehors du temps scolaire les élèves n’étaient pas du tout amenés à fréquenter des Français, l’assimilation ne pouvait être faite en profondeur.

 

L’enseignement de l’Histoire nourrit bien des crispations, plus ou moins instrumentalisées. Est-ce que l’histoire collective, pour peu qu’on la regarde dans les yeux, sans rien occulter mais sans repentance excessive non plus, peut être un outil pour souder la société ?

l’Histoire pour souder

Je pense qu’elle peut l’être, oui. Il s’agirait d’abord d’éviter d’y plaquer de la morale à tout prix, en cherchant à savoir si tel ou tel événement était louable ou condamnable, s’il s’agissait d’un crime ou d’une vertu, s’il aurait fallu faire autrement ou non. La première chose à enseigner, c’est d’abord ce qui s’est passé, en l’exprimant, comme disait Tacite, «  sans affection ni sans haine.  » D’ailleurs, l’histoire antique est un bon modèle, car ce qui s’est passé est si ancien que rares sont ceux qui veulent encore y plaquer des émotions morales. Qui s’indigne encore de ce que les Romains ont fait aux Gaulois  ? Et c’est tant mieux, car ce n’est pas l’intérêt de l’histoire que de s’indigner.

 

L’annonce récente de la panthéonisation prochaine de Joséphine Baker peut-elle être vue aussi, comme un acte politique visant à convoquer l’Histoire et un symbole glorieux de la diversité pour favoriser une forme d’assimilation ?

l’exemple Joséphine Baker

Oui, cela pourrait être présenté ainsi, d’autant que Joséphine Baker avait souvent insisté elle-même sur la différence entre les États-Unis et la France dans leur rapport à la couleur de peau : en France, dès cette époque, il n’y avait aucune difficulté à ce qu’une noire puisse être considérée comme entièrement française, et elle ne s’y sentait pas menacée comme en Amérique. Elle n’est pas la seule à en avoir fait l’expérience dans l’entre-deux guerres. Il y a bien sûr toujours eu des individus racistes, mais l’absence de racisme au fondement de la société est ce qui permettait à l’assimilation française de fonctionner.

 

Joséphine Baker

Joséphine Baker. © Studio Harcourt/Wikimedia Commons

 

Vous l’expliquez très bien : on parle sans cesse de laïcité alors qu’en fait, celle-ci (à savoir, l’impératif de neutralité de l’État vis-à-vis des religions) n’est presque jamais en cause. Pourquoi a-t-on tant de mal, en France, à assumer le terme d’assimilation, vu ici comme une harmonisation culturelle (en opposition à une forme d’éclatement communautaire, dans les pays anglo-saxons) ? La gauche, notamment, ou une bonne partie d’entre elle, n’a-t-elle pas complètement perdu sa boussole ?

pour ne pas dire assimilation

C’est à mon sens pour deux raisons  : d’abord parce que le mot d’assimilation avait beaucoup été utilisé pendant la période coloniale, en parlant de l’Empire, et qu’après la décolonisation il paraissait urgent de se distinguer de tout ce qui pouvait rappeler ce temps-là  ; ensuite parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’idéologie ambiante des années 1960 et ultérieures était méfiante envers tout ce qui conduisait à uniformiser, et valorisait la singularité, l’exception, l’original. Or, l’assimilation nécessite un désir de se rendre semblable à une majorité… Ce n’était donc pas très attirant. Pourtant, en France, nous sommes tellement imprégnés de cette volonté d’uniformité que même en semblant la rejeter par la porte, elle est revenue par la fenêtre sous d’autres noms  : laïcité ou ordre public. La loi de 2004 sur le voile à l’école a été présentée comme une loi de laïcité, mais elle ne concernait pas les agents du service public, seulement ses usagers  ; en réalité, c’était une loi d’assimilation, dont on faisait rentrer le concept au sein de celui de laïcité. La gauche a probablement manqué cette évolution, et reste assez hostile à toute volonté d’homogénéiser les cultures (alors même que de la Révolution à la IIIe République, elle en avait été le fer de lance).

 

L’abandon relatif du principe d’assimilation nourrit-il dans de grandes proportions, par réaction, les mouvements identitaires et les poussées populistes ?

du carburant pour les populismes

C’est probable, car au fond, l’assimilation est ce qui rend l’immigration presque invisible  : si les immigrés s’assimilent, c’est-à-dire ressemblent de plus en plus dans leurs comportements à la population d’accueil, celle-ci a de moins en moins de raison d’avoir l’impression qu’ils «  n’ont rien à faire là.  » En réalité, il y a un cercle qui peut être vicieux ou vertueux  : s’il y a assimilation, la xénophobie de la population d’accueil a tendance à diminuer puisque les immigrés se rapprochent d’elle, et de ce fait, il est aussi plus facile pour les immigrés de s’assimiler, car ils sont ensuite mieux accueillis et mieux acceptés. Inversement, si la xénophobie est trop forte, s’il y a du racisme en particulier, l’assimilation est découragée (pourquoi faire l’effort d’adopter les mœurs de quelqu’un qui de toute façon ne semble vous en vouloir que pour votre couleur de peau, que vous ne pourrez jamais changer  ?), et la différence des mœurs accroît encore la xénophobie («  Vous voyez bien qu’ils ne sont pas comme nous  !  »). Il vaut mieux que le cercle soit vertueux…

 

Hypothèse, pas si loufoque : le Premier ministre vient de vous confier, Raphaël Doan, une mission visant à favoriser, par des mesures d’assimilation,  une harmonisation de la société française. Quelles grandes et petites mesures préconiserez-vous ?

mission gouvernementale

Il y aurait d’abord un changement de discours à tenir, non pas forcément pour marteler le mot d’assimilation lui-même, mais pour arrêter de la décourager dans les faits  : il faut que partout les institutions fassent comprendre à ceux qui viennent chez nous qu’ils ont intérêt à adopter entièrement les mœurs françaises, et arrêter d’encourager des comportements qui ne concordent pas avec la manière de vivre en société des Français (en somme, cesser le discours du «  venez comme vous êtes  »). Cela ne veut pas dire qu’il soit interdit aux immigrés de garder de l’affection pour leur pays et leur culture d’origine, évidemment, mais que celle-ci ne doit pas entrer en contradiction avec leur inscription dans la culture française. Ensuite, s’agissant des mesures concrètes, une politique décisive serait d’encourager la mixité culturelle, en prévenant la constitution de nouveaux ghettos et en tentant de démonter ceux qui existent  : les Danois ont des projets intéressants à cet égard depuis 2018.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?
 
Toujours de l’histoire, mais sur un sujet bien différent  : je publie à l’automne un Que Sais-Je sur Le Siècle d’Auguste. Ou comment une société sort de l’angoisse des guerres civiles et de la certitude du déclin pour entrer, en une quinzaine d’années, dans ce qu’elle perçoit comme un âge d’or…

 

Un dernier mot ?

Vous remercier pour ces très bonnes questions  !

Interview : fin août 2021.

 

Raphaël Doan

 

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25 juillet 2021

Marc Hecker : « Le centre de gravité du djihadisme semble aujourd'hui se déplacer vers l'Afrique »

Dans un peu plus d’un mois et demi, les États-Unis commémoreront, vingt ans tout juste après leur survenance, les attentats ultra-meurtriers (près de 3000 victimes) et au retentissement mondial du 11 septembre 2001. Une date, connue de tous, même de ceux qui n’étaient pas de ce monde à l’époque. Vingt ans, à peine le temps d’une génération, mais un monde qu’un contemporain des années Clinton, celles de l’hyperpuissance triomphante, peinerait à reconnaître. Vingt ans de lutte plus ou moins bien inspirée contre un terrorisme résilient, organisé et parfois doté comme un État ; vingt ans d’agitations, de bouleversements locaux ; vingt ans de déclin relatif d’une Amérique fatiguée et affaiblie par un interventionnisme extérieur massif, par des crises successives, tandis que la Chine et d’autres puissances émergent pour s’affirmer dans le jeu des puissances. Vingt ans, c’était hier sur l’échelle de la vie des nations, et pourtant...

Pour bien appréhender, avec le recul et donc le regard de l’historien, cette double décennie, je ne puis que vous recommander la lecture d’un ouvrage important, inspiré et richement documenté, La Guerre de vingt ans, écrit de la main de deux spécialistes des questions de stratégie, de terrorisme et de contre-terrorisme, Marc Hecker et Élie Tenenbaum (Robert Laffont, 2021). Je remercie particulièrement M. Hecker, qui est aussi directeur de la recherche et de la valorisation à l’Institut français des relations internationales (Ifri), pour l’interview qu’il a bien voulu m’accorder. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Marc Hecker : « Le centre de gravité du djihadisme

semble aujourd’hui se déplacer vers l’Afrique. »

La Guerre de vingt ans

La Guerre de vingt ans, de Marc Hecker et Élie Tenenbaum (Robert Laffont, 2021).

 

Vingt ans après le 11-Septembre, des centaines de milliers de morts plus tard, et quelques milliers de milliards de dollars dépensés, les Talibans sont aux portes du pouvoir en Afghanistan, et l’Irak fait quasiment partie de la sphère d’influence d’un Iran de plus en plus entreprenant. Le fiasco est-il total, côté américain ?

un fiasco américain ?

Le terme «  fiasco  », que vous employez, me fait penser au titre d’un livre du journaliste Tom Ricks publié en 2006. Cet ouvrage porte sur la guerre américaine en Irak qui a été déclenchée pour des motifs fallacieux et qui a eu un effet contre-productif majeur en permettant à la mouvance al-Qaïda de se relancer après la perte de son sanctuaire afghan. Au moment de la parution de ce livre, l’insurrection était en plein essor et le pays s’enfonçait dans une véritable guerre civile. De 2006 à 2011, les Américains ont toutefois réussi à stabiliser l’Irak en appliquant une nouvelle doctrine de contre-insurrection. Puis il y a eu le «  printemps arabe  » et le développement de Daech qui a forcé les États-Unis à se réengager militairement.

Pour ce qui est de l’Afghanistan, vous avez raison, les Talibans enchaînent les conquêtes à un rythme effréné depuis le printemps 2021 – moment où Joe Biden a confirmé le retrait des troupes américaines – et paraissent aujourd’hui au seuil du pouvoir. C’est un véritable échec pour les États-Unis qui, au lendemain du 11-Septembre, avaient renversé le régime des Talibans et espéraient la démocratisation de l’Afghanistan. Reste à savoir si les Talibans vont respecter les termes de l’accord de Doha de février 2020 et couper les liens avec al-Qaïda. On peut en douter.

Si l’on considère le bilan global de la guerre contre le terrorisme, on ne peut pas, néanmoins, conclure à une défaite des États-Unis. Ben Laden a exposé à plusieurs reprises ses objectifs  : chasser les «  juifs et les croisés  » des terres d’islam, renverser les régimes «  apostats  », unifier les musulmans sous l’autorité d’un calife. Ces objectifs n’ont pas été atteints et al-Qaïda n’a pas réussi à rééditer un attentat de l’ampleur du 11-Septembre. On ne peut pas pour autant conclure à une victoire américaine car les groupes djihadistes ont loin d’avoir été éradiqués, même s’ils sont traqués sans relâche.

 

Qu’attendre d’al-Qaïda, de Daech, d’autres avatars peut-être dans les mois, les années à venir ? Quelles actions, quel leadership pour le mouvement djihadiste sunnite global ?

al-Qaïda et Daech

La mouvance djihadiste internationale paraît durablement divisée entre al-Qaïda et Daech qui se sont battus pour son leadership. Daech a eu le vent en poupe dans un premier temps, mais sa stratégie ultra-violente de provocation a fini par lui coûter cher. L’organisation a perdu son sanctuaire territorial en zone syro-irakienne et n’a pas réussi à répliquer son modèle en Libye ou en Afghanistan. Al-Qaïda adopte une attitude plus pragmatique, nouant des alliances avec des tribus locales et tentant de s’insérer dans le tissu social. On le voit par exemple au Sahel. Cette stratégie n’empêche pas l’organisation de demeurer dans le viseur du contre-terrorisme et de subir une attrition régulière qu’elle compense par de nouveaux recrutements.

Il est difficile de savoir quelle forme pourrait prendre la mouvance djihadiste à l’avenir. Elle a fait preuve, au fil des années, d’une remarquable capacité d’innovation tant aux niveaux organisationnel et stratégique que tactique. Elle pourrait encore être capable de nous surprendre.

 

Parmi les points du globe gangrénés par une défaillance étatique, par une corruption généralisée, par un sectarisme institutionnalisé, parfois les trois d’un coup, lesquels vous inquiètent le plus en tant que terreau fertile pour l’essor de terrorismes, notamment ceux à visée globale ?

zones de faille

Les zones déstabilisées où les djihadistes sont présents ne manquent pas  : Afghanistan, Syrie, Irak, Yémen, Libye, Sahel, bassin du lac Tchad, Corne de l’Afrique, Asie du sud-est, etc. Le centre de gravité du djihadisme semble aujourd’hui se déplacer vers l’Afrique. Du point de vue français, la dégradation de la situation dans la bande sahélo-saharienne est particulièrement inquiétante avec une présence concomitante de groupes liés à al-Qaïda et à Daech. La zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso est particulièrement touchée. Il s’agit maintenant d’éviter que la menace djihadiste ne s’étende vers le Golfe de Guinée.

 

Est-ce qu’au-delà des actes terroristes, qui restent heureusement rares, vous percevez des signes (études sociologiques et d’opinion,  résultats électoraux...) tendant à faire penser que, notamment en France, ceux qui visent une fracturation des sociétés (les religieux les plus intolérants, terroristes ou pas, mais aussi les extrémistes autochtones), gagnent du terrain ?

ferments de division

Votre question amène à évoquer à la fois le cas de l’islamisme et de l’ultra-droite. Les travaux de chercheurs comme Bernard Rougier ou Hugo Micheron montrent la progression de l’islamisme dans certains quartiers, même s’il reste difficile de quantifier précisément le phénomène. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale en janvier 2021, la cheffe du service central du renseignement territorial a évalué à une centaine sur 2.400 le nombre de lieux de culte musulman en France où est tenu un «  discours séparatiste  ». Le discours en question n’est pas nécessairement violent, mais il a une dimension subversive dans la mesure où il rejette les principes républicains et contribue à polariser la société.

Du côté de l’ultra-droite, certains théoriciens identitaires vont jusqu’à prôner la «  guerre civile raciale  » pour mettre fin au «  grand remplacement  ». Les autorités prennent cette menace d’autant plus au sérieux que des terroristes d’ultra-droite ont frappé dans d’autres pays d’Europe, notamment en Norvège, en Allemagne et au Royaume-Uni. En France, une demi-douzaine de projets d’attentats planifiés par cette mouvance ont été déjoués depuis 2017.

 

20 ans après le 11-Septembre, les États occidentaux, et les États-Unis en particulier, ont-ils appris du monde complexe qui les entoure, l’ont-ils mieux compris ? Leur désengagement relatif de ces conflits périphériques, dicté par des impératifs de recentrage des priorités, est-il marqueur, aussi, d’une forme de sagesse ?

recentrage des priorités

L’administration Bush a fait preuve d’une certaine forme d’hybris en voulant démocratiser le «  grand Moyen-Orient  » par les armes. À l’hybris a succédé la némésis avec le développement d’insurrections en Irak et en Afghanistan. Les administrations suivantes ont fait preuve d’une plus grande retenue stratégique, cherchant une porte de sortie décente aux «  guerres lointaines et sans fin  ». Aujourd’hui, Joe Biden souhaite clairement refermer la parenthèse de la guerre contre le terrorisme pour se concentrer sur d’autres enjeux, comme la montée en puissance de la Chine ou, sur un autre plan, la transition énergétique. Je ne sais pas s’il faut y voir de la sagesse ou, plutôt, une évolution de la conception des priorités stratégiques et des intérêts américains.

 

Que peuvent faire nos États, à leur échelle, et avec une humilité de rigueur, pour contribuer à couper l’herbe sous le pied du discours djihadiste, à l’intérieur comme au-dehors de nos frontières  ?

et maintenant ?

Le terme «  humilité  » que vous employez est important. J’étudie le terrorisme depuis plus de quinze ans et c’est une leçon de modestie  : on voit bien que malgré leur puissance, les États occidentaux peinent à réduire leurs adversaires. À l’intérieur même de ces États, les mécanismes de radicalisation continuent à susciter de nombreuses interrogations.

Cela étant dit, je ne vais pas esquiver votre question. Je crois que pour progresser dans cette lutte, quatre pistes peuvent être suivies  : continuer à analyser précisément la menace car elle est mouvante et ne cesse de se reconfigurer  ; se garder de sous-estimer cette menace mais également de surréagir  ; mettre en avant les incohérences, les contradictions et les divisions des djihadistes  ; et enfin, ne pas renoncer au combat – y compris sur le plan intellectuel.

Interview : fin juillet 2021.

 

Marc Hecker

 

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16 juin 2021

Julien Tixier : « La vie débordera toujours, on l'a bien vu pendant la crise, et c'est tant mieux ! »

Hier, c’était les 10 ans de Paroles d’Actu. Et je remercie, à cette occasion, les quelques aimables témoignages que j’ai reçus. Je suis du sud-lyonnais, et j’ai déjà reconnu avoir assez peu, et sans doute trop peu mis en avant ma région dans mes articles, via mes choix d’invités. J’entends remédier à cela à l’avenir. Je suis heureux de vous proposer ce soir une rencontre avec Julien Tixier, un des fondateurs (il y a aussi 10 ans !) dun bar à cocktails lyonnais qui mérite d’être découvert, Le Fantôme de l’OpéraExclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Julien Tixier : « La vie débordera toujours,

on la bien vu pendant la crise, et cest tant mieux ! »

Julien Tixier

Photo : Arnaud Bathiard.

 

Julien Tixier bonjour. Vous vous présentez, en quelques mots ?

Bonjour, alors jusqu’en 2015 j’ai dessiné pour l’édition française, ça allait du simple dessin à des albums, puis j’ai pris du recul car ça m’amusait beaucoup moins. Désormais je me concentre sur l’écriture, et j’écris principalement des chroniques, la plupart pour un média dédié à la musique. Je développe aussi une carrière dans la photo. Et je suis l’un des fondateurs du Fantôme.

 

Quelle est l’histoire du Fantôme de l’Opéra (pas celui de Gaston Leroux, le vôtre, celui de Lyon) ?

Le Fantôme a ouvert il y a 10 ans en juillet 2011. Le Fantôme c’est vraiment l’histoire d’un coup de tête qui s’est prolongé. Je discutais avec des copains un soir et on s’est dit, « et si on ouvrait un bar à cocktails ? » C’est ce que l’on a fait. Aussi simplement que ça. Sans trop réfléchir en fait. Peut-être même sans trop y croire vraiment.

 

D’où vous vient votre goût pour ces ambiances-là (littérature, musique, ciné...) ?

Du domaine artistique dans lequel j’évolue. Raconter des histoires, créer, j’aime ça. Un bar à cocktails ça peut être un peu ce prolongement. Le côté "fantôme", ça a un imaginaire large, qui permet de partir dans le romantisme, dans quelque chose d’enflammé ou de plus sombre, de plus étrange. Ça laisse des possibilités. Et puis le 19ème siècle ou le début du 20ème, c’est immédiatement visuel.

 

Qu’est-ce que ça suppose, de gérer un tel établissement, en temps normal et en temps de Covid ?

En temps de Covid, c’est assez simple : on nous a forcés à fermer. Ça limite le travail. En temps normal, je suis plus dans la coordination. La cheffe barmaid, Jessica, qui est aussi l’une de mes associés s’occupe de l’opérationnel. Un autre associé va s’occuper de la comptabilité par exemple, un autre des commandes... Moi je fais le lien, et je m’occupe de l’image de l’établissement, de sa stratégie, et de son positionnement.

 

Comment avez-vous vécu les quinze derniers mois à titre pro, et à titre perso ?

À titre personnel, très bien. Je suis quelqu’un de libre et dassez rationnel, donc je n’ai pas changé ma façon de vivre. En aucun cas. Je me suis reconcentré totalement sur mes activités artistiques. J’ai beaucoup travaillé, je suis beaucoup sorti, j’ai rencontré du monde, développé des projets. Concernant Le Fantôme, il suffisait d’attendre, alors on a attendu.

 

Pour vous, dans tout ce malheur, y aura-t-il eu un peu de bon ? Aurez-vous appris, retenu quelque chose de cette crise ?

Je pense qu’il n’y a pas grand-chose à retenir d’une époque comme celle-là. Il faudrait beaucoup de temps pour expliquer sereinement et précisément. Je ne pense pas qu’en quelques lignes on puisse le faire de manière pertinente. Mais pour résumer on a vu l’émotivité, la manipulation, l’égo, le corporatisme exacerbé, l’absence de rationalité prendre souvent le pas sur tout. Sur le pragmatisme, sur l’intelligence ou même sur la simple capacité de réflexion. Il n’y avait pas de débat, que des évidences à suivre, une façon dictée de voir la vie, une vision court-termiste, sans arriver à seulement entrevoir le pire du moindre mal. La notion de liberté s’est retrouvée totalement ignorée par certains, renvoyée à une simple chose secondaire, que l’on pouvait finalement mettre de côté. Certains ont même osé conseiller d’éviter de se parler. Quand on en arrive à ce niveau, je ne suis pas certain qu’il faille retenir beaucoup de choses. Et je passe sur la défaite de la sémantique, avec de la guerre, des héros, et des couvre-feux...

Le point rassurant, et il existe, c’est que l’on ne peut contenir la vie. Celle-ci débordera toujours, et on l’a bien vu. Quand la philosophe Barbara Stieglier parlait d’hébétement ou de sidération d’une partie de la population, une autre partie, la jeunesse particulièrement, ne l’a pas été, et d’une certaine façon a tenu tête à cette période, et à ces prétendues évidences. La turbulence a quelque chose de rassurant.

 

Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous alors qu’intervient une nouvelle levée de restrictions, et que l’été s’installe ?

Au beau fixe. On trace notre route comme on l’a toujours fait.

 

Une, deux ou trois photos, commentées par vous ?

 

Jessica

La première, car c’est Jessica, ma complice depuis sept ans je crois. On a forcément un lien de travail fort. C’est une créatrice passionnée.

Cocktail Licorne

La deuxième, car on s’amuse à casser les règles coincées des cocktails. On ose avec beaucoup de nonchalance. Ce cocktail s’appelle "Allez Friponne, touche-moi la corne, je suis une licorne." Il est à la barbe à papa.

Déco du Fantôme

La troisième, car on soigne toujours au maximum nos décorations.

 

Le cocktail qui vous ferait tomber, vous ?

D’une manière générale, si vous mettez des fruits rouges, framboise de préférence, ça devrait me plaire.

 

Les arguments pour donner envie aux Lyonnais (et aux autres d’ailleurs, non mais) de venir découvrir (façon de parler brrr...) le Fantôme de l’Opéra ?

Je dirais que c’est une alchimie, un équilibre entre plein de choses qui ont fait que les gens ont adhéré au Fantôme. Le lieu, l’ambiance décontractée de l’équipe, la musique que l’on passe, les cocktails eux-mêmes, leur décoration que l’on pousse, oui il y a plein de choses je pense.

Mais à sortir des points particuliers, je dirais que Le Fantôme a une carte exclusivement composée de créations. On ne reste pas dans des classiques. Ce qui nous plait c’est créer. Et puis quand on a ouvert Le Fantôme, on ne voulait pas lui coller un esprit guindé, avec ambiance stéréotypée, uniformes et tout le décorum. On ne se prend pas au sérieux surtout.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ? P’tit scoop ?

Alors désolé pour le scoop, pour l’instant rien de prévu. À part tout simplement continuer à s’amuser entre nous et nos clients.

 

Un dernier mot ?

Je ne sais pas... Liberté, ou alors turbulence, c’est beau ça, non ?

Interview : mi-juin 2021.

 

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28 avril 2021

Thierry Lentz : "En vainquant Napoléon, Londres s'est offert un siècle de domination mondiale"

Dans une semaine très exactement, les Français et d’autres, au-delà de nos frontières, au-delà même des mers, se souviendront que, deux cent ans plus tôt, disparaissait sur un caillou perdu dans l’Atlantique sud, un homme qui, pour l’avoir longtemps dominée, aurait pu mourir en maître de l’Europe continentale. Un personnage tellement grand qu’on en écrirait bientôt la légende.

Pour ce dernier article d’une « trilogie bicentenaire » qui n’était pas forcément prévue au départ, j’ai la grande joie, après Éric Teyssier (Napoléon et l’histoire) et Charles Éloi-Vial (les Cent-Jours), de recevoir une nouvelle fois M. Thierry Lentz, un des plus fins connaisseurs de l’épopée et de l’époque napoléoniennes (il dirige également la Fondation Napoléon depuis plus de vingt ans).

Je remercie chaleureusement M. Lentz d’avoir accepté de m’accorder cet entretien, traitant principalement du combat implacable que se livrèrent Napoléon, qui aspirait à l’hégémonie continentale, et l’Angleterre, déjà maîtresse des mers. À la fin on le sait, Britannia rules, Britannia rules the waves. Une autre légende, forgée celle-ci par des vainqueurs. Une autre histoire... Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Thierry Lentz: « En vainquant Napoléon,

Londres s’est offert un siècle de domination mondiale... »

Pour Napoléon

Pour Napoléon, Éditions Perrin, 2021.

 

Certains réflexes claniques du Corse Bonaparte (népotisme, etc...) ont-ils contribué à la perte de Napoléon?

L’argument « clanique » a été utilisé notamment par les royalistes, Louis XVIII en tête, pour dévaloriser la politique familiale de Napoléon. Il est vrai qu’il a sans doute exagéré sur ce point, en confiant des trônes importants pour son système à ses frères les plus jeunes et incapables, Louis et Jérôme. Sans doute les traditions corses ont-elles joué. Ceci étant dit, l’essaimage des Bonaparte en Europe n’est comparable à celui des Habsbourg ou des Bourbons, voire par la mainmise de certaines familles dans la monarchie d’ancien régime, comme les Colbert sous Louis XIV. On le voit, corse ou non, le tropisme familial a toujours joué… et joue encore aujourd’hui.

 

« Sans doute a-t-il exagéré, en confiant

des trônes importants pour son système à ses frères

les plus jeunes et incapables. »

 

Napoléon a-t-il perdu pied après Tilsit, comme enivré à son apogée?

Après Tilsit et la victoire sur la Russie, Napoléon avait une grande liberté de choix pour la suite. Il pouvait, par exemple, se reposer et peaufiner son système européen. Sans doute, avec un peu de patience, l’Angleterre aurait-elle fini par négocier, la tentative avortée de 1806, qui avait capoté largement par la faute de Napoléon, le prouve. Mais alors qu’il avait assuré la prépondérance française sur le Continent, l’empereur des Français ne s’en contenta pas. L’occasion était trop belle, sa puissance trop grande pour qu’il ne continue pas à s’en servir. Il fit alors de mauvais choix, comme la prise de contrôle de l’Espagne - inutile tant ce pays était un satellite de la France - et l’absence de souplesse dans ses relations avec la Russie alliée. Une sorte d’engrenage, ignoré mais implacable, avait été mis en route.

 

« Napoléon n’a pas su se contenter de la prépondérance

française qu’il avait réalisée en Europe.

Il fit alors de mauvais choix... »

 

The Plumb-pudding in danger

Une des plus célèbres caricatures du temps de Napoléon, réalisée par l’artiste britannique

James Gillray en 1805. À gauche, le Premier ministre britannique Pitt Le Jeune, à droite

l’empereur des Français. Le partage du monde n’aura pas lieu...

 

Une grande paix de compromis aurait-elle pu être atteignable entre Français et Britanniques autour de 1807, une position prépondérante - pas forcément hégémonique, un pacte entre puissances s’en serait assuré - en Europe pour les uns, le contrôle des mers et l’accès aux marchés continentaux pour les autres?

L’ennemi le plus acharné de Napoléon s’avéra être l’Angleterre, libérée de la menace d’invasion suite à la destruction de la flotte franco-espagnole à la bataille de Trafalgar (octobre 1805). Après avoir sciemment fait capoter des négociations (été 1806) afin de poursuivre sa marche en avant de dicter « sa » paix en position de domination absolue du continent, Napoléon décida de la vaincre par là où, selon les Français, elle pêchait : ses finances et son commerce. La réputation de la « perfide Albion » était de vivre à crédit et de ne dépendre que de ses exportations. L’analyse était exacte dans ses grandes lignes mais la fragilité du système anglais comme les conséquences que pouvait avoir à court terme un dérèglement de ce système furent surévaluées. Côté anglais, la détermination était plus forte que les dérèglements. Albion finançait les guerres des autres, contournait souvent le Blocus continental et employait tous les moyens pour faire taire son peuple. Seul le temps aurait pu aboutir à un compromis. Napoléon ne se le donna pas, d’autant plus que la guerre que lui imposa l’Autriche en 1809 ne fit qu’accroître son sentiment d’invincibilité.

 

« Napoléon a surévalué la fragilité du système

socio-économique de son rival britannique. »

 

Tout bien pesé, la victoire du Royaume-Uni dans cette guerre des systèmes et sa domination du XIXème siècle a-t-elle constitué un préjudice évident, palpable quant au développement ultérieur de la France?

Napoléon fut vaincu à Waterloo, désastre militaire aux conséquences politiques et économiques immenses. Avec le second traité de Paris (20 novembre 1815) et les garanties prises par les vainqueurs durant le congrès de Vienne (qui s’était achevé en juin), l’ « équilibre européen » fut restauré presque dans sa configuration de 1789, à ceci près que la France était ramenée au niveau d’une puissance moyenne soumise à la surveillance de ses grands vainqueurs, Autriche, Prusse, Russie, Angleterre. Au niveau mondial, le gagnant principal était indubitablement cette dernière. Elle avait obtenu à peu près tout ce qu’elle souhaitait. Le commerce pouvait reprendre sur des routes maritimes contrôlées par elle et un marché européen libéré. Bien évidemment, Albion ne s’était mise à la tête d’une « croisade » de libération que pour la galerie. Grande importatrice de matières premières, déjà usine de transformation du monde et exportatrice de produits manufacturés, elle pouvait à nouveau s’approvisionner sans obstacle et inonder les marchés. Que ses élites aient toujours allégué un alibi « moral », libéral et pacifique, n’empêche pas de constater qu’en défendant « l’équilibre européen », elles protégeaient surtout un déséquilibre commercial en leur faveur. En ce sens, leur projet n’était pas moins hégémonique que celui de Napoléon, mais elles usaient de moyens d’une autre nature. Sans autres visées territoriales que l’occupation des carrefours commerciaux (Héligoland, Malte, îles Ioniennes, Cap de Bonne-Espérance, Mascareignes, …), elles visaient avant tout au contrôle des échanges et à l’élimination d’un concurrent trop puissant. Au large, la fragilisation des colonies françaises et hollandaises des Antilles, de l’océan Indien et du Pacifique était assurée. Que l’on y ajoute une indépendance des places financières et des tarifs douaniers raisonnables, et tout serait à nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Bien calée dans son île inexpugnable, l’Angleterre avait su se montrer patiente, endurante et prodigue avec ses alliés. Elle pouvait désormais rentabiliser l’investissement consenti pendant vingt ans et dominer le monde pour un long siècle.

 

« En défendant "l’équilibre européen",

les élites anglaises protégeaient surtout

un déséquilibre commercial en leur faveur. »

 

Interview : fin avril 2021.

 

Thierry Lentz 2021

 

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19 avril 2021

Benjamin Boutin : « Le combat de la francophonie, c'est celui du plurilinguisme »

L’article qui suit va me permettre d’aborder une fois de plus (voir, sur ce blog, les interviews avec Grégor Trumel, Valéry Freland et Fabrice Jaumont) une thématique qui me tient à coeur: la francophonie, ou le français en tant que richesse partagée, et sa vitalité dans le monde. Benjamin Boutin est entre autres (nombreuses) activités, le dynamique président-fondateur de l’association Francophonie sans frontières. Il a accepté de répondre à mes questions, je l’en remercie, ainsi que pour cette cause honorable qu’il défendUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Benjamin Boutin: « Le combat de la fran-

cophonie, c’est celui du plurilinguisme. »

Benjamin Boutin, avec Ousmane Drabo

Une photo de Benjamin Boutin sur le plateau de RFI avec le journaliste Ousmane Drabo.

 

Bonjour Benjamin Boutin. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a donné envie de vous engager pour la promotion de la cause francophone ?

pourquoi la cause francophone ?

À l’école, j’avais une prédilection pour les langues, notamment pour le français ; j’étais passionné par l’histoire, l’instruction civique et la géographie. J’eus la chance de voyager durant mon adolescence dans une vingtaine de pays et outre-mer. Cela forgea mon goût pour la rencontre des cultures et les échanges internationaux. 

En 2012, j’intégrai le master 2 Diplomatie et négociations stratégiques de l’Université Paris-Sud Saclay, dont le thème principal était la francophonie. Le parrain de ce master réunissant des étudiants et des professeurs de 23 nationalités n’était autre qu’Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie, ancien Président de la République du Sénégal. J’eus le grand honneur de le rencontrer en 2013.

Alors que je m’impliquais déjà au sein d’une association de jeunes francophones qui plaidait pour la diversité linguistique et culturelle dans les organisations internationales, je publiai mon premier article sur la francophonie dans La Tribune le 10 juillet 2013 et devins responsable des Débats francophones internationaux à la Conférence Olivaint, une association française de débat public et d’art oratoire.

À l’automne 2014, après avoir vécu en France et en Belgique, j’effectuai un stage à l’Assemblée nationale du Québec. On me confia le suivi des dossiers internationaux relatifs à la francophonie pour le compte du Chef de l’Opposition officielle. En 2015, j’intégrai l’École nationale d’administration publique (ENAP) du Québec, où je rencontrai des jeunes chefs de file, certains originaires de pays africains et caribéens francophones et plurilingue. Je deviens vice-président de l’Association étudiante de l’ENAP et fis de la francophonie ma priorité.

La même année, je partis enseigner en Haïti, pays partiellement francophone trop souvent résumé au seul fait qu’il est économiquement l’un des moins avancés de la planète. En 2015 également, je co-organisai une mission d’étude à New-York, à la rencontre de responsables d’organisations internationales. Une prise de parole à la Représentation permanente de la Francophonie auprès des Nations Unies me permit d’annoncer la tenue d’un colloque sur la francophonie que je préparai déjà depuis plusieurs mois.

 

« La francophonie est pour moi, un espace

de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation... »

 

Ce colloque international, intitulé « Quelle stratégie pour l’avenir de la francophone ? », eut lieu le 9 mars 2016 à Montréal, en présence d’une centaine de personnes et d’une trentaine d’intervenants de haut niveau. À cette occasion, nous présentâmes avec Marie-Astrid Berry le projet pilote de Francophonie sans frontières (FSF). Depuis, je n’ai cessé de m’impliquer pour la francophonie. Elle est pour moi un espace de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation. Elle représente surtout une voie d’accès à des millions d’êtres humains avec qui je peux échanger, grâce à notre langue partagée.

 

Que retenez-vous de votre expérience comme enseignant en Haïti ? En quoi cette aventure a-t-elle été différente, par exemple, de ce temps pendant lequel vous avez enseigné à Paris ?

enseigner à Haïti, et ailleurs

Enseigner à une cinquantaine de jeunes Haïtiens prometteurs au Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI) me sensibilisa aux richesses culturelles et spirituelles de ce pays. En Haïti, l’éducation ouvre véritablement une fenêtre d’espoir sur un futur plus prospère et apaisé. Comme l’écrivait Benjamin Disraeli (Premier ministre britannique de la fin du XIXè siècle, ndlr), de l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays.

Haïti est en proie aux difficultés. Les crises se succèdent. Malgré tout, je place beaucoup d’espoirs en la jeunesse. Celle, la plus éduquée, à laquelle j’ai eu affaire, est tentée par l’émigration. J’ai voulu transmettre à mes étudiants non seulement des connaissances sur le développement économique, la prospective, la géopolitique et la coopération, mais aussi les inciter à valoriser les atouts de leur pays et à préserver son patrimoine culturel et naturel inestimable.

Enseigner à Paris est une expérience différente mais non moins enrichissante. Depuis quelques années, je donne des conférences et des cours sur la francophonie, la diplomatie culturelle, la géopolitique, l’influence... Je compléterais volontiers cette offre par un cours de géoéconomie. Je suis aussi très attentif à l’évolution des technologies dans nos sociétés et dans nos vies.

 

« Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un

passeur de connaissance, voire d’un mentor. »

 

Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un passeur de connaissance, mais aussi comme celui d’un tuteur voire d’un mentor pour aider les jeunes à exprimer le meilleur d’eux-mêmes et à devenir d’honnêtes femmes et d’honnêtes hommes. Ce désir découle de l’instruction humaniste que j’ai moi-même reçue.

 

Quel regard portez-vous sur l’état de la francophonie dans le monde ? Est-elle, en 2021, stable, en déclin, ou plutôt en expansion ?

l’état de la francophonie

Son existence a une valeur propre qui ne dépend pas, selon moi, de sa variabilité. L’important est que la francophonie existe et rayonne dans le respect des autres aires linguistiques et culturelles. L’enjeu majeur est d’éviter la sur-représentation d’une seule langue dans les échanges internationaux. Le combat de la francophonie, c’est celui du plurilinguisme, qui nous permet d’exprimer les spécificités de nos cultures, de nos traditions, de nos idéaux dans toutes leurs nuances.

En 2021, la francophonie a comme atout d’être portée par le dynamisme démographique de nombreux pays, d’être représentée sur les cinq continents et d’être bien structurée en associations, en universités et en institutions. Cela lui donne un avantage.

Mais il manque encore quelques briques pour conforter la présence des langues françaises (oui il y en a plusieurs) dans les sphères économiques, médiatiques, numériques, artistiques, scientifiques : par exemple la structuration de filières économiques mutualisées, le développement et l’accessibilité d’une offre culturelle - notamment audiovisuelle - attractive, la mise en place d’une banque francophone d’investissement, etc.

 

« L’avenir de la francophonie est conditionné

à notre capacité à former et à mobiliser

un grand nombre d’enseignants. »

 

Sans être exhaustif, l’avenir de la francophonie est conditionné à notre capacité à former et à mobiliser un grand nombre d’enseignants. La demande éducative est forte, notamment en Afrique. Y répondre doit être la priorité des priorités des instances de coopération francophones.

 

Concernant le Québec et du Canada que vous connaissez bien : la langue française s’y développe-elle, y compris au-delà de ses espaces traditionnels ?

le français au Québec et au Canada

La francophonie québécoise et la francophonie canadienne sont deux réalités imbriquées et interdépendantes. Le Québec abrite une société majoritairement francophone, où les droits de la minorité anglophone sont garantis. J’aimerais que ce soit réciproque au sein du Canada majoritairement anglophone. Or, je constate et déplore des coupes budgétaires dans les services rendus en français, ainsi qu’un manque d’ambition pour assurer une éducation réellement bilingue, d’un océan à l’autre. Le bilinguisme français-anglais doit être un critère absolu pour la sélection des immigrants et pour l’accès aux emplois publics. En premier lieu, les ministres, les parlementaires et les hauts fonctionnaires doivent donner l’exemple.

Et n’oublions pas non plus les langues et les cultures autochtones qui doivent être respectées et valorisées, dans l’ensemble du Canada.

 

Comment défendre et promouvoir le français dans d’ex-pays de l’empire colonial français notamment, en évitant l’écueil du néocolonialisme ?

francophonie et liberté des peuples

Les politiques de ces pays dépendent de leurs peuples souverains. C’est à eux d’investir à la fois dans des programmes éducatifs, culturels, économiques, scientifiques et autres ainsi que dans les organisations internationales francophones crées par les pères de l’indépendance (Senghor, Bourguiba, Diori, Sihanouk…) s’ils considèrent, comme leurs grands aïeux, que le français et le plurilinguisme sont de formidables outils de connaissance, de prospérité, de dialogue interculturel et de paix.

L’élan de la francophonie dépend fortement de la volonté des sociétés civiles organisées en associations, en coopératives, en syndicats et en conseils économiques, sociaux et environnementaux. Ces forces vives peuvent et doivent lancer des initiatives pour la francophonie, comme le fait Francophonie sans frontières, et inciter leurs gouvernements à développer des programmes pour stimuler la francophonie locale, régionale, nationale et internationale.

 

« En Europe, le français est la deuxième langue

la plus parlée et la plus apprise. »

 

Je rappelle aussi que la francophonie n’est pas seulement constituée de pays issus de l’ancien empire colonial français ou belge. Un certain nombre d’États qui n’ont jamais subi cette colonisation choisissent le français comme langue d’enseignement, de culture, de tourisme, d’affaires… En Europe, par exemple, le français est la deuxième langue la plus parlée et la plus apprise. En Amérique latine et même aux États-Unis, la francophonie est attractive parce qu’elle est synonyme de mieux-être, de culture et d’art de vivre. Apprendre cette langue confère des atouts dans tous les domaines, y compris dans la sphère professionnelle.

 

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures sont des concepts nobles, qui vous parlent. Quel rôle pour le français, et quels atouts jouer en la matière ?

de la diversité culturelle

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures constituent l’une des sources de mon bonheur. Et le mot n’est pas trop fort. À ce titre, la langue française représente un pont de compréhension et de coopération extraordinaire ; mais celui ou celle qui la pratique doit être animé par un esprit d’ouverture et d’accueil. La langue française, seule, n’est pas une baguette magique. Et comme toutes les langues, elle peut être utilisée à bon ou mauvais escient. C’est la raison pour laquelle le mouvement francophone doit être, à mon sens, animé par l’éthique, ce chemin de réflexion et d’action vers la juste décision, qui commence par la considération pour autrui et pour sa culture.

 

De fait, l’espace francophone est extrêmement divers : pourquoi cette richesse collective-là n’est-elle pas davantage mise en avant, notamment auprès du grand public ? Que faire pour rendre la francophonie populaire comme peut l’être, par exemple, l’anglais du Commonwealth ?

et le grand public ?

Le Commonwealth est une organisation politique centralisée autour du monarque britannique en exercice. Bien que je le respecte et que je trouve plusieurs de ses initiatives positives, ce n’est pas ma conception d’une francophonie multipolaire et décentralisée.

Faire connaître la francophonie au grand public et notamment aux jeunes, développer l’engagement et le sentiment d’appartenance à cette communauté de langue et de destin, c’est précisément ce à quoi je m’emploie depuis mes jeunes années. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons fondé avec Marie-Astrid Berry Francophonie sans frontières (FSF), l’association des francophones engagés.

Nous offrons avec FSF un espace de coopération, disponible à l’ensemble des francophones et des francophiles volontaires qui adhèrent à notre mission et à notre charte éthique élaborée avec notre partenaire principal, René Villemure Ethicien.

 

Que faites-vous concrètement pour promouvoir la langue française, et quel bilan tirez-vous de votre action en la matière jusqu’à présent ?

actions concrètes

Notre association internationale fait feu de tout bois, avec des moyens qui sont pour le moment assez limités. Nous pourrions faire plus avec davantage de moyens. Mais la vision que nous proposons d’une francophonie joyeuse, intergénérationnelle, ouverte, amicale, favorisant les synergies et les projets, est extrêmement attirante.

Concrètement, nous structurons des équipes et des modes d’action, nous mettons en place des systèmes d’échange, d’adhésion, de communication et de formation pour créer une culture associative commune.

 

« La magie du monde associatif permet d’imaginer

et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment

de réflexion, d’énergie et de cœur... »

 

Nous organisons différents types d’événements comme Les Matins francophones et Les Coulisses de la francophonie. C’est cela la magie du monde associatif : être libre d’imaginer et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment de réflexion, d’énergie et de cœur.

Nous intervenons également dans le milieu scolaire et universitaire, nous organisons des colloques et des conférences en ligne, nous organisons une école d’été et nous diffusions une émission de radio, La Voix de la diversité.

Nous coopérons aussi avec d’autres associations et institutions mais aussi avec des entreprises désireuses de s’engager pour la francophonie comme l’Hôtel Château Laurier à Québec, un établissement « franco-responsable ».

Francophonie sans frontières est une aventure toujours en mouvement. Notre organisation non-gouvernementale mériterait davantage de soutien, parce qu’elle a vocation à perdurer afin de créer des liens durables pour la francophonie. C’est sa raison d’être.

 

Je note que, parmi vos sources d’inspiration majeures, il y a le grand poète et écrivain Léopold Sédar Senghor. Quels ouvrages, de lui et d’autres, auriez-vous envie de recommander, aussi bien à des non francophones qu’à des francophones d’ailleurs, pour s’imprégner à la fois de la beauté des lettres et de la diversité culturelle de ceux qui parlent notre langue ?

Senghor et les auteurs francophones

De Senghor, j’apprécie autant la poésie que les discours, deux genres qui expriment les multiples facettes du poète-président sénégalais et français, enraciné et universel, pragmatique et spirituel.

Pour en savoir plus sur Senghor, je vous conseille la lecture d’un livre écrit de sa main intitulé Ce que je crois (Grasset) ainsi que du livre de Jean-Michel Djian, Léopold Sédar Senghor. Genèse d’un imaginaire francophone, paru chez Gallimard.

La Voix de la diversité, l’émission de radio de FSF, diffusera bientôt une série de chroniques consacrée à Senghor, présentées par l’agrégé de Lettres classiques Anthony Glaise, à qui j’ai confié la responsabilité de coordonner l’Année Senghor de Francophonie sans frontières. 2021 marque en effet les vingt ans de la disparition de Senghor. Nous soulignerons son héritage francophone humaniste lors d’un colloque à Paris et d’une grande conférence à Dakar.

 

 

« En ce 400e anniversaire de la naissance de

Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables

et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence. »

 

La beauté des lettres françaises et la diversité culturelle de la francophonie sont infinies. Il m’est difficile de recommander un livre en particulier. Mais puisqu’il faut se prêter à l’exercice, je conseille aux francophiles la lecture du Dictionnaire amoureux de l’Esprit français de Metin Arditi (Plon Grasset) ou encore le roman d’une jeune auteure franco-mauricienne de talent, Caroline Laurent, intitulé Rivage de la Colère (Escales). Et puis, en ce 400e anniversaire de la naissance de Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je continuerai d’être là où j’estime être utile par mes initiatives, mon expertise et mes valeurs. La francophonie mobilise beaucoup de mon temps actuellement ; néanmoins, j’ai d’autres dossiers à faire avancer.

En plus de mon engagement social, j’ai sur le feu plusieurs projets de création. J’ai notamment deux projets d’écriture bien avancés, qui pourraient voir le jour avec le concours d’une éditrice ou un éditeur.

On n’arrive jamais à rien sans l’aide de personnes de bonne volonté qui regardent à peu près dans la même direction que soi. J’ai beaucoup d’envies et d’idées. J’aime créer, fédérer, transmettre et donner le meilleur de moi-même. Mais il y a aussi une part d’inconnu et de hasard dans la destinée. Je l’accepte et je vous dirais même que je l’accueille.

 

Un dernier mot ?

… pour vous remercier de votre attention.

Interview : mi-avril 2021.

 

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