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Paroles d'Actu

2 août 2016

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

Cet article-ci n’a pas grand chose à voir avec la plupart de mes publications habituelles, qui bien souvent portent sur des points assez lourds - y’en a-t-il qui soient réellement légers, surtout en ce moment ? - d’actu. Cet article est d’abord né d’un vrai coup de cœur perso. J’ai eu envie d’offrir cet espace d’expression à Lucas Fernandez, un garçon de qualité, de talent(s), un jeune au potentiel élevé. Lorsqu’il m’a parlé pour la première fois de sa pratique de la boxe, discipline que je ne connais pour ainsi dire pas du tout, il l’a fait avec une telle passion, un enthousiasme tel qu’il a réussi à m’intéresser vraiment. Il aurait sa place dans les colonnes de Paroles d’Actu. Forcément.

Depuis la première proposition, il y a eu sur ce blog, en matière de sport, une tribune libre offerte au champion du monde de boxe Mahyar Monshipour et que j’ai, justement, spécial-dédicacée à Lucas, et l’interview fleuve réalisée avec Julien et Gérard Holtz au début du mois de juillet. L’échange qui nous concerne aujourd’hui, après avoir failli tomber à l’eau à plusieurs reprises, s’est finalement fait le 26 juillet. En live intégral, une première dans l’histoire de Paroles d’Actu. Les confidences cash, sans fard ni filet d’un jeune mec de 19 ans, parfois drôles, souvent touchantes et qui en tout cas sonnent à chaque fois justes et vraies. L’occasion également d’évoquer le trente-cinquième anniversaire du club Full Contact Gym Boxe qu’a fondé son grand-père Carlos Fernandez à Vienne (Isère). Un article à découvrir en texte (entièrement retranscrit à la main, ouch !) et en audio, parfois en vidéo, étape par étape, au fil des surprises, jusqu’au petit clin d’œil final. Je ne sais pas si, voyant passer cette publication, Google News décidera de me sucrer son référencement ; tant pis, je prends le risque : c’est et ce sera un bel article, et il en vaut la peine... Merci beaucoup à vous qui y avez participé. Heureux 35 ans au club... et bonne route, Lucas... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Paroles de passionnés : Lucas Fernandez

et le club Full Contact Gym Boxe de Vienne »

 

Partie I: l’interview de Lucas Fernandez

réalisée le 26 juillet 2016

L

 

Tu te présentes ?

Je m’appelle Lucas Fernandez, j’ai 19 ans. Je suis né le 14 janvier 1997 à Sainte-Colombe (Rhône). Je viens d’avoir mon Bac professionnel en alternance Commerce section Européenne. Je vais partir un an dans les écoles EF à Brighton (Angleterre) pour étudier la langue. Je travaille actuellement en job étudiant à Easydis, Grigny.

Niveau sport, je ne fais rien actuellement. Je vais reprendre la boxe en Angleterre après l’avoir pratiquée pendant dix ans.

 

Ta découverte de la boxe : les premières

impressions et sensations

Au départ, j’ai commencé par le foot, comme je pense beaucoup de Français, beaucoup de jeunes. Le foot, parce que tous les copains de l’école jouaient du foot. On y jouait déjà dans la cour. D’abord le foot, donc. Mais comme mon grand-père avait son club de boxe c’était un peu une obligation d’en faire. Les premières fois, j’allais à la salle et je donnais des cours de gym aux grands-mères, avec mon grand-père, je devais avoir entre 6 et 8 ans... Avec les petits poids, etc... Mes plus vagues souvenirs. Je voyais déjà les anciens boxeurs, parce qu’à l’époque il y avait des professionnels, comme Abdel Jebahi, qui a été champion d’Europe. Pas mal de bons boxeurs du coin comme Bouzidi Belouettar... des jeunes et bons boxeurs.

J’ai commencé la boxe à 7-8 ans. À part les cours, j’ai commencé par l’éducative. J’aimais pas, déjà parce que c’était une obligation. Mes potes faisaient du foot, j’avais aussi essayé le basket, etc. Moi je voulais rester dans le foot. Mon grand-père me disait que les sports de combat, ça allait m’aider, surtout qu’à l’époque, j’étais plus timide, très gentil. Je me laissais plus marcher dessus quand j’étais petit. Ça m’a aidé à m’endurcir, à m’affirmer. La sociabilité je l’ai toujours eue. Le caractère, c’est venu après. Par la boxe et aussi par les hauts, les bas de la vie. Je retiens bien les choses, du coup, j’analyse beaucoup. Je garde beaucoup les choses pour moi, surtout avec ma famille, où c’est quand même un peu plus bridé. On est très sociable, on rigole bien mais il y a une vraie pudeur.

Ce que j’ai aimé, c’est la compétition. Dès que j’ai commencé la compétition, à ce moment-là j’ai vraiment commencé à aimer la boxe.

 

Ton style de boxe ?

Les premières années avant la compétition il y a eu l’éducative, j’ai dû en faire deux ans. On apprend les bases. La corde, déjà, rien que la corde. Trois années au moins avant de maîtriser. On croit que c’est facile, que c’est un truc de fille, mais en fait c’est pas si facile. Ce qui est dur déjà avec la corde, c’est de ne pas s’emmêler les pieds. De trouver son rythme. Après, avec l’expérience, on se débrouille un peu, on fait des accélérations, doublées, croisées... On prend un peu un style, style parfois à l’américaine. On essaie de nouvelles choses qu’on peut voir à la télé... La corde à sauter c’est très bon pour le cardio, ça aide pas mal.

On travaille aussi le déplacement, la garde. Quand j’ai commencé, j’avais la garde haute. Toujours, parce qu’on commence toujours en apprenant les gardes de base. D’année en année, j’ai adopté un peu plus la garde basse, à part dans les contacts, un peu à la Muhammad Ali ou comme les boxeurs colombiens. On a boxé aussi sur les deux gardes, comme beaucoup de boxeurs colombiens - ça c’est un style que j’aime beaucoup. Les mecs sont vifs, et quand tu sais boxer sur les deux gardes, tu peux boxer aussi facilement contre un gaucher que contre un droitier. Et ça déstabilise, puisque ça n’est pas les mêmes attaques. Mon style : « vif ».

 

On souffre quand on est boxeur ?

Oui ! J’ai deux-trois souvenirs... Pour moi, le truc qui était un peu compliqué, c’est que c’était mon grand-père, l’entraîneur à l’époque où j’ai commencé. Jusqu’à ma dernière année de compétition en éducative, c’était lui. Et mon grand-père, il est, comment dire... pas comme un militaire, mais quand même assez froid. Et comme c’était moi, il fallait que je sois le meilleur. Ce qui me faisait de la peine, c’est qu’il félicitait tout le temps les autres, alors qu’il était plus dur avec moi. Mais après, ça m’a beaucoup aidé. Surtout en éducative : à la fin, je boxais contre des amateurs et des pro ou semi-pro.

Le vendredi soir. Je m’entraînais à cette époque avec Paul Omba Biongolo, qui sera aux Jeux olympiques à Rio. Notre point commun, c’est qu’on était doué. Lui, c’est un mec qui a la technique, il a de la frappe, c’est un puncheur. Il est dans les poids lourds, et il fait mal. Depuis tout petits qu’on était ensemble, ça a toujours été une « brute ». Il y a surement des gênes, puisque son père avait été champion d’Afrique - c’était mon grand-père l’entraîneur. Lui, il avait ça, et moi, comme me disait mon grand-père, j’avais la malice. J’avais beaucoup de cardio, j’avais de la technique. J’apprenais à bien et vite m’adapter aux boxeurs. Il y a aussi le mental : sans mental tu ne montes pas sur le ring. Tout le monde croit que c’est facile, mais c’est pas le cas. C’est des rounds de trois minutes. Il faut avoir l’endurance, la niaque. Savoir encaisser. Si tu te fais mal, ne pas te plaindre. Il y en a beaucoup que j’ai vu pleurer après avoir perdu. Après, c’est une question de fierté : moi, j’ai jamais pleuré. Même après une défaite, j’ai toujours serré la main de mon adversaire. Jamais fait de manière, à dire que c’est l’arbitre, etc... J’ai déjà eu les boules, surtout les dernières années, où je me suis fait voler. Mais c’est le sport : il y a toujours eu du vol, il y en aura toujours.

(...) Pleurer aux entraînements ça m’est peut-être arrivé deux fois, parce que moi je pleure pas beaucoup. Je me rappelle d’un entraînement, c’était ma dernière année. Il y avait ma petite copine de l’époque qui était venue. Comme dit mon grand-père, certaines semaines ça va, d’autres quoi que tu fasses, t’arrives à rien. On rentrait de l’entraînement. Je parlais pas dans la voiture. Je sentais que ça venait... Je sentais qu’il y avait la mort, parce que j’avais ramassé, ce soir-là. Y’avait Marvin Falck, qui avait fait champion d’Europe cette année-là, qui était dans mon club, en full contact. J’avais fait deux-trois rounds contre lui. Moi je boxais. On avait fait des sparring. J’était toujours le même boxeur, et je tournais contre trois mecs. Du coup, à chaque fois qu’ils rentraient sur le ring, ils étaient frais. Toi, t’as déjà enchaîné un ou deux rounds. Surtout contre des mecs comme Marvin et d’autres bons sportifs. Quand t’y arrives pas, t’as les nerfs. Tu te bas. En plus il y avait ma copine, alors t’as encore une fierté, une pression en plus. Et j’ai craqué. En bas de chez moi, je me rappelle... J’ai pleuré pendant au moins une heure, dans la douche. C’était il y a trois ans.

 

Des moments, des combats marquants ?

Quelques uns, oui. Là j’en ai un en tête. C’était dans la Loire. Je boxais contre un Algérien, une racaille un peu. Je l’ai pas montré, mais il était venu avec ses potes de quartier. Moi, je suis toujours resté le mec à rigoler dans les vestiaires, etc. On se voit tous, on se connaît, c’est un petit monde. Surtout quand tu fais les championnats de France, etc. Ce jour-là donc, j’avais une plus grosse pression, parce que je m’étais laissé impressionner par l’image du mec. Comme beaucoup dans la rue, quand on voit la racaille on baisse les yeux. C’est des mecs qui sont tellement dans leur film, je pense, tellement dans leur image, ils montrent une telle confiance que toi, ça te remet en question. Dans la rue, certaines personnes vont prendre peur quand on va leur demander l’heure. Avec l’effet de groupe, etc. C’est une question d’image avant tout.

Je me rappelle, donc, de ce combat. Pendant le premier round, je me laissais dépasser par cette peur. La peur on l’a toujours, ou en tout cas le stress, même quand on est sûr de gagner. Tout le monde l’a. Moi, mon truc, c’est que j’avais tout le temps envie de pisser, je le faisais au moins quinze fois... Pour ce combat, mon grand-père me disait, dans le ring, que quand il était jeune, quand il voyait un Arabe ou un noir, ça lui mettait encore plus la niaque, pas par racisme mais parce que souvent ces mecs-là se croient dans leur film, avec leurs préjugés sur les blancs, etc. Ils se croient à part alors que tout le monde est pareil. Et les deux rounds suivants, je l’ai mené, facile. Tous ses potes de quartier étaient un peu choqué et m’ont félicité à la fin du combat.

Autre bon souvenir : la première année où j’ai fait champion de France. La première fois que j’y allais, c’était à Angers, en éducative. Toute la France était là : des Corses, des Réunionnais, etc... C'était super bien. J’y suis allé trois années de suite. La première année, j’ai eu la médaille de bronze après avoir perdu en demie. Une bonne expérience, vraiment. Les deux années suivantes, j’ai fait champion de France.

En fait, plus j’ai passé des échelons, plus j’ai apprécié. Les dernières années j’ai un peu baissé les bras. J’ai eu des frustrations par rapport au fait de m’être fait voler, mais aussi je dois le dire, je travaillais moins. Mon problème, c’est que j’étais doué - quand j’étais à l’entraînement je travaillais beaucoup - mais j’étais feignant à y aller. Comme mon grand-père, encore lui, m’a toujours dit, quand tu es champion, tu as passé un cap, mais le plus dur c’est de rester à ce niveau. Aujourd’hui son idole c’est Teddy Riner : depuis ses 17 ans il est champion du monde, et le mec il est toujours là. Il s’est toujours remis en question et toujours imposé. D’autres qui ont son âge et qui ont commencé quand lui a commencé le voient comme l’homme à battre absolument. Tu te dis, arrivé là, que des mecs s’entraînent uniquement dans le but de te battre, de te détruire, de prendre ton titre. La roue tourne, il ne faut pas prendre la grosse tête. Mais parfois, malheureusement, il y en a qui tombent là-dedans... Moi j’ai pas vraiment eu la grosse tête, mais était tombé dans l’adolescence, il y a eu les soirées, etc... Maintenant je regrette un peu. Je vais peut-être reprendre un jour mais... Après, moi j’ai fait l’amateur, et c’était très bien. Les dernières années surtout j’avais envie de me lâcher un peu sur les coups. En amateur, tu as droit au KO. C’est une autre expérience. De vrais coups, l’arbitre laisse plus le contact, le cardio c’est pas le même, etc.

Je cite beaucoup mon grand-père parce qu’il est un modèle pour moi et que beaucoup des choses qu’il m’a dites ou des conseils qu’il m’a donnés ont été justes.

 

Tes grosses déceptions ?

J’ai toujours essayé de tout faire sans regret. Peut-être d’avoir un peu lâché les dernières années, de m’être moins entraîné. Parce que là, quand j’ai remis les gants les derniers temps, les mecs qu’à l’époque je battais ont pris du niveau. Comme mon grand-père dit souvent, c’est les mecs qui bossent plutôt que ceux qui sont doués à la base qui s’en sortent. Le talent sans travail ça ne marche qu’un temps. Abdel Jebahi me racontait que, quand il était gamin, ses frères étaient tous meilleurs que lui. Lui n’était pas costaud. Il venait quand même, mais n’a jamais rien lâché. C’est devenu le meilleur. C’est comme un pote à moi, Quentin Drevon, poids léger, tout mince. Lui, tous les ans, nous on avançait aux championnats du Lyonnais et lui se faisait éliminer dès les premiers tours. Je crois qu’il a dû mettre cinq ou six ans avant de faire ses premiers titres. Ce mec est toujours venu aux entraînements, sauf pour des enterrements, etc. Il ne lâchait rien. Là, il a arrêté pour les études, mais c’est le genre de mec qui ne sont pas bien quand ils arrêtent. Moi j’étais doué. C’est comme mon grand-père, quand il a commencé les sports de combat, il se battait beaucoup dehors, du coup il y a déjà une appréhension. Moi je suis né comme ça. Ça te vient tout seul. Je me la racle pas, je me la suis jamais raclé : y’a très peu de gens qui savent que j’ai fait des titres en champion de France, des compétitions, etc. Je l’ai jamais dit, parce que je trouve que ça ne sert à rien, il y a toujours meilleur que soi et pire que soi. On en parle en club, mais j’ai jamais jalousé les gens.

Quand on était en éducative, avec mon pote Valentin Armada, aux championnats du Lyonnais, on était dans la même catégorie. Du coup on devait s’affronter. Moi j’ai eu le choix, ou de monter d’une catégorie, ou de l’affronter. J’ai pensé au côté amical, du coup j’ai changé de catégorie, et c’est lui qui a fait champion de France, deux années d’affilée, alors que j’avais un niveau largement supérieur à lui. Je me suis fait voler à Marseille, après j’ai arrêté. Récemment j’ai remis les gants avec lui... et je le tiens toujours. Il a fait ses titres, c’est bien. J’ai fait un choix, je le regrette pas. Lui n’avait jamais fait de titre avant. Au moins, il a eu son heure. J’ai été content quand il a été champion. Après, tu te poses toujours des questions...

Parfois, il y a des mecs qui ne font jamais de compétition, ils sont dans les salles avec un niveau supérieur à des gens qui font des titres. Ce qui est bien, c’est que la boxe c’est un sport d’individualité, mais aussi collectif. Sans les collègues du club, tu n’évolues pas. Tu as besoin d’eux parce que tu apprends à chaque combat, tu ne peux pas affronter uniquement un sac ou une vitre, faire du shadow contre toi-même. Il faut se battre avec des gens qui ont du niveau et ne pas toujours avoir les mêmes adversaires ou des adversaires faciles. Tu t’habitues trop quand c’est des collègues. Quand il y a un challenge, tu apprends plus.

 

Des modèles, des figures qui t’inspirent ?

Déjà il y a les grandes stars, Tyson, Ali... Ils ont créé leur style, à leur époque. Après, j’aime beaucoup les Mexicains, qui ont un mental de taré, ils ne lâchent rien, ou même les Thaïlandais - je fais un peu de boxe thaï. J’ai eu la chance d’aller en Thaïlande. Je voyais des gamins de 8 ans blessés ; les mecs ils ne pleurent pas, il n’y a pas papa-maman derrière. Chez nous, il y en a un qui saigne du nez, ça y est, c’est la fin... Ils jouent un peu leur vie et ils ne naissent pas dans les mêmes conditions que nous. Ils savent bien se battre, mais j’ai pas ressenti d’agressivité dans la rue là-bas. Alors que chez nous, les gens ne savent pas se battre, mais on se sent plus menacé... Alors que c’est qu’une image. Parmi les gens que j’admire aussi, il y a Mayweather, même si c’est un businessman et qu’il se la racle... c’est une légende.

 

Rocky ?

Oui c’est une inspiration, je pense qu’il a poussé beaucoup de monde a faire de la boxe et des sports de combat. Quand je regardais ces films, j’avais toujours envie d’aller à l’entraînement après. Ça a quelque chose d’inspirant. Il y a beaucoup de films comme ça : tu sors du cinéma et tu te dis, « J’ai envie de faire ça ». Parce que ça fait rêver, c’est inspiré d’une réalité. Tu regardes les premiers Rocky, parfois c’est abusé, mais quand tu vois le dernier, Creed, c’est inspirant et c’est souvent juste et vrai. Des films avec beaucoup à la fois d’adrénaline et d’émotion. Il y a la mort, la maladie... On voit aussi que le sport de combat évolue, il y a les MMA (arts martiaux mixtes, ndlr) maintenant, et ça c’est bien. Ces mecs-là sont complets et pour moi ils sont des idoles parce que, souvent, c’est des machines. Des bêtes, des tueurs. Ils sont dans une cage, c’est des combats libres. Le mec, tu le croises dehors, il te tue.

 

C’est quoi un bon boxeur ?

Dure cette question. Il ne doit pas y avoir que le résultat, il y a la personne aussi. C’est comme pour tout sport. Il y en a qui vont être de gros connards de la vie et qui vont réussir et d’autres, des pauvres mecs qui vont s’acharner sans jamais réussir. Pour moi un bon boxeur doit être complet. Il soit savoir se remettre toujours en question, être humble et travailler. Tu peux peut-être plus te lâcher en fin de carrière, quand tu as fait tes preuves. Et même là, tu as toujours à prouver, parce qu’il y a toujours meilleur que soi quelque part. Et quand tu vieillis, il y a les jeunes qui arrivent, tout frais...

C’est comme avec mon pote Paul, qui fait les JO ; tous les mecs du quartier de l’Isle (Vienne, Isère, ndlr) sont derrière lui. Ils lui jettent un peu des fleurs alors qu’il y a des années, c’était pas la même. Là il y a le côté un peu people : il est passé sur beIN, il est passé sur France 3, ils sont sponsorisés par Lacoste... Quand tu es populaire, je pense qu’il faut savoir trier un peu. L’entourage. Écouter les bonnes personnes parce qu’il y a de mauvaises personnes qui sont là pour de mauvaises raisons, pour le pognon... Comme disait un de mes entraîneurs, Olivier Perrotin, il ne faut pas oublier que la boxe, c’est pas comme footballeur où tu peux gagner des millions. La boxe, il y en a qui meurent en Afrique pour des 150€. Ils sont lâchés, les mecs, pour des 150 balles ils se mettent sur la gueule jusqu’à crever... Les professionnels eux ont des séquelles. Ali est mort il y a pas longtemps, il avait Parkinson... ils sont ravagés, souvent, les pro. Mais comme plein de sport : les rugbymen, le foot américain, les sports d’impact. On dirait pas, mais quand tu reçois des coups de poing... Et encore, ça a évolué, les gants...

 

Que t’inspirent les gens dont la boxe est le métier ?

Je me dis qu’ils ont de la chance. Vivre de sa passion, c’est le meilleur métier du monde. Pas que dans le sport : les artistes, etc... Les mecs, ils se lèvent le matin, et vraiment ils kiffent. Ils montrent ce qu’ils aiment ; leur trip, leur vie, c’est ça. Mais il faut du courage aussi parce que c’est pas toujours facile. Même le foot. Je pense à un pote à moi qui est à Évian, en centre de formation. Dans le foot il y a du bling bling mais faut pas voir que ça : souvent, ils n’ont pas trop d’adolescence et doivent faire des sacrifices.

 

Que représente la boxe pour toi aujourd’hui ?

Pour l’instant, je suis un peu en retrait mais ça restera une passion. J’ai grandi avec, donc ça restera. La boxe m’a appris beaucoup de choses. La boxe, ça forge en tout. Les difficultés, comme ma famille m’a toujours dit, tu en as tous les jours. La jalousie, il y en aura tout le temps. Dans le sport c’est pareil. C’est un affrontement. Aujourd’hui, tu affrontes un boxeur mais demain tu affronteras peut-être la misère. Sans compter qu’il y a toujours un combat contre soi-même. Tout est combat : le combat du chef d’entreprise qui va devoir affronter son travail tous les jours, il a une pression...

Quand tu es champion, tu as cette pression. Et quand tu es en haut, dans la lumière, tu as plus une pression parce que tu n’as pas droit à l’erreur. Tout le monde croit en toi, et parfois c’est lourd à porter, pas facile à assumer. C’est encore plus compliqué aujourd’hui, avec l’omniprésence des médias, etc. Pendant l’Euro, un joueur pouvait être traité en roi l’espace d’un match avant d’être descendu celui d’après... Pour la famille aussi, ça doit être dur. Être dans la lumière, c’est loin d’être bon tout le temps. Par rapport à ça, ce qui est bien, c’est les gens, sportifs ou autres, qui se créent une image, un personnage pour le public. Tu joues un rôle en public, et je pense que ça peut les protéger. Moi je pense que je ferais ça. Renvoyer une image... pour continuer de faire rêver un peu les gens, c’est ça qu’ils attendent...

 

Qu’as-tu appris sur l’aspect gestion d’un club ?

Ça va faire 35 ans à la rentrée que le club existe. Mon grand-père, je précise, c’est Carlos Fernandez. L’aspect business, je l’ai jamais trop approché. D’après mon grand-père, c’est beaucoup d’investissement personnel. Il m’a toujours dit qu’un jour il avait été touché par ce que lui avaient dit ma mère et mon oncle, qu’il était plus avec ses boxeurs qu’avec ses enfants. Ça lui avait fait mal. Mais les vrais entraîneurs, les vrais passionnés, en général ils ne font pas gaffe. Même sans vouloir blesser. C’est vraiment beaucoup d’investissement personnel et de sacrifices.

Pour l’aspect business, les déplacements, il faut les payer, la salle et le matériel il faut les payer... après, même si c’est une association, il faut trouver les fonds, etc. Mon grand-père a organisé beaucoup de galas. Il faut trouver les sponsors. Il a beaucoup de connaissances, donc ça l’a beaucoup aidé. C’est bien qu’il y ait des gens comme ça. C’est des passionnés et s’il n’y avait pas de gens comme ça, il n’y aurait pas d’évènements. Je pense que parfois il a pris des risques mais il faut ça, avoir les « couilles » de prendre des risques. Après, ça passe ou ça casse... la vie, il y a des hauts et des bas.

 

Comment se porte la boxe en France ?

Les choses sont beaucoup bridées en France. Ça se développe, mais pas comme aux États-Unis, en Russie, etc. C’est pas la même mentalité, pas le même esprit... Je parlais tout à l'heure du MMA, en France c’est interdit. Du coup, les combattants français vont boxer à l’étranger. Beaucoup de choses changent chaque année, les règles etc... C’est plus en haut que ça se passe, comme avec la FIFA pour le foot...

 

Tu te verrais prendre la suite du club un jour... ?

Je sais que ça rendrait fier mon grand-père, il me l’a toujours dit. Il est content quand je vais à la salle. Aussi parce qu’il faut parfois retirer les mauvaises plantes. Il a toujours dit que quand il y a une mauvaise plante dans un groupe, il faut l’enlever, parce qu’elle peut contaminer l’ensemble. C’est vrai pour tous les sports.

Après, reprendre le club, oui et non. Faire quelque chose de bien, si j’en ai les moyens un jour, oui, franchement oui... Il y a un vrai potentiel. Et c’est bien parce que c’est dans un quartier. Peut-être pas forcément à Vienne, peut-être ouvrir quelque chose ailleurs... mais déjà, ouvrir quelque chose dans un quartier, c’est bien. Parce que ça fait venir tous types de populations, et les gens se mélangent. Saint-Fons, Saint-Priest, etc... c’est bien parce qu’il y a de la racaille mais aussi des parents, etc. Dans mon club aussi il y a des mecs de quartiers, mais il y en a moins, parce que quand ils ne sont pas dans leur élément, ils restent pas. Beaucoup de bla-bla et quand les difficultés arrivent, ils s’en vont. Ils sont dans leur film. Dans mon club, il y a eu deux boxeurs qui sont au GIGN, des mecs de la police, etc. Et il y a des blancs, des noirs, des Arabes... pas de frontière, on est tous là pour la même chose, pour apprendre le combat. C’est bien, surtout pour les jeunes, surtout maintenant.

Tout le monde devrait avoir comme moi j’ai eu l’exemple de ce grand-père. Ça te fait capter les choses. Après, des conneries, on en fait tous. Mais tout le monde aurait besoin de ça, de cette école de la vie pour prendre de bonnes bases. Je suis déconneur, je mange la vie mais je sais me remettre en question. C’est déjà beaucoup. Beaucoup de gens n’y arrivent pas. Et il y en a qui coulent. Certains qui fuient parfois jusqu’au suicide. Mais c’est pareil, fuir et avoir les couilles : il en faut pour se tirer une balle dans la tête ou pour se pendre... Il faut toujours se rappeler que du jour au lendemain tout peut partir, et parfois c’est dur à supporter...

 

Où, comment te vois-tu dans 5 ans ?

Dans 10 ans... ?

J’espère être au mieux. Pas malade, etc. La pêche, toujours. Où je me vois ? Déjà, j’espère avoir fini mes études. Avoir passé les caps que je veux, niveau études, niveau investissements, dans la vie, etc. Même si j’ai 19 ans, malheureusement maintenant il faut penser à l’avenir jeune. Comme ma mère dit, il faut profiter de sa jeunesse parce que ça passe vite, mon père me le dit aussi... mais il ne faut pas oublier que maintenant c’est dur, c’est dur en France, ailleurs aussi. Il faut voir loin. Pas forcément faire le gourmand, il faut avancer étape par étape, mais voir loin. J’espère être au plus loin que je veux et atteindre les objectifs que je veux.

Dans dix ans... je serai peut-être posé, on verra. Surtout, ne pas se faire de film. Rester moi-même. Se fixer des objectifs et avancer dans la vie correctement.

 

Un message pour quelqu’un ?

Déjà, c’était un plaisir de faire cette expérience, que j’avais jamais faite auparavant. Je me rends un peu plus compte de comment ça se passe, les YouTubeurs, etc... Être derrière et devant une caméra, confier ses pensées... et franchement c’est cool ! Parfois il y a des choses qu’on pense mais qu’on n’ose pas dire. Et là on se livre. Le truc, c’est que moi je parle pas sérieux avec tout le monde. J’ai toujours été un peu le déconneur, le fou du groupe, avec mes potes. Mais on peut pas parler de choses sérieuses avec tout le monde. Tout le monde n’est pas ouvert sur tout. C’est malheureux parce que normalement tout le monde devrait parler de tout. Mais le problème c’est que souvent les gens ont une pudeur, ils se mettent des barrières.

Passer un message, oui à ceux qui se reconnaîtront dans ce que je dis. Merci à mon grand-père qui m’a appris la boxe, à mon père et ma mère qui m’ont appris pas mal de choses. Les paroles que normalement tout parent devrait avoir pour ses enfants. Voilà... globalement, un merci collectif.

 

Que peut-on te souhaiter ?

Pas facile comme question... me souhaiter le meilleur. Le meilleur sans prendre la grosse tête. Rester humble. Et si un jour j’ai la chance d’évoluer vers le haut, jamais oublier d’où je viens, je pense que c’est important... Moi, je suis un peu fainéant parfois, malheureusement je reste sur mes acquis, mes capacités... mais c’est un défi que je me lance aussi. Toujours me remettre en question et avancer comme ça.

 

Un dernier mot ?

Gardez la pêche ! La forme, le sourire... profitez de la vie et évoluez !

 

* * *

 

Partie II: l’interview d’Olivier Perrotin

réalisée le 31 juillet 2016

O. Perrotin, entraîneur au Full Contact Gym Boxe de Vienne depuis de nombreuses années, est aussi l’auteur de deux ouvrages sur la boxe : Drôle d’endroit pour un ring... et Le Rose vous va si bien (Édition 7).

 

Le Rose vous va si bien

 

C’est quoi un bon boxeur ?

C'est quelqu’un qui boxe pour lui et non pas pour son père, ses potes, sa réputation... Qui est capable de se créer un objectif et de trouver la motivation, et de s’y tenir. Du point de vue physique, il faut qu’il soit un travailleur acharné pour compenser ses faiblesses et accroître ses qualités. L’idéal, c’est un boxeur possédant une bonne coordination jambes/bras, avec un bon coup d’oeil qui arrive à « lire » la boxe adverse et anticiper, capable d'allier relâchement, contraction musculaire et précision - le punch - et qui accepte de recevoir des coups...

Quels conseils pour quelqu’un qui aimerait boxer ?

Qu’il choisisse bien son club. Qu’il prenne le temps de discuter avec les professeurs et qu’il regarde les séances. S’il existe des groupes de niveau, d’âge et de pratique, que les exercices sont avec des thèmes, que les groupes sont multi-culturels et qu’on ne lui demande pas tout de suite son poids, alors là, il peut y aller !

Quel regard sur le monde de la boxe et sur la boxe pro ?

La boxe pro ne m’intéresse plus vraiment. Je préfère l’aspect formation de la boxe amateur et de la boxe loisir. Je mets l’accent sur la boxe « éducative » destinée aux plus jeunes. Les amener à prendre confiance en eux et à mieux se connaître afin d’être à même de côtoyer les autres et d’apprendre à les apprécier. L’aspect éducatif à base de jeux de rôles (arbitre, juge, boxeur) avec ses règles précises aident à la socialisation et le brassage culturel participe au « mieux-vivre ensemble ».

La boxe a perdu sa médiatisation à l’époque où les promoteurs ont remplacé les entraîneurs dans la gestion de carrière et monté des combats « bidons » pour faire « monter » les boxeurs qu’ils avaient sous contrat. Les spectateurs et les diffuseurs n’étant pas tous des pigeons s’en sont rendu compte et ont cessé, les uns de regarder les matchs à la télé, et les autres de financer.

Quelques mots sur le club, qui fête ses 35 ans ?

La politique du club reste la formation – amener les jeunes boxeurs à leur plus haut niveau personnel, c’est-à-dire « champions d’eux-mêmes » – ; la pratique loisir, pour que le plus grand nombre de personnes connaissent et apprécient la pratique des sports de combat, et en parlent en bien – cette saison, près de deux cents adhérents ont été initiés – ; la convivialité : dans ce monde ou l’égoïsme, la violence, les dogmes religieux reviennent en force, le Full Contact Gym Boxe de Vienne est un lieu ou il fait bon se retrouver autour d’un projet commun.

Lucas

Né au club, il y a fait ses premiers pas : il entre à l’école de boxe à 8 ans et suit notre enseignement jusqu’à ses 18 ans... Il fait partie, en dehors de ses titres sportifs, de ce qui fait notre fierté. Des jeunes garçons et filles que l’on a aidés à grandir, à être sûrs d’eux et de leur capacité à relever tous les défis de la vie.

 

* * *

 

Partie III: l’interview de Carlos Fernandez...

réalisée le 1er août 2016

Le club a 35 ans... quels souvenirs ?

Après neuf mois de travaux et beaucoup de difficultés à surmonter (car j’ai pratiquement tout fait par moi-même pour créer ce lieu réservé aux sports de combat), la naissance de mon club a été pour moi un grand bonheur me permettant de donner aux autres ce que je n’avais pas eu, c'est-à-dire, une salle multi-boxe.

Si c'était à refaire, ce serait plus ou moins dur qu’en 1981 ?

Si c’était à refaire, je pense que ce serait plus simple car, grâce à l’expérience acquise et aux connaissances humaines que j’ai aujourd’hui, j’ai appris et compris beaucoup de choses. Je procéderais différemment, en faisant appel aux organismes d’État pour m’aider à monter ce projet.

Ce qui vous rend fier...

Ce qui me rend fier, ce sont tous les résultats acquis pendant 35 ans et les satisfactions que cela apporte ; l’ambiance familiale que j’ai pu créer dans ce club et, pour couronner le tout, le double titre de champion de France de mon petit-fils Lucas. 

Quelques mots sur lui ?

À part la satisfaction personnelle qu’il m’a apportée, Lucas est un garçon intelligent, malin et très humain. En boxe, il savait s’adapter à ses adversaires et trouver les failles pour remporter la victoire.

Je souhaite tout simplement qu’il réussisse dans la vie comme il a réussi en boxe et qu’il continue à être le petit-fils adorable que j’aime !

Ce qui vous donne des regrets...

L’ingratitude humaine...

Vos projets et envies pour la suite ?

Je tire ma révérence progressivement (tout en gardant un oeil bienveillant sur le club) en mettant en place une équipe qui assurera la continuité de cette belle aventure. J’espère quant-à-moi profiter d’une paisible retraite.

 

...et l’album photo qu’il nous fait partager !

 

26 - National La Pommeraye - 17 au 19 Lucas Champion France N°1

« Deux photos de Lucas lorsqu’il est devenu champion de France à La Pommeraye, près d’Angers, en 2012. »

 

Boxe Camp de boxe photo avec l'entraîneur

« Deux photos prises dans un camp de boxe en Thaïlande en août 2008, avec deux

entraîneurs thaïlandais. Je suis avec mes deux petits-fils (Lucas et son frère Enzo),

et nous venions de faire ensemble un entraînement de boxe. »

 

* * *

 

Partie IV: petite surprise, pour les 35 ans... 

réalisée le 1er août 2016

 

Le lien du club FCGBhttp://www.vienneboxe.fr

FCGB

 

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2 août 2016

Thomas Snegaroff : « Trump propose de rompre avec le "Siècle américain" »

Thomas Snegaroff, historien spécialiste des États-Unis, auxquels il a consacré de nombreux ouvrages, a accepté de répondre aux quatre questions que je lui ai proposées peu après la conclusion de la Convention démocrate. L’échange s’est réalisé oralement, le 1er août ; j’en ai retranscrit ici l’essentiel. Je le remercie pour ces quelques éléments précieux d’analyse, fort utiles pour une bonne compréhension de la politique américaine et des enjeux de cette présidentielle 2016 qui, à bien des égards, sera hors norme. À lire ou relire également, toujours sur Paroles d’Actu, l’interview que m’a accordée Nicole Bacharan au mois de janvier. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Donald Trump propose de rompre

avec le "Siècle américain" »

Interview de Thomas Snegaroff

Trump Clinton

Source de l’illustration : http://www.atlasinfo.fr

 

Le match Trump/Clinton sera-t-il le match du « peuple » contre les « élites » ?

Non, c’est plus complexe que cela. Donald Trump n’est pas franchement un « homme du peuple » et Hillary Clinton n’est pas uniquement une personne de « l’élite ». Mais il y a de cela, dans la mesure où il y a en ce moment, aux États-Unis, et Donald Trump en est l’émanation, un rejet des élites, non d’ailleurs de toutes les élites, on parle essentiellement ici des élites politiques. Et par « élites politiques », il faut entendre « insiders », à savoir « establishment » ou « système » comme on dit en France. C’est un rejet réel, qui se manifeste notamment par la désaffection profonde qui frappe le Congrès - moins de 15% d’opinions favorables pour le travail du Congrès. « Washington » est devenu un gros mot aux États-Unis parce qu’il symbolise, outre la Maison-Blanche, avant tout ce Congrès honni.

Si les élites politiques font clairement l’objet d’un rejet, tel n’est pas le cas des élites économiques. D’ailleurs, Donald Trump s’attache à mettre en avant sa réussite économique, qui passe pour positive et est un atout en sa faveur. Toutes les élites ne sont donc pas rejetées, mais encore une fois le phénomène est parfaitement clair s’agissant des élites politiques et du « système » qu’elles représentent. Ce n’est pas nouveau aux États-Unis : ce rejet a des racines profondes et anciennes, mais on est certainement à l’heure actuelle à un point haut du phénomène, qui se traduit, à droite comme à gauche d’ailleurs, par la résonnance des milices, par exemple suprématistes blanches à l’extrême droite, ou encore de l’autre côté de l’échiquier, « Occupy Wall Street », il y a quelques années. Le succès de Bernie Sanders procède de la même logique : il traduit cette volonté de reprendre le pouvoir, prétendument confisqué des mains du peuple par une élite. Même si, pour ce qui la concerne, « Occupy Wall Street » rejetait davantage les élites économiques plutôt que politiques.

 

Trump président, ce serait vraiment le retour à une certaine forme d’isolationnisme, de retrait relatif de l’Amérique par rapport aux affaires du monde ?

Il y a effectivement un vrai fond isolationniste dans la politique qu’entend mener Donald Trump. Sur la politique étrangère, c’est assez clair, au moins en apparence. Il y a l’idée qu’il faut désormais faire payer les alliés de l’OTAN pour la préservation des bases américaines - la logique est très comptable et très peu « géopolitique » mais c’est ainsi qu’il voit les choses. L’idée également de passer par des alliances, y compris contre-nature, pour ne pas avoir à s’engager sur des terrains d’affrontement trop éloignés et mal maîtrisés.

America First

Logo du puissant comité isolationniste America First qui s’opposa avec véhémence à l’implication

souhaitée par le Président Roosevelt de l’Amérique dans la guerre contre l’Allemagne nazie, ce jusqu’à

l’attaque japonaise contre la base navale de Pearl Harbor, en décembre 1941.

Tout cela dessine effectivement les contours d’un isolationnisme. Avec tout de même, à mon sens, plusieurs choses à préciser. Ce qui est intéressant surtout en matière de politique étrangère avec Donald Trump, c’est qu’il est en train de proposer de clore ce qu’on appelle le « Siècle américain » né en 1941 sous la plume d’Henry Luce (influent magnat de la presse, il fonda et façonna notamment les magazines Time et Life, ndlr). En vertu de cet « American Century », l’idée était d’intervenir partout dans le monde pour diffuser les valeurs américaines, assurer la sécurité nationale. Désormais, l’idée, c’est qu’au contraire l’interventionnisme américain crée des insécurités sur le sol américain - ce qui n’est pas faux - et que finalement, c’est le message de Trump, les Américains ont plus intérêt à s’occuper de leurs problèmes chez eux plutôt que d’essayer de diffuser leurs valeurs. Ce qui signifierait aussi, au passage, que les valeurs américaines n’ont pas nécessairement à être diffusées partout et à tout moment, ce qui en soi constitue une vraie rupture historique, idéologique voire même philosophique.

Et puis, clore le « Siècle américain » c’est aussi, finalement, clore la Guerre froide. Avec à cet égard des propos très ambivalents sur l’OTAN, sur un rapprochement avec la Russie. Vraiment, on change là de logiciel, de grille de lecture. Le clivage avec Hillary Clinton est net : la candidate démocrate demeure elle très accrochée à l’actuelle grille de lecture, née il y a 70 ans voire davantage aux États-Unis.

 

L’Ohio se colorera-t-il du rouge des Républicains ou de bleu des Démocrates en novembre ? Quid de la Floride, à votre avis ?

Ohio

L’Ohio, c’est effectivement un État qui hésite souvent : 2012, 2008 il vote pour le Démocrate ; 2004, 2000 pour le Républicain ; 1996, 1992 pour le Démocrate ; 1988, 1984, 1980 pour le Républicain ; 1976 pour le Démocrate... On se rend compte assez vite que, quand l’Ohio se choisit un camp, c’est ce camp qui l’emporte à l’échelle nationale. Donc oui vous avez raison, cette question de l’Ohio est utile et nécessaire à analyser. Très souvent, on l’a vu, l’Ohio donne le vainqueur de la présidentielle.

En l’occurrence, cette année, on s’est imaginé que l’Ohio était promis à Hillary Clinton. D’abord parce que Donald Trump est fâché avec le gouverneur de l’État, John Kasich, avec le parti républicain de l’Ohio, on l’a vu à Cleveland lors de la Convention. Tout cela effectivement dessine un État qui pourrait paraître à la portée d’Hillary Clinton. Mais ce qu’on voit aussi, sachant qu’il y a eu beaucoup d’études sur l’Ohio récemment, c’est que l’Ohio pourrait finalement, et contrairement aux attentes - cela tient aussi au rejet de l’establishment que j’évoquais tout à l’heure - tomber dans l’escarcelle de Donald Trump. Celui-ci pourrait même convaincre des électeurs traditionnellement démocrates - des ouvriers en particulier. Un peu comme au temps de Reagan, on pourrait avoir, après les Reagan Democrats, les Trump Democrats.

À cette heure, les sondages restent très serrés. C’est forcément l’un des États qui seront le plus scrutés et analysés. Il représente 18 grands électeurs. On est en tout cas dans l’expectative... mais il n’est pas du tout impossible que Trump l’emporte et même que ce soit un peu à front renversé. En effet, on a vu récemment dans les sondages que les districts et les comtés qui étaient les plus acquis aux Républicains (et qui souvent sont très peuplés), les quartiers d’affaires et les quartiers plutôt chics, étaient plutôt du côté d’Hillary Clinton. Il y a donc une espèce d’inversion des valeurs. On pourrait avoir une inversion totale par rapport à 2008 ou 2012. En tout cas ce sera un État essentiel.

Floride

Source des cartes : http://www.50states.com

La Floride aussi sera un État crucial. Là, le vote latino sera nécessaire, essentiel pour Donald Trump, et aujourd’hui il se situe entre 18 et 23% du vote latino à l’échelle nationale, c’est insuffisant pour gagner la Floride : il doit faire mieux que Mitt Romney (le candidat républicain lors de la présidentielle de 2012, ndlr)... pour l’instant ça n’est pas le cas. D’autant que le candidat démocrate à la vice-présidence, Tim Kaine, est très apprécié des Latinos, et pas simplement parce qu’il est parfaitement bilingue. Aujourd’hui, Trump est un repoussoir pour le vote latino. Ce sera difficile pour lui en Floride... un enjeu forcément important en tout cas (29 grands électeurs, ndlr).

 

Trump président en janvier 2017 : quelle probabilité, à ce jour ?

Clairement, aujourd’hui, c’est une possibilité qui existe. Si je me fie aux analyses de Nate Silver, dont le site fivethirtyeight.com, qui est peut-être le meilleur site d’agrégats de sondages, d’enquêtes et opinions, etc., il considère, avec beaucoup d’honnêteté, que son modèle d’analyse des élections est absolument inopérant pour comprendre Trump. On se trompe souvent sur Trump, mais la probabilité est réelle. Il est aujourd’hui quasiment au coude-à-coude avec Hillary Clinton. Mais on hésite encore à le créditer d’une probabilité de victoire, tant elle semblerait tout même surprenante. Mais, effectivement, comme je l’évoquais sur l’Ohio, Trump parvient à séduire des démocrates, il parvient à séduire des indécis...

Cela dit, les derniers développements autour de ses propos sur la famille d’un vétéran musulman tué sur le front sont de nature à décrédibiliser le personnage, mais on a l’impression que tout lui glisse sur la peau, qu’il est une sorte de « Teflon candidate », un peu comme Reagan en son temps. Que quoi qu’il fasse, rien n’a de conséquence. Lui-même commentait cela il y a quelques mois, prédisant que s’il se positionnait sur la Cinquième Avenue et tirait sur quelqu’un, il ne perdrait aucun point dans les sondages. On a un peu cette impression effectivement. Mais la campagne est encore longue. Il y a des meetings tous les jours, l’argent va manquer... On a vu que les frères Koch (de gros financeurs de causes et candidats conservateurs, ndlr) étaient plutôt voire même totalement réticents à l’idée de soutenir sa campagne. D’autres, comme un Robert Mercer, pourraient le faire ; des fonds il y en aura mais peut-être un peu moins que pour Hillary Clinton, et on sait que c’est le nerf de la guerre.

On sait aussi que l’un des enjeux, ce sera les débats, il y en aura trois, en septembre et en octobre. On n’est pas à l’abri d’une nouvelle gaffe de Trump mais, encore une fois, on a l’impression que, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, rien ne l’affecte. On attend également les derniers chiffres du « rebond » Clinton après la Convention ; il ne faut en général pas en faire trop là-dessus mais, tout de même, il semblerait qu’elle ait gagné pas mal de points après la Convention - l’impact d’Obama, l’impact de Michelle, l’impact de Bill Clinton... Tout cela a des conséquences. (Note : les premiers sondages publiés dès le lundi 1er août confirment en effet cette tendance, ndlr)

 

Thomas Snegaroff

 

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29 juillet 2016

« De Vigipirate à Sentinelle vers une Garde nationale ? », par Alain Coldefy

L’amiral (2S) Alain Coldefy, directeur de la prestigieuse Revue Défense Nationale, est de ces voix de militaires auxquelles on prête l’oreille dans un pays qui, pendant longtemps, s’est peut-être senti moins directement concerné par les questions de défense. La réalité froide du terrorisme de masse qui, depuis dix-huit mois, a frappé le territoire national à au moins trois reprises et causé plus de 230 morts violentes, ne pouvait pas ne pas remettre la sécurité, la défense, le policier et le militaire au cœur des préoccupations premières de nos concitoyens.

M. Coldefy, qui avait déjà répondu aux questions de Paroles d’Actu en décembre dernier, a fort aimablement accepté la proposition d’article que je lui ai soumise le 17 juillet - soit trois jours après l’attentat de Nice - autour de la thématique suivante : « Quels dispositifs sécuritaires face à la menace terroriste en France ? ». Son texte m’est parvenu ce jour, au lendemain de la confirmation par le président de la République de la constitution d’une « garde nationale ». Synthèse et point de vue d’un expert, précieux parce qu’éclairants - qu’il en soit, ici, remercié. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Sentinelle 2016

Patrouille de soldats à Paris dans le cadre de l’op. « Sentinelle », nov. 2015. Cr. photo : Charles Platiau/Reuters.

 

« De Vigipirate à Sentinelle

vers une Garde nationale ? »

par l’amiral Alain Coldefy, le 29 juillet 2016

Le président de la République a décidé le 28 juillet 2016 la constitution d’une « Garde nationale » à partir des éléments existants des réserves opérationnelles. Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État en parle, mais il semble à de nombreux observateurs que le projet pourrait aller à son terme à la suite des récents attentats.

C’est le moment de s’interroger sur le dispositif sécuritaire qui se met en place dans notre pays, au fil tragique des attentats meurtriers qui frappent délibérément « à l’aveugle », les auteurs et leurs commanditaires le revendiquent haut et fort.

Quelques mots d’abord sur le terrorisme...

Le terrorisme est un mode d’action, comme l’espionnage, la piraterie, l’esclavage ou le brigandage. C’est un mode d’action quasi « éternel », et « qui le restera », pour paraphraser un grand homme de l’histoire de France. Mais le terrorisme, pour terrible qu’en soient les effets sur les populations, n’a jamais détruit aucun État digne de ce nom.

La guerre est également un mode d’action, mais ce qui fait la différence, c’est qu’elle est un affrontement temporaire et par les armes entre deux adversaires ou ennemis, et, dût-elle durer cent ans, elle s’achève un jour par nature. En revanche, la guerre peut détruire des États, nul besoin d’être historien pour le savoir.

La « guerre contre le terrorisme » ou « la France est en guerre » sont donc deux expressions qui pourraient apparaître comme pleines de sens « politique », dans les rapports entre l’État et les citoyens, et vides de sens « pratique » comme cela est expliqué plus haut.

« On a mis dix ans à comprendre Mein Kampf...

ne refaisons pas les mêmes erreurs ! »

En réalité, et c’est la mondialisation de l’information et des espaces qui entre autres le permet, nous sommes entrés dans un siècle où tout est lié, tout événement a des répercussions mondiales instantanées :

  • La France doit combattre loin de ses frontières des groupes armés de terroristes qui ont un objectif politique assumé  : construire un État nouveau sur un territoire qu’ils auront conquis par la lutte armée et détruire dans le même temps nos sociétés. Ils l’ont écrit il y a une dizaine d’années et Gilles Kepel rappelle souvent que c’est le délai qu’il a fallu en France pour traduire – trop tard – Mein Kampf et découvrir qu’Hitler avait lui aussi écrit et décrit sa volonté de détruire la France. La cécité niaise, stratégique et politique, qui avait prévalu entre les deux guerres n’a toujours pas servi de leçon aujourd’hui.
     
  • Et simultanément, elle doit prévenir sur son sol national des attentats de toutes sortes et revendiqués comme terroristes par leurs auteurs.

L’exercice est donc délicat et on ne peut que se louer de la maïeutique intellectuelle, soutenue certes par les « kalachnikov » des assassins, qui a fait prendre conscience aux Français et à leurs dirigeants qu’il s’agissait d’un même « combat ».

Ces préliminaires permettent peut-être d’éclairer la question lancinante des dispositifs sécuritaires à mettre en place pour faire face à la menace terroriste en France.

Car au vu de ces éléments, on voit mieux qu’il s’agit, pour prendre une image concrète, de « gripper » cette « vis sans fin » de la terreur qui s’enfonce dans les ventres mous des démocraties.

Des principes forts

Deux principes forts doivent ensuite être soulignés quand on aborde maintenant la question des moyens, au sens large, à mettre en œuvre.

Le premier principe est qu’ils doivent être pérennes car la menace est malheureusement pérenne. Un médecin, William Dab, s’interrogeait récemment avec pertinence dans cette optique sur ce que la lutte contre les pandémies peut nous apprendre face à la menace terroriste.

« Trois piliers essentiel : Renseignement, Police, Justice.

Si l’un d’eux flanche, tout l’ensemble est bancal. »

Ces moyens reposent sur un triptyque bien connu : le Renseignement, la Police et la Justice. Quand l’un des piliers flanche, l’ensemble est bancal.

Le renseignement fonctionne plutôt correctement au vu des informations connues du grand public. Les terroristes sont rapidement identifiés, et il est évident, même si c’est moins dit, que nombre d’actions ont pu être évitées de façon préventive grâce aux moyens mis en œuvre dans ce domaine.

On peut cependant se risquer à deux remarques.

La première est que nous avons hérité de la guerre froide un dispositif, une culture, des méthodes et une organisation du renseignement dédiés au contre-espionnage avec des caractéristiques propres – temps long, réseaux, désinformation, etc… Ce mode opératoire a bien fonctionné jusqu’à la guerre en Irak et l’on se souvient du « jeu de cartes » représentant les responsables de la mouvance de Saddam Hussein. Depuis, il s’agit d’intervenir « urbi et orbi » dans un contexte de contre-terrorisme qui présente d’autres caractéristiques : médiatisation, rôle des opinions publiques, mise en avant permanente des responsables politiques, etc…

La deuxième est que l’intégration du renseignement, en termes d’organisation, est encore inachevée. Les armées, dès la chute du Mur, ont créé ex nihilo une direction interarmées du renseignement militaire, qui n’était pas évidente a priori (fusionner les spécialistes de l’analyse spectrale des bruits rayonnés par un sous-marin soviétique en Atlantique nord et ceux de l’action humaine en profondeur sur les théâtres terrestres par exemple) mais a fait avec le temps preuve de son efficacité. Les sources du renseignement sont multiples, internationales et nationales, et cette intégration est impérative. Pour ce faire, les militaires ont une recette éprouvée : un seul chef pour une mission bien définie et des moyens correctement adaptés….

Les forces de sécurité font preuve au quotidien de leur professionnalisme et il y a peu de commentaires à faire. Elles disposent d’effectifs importants au plan national - la Police nationale comme la Gendarmerie nationale sont chacune plus importantes en personnel que l’armée de Terre – et sont complétées des polices municipales, de la sécurité civile, du système de santé, des pompiers civils et militaires, etc... Ces forces sont suremployées et doivent de plus en plus intervenir en faisant usage de leurs armes létales. L’appel aux forces armées, dans son principe, est donc cohérent.

« Le terrorisme doit être traité dans le cadre

des lois ordinaires de la République »

La justice enfin. La criminalité est pérenne, le terrorisme en fait partie, se traite en démocratie par les lois ordinaires de la République, c’est le second principe. L’exception, comme son nom l’indique, doit rester exceptionnelle car elle réduit temporairement le champ d’action de la justice au profit de l’administration. Ce n’est pas le sujet de cet article, donc nous ne développerons pas ce point. Il est évident que c’est à l’heure actuelle le point de faiblesse du dispositif pour des raisons qui tiennent essentiellement à un budget notoirement insuffisant depuis des années. Il est clair également que depuis l’épisode du « mur des cons » on peut s’interroger sur les motivations de certains - imagine-t-on dans une caserne ou un commissariat un tel spectacle ? L’absence assumée du renseignement dit « pénitentiaire » est également un point de faiblesse. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Il est donc naturel de reconsidérer le rôle de l’armée dans le cadre ainsi brossé.

Et l’on s’apercevra immédiatement que l’armée n’est pas conçue pour cette mission. Les forces armées sont en effet faites pour protéger le territoire national contre des agressions extérieures et les Français de par le monde. Le militaire, soldat, marin, aviateur est formé pour le combat contre un ennemi et il est dépositaire dans ce cadre de la violence de l’État avec le devoir de détruire ceux qui, de l’étranger et à l’étranger, s’attaquent à la France. Ceci n’a rien à voir avec le mandat des forces de police, quel que soit leur statut, civil ou militaire. Ces dernières couvrent une palette extrêmement vaste d’interventions, qui concernent nos concitoyens (grève ou défilé par exemple) et n’autorisent l’ouverture du feu qu’en cas avéré de légitime défense (forces de police civiles).

En revanche, et parce que l’armée dispose parfois de moyens matériels qui font défaut à la sécurité publique (hôpitaux des armées pour le virus Ebola ou l’anthrax en 2001, engins de déminage sophistiqués, ou autres), elle a pour mission de porter son concours au ministère de l’Intérieur quand ce dernier la sollicite. Dans le cas extrême de catastrophes nationales, tout le monde est « sur le pont » évidemment.

Ce concours s’est progressivement étendu au renforcement des capacités de surveillance (Vigipirate) et des capacités de surveillance et d’intervention (Sentinelle) qui ont montré leurs limites légales et réglementaires.

« Les forces de police sont exténuées, l’armée de Terre

employée en soutien de leur mission est exsangue »

Depuis la recrudescence des attentats, il a fallu élever considérablement le niveau de protection si bien qu’aujourd’hui les forces de police sont exténuées et que l’armée de Terre, qui a apporté un soutien (les 10 000 hommes déployés depuis janvier 2015) qui n’était pas prévu par la loi, donc pas financé et désormais insoutenable en termes d’effectifs, est exsangue.

Pour réduire la contrainte sur les forces « régulières », de nombreuses voix se sont élevées pour faire appel aux « réserves », ce vivier de citoyens volontaires, vivier à la fois réel et fictif. Pour résumer, la réserve opérationnelle, qui est la seule concernée, est constituée de personnes (civiles sans expérience ou anciens militaires) qui contractent un engagement à servir, entre un et cinq ans, sur la base d’une durée limitée par an (environ deux mois) et avec l’assurance d’une formation et d’un entraînement d’un mois par an. Mais cette réserve, pour ce qui concerne les armées, a pour mission de compléter les capacités des armées d’active et elle est donc formée et entraînée dans ce but. Or nous avons vu que ce n’est pas le but des armées d’active d’assumer le rôle de force de police. Il y a donc un hiatus de base qu’il faut prendre en compte. Et il y a une deuxième difficulté, d’ordre budgétaire ; la sécurité des Français n’a pas de prix mais elle a un coût que l’État n’a jusqu’alors été capable d’assumer qu’en partie – il y a en effet 28 000 réservistes opérationnels sur un total qui devrait être de 40 000 après avoir été régulièrement revu à la baisse. Inadéquation de la formation et insuffisance budgétaire doivent donc être traitées sans attendre.

La France n’est pas un cas particulier. Dans tous les pays occidentaux, la réserve opérationnelle a pour but de compléter les capacités que les armées ne peuvent entretenir en permanence. Aux États-Unis par exemple, la Garde nationale (US National Guard) est le réservoir des armées de Terre et de l’Air qui ne peuvent se déployer à l’extérieur sans les réservistes qui la composent (par exemple en fournissant la moitié des effectifs de l’US Army en Irak). Elle intervient seule sur le sol américain car par tradition l’armée proprement dite n’intervient pas dans les pays de culture anglo-saxonne.

En France, la Gendarmerie nationale a un système de réserves efficace et cohérent avec ses activités et la Police peut disposer mais en nombre beaucoup plus réduit d’anciens policiers.

Alors quel avenir pour une Garde nationale ?

Puisque l’objectif est fixé, regardons comment l’atteindre. On a déjà signalé la contrainte budgétaire qu’il ne faut surtout pas minimiser. Le coût, pour la société comme pour le bon fonctionnement de l’économie - amputée par roulement de ces travailleurs - de 40 à 50 000 réservistes opérationnels est certainement voisin de près d’un demi-milliard d’euros par an en flux (équipement, formation, entraînement, dépliement, logement, nourriture, compensations, etc.) Elle ne peut être assumée que par un redéploiement de dépense publique en dehors des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice, sinon ce serait une politique de Gribouille. Il faudra dans le même temps prévoir les effectifs indispensables aux armées dans le fonctionnement actuel (renforts en Opérations extérieures, en état-major, dans les forces, etc..) car sinon ce serait amputer les armées de leur efficacité opérationnelle.

Si ces deux conditions sont remplies, la République ouvre une nouvelle page de son Histoire, déjà entrouverte dans le passé et dans d’autres circonstances, mais qui n’a jamais vraiment correspondu dans la durée à la culture de notre société.

« La Garde nationale, une aventure qu’il faut tenter... »

Mais ne serait-ce que pour montrer à notre ennemi - de l’extérieur et de l’intérieur - que la France agit et réagit, c’est une aventure qu’il faut tenter. Nul doute que le sens civique de nombre de nos concitoyens trouvera un lieu privilégié d’expression au sein de la future Garde nationale.

 

Alain Coldefy

 

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21 juillet 2016

« La France et l'EI : vers une guerre perpétuelle ? », par Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste de longue date à RFI, est spécialiste du Moyen-Orient. En janvier dernier, il avait répondu à quelques questions pour Paroles d’Actu touchant en particulier à lArabie Saoudite en tant que chef de file du monde sunnite et propagateur d’une lecture de l’Islam qui lui est propre. Il a accepté, quelques jours après l’odieux attentat qui a frappé Nice le 14 juillet au soir, de saisir la proposition de tribune libre qui lui a été faite. Je len remercie : sa contribution est fort instructive, même si elle n’est pas des plus rassurantes... Je vous invite également à lire en complément, toujours dans nos colonnes, le texte qu'avait signé Guillaume Lasconjarias au mois de mars. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Aux armes

Sur une vitre de la Promenade des Anglais, juillet 2016. Crédits photo : Laurent Vu/Sipa.

 

« La France et l’EI : vers une guerre perpétuelle ? »

par Olivier Da Lage, le 20 juillet 2016 

Il a fallu deux jours pour que l’organisation de l’État islamique revendique l’attaque de Nice du 14 juillet dans laquelle plus de 80 personnes ont perdu la vie et plus de 200 ont été blessés. Mais que le chauffeur meurtrier qui a fauché d’insouciants touristes venus voir le feu d’artifice soit un jihadiste patenté ou un paumé pris de pulsions meurtrières et suicidaires à la fois a finalement peu d’importance. La revendication de l’EI ne laisse aucune place au doute : la France est l’un de ses principaux objectifs.

La France, c’est certain, n’est pas le seul pays considéré comme kafir (infidèle) par le califat autoproclamé. L’ensemble du monde occidental, les musulmans chiites et même la plupart des musulmans sunnites (y compris ceux du Golfe) sont des kouffar (infidèles) selon l’EI et, comme tels, méritent d’être combattus par son armée de jihadistes. Mais pour l’EI, la France est sans conteste un objectif principal, notamment (mais pas uniquement) pour les raisons suivantes :

  • la politique de laïcité mise en avant par l’État français ;

  • les récentes interventions militaires françaises à l’étranger, principalement dans des pays musulmans (Mali, Libye, Syrie, Irak et Afghanistan) ;

  • l’importance de la communauté musulmane sur le territoire français (entre 4 et 5 millions, sur une population totale de 66 millions).

Le concept de laïcité est généralement traduit en anglais par secularism. Mais cela ne rend qu’imparfaitement compte de son contenu. L’Inde et les États-Unis, par exemple, ont une constitution laïque (secular). Mais la religion y est omniprésente dans la sphère publique, y compris étatique. Par contraste, la laïcité française a été forgée au début du XXe siècle afin de rogner l’influence de l’Église catholique en appliquant une stricte séparation entre l’Église et l’État. La loi et la constitution française obligent l’État à être strictement a-religieux. Dans la pratique, cette politique a longtemps été dirigée contre les institutions catholiques.

« Les djihadistes assimilent à dessein la laïcité à la française

à un athéisme inacceptable pour tout musulman pratiquant »

Mais la dynamique actuelle voit un effondrement de la pratique religieuse chez les catholiques (et par conséquent, de l’influence de l’Église) tandis que gonfle le nombre de musulmans. L’islam est donc devenu la principale cible des politiques laïques depuis deux décennies et celles-ci sont souvent mises en avant (et en pratique) d’une façon agressive. C’est la raison pour laquelle de nombreux citoyens français musulmans se sentent marginalisés dans leur propre pays et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une islamophobie ambiante. Les organisations jihadistes profitent de ce sentiment pour assimiler la laïcité à l’athéisme, ce qui la rend inacceptable pour tout croyant adepte de la foi musulmane. Naguère al-Qaïda, désormais l’État islamique puisent la légitimité de leurs attaques contre la France en tant que pays athée de divers versets du Coran et de plusieurs hadith (les « dits » du Prophète) qui enjoignent aux fidèles de traiter sans pitié les incroyants qui refusent de se convertir à la vraie foi.

En dehors du Royaume-Uni, la France est le seul pays européen disposant d’une puissance militaire significative qui a été déployée hors de ses frontières à de multiples reprises depuis plusieurs décennies. Elles ont été menées principalement en Afrique, mais aussi en Bosnie durant la guerre des Balkans des années 90 ; en Afghanistan après le 11-Septembre ; contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011 et en Irak et en Syrie au cours des dernières années. L’intervention française au Mali en janvier  2013 a été le facteur décisif empêchant les jihadistes de s’emparer de la capitale Bamako. Jusqu’à ce jour, des unités françaises patrouillent au Mali et y traquent les jihadistes.

Par ailleurs, bien que d’autres pays soient également engagés dans des opérations à l’étranger contre les organisations jihadistes, aucun d’eux (à la possible exception des États-Unis) ne s’en vante aussi ouvertement que la France. En proclamant en toute occasion que la France est l’ennemi intraitable de l’EI et en revendiquant l’élimination physique de ses combattants et dirigeants, les dirigeants français donnent corps au récit de l’EI selon lequel les attentats commis sur le sol français ne sont que de justes représailles pour les morts provoquées en Syrie et en Irak par les bombardiers français. Naturellement, le point de vue français est diamétralement opposé : la France n’a pas d’autre choix que de détruire à la source ceux qui fomentent de l’étranger les attentats contre ses citoyens. Le seul point sur lequel ils semblent être d’accord est que chacun considère l’autre comme un ennemi mortel et irréductible.

« L’EI cherche à susciter des violences anti-musulmans

qui ouvriraient la voie à une guerre civile en France »

La stratégie développée par l’État islamique semble être la suivante : en multipliant les attaques meurtrières en France, l’exaspération des Français non-musulmans (principalement dans les milieux d’extrême-droite) prendra pour cible leurs compatriotes musulmans qui ont la même religion que celle dont se revendiquent les tueurs jihadistes. Si cela se traduit par des représailles violentes contre les musulmans de France, ce qui, pour l’heure, ne s’est heureusement pas produit, cela renforcera leur sentiment d’abandon par les institutions et l’État français, incapable (ou ne voulant pas) assurer leur protection contre la stigmatisation verbale et les attaques physiques. En fait, voici seulement quelques semaines, le chef de la DGSI Patrick Calvar, interrogé par une commission parlementaire, émettait la crainte que des organisations d’ultra-droite ayant recours à la violence se lancent dans une véritable guerre civile contre les musulmans vivant en France.

Comme les autorités françaises ont tendance à répondre à chaque attentat terroriste par une intensification des bombardements en Syrie et en Irak, cela convient à merveille à la stratégie de l’EI et tient de la prophétie auto-réalisatrice. Le fait est que, jusqu’à présent, le gouvernement français a bénéficié du soutien de l’opinion publique qui approuve les représailles militaires à l’étranger après chaque attentat sur le sol français. Pour le moment, du moins, le gouvernement tout comme l’opposition sont plus que jamais convaincus que les représailles militaires sont la bonne réponse au terrorisme et le soutien de l’opinion ne semble pas chanceler. Avec l’élection présidentielle distante de quelques mois seulement, aucun responsable politique ne veut pouvoir être taxé de faiblesse face au terrorisme.

Si toutefois de nouvelles attaques terroristes devaient provoquer toujours plus de victimes, ce qui, aux dires même du Premier ministre Manuel Valls, est hautement probable, les électeurs français pourraient reconsidérer leur opinion et se dire qu’après tout, le coût humain d’une intervention militaire extérieure est un prix trop élevé à payer. Mais même en ce cas, il n’y a bien sûr aucune garantie que l’EI répondrait par un arrêt des attentats à un arrêt (tout aussi improbable) des bombardements français sur ses fiefs de Raqqa et Mossoul. On a, bien au contraire, toutes les raisons de penser que dans un avenir prévisible, la continuation des bombardements français au Moyen-Orient aura pour corollaire le redoublement des attaques terroristes en France. Et inversement.

 

Olivier Da Lage

 

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20 juillet 2016

Frédéric Salat-Baroux : « Ne soyons pas la première génération qui laissera la France petite... »

Frédéric Salat-Baroux occupa, deux années durant, le poste hautement stratégique de secrétaire général de la présidence de la République (à lire : le livre et linterview de César Armand et Romain Bongibault) auprès de Jacques Chirac, à la toute fin du second mandat de l’ancien président (2005-2007). Fort de ses expériences à la fois dans le public et dans le privé, qui ont chacune nourri ses réflexions, il publie cette année chez Plon La France EST la solution, ouvrage érudit qui entend dresser un diagnostic clair de l’état de la France de 2016 et, surtout, proposer des pistes d’actions concrètes, d’horizons vers lesquels tendre afin d’enrayer le déclin de notre pays. On n’est pas sans penser au Mal français qu’écrivit Peyrefitte il y a quarante ans ; sur le fond, Salat-Baroux demeure optimiste quant à la capacité de la France à rebondir... si elle agit vite et ferme. Le texte mériterait réellement d’être lu par celles et ceux qui s’intéressent aux grandes questions qu’aura à aborder le pays à l’occasion des échéances électorales de l’an prochain. Qui sait si M. Salat-Baroux ne comptera pas parmi les acteurs qui, demain, auront à gérer la France - n’est-il pas à l’évidence de ceux qui en ont l’étoffe ? Je le remercie en tout cas d’avoir accepté de se prêter au jeu de l’interview, ainsi que Julien Miro, pour sa précieuse intermédiation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Ne soyons pas la première génération

qui laissera la France petite... »

Interview de Frédéric Salat-Baroux

Q. : 07/06/16 ; R. : 15/07/16

La France EST la solution

La France EST la solution (Plon, 2016)

 

Paroles dActu : Frédéric Salat-Baroux bonjour, merci de m’accorder cette interview, que j’ai choisi d’axer en particulier sur des questions touchant aux institutions de la république et à des considérations historiques...

Dans votre ouvrage, La France EST la solution (Plon, avril 2016), vous appelez à des clarifications institutionnelles, à une présidentialisation accrue du régime qui verrait le chef de l’État propulsé seul responsable de la branche exécutive (exit donc le Premier ministre et son gouvernement). Est-ce que, comme les historiens Thierry Lentz et Jean-Christian Petitfils dans les colonnes de Paroles d’Actu, vous considérez que la réforme dite du « quinquennat » qui dans les faits conduit à une concordance des mandats présidentiel et parlementaires, a été une mauvaise réforme au regard de l’équilibre des institutions et de la bonne santé démocratique du pays ?

Le quinquennat...

Frédéric Salat-Baroux : Le principal intérêt du quinquennat est de conduire à la concordance, de fait, entre le mandat présidentiel et le mandat parlementaire. Pour l’avoir vécue, la cohabitation est une situation préjudiciable dans laquelle tout à la fois le Président et le Premier ministre chef de la majorité travaillent ensemble dans l’intérêt du pays mais, dans le même temps, rivalisent sur le terrain politique et, souvent, se préparent à s’affronter à la prochaine élection présidentielle. Ce n’était acceptable ni sur le plan de l’efficacité de l’action publique ni sur le plan démocratique. L’inconvénient du quinquennat est, en revanche, qu’il réduit le temps d’action du Président. On le voit un mandat dure, en fait, quatre ans, puisqu’un an avant commence la double campagne : primaires-élection présidentielle.

 

Ma proposition de suppression de la fonction de Premier ministre répond à la fois à l’objectif de clarté et d’efficacité des institutions : sur un exercice de quatre ans le Président doit devenir le moteur et le chef de la majorité, il ne peut plus être l’arbitre. Mais la seconde raison, la plus importante à mes yeux, est qu’il faut simplifier l’organisation institutionnelle pour ouvrir un espace à la démocratie participative, c’est-à-dire, comme le font les entreprises avec les logiques d’Open Source, s’appuyer sur les forces de propositions et d’innovation des citoyens pour améliorer l’action publique. Je prends en exemple le budget participatif d’investissement de la ville de Paris et je propose d’étendre cette démarche jusqu’au droit d’amendement citoyens, à partir du moment où il recueillerait plus de 50.000 signatures et devrait alors être examiné en Commission parlementaire. Ce chantier est le plus prioritaire en terme de réforme de l’État avec le passage à deux échelons seulement d’administration territoriale, comme je le propose également dans le chapitre sur les institutions.

 

PdA : Quel regard portez-vous sur les dix dernières années de pratique de la charge présidentielle, dans les deux cas les plus récents plus directement engagée dans l’arène publique, donc moins « rare », plus « clivante » même si les choses ont le mérite d’être clarifiées ? Est-ce que d’une certaine manière vous considérez, comme Emmanuel Macron l’a formulé l’an dernier, qu’il manque, au moins symboliquement bien sûr, un « roi » en France - non un monarque absolu mais une figure qui se tienne réellement au-dessus des débats partisans pour se concentrer sur les enjeux de long terme, « incarner » pleinement la Nation tout entière ?

La figure du Roi...

F.S.-B. : L’exécution du Roi est une blessure toujours béante dans notre inconscient collectif. Il faut relire les premières pages de l’Histoire de la Révolution française de Michelet pour comprendre l’immense attachement du peuple au monarque et la terrible déception qui a conduit à la Révolution. D’où l’aspiration permanente à un monarque républicain, que de Gaulle avait parfaitement comprise et traduite dans l’élection du Président de la République au suffrage universel. D’où également la tentation tout aussi permanente de lui « trancher la tête », dès son accession au pouvoir. Cela rend la charge présidentielle doublement difficile : exigence d’incarnation de la Nation et contestation permanente de son action à défaut de sa légitimité, qui n’est jamais mis en cause. Même le général de Gaulle, qui est l’exemple par excellence de la capacité à exercer la double mission d’incarnation et de projection du pays dans le futur, a fini par subir ce syndrome avec Mai 1968 et le fameux « dix ans ça suffit ! ».

 

PdA : Vous énoncez une idée fort intéressante dans votre livre : la tenue dans la foulée des élections présidentielles et législatives, après passage par les assemblées, d’un référendum visant à faire approuver et valider directement par le peuple l’essentiel du programme du président nouvellement élu. La prise de décision politique s’en trouverait grandement accélérée et nombre de frustrations post-électorales seraient ainsi évitées. Mais n’est-il pas à craindre tout de même, dans cette hypothèse, et partant d’un système où la domination du présidentiel est déjà très forte (beaucoup plus par exemple qu’aux États-Unis) que cela contribue davantage encore à affaiblir la branche législative par rapport à l’exécutif ? Plus généralement, quel est votre idéal d’articulation entre les concepts de « démocratie représentative » et de « démocratie directe » ?

Un grand référendum en début de mandat...

F.S.-B. : Le cœur de mon analyse est que nous avons à relever un double défi : rattraper les retards accumulés (pression fiscale, code du travail, 35 heures, réforme des retraites) et nous adapter à la révolution numérique, qui bouleverse tout. Il faut donc aller vite sur le premier volet pour consacrer le quinquennat à la reconstruction de notre modèle (instauration de l’État participatif, basculement dans un système scolaire décentralisé et centré sur les outils pédagogiques numériques, encouragement à l’émergence d’un nouveau secteur économique fondé sur l’économie du partage en réponse aux risques d’ubérisation, nouveau droit du travail pour protéger les travailleurs dits indépendants mais travaillant pour des donneurs d’ordres uniques comme souvent dans la nouvelle économie, reconstruction d’une ligne de partage entre le temps de travail et le temps pour soi, en allant au-delà du seul droit à la déconnexion… et, bien sûr reconstruction du projet européen pour le recentrer sur les logiques d’efficacité économique et de grands projets).

 

D’où ma proposition de referendum pour faire adopter les mesures de rattrapages. Par rapport au recours aux ordonnances, qui a le même objectif de rapidité d’exécution, le referendum donne aux textes adoptées une légitimité démocratique incomparable. On contestera des ordonnances signées dans le secret du bureau du Président de la République, beaucoup plus difficilement des lois adoptées directement par une majorité de Français. Bien sûr, il y a le risque de perdre le referendum, comme en 2005 ou plus récemment sur le Brexit. Il est réel même si les Français sont un grand peuple politique et devraient donner au Président à la fois une majorité et la validation des mesures qu’il aura clairement annoncées durant sa campagne. L’urgence et la gravité de la situation actuelle exigent que l’on prenne ce risque, car sans redressement rapide et projection dans la nouvelle économie, le danger est considérable que nous en arrivions à un point de non-retour. Sans dramatiser ni employer de grands mots : que nous soyons la première génération qui laissera la France petite, qui la laissera s’enfoncer dans la pauvreté et la confrontation intérieure. Julien Benda le disait justement : n’oublions jamais que la France est le pays des tragédies.

 

PdA : Où entendez-vous placer le curseur entre les principes d’efficacité de la décision politique/puissance publique (qui suppose des majorités nettes dans les assemblées) et de juste représentation des opinions diverses des citoyens ? En quelques mots comme en cent : estimeriez-vous souhaitable l’introduction d’une part de proportionnelle pour l’allocation des sièges de l’Assemblée nationale ?

Une dose de proportionnelle ?

F.S.-B. : Revenir aux logiques de IVème République en l’appelant VIème serait une folie. Comment peut-on imaginer conduire la projection du pays dans un futur si incertain et si violent en revenant à la dilution du pouvoir et à son instabilité, ce que ne manquera pas de provoquer la proportionnelle ? L’enjeu principal est d’installer, à tous les niveaux d’administration, les instruments participatifs non dans une logique d’apparence ou démagogique mais avec la conscience qu’il peut s’agir d’un puissant moteur d’amélioration de l’action publique.

 

PdA : Le gros de votre ouvrage, qui pose un diagnostic juste, bien argumenté et empreint d’une culture historique et économique fort agréable et profitable, s’attache à démontrer où ont été les décrochages de notre pays dans un cadre de globalisation accrue, et à proposer des solutions pour, sinon les effacer, du moins les corriger. En résumé : restaurer la « valeur travail » / alléger les contraintes administratives et fiscales qui pèsent sur l’entrepreneuriat, sur l’investissement / prendre à bras le corps en s’adaptant à ses traits ce qui fonde l’économie nouvelle (l’économie du partage notamment) / point lié : prioriser l’éducation non sans la moderniser / faire le choix du pragmatisme pour atteindre une meilleure efficience quant aux affaires liées aux administrations, à la gestion de la protection sociale collective, etc...

 

Quelle place doit être dévolue dans votre esprit, partant de ce constat de prescriptions philosophiquement libérales, à l’État en tant que « stratège » ? Dans votre chapitre sur les institutions et la décentralisation, vous accordez la compétence économique aux Régions mais l’État en tant que tel, fort de sa vision d’ensemble, a-t-il encore, hors la non-oppression fiscale/réglementaire des acteurs de l’économie, un rôle d’impulsion, d’initiative, d’investisseur à jouer en matière d’économie ?

Quelle place pour l’État stratège dans le cadre européen ?

F.S.-B. : Plus que jamais l’action politique et son bras armé, l’État, devront jouer un rôle déterminant. Il y a d’abord la nécessité de montrer la voie : poser un diagnostic de la situation et proposer des options précises et, à bien des égards radicales. Le redressement de 1958 tient ainsi à deux décisions majeures, et pas trois, prises par le général de Gaulle : sortir de l’économie coloniale pour faire le choix de la construction européenne fondée sur les logiques de marché et de concurrence ; mettre fin au régime parlementaire et à son instabilité par l’élection du Président de la République au suffrage universel. Il y a ensuite la transformation de l’État pour le rendre plus efficace notamment par la simplification de l’organisation territoriale et l’ouverture aux logiques participatives. Il y a également le chantier rattrapage/projection dans la nouvelle économie qui est considérable à conduire dans une période où chaque jour compte. Il y a enfin la nécessité de faire du Brexit un levier pour construire une autre Europe. C’est le sens des propositions visant à tourner la page du rêve d’une Europe politique pour en faire un instrument d’efficacité économique. Cela passe par la nécessité de revoir de fond en comble notre droit européen de la concurrence et des aides d’État. Il faut aussi ouvrir un droit d’exception pour réformes structurelles, c’est-à-dire pouvoir faire temporairement exception aux critères de déficits afin, par exemple pour la France, de pouvoir conduire en même temps une forte baisse des impôts et des réformes structurelles (35 heures, code du travail, réformes des retraites…). Surtout l’Europe doit retrouver sa légitimité en étant porteuse de projets puissants et susceptibles de changer le quotidien. J’en propose deux : lancer la transformation des 180 millions de bâtiments en Europe en petites centrales de production d’électricité verte. C’est une réponse au réchauffement climatique et un moteur de croissance pour des décennies. Mais cela suppose une politique globale et notamment des instruments de financements qui ne peuvent être mis en place qu’au plan européen. Autre projet possible : lancer un Google européen. C’est le portail et le point d’entrée de la nouvelle économie. Est-ce acceptable que Google en ai le monopole alors qu’il y a pas de fatalité à cela comme le montre le moteur de recherche russe Yandex, qui est au moins aussi performant. Seule l’Europe peut relever ces défis. Mais une autre Europe, post Brexit. Une Europe fer de lance de la performance économique que la France doit pousser dans un dialogue qui doit être désormais clair avec l’Allemagne.

 

PdA : On peut penser ce que l’on veut des mouvements sociaux actuels, il y a sans doute matière à parler dans certains cas de prises de position outrancières de part... et d’autre. Ceci étant posé, ne sont-ils pas révélateurs d’un phénomène plus profond et sans doute assez répandu au sein de la société, à savoir : un questionnement quant au sens à donner à la vie collective et à la vie tout court ? Vos propositions, qui souvent sont en matière économique celle de la droite dite « libérale » (augmentation du temps hebdomadaire de travail, allongement de la durée des cotisations...), ne vendent pas précisément du rêve à des salariés pas toujours bien dans leur emploi et qui, de bonne foi, aspirent à autre chose que forcément toujours « travailler plus » sans pour autant « gagner plus », des salariés qui ne se sentent pas nécessairement responsables de la dérive des comptes publics. Qu’auriez-vous envie de dire à, par exemple, une personne proche de la gauche, de celles qui ne se sentent pas proches pour le coup du gouvernement actuel, de celles qui aimeraient encore rêver d’un monde « différent » ?

Quel message pour un électeur de gauche ?

F.S.-B. : Mes propositions ne sont pas marquées par une dimension idéologique. Elles sont le fruit de ma double expérience au service de l’État et, depuis près de dix ans maintenant, dans le secteur concurrentiel. Il y a un effort de rattrapage à conduire qui passe, vous avez raison de le résumer ainsi, par plus de travail. Comment pourrait-il en être autrement dans le monde dans lequel nous vivons. Mais la principale originalité du livre est, à mon sens, d’analyser avec un prisme politique la nouvelle économie. Pour la première fois de l’histoire industrielle, les systèmes coopératifs sont plus efficaces que les structures hiérarchisées et de masse. Le logiciel libre est plus performant que Microsoft. C’est une opportunité fantastique pour construire une société plus juste, plus sobre et tout autant innovante. Pour la gauche, qui s’épuise à vouloir composer avec le capitalisme, c’est une source de renouvellement idéologique considérable. La nouvelle ligne de partage droite-gauche est dans la place faite à l’économie du partage. Je fais en ce sens de nombreuses propositions. Mais il y a urgence, car la nouvelle économie a un double visage. Il y a aussi l’ubérisation. Sans prise de conscience rapide, sans action politique vigoureuse, c’est ce second visage porteur de précarité et de violence économique qui risque de s’imposer.

 

PdA : Question liée : quels arguments opposeriez-vous à ceux de nos compatriotes qui, aimant comme vous notre pays et son histoire, ressentiraient là aussi de bonne foi vivement ce qu’ils verraient comme une espèce de marche forcée et intangible vers une uniformisation généralisée, vers une globalisation porteuse de concurrence toujours plus féroce, de menaces pour les habitudes, les traditions et les identités ? Cette France qui lit Éric Zemmour ou Philippe de Villiers, cette France qui vote Front national... et qui ne le fait pas forcément toujours pour les raisons « contestables » qu’on pointe trop souvent.

Quel message pour un électeur du Front national ?

F.S.-B. : L’esprit patriotique fait cruellement défaut aujourd’hui. Je suis souvent révolté de voir à quel point nous sommes passés maître dans l’art de dénigrer notre pays, qui est pourtant exceptionnel par son histoire, ses qualités, ses atouts et sa générosité.

Là où je diffère totalement des personnes que vous avez mentionnées, c’est que, pour reprendre le mot du général de Gaulle, il n’y a pour moi que deux catégories de Français : ceux qui font leur devoir et ceux qui ne le font pas. Il y a aussi la question de l’esprit de conquête. Nous sommes tiraillés, de manière permanente, entre la tentation du repli et la volonté d’affronter le grand large. J’ai écrit sur ce sujet à travers un de mes livres qui fait le portrait croisé de Pétain et de Gaulle.

C’est en offrant un projet patriotique, libéré du poison des préjugés et conquérant que l’on apportera une réponse à la montée du Front national. Les Français n’ont aucune envie de faire un choix qui les rapetisse.

 

PdA : Vous connaissez très bien l’histoire de notre pays : est-ce que vous considérez, comparant ce qui est comparable, et au vu du contexte global des puissances et forces en place, que la France est dans une situation de déclin relatif plus difficile à enrayer et à rattraper que par le passé ?

Le déclin de la France est-il inexorable ?

F.S.-B. : Bien sûr, l’Occident a perdu sa prééminence et, à l’intérieur, la France est parmi les pays qui ont accumulé le plus de retard. Mais notre histoire le montre, nous avons toujours raté le démarrage des révolutions industrielles et nous avons toujours su « recoller ». D’où le titre du livre.

 

Là où il faut être très vigilant est que le temps s’accélère et que si nous retardons le rattrapage nécessaire et si nous ne nous imposons pas de prendre le virage de la nouvelle économie, nous porterons la terrible responsabilité d’avoir fait de notre pays une puissance de second rang et, peut-être plus grave encore, un pays banal.

 

PdA : La France a-t-elle encore, dans un monde aussi globalisé qu’est le nôtre, un message réellement original et particulier à porter, et si oui comment le définiriez-vous ?

La France, une voix particulière, toujours ?

F.S.-B. : Plus que jamais et notamment sur les valeurs de respect du droit et de dialogue des cultures la voix de la France est attendue. Souvenons-nous de la guerre en Irak : l’Allemagne, la Russie, la Chine se sont placées derrière Jacques Chirac face à l’aveuglement américain. Mais il ne peut pas y avoir durablement d’influence intellectuelle et politique sans puissance économique. D’où la nécessité de donner aujourd’hui la priorité à l’économie. Nous n’en sacrifierons pas nos idéaux mais nous nous donnerons, au contraire, les moyens de les rendre audibles au monde.

 

PdA : Vous avez déclaré à plusieurs reprises soutenir Alain Juppé dans la perspective de l’élection présidentielle de l’an prochain. Cette question-là, comme la suivante, je la pose sans malice ; votre parcours, la profondeur qui transparaît de votre ouvrage la légitiment largement : auriez-vous l’envie de servir votre pays de manière directe (à la tête d’un ministère par exemple...) si le président élu demain vous le demandait, s’il vous promettait que vous pourriez être utile au pays ?

Demain, au cœur de l’action ?

F.S.-B. : J’ai eu le privilège d’exercer très jeune des hautes fonctions - je crois que j’ai été un des plus jeunes secrétaires généraux de la présidence de la République. Cela permet de prendre de la distance par rapport aux attributs du pouvoir. Reste le service de son pays. Il peut prendre de multiples formes. Il y en a une à laquelle je pense depuis des années. Nous sommes aveugles aux ravages de la souffrance mentale, en terme de santé publique et sur ceux qui en sont victimes et leurs familles. En 2002, auprès du Président Chirac, j’ai beaucoup poussé au lancement du plan cancer. Je pense aujourd’hui qu’il faut le faire sur ce sujet essentiel. Pour ce type de mission, je serai évidemment toujours présent.

 

PdA : Vous êtes, vous le rappeliez à l’instant, de ces rares hommes qui connaissant parfaitement pour l’avoir touchée de très près, le Saint des saints, la présidence de la République : qu’avez-vous retenu de votre expérience en tant que secrétaire général de l’Élysée auprès de Jacques Chirac (2005-2007) ? Quel regard portez-vous sur cette charge, incroyablement lourde, sur ce qu’elle implique à titre personnel ? Est-ce que dans l’absolu vous pourriez vous y voir ?

L’Élysée, au poste numéro 1, vous vous y verriez ?

F.S.-B. : Je suis heureux que vous me donniez l’occasion de parler des responsables politiques que j’ai bien connus et dont je peux aujourd’hui comparer les conditions d’exercice avec les responsables du secteur privé. Les élus assument une tâche très difficile, ingrate, leurs efforts sont rarement payés de retour alors qu’ils y sacrifient, bien souvent, leur famille, leur vie. On ne cesse de parler des privilèges des responsables politiques, c’est franchement injuste. Il y a, comme partout des exceptions, mais nos responsables politiques sont le plus souvent d’un dévouement et d’un engagement qui les honorent comme ils honorent la Nation.

 

PdA : Un dernier mot ?

F.S.-B. : C’est celui du Maréchal Foch, il y a bientôt cent ans et qui est d’une incroyable actualité : mon centre cède, ma droite flanche, situation idéale, j’attaque !

 

Frédéric Salat-Baroux

Source de la photo : Sipa Press.

 

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12 juillet 2016

« L'Europe et les peuples », par Nathalie Griesbeck

Le vote par une majorité d’électeurs britanniques en faveur du retrait de leur État de l’Union européenne, le 23 juin dernier, vient accroître encore l’impression, déjà prégnante au regard de la poussée constante des mouvements anti-UE sur tout le continent, d’un divorce véritable entre les peuples de l’Europe et les institutions communautaires - les « élites » de manière générale. Le 25 juin, deux jours après le référendum, j’ai souhaité proposer à Mme Nathalie Griesbeck, eurodéputée centriste (depuis 2004), pro-européenne convaincue, de nous livrer pour Paroles d’Actu quelques sentiments et pistes de réflexion personnels autour de la thématique suivante : « L’appareil communautaire et les peuples d'Europe peuvent-ils encore être réconciliés ? ». Son texte, reçu ce jour, brosse un tableau assez critique de la manière dont l’Union européenne fonctionne aujourd’hui. Tout cela ne manquera pas d’alimenter les débats dont l’Europe ne pourra de toute façon plus se passer dans les années, voire les mois à venir... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

UE

Source de l’illustration : huffingtonpost.co.uk.

 

« L’Europe et les peuples »

par Nathalie Griesbeck, le 12 juillet 2016

Le récent référendum au Royaume-Uni a été un véritable électrochoc politique au sein de l’Union européenne. Pour la première fois depuis sa création, un pays a fait le choix de se séparer de l’Union. De cette déchirure, nous devons retenir qu’elle n’est pas un acte isolé. La plupart des consultations électorales de ces dernières années ont témoigné de la méfiance, voire de l’opposition de citoyens européens au processus d’intégration européenne. L’euroscepticisme dont il est ici question semble se répandre en Europe, en même temps que les partis populistes prolifèrent et prospèrent.

Du choc au temps de la réflexion

L’Union européenne n’est pas exempte de reproches. Mais la majorité des citoyens européens ne s’oppose pas à l’idée d’Europe : selon un sondage Eurobaromètre de mars 2016, 54% des Français se voient à la fois français et européens, proportion qui s’élève même à 59% des 18-24 ans !

Si la majorité des citoyens semble attachée à l’Europe, c’est donc que les Européens ne rejettent pas « l’idée » d’Europe, mais l’Europe qu’aujourd’hui on leur propose ou impose ; cette Europe économique, très peu politique et sans protection sociale ; cette Europe qui ne sait pas se faire comprendre, qui paraît lointaine, froide et peu à l’écoute des demandes citoyennes. Enfin cette Europe des États, où ceux-ci décident quasiment de tout sans jamais en assumer les conséquences impopulaires. Ces États qui rejettent en bloc la faute sur cet avatar réducteur nommé « Bruxelles ». Il devient donc urgent de nous plonger dans une réflexion profonde sur les raisons de cette méfiance envers l’Europe.

L’idée d’inclusion citoyenne doit plus que jamais nous servir de boussole. Elle doit être au cœur du nouveau projet européen que nous appelons de nos vœux. Il faut mettre les citoyens en position de pouvoir s’approprier plus aisément les nombreuses particularités de l'Union européenne.

Inclure davantage les citoyens dans le cours des décisions

Des outils et institutions sont spécifiquement dédiés aux citoyens européens : le Médiateur européen, qui examine les plaintes à l'encontre des institutions, organes et agences de l'UE ou encore l’initiative citoyenne européenne qui permet aux citoyens européens d’inviter la Commission européenne à présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l'Union européenne est habilitée à légiférer. Au regard de l’utilisation modeste de ces outils - dont il faudrait simplifier les conditions pour l’initiative citoyenne - la solution passe sans doute par un lien plus direct entre les citoyens et leurs élus.

C’est pourquoi nous demandons depuis des années, que ce soit par la voix de mon parti politique, le MoDem, ou de mon groupe parlementaire, l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE), que le président de la Commission européenne soit élu au suffrage universel direct. Un pas de plus en faveur de l’implication des citoyens avait été franchi en 2014 avec le processus de « Spitzenkandidat » : pour la première fois, les candidats têtes de liste des partis européens pour les élections législatives étaient en position de devenir Président de la Commission européenne. Mais cette nomination est dans les textes toujours du ressort des États-membres et M. Jean-Claude Juncker, bien que « Spitzenkandidat » du Parti Populaire européen (PPE, la droite européenne) doit sa nomination à la volonté des États-membres.

C’est une réforme indispensable pour aller vers une véritable responsabilisation démocratique de la politique européenne. En l’état actuel des choses, d’un côté les politiques européennes demeurent des compromis dont personne n’est responsable, de l’autre, les citoyens votent lors des élections européennes à travers le prisme des enjeux nationaux. Élire le président de la Commission sur un programme rend son parti et lui-même responsables d’une partie de la politique européenne. C’est-à-dire que lors des élections suivantes, les citoyens pourront voter pour plébisciter ou sanctionner un bilan, et non plus seulement pour se prononcer pour davantage ou moins d’intégration européenne.

Il faut, à mon sens, continuer dans cette voie et sanctuariser ce processus si l’on veut rendre l’Union européenne vraiment plus proche des citoyens.

Rendre plus accessibles les institutions

Le processus législatif européen est assez complexe puisque c’est la Commission européenne qui a l’initiative - et non le Parlement - et ce sont le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne qui décident ensemble, via un processus d’aller et retour du texte entre ces deux institutions. Si des oppositions demeurent au terme du processus entre le Parlement et le Conseil, des comités de conciliation sont formés. Appelés « trilogues », puisque la Commission européenne, le Parlement et le Conseil négocient, ils se déroulent en toute opacité. Cela rend irresponsables les preneurs de décisions et accroît - à juste titre - la méfiance citoyenne. Souhaitant davantage d’accessibilité à l’information, je suis en faveur de la publication des comptes-rendus de ces négociations.

Rendre plus accessibles les institutions ne nécessite pas nécessairement de grandes réformes, mais de petits changements relevant parfois du simple bon sens. Je pense ici à certaines terminologies technocratiques et ridicules. Je prendrai pour exemple le terme de « Conseil », qui désigne à la fois l’organe au sein duquel se réunissent les ministres de chaque gouvernement, le Conseil de l’Union européenne, les réunions des chefs d’États que sont les « Conseils européens » et enfin l’organisation internationale distincte de l’Union, le Conseil de l’Europe ! Cette appellation génère des confusions et suscite une incompréhension dont on se passerait bien envers ces institutions !

Reconstruire un projet européen autour d’une Europe sociale

La construction européenne s’est, depuis son origine, appuyée sur la réalisation d’un marché économique, en passant d’une zone de libre-échange à un marché commun, voire à une union économique et monétaire pour 19 États-membres. Cette remarquable réussite ne saurait cependant occulter le manque criant de protection sociale européenne. Demandée avec une certaine insistance par les citoyens de l’Union, cette Europe sociale concilierait croissance économique et amélioration des conditions de vie et de travail. Des instruments existent déjà dans ce domaine comme le Fonds social européen (FSE) ou le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEAM), mais ils sont trop faiblement dotés en ressources pour la mettre réellement en pratique. Surtout, l’Union pourrait affirmer une ambition plus forte dans ce domaine à condition qu’on lui accord cette compétence.

L’événement du Brexit a mis en lumière une incompréhension mutuelle des citoyens européens et de leurs institutions. Le fait est certain, et il est vital pour l’Union de se réformer. Inclusion des citoyens, accessibilité des institutions, Europe sociale constituent des solutions à cette crise. Bref, nous devons aller à contrecourant de certaines voix populistes : plutôt que de « rendre » aux États une souveraineté qu’ils n’ont jamais perdue, intégrons davantage l’Union et passons de l’Union européenne des États à l’Union européenne des citoyens !

 

Nathalie Griesbeck

 

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11 juillet 2016

Violaine Sanson-Tricard : « Véronique, ma merveilleuse petite soeur, fragile et forte... »

Dans une chanson de son album Longue Distance (2004), 5ème Étage, tendre évocation de son enfance parisienne, Véronique Sanson consacre à sa sœur aînée Violaine, ces quelques lignes : « Vio vio t’es la plus belle que j’aie aiméeMes malheurs tu les prends comme des trésorsPetite soeur je n’sais vraiment plus où allerJ’ai trop peur de t’emmener dans mes dangers ». Près de quarante ans plus tôt, les deux sœurs formaient, avec François Bernheim, l’éphémère trio musical des Roche Martin. Elles ne se sont jamais vraiment quittées, loin des yeux parfois - folle Amérique ! - mais jamais bien loin du cœur. Sur l’album Plusieurs Lunes, dernier opus studio en date (2010) de Sanson en attendant le prochain, prévu pour cet automne, Violaine Sanson-Tricard a signé un titre emblématique, Qu’on Me pardonne. On la voit encore apparaître à la fin du tout récent Live des Années américaines, sur scène. Y’a pas de doute... elle fait partie de la Team... (pardonnez-moi Véronique, de l’équipe).

Je vous engage vivement à l’écouter, à le regarder, ce film des Années américaines. Sans grand doute un de ses meilleurs enregistrements publics (voix et énergie de Sanson, instru et musicos au top et setlist de rêve). Après avoir visionné l’ensemble, vous comprendrez mieux pourquoi sa place est si particulière et privilégiée dans l’univers de la chanson française - et, singulièrement, dans le panthéon perso de votre serviteur. Un long article lui a déjà été consacré ici, l’entretien avec Yann Morvan réalisé à l’occasion de la sortie du beau livre qu’il a coécrit avec Laurent Calut, Les Années américaines. Quel dommage qu’on n’ait pu la faire cette interview Véronique, ma plus grosse frustration pour ce blog... Un jour peut-être. Je suis en tout cas ravi de pouvoir vous proposer, ce soir, les fruits de cet échange avec Violaine Sanson-Tricard, tendre évocation de sa « très grande petite sœur ». Votre parole est rare, merci à vous Violaine pour ce témoignage... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« Véronique, ma merveilleuse petite sœur,

fragile et forte... »

Interview de Violaine Sanson-Tricard

EXCLU PdA - 02-05/07/16

Véronique et Violaine Sanson

Photo fournie par Violaine Sanson-Tricard. Par Ken Otter (tous droits réservés).

Véronique, Violaine. En 1976, quelque part à la fin du printemps...

 

Les Années américaines : votre ressenti (tournée 2015-16, Live)

La tournée fut un incroyable succès. La thématique des “Années américaines” reprenait le moment où la musique de Véronique avait pris sa pleine ampleur. Enregistré aux États-Unis avec les plus grands musiciens de la pop musique de l’époque, l’album Le Maudit proposait un son étrange et nouveau, né de l’alchimie entre une voix inattendue, des paroles presque exclusivement en français sur une couleur de production totalement américaine. Cet album fut rapidement suivi de Vancouver, puis de Hollywood, et les trois albums sont devenus des albums cultes, chacun dans son genre.

Témoin d’une époque en phase totale avec l’air du temps, cette musique a attiré un public qui d’emblée, a dépassé le cercle des fans de Véronique.

L’extrême qualité du spectacle, l’énergie inouïe qui s’en dégageait a fait le reste. Il a fallu booker une semaine, puis une autre semaine supplémentaire à l’Olympia, les Zéniths de province étaient pleins, et la tournée, qui devait se terminer mi-Juillet, a dû être prolongée de 6 mois avec un Palais des Sports plein à craquer et debout dès la première partie, et une dernière performance le 9 Janvier à l’Olympia, date de la captation du Live.

Le Live est un magnifique rendu de ce spectacle : François Goetghebeur, le réalisateur, a compris - il est peut-être le premier à l’avoir compris à ce point - que Véronique était bien sûr une merveilleuse interprète et une sacrée bête de scène, mais aussi et surtout un auteur compositeur dont le spectacle est avant tout construit autour de la musique et des musiciens qui la jouent.

Son montage porte cela avec brio et maestria, et Véronique n’est que louanges pour François, dont elle dit : “Il est un des seuls à avoir tout compris de ma musique”.

 

DVD Les Années américaines

Le DVD+2CD des Années américaines sur le site officiel de Véronique Sanson.

 

“Ses” années américaines (1973-81) comme vous les avez vécues...

Cette époque a été pour Véronique une vie erratique entre star système, mal du pays, isolement et sentiment de culpabilité après sa rupture avec Michel Berger. Sous les paillettes, beaucoup de solitude et de souffrances. Un lien qui ne s’est jamais distendu entre Véronique et sa famille (et surtout avec notre mère, avec qui elle parlait tous les jours au téléphone malgré la distance et le décalage, et, à l’époque, le coût exorbitant des communications. C’était son luxe, disait-elle).

 

Regard sur sa place, son empreinte dans le paysage musical français

L’arrivée de Véronique dans le paysage musical français a fait l’effet d’une petite bombe. À l’époque, il y avait les anglo-saxons et les petits français qui en adaptaient les tubes, ou bien se cantonnaient dans le yéyé. Peu d’artistes avaient apporté une musicalité et une singularité comparable.

 

Quelques moments choisis... (vos 3 ou 5 chansons préférées d'elle)

On M’attend Là-bas, Bernard’s Song, Ma Révérence, Étrange Comédie, Full Tilt Frog.

 

Regard sur le lien qui l’unit au public

Le lien qui unit Véronique à son public est fusionnel. Écoutez ce qu’elle dit (en substance) au tout début du Live : “Avant de monter sur scène, je suis pétrifiée, je pense que je n’aurai jamais la force de mettre un pied devant l’autre. Puis j’entre sur la scène et là, pftttt !!! Tout s’éclaire.” Sa générosité sur scène est absolue, on sent qu’elle se donne à tous et à chacun.

 

Dans la vie comme sur la scène ?

Véronique est ma merveilleuse petite soeur, fragile et forte, éclairée autant qu’écrasée par un gigantesque talent dont elle doute sans cesse.

 

Les Années américaines

Les Années américaines, livre de Laurent Calut et Yann Morvan (Grasset, 2015).

 

Travailler avec elle...

Travailler avec Véronique, c’est comme de jouer avec un bébé chat. C’est ingérable et magique.

 

Quelques scoops sur l’album à venir ?

Le single, qui sort en septembre, est un texte déchirant sur notre mère, porté par une musique qu’on n’arrive pas à se sortir de la tête. On le fait parfois écouter en salle de réunion comme ils se doit dans le métier. Je n’ai jamais levé les yeux sur l’assistance sans voir une quasi totalité d’yeux rouges, quand ce ne sont pas quelques larmes qui coulent.

Et puis comme toujours, le reste de l’album (qui sort en novembre) est un mélange incroyablement éclectique de titres qui dénoncent les abus des forts et les puissants, la bêtise des habitudes, ou parlent tout simplement d’amour avec des mots chaque fois nouveaux.

 

Édit. du 10 septembre 2016 : le clip du premier single de lalbum Dignes, Dingues, Donc...,

le nom du morceau est Et je l’appelle encore, et la promesse est tenue...

 

Véronique par Violaine, en trois mots

Ma très grande petite sœur.

 

Un message à lui adresser à l’occasion de cet article ?

Bonjour, mon Futifu.

 

Un dernier mot ?

Merci d’avoir lu tout ça jusqu’au bout !

 

Les Roche Martin

Photo fournie par Violaine Sanson-Tricard. « Un soir à la Maroquinerie, il y a probablement quatre ou cinq ans, nous avons reconstitué, le temps de deux ou trois chansons, les Roche Martin, un groupe fondé avec François Bernheim lorsque Véronique avait 16 ans. La photo est bien postérieure aux années américaines, et le groupe était bien antérieur à ces années-là. »

 

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10 juillet 2016

Pupazzaro, l'homme qui a grimé Griezmann en général 19è : « Le foot, c'est de l'art... »

L’image fait le tour du web social et média français depuis quelques jours : un portrait de fort belle facture dAntoine Griezmann apprêté à la manière d’un officier supérieur du dix-neuvième siècle. Il faut dire que « Grizou » a, en quelques matchs décisifs de l’Euro, gagné sous le maillot bleu ses galons de héros national. De lui transparaissent, en plus d’un talent dont plus personne ne doute, des impressions de simplicité, dhumilité que pas grand chose ne remet en cause. Combien de « Griezmann président ! » déjà... De fait, défiance généralisée aidant, on se verrait assez volontiers lui remettre les clés de l’Élysée, par acclamation populaire. Votre serviteur a en tout cas la conviction qu’il sera propulsé directement dans le Top 3 des personnalités préférées des Français dans le sondage JDD de la fin de l’année. Et, à quelques heures de la grande finale contre le Portugal, on peut dire qu’à l’occasion de cet Euro qui se joue chez nous, l’Équipe de France de foot a pour longtemps regagné le cœur du public français - et peut-être contribué à lever un peu de la sinistrose ambiante.

J’ai souhaité, après l’avoir contacté, inviter l’artiste qui a réalisé cette oeuvre à répondre sous forme d’un texte inédit à plusieurs questions : qui est-il et comment en est-il venu à réaliser ces portraits ? quel regard porte-t-il sur Griezmann, son Euro ? quel message lui adresserait-il s’il en avait l’opportunité ? quel pronostic pour la finale de ce soir ? en quoi le football est-il, comme il l’affirme sur sa page Facebook, un « art » ? quels sont ses projets et rêves d’artiste ? Voici Fabrizio Birimbelli alias Pupazzaro. Quoi qu’il en dise, un vrai artiste, qui mérite d’être largement découvert et soutenuL’entretien, réalisé en anglais, date du 9 juillet. Je vous le propose ici, traduit par mes soins. Bonne lecture... et allez les Bleus ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Antoine Griezmann

Par Fabrizio Birimbelli alias Pupazzaro.

Lien/link : www.redbubble.com/people/pupazzaro/shop...

 

« Le foot, c’est aussi de l’art... »

Je m’appelle Fabrizio Birimbelli. Pupazzaro est le pseudo que j’utilisais sur DeviantArt.com (une plateforme massive d’art en ligne), je l’ai gardé depuis. Dans les temps anciens, à Rome, le pupazzaro était celui qui fabriquait des marionnettes (pupazzi).

Je ne travaille pas dans l’art et l’art n’est pas pour moi un « hobby ». C’est une vraie passion, je ne saurais même pas dire depuis quand elle est en moi. Je suis actuellement programmeur informatique (un autre job créatif, si vous voulez mon avis). Je me suis mis au dessin, à la peinture numérique il y a quelques années. Partant de la peinture physique ou du dessin à l’encre sur papier, le numérique ouvre des possibilités infinies... et c’est amorti bien plus rapidement !

À propos de ces tableaux de sportifs : j’ai d’abord commencé, sans trop réfléchir, à réaliser des portraits de joueurs de l’AS Roma (ma ville et mon équipe favorite !) en généraux du 19ème siècle. La Roma en a publié quelques uns sur son site, puis j’ai été contacté par Antonio Rüdiger, qui voulait son propre portrait, et m’a invité à Trigoria (le camp d’entraînement de l’AS Roma). Sur place, j’ai pu apporter le sien à une légende, Monsieur Francesco Totti...

Tout cela m’a apporté un peu de notoriété. J’ai été publié sur certains sites de sport, reçu en peu de temps des centaines d’abonnés nouveaux sur Twitter, Instagram et Facebook... Pas mal de gens m’ont incité à en faire davantage encore. Chacun voulait voir ses propres joueurs de ce point de vue disons épique. Et j’ai pensé que les grandes compétitions européennes pouvaient être une bonne source d’inspiration... J’ai commencé avec les capitaines (mon Lloris aussi est un tableau dont je suis fier), etc...

L’idée de faire de même avec Griezmann mest venue naturellement. Il est un bon joueur, qui a la classe mais sait être un combattant sur le terrain. Il a aussi une « bonne figure », des expressions inspirées et un regard rêveur... je savais que ça allait coller parfaitement à mon projet.

Avant le début de l’Euro, je pensais que cette année serait celle de Pogba, lui aussi une grande vedette... mais Griezmann a démontré qu’au-delà de la classe, il savait faire preuve de noblesse dans ses attitudes et, en même temps, de vraies qualités de leader : le mix parfait.

S’il lit cet article ? Peut-être aimerait-il avoir son propre portrait accroché au-dessus de sa cheminée (s’il en a une à Madrid) ? Appelle-moi, Tony ! ;-)

Je ne saurais dire comment cet Euro va se terminer. La France est puissante mais, de l’autre côté, il y a un gars appelé Cristiano Ronaldo... Tout peut arriver.

Tout peut arriver... parce que le football, c’est aussi de l’art. Imprévisible. Injuste. Le foot est le sport le plus apprécié sur la planète. Pas seulement pour le jeu en lui-même mais aussi pour ces « héros » qui le font. Pas de vrais héros, non, on sait qu’il sont des professionnels, on sait qu’ils vous quitteront la saison suivante pour une nouvelle équipe, mais en ce que, durant 90 minutes, ils te représentent, toi et ta ville, tu cries, chantes pour essayer de les aider à mettre ce ballon dans le filet. Si ça, ce n’est pas « épique » ?

Si vous regardez des gens comme Maradona, Falcao, Sócrates, permettez-moi d’y ajouter Totti... Ce n’est pas uniquement un jeu ou du sport. Pas simplement de la technique. Des pieds, pas des coups de pinceau... mais le résultat est dune beauté pure. ;-)

Pour ce qui me concerne, moi, je ne me considère pas comme un artiste. La suite, je ne sais pas de quoi elle sera faite. Continuer à dessiner, c’est ce que j’aime... Que ça devienne un métier ? Un rêve...

Merci à vous de partager ce que je fais !

Fabrizio Birimbelli, le 9 juillet 2016

 

My name is Fabrizio Birimbelli. Pupazzaro was a surname I used on DeviantArt.com (art-related forum) and so remained. In the past days in Rome, pupazzaro was someone making puppets (pupazzi).

Art is not my job, neither a hobby, it’s a great passion that I’ve followed since I can remember. Now I work as a computer programmer (another creative job in my opinion) and since a few years I have started painting and drawing in digital. Coming from the real paint or drawing ink paper, the digital media gives you endless possibilities and is damped quicker !

About this sportsmen portraits : I have started without thinking too much making some portraits in this 1800-generals style of AS Roma players (my city and my favourite team). Roma published some of them on their site, then I was contacted by Antonio Rüdiger who wanted his portrait and invited me in Trigoria (the training camp of Roma). There I was able to bring the portrait to a legend named Francesco Totti.

This gave me some popularity. I was published on sports sites, got tons of followers on TwitterInstagram and Facebook and many people asked me to do more. Everyone wanted to see their own players from this epic point of view. And I thought the European Championship could be a good source of inspiration. I started with captains (my Lloris too is one portrait I am proud of) and so on.

The idea of Griezmann came naturally. I think he is a good player, with class, but a fighter inside the pitch. He also has the « right face », inspired expression and dreaming look that I think works well with my stuff.

Before this Euro champ., I thought this could be the year of Pogba (I think that he is also a great star), but Griezmann showed more than class : a great attitude and leadership, the perfect mix.

If he reads this article maybe he would like to have his own portrait hung on his fireplace (if he has one in Madrid). Well... « contact me Tony ! »

I don’t know how it will end. France is strong but on the other side there’s a guy called Cristiano Ronaldo and anything can happen... cos football is art.

Unpredictable, unfair. Football is the most loved game on earth. And not only for the game itself but for the « heroes » that are part of it. I mean they are not really heroes, you know that they are professionals, you know that they will leave you next summer for another team, but during those 90 minutes they represent you and your city, you scream and sing trying to help put that ball in the net. Epic, isn’t it ?

And if you look at people like MaradonaFalcaoSócrates, and let me add my Totti, you could say that’s not a simple game or sport. It’s not mere techique, it is art. Feet and not brushes, but the result is pure beauty ;-)

I don’t consider myself an artist, so I don’t really know what it will come. Keep drawing is just great, doing as a real job... that’s a dream.

Thanks a lot for sharing my stuff.

Fabrizio Birimbelli, July 9, 2016

 

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5 juillet 2016

« À l'heure des défis : l'OTAN et le sommet de Varsovie », par Guillaume Lasconjarias

À quoi sert encore l’OTAN, plus d’un quart de siècle après l’effondrement de cet ennemi a priori (et donc a posteriori) mortel qui lui donnait sa raison d’être, à savoir le « bloc de l’Est » ? Quelles missions l’Alliance atlantique a-t-elle vocation à assumer dans une Europe et un monde en proie à des défis nouveaux ou en tout cas, à des menaces en pleine mutation ? Les délégations nationales qui se réuniront à Varsovie - quel symbole ! - pour le sommet de l’OTAN à la fin de la semaine devront plancher sur ces épineuses questions, redonner un souffle et un cap à cette organisation qui se cherche une stratégie cohérente à l’Est, une organisation à peu près muette en tant que telle sur la Syrie et peu ou en tout cas pas audible autant qu’elle le pourrait sur la question désormais imposante du terrorisme international. Guillaume Lasconjarias, chercheur au sein du Collège de défense de l’OTAN et habitué fidèle de Paroles d’Actu (à lire ou relire : notre interview doctobre 2015, réalisée deux semaines avant les attentats de Paris), a accepté de nous livrer quelques clés pour comprendre et analyser les enjeux de ce sommet. Je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

OTAN

Au siège de l’OTAN. Source de la photo : usdefensewatch.com.

 

« À lheure des défis : lOTAN et le sommet de Varsovie »

Dans quelques jours, du 7 au 9 juillet, chefs d’État et de gouvernement se retrouveront à Varsovie pour un sommet de l’Alliance atlantique qui devra orienter les principales décisions de 28 alliés dans un environnement toujours plus complexe, plus volatile et pour tout dire, plus dangereux. Alors que la Russie s’affirme comme un acteur toujours plus agressif, que l’État islamique malgré ses reculs n’a rien perdu de ses capacités d’attraction et poursuit ses engagements à mener des attaques terroristes sur le sol occidental, que les nations européennes sont fragilisées par des cohortes de migrants fuyant guerres, conflits et situations économiques désespérées et qui forcent les responsables politiques à reconsidérer le pacte social, comment une alliance pensée pour défendre des valeurs libérales et démocratiques au temps de la Guerre froide peut-elle se régénérer pour demeurer crédible ?

Qu’attendre d’un sommet de l’OTAN et plus spécifiquement, de celui qui vient ? Doit-on souhaiter de nouvelles annonces qui, à l’instar de celles avancées au sommet de Newport (Pays de Galles, en septembre 2014) chercheront à rassurer les alliés en montrant la capacité de l’Alliance à s’adapter au nouveau désordre mondial ? Cherche-t-on au contraire à marquer une pause pour analyser ce qui a été fait et qui devra être accompli ?

Dans l’histoire de l’Alliance, les sommets ont un rôle très particuliers en cela qu’ils servent de point d’orgue et de cap aux nations comme aux éléments qui composent la structure permanente de l’Alliance, son secrétariat international et sa chaîne hiérarchique. Depuis la fin de l’Union soviétique, les sommets se succèdent à intervalles réguliers, soit tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Lors de ces rencontres sont mises en avant les grandes décisions qui justifient l’existence de l’Alliance, soit en ouvrant la porte à de nouveaux membres, soit en décidant de poursuivre ou d’étendre des opérations, soit en proposant de nouvelles initiatives destinées à améliorer le fonctionnement interne de l’ensemble. Dans tous les cas, il s’agit de montrer la pertinence de l’OTAN, tout en lui redonnant un « coup de fouet ». En effet, ces moments où le politique s’interroge et s’intéresse à l’alliance est aussi un moyen de forcer la structure à ne pas se contenter d’une routine ou d’une administration qui s’auto-animerait, pour lui redonner son allant et sa motivation.

« Le "retour" de la Russie avec Poutine

a ravivé la flamme otanienne »

Mais qu’attendre de Varsovie ? Depuis deux ans, le travail accompli a été très important. L’alliance, qui au début 2014, semblait être en retrait et cherchait un moyen de ranimer la flamme parmi ses membres a sans nul doute bénéficié du retour de la Russie de Poutine, dont les actions en Crimée puis dans l’est de l’Ukraine ont balayé le rêve d’une Europe libérée de tout conflit. Confrontée à la montée en puissance de Daesh, à une crise syrienne dont nul ne sait l’issue, à la tragédie de l’immigration massive et à la déstabilisation d’États dans sa périphérie, l’OTAN a entamé un travail de réflexion sur ses points forts : répondant aux préoccupations de ses alliés du flanc Est, c’est d’abord à une remontée en puissance qu’elle s’est attelée, ravivant ses capacités militaires et invitant tous ses membres à non plus se plaindre de la dangerosité de l’environnement mais bien à se prendre par la main et à dépenser plus et mieux pour redevenir un acteur politique et militaire crédible. La promesse - bien qu’elle ne soit pas contraignante - d’amener les budgets de défense à 2% du PIB des nations marque en cela un premier tournant.

Le second temps a été de se repositionner face à la Russie. S’il est possible de soupçonner une certaine facilité quant à se redonner un adversaire qui flaire bon le temps passé, les alliés se gardent bien de toute similitude avec la guerre froide. À raison : Poutine n’est pas Staline, la Russie d’aujourd’hui n’a rien de comparable avec l’URSS, et malgré les rodomontades du maître du Kremlin, la puissance russe se débat avec une économie fortement affaiblie, dans un environnement géopolitique où les compétiteurs sont de plus en plus nombreux. Il n’empêche que l’affaire ukrainienne a rappelé que la surprise et la déstabilisation d’un État situé à trois heures d’avion de Bruxelles était une possibilité et que la Russie avait fait quelques progrès en matière de guerre sous le seuil, employant des tactiques hybrides et annulant toute possibilité de réaction de la part du pays visé, comme de ses voisins.

L’OTAN a donc redécouvert une forme de conflit à laquelle elle n’avait plus songé, ses interventions dans les Balkans, puis en Afghanistan l’ayant surtout amenée à réfléchir aux problèmes de reconstruction d’États faillis, occultant parfois l’idée de guerre, quitte à la subir. Ainsi, en Afghanistan pendant douze ans, la notion de campagne de contre-insurrection s’est-elle imposée, forçant les nations contributrices à penser comment des armées doivent parfois se charger de tout pour gagner la paix. La Libye, par certains aspects, a été un cas hors norme, sans engagement au sol et la possibilité de changer le régime du dictateur Kadhafi par une rébellion victorieuse.

« L’OTAN brille par son absence sur la question syrienne »

Toutefois, cette dernière décade a porté en elle les problèmes qui grèvent aujourd’hui l’alliance. La longueur du conflit afghan et l’absence de résultats concrets ont éloigné les opinions publiques et convaincu certains hommes politiques à retirer leurs forces, affaiblissant encore plus l’esprit de la mission. L’action en Libye, quoique réussie d’un point de vue militaire, a donné naissance à deux gouvernements proclamant leurs droits tandis que dans les creux et vides naissait et prospérait l’État islamique. L’alliance s’est trouvée remarquablement silencieuse quant au drame syrien, et si une part non négligeable de ses alliés prend part aux actions contre Daesh au-dessus de la Syrie et de l’Irak, ce n’est pas l’établi qui est à la manoeuvre. Enfin, au regard de la situation dans l’est de l’Europe, une véritable fracture s’est instaurée entre ceux qui voient dans la Russie le nouvel ennemi quand d’autres jugent plus préoccupants les questions migratoires ou le terrorisme.

En réalité, ce qui est en jeu à Varsovie, c’est moins la question des priorités de l’Alliance que sa capacité à créer de la cohésion entre ses membres. L’idée de développer une Alliance capable de penser son environnement à 360 degrés et donc, de se saisir - et potentiellement de traiter - des problèmes survenant à l’est ou au sud sont les conditions de sa pérennité et de sa crédibilité. La mise au point de « directions stratégiques » concourt naturellement à cela, mais il faut poursuivre ses efforts en évitant de séparer les fronts ou de spécialiser les nations. Il est bon de rappeler quels sont les fondamentaux sur lesquels repose cette alliance et notamment le principe de défense collective contenu dans l’article 5 du traité de Washington (1949). Sans doute, au cours des vingt dernières années, a-t-on offert aux autres missions élaborées dans le concept stratégique de 1999 (sécurité coopérative et gestion de crise) une caisse de résonance qu’il convient de ne pas oublier, mais peut-être de considérer comme moins fondamentale à la survie de l’OTAN. Peut-être, comme le suggèrent quelques auteurs, est-il temps de redéfinir ce concept stratégique ou de lui assurer d’autres responsabilités, comme le développement de la résilience au sein des populations de l’Alliance.

« Il est peu probable que le sommet de Varsovie

soit des plus ambitieux pour l’OTAN »

Varsovie, pourtant, risque fort de n’être qu’un rapport d’étape peu ambitieux malgré des déclarations ci et là. L’attente des élections américaines puis, en 2017, de la présidentielle française et de la remise en jeu du mandat de la chancelière allemande plaident pour ne pas prendre de décisions hâtives. La tragi-comédie du « Brexit » et les tensions que traverse l’Union européenne ne font pas non plus le jeu de l’Alliance qui a besoin de partenariats solides pour maintenir une pression sur la Russie. Peut-être ne faut-il pas espérer de grandes mesures ou des décisions marquantes : si les chefs politiques poursuivent et renforcent ce qui a été fait il y a presque deux ans à Newport, ce sera déjà un beau résultat car l’adaptation et la crédibilité de l’OTAN passent plus par une suite de petits pas auxquels chacun contribue qu’à des grandes annonces peu suivies d’effets.

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juillet 2016

 

Guillaume Lasconjarias

 

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4 juillet 2016

« J'aurais tant aimé qu'il fût Président », Michel Rocard vu par Jean Besson

La disparition de l’ex-Premier ministre Michel Rocard (il officia à ce poste sous la présidence de François Mitterrand, entre 1988 et 1991), figure de la gauche dite « réformiste » en France et, jusqu’à la fin, infatigable militant pétri de convictions fortes, a suscité de nombreux hommages, y compris de la part de ses adversaires qui ont, a minima, reconnu de vraies qualités à l’homme. Le 3 juillet, j’ai proposé à M. Jean Besson, ex-sénateur socialiste de la Drôme (1989-2014) qui avait répondu à une longue interview pour Paroles d’Actu en 2012, d’écrire quelques lignes pour évoquer Rocard. Son texte m’est parvenu le lendemain, peu avant midi. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Photo Jean Besson M

« Ma photo : avec Rodolphe Pesce, lui aussi rocardo-mauroyiste, au milieu des années 80, accueillant Rocard

qui avait démissionné du Gouvernement Fabius et préparait sa candidature à la Présidentielle de 1988. »

 

« J’aurais tant aimé qu’il fût Président »

L’annonce de la mort de Michel Rocard me laisse un sentiment de très grande tristesse et le regret d’un destin inachevé.

Cet homme d’État restera comme une figure de la politique française, inventeur de la « deuxième gauche ». Il a été le premier à gauche à introduire la notion de rigueur financière. Un homme du siècle dernier mais tellement tourné vers l’avenir, qu’aujourd’hui encore ses idées sont non seulement d’actualité mais pourraient inspirer bon nombre de nos hommes politiques. Cette « gauche moderne », résolument réformiste, il l’aura conduite pendant trop peu de temps à Matignon entre 1988 et 1991. Mais assez de temps pour ramener la paix en Nouvelle-Calédonie et mettre en place le RMI et la CSG, pour ne citer que ses plus grandes réformes.

Je n’étais pas ce que l’on appelait un « rocardien » mais mes engagements à la CFDT m’ont naturellement conduit à être très proche de Michel Rocard. C’est un peu de la préhistoire politique et ceux qui n’appartiennent pas à ma génération ne comprendront pas trop de quoi nous parlons, mais disons que j’ai appartenu à ce qu’on a appelé à l’époque les courants rocardo-mauroyiste puis jospino-rocardien. Une anecdote : j’ai toujours eu parmi mes plus proches collaborateurs des rocardiens ! Comme militant socialiste et comme parlementaire je l’ai soutenu et j’aurais tant aimé qu’il fût président de la République.

L’amateur de voile qu’il était a aujourd’hui pris le large, il va manquer à la politique française et au débat d’idées.

par Jean Besson, sénateur honoraire

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