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Paroles d'Actu
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5 octobre 2025

Philippe Durant : « La volonté de qualité a toujours été essentielle chez Michel Blanc. »

Le rendez-vous était pris : quelques minutes après avoir échangé avec Richard Melloul au sujet de Michel Blanc (la retranscription de l’entretien est à retrouver ici), j’aurais un second appel téléphonique, avec son coauteur, l’historien du cinéma Philippe Durant, auteur d’un remarqué Alain Delon, un destin français, publié l’an dernier. L’occasion nous a été donnée d’évoquer leur ouvrage, Michel Blanc, Quand te reverrai-je... (Guy Trédaniel, octobre 2025), que je recommande toujours, pour le récit et pour ses photos. La disparition de l’acteur il y a un an, sa filmographie, sa personnalité et sa postérité. Delon, Depardieu et Woody Allen aussi. Quand te reverrai-je, Michel Blanc ? Tout le temps, partout, quand je voudrai, grâce à tes films. Même si, pour reprendre une phrase désormais célèbre, tu aurais pu vivre encore un peu... Merci, Philippe Durant, pour cet échange. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (25/09/2025)

Philippe Durant : « La volonté

 

de qualité a toujours été essentielle

 

chez Michel Blanc. »

Michel Blanc, Quand te reverrai-je... (Guy Trédaniel, octobre 2025)

 

Bonjour Philippe Durant. Comment est née cette bio sur Michel Blanc, et comment est-ce que vous vous êtes partagé le travail avec Richard Melloul ?

 

Alors comment est née la bio, c’est assez simple et compliqué à la fois. C’est une histoire d’édition comme toujours, c’est-à-dire qu’on a un ami commun, Richard, et moi. En fait, Richard voulait faire une bio, un hommage. Il ne savait pas trop comment s’y prendre et on m’a appelé à la rescousse. Et je suis rentré dans l’aventure parce que ça m’intéressait beaucoup, et j’ai surtout sympathisé avec Richard avec qui je m’entends très bien. Et c’est comme ça qu’on a construit le bouquin. Le bouquin, si vous voulez, l’écriture, c’est moi. Les informations, c’est un peu moi, c’est beaucoup Richard. Lui, il avait les photos, il avait ses souvenirs, donc on avait déjà une belle base. Et comme j’aimais beaucoup Michel Blanc, ça m’intéressait de le faire. On m’aurait proposé d’autres noms d’acteurs, que je ne vais pas citer, j’aurais dit non, mais là, oui, ça me touchait.

 

Est-ce que vous vous souvenez de quand vous avez découvert le Splendid pour la première fois ?

 

Je me souviens très bien. Je n’ai pas "découvert le Splendid", je n’en avais pas entendu parler parce que j’habitais en province, donc on ne savait pas très bien ce que c’était le Splendid. J’ai découvert les cafés-théâtres bien après, mais je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu Les Bronzés. Ça m’avait beaucoup marqué. Moi j’étais ado, mais tous les gosses à l’école, on ne parlait que de ça, on se disait, qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est loufoque, c’est drôle, on n’avait jamais vu ça en fait. C’était plein d’humour, et ça m’avait beaucoup marqué. Comme ça avait marqué tous les copains à l’école. Et après, effectivement, en grandissant, si vous voulez, j’ai appris ce qu’était vraiment le Splendid. J’ai ensuite fait beaucoup de cafés-théâtres quand j’allais à Paris. Mais au départ, pour moi, c’était vraiment Les Bronzés.

 

Et justement, vous avez senti assez rapidement en regardant Les Bronzés que ces humoristes-là apportaient vraiment quelque chose de nouveau, y compris par rapport à ce qui se faisait avant, Les Charlots, etc. ?

 

On était dans une période de découvertes. Il faut se souvenir qu’avant, il y avait eu Les Valseuses, déjà, qui avait beaucoup bousculé les choses, notamment du point de vue de l’humour. Ils osaient vraiment des choses, jamais vues à l’écran, et juste après arrivent Les Bronzés, ou c’est un peu tout, n’importe quoi. C’était un peu le truc de potache. Mais nous, ça nous amusait beaucoup, parce qu’on n’avait jamais vu ça. Pour nous, l’humour, les films d’humour, il y avait De Funès, il y avait Belmondo, il y avait tout ça qu’on aimait beaucoup. Mais là, c’était autre chose. On avait l’impression que ça s’adressait à nous. On avait l’impression que les vieux, ça ne pouvait pas les intéresser.

 

Oui, c’était générationnel...

 

Voilà, c’était vraiment le truc des jeunes. Je ne sais pas du tout s’il y a des vieux qui sont allés le voir (rires). Mais à l’époque, pour nous, c’était notre film à nous.

 

Et je ne sais pas dans quelle mesure, à l’époque, quand vous l’avez découvert ce film, votre œil de cinéphile était déjà aiguisé. Mais est-ce que vous avez senti assez rapidement le potentiel talent collectif et surtout individuel de tous ces acteurs ?

 

On l’a vu assez vite. C’est-à-dire qu’à l’époque, je lisais beaucoup un magazine qui s’appelle Première et qui parlait beaucoup du Splendid. Donc moi, je les suivais d’abord à travers ce magazine. Et je les suivais aussi à travers certains films. Je ne dis pas que j’allais voir tous les films qu’ils ont faits à ce moment-là. Mais il y avait des films qui m’intéressaient, des films drôles. Et puis est arrivé, quelques temps après, pour moi, la plus grande explosion du cinéma français de mon époque, qui était Le Père Noël est une ordure. Il n’y avait pas Michel Blanc, c’est dommage. Mais c’était dans la lignée des Bronzés. Et là, on explosait tout. Je considère encore ça comme un excellent film, une excellente comédie qui est totalement délirante. Ils auraient très bien pu disparaître après avoir fait un film drôle. Eh bien non, ils continuent : en groupe, en faisant Le Père Noël. Puis ils continuent tout seuls. Arrive, quelques années plus tard, Marche à l’ombre. Là, on a été tous scotchés...

 

Un succès incroyable. 6 millions d’entrées !

 

Pour le coup, là, c’était vraiment notre génération. C’était hallucinant, ce film. Et puis, il y avait, pour moi la très grande qualité de Michel Blanc, à savoir les dialogues.

 

On va y revenir, sur les dialogues... J’ai appris beaucoup de choses dans votre livre, notamment qu’il était très mélomane. Très citadin, ce qui m’a fait marrer aussi, parce que j’ai compris à quel point il n’aimait pas la campagne. Je n’avais pas forcément ça en tête. Et qu’il était aussi très fan de Woody Allen...

 

Oui, c’est grâce à Woody Allen, je crois, qu’il a osé. Avec son physique un peu ingrat, sa timidité... Comment s’imposer dans le cinéma quand on n’a pas la personnalité d’un Louis de Funès, ou quelque chose comme ça. Eh bien non, il y avait quelqu’un d’autre qui correspondait, qui était Woody Allen. Alors, je ne dis pas qu’il a copié Woody Allen, mais il s’en est inspiré. Et surtout, ça l’a rassuré. Si Woody Allen y arrivait, peut-être le pourrait-il aussi...

 

Et justement, qu’est-ce que, dans sa filmographie, vous trouvez qui peut un peu être marqué par cette influence de Woody Allen ?

 

Je crois que ses premiers films, Viens chez moi, j’habite chez une copine, etc, ça correspond un peu aux premiers films de Woody Allen. C’est-à-dire les films où il était complètement à côté de la plaque. C’était le mec qui parlait pour ne rien dire, qui ne comprenait pas ce qui se passait autour de lui. Je crois qu’il y a vraiment, entre les premiers films de Woody Allen et les premiers films écrits par Michel Blanc, une correspondance, une liaison entre les deux.

 

Et d’ailleurs, je crois que vous n’en parlez pas forcément dans le livre, mais est-ce qu’il y a eu, de la part de l’un ou de l’autre, une espèce de volonté de rapprochement ou de travail ensemble ?

 

À ma connaissance, ils ne se sont jamais rencontrés. Probablement, Woody Allen était-il au courant des films de Michel Blanc, mais ce qui est sûr, c’est que Michel Blanc a suivi de très près la carrière de Woody Allen. Et quand Woody Allen fait des films un peu, voire très dramatiques, on retrouve Michel Blanc qui, tout d’un coup, fait lui aussi des films dramatiques, etc. Je ne dis pas du tout qu’il a copié, mais à chaque fois, ça lui ouvrait une nouvelle porte dans laquelle il pouvait s’engouffrer, en se disant : les Américains l’ont fait, je peux oser le faire en France, même si c’est beaucoup plus compliqué en France. Parce qu’on était vraiment dans des conditions très fermées - le cinéma français a toujours été très fermé. Et lui, grâce à Woody Allen, il dit : je peux y aller. C’est comme ça qu’il a écrit Grosse Fatigue, qu’il a écrit Embrassez qui vous voudrez, qui sont quelque part un peu inspirés de Woody Allen.

 

Et le portrait très détaillé que vous en faites nous donne l’impression de quelqu’un qui doutait énormément : même après le triomphe de Marche à l’ombre, on a l’impression que c’est plus l’inquiétude de l’après qui l’a étreint plutôt que l’enthousiasme.

 

C’était sans aucun doute un inquiet : un inquiet sur sa santé, un inquiet sur son avenir, un inquiet sur son physique, etc... Moi, je l’ai rencontré pas mal de fois, la première chose qui frappait, c’était son inquiétude. Quand il sortait un film, il était inquiet sur l’issue du film, sur les réactions. Il a été un inquiet total, de sa naissance à sa mort. Mais l’inquiétude, quelquefois, c’est un bon coup de fouet, parce que vous essayez à chaque fois d’être meilleur. Les gens qui sont sur leur derrière et qui sont convaincus d’être des grands comiques, acteurs ou scénaristes, se plantent en général à un moment ou à un autre. Lui a essayé à chaque fois d’avancer et de combattre justement la facilité et de montrer ce qu’il valait.

 

C’est sans doute celui de la troupe qui a pris le plus de risques ?

 

Oui, il a pris des gros risques. D’abord, il a pris le premier risque, de jouer seul, ce qui n’était pas évident parce que c’était une troupe. Lui, il ouvre la porte en disant, je m’en vais. Ça marche. Après suit Christian Clavier, suit Gérard Jugnot, suit Thierry Lhermitte, tout le monde suit. Mais c’est lui qui ouvre cette porte. Il prend des risques en jouant Monsieur Hire, des choses comme ça.

 

C’est un peu indiqué et suggéré dans le livre, Richard Melloul me l’a redit il y a une quinzaine de minutes : c’est bien de Josiane Balasko qu’il était le plus proche ?

 

Ah, totalement. Balasko aussi avait des douleurs en elle, son physique, ses origines, qui n’étaient pas du tout les mêmes que celles de Michel Blanc, mais qui étaient aussi des origines ouvrières. Le fait de pouvoir s’imposer en étant femme comique, ce qui était très difficile quand même, même dans les années 70, où les one-woman shows n’existaient pratiquement pas. Il y avait eu bien sûr de grandes actrices comiques, Jacqueline Maillan, Maria Pacôme, etc. Mais ça n’a pas été simple pour elle, et elle a trouvé un alter-ego, quelqu’un qui avait aussi des douleurs : ils ont partagé leurs douleurs, et ils ont surtout partagé leurs talents. Ils ont beaucoup travaillé ensemble. Quand Balasko me parlait de Michel Blanc, il y avait une émotion, il y avait quelque chose. On sentait qu’ils étaient liés par des liens autres que la déconnade du Splendid.

 

Ils étaient toujours un peu en retrait, de toute façon...

 

Tout à fait, oui. Ils ont tous les deux été, pas à l’écart, mais en retrait, assez vite. Elle avec ses pièces, parfois avec lui d’ailleurs, lui dans ses films, et voilà. Mais il ne faut pas croire non plus que la troupe du Splendid, c’était des joueurs de rugby. Ils étaient tous un peu indépendants. Clavier est un des premiers à le prouver, en connaissant un assez gros succès, très rapidement après le Splendid. Ils adoraient jouer ensemble, mais ils avaient conscience que pour continuer, il fallait qu’ils se séparent. Sinon, ils n’auraient pas duré. C’est la loi de la troupe : même les Branquignols, les potes de Robert Dhéry, pour ceux qui s’en souviennent, ont à un moment dû exploser pour continuer.

 

Vous évoquiez tout à l’heure, ses talents de dialoguiste dont vous parlez beaucoup dans le livre. Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus ? Et je pose cette question d’autant plus facilement que je sais que vous avez aussi travaillé sur Michel Audiard. Qu’est-ce qui les distinguait dans leur talent de dialoguiste ? Qu’est-ce qui les rapprochait peut-être, tous les deux ?

 

Il y a une chose qui les rapprochait. Je vous dirais au passage que je suis très sensible aux dialogues, et que je regrette les dialogues du cinéma français actuel... Pour être un bon dialoguiste, il ne faut pas seulement avoir de l’imagination, il faut aussi avoir beaucoup lu. Or, souvenons-nous qu’au départ Michel Blanc envisage d’être prof de lettres, donc il lit beaucoup, il a toujours beaucoup lu. Et si vous n’avez pas en vous cette connaissance de la langue, cette connaissance des phrases, cette connaissance des mots, vos dialogues seront mauvais, pour être poli. Si vous l’avez en vous, Audiard l’avait de façon magnifique, Michel Blanc l’avait de façon magnifique, là, vous pouvez créer des dialogues qui sont splendides, sans jeu de mot !

 

Je me souviens très bien d’avoir dit à Michel Blanc, lors d’une conversation : vous êtes quand même, pour moi, l’un des deux plus grands dialoguistes vivants, le deuxième étant Bertrand Blier. Je lui ai posé la question : pourquoi ne faites vous pas plus souvent des dialogues de films dont vous n’êtes pas l’auteur, comme faisait Audiard ? Il m’a dit : parce qu’on ne me l’a jamais demandé. Moi je trouve ça concernant, parce que ça prouve que le cinéma français est d’une stupidité totale. Quand on a un Michel Blanc qui est capable de vous améliorer les dialogues, quand vous avez un Bertrand Blier qui est capable de vous donner des dialogues cinglants, vous ne restez pas avec un monsieur Du Genou qui a beaucoup d’imagination dans son scénario, mais dont les dialogues sont d’une platitude extrême.

 

Je n’avais pas forcément conscience, à ce point-là, de ses talents de dialoguiste.

 

Il y a les dialogues d’Audiard, ça claque. Mais les bons dialogues, ce ne sont pas forcément des trucs extraordinaires. Ça va tellement bien, ça roule tellement bien, ça enjolive tellement bien la scène... On ne s’en rend pas compte, mais c’est très important. Et Michel Blanc avait très bien compris ça. Et si on reprend tous les dialogues de ses films, on va trouver des phrases qui font mouche, qui sont magnifiques. Mais effectivement, on ne parle jamais du dialogue dans le cinéma français... Pourquoi, c’est tabou ?

 

On le fait davantage dans le cinéma anglo-saxon ?

 

Beaucoup plus. Ils s’attachent aux dialogues parce qu’ils savent que ça peut être important. Les Américains ne sont pas très forts là-dessus. Les Anglais sont très à cheval sur les dialogues... Un film, c’est un tout. C’est surtout quand on a des bons dialoguistes. J’ai encore en mémoire cette conversation, je vois Michel encore un peu bouche bée qui me dit, comme un petit gosse, oui, mais on ne fait pas appel à moi...C’est lamentable. Et il n’allait pas non plus prendre son téléphone en disant : je peux vous dialoguer tel film. C’est regrettable. Le cinéma français a été aveugle sur les talents qui étaient là, présents. Blier était beaucoup plus cinglant, mais il écrivait de très beaux dialogues...

 

On va parler un peu de Tenue de soirée justement, qui a été un point de bascule dans sa carrière. Il y a cette anecdote : Depardieu dit à Michel Blanc qu’il devrait conduire une Porsche, il lui prête la sienne et ça brise la glace...

 

Oui ! Tenue de soirée, c’est un film qui a été marquant. Je crois que Richard est beaucoup mieux placé que moi pour en parler, parce qu’il était sur le tournage, et qu’il a suivi ça de très près. Là, on tombe encore une fois dans les dialogues et dans le culot de Bertrand Blier. On a droit à une association de grandes personnalités, sans parler de Depardieu bien sûr, mais d’un auteur et d’un acteur qui est capable de jouer Blier. Ce n’est pas facile de jouer du Blier ! Il y en a beaucoup qui se sont plantés. Non seulement Michel Blanc le fait avec gourmandise, mais en plus le sujet n’est pas d’une facilité extrême...

 

Ce n’est pas simple à assumer !

 

Non, ce n’est pas simple du tout à assumer. C’est même très dangereux. Ça passe ou s’en casse.

 

Vous diriez qu’à partir de là, il a été vraiment considéré et respecté différemment en tant que comédien ?

 

Oui. Déjà, il a eu un prix à Cannes, ça vous marque un homme, comme dirait Michel Audiard. C’est quelque chose qui frappe. Tous les gens du cinéma, parmi ceux qui sont un peu intelligents, ont vu la prestation, ont vu le talent. C’est difficile de dénigrer ce genre de chose. On est passé de Michel Blanc alias Jean-Claude Duce des Bronzés, à Michel Blanc acteur. Il est tellement acteur, ça devient un problème, que personne n’ose lui proposer un rôle. Qu’est-ce qu’on peut lui proposer maintenant qu’il a fait ça ? Il tourne un peu en rond ensuite, ce qui est incroyable. Alors qu’avec les Américains, vous faites un film comme ça, vous avez 40 producteurs qui viennent vous signer un contrat, tout de suite. On a besoin de vous. En France, c’est « qu’est-ce qu’on va faire après ça, qu’est-ce qu’on peut lui proposer ? »

 

Petit aparté, à ce stade de l’échange. Dans l’ouvrage, le patronyme du fameux

Jean-Claude est écrit DUCE, et non DUSSE. Moi, spontanément, j’aurais écrit DUSSE,

et la plupart des occurrences sur internet ont privilégié les deux S.

J’ai demandé à M. Durant d’où il tenait cette certitude pour le C, il m’a envoyé

ce document sans appel, une capture d’écran issue des Bronzés 3. Plus de malentendu. ;)

Merci à lui. Nicolas, le 7 octobre 2025.

 

Et est-ce que vous diriez qu’au-delà de la chance inouïe pour un comédien d’être reconnu par tous pour un personnage, en l’occurrence Jean-Claude Duce donc, malgré tout, il a souffert d’être presque systématiquement identifié à lui par le grand public après avoir joué des choses comme Monsieur Hire, par exemple ?

 

Bien sûr qu’il en a souffert. D’un côté, il en a profité, parce que quand il joue Viens chez moi, j’habite chez une copine, etc, c’est un prolongement de Jean-Claude Duce. Ensuite il arrête, mais même s’il lui arrête, ça ne veut pas dire que les spectateurs arrêtent de regarder ces films. Ils continuent d’apprécier Jean-Claude Duce et de voir en lui Jean-Claude Duce, même s’il joue Monsieur Hire, même s’il joue un flic, etc. C’est quelque chose qui vous colle à la peau. C’est la fameuse anecdote avec Robert Mitchum et je ne sais plus quel acteur : ce dernier lui dit : « Moi, on n’arrête pas de me parler de tel rôle, tout le temps. J’ai l’impression de n’en avoir fait qu’un. » Et Robert Mitchum lui répond : « Mais moi aussi, j’ai fait 180 films, on ne me parle que de La Nuit du chasseur. » Et il ajoute : « Rassurez-vous, vous avez au moins un film. C’est rare dans le cinéma.

 

Et d’ailleurs, comme vous le dites très bien dans le livre, Jean-Claude Duce, c’est le seul personnage dont on se souvient du prénom, et a fortiori du nom, parmi tous ceux des Bronzés.

 

Tout à fait, c’est ça qui est extraordinaire. Ça ne tient rien, à des détails, mais ça a marqué, et ça marque encore.

 

Il est devenu presque un archétype de personnage, un peu loser et super sympathique...

 

Exactement. Si vous voyez un type en tongs, à moitié chauve et avec une moustache sur une plage, vous allez dire : « Tiens, Jean-Claude Duce. » C’est automatique. Et si vous êtes sur un tire-fesse dans la montagne et que ça s’arrête, automatiquement vous chantez Quand tu reverrai-je. C’est programmé. Maintenant, c’est l’ADN de tous les Français. Alors oui quelque part c’est lourd à porter. Et d’un autre côté, c’est magnifique d’avoir ça dans sa vie... Les autres n’ont pas cela. On a le « Okay » de Christian Clavier dans Les Visiteurs, des petites touches comme ça. Mais au niveau de Jean-Claude Duce, c’est rare... Dans le cinéma français, ils ne sont pas nombreux, les personnages dont on se souvient.

 

Et c’est quelqu’un dont on sent aussi les doutes. Il a eu l’humilité de comprendre que certaines activités n’étaient pas forcément pour lui. Est-ce qu’on peut dire qu’il a privilégié une forme de prise de risque, mais aussi de plaisir dans le travail ?

 

Je pense que s’il n’avait pas de plaisir, il ne le faisait pas. Ce n’était pas un masochiste. D’abord, il avait besoin de découverte. Il était fier à cet égard des films anglais ou italiens qu’il a pu faire. Il adorait son métier. Même s’il a eu du mal, il rentrait, et après, il ne voulait plus en sortir. Il adorait voir les gens jouer. Il adorait une certaine qualité. Vous ne l’auriez pas mis dans Le Facteur de Saint-Tropez, par exemple. Je ne pense pas qu’il aurait accepté de jouer dans ce genre de chose. Mais il avait l’envie de faire des découvertes, avec des prises de risque. Quelquefois, il était déçu. C’était quelqu’un de curieux. Dans tous les domaines. Il disait qu’il aimait beaucoup la musique classique, ce qui était exact. Si vous grattiez un peu, vous vous rendiez compte qu’il aimait beaucoup le jazz. Le cinéma, on l’a dit, il vous parlait de Woody Allen... Si vous grattiez un peu, il vous parlait de Comencini. Il avait l’envie, le besoin de changer, de savoir.

 

Alors que c’est vrai que, sans attaquer le grand comédien qu’il est, dans les dernières années, j’ai l’impression que Clavier a joué toujours un peu le même rôle de bourgeois un peu égoïste...

 

C’est-à-dire qu’ils se sont tous un peu sclérosés, les bons amis du Splendid. Je me suis le premier à en être attristé. Ils ont tourné en rond. Je ne sais pas pourquoi... Le plus intéressant, je dirais, c’est Jugnot, qui s’est lancée dans des films grandiloquents, ce qui n’avait strictement aucun intérêt. Mais qui, à côté, a fait de très bons films. C’est difficile à gérer, une carrière. Je ne dis pas que celle de Michel Blanc est exemplaire, mais il y a des moments où il a su se retenir, où il a su dire non.

 

Il a eu le prix d’interprétation pour Tenue de soirée et aussi pour L’Exercice du pouvoir. Quels sont, au-delà de ces deux rôles, ceux dans lesquels, pour vous, il mériterait d’être découvert ou redécouvert, notamment par nos lecteurs ?

 

Alors, dans quels rôles le découvrir ? Moi, mon film préféré, ça restera toujours Marche à l’ombre. J’ai le souvenir de quand je l’ai vu pour la première fois. Et quand je le revois, c’est toujours très fort. Et ça parle vraiment d’un temps, d’une société. Sinon, quels films ? Monsieur Hire, quand même, c’est un peu indispensable, pour qu’on comprenne la qualité du jeu de Michel Blanc. Forcément Tenue de soirée, Les Bronzés toujours, beaucoup d’autres...

 

J’ai bien envie de voir, justement, par rapport à ce qu’on disait, le film qu’il a fait avec Balasko assez récemment, Demi-soeur...

 

Non, ça a quelques années, mais c’est très émouvant. Et ça l’est d’autant plus émouvant que le film se voit à deux niveaux. Vous voyez des gens, mais vous savez au fond de vous, que ces gens, ces deux acteurs, se connaissent bien. Et ça vous travaille en même temps que vous regardez le film. C’est normal que ça les touche, parce qu’on sait qu’ils ont des influences ensemble, qu’ils ont un parcours commun. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est émouvant. Josiane et Michel ont osé jouer l’émotion.

 

Très bien. Quelques questions maintenant sur l’univers plus large du cinéma. Quelle réaction vous inspire la disparition (annoncée la veille de l’entretien, ndlr) de Claudia Cardinale ?

 

Ah... Moi, ça me fait du mal, parce que Robert Redford (décédé une semaine plus tôt, ndlr), Claudia Cardinale... C’est toute ma jeunesse, quoi. Quand j’allais au cinéma, je voyais tous ces gens-là, comme je voyais Belmondo, Delon, et je me rends compte que je deviens un vieux monsieur. Que le passé commence à se refermer, et ça fait du mal. Moi, il y a une question que je me pose : les jeunes d’aujourd’hui, de qui se souviendront-ils dans 40 ans ? Et là, je ne suis pas certain qu’ils aient un Robert Redford à se mettre sous la dent, ou une Claudia Cardinale...

 

Justement, vous avez consacré, il y a un an, je crois, une bio à Alain Delon. On imagine, a priori, assez peu de points communs et de ressemblances entre Michel Blanc et Delon, mais malgré tout, est-ce qu’il y en avait ?

 

Il y en avait au moins une qu’on oublie, et pourtant qui est évidente, c’était tous les deux des professionnels. Ce n’est pas aussi fréquent que ça en a l’air dans le cinéma. Et quand tu es professionnel, tu as des gens qui sont capables d’une grande générosité, et aussi des gens qui sont capables, non pas de se fâcher, mais d’être un peu soupe au lait, quand ça ne va pas dans la bonne direction, ou quand la compétence n’est pas forcément toujours au rendez-vous autour de soi...

 

Et sans doute que, de manière consciente ou pas, de manière volontaire ou pas, l’un suscitait beaucoup plus la sympathie du public que l’autre...

 

L’un, c’était naturel, qu’il cherche la sympathie, parce qu’il était naturel et sympathique Michel. Il était vraiment très chaleureux. Quand je le voyais, c’était toujours un grand sourire, etc. Delon était toujours sur la défensive. On n’avait pas forcément envie, quand on croisait dans la rue, de lui taper dans le dos, de tenter une familiarité avec lui comme souvent on l’a fait avec Michel Blanc. Ce sont des caractères très différents. Mais ce sont aussi des parcours très différents...

 

Vous évoquiez à l’instant les jeunes : dans 40 ans qui des années 2020 auront-ils encore en tête ? Qu’est-ce que l’historien du cinéma retient de Michel Blanc, et qu’est-ce qu’on en dira dans 20 ans, à votre avis ?

 

Il retient de Michel Blanc un humour caustique, correspondant à son époque, sans être vulgaire. Ce qui est assez difficile, contrairement à ce qu’on croit. Nombre de comédies depuis la fin de la guerre, ont été un peu bas de plafond. Lui, jamais. Il y a une une volonté de qualité. Dans les personnages, dans la façon de présenter les choses, dans les dialogues, bien sûr. Et ça, ça restera. Comme disait Michel Audiard, le prix s’oublie, la qualité reste. Encore une fois, je ne veux pas être méchant avec le cinéma français actuel, mais je ne suis pas certain que 90% des films qu’on voit en ce moment resteront dans 20 ans... Non pas parce qu’ils sont mauvais, mais parce qu’ils n’ont pas forcément la bonne qualité. Michel Blanc avait un soin presque de musicien, de trouver la bonne note. Et de créer une belle musique... Les Bronzés resteront, parce que c’est une symphonie de sons très différents mais qui finalement s’accordent bien. Ils ont été copiés ensuite, mais personne ne s’en souvient...

 

Question sur un sujet un peu compliqué, je viens de la poser aussi à Richard Melloul : croyez-vous qu’on reverra Depardieu à l’écran un jour ?

 

Je l’espère... L’homme parfait n’existe pas. Il faudra peut-être qu’un jour on s’en rende compte... En disant cela je ne dédouane pas du tout Gérard Depardieu. Ce qu’il a fait, ce sera à la justice de trancher. Simplement, n’oublions jamais l’acteur qu’il a été, ce qu’il a apporté au cinéma français et au cinéma mondial. Il y a eu des acteurs "parfaits", de grande qualité morale, etc, mais que souvent on a complètement oubliés, parce qu’on s’ennuyait déjà à l’époque alors maintenant... Quoi qu’il arrive, que la justice se fasse, mais l’acteur Depardieu restera. On ne pourra pas gommer Les Valseuses.

 

Pour conclure sur Michel Blanc, celui que vous croyez avoir compris, trois qualificatifs pour mieux le décrire ?

 

Culture. Émotion. Talent. Et en plus quelqu’un de très chaleureux.

 

Encore une fois, sa disparition a peiné beaucoup de monde. Moi j’ai 40 ans cette année, ça a touché pas mal de gens de ma génération, et même parmi les plus jeunes...

 

Ça a été un choc, parce qu’on ne s’y attendait pas. J’ai dit à l’occasion de plusieurs émissions faites au moment de sa mort qu’on avait perdu un membre de notre famille. Celle du cinéphile, ou simplement de l’amateur de films. Mais on ne s’en rendait pas forcément compte. Quand Delon est mort, un mur s’est écroulé. Et quand Michel Blanc meurt, l’air de rien, ce n’est pas le mur qui s’écroule, mais carrément toute la maison...

 

On pensait l’avoir plus longtemps parmi nous.

 

Oui, et je crois qu’on s’est rendu compte, au moment de sa mort, à quel point il était important pour nous, et à quel point il était en nous. On était attaché à lui, mais c'était tellement évident que personne n’en parlait. Sa disparition a désarçonné... Je n’avais pas sa photo dans ma chambre, quand j’étais jeune, j’avais plutôt celle de Redford. Mais il était là.

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Philippe Durant ?

 

J’ai la chance d’aimer toujours le cinéma, pas forcément celui d’aujourd’hui mais celui de mon enfance. C’est bête à dire, mais le cinéma des années 70 était extraordinaire, et quand on a grandi là-dedans, ça vous marque. J’ai la chance, pour mes travaux, de souvent m’y replonger. C’est très agréable.

 

Après Delon, Blanc, vous vous verriez écrire maintenant une bio de Depardieu ?

 

Non, parce que ce sera comme pour mon Delon : si je pars pour une bio de Depardieu, ça va me prendre huit ans pour la faire. Je ne suis pas sûr d’en avoir le courage. Et je ne dis pas cela contre Depardieu. Bien comprendre le personnage serait passionnant. Mais plonger dans sa vie serait plus compliqué encore que dans celle de Delon. Je crois que je ne le pourrai pas. Et je le regrette, parce que ce serait passionnant. Et j’espère que quelqu’un le fera de manière objective. Le bonhomme est passionnant. Le nombre de sujets qu’il peut aborder dans une seule phrase !

 

Avez-vous un dernier mot ?

 

Quand te reverrai-je, par Michel Blanc...

 

Philippe Durant.

 

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