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Paroles d'Actu
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5 octobre 2025

Philippe Pothon : « Les équilibres terrestres et maritimes ne sont plus... »

Vendredi 3 octobre s’est tenu, à la Maison d’Amérique latine à Paris, un vibrant hommage à Gérard Chaliand, dont il a beaucoup (et certainement pas assez) été question depuis quelques années et quelques mois sur Paroles d’Actu. J’ai raconté dans plusieurs articles, avec des intervenants de premier plan (je vous salue ici, Sophie Mousset et Patrice Franceschi) combien l’homme, de par son parcours et, surtout, son épaisseur humaine, était inspirant. Parmi ses contacts, qu’il avait partagés avec moi, outre les deux aventuriers cités plus haut, un nom, qui ne me parlait pas du tout - pas davantage que les deux autres à ce moment-là, à dire vrai : Philippe Pothon.

 

J’ai été amené à partager, à la demande de Gérard Chaliand, un ou deux des articles que l’on a fait ensemble, auprès de plusieurs personnes de son répertoire, dont ce fameux Philippe Pothon, de la part duquel j’ai toujours reçu des réponses très sympathiques. Alors je me suis renseigné un peu sur ce qu’il faisait. J’ai compris qu’il était un homme d’images et d’engagements, spécialisé dans le documentaire et volontiers aventurier lui-même. Grand connaisseur des milieux maritimes, et même sous-marins, très sensibles aux équilibres et, malheureusement, aux déséquilibres de nos écosystèmes, il a pris part à de nombreuses expéditions humainement enrichissantes, qui ont donné à ses engagements généreux de jeunesse une manifestation concrète.

 

Philippe Pothon a tout de suite reçu, avec enthousiasme, ma proposition de réaliser une interview ensemble. Pendant plusieurs mois, la proposition est restée vague, pas mal de choses à faire, je ne l’ai pas relancé tout de suite. Entre temps, de l’eau a coulé sous les ponts. Le 20 août décédait Gérard Chaliand. Ce fut un des sujets sur lesquels, évidemment, j’ai voulu l’interroger, et notre échange eut lieu à la mi-septembre. Je le remercie tout particulièrement pour ses réponses, desquelles transpire une grande humanité. À le lire, on désespère de l’Homme, et en même temps on se dit que tout le beau de cette planète mérite qu’on se batte ardemment pour lui (teasing : son histoire avec Divine et l’autre Philippe, et celle du silverback m’ont collé des frissons). Et qu’avec des gars comme ça sur Terre tout espoir n’est pas perdu ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU (20/09/2025)

Philippe Pothon : « Les équilibres

 

terrestres et maritimes ne sont plus... »

 

Philippe Pothon lors dun donga du peuple Surma (Éthiopie).

 

 

Philippe Pothon bonjour. Je vous ai connu, au départ, par Gérard Chaliand, qui est décédé le 20 août dernier... Parlez-moi un peu de lui, de vos liens ?

 

Gérard était une encyclopédie, à cœur vécu, de l’histoire des guerres asymétriques depuis l’après guerre 39-45 jusqu’à nos jours et des guerres plus anciennes. Ce qui l’a amené à la connaissance, à l’analyse, à la création du métier de géostratège, qui n’existait pas à son époque. Tout cela est raconté par d’éminents spécialistes qui ont échangé avec lui sur les cinq continents et facilement trouvable sur internet, ou mieux en se plongeant dans ses livres, plus d’une cinquantaine me semble t-il.

 

Ce que j’ai à raconter sur lui est plus de l’ordre de l’humain. Nous avons partagé régulièrement, 26 ans de vie et d’histoire. Il est devenu une sorte de père adoptif, de père idéal avec qui on partage ses joies, ses peines, ses idées, sa vision de la vie.

 

J’ai rencontré Gérard à Singapour. Je venais de finir ma formation professionnelle de caméraman sous-marin à Marseille avec René Heuzey, connu pour ses magnifiques images de nuit du film Océans de Jacques Perrin. J’avais rencontré Patrice Franceschi par l’intermédiaire d’un ami plongeur qui m’a dit qu’il cherchait un jeune caméraman plongeur capable de filmer sur tous types de terrain. Attiré par l’esprit d’aventure, du documentaire et de la mer, je me suis présenté. Ma motivation m’a permis d’embarquer sur la jonque chinoise de haute mer en décembre 1999, à Singapour. Je n’ai quitté le bateau que 16 mois plus tard, lors du naufrage de La Boudeuse au large de Malte, à deux jours de rejoindre son port d’attache en Corse.

 

À bord, la discipline était de rigueur, même si on se marrait souvent. Patrice Franceschi avait dispatché les quarts en fonction de l’équipage. Je me suis retrouvé à partager celui de Gérard et de sa compagne, Sophie Mousset, de minuit à 4h et de midi à 16h. Ce qui était merveilleux avec ce quart, c’est qu’on était pratiquement les seuls éveillés la nuit et cela créait une atmosphère propice au partage, à la discussion sous les ciels étoilés ou sous les orages.

 

Nous avons passé des dizaines de nuits à échanger sur la vie, sur l’histoire. J’étais impressionné par le pédigrée de Gérard ! Plutôt proche des mouvements gauchistes dans ma jeunesse, je rencontrais une personne qui avait vécu l’histoire de l’indépendance des peuples du côté des indépendantistes, Algérie, Vietnam, etc… Gérard n’avait pas cette mauvaise manie de certains intellectuels qui pensent que, parce qu’ils ont vu, ils savent. Gérard avait cette faculté rarissime, lorsqu’il donnait sa confiance à quelqu’un, et son amitié, de l’écouter, de s’intéresser à son raisonnement et de s’enrichir tout en enrichissant l’autre de son immense expérience.

 

J’ai compris grâce à lui que le monde est bien plus complexe qu’il n’y paraît et que malgré, de belles idéologies d’égalité et de liberté, le pouvoir gagné par la force amène bien souvent à des formes de pouvoir sans liberté et sans égalité. La vie est toujours une lutte pour faire accepter ses idées. Il faut toujours se battre de manière pacifique de préférence, avec ses propres armes et surtout son intellect : sans cela, comme disait Gérard par une de ses phrases favorites  : «  Mort au vaincu ! ».

 

Gérard Chaliand, à Souleymanié avec Philippe Pothon, en 2019.

 

Bel hommage... Qu’est-ce qui, dans votre jeunesse, vous a fait aimer la mer et les océans, au point de vouloir leur consacrer une bonne partie de votre vie ?

 

Au départ j’étais plutôt attiré par la montagne. Mon père, instituteur et sportif, profitait des vacances pour diriger des colonies de ski l’hiver et d’escalade l’été. J’ai profité de mes niveaux pour encadrer le ski avec le CCAS (EDF). J’ai découvert la mer assez tard, lors d’une colonie de vacances organisée par les pompiers de Marseille en août 1992 à Carry-le-Rouet. J’étais animateur terrestre. Les animateurs qui le souhaitaient pouvaient accompagner les jeunes dans l’eau. Le Grand Bleu de Luc Besson venait de sortir, en 1988. J’avais adoré ce film pour sa musique, son rythme, son histoire, sa jeunesse de l’époque. Me retrouver sous l’eau a été une révélation. J’avais l’impression d’être sur une autre planète. Je pouvais voler en sautant d’une falaise et gonfler mon stabilisateur pour éviter de m’écraser au sol. C’était un nouveau monde à découvrir.

 

Vous avez fait des études de cinéma, qu’aviez-vous en tête au départ à cet égard ? Avez-vous su très vite que vous feriez du documentaire, et non de la fiction ?

 

J’ai quitté le domicile familial vers 16 ans pour squatter chez des amis soixante-huitards passionnés de cinéma et de musique. Ils avaient monté un collectif à la M.J.C. de Fresnes. Grâce à eux, je suis entré dans le monde du spectacle et de l’amour de la pellicule. Je passerais plus tard mon C.A.P. de projectionniste, qui m’a souvent permis de sortir de galère lorsque j’avais besoin d’argent pour financer mes formations de plongeur et mes premières caméras. J’ai fait l’E.S.E.C. (École supérieure d’Études cinématographiques de Paris) de 1995 à 1997. J’ai su rapidement que c’était le documentaire qui m’attirait, et non le film de fiction où les équipes sont plus grosses et où on attend longtemps avant d’être actif.

 

Le documentaire relate une perception d’une réalité vécue par son côté sensible et sensitif. Il donne la parole à l’autre. C’est pour cela que le documentaire n’a pas de commentaire. Ce sont les personnages du film qui racontent ce qu’ils vivent, pas de voix off. Cela demande un travail dingue pour concevoir un film de ce genre, et peu sont diffusés. Pour moi, la grande différence avec le reportage, c’est que le documentaire est politique, il donne la parole alors que le reportage la prend pour servir de prétexte à donner de l’information. Le documentaire répond au besoin d’un réalisateur de développer une idée. Le reportage est plus une commande d’une rédaction dans un besoin d’informer. Il n’y a pas de rivalité entre les deux genres audiovisuels. Il y a de superbes reportages et de médiocres documentaires. Généralement un documentaire demande plusieurs années de travail avant de voir le résultat.

 

Vous en avez un peu parlé tout à l’heure, mais que retenez-vous de vos aventures avec Patrice Franceschi, puis avec Jean Queyrat et ses équipes ? Diriez-vous qu’à leur contact vous avez véritablement eu l’occasion de connaître le monde ?

 

Les aventures avec Patrice étaient de l’ordre de l’aventure, de l’exploration, du dépassement de soi, de la rencontre des peuples. Patrice a cette faculté à pousser ses équipes dans la recherche de l’excellence et à s’ouvrir aux autres spécialités. Il a en lui cet esprit des Lumières, d’un mélange entre arts, sciences et aventures. Même s’il est important, le film en lui-même fait parti du package de l’aventure. Il s’écrit en fonction des évènements. Il faut être prêt à tout. Un beau matin, pas grand chose à faire. Patrice me demande si je ne voulais pas filmer en sous-marin le largage de l’ancre CQR en forme de cœur qui pouvait au contact de l’eau vous revenir en pleine figure. Je savais que ce plan était un test à passer mais que ce pouvait être aussi la fin de l’aventure. J’ai étudié la faisabilité avec le bosco (maître de manœuvre sur un navire, ndlr) de l’époque, Christophe Kerneau. Il m’a expliqué les risques du retour d’ancre et l’endroit où pour lui il fallait se positionner. Pour avoir une bonne lumière on a chercher le bon emplacement, fait des tests avec juste un masque et au final le plan était sublime. Comme souvent, chacun apporte un peu de ses connaissances. Avec Patrice, l’équipe de tournage était résumée à une personne. On pouvait se faire aider par un membre de l’équipage, mais généralement on se démerdait. J’ai appris à être autonome.

 

Avec Jean Queyrat de Zed Productions, c’était l’opposé. Le film est au centre de l’aventure. J’ai appris à tourner utile, aux meilleurs moments de la journée pour utiliser au mieux la lumière naturelle. J’ai commencé comme assistant et 2ème caméra. Au début de l’aventure en 2003, on était une grosse équipe. Un ingénieur son, Olivier Pioda, un régisseur, Christian Fleury, et Dany Cleyet-Marrel qui venait avec sa montgolfière faire les images aériennes. Les budgets étaient conséquents, merci M. Catteau. On est allé, quatre fois 1 mois en Éthiopie faire un film sur les Surmas en guerre contre les Bumis, sur quatre saisons. Les ambitions étaient hautes, la qualité et l’écriture primordiale. Il y avait même un écrivain qui est devenu un ami proche, Bernard Mathieu. On recherchait l’excellence filmique. On faisait du documentaire cinéma au niveau de l’image. 

 

Au contact de Patrice et de Jean, j’ai visité le monde dans des endroits parmi les plus reculés, où à l’époque, il y a moins de 30 ans, le tourisme était absent car inaccessibles. Ce que j’adore dans ce métier, c’est le partage entre deux cultures qui peuvent sembler éloignées mais qui au final partagent un besoin de se connaître, de se découvrir. C’est une ouverture au monde et aux esprits, des deux côtés.

 

Avec Patrice, j’ai rencontré les peuples de l’eau de l’Asie du Sud-Est, de l’île de Pâques aux îles françaises du Pacifique, de l’Océan Indien à Djibouti et la remontée de la mer Rouge, sur une quinzaine d’années. De 2003 à 2015, Jean Queyrat et Jérôme Ségur, son associé, m’ont entrainé en Afrique, dix fois en Éthiopie, chez les Boranas, les Hamers, les Mursis, chez les pygmées Baaka en Centrafrique, en Inde pour filmer le Kutiyattam, en Amérique du Sud chez les Kalawayas de Bolivie et dans les mines de Potosi, à 5000 mètres d’altitude, chez les Nenets de Sibérie et les Inuits du Canada, entre autres...

 

Quels sont les peuples, les visages qui, jusqu’à présent, vous ont le plus marqué ?

 

Chaque peuple que l’on rencontre renforce la diversité de l’humanité, par sa différence, par sa propre histoire qui l’a mené à survivre dans des milieux hostiles pour arriver jusqu’au XXIème siècle. Je pourrais parler des pygmées Baaka : je serais heureux de retourner, grâce au film, dans leur forêt primaire où n’importe quel occidental ne tiendrait pas trois jours. Les femmes, pour montrer leur bravoure, se taillent les dents en pointes. L’évolution du Centrafrique a amené le peuple Bantou à forcer la sédentarisation des pygmées, à les mettre en esclavage à leur service. Pour cultiver un lopin de terre dans la forêt, ils doivent demander l’autorisation sous peine de mort horrible, comme ça a été le cas pour le frère de notre cuistot. La joie du peuple Baaka se retrouve dans leurs magnifiques chants polyphoniques, une beauté ancestrale, une ode à la vie, qu’on avait tourné pour une série sur le patrimoine immatériel de l’Unesco.

 

Que dire du peuple Surma du sud de l’Éthiopie, avec qui nous avons eu le plaisir de filmer l’un des plus beaux donga (lutte traditionnelle éthiopienne avec des bâtons, ndlr), où plus d’une centaine de combattants s’affrontent à coups de longs bâtons de deux mètres. Le sang irrigue l’existence des Surmas. Le donga est la métaphore d’une existence de la lutte de nos ancêtres apparus il y a 195 000 ans sur ces terres, jusqu’à aujourd’hui. La vie au jour le jour pendant des mois tisse des liens étroits. Lorsque nous allions dans les zones de guerre en territoire Bumi, les regards étaient sombres, ténébreux. La mort rodait autour de nous. On sentait une grande crispation. Personne ne parlait.

 

Johnny était l’assistant de notre chaman Kallawaya en Bolivie. Il avait 12 ans. Il me suivait partout, s’intéressait au matériel, à notre grue. Tous les jours, il venait assister au dérushage des images. Il était prédestiné pour devenir un grand chaman dans les traces de son maitre. Ce qui nous rapprochait malgré les différences culturelles, c’est que l’on riait des mêmes scènes drôles, lorsqu’il y en avait.

 

L’histoire la plus marquante et la plus douloureuse a été en République démocratique du Congo, à l’hôpital de Rutshuru. Je suivais l’anesthésiste, Rémi Péru, qui faisait une mission avec M.S.F. Il était aux soins intensifs. Il y avait des adultes atteints de diverses pathologies, et une petite fille d’un an qui était dénutrie. Les jours passaient, et à force de patience elle semblait aller mieux. Sa maman venait la voir tous les jours, avec un bébé dans le dos. Puis un matin, je suis arrivé avec ma caméra, heureux de la revoir. Son lit était vide. J’étais perdu. Quelque chose venait de se briser en moi. Je n’arrivais plus à respirer. Elle était partie pendant la nuit. J’appris par la suite que le planning familial était mal vu des religions locales, et que les femmes enchainaient les grossesses. Quand deux enfants étaient trop proches, la femme devait choisir lequel nourrir, et souvent on gardait le garçon. Au début, suite à l’émotion, j’en ai voulu à la mère, mais que pouvait-elle faire ? Elle avait soutenu sa fille jusqu’aux derniers instants. Dans ce pays, c’était une preuve d’amour.

 

Sur le même tournage, j’ai suivi Divine, une femme dont c’était la dernière césarienne, car elle était allée voir le planning familial qui lui avait dit que si elle ne se faisait pas ligaturer les trompes, à la prochaine grossesse, elle courait un grand danger. Elle m’a laissé la filmer jusqu’à son accouchement avec bienveillance et gentillesse. Une fois le petit sorti, l’interne lui a demandé quel était le prénom du petit et elle a donné le mien. C’était un magnifique cadeau. Elle savait que MSF allait se retirer, car cela faisait 10 ans qu’il gérait l’hôpital et l’État ne prenait plus rien en charge. La vocation de MSF est de gérer l’urgence, pas de suppléer un État défaillant. Elle m’a offert une magnifique interview d’humanité et d’espoir. À sa sortie de l’hôpital, je devais attendre Divine dehors, sans chercher à la voir. J’avais posé mon trépied et j’attendais patiemment. Elle m’a fait la surprise de revêtir sa plus belle robe avec le petit Philippe dans ses bras. Une amie était venue la coiffer et la maquiller. Elle resplendissait. C’était une belle journée.

 

Touchant... Diriez-vous que toutes ces rencontres que vous avez faites vous ont donné foi en l’humanité ?

 

Lorsque l’on fait du documentaire, on prend le temps de vivre avec les gens, d’essayer de les comprendre, de vivre leurs quotidiens. Il y a souvent un échange, des cadeaux, la nourriture, le soutien financier. Avec Divine par exemple, elle m’avait demandé de payer la péridurale, ce qui était la moindre des choses. Cela me paraît normal de donner une contrepartie à toute forme de travail, même si cela peut biaiser les relations. Au fond, si la démarche est intègre et valorisante pour celui qui est filmé, la relation est souvent positive. Si l’une ou l’autre partie cherche à la déséquilibrer, alors les rapports et l’ambiance se compliquent. Il faut trouver le bon équilibre. Dans l’ensemble, dès que l’on s’intéresse aux personnes, la joie de vivre l’emporte. Nous avons tellement de connaissances positives à nous apporter que oui, les rencontres nous donnent foi en l’humanité.

 

Concernant ma foi. Je suis agnostique. Je crois en des forces supérieures à la connaissance humaine, qui dépassent ce que l’Homme peut imaginer. J’ai un certain recul par rapport à ces questions. Je n’oserais pas me mettre à la même hauteur qu’un Dieu hypothétique, contrairement à ceux qui prophétisent. Pour cette raison, on peut voir à travers l’Histoire depuis l’écriture et les Sumériens que les dieux changent suivant les époques. Comme le disait Gérard Chaliand, tant que l’on y croit, ils existent. Pour moi les religions sont des dogmes masculin qui s’affrontent pour le malheur des Hommes. La force de création, c’est la femme qui la possède en donnant naissance. C’est elle qui accouche de la vie. Le mâle a créé la religion pour prendre un pouvoir qui ne lui appartient pas en mettant la femme à sa botte et ça, ça m’est insupportable. On dirait que le mâle a eu besoin de soigner sa névrose d’infériorité créatrice.

 

Pour répondre à votre question, ça va être mon côté rebelle qui va prendre le dessus, mais j’ai eu beaucoup d’espoir dans les années 80-90 avec tous ces concerts pour la paix, la libération de Mandela, une espèce de concrétisation des décolonisations. Mais les grands financiers qui dirigent notre monde sont de sinistres crapules qui s’enrichissent du sang versé des peuples, en exploitant leurs ressources et en maintenant au pouvoir des systèmes dictatoriaux facilement manipulables. Regardez le nombre de dictatures à travers le monde, le nombre de personnes opprimées, les libertés de la presse muselée. Rien ne nous encourage à croire en un bien être de l’humanité, et l’actualité va dans ce sens...

 

 

Comment percevez-vous l’évolution des équilibres terrestres et maritimes depuis un quart de siècle ? Êtes-vous confiant quant à notre capacité collective à prendre conscience de leur fragilité, et à les préserver ?

 

Les équilibres terrestres et maritimes ne sont plus. Les scientifiques nous ont mis en alerte depuis les années 70. Il y a plus de 50 ans. La prise de conscience date du siècle dernier. Je constate juste une incapacité à préserver les équilibres. Pourquoi ? À cause de notre blocage à imaginer un autre processus de croissance économique. La croissance économique ne devrait pas être basée sur la quantité de produits, mais sur la quantité d’espèces vivantes sur Terre. Pour cela, il faudrait considérer l’espèce humaine comme une espèce invasive à réguler. Et là, comment réguler l’espèce humaine sans se détacher des religions... Je n’ai pas la réponse, car on peut vite tomber dans l’eugénisme ou le nazisme, mais de l’autre côté de l’Atlantique, certains s’en rapprochent avec leur idée de peuple élu supérieur. Notre planète va mal, et c’est de notre faute. Nous sommes trop nombreux pour que la Terre digère nos pollutions. Nos sols sont pourris, notre air est pourri, nos mers, nos océans. Les espèces disparaissent et que faisons-nous ? On trouve des milliards de dollars à mettre dans l’armement plutôt que dans l’épanouissement de l’espèce et de la planète. En y regardant bien, on s’aperçoit que ce ne sont que des mâles qui se prennent pour des dieux. Si Dieu existe, je le prie de bien vouloir les prendre en thérapie longue.

 

De quoi êtes vous le plus fier jusqu’à présent ?

 

Ce qui me rend le plus fier, c’est de ne pas sombrer dans la violence, mais de croire en l’esprit des Lumières, des arts, des sciences, de la recherche et la beauté de la nature.

 

Des regrets ?

 

Ne pas avoir pu dire adieu à ma mère qui a fait un A.V.C...

 

Vos projets et surtout, vos envies à venir ?

 

En 2024, on a refusé avec ma compagne Marie et mon fils Mahé de prendre des vacances touristiques. On voulait faire des vacances positives, être utiles, être créatifs. L’O.N.G. scientifique Lantuna, basée au Cap-Vert, nous a intéressé car son objectif est la protection de la biodiversité et la sensibilisation des populations locales aux problèmes de pollution. En période de nidification, l’archipel du Cap-Vert abrite la plus grande concentration de tortues Caouannes au monde. Lantuna a décidé de les protéger. Une vibration en moi me disait qu’on devait y aller.

 

Lantuna était intéressée par nos profils. Marie pouvait monter des ateliers artistiques et moi, avec Mahé qui fait des études de cinéma, pouvions alimenter leur site par des photos et des vidéos. Une première mission a concrétisé notre partenariat en 2024. Nous avons effectué des ateliers artistiques avec 300 enfants des communautés autour de Tarrafal. À partir des collectes de déchets plastiques sur les plages et dans les villages, nous avons réalisé des mobiles d’animaux marins.

 

Ce premier succès nous a encouragés à prolonger l’aventure et proposer, pour 2026, de nouvelles réalisations. Un visuel peint et gravé de 2m de hauteur par 4m de longueur, composé de 72 cartons toilés à base de packs de lait représentera de manière positive le besoin de limiter la pollution plastique pour que la biodiversité se développe à nouveau. Des pourparlers sont en cours avec l’aéroport de Praïa. La tortue, façonnée en utilisant des déchets plastiques et des filets de pêche usagés sur des supports métalliques mesurera 4m x 2m. La carapace de panneaux solaires en forme d’écailles alimentera une guirlande de LED aux couleurs rouges, entourant et dessinant dans la nuit les formes de la tortue sculptée. L’esprit des lumières alertera de la présence de ponte de tortues sur la plage. Des panneaux d’informations scientifiques encadreront la sculpture et valoriseront le travail de l’association Lantuna sur le site. Un accord avec la ville de Tarrafal est en cours.

 

Nous avons à cœur de montrer que la connaissance scientifique peut se mettre au service de la protection de l’environnement en impliquant les populations locales. Cette initiative se retrouve à Ribeira da Prata pour la protection des tortues marines, mais aussi à Porto Mosquito pour la protection des oiseaux marins et de la biodiversité marine. Une relation de confiance s’est installée entre Lantuna et les communautés. Ensemble nous espérons faire évoluer les mentalités. Notre mission viendra compléter les activités de Lantuna sur la plus grande île de l’archipel, Santiago. Nous proposons de collecter les déchets et de réaliser des créations artistiques originales. Les créations seront exposées comme des totems, symboles de la préservation de l’environnement. Un documentaire de 52’ témoignera de cette aventure humaine. Une bande annonce de présentation du projet pour 2026 est disponible  :  https://vimeo.com/1120126085. Je suis à la recherche de producteurs et diffuseurs...

 

Mes autres envies sont d’être à l’écoute du monde et des amis qui partagent mes idées pour développer des projets qui font avancer la pensée humaine sur des réflexions positives. Je travaille avec l’océanographe, Virginie Tilot sur un projet d’artiste Papou et amérindien sur leurs conceptions de la relation avec les esprits, divins et créatifs. Une plongée dans les ténèbres de l’histoire humaine. J’adore.

 

La fiction, ce n’est vraiment pas pour vous ?

 

J’adore aller au cinéma en salle. On a le son, l’image dans le noir et ça j’adore, c’est unique. On vit la magie du cinéma. C’est merveilleux, mais ce milieu ne m’attire pas. Trop de faux-semblants, de paraître, de bling bling. Je préfère le contact de la vie réelle, être confronté à la réalité. Peut-être juste par un besoin de garder les pieds sur Terre, ou de peur de me perdre...

 

Quel message auriez-vous envie d’adresser à un jeune pour le convaincre d’aller voir le monde dans ce qu’il a de sauvage et d’authentique, et d’œuvrer à le protéger ?

 

Lors du voyage chez les pygmées Baaka, nous sommes allés dans une saline, pour essayer de filmer un silverback (gorille au dos argenté). Après une journée à le pister nous n’avions rien dans notre besace. Il nous sentait et nous fuyait. On ne voyait que les femelles. Voyant notre échec, on retourne dans la saline pour filmer les éléphants qui s’abreuvaient. Endroit sublime, 16h, lumière qui tend doucement vers le rose. Et petit à petit, des guenons se mettent à sortir et à se chamailler. En un éclair, on entendit un craquement énorme et le silverback sortit du bois en hurlant. La saline s’est tue. Le roi était là, assis à 100m en train de mâchouiller une branche pour en récolter la moelle. Je demandais à notre garde si je pouvais me rapprocher. Notre garde s’était fait arraché une partie du crâne lors d’une rencontre qui avait mal tourné. Il me dit qu’on pouvait essayer, mais que si le gorille chargeait il fallait se jeter à terre et gratter le sol en regardant par terre, en signe de soumission.

 

Petit à petit on s’est rapproché, mètre par mètre avec un gros trépied et la grosse caméra dessus jusqu’à 10 mètres. Je sentais son étonnement, sa supériorité et en même temps sa curiosité pour ces bipèdes habillés. Nous ne faisions que des gestes lents, sans bruits, sans nervosité. Au plus près de lui, j’ai resserré au maximum pour n’avoir plus que les yeux et son regard fixe pénétrant était bouleversant. J’ai ressenti au fond de moi une sensation de tristesse et de douceur. Je n’arrivais plus à me défaire de son regard. J’étais hypnotisé. Le garde m’a tiré la manche pour me dire de repartir, en arrière, courbé face à lui en regardant le sol. Une fois éloignés, le silverback s’est levé en douceur et est reparti dans sa forêt. J’avais l’impression d’avoir été en contact avec un ancêtre.

 

Si ça ce n’est pas une histoire qui donne envie, je ne m’y connais pas... Merci. Un dernier mot ?

 

Lire Feu nomade de Gérard Chaliand. La poésie crue écrite à la pointe de son couteau...

 

Philippe Pothon.

 

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