Thomas Dutronc : « Je tiens au côté fraternel des copains qui font de la musique ensemble »
En janvier puis en mars de cette année, j’ai eu le rare privilège d’interviewer par mail cette belle et émouvante artiste qu’était Françoise Hardy. Malheureusement, les réponses qu’elle m’apporta alors, riches et exigeantes comme elle l’aura toujours été envers elle-même, furent parmi ses tout derniers mots publics. Cette histoire je l’ai racontée dans un article publié le 15 juin, quatre jours après son décès. Peu après j’ai pu contacter Thomas Dutronc par mail, pour lui exprimer mes pensées chaleureuses en ces instants difficiles, mais aussi pour lui dire ma sympathie et mon admiration pour l’artiste que lui-même était devenu depuis une quinzaine d’années. Il était la grande fierté de sa mère, elle me l’avait écrit au mois de janvier : « Ma plus grande fierté, c’est en effet Thomas lui-même, pas seulement ce qu’il fait, mais ce qu’il est. J’aime toutes ses chansons mais j’ai une préférence pour Sésame, ainsi que pour Viens dans mon île dont le dernier couplet me met les larmes aux yeux. »
>>> Sésame <<<
La réponse de Thomas Dutronc m’est parvenue rapidement : bienveillante, elle ressemblait en tout à l’image que je me faisais de lui. Je savais que son futur album était pour bientôt et j’en ai profité pour lui dire que, si c’était possible, j’aimerais beaucoup l’interviewer à ce moment-là. Il m’a alors mis en contact avec son attachée de presse, que je salue ici, et celle-ci nous a booké un rendez-vous téléphonique pour le 18 septembre, 15h, soit, en plein marathon promo, et au lendemain de moments musique et présentation de l’album qui se sont terminés tard dans la nuit. Classe. Entre temps j’ai donc pu écouter Il n’est jamais trop tard, un très chouette album aux saveurs musicales et émotionnelles fort variées, dans lequel on découvre, plus que jamais sans doute, la personnalité et la sensibilité de Thomas Dutronc.
Un bel opus qui fait du bien, à mettre entre toutes les oreilles : en l’écoutant, vous écouterez comme un pote qui, avec ses jeux de mots vous fera sourire et qui, avec ses confidences, vous touchera au cœur. Merci à vous Thomas, pour votre authenticité, pour votre générosité, et pour cette belle interview que j’ai retranscrite au plus près de ce qu’on s’est dit, pour qu’en nous lisant on nous entende. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Thomas Dutronc : « Je tiens au
côté fraternel des copains
qui font de la musique ensemble... »
/image%2F0405558%2F20240920%2Fob_76cd8f_il-n-est-jamais-trop-tard.jpg)
Il n’est jamais trop tard, septembre 2024.
Thomas Dutronc bonjour. Comment regardez-vous en tant qu’artiste le chemin parcouru entre votre premier album, Comme un manouche sans guitare, sorti il y a 17 ans, et ce nouvel opus, Il n’est jamais trop tard ?
J’ai l’impression que je fais quand même mon petit bonhomme de chemin, et que je progresse. Comme une espèce de but, comme si tout ce que j’avais fait jusqu’à cet album était pour en arriver là. On fait plein de choses dans le but de progresser, de s’améliorer, de s’enrichir. Pour faire de la meilleure musique, de meilleures chansons, de meilleures paroles... Tout tourne autour de ça au fond. Je ne suis pas quelqu’un qui se laisse vivre, il faut qu’en permanence je travaille, que je travaille bien, que je sois non pas exemplaire, mais exigeant et impeccable. J’ai droit à l’erreur comme tout le monde, mais j’estime n’avoir pas le droit à la fainéantise, à la glande, au néant...
En tout cas le néant on ne le ressent pas du tout dans cet album. On sent que vous vous faites plaisir, et l’exigence derrière. Votre complice de longue date David Chiron est très présent dans les crédits de l’album, il est responsable de neuf des onze compositions originales qu’il contient. Parlez-moi un peu de lui ?
David, je l’ai rencontré en faculté, en première année (fac d’Arts plastiques, option Cinéma). C’était un mec qui avait énormément d’humour et des yeux bleus assez perçants. Il avait un humour très caustique, il osait dire des trucs à des profs... Il jouait de la guitare et écoutait une quantité de musique assez incroyable : il m’a fait écouter des tas de reggae, des sons ethniques, de la musique traditionnelle japonaise... Il était hyper éclectique. Avec David, avec d’autres copains de la fac, souvent on faisait un bœuf, autour de Santana, de choses comme ça, très rock 70s. On a commencé à devenir copains autour de la musique, il est venu une fois en vacances avec sa copine, faire un tour de Corse...
>>> Solitaires <<<
David fait de la guitare depuis tout jeune, moi depuis l’âge de 14 ans à peu près. Il m’a appris mon premier accord mineur 7 neuvième, il jouait le morceau Blue Bossa, deux-trois plans avec un joli doigté. Un beau son à la guitare, qu’il a toujours d’ailleurs. On s’est un peu perdus de vue par la suite. J’ai bossé pas mal avec un autre copain de cette classe, Arnaud Garoux, on a fait des textes ensemble. Moi je voyais un peu moins David, mais avec Arnaud ils se voyaient tout le temps. Par la suite, David s’est mis au milieu du Django, là où moi j’étais déjà parti, à fond depuis six, sept ans. Alors on s’est revus, on a joué, on a fait des petits projets ensemble. Pour mon premier album, j’ai quasiment tout fait, sauf quelques collaborations, dont une très jolie chanson qui m’a été faite par David et Arnaud et qui s’appelait Solitaires. Ils ont fait trois chansons pour le deuxième album, quatre ou cinq pour le troisième...
/image%2F0405558%2F20240920%2Fob_8e3eb7_thomas-dutronc-et-david-chiron.jpg)
Thomas Dutronc, avec David Chiron. Photo fournie par T. Dutronc.
Et il est donc très présent dans Il n’est jamais trop tard...
Oui, on a énormément travaillé ensemble pour ce nouvel album. On avait pas mal bossé auparavant sur le projet Live is Love (2018, ndlr). Au passage, David c’est un très bon vivant, très couche-tard. Maintenant, il est papa, il ne peut plus toujours faire comme avant, mais c’est un sacré fêtard. Quand on est parti à écouter de la musique et à boire des coups ensemble, le plus souvent ça dure toute la nuit, c’est très sympa. Quand j’ai fait mes projets Frenchy (2020, ndlr), avec mon père aussi, pendant ce temps lui a travaillé dans son coin. Il a joué avec un groupe, Odjila, qui a eu du succès depuis les années 2000. Il a aussi monté un groupe de swing, pas mal de choses... Et il continuait à composer des mélodies. Et parfois on en partageait, à la campagne, ou en Corse, en vacances. Pendant quelques jours, une semaine parfois, on travaillait sur des chansons.
J’ai cru comprendre en effet que vous avez pour cet album pris des choses créées plus tôt, que vous en avez composé d’autres. Qu’est-ce qui a fait l’unité, l’identité de cet album à votre avis ?
Il y a une unité musicale. Quelque chose de pop, je dirais. J’avais par exemple un morceau swing un peu rigolo composé par un copain, je ne l’ai pas mis, parce que je trouvais que c’était hors sujet. J’ai vraiment voulu cette couleur pop, même s’il y a de très jolies notes de guitare. Pas mal de gens me parlent de l’influence jazz qu’ils sentent dans cet album, moi je ne vois pas trop où on peut la voir ici. Évidemment il y a des musiciens qui jouent des notes... Si être jazz, c’est faire jouer des êtres humains plutôt que des machines, oui, il y a des êtres humains qui jouent plutôt que des machines (rires), mais il y a aussi des machines sur ce disque, j’aime bien ça aussi. Par exemple, Dans tes yeux, c’est électro et acoustique en même temps, et je trouve que c’est une réussite.
Très chouette chanson oui, on va en reparler. Vous êtes l’auteur d’une bonne partie des textes de l’album. Quel rapport entretenez-vous à l’écrit, au fait de s’exprimer et de créer avec les mots ? Quand vous avez besoin de vous exprimer ou de vous évader artistiquement, vous allez plus volontiers vers une feuille de papier, ou vers votre guitare ?
(Il hésite) Ça dépend... Un peu les deux, quand même. M’évader... Je fais tellement de trucs que je n’ai pas tellement le temps de souffler en général. Je suis tout le temps en train de travailler, en fait. C’est pas forcément un bien d’ailleurs. La priorité, c’est de faire des chansons, et de belles chansons. Mais on se laisse faire dans son planning par des concerts privés, des rendez-vous divers... On passe son temps à prendre des rendez-vous, à faire des trucs tout au long de la journée, en fait il faudrait surtout faire des chansons. Mais je crois que je suis arrivé à un âge de sagesse, avec ce projet. En ce moment j’ai un gros coup de promo, mais maintenant je crois commencer à avoir appris ma leçon de prendre moins de rendez-vous pour tout et n’importe quoi, souvent des choses intéressantes mais qui me prennent beaucoup de temps... Partir en Corse ou à la campagne est aussi utile par rapport à ça : "J’aurais bien voulu... mais je ne suis pas à Paris !". Pratique.
>>> Où étais-tu ? <<<
Dans cet album, il y a pas mal de saveurs mélodiques et instrumentales différentes. J’aime notamment beaucoup le son des guitares dans Où étais-tu ou évidemment dans Il n’est jamais trop tard ? Comment qualifieriez-vous votre patte, votre identité musicale Thomas ?
C’est compliqué à dire... On a travaillé tout l’album avec David, il s’occupe des arrangements, travaille sur ordinateur, il fait des maquettes sympas etc... mais on a essentiellement fait du guitare-voix au départ, en mode un peu Brassens mais en imaginant une orchestration ensuite. Je trouve qu’il faut que la chanson marche déjà en guitare-voix, c’est important. Ensuite, les arrangements. C’est la partie du travail la plus difficile, celle que je connais bien, et là j’apprends à chaque fois, je fais des erreurs, j’avance. Si on décide de faire un arrangement avec un orchestre à cordes, il faut trouver qui va le faire, et qui le fera bien. Là j’ai eu du temps, j’ai fait pas mal d’essais. J’ai travaillé avec l’arrangeur de mes premier et deuxième album, Fred Jaillard. Je suis aussi allé voir des jeunes qui ont 30 ans, qui maîtrisent vraiment les machines, l’électro tout en étant vraiment musiciens aussi, ce qui n’a pas été le cas de toutes mes rencontres pro... Il faut qu’il y ait cet aspect-là, musicien, forcément.
>>> Les playboys <<<
J’ai acquis avec le temps une vraie exigence musicale. J’évite de parler de ma maman, mais c’est un peu grâce à elle que j’ai développé une oreille sensible aux belles harmonies. Entre 4 et 8-10 ans, elle me faisait écouter plein de musiques : Souchon, Berger, Véronique Sanson, Eddy Mitchell, Starmania, etc, et tout ça, dans cette chanson de la fin des années 70 et du début des années 80, il y avait vraiment de belles harmonies. Donc mon influence, elle vient un peu de là, de cette tendre enfance. Et j’écoutais aussi tous les titres de mon père, j’étais sensible à son côté rock, en même temps, aux jolies chansons de ma maman. Et à l’aspect crooner/swing de mon père aussi, des J’aime les filles, Les playboys... Ma mère était fière, parce que je tapais toujours des mains au bon endroit, en swing ! (Il me fait une démo parlante que je ne peux malheureusement pas reproduire à l’écrit, citant Hit the road, Jack / Fever, ndlr) Je suis fasciné par le niveau musical aux États-Unis. Mais partout : dans le bus, tu entends des musiques incroyables. Dans les émissions musicales, eux ont des tueurs à gages ! Ici on a de beaux textes, mais musicalement ils sont très forts !
Bref, tout ça pourrait me définir musicalement. Et, le fait d’avoir fait du jazz manouche m’a permis de croiser de super musiciens. J’ai commencé comme musicien au départ, alors j’ai forcément du respect et une admiration totale pour tous les musiciens avec qui je joue. Pour moi c’est très important. Je ne veux pas faire un truc fabriqué, mais garder ce côté familial, d’amitié, qu’on peut trouver dans les chansons de Brassens, dans son arrangement aussi. Lui c’était avec son contrebassiste, et avec un copain qui faisait les solos de guitare. J’ai envie qu’il y ait cet amour presque fraternel de copains qui jouent ensemble. Les deux jeunes, je ne les connaissais pas mais je les aime beaucoup, et je pense qu’on essaiera de rester amis avec les années. On a la chance aussi de faire des métiers où on n’est pas dans un truc froid, de machine à fric.
Des rencontres...
Voilà. Il y a des gens qui ont cet esprit-là, de business. Mais moi, c’est pas ma mentalité. Une passion, une chance et un bonheur.
>>> Katmandou <<<
Belle réponse... Justement, la chanson Katmandou invite au voyage et exprime une tentation d’aventure, de liberté, tandis que dans Larguer les amours il est question de "larguer les amarres". Vous l’avez parfois, ce besoin, presque cette pulsion de tout plaquer pour aller, par exemple, vivre sur une île ?
Oui, je pense qu’on l’a un peu tous. Si je partais à l’autre bout du monde, si je refaisais ma vie, que je disparaissais... Peut-être y emmener sa compagne, ses enfants... Moi j’aurais aimé vivre plusieurs vies. Mais on ne peut pas, on a la sienne, il faut la vivre. C’est une tentation. Qu’est-ce que je ferais si j’allais vivre en Nouvelle-Zélande, comme Franck Monnet, qui a tout plaqué pour aller là-bas ? C’est fabuleux, ça... Moi j’ai trop de boulot à Paris, mais c’est un rêve. J’ai eu deux-trois histoires d’amour dans ma vie mais j’en ai eu une forte ces dix dernières années qui a failli m’emmener en Angleterre, en Irlande, etc, pour y vivre...
Après sans parler de forcément larguer les amarres, ça peut être juste une parenthèse, un isolement...
Oui, ça j’en ai besoin... Cet isolement. Ma période préférée, c’est Noël en Corse, il n’y a personne ! Et il fait beau, on peut faire des balades magnifiques dans la montagne, pas un bruit, la nature est toute calme... Pas de mouche, on entend les oiseaux, une fraîcheur... On est là dans la gloire et la beauté de la nature. On est bien en fait. Plus peur de rien. Heureux.
>>> T’étais belle ce dimanche <<<
En tout cas ça donne envie... Vous évoquiez à l’instant vos histoires d’amour. Les chansons romantiques de l’album sont souvent douces-amères. Dans quelle mesure mettez-vous de vous, de votre histoire dans vos textes, et le faites-vous ici davantage que dans vos précédents opus ?
Oui, j’en ai vraiment l’impression. Il y a des textes que j’ai su par cœur presque tout de suite. Alors, pour vous répondre, je dirais oui et non. Il y a des choses qui m’ont été vraiment inspirées par du réel. T’étais belle ce dimanche, c’est vraiment moi, même si je ne raconte pas trop mes chansons... C’est fini c’est mort, je l’ai faite avec Arnaud Garoux, c’est lui qui a lancé l’idée au départ, sur la base d’une chanson qu’ils avaient faite avec David. C’est fini c’est mort, c’est foutu, j’ai repris l’idée de départ, j’ai refait tout le texte, le pont... mais là c’est un peu plus inventé. Donc oui, c’est un peu les deux... Je ne veux pas non plus faire quelque chose de trop autobiographique. Je trouve marrant aussi de jouer des rôles ou pas, sans le dire. Sans trop parler de la réalité de ma vie, larguer, être largué, etc... L’important c’est surtout de créer une émotion, de la transmettre...
>>> Les p’tits bonheurs <<<
Bien d’accord avec vous. Justement, Les p’tits bonheurs et Il n’est jamais trop tard sont deux très jolies chansons qui invitent à voir le positif en toute circonstance, et à se projeter toujours dans un futur source de promesses. C’est vraiment le reflet de votre personnalité, cet optimisme ?
(Il hésite) Peut-être pas à ce point-là... mais il faut essayer. C’est quelque chose vers quoi il faut tendre. On vit dans une époque où tout le monde râle tout le temps... C’est con, mais j’essaie de sourire dans la rue, j’abuse parfois des "Excusez-moi"... Il y a quelque chose d’un peu violent dans l’air du temps. Mais là il fait beau, alors les gens sont plus sympas... Il y a cette phrase de Cocteau : "Les Italiens sont des Français de bonne humeur". J’essaie d’être un peu plus italien que français, disons !
>>> Dans tes yeux <<<
Jolie réponse. Dans tes yeux est signée intégralement par vous, texte et musique. Elle résonne particulièrement à votre cœur ?
Oui, c’est une de celles qui ont vraiment jailli comme ça, comme si elle était née toute seule. En fait j’ai retrouvé cette musique-là qui traînait dans mes dictaphones, et j’ai tout de suite trouvé une autre partie musicale, etc. Dès le début c’est venu assez naturellement. À la base j’étais parti pour faire la plupart des mélodies de l’album, mais les projets se sont enchaînés, avec mon père, etc... et David est arrivé avec les siennes, donc très bien. Je me suis surtout attelé à écrire les textes, même si je suis curieux de savoir ce que j’aurais pu pondre musicalement. Je le ferai pour un prochain album évidemment. Encore une fois, je suis super content de travailler avec David. En plus, c’est un plaisir d’écrire des chansons à deux. Parfois c’est laborieux, parfois ça vient tout seul. Une soirée, on va prendre les guitares, on va jouer, échanger, confronter les idées... Lui m’aide pour le texte, et moi bien sûr je vais l’aider sur la musique... Il y a des suggestions, l’heure avance, on boit des coups, d’autres idées viennent... C’est vraiment un bonheur.
Votre maman, que j’ai eu le bonheur d’interviewer par mail en janvier et mars dernier, était essentiellement connue pour ses magnifiques chansons mélancoliques, mais elle a fait aussi des choses beaucoup plus souriantes, et quand j’ai lu son autobio j’ai compris qu’elle riait aussi souvent. Vous regrettez un peu qu’on ne s’empare pas davantage de l’aspect plus léger, plus solaire de Françoise Hardy ?
Oui tout à fait... J’essaie d’ailleurs souvent de répéter ça en interview, de dire que ce qui me manque c’est son rire, et on riait beaucoup. Elle était vraiment une bonne vivante. Évidemment elle avait ce fond, cette âme, un immense romantisme nourri de ses tourments amoureux, mais elle était très marrante, elle riait souvent ! Bon, elle riait moins les six derniers mois, la dernière année, mais c’était une personne fantastique vraiment...
>>> Viens dans mon île <<<
Lorsque je lui ai demandé, au mois de janvier, quelles chansons de vous la touchaient et lui plaisaient particulièrement, elle a cité Sésame, Viens dans mon île, À la vanille, J’me fous de tout et Le blues du rose. A-t-elle pu écouter certaines de vos nouvelles chansons ?
Malheureusement non. Je ne voulais lui faire écouter que les choses vraiment finies, sinon elle aurait été trop critique. Mais je dois vous dire que jusqu’au bout, jusqu’à la fin juillet, on a encore changé des éléments de mix, certains titres... Et si je réécoutais l’album maintenant, je changerais encore des choses. Mais tout dépend des écoutes aussi... J’ai tendance à aimer les mix anglais, et là je trouve que ma voix est bien en avant, un peu trop parfois à mon goût, mais bon...
>>> Que tu m’enterres <<<
Et vous Thomas, parmi les siennes de chansons, celles de Françoise Hardy, notamment les moins connues, lesquelles nous inciteriez-vous à découvrir ou redécouvrir ?
Moi, souvent je parle de La Question, qui commence à être connue... Il y a Que tu m’enterres, qui n’est pas très connue mais que j’adore, elle est incroyable... Sur une très belle musique de Gabriel Yared.
Très bien. Est-ce que, l’âge avançant, vous sentez tout de même la part mélancolique de votre personnalité gagner un peu de terrain ?
Oui... Arrivé à cet âge-là, je discute avec des jeunes de 25 ans, et parfois je me dis qu’ils vivent sur une autre planète que moi. Ils ont d’autres codes, ils ont vécu d’autres choses. Comme si on ne partageait plus cette histoire commune. Jusqu’à 40 ans je ne ressentais pas ça. Là, arrivé à 50, je vois des jeunes de 25 qui ne connaissent vraiment rien de ce que vous avez vécu vous. C’est assez étonnant. Ça me fait penser à mes grands-parents qui avaient vécu des choses tellement incroyables, qui voyaient le monde devenir de plus en plus fou, de plus en plus compliqué... On sent que ça évolue, mais pas toujours dans le bon sens malheureusement. Il y a des choses qui s’améliorent, pour d’autres c’est pire. Ça n’a pas trop de sens, ça me fout un peu le blues. Quand on est enfant, on a une tendance naïve à croire qu’on va aller vers du mieux, après avoir appris les histoires de deux guerres. On se rend compte que c’est pas si simple...
>>> L’Horoscope <<<
Mais en tout cas vous gardez cette curiosité, cette envie d’aller de l’avant, de rencontrer de nouvelles personnes... On retrouve aussi dans votre album des textes souriants avec des jeux de mots et de rimes chers à Gainsbourg et à Françoise Hardy, comme dans Marie-Lou et L’Horoscope (petit clin d’œil ?). Et cette voix, charmeuse, décontractée et désabusée, qui rappelle de plus en plus votre père. Est-ce qu’au-delà de ce qui est évident vous revendiquez une vraie filiation artistique avec Jacques Dutronc ?
Bien sûr. En plus, avec les musiciens, on sortait de la tournée avec mon père. Vous parlez de Marie-Lou : dans l’arrangement, on aurait pu faire quelque chose d’un peu différent, mais on a fait exprès d’aller par là. Ça me paraît naturel tout simplement. Hier soir c’était notre première, avec les musiciens. On a répété trois jours en juin, et trois jours juste là. On est huit sur scène, à une époque où on a de moins en moins de musiciens sur les scènes c’est très appréciable. Et présenter de nouvelles chansons, ça faisait longtemps. Hier soir j’étais vraiment content... Et on sent que parfois certaines chansons prennent une autre ampleur sur scène...
Et d’ailleurs beaucoup des gens qui vous ont déjà applaudi sur scène ont ressenti un lien, comme une camaraderie avec vous. La scène, que vous retrouvez bientôt, le contact avec le public, qu’est-ce que ça représente pour vous ? Ce lien vous le ressentez aussi j’imagine ?
Oui, et j’ai compris que mon père n’avait pas le même genre de contact. Lui gambergeait beaucoup avant les concerts, il était hyper pro et réagissait toujours aux vannes que je pouvais lancer avec des trucs incroyables qui font de lui le mythe qu’il est. Moi je prends plus la chose à la légère. J’estime que j’ai de la chance. Je ne crois pas que mes parents se soient dit ça, ils sont devenus superstars tout jeunes, avec le monde à leurs pieds... c’est autre chose. Moi je sais que j’ai de la chance. J’ai toujours été obsédé par ce truc de Brassens :
Il s’en fallait de peu, mon cher,
Que cett’ putain ne fût ta mère,
Cette putain dont tu rigoles,
Parole, parole...
(La Complainte des filles de joie, ndlr).
Je me dis tout le temps que je pourrais être les autres, et j’essaie toujours de me mettre à leur place. Jeune j’étais moins comme ça, il pouvait m’arriver d’être plus dur, cassant... J’étais un gosse, mais voilà, cette philosophie-là m’a vachement frappé. Et en même temps j’essaie aussi, toujours, de faire marrer les gens.
Ça se ressent évidemment... Et quand vous regardez derrière, votre parcours, vous êtes content ?
Oh, oui... J’espère que ce disque va marcher. Il y a de moins en moins de places pour les artistes. J’ai vraiment un bon accueil en presse, ça fait plaisir, mais j’espère que le public suivra, que les radios suivront, etc...
On vous le souhaite. Vos projets et surtout, vos envies pour la suite, Thomas Dutronc ?
Faire une belle tournée, un beau spectacle. Hier on a présenté l’album, maintenant on a un spectacle à créer. On a des idées, il faudra mettre tout ça en place, dès que la promo sera finie...
Interview : le 18 septembre 2024.
/image%2F0405558%2F20240920%2Fob_d6d2f3_t-dutronc-par-yann-orhan.jpg)
Photo : Yann Orhan (D.R.)
Un commentaire ? Une réaction ?
Suivez Paroles d’Actu via Facebook, Twitter et Linkedin... MERCI !