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Paroles d'Actu
roman
30 août 2021

Grégoire Thoby : « Le pardon ça se mérite ; moi d'une certaine manière, j'ai déjà pardonné à mon père... »

Lorsque je songe au prochain article, parfois je sais assez précisément où je souhaite aller (sans être sûr de jamais y parvenir), et parfois c’est la surprise, au gré des rencontres. La publication du jour est de cette catégorie, et je suis heureux que mes pérégrinations virtuelles aient croisé le chemin de Grégoire Thoby, artiste expat, un passionné de cinéma dont le premier roman, d’autant plus touchant qu’il reprend, en de larges proportions, des éléments autobiographiques, vient de sortir. La Ride du souci (Les Presses Littéraires) nous plonge, plus qu’on l’imagine sans doute, dans l’univers et dans la tête de l’auteur, avec au cœur du récit et des réflexions, ces deux concepts essentiels que sont le pardon, et la rédemption. Je ne puis que vous recommander de vous emparer de ce livre qui risque fort d’interpeller ceux qui s’y engageront. Comme une bouteille à la mer. An author is born. Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Grégoire Thoby: « Le pardon ça se mérite. Moi, d’une

certaine manière, jai déjà pardonné à mon père... »

La ride du souci

La Ride du souci (Les Presses Littéraires, 2021).

 

Bonjour et merci de m’accorder cet entretien à l’occasion de la sortie de ton premier roman, La Ride du souci (Les Presses Littéraires). Ce goût d’écrire, de la fiction et du plus intime, c’est quelque chose qui, pour toi, remonte à loin ?

Merci à toi  ! Ma passion pour l’écriture est assez récente en fait. Bien qu’ayant passé un Bac L, je n’écrivais pas vraiment étant ado. Je n’en avais ni l’ambition ni le désir. C’est arrivé petit à petit, par le cinéma d’abord, lorsque j’ai commencé à griffonner des scénarios il y a quelques années (tous restés dans mes tiroirs). Mais ce goût de la fiction et de l’intime a toujours été présent, que ce soit par le biais du théâtre, ma boulimie de films, la réalisation d’un documentaire…

 

Quelle a été l’histoire de ce roman, de cette aventure ? Je sais que pas mal d’éléments sont, au moins en partie, d’inspiration autobiographique ; est-ce que certaines choses ont été dures ou au contraire, jouissives à écrire, et as-tu mis beaucoup de toi dans cette démarche ?

Fin 2018, alors que j’étais reclus dans le désert espagnol, j’ai appris que mon père, escroc notoire, s’était volatilisé après avoir arnaqué de nouvelles personnes. Je venais de quitter mon quotidien sédentaire parisien pour une vie nomade et me pensais loin de tout, en particulier de ses agissements. Frustré, mais aussi inquiet, je me suis mis à écrire spontanément. Une sorte d’urgence, et l’envie d’entremêler souvenirs réels, fiction et fantasmes afin de raconter une histoire universelle, au-delà de son aspect intime et cathartique. Mon père est devenu Bernard, je suis devenu Gaëtan, et La Ride du souci a commencé à se former. Bien que certains passages aient été douloureux à coucher sur le papier, j’avais la conviction d’avoir le recul nécessaire pour m’y attaquer. J’ai vraiment pris un plaisir fou à écrire ce livre, à réinventer ce père.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet : pas mal de tes personnages, notamment les secondaires, sont hauts en couleur, ou en tout cas bien décrits et rendus vivants. Es-tu quelqu’un qui aime observer les gens, le monde qui t’entoure ?

Oui, c’est fascinant d’observer les gens (de tous âges, cultures, milieux sociaux), de tenter de se glisser dans leur peau, et je ne dis pas cela dans un but uniquement anthropologique et intéressé ; les gens sont fascinants, qu’ils soient bienveillants, abjects ou chiants à crever. Depuis toujours, j’ai une affection particulière pour les marginaux, ceux qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil, ceux que la société délaisse, dénigre ou veut faire taire.

 

Au cœur  de l’intrigue donc, le regard porté par un fils sur son père "greater than life" mais toxique pour ses conquêtes et ses proches, entre jugement, espoir et fantasmes. Un père qui finalement, limité par toutes ses failles, et bien qu’agaçant au possible, inspire une bonne dose de tendresse. Comment l’appréhendes-tu, toi, le personnage de Bernard ?

Je l’appréhende un peu comme ce que tu viens de décrire  ! Bernard est un antihéros aussi néfaste qu’attendrissant. Il vole, il ment, il pète des câbles, il trahit ceux qui lui prêtent main-forte, mais c’est aussi un homme profondément inadapté, bloqué dans son enfance, qui génère sa propre solitude. Bien sûr, à l’origine de ce personnage, il y a mon père, et donc un affect particulier, mais bizarrement, j’ai la sensation de m’en être totalement détaché. J’entends par là qu’en rentrant dans la tête de Bernard, en lui imaginant cette soudaine remise en question, je l’ai vraiment considéré comme un personnage à part entière. Un père 2.0, en quelque sorte.

 

Au cœur de l’intrigue, surtout, deux thèmes essentiels, complémentaires : la rédemption, démarche intérieure, et le pardon, accordé ou non par les autres. Est-ce qu’ils te parlent tout particulièrement et, sur la capacité à pardonner notamment, penses-tu avoir toi-même évolué  ?

Intéressante, cette question, et quelque peu déstabilisante. Ces thèmes me parlent, oui. J’aime penser qu’il est toujours possible de se racheter, de s’améliorer, même quand tout paraît foutu et qu’on a déçu tout le monde. Tout est une question de volonté. Il en va de même pour le pardon. Bien sûr, chaque situation est différente et je comprends parfaitement qu’on puisse refuser d’accorder le sien. Le pardon, ça se mérite. Quant au mien, je crois que je n’aurais pas pu débuter l’écriture de ce livre si je n’avais pas, d’une certaine manière, déjà pardonné à mon père. Sans cela, j’aurais probablement accouché d’un règlement de compte indigeste dont les lecteurs n’auraient su que faire. Quant à Bernard, libre à chaque lecteur de se forger un avis.

 

Le narrateur principal du roman, Gaëtan, le premier fils de Bernard, te ressemble beaucoup. Comme toi, il vit dans un camping-car (qui a un nom à lui !) avec son mari et chérit cette vie nomade, un peu bohème aussi. Qu’est-ce qui te plaît dans cette vie-là, et te verrais-tu retourner durablement entre quatre murs ?

J’aime cette sensation de liberté de la vie nomade. Ce sentiment incroyable de voyager dans sa propre petite maison roulante. On se déplace et tout change, les paysages, la lumière, les odeurs, le taux d’humidité, mais l’intérieur reste le même. Être chez soi, mais ailleurs  ; un vrai remède contre la lassitude. On rencontre des gens formidables sur la route aussi  ! Il y a plein de façons de vivre ainsi, en fonction de son budget, de ses envies, de ses exigences en terme de confort. En ce qui nous concerne, mon compagnon et moi, on est off-grid, (panneaux solaires, citerne d’eau, wifi, etc) donc on peut se garer en pleine nature sans avoir besoin de se raccorder à l’eau courante ou à l’électricité. Je ne pense pas encore en être arrivé au stade du «  un appart ou une maison, plus jamais  !  » mais pour l’instant, même si ce n’est pas toujours évident, ce choix de vie me comble.

 

LRDS

 

Votre vie est actuellement en Californie, quelque part dans le désert du Mojave. Qu’est-ce que ça change, et qu’est-ce que ça implique,  de vivre en un tel endroit ?

En ce qui concerne le désert du Mojave, il faut surtout se préparer à la chaleur ! L’air est ultra sec toute l’année, et la vie sauvage, très présente  : lièvres par milliers, coyotes, lynx, aigles, serpents à sonnettes, tarentules… J’aime beaucoup cette région, mais il est temps de partir vers un peu de fraîcheur maintenant que l’aménagement du bus scolaire est terminé  !

 

Qu’est-ce qui saute aux yeux dans le contraste entre la France et l’Ouest américain ? Les choses (je ne parle pas des proches) qui manquent, et celles qui ne manquent pas quand on est aux US ?

Ce qui saute aux yeux  ? D’autres expatriés pourraient me rejoindre là-dessus, les mentalités sont vraiment différentes. Par exemple, les Américains cherchent très rarement à polémiquer, à débattre de vive voix, même sur des sujets anodins. Ce n’est pas dans leur culture, à l’inverse des Français, rois incontestés dans le domaine. C’est souvent agréable mais ça engendre forcément des limites. Donc paradoxalement, la liberté de ton des Français me manque parfois. Et la bouffe, bien sûr  ! Surtout les pâtisseries… Tu peux m’expédier un Paris-Brest en Colissimo  ? Thanks.

 

 

Il y a quelques années, tu as connu un petit succès autour de Cousine Madenn, touchant documentaire que tu as consacré, comme son nom l’indique, à ta cousine et à ses doutes. Que retiens-tu de cette expérience avec le recul, et aimerais-tu t’essayer encore à l’exercice du long métrage  ?

Incroyable expérience que ce documentaire. Je n’en retiens que du bon, et ma cousine me presse pour qu’on tourne la suite  ! Je suis heureux que ce film ait pu contribuer à faire évoluer les mentalités sur les personnes en situation de handicap mental léger. Aussi, Madenn et moi avons tous les deux gagné en confiance grâce à ce film. J’aimerais en réaliser d’autres, documentaires ou fictions, mais pour l’instant je privilégie l’écriture, médium nécessitant bien moins de budget et de personnes extérieures.

  

Quels sont les livres qui t’ont le plus marqué, et que tu souhaiterais nous faire découvrir ?

Je ne vais pas vous le faire découvrir puisque c’est un best-seller, mais dernièrement, j’ai adoré Vernon Subutex ; Virginie Despentes me bouleverse autant qu’elle me fait rire aux éclats. Sa liberté de ton, son parcours atypique, sa rudesse cachant une grande finesse… Un autre roman qui m’a profondément marqué par sa critique sociale baignée d’humour noir : La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Dans un genre très différent, la délicatesse de Jirō Taniguchi me transporte immédiatement (je recommande Le Gourmet solitaire et Un zoo en hiver).

 

Même question pour les films (je précise ici que tu as étudié le cinéma) ?

Plusieurs de mes films fétiches sont consacrés à l’enfance : Kes de Ken Loach, Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, Billy Elliot de Stephen Daldry, Bonjour de Yasujirō Ozu, Les Quatre cents coups de François Truffaut… J’aime la filmo de tous ces cinéastes. Pêle-mêle, je citerais également Asghar Farhadi, David Lynch, Billy Wilder, Stanley Kubrick, Céline Sciamma, Pedro Almodóvar, Mike Leigh, Gus Van Sant, Robin Campillo… Et tellement d’autres  !

 

G

 

Après le Mojave, quels endroits insolites aurais-tu envie d’aller explorer, pour quelques jours, ou plus si affinités ?

Le fin fond de l’Alaska et du Canada  ! Du désert aux glaciers, quoi de plus dépaysant  ? Avec le bus, on aimerait aussi faire une bonne partie de l’Amérique latine. Et sinon, j’ai hâte de retourner au Japon, notamment dans les petits villages isolés où les vieilles traditions persistent.

 

Quels sont tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Continuer à écrire tout en voyageant. J’ai commencé La Ride du souci sur les routes espagnoles, je compte bien terminer mon deuxième roman sur les routes américaines. Et un passage en France est prévu.

 

Un dernier mot ?

Simplement, je vous souhaite à toutes et à tous une excellente lecture  !

Interview : fin août 2021.

 

Grégoire Thoby

 

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11 juillet 2021

Ramon Pipin : « J'aime qu'un roman soit transgressif, qu'il m'emmène loin... »

Alain Ranval, alias Ramon Pipin, est de ces artistes dont il serait difficile de résumer la carrière en un, deux, trois ou même sept mots. Durant ses plus de 50 ans de parcours artistique (et c’est pas fini !), il a chanté, écrit des chansons, beaucoup composé (chansons, BO de films ou séries), sorti pas mal d’albums en groupe(s) et en solo. Ça, vous connaissez forcément, c’était en 1973, avec "Au Bonheur des Dames" :

 

 

Son actu du moment, c’est la parution de son premier roman, Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021). Je l’ai lu, sans trop savoir à quoi m’attendre au départ, et j’ai été séduit par l’histoire et les atmosphères changeantes dans lesquelles il nous fait baigner, un fond de l’air déjanté ici, là touchant, parfois les deux d’un coup. Je remercie Ramon pour cette agréable rencontre, pour ce qu’il est, et pour l’interview grand format qu’il m’a accordée en ce début juillet. Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Ramon Pipin: « Jaime quun roman

soit transgressif, qu'il memmène loin... »

Ramon et son livre

Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021).

(Sisi c’est bien, lisez-le ! Il est dispo sur Amazon ou sur ramonpipin.fr...)

 

Bonjour. Déjà, comment je dois vous appeler ? Ramon (Pipin), ou Alain (Ranval) ? Où est l’un, où est l’autre ?

Comme vous voulez ! Mon vrai nom est plutôt réservé à ma sphère privée encore que de nombreux proches, à mon grand dam, m’appellent Ramon, nom dont on m’a affublé en 1972 et dont personne ne connaît l’origine.

 

Première question d’une actu évidente : comment avez-vous vécu, et vivez-vous toujours cette crise dite du Covid ?

Les restrictions m’ont assez peu pesé. Je n’ai aucunement le profil itinérant de Vasco de Gama et j’en ai profité pour créer tous azimuts : musique, écritures diverses, tournages à l’arrache, etc.

 

Vous êtes un touche-à-tout qui a touché à plein, plein de choses. Racontez-nous l’aventure du roman ? Cet exercice-là a-t-il été plus ou moins difficile que d’autres ?

À force de lire des scénarios mal foutus en tant que compositeur de BO, je me suis dit : "Pourquoi pas moi ?". J’avais en effet réalisé un court métrage dont je ne rougis pas, dans mon registre caustique : Et tu récolteras ce que tu as semé avec Jacky tout droit sorti du Club Dorothée. J’ai sué sang et eau pour parvenir à quelque chose de satisfaisant. J’ai tenté de monter ce film — j’avais un joli casting avec Eddy Mitchell en tête — mais cela n’a pas abouti. Après 8 ans d’efforts j’ai rangé ce script, puis l’ai ressorti du tiroir, hanté par cette histoire, pour en faire un bouquin, qu’a préfacé Tonino Benacquista. Il est sorti en 2015 mais la maison d’édition a déposé le bilan 2 mois après... Je l’ai repris l’année dernière à l’occasion de cette longue hibernation et minutieusement réécrit.

 

Je ne vais pas raconter l’intrigue, qui est riche, je laisse aux lecteurs le plaisir de la découvrir. C’est quoi les livres que vous aimez lire ? De quoi vous êtes-vous inspiré pour composer cette histoire-là ?

L’idée de départ vient d’une scène de Pastorale américaine de Philip Roth, l’un de mes auteurs de chevet. Après j’ai laissé mon imagination dériver pour construire cette histoire qui, sous couvert d’un polar, embrasse des thèmes qui me sont chers : l’humour, l’exclusion, le vieillissement, la sexualité, la famille... les lacets. J’aime être malmené et surpris, quelle que soit la forme artistique.

Je lis surtout des romans car j’aime la transgression, qu’on me prenne par la main pour m’emmener loin, les mots choisis et le style.

En vérité je ne me suis inspiré de personne. Le creuset fumant où crépitent mes nombreuses lectures m’a nourri de ses effluves. Et mon histoire personnelle quelque peu, mes rencontres, bien que ce ne soit pas autobiographique.

  

Parmi les protagonistes, Paul, flic mélomane à la retraite ; Naj, jeune tornade sensuelle et complexe ; le fils et la femme de Paul, Fabien et Julie, et quelques slaves hauts en couleur. Est-ce que vous avez mis de vous dans ces personnages justement, Paul mais pas que ? Est-ce que vous avez dessiné en eux des personnes que vous avez réellement rencontrées ?

Je n’ai pas rencontré de Potok ni de Naja. j’aurais aimé, c’est sans doute pourquoi je les ai imaginés ! Pour Paul, quelques lointaines résonances personnelles.

  

Votre plume est agréable, pas mal d’éléments d’immersion, de références, des sourires et aussi de vrais moments d’émotion. Je pense à ces mots touchants qui décrivent le départ de la mère de Paul, Rachel. Ou à ce qu’évoquent les derniers mots du livre. Parfois, il faut composer avec sa pudeur, quand on écrit ce genre de chose ?

Les mots sont venus, puis je les ai repris, modifiés, triturés sans relâche, je crois avoir fait plus de 100 relectures de la dernière édition. Je ne me suis pas autocensuré. Lorsque la situation m’emportait vers l’émotion, pas de barrières. Vers l’humour ou le zizi-panpan non plus.

 

Page Ramon Pipin

 

Vous connaissez bien le milieu du cinéma : si vous aviez carte blanche et budget illimité, quels acteurs engageriez-vous pour interpréter les rôles principaux de votre récit ?

J’ai beaucoup travaillé en ce sens comme vous l’avez vu ci-dessus. Jean-Pierre Bacri aurait été le personnage mais il l’avait souvent joué, cet atrabilaire misanthrope. C’est pourquoi Eddy Mitchell me semblait correspondre. Depardieu également. Pour Potok, j’avais en scène depuis l’origine Patrick Eudeline, que j’aurais volontiers casté ? Après les acteurs anglo-saxons me ravissent : James Gandolfini ? Ou Robert Carlyle ? Pour Naja, un casting s’imposait. La sublimement touchante Nastassja Kinski de Maria’s Lovers ? J’aime bien celle qui joue dans Scènes de ménages, bizarrement, sur M6, Claire Chust qui me semble avoir un joli potentiel, en-dehors de sa fantaisie.

 

Premier petit décrochage justement : si vous deviez n’en choisir que cinq, ou six ou sept je ne suis pas un tortionnaire, ce serait quoi votre top films, tous confondus ?

Très très dur, je suis un cinéphile assidu. Néanmoins, j’ai adoré le cinéma coréen des années 90-2000 avec un chef-d’œuvre absolu : Oasis de Lee Chang-dong. Ainsi que Memories of murder de Bong Joon-ho. Également sur le podium Sur la route de Madison de Clint Eastwood. Dans un autre genre l’inénarrable Spinal Tap de Rob Reiner. La vraie dernière claque que je me suis prise c’est The Painted Bird du réalisateur tchèque Vaclav Marhoul d’après le roman de Jerzy Kosinski, d’une noirceur étouffante à la limite de l’insoutenable. Ah, je dois citer également le film russe The Tribe de Miroslav Slaboshpytskiy, histoire de bullying dans un internat pour sourd-muets sans sous-titres (non ce n’est pas une blague et c’est génial). Et me revient ce film américain Thunder Road de Jim Cummings avec une scène d’ouverture mémorable.

 

  

Vous avez pas mal côtoyé Coluche, dont on commémore cette année les 35 ans de la disparition. Que retenez-vous de lui, de cette rencontre ? Coluche, Desproges, le professeur Choron (avec Hara-Kiri), des figures d’un temps révolu, peut-être plus léger et ou la parole était plus libre, la bien-pensance, moins pesante ?

Oui certes. Cependant des artistes comme Gaspard Proust perpétuent cet état d’esprit. Je fréquentais Coluche, Desproges, Choron mais il était difficile d’en être proche.

Il est sûr que certaines des chansons interprétées par "Odeurs" à l’époque, voire "Au Bonheur des Dames" auparavant, qui parlaient de nécrophilie, de tournantes, de déviances sexuelles, de religion seraient infaisables aujourd’hui et parfois j’évoque ces moments avec nostalgie et regret. Mais je continue, en essayant de ne pas sortir des rails, à exprimer ce qui me passe par la tête, comme sur mon dernier album la haine, l’indifférence, le mirage de l’ascenseur social ou le groove français !

 

Est-ce que vous lui trouvez des charmes, à notre époque ?

Pour en revenir au cinéma coréen, le dernier plan du 4ème film de Lee Chang-dong, Secret Sunshine, l’histoire magnifique d’une femme qui tente de se reconstruire après la perte de son mari ET de son enfant, nous montre une petite flaque d’eau où se reflète le soleil. Mon interprétation, — peut-être erronée d’ailleurs — est que le réalisateur veut nous montrer que la beauté du monde réside même dans l’infiniment banal. Donc j’y trouve de l’horreur, beaucoup, mais aussi des trésors qui m’enchantent parfois. Ce que j’ai traduit dans ma chanson Qu’est-ce que c’est beau de l’album éponyme.

 

 

J’aimerais aussi vous interroger sur Renaud, avec lequel vous avez beaucoup collaboré, notamment lors de ses premiers albums. Comment avez-vous vécu ces années-là ? Quel regard portez-vous avec le recul, sur sa carrière ?

J’étais simplement un musicien réalisateur. De complicité, nenni. J’ai eu la chance de collaborer avec lui, d’avoir de solides responsabilités artistiques qui se sont soldées par d’énormes succès en le faisant aller vers des contrées moins balisées — un peu — musicalement. Mais ce sont des souvenirs un peu froids en vérité, qui m’ont assez peu fait vibrer.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

La démocratie, c’est quand on sonne chez vous à 6h du matin et que... c’est le laitier (Henri Jeanson).

 

Quelles sont, parmi vos chansons à vous, groupe ou solo, celles que vous aimeriez nous recommander, à ma génération, pour les découvrir ?

Période "Odeurs" : Couscous boulettium, Que c’est bon, Le stade nasal, Je m’aime. Mes albums : Nous sommes tous frères, Je promène le chien, Qu’est-ce que c’est beau, Stairway to eleven et avec "Au Bonheur des Dames", Mes funérailles.

 

 



Votre top chansons, tout confondu, et hors les vôtres ;-) ?

Alors là impossible. Trop ! Disons que dans mon Olympe se trouvent XTC, les Beatles, Gentle Giant. Disons que Stupidly Happy de XTC c’est tout là-haut et God only knows des Beach Boys aussi. En ce moment c’est I disagree de Poppy.

 

 
Qui trouve grâce à vos oreilles en 2021, parmi les artistes mainstream et plus underground ?

Poppy. Leprous. The Moulettes. Brad Mehldau. Michael League. Mainstream ? Connais pas...

 

L’évolution de l’industrie du disque, c’est quelque chose qui vous paraît inquiétant pour la suite ? Ou bien pour le coup, internet et les réseaux permettent-ils une plus grande démocratisation de la production de musique ?

J’ai eu l’extrême chance de vivre de ma musique. Ce ne serait plus possible aujourd’hui. L’offre incommensurable me désole d’un côté et me réjouit d’un autre car elle permet à des créateurs talentueux, s’ils parviennent à maîtriser leur communication, de s’exprimer et de se faire entendre. Mais ma chanson Une chanson ennuyeuse résume parfaitement ma pensée.

 

 
Quelques mots pour inciter nos lecteurs à se précipiter sur Une jeune fille comme il faut ?

C’est un roman qui marie l’humour et l’émotion, ancré dans une réalité intemporelle sans ordis ni smartphones et qui j’espère pourra toucher au cœur avec ces personnages déjantés ou profondément humains. On a évoqué Frédéric Dard mais je me retrouve bien plus dans Jean-Paul Dubois. L’humour y est présent certes, mais il y a, comme dans mes chansons toujours (ou à peu près) un fond de mélancolie ou d’humour allez, juif new-yorkais, gaiement désespéré.

 

Ramon Pipin souriant

Photo : Thierry Wakx.

 

De quoi êtes-vous le plus fier, quand vous regardez derrière ?

De pouvoir me retourner sans rougir.

 

 

Des regrets ?

De n’avoir pas pu faire le film Une jeune fille...

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Nous sortons à la rentrée le CD des "Excellents", 3 millions de vues sur FB. L’album massacre menu nombre de tubes pop des 50 dernières années. L’accueil est réjouissant.

  

Un dernier mot ?

« L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. » (Charlie Chaplin)

Interview : début juillet 2021.

 

Ramon Pipin seul

 

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4 juillet 2021

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours pour exister dans le milieu du cinéma... »

En ce 4 juillet, fête de lindépendance américaine, je suis ravi de pouvoir vous présenter cet article autour d’un milieu bien particulier, le cinéma hollywoodien, que mon invitée du jour, Cynthia Sardou, connaît bien pour l’avoir vu tourner de près. Deux ans après notre premier entretien, je vous propose cette nouvelle rencontre, alors que Ramsay a publié il y a peu son premier roman, Le Film, qui nous dévoile les coulisses du cinéma autour des destins de Louise, nouvelle étoile, et de Kevin, son agent. Une histoire d’actualité, bien documentée, qui captive tandis que monte la tension... À découvrir ! Et merci à Cyntha Sardou. Par Nicolas Roche.

 

PAROLES D’ACTU

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours

pour exister dans le milieu du cinéma... »

Le Film

Le film (Ramsay, 2021).

 

Votre roman Le film (Ramsay, 2021) nous plonge dans les coulisses du cinéma hollywoodien, milieu que vous connaissez bien. Ce thème-ci vous est apparu comme une évidence ?

Une évidence oui et non, je trouve le thème d’actualité, intéressant. J’ai voulu élaborer celui-ci en particulier, et rendre hommage à la fois, à toutes ces actrices qui vivent le même calvaire depuis longtemps. Elles en parlent ouvertement aujourd’hui, le mouvement #MeToo a aidé, je n’invente rien.

 

Beaucoup de références liées au cinéma et à son histoire dans votre livre. Quels sont les films, quel est ce cinéma que vous aimez, vous ?

Le cinéma de Hitchcock, de Truffaut, de Martin Scorsese, de Kubrick, de David Lynch... Tarantino parfois, Soderbergh j’aime beaucoup aussi. Spielberg reste le plus imaginatif à mes yeux, ou le plus créatif, le plus discret aussi. Il est moins axé sur la réalité et nous fait rêver malgré notre société actuelle... Le reste et la plupart des réalisateurs actuels nous montrent les faces cachées du monde d’aujourd’hui, rejoignent toujours une grande part de réalité, des portraits, des faits de société...

Pour mes références, Peter Biskind, historien et journaliste au New York Times, pour Première, etc... restera celui qui m’a le mieux informée sur le cinéma, en plus de ma propre opinion, et celui qui a peut-être prévenu aussi sur ce qui allait se produire dans le milieu...

 

Je ne veux pas dévoiler l’intrigue mais la thématique de l’emprise est centrale dans votre récit...

Oui et moins apparente en effet. Je me suis surtout inspirée de mon voyage là-bas lorsque j’étais correspondante pour Canal+. J’ai fait des rencontres sur place, en plein coeur d’Hollywood, et au fur et à mesure du temps j’ai aussi rencontré des actrices qui avaient beaucoup de mal à se faire une place dans un milieu cinématographique très masculin. La femme a besoin de se positionner dans tout cela. Mais ça ne se passe pas toujours comme elles le veulent. Elles doivent se battre pour exister...

  

Vous êtes-vous inspirée d’exemples, de faits réels pour développer ces thèmes ?

D’exemples bien sûr, de femmes qui ont quitté leur carrière parce que trop de pression médiatique, c’est le cas Brigitte Bardot par exemple. Je pense à Grace Kelly, qui a décidé de devenir princesse de Monaco après la réception de son Oscar. À Audrey Hepburn, qui a rassemblé ses forces y compris pour l’aide humanitaire, là encore, après l’Oscar.

 

Juste pour le plaisir, un morceau de Breakfast at Tiffany’s, avec la grande Audrey Hepburn.

 

Je rends aussi un hommage dans ce livre, à toutes les actrices, aux records le plus souvent, avec toute la diversité qu’elles représentent et quelles que soient leurs origines. Une actrice quelle qu’elle soit mérite un Oscar, ne serait ce parce qu’elle ont toutes traversé à un moment donné dans leurs vies des moments ou des événements très difficiles...

 

Il est aussi question de la place centrale de la famille, des amis proches, a fortiori quand on s’enferme dans un isolement...

J’ai d’abord et surtout voulu rendre hommage à une communauté à travers mes personnages d’origine juive, et à un ami mort de la Covid, voici un an, des gens qui ont vécu l’antisémitisme. Les piliers et les valeurs de cette communauté restent la famille, la solidarité, et la bienveillance au-delà de la communauté elle-même. Les juifs sont des personnes incroyables et j’en connais quelques uns, et à chaque fois ce sont des moments de joie.

 

Cet exercice du roman vous a-t-il plu ? Vous donnera-t-il l’envie d’en écrire d’autres ?

Je ne dis rien pour le moment. Je vis l’instant présent. On verra bien. :)

Interview : 4 juillet 2021.

 

Cynthia Sardou

 

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28 juin 2019

Bruno Birolli : "Tout était compliqué à Shanghai dans les années 30..."

Deux ans après notre dernière interview, au cours de laquelle fut évoqué son premier roman Le music-hall des espions, livre un de sa série « La suite de Shanghai », je suis heureux d’accueillir à nouveau l’ex-grand reporter spécialiste de l’Asie Bruno Birolli dans les colonnes de Paroles d’Actu. Dans le second opus, Les terres du Mal, paru il y a peu chez TohuBohu, on retrouve quelques uns des mêmes acteurs, et le même cadre, le Shanghai oppressant de ce début des tragiques années 30, nid d’espions et champ de bataille entre nationalistes, communistes, et impérialistes japonais en embuscade. Quelque chose d’envoûtant aussi, très jazzy, très film noir, alors que l’intrigue de celui-ci se déroule en bonne partie autour du milieu local du cinéma. Les romans de Bruno Birolli, c’est d’abord une atmosphère, et une plongée dans des pans d’histoire trop peu connus ici car loin de nos contrées. Donnez sa chance à « La suite de Shanghai » ! En attendant, souhait perso, qu’on la retrouve adaptée en images ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Les terres du mal

Les terres du Mal, éd. TohuBohu, 2019.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Bruno Birolli: « Tout était compliqué

à Shanghai dans les années 30... »

 

Bruno Birolli bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. Il y un peu plus de deux ans, je vous interrogeais sur votre premier roman, Le music-hall des espions (éd. TohuBohu), partie une de la série "La suite de Shanghai" - dont le deuxième opus, sujet de notre échange, vient de sortir. Quels retours aviez-vous eu suite à la parution du premier livre, et en quoi cette expérience a-t-elle influencé les choses pour le deuxième ?

Quelqu’un m’avait fait la remarque que Le music-hall des espions manquait de personnages féminins. L’intrigue le commandait. Avec Les terres du Mal, je me suis rattrapé. Les personnages chinois sont plus nombreux aussi.

 

Qu’est-ce que vous mettez de votre expérience, de vos réflexes de journaliste, ancien grand reporter en Asie, dans votre travail d’écriture de fiction ?

Il y a une certaine influence dans l’écriture sèche, la méfiance à l’égard des adjectifs et des adverbes, le souci des descriptions… Cependant le journalisme diffère du roman dans la mesure où le journaliste met l’accent sur les évènements, il est très rare qu’un article de presse s’intéresse aux individus, ils sont présentés en quelques mots alors que l’essence même d’un roman sont ses personnages et les situations qui les révèlent.

 

L’intrigue de ce deuxième roman, Les terres du Mal (éd. TohuBohu, 2019), suit de près celle du premier. On y retrouve quelques uns des personnages rencontrés précédemment, dans ce Shanghai "nid d’espions" du début des années trente : l’espion britannique Swindon, son quasi-homologue français Desfossés, avec sa compagne Yiyi... La ville, sans doute le personnage principal du livre comme relevé par un de vos interviewers, se trouve comme une bonne partie de la Chine de l’époque divisée en zones d’influence (gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek, concessions étrangères, militants communistes et appétits japonais en embuscade...). Qui contrôle quoi, à l’heure où vos personnages prennent vie ?

Shanghai, début des années 30

Il y avait un morcellement du pouvoir, une concurrence des pouvoirs, chacun cherchait à tirer la couverture à lui que cela soit les Britanniques dans le Settlement - la Concession internationale -, le gouvernement de Tchang Kai-shek, les communistes et les services secrets japonais. Les terres du Mal se déroulent entre mai 1934 et mars 1935. On ne sait pas encore à l’époque qui va l’emporter, ni quelle sera l’issue de ces rivalités qui prennent la tournure d’une lutte à mort.

 

Une grande partie de l’histoire se joue au cœur de ou autour de la problématique des concessions étrangères, en l’occurrence ici le Settlement international, et la Concession française de Shanghai. Quels étaient alors les intérêts défendus par ceux qui travaillaient à leur sauvegarde ? Dans quelle mesure ces réminiscences des vieux impérialismes européens ont-elle alimenté les colères des uns et des autres ? Et que reste-t-il de la structure et de l’esprit de ces concessions étrangères, aujourd’hui 

la Chine des concessions

Les concessions étaient un legs de l’histoire, une sorte d’aberration. On peut chercher l’origine de ce genre d’organisation dans les villes libres de la Hanse du Moyen-Âge. Les Européens avaient d’ailleurs imposé à l’Empire ottoman un système d’extraterritorialité judiciaire qui ressemble assez aux concessions en Chine à travers le système des capitulations. Leur origine en Chine était double : insérer de force la Chine alors fermée dans le commerce international, et mettre à l’abri les étrangers de la Justice impériale qui fonctionnait selon des principes contraires à la conception du droit occidental hérité des Lumières : recours à la torture, absence d’équilibre des pouvoirs, règles assez particulières (le plaignant et l’accusé étaient punis de façon égale car ils n’avaient su régler leurs différends et troublaient l’harmonie de la société en portant l’affaire devant un tribunal, etc...) L’extraterritorialité a été très abusée, par exemple lorsque le gouvernement de Tchang Kai-shek adopte des lois du travail limitant la durée quotidienne à 8 heures, interdisant le travail des enfants… les propriétaires étrangers des usines textiles de Shanghai ont prétendu que ces lois ne s’appliquaient à leurs usines car elles bénéficiaient de l’extraterritorialité. D’un autre côté, l’extraterritorialité a eu des effets bénéfiques : il suffisait de placer à la tête d’une revue ou d’un journal un étranger pour que ce titre échappe à la censure, d’où la floraison de publications, certaines remarquables pour leur qualités littéraires ou politiques, dont Shanghai a été le berceau.

Concrètement, il ne subsiste rien de l’époque des concessions. Par contre il reste un fonctionnement particulier de la justice en Chine : détentions arbitraires pouvant durer des mois sans être inculpé, constitution des dossiers toujours à charge, extorsion des aveux de culpabilité et pour les obtenir recours à la contrainte, aux pressions sur les familles, soumission des juges au pouvoir politique... D’où la contestation de masse à Hong Kong du projet de loi d’extradition que le gouvernement assujetti à Pékin veut introduire et dont on parle beaucoup ces jours-ci.

 

On retrouve, en toile de fond, et omniprésents en cette intrigue, les militants communistes en embuscade, et notamment le mystérieux Hannah. Infiltrés dans pas mal de milieux, et notamment celui, on y revient dans un instant, du cinéma, ils sont prêts à tout pour faire avancer leurs pions : leur univers est sans foi ni loi, ou plutôt pourrait-on dire que leur foi les dispense de toute loi. Quels sont leurs objectifs principaux : saper le régime de Tchang Kaï-chek ? lutter contre les influences étrangères ? Ils sont des militants qui croient en une idéologie ; sont-ils aussi des patriotes ?

nid de communistes

C’est bien résumé : leur foi les dispense de toute morale, la fin justifie les moyens, seule la victoire compte, qu’importe les moyens pour y parvenir. Le personnage de Chao Long m’a été inspiré par Kang Sheng qui contrôlait les services secrets du Parti communiste chinois. Il fut l’organisateur des multiples purges qu’a connues le PC, et l’un des cerveaux de la Révolution culturelle. Il avait les mains couvertes de sang. Il a été exclu du PC en 1980, après sa mort survenue en 1975. Chao Long était d’ailleurs une des fausses identités qu’il a utilisées dans sa jeunesse. Son influence a été considérable grâce à ses liens avec Jiang Qing - la fameuse Veuve Mao - qui fut sa maîtresse avant d’entrer dans le lit de Mao. Il semble d’ailleurs, et cela apparaît en filigrane dans Les terres du Mal, que Kang Sheng avait prise sur Jiang Qing parce qu’il savait qu’elle avait dénoncé à Shanghai des communistes pour sauver sa peau dans les années 1930. Bref, tous deux ne sont pas des personnalités sympathiques. Mais si on peut percevoir bien la psychologie de Lan Ping – pseudonyme qu’utilisait là encore Jiang Qing –, celle de Chao Long reste assez énigmatique. Kang Sheng était d’une intelligence criminelle supérieure mais dont il est difficile de percer le secret. Dénoncer à Tchang Kai-shek les gens qui gênaient à l’intérieur du parti pour qu’ils fussent liquidés était courant chez les communistes.

 

Lan Ping

Lan Ping, la future Veuve Mao. Source : Wikipedia.

 

Le monde du cinéma nous ouvre ses portes dans votre roman, riche de personnages à la fois colorés, et sombres. On y fait la connaissance d’une actrice ultra-populaire et touchante, d’une médiocre aux dents longues (on l’a évoquée...), et d’un scénariste aux obédiences floues a priori. Qu’est-ce qui caractérise le cinéma du Shanghai de ce temps-là ? Est-il vivace ? Quelles ont été vos documentations en la matière ?

hollywood en Chine ?

Je ne partage pas votre opinion sur Sun, le scénariste. Il a des obédiences très nettes comme beaucoup d’intellectuels de cette époque : il croit que le communisme libérera la Chine. C’est un homme intelligent, sincère, engagé, et comme beaucoup d’idéalistes, il paye très cher ses illusions. Il est beaucoup plus ancré dans la réalité que Desfossés qui lui, parce qu’étranger en Chine, flotte si on peut dire et ne sait pas dans quel camp se situer.

Le cinéma était en plein boom à Shanghai. Les années trente ont été dans ce domaine un âge d’or. Le cinéma avait d’abord une fonction de divertissement, le public se pressait dans les salles pour oublier son quotidien mais à mesure que la guerre avec le Japon se rapprochait, les films ont pris une coloration très politique. Le régime de Tchang Kai-shek avait mis en place un bureau de la censure qui veillait à ce que les films le servent, mais comme les studios étaient à gauche, il y avait constamment un jeu du chat et de la souris qui d’une certaine façon a stimulé la créativité. Notez que comme le régime de Tchang Kai-shek avait certaines affinités avec l’URSS, le cinéma soviétique a eu une influence sans doute aussi grande que Hollywood ou les films français. Le Isis Theater dans Chapei – zone administrée par la Chine - s’était spécialisé dans les œuvres soviétiques alors que ce genre de film était censuré dans les concessions. Comme on peut voir, tout était compliqué à Shanghai, ce qui faisait que cette ville bouillonnait d’idées nouvelles et audacieuses.

 

Loin de dévoiler ici les éléments clés de l’intrigue (je laisse à nos lecteurs le plaisir de découvrir le livre), je fais tout de même ce constat : si le tout est très vivant et animé de mille détails réjouissants, l’ambiance générale elle est sombre, presque désespérante. Quel que soit le blason, la cause à défendre passe quasiment toujours avant l’humain, et nombreux sont ceux qui y laisseront leur peau. Beaucoup de cynisme, et un monde de désabusement, même s’il y a de vrais morceaux de bravoure humaine. Votre travail d’écrivain pour dessiner un monde brutal d’espionnage et de guerre de clans, ou bien de manière plus profonde, une transcription de votre regard porté sur l’âme, les rapports humains ?

nuances de gris

A la différence disons du crime, l’espionnage n’est pas une lutte entre le bien et le mal mais une lutte pour des intérêts politiques, à telle enseigne que tous les pays criminalisent l’espionnage et un espion arrêté risque de longues années de prison, voire l’exécution, tout en le pratiquant à l’étranger. L’espionnage est une forme de guerre. Il est symptomatique que l’espionnage relève en France du militaire alors que le contre-espionnage lui est confié à la police. En Angleterre, le MI5 n’a théoriquement pas le droit de procéder à des enquêtes et ni à des arrestations, c’est du ressort de la Spécial Branch, le service politique de Scotland Yard. Aux États-Unis, le FBI a la charge du contre-espionnage, la CIA des opérations secrètes à l’étranger… C’est cette confusion qui rend le monde des services secrets si fascinant d’un point de vue littéraire. Dans Le music-hall des espions chaque personnage doit trouver sa voie dans le vide moral que représente les services secrets : le colonel Chu agit par nationalisme, la vertu cardinale du commandant Fiorini est la camaraderie, y compris envers l’ennemi… Les terres du Mal explore un autre aspect du monde des services secrets : le vrai et le faux s’entremêlent si intimement qu’il est parfois impossible de les distinguer, c’est pour cela que l’intrigue se déroule dans les studios de cinéma, domaine de la fiction, et qu’il y a une référence à la photographie - qui est une autre forme d'illusion - à travers le personnage d’Iva, la réfugiée juive…

  

Vous me l’aviez confié lors de notre interview pour le premier ouvrage : vos influences sont plus cinématographiques que littéraires, et vos récits, vous les envisagez pas mal en images. Ce serait un film noir à l’évidence, de ceux qui fleurirent dans les années 30 et 40. On imaginerait un personnage à la Humphrey Bogart dans Casablanca, façade impassible mais pas imperméable à la survenance d’une passion. Je vous propose de vous mettre, ici, dans la peau d’un chef de casting : quels acteurs, passés ou présents, pour chacun des personnages principaux de votre roman ?

Je n’ai pas vraiment d’idée. La seule association assumée est celle de Fiorini qui serait très bien joué par Lino Ventura, sinon les personnages sont les portraits composites de gens que j’ai croisés en Asie.

 

Comme la dernière fois : un focus sur l’un de vos personnages, que vous aimeriez ici présenter à nos lecteurs ?

J’attirerais l’attention sur les personnages secondaires chinois. Ils forment une sorte de galerie de portraits, que ce soit le policier Petit Tai, son collège plus âgé Tizzy, l’actrice Ling Yu, le père de Yiyi… Des personnalités très diverses. Une ville n’est pas seulement des immeubles, elle est d’abord des gens et c’est ce que j’ai essayé de restituer.

 

Ruan Lingyu, qui m a inspiré à Bruno Birolli le personnage de Ling Yu.

 

Et vous, dans ce Shanghai du début des années 30, dans quelle peau vous verriez-vous bien ?

Le personnage qui m’est le plus proche est Desfossés. Il est encore jeune et cherche à découvrir ce qui fera de lui un homme. Il en est encore aux questions, il tâtonne, essaye, il a environ 35 ans, le temps de la connaissance de soi et du désenchantement ne sont pas encore venus. Dans mes souvenirs j’étais comme ça à cet âge, je crois qu’alors, qu’importent l’endroit et l’époque, cette attitude fait partie du processus naturel de la vie.

 

Quelques films, parmi vos favoris, noirs ou pas, à nous conseiller ?

J’aime beaucoup Sydney Lumet, pas assez reconnu, pour sa façon de placer le mal à l’intérieur de l’institution sensé le combattre : la police. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, y compris les films de Hong Kong, ou coréens. D’une façon générale, je suis sensible aux films noirs américains et à leur façon de fouiller l’âme humaine, pour montrer ce qu’elle a de plus dangereux, et leur sens du dialogue.

 

Quelle playlist à écouter pour accompagner la lecture de votre ouvrage ?

Je donne des titres de chansons de l’époque dans mes deux livres, c’est ma play-list.

 

À quand une adaptation ciné ou animée (type Corto Maltese) de vos romans ? C’est en cours d’examen ou pas du tout ? Prendre les choses en main, cet aspect-là, réa et technique, ça vous amuserait ?

Cela ne dépend pas de moi.

 

Quels sont vos envies, vos projets, Bruno Birolli, pour la suite ? Le roman, vous y avez vraiment pris goût ?

inventer un nouveau réel

Je suis en train de réfléchir à un roman qui se passerait dans une autre ville que Shanghai mais qui aurait une référence à l’entre-deux-guerres et qui lui aussi reposerait sur la confusion entre l’imaginaire et le réel. Je fais une pose parce que le roman historique demande un fastidieux effort de documentation. Par exemple au début, j’avais placé le bureau de Swindon dans le commissariat central de Shanghai (Central Station), or ce bâtiment n’a été inauguré qu’en mai 1935, alors que l’histoire se conclut en mars 1935. Tout est à l’avenant. Écrire une histoire qui ne fait appel qu’à l’imagination est une sorte de détente avant de poursuivre La suite de Shanghai.

 

Un dernier mot ?

au tour du lecteur !

Ce qu’a à dire un auteur n’a pas un grand intérêt, ce ne sont que des remarques après coup parce qu’un roman est le reflet du regard qu’on porte sur le monde et c’est instinctif, relève du subjectif et non de l'analyse objective. Or, le lecteur procède de même, il adapte une histoire selon son humeur, ses goûts, ses expériences, met tel ou tel point en avant alors qu’ils peuvent être mineurs pour l’écrivain. Le lecteur fait comme un cinéaste qui adapte en film un livre. Je ne crois pas qu’un livre appartienne à son auteur, mis à part les droits d'auteur - parce que tout travail mérite salaire. Mais, mis entre les mains d’un lecteur, le livre ne lui appartient plus. C’est au tour du lecteur de parler.

 

Bruno Birolli 2017

Bruno Birolli, ancien grand reporter et auteur de romans.

 

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23 mai 2019

Olivier Da Lage : « Je connais parfaitement la dimension tragique de beaucoup d'enquêtes journalistiques... »

Le journaliste de RFI Olivier Da Lage est un fidèle de Paroles d’Actu. Parmi ses contributions publiées sur le blog, des éclairages nombreux et précis sur la situation compliquée en péninsule arabique, sur l’Inde qu’il connaît très bien, ou encore sur l’essor inquiétant des nationalismes religieux un peu partout dans le monde. L’article d’aujourd’hui, basé sur une interview réalisée le 20 mai, est une évocation de son roman Le rickshaw de Mr Singh, paru il y a quelques semaines. L’intrigue se déroule à Bombay, de nos jours. Les personnages, et la ville elle-même (n’en est-elle pas un ?) sont bien dessinés, et tout concourt à nous plonger dans l’atmosphère de la mégalopole, et dans l’actualité de cette Inde tourmentée. J’ai apprécié cet ouvrage et vous le recommande : facile à lire et captivant, il ouvre les yeux de manière vivante sur ce qui est en train de se jouer dans cet immense pays aujourd’hui dirigé par les nationalistes hindous (et qui, à l’heure où je boucle cette intro, viennent tout juste de remporter un nouveau succès électoral)... Un clin d’oeil aussi, de la part de M. Da Lage, et de la mienne, pour rappeler (le faut-il encore) à quel point, aujourd’hui davantage peut-être que par le passé, une presse libre et indépendante est cruciale pour que soient assurés les nécessaires équilibres dans nos sociétés. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Olivier Da Lage a sélectionné, à ma demande, des photos de sa collection personnelle,

et quelques musiques indiennes, pour accompagner la lecture

de cet article et, je l’espère, de son roman !

 

Le rickshaw de Mr Singh

Le rickshaw de Mr Singh, 2019.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage : « Je connais parfaitement

la dimension tragique de beaucoup

denquêtes journalistiques... »

 

Olivier Da Lage bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. L’objet de cet échange, c’est Le rickshaw de Mr Singh, votre premier roman paru il y a quelques semaines… Qu’est-ce qui vous a donné envie justement d’aller vers la fiction, le roman  ? Est-ce là, quelque part, une prolongation de votre travail de journaliste, une autre façon plus incarnée et entraînante de "montrer le réel"  ?

du journalisme à la fiction

Pour être exact, j’avais déjà publié trois autres romans de politique fiction il y a déjà pas mal de temps. De temps en temps, on peut ressentir l’envie de ne pas être contraint par l’exactitude qui s’attache au travail de journaliste ou d’essayiste. Et, avec la liberté du romancier, on se laisse aller et on découvre que ce que l’on fait passer est parfois plus juste que des descriptions factuelles de type journalistique. Donc, l’idée de passer de l’un à l’autre, au gré des envies et es opportunités, me plaît assez.

 

Racontez-nous un peu cette aventure de l’écriture (jusqu’à la publication) de fiction  ? Comment cela s’est-il passé  ? Quels écueils et quelles leçons apprises  ? Des moments de vrai découragement, d’autres de grande excitation  ?

histoire d’un roman

L’idée m’est venue en essayant un logiciel de retouche d’image. Pour m’entraîner, j’ai pris la première photo que j’ai trouvée sur mon ordinateur  : c’était celle d’une rue de Bombay avec des rickshaws, ces taxis scooters. J’ai trouvé que cela ferait une bonne couverture de livre. J’y ai donc mis un titre qui m’est venu après quelques essais ratés. «  Le rickshaw de Mr Singh  », ça sonnait bien. Il fallait trouver une histoire. J’ai donc acheté un cours en ligne sur la façon d’écrire un roman policier à suspense, composé de courtes vidéos correspondant chacune à un chapitre. Le présentateur soutenait que si chacun de ses élèves suivait ses indications chapitre par chapitre, cela ferait pourtant des livres très différents. Il donnait d’ailleurs des exemples de livres et de fils connus qui suivaient la même trame tout en racontant des histoires bien distinctes. J’étais sceptique, mais à mesure que j’avançais en prenant des notes, les personnages archétypaux et les développements prenaient un tour local et s’enracinaient dans le paysage de Bombay tandis qu’une intrigue se dessinait.

 

Rickshaw

 

En fait, aucune difficulté particulière n’est apparue. J’ai fait lire mes chapitres à des amis au fur et à mesure de l’écriture et j’ai intégré leurs remarques et critiques. L’intrigue fonctionnait. Il fallait juste s’assurer qu’il n’y ait pas de contresens dans la chronologie. L’utilisation d’une frise technologique découpée heure par heure, jour après jour, m’a permis de m’en assurer. Donc aucun découragement et quelques moments d’excitation, oui.

 

Quelques mots à propos de l’intrigue  : le directeur du département d’archéologie d’une université prestigieuse de Bombay vient d’être  assassiné  ; un jeune inspecteur de police et ses deux coéquipiers, sur l’affaire, vont tenter de démasquer les coupables et surtout de découvrir leur mobile, assistés plus ou moins volontairement dans leurs investigations d’une journaliste passionnée et ambitieuse… Qu’est-ce qui vous a inspiré pour composer cette histoire  ?

Le cadre urbain de Bombay d’une part, et un article de journal de l’autre pour ce qui concerne le nœud de l’intrigue.

 

Bombay

 

La jeune journaliste de l’histoire, Sangita Sharma, ne tremble pas devant le danger, et dans les faits elle va clairement s’y trouver exposée. Avez-vous eu connaissance, au cours de votre carrière, en France comme à l’étranger, de nombreux cas d’enquêtes par des journalistes qui auraient pu très mal tourner  ? Vous êtes-vous exposé vous-même à de graves périls  ?

journaliste, les risques du métier

Des difficultés, oui, des périls à proprement parler, non, pas en ce qui me concerne. Mais j’ai plusieurs collègues et amis proches, tant dans ma rédaction qu’en dehors, qui ont été assassinés en raison de leurs activités journalistiques. C’est pourquoi je connais parfaitement la dimension tragique de beaucoup d’enquêtes journalistiques, même quand cela se termine bien. Et c’est à raison que l’on défend la liberté de la presse et des journalistes qui courent souvent de grands risques à faire leur travail pour informer les autres. Je sais que ma profession n’a pas bonne réputation ces temps-ci mais je persiste à penser que le devoir d’informer est impérieux et que donner au public des nouvelles que parfois il n’a pas envie d’entendre est l’une des plus belles missions qui soit.

 

Sans spoiler le livre, j’indiquerai simplement que le nationalisme religieux (en l’occurrence ici, hindou), thème qui vous est cher, et d’une actualité brûlante en Inde, pèse d’un poids important, dans votre intrigue.  Ça vous préoccupe tout particulièrement, ce qui se passe en Inde, en ce moment  ?

Oui, il y a de quoi. L’Inde n’a jamais été un pays calme et pacifique. Mais le degré d’intolérance qui s’est développé ces dernières années est réellement inquiétant.

 

Une découverte archéologique contredisant les fondements de la doctrine de cette faction nationaliste hindoue, qui est donc au pouvoir actuellement, met le feu aux poudres (et je précise ici que cette histoire de remise en cause des origines de l’homme indien par l’ADN, et donc du caractère autochtone de l’hindouisme, a également eu lieu dans la réalité). Quelles réactions ces conclusions scientifiques ont-elles provoqué auprès des nationalistes, et comment est-ce que tout cela a été reçu auprès de la population  ?

science et intolérance

Soyons clairs  : la grande majorité de la population n’en a jamais entendu parler et, pour cette raison même, ces découvertes n’ont pas provoqué d’importantes réactions de la part des milieux nationalistes en question. Mais les chercheurs qui ont fait ces découvertes ont été traités par le mépris, on leur a opposé d’autres travaux antérieurs aboutissant à des conclusions opposées et, pour tout dire, dans le climat actuel, certains des chercheurs indiens qui ont participé à ces travaux ont préféré ne pas signer les articles en rendant compte ou ont posé des conditions très strictes quant au vocabulaire employé afin de ne pas compromettre leur carrière.

 

J’en reviens à la presse, tant décriée dans nos sociétés, mais tellement indispensable vous le rappeliez. Dans votre intrigue, son intervention sera déterminante pour faire éclater au grand jour des faits qu’on aurait voulu cacher. Mais la presse d’aujourd’hui est-elle digne de la noblesse de sa vocation s’agissant des  investigations, parfois périlleuses, à mener, notamment lorsqu’un ordre établi et puissant est en cause  ? Quelles grandes menaces, extérieures ou pas d’ailleurs, pèsent sur la presse en général  ?

la presse en Inde, état des lieux

La presse et les journalistes sont critiquables à bien des égards, mais leur rôle d’information du public est irremplaçable. Les réseaux sociaux, à eux seuls, ne peuvent s’y substituer. Et pour faire connaître la vérité, de très nombreux journalistes prennent des risques personnels parfois très élevés. Cela va de la mise au placard à l’assassinat en passant par le licenciement. En Inde, de nombreux journaux ont été rachetés par des hommes d’affaires proches du pouvoir, les rédacteurs en chef précédents ont été licenciés et une autocensure considérable s’est mise en place. C’est pourquoi de nombreux médias alternatifs, comme The Wire ou Scroll.in sont apparus, animés par des journalistes d’expérience qui ne pouvaient plus faire leur travail dans les médias classiques. Un certain nombre de journalistes ont également été assassinés lorsqu’ils s’intéressaient de trop près aux intérêts économiques miniers qui organisent l’expulsion des aborigènes de leur habitat naturel ou à des organisations religieuses extrémistes. C’est le cas de la journaliste Gauri Lankesh, assassinée devant chez elle par des extrémistes hindous, tout comme le Mahatma Gandhi l’avait été en 1948 car ils ne supportent pas que des voix écoutées les critiquent.

 

On retourne à du plus léger, à votre roman, dont j’ai beaucoup apprécié la lecture. Je vous invite ici à faire un "focus" sur un de vos personnages. À nous le présenter, et à nous raconter, un peu, comment vous l’avez "dessiné"  ?

focus sur un personnage

J’ai bizarrement un certain attachement pour le commissaire de quartier, le commissaire Shinde, supérieur de l’inspecteur qui est le héros de l’histoire. Ce commissaire est l’archétype du cadre supérieur lâche et carriériste, qui engueule son subordonné parce qu’il ne va pas assez vite et qui fait un virage à 180 degrés lorsqu’il prend conscience que les résultats de l’enquête ne vont pas dans le sens souhaité «  en haut lieu  ». Ce supérieur est un personnage humain, terriblement banal. Il est de santé fragile (il souffre d’asthme). On devine que sa vie de famille n’est pas exaltante et cela fait longtemps qu’il n’a pas mené une enquête lui-même. Il a besoin d’exister et pour ce faire, il empêche les autres de faire correctement leur travail. Nous connaissons tous des commissaires Shinde.

 

Un des personnages principaux de votre ouvrage, et en fait sans doute le principal, c’est évidemment la ville de Bombay - ou Mumbai, d’ailleurs quelle dénomination utilisez-vous  ? Quelle a été votre histoire personnelle, avec cette ville  ? Comment l’avez-vous vu évoluer, et quel attachement lui portez-vous  ?

Bombay au cœur

Personnellement, j’utilise «  Bombay  », quoique, à l’occasion, je dise aussi «  Mumbai  ». J’ai consacré un livre à cette ville que je décris quartier par quartier (Bombay, d’un quartier à l’autre, Bibliomonde, 2017) où je rappelle en passant que la ville de Mumbai n’existait pas avant Bombay. Ce sont les Portugais, puis les Anglais qui en ont fait une ville, même si dans les langues locales, on disait «  Bambai  » ou «  Mumbai  ». La municipalité nationaliste qui est arrivée aux affaires en 1995 a voulu mettre fin à une appellation étrangère et «  redonner  » son authenticité à la ville, sauf qu’encore une fois, il n’y avait pas de ville s’appelant Mumbai avant.

Je commence à bien connaître cette ville ou je séjourne environ un mois par an (mon épouse en est originaire). C’est une ville trépidante, bruyante, pas spécialement belle, mais très attachante.

 

OdL train

 

Le livre est sorti au mois d’avril. Quels premiers retours vous sont parvenus depuis  ? Ont-ils été encourageants, et de nature à vous donner envie d’écrire d’autres romans  ? D’ailleurs une suite est-elle prévue  ?

Il démarre doucement. Ce n’est pas (pas encore  ?) un best-seller  ! Mais cette fois-ci, j’ai voulu l’autoéditer et donc en maîtriser toute la fabrication (maquette et couverture comprise). Pour le faire connaître, j’ai recours au bouche-à-oreille des amis et aux réseaux sociaux. Les premiers retours sont positifs. J’attends que le cercle s’élargisse. Il y aura très probablement d’autres livres de fiction, peut-être une suite à celui-là. Mais chaque chose en son temps…

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite  ?

Je travaille à la version anglaise du livre. Mr Singh’s rickshaw devrait voir le jour dans les tout prochains mois. J’aimerais bien atteindre le marché indien, pour tout dire.

 

OdL foule

 

 

Quelques musiques, pour un fond sonore...

 

Kuch Kuch Hota Hai Lyric - Title Track | Shah Rukh Khan | Kajol |Rani Mukherjee

 

"Khaali Hai Tere Bina" Paheli Ft. Rani Mukherjee, Shahrukh Khan

 

Pyar Kiya To Darna Kya | Madhubala | Dilip Kumar | Mughal-E-Azam |Bollywood Classic Songs| Lata HIts

  

Dil Ki Nazar - Raj Kapoor - Nutan - Anari - Lata Mangeshkar - Evergreen Hindi Songs

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste à RFI et auteur de fictions.

 

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5 avril 2017

Marjorie Philibert: « J'ai voulu raconter l'aventure du couple, cette odyssée à la fois bouleversante et banale »

Marjorie Philibert est journaliste, parisienne, la trentaine. Fine observatrice de son époque, comme elle l’est de ses contemporains, elle nous livre un premier roman, Presque ensemble (éd. JC Lattès, 2017), écrit avec style et qui se lit avec aisance, un ouvrage d’une grande richesse narrative et sociologique. La vie de couple et les aventures, les plans de carrière confrontés à la réalité des parcours, les illusions et les déceptions, les espoirs et les désillusions, la quête de sens aussi... Un livre satisfaisant et prometteur, qui mérite réellement qu’on lui donne une chance : il interpelle, interroge, chamboule... bref il "parlera" à beaucoup de gens ... pas simplement aux trentenaires. Merci, Marjorie Philibert, pour cette interview, ces échanges. Merci également à Bruno Birolli, pour avoir initié cette rencontre, créé cette opportunité sans laquelle cet article n’aurait sans doute jamais existé... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Marjorie Philibert: « Jai voulu raconter

l’aventure du couple, cette odyssée

à la fois bouleversante et banale »

Q. : 26/02/17 ; R. : 28/03/17

Presque ensemble

Presque ensemble, éd. JC Lattès, 2017.

 

Marjorie Philibert bonjour. Quelques mots, pour débuter cet échange, pour nous parler un peu de vous, de votre parcours ?

J’ai été attirée très jeune par la littérature. J’ai toujours énormément lu et ai suivi des classes préparatoires littéraires, puis jai obtenu une maîtrise de lettres. Cependant je n’avais aucun attrait pour l’enseignement. C’est ce qui m’a conduit à choisir le journalisme et la presse écrite. Cependant l’envie d’écrire de manière plus personnelle et de raconter des histoires était toujours là et en 2015, j’ai commencé la rédaction de Presque ensemble.

Quelle est l’histoire de votre rapport à la littérature de fiction ? Vos émotions littéraires ? Vos références absolues ?

J’ai toujours lu beaucoup et surtout de tout : BD, récits d’aventure, polars, SF, et bien sûr, littérature classique. Je crois que l’essentiel est de suivre ses envies de lecteur, de ne pas suivre les modes qui voudraient qu’on ait absolument lu tel ou tel romancier contemporain. Aujourd’hui je continue à lire de tout, beaucoup de classiques, de récits de voyage, de théâtre, et assez peu de nouveautés.

« Les Choses de Perec sont pour moi

un chef d’œuvre »

Mes auteurs cultes ? En vrac : Montherlant, Céline, Simenon, Perec, Houellebecq. Ces deux derniers m’ont beaucoup inspirée pour Presque ensemble. Les Choses de Perec sont pour moi un chef d’œuvre, un récit très court, d’une sécheresse et d’une beauté radicale. Dans ce livre Perec tend vers l’abstraction la plus totale, ce qui pour moi est la qualité ultime, comme Flaubert qui voulait faire un livre « sur rien » . Les personnages des Choses sont à peine en chair et en os, ce sont quasiment des archétypes, et pourtant ils arrivent à nous émouvoir. Ce qui à mes yeux rapproche ce roman de la poésie pure.

On me parle également beaucoup de Houellebecq s’agissant de Presque ensemble, pour sa vision sombre de la société occidentale. Il est vrai que j’ai écrit un roman pessimiste, où les personnages subissent leur époque et son absence d’espoir, comme chez Houellebecq. Cependant Houellebecq ne parle pas tellement du couple, il parle plutôt des rapports entre hommes et femmes, ou plutôt de leur échec. J’ai voulu raconter l’aventure du couple, du début jusqu’à la fin, cette odyssée à la fois bouleversante et banale, cette bulle qui nous abrite pendant que les années défilent. En ce sens c’est un livre sur le temps qui passe.

Quand et comment l’idée de ce premier roman, Presque ensemble, vous est-elle venue ? J’aimerais que vous nous racontiez un peu tout ça, comme vous l’avez vécu en tant que primo-romancière : la confection de l’intrigue, la conception du squelette, l’écriture et ses codes à respecter, les moments éventuels d’euphorie, de découragement profond ? Les pensées type "Non quand même, je peux pas écrire ça... oh ?" Et puis cette idée de le publier ou non, les démarches, avec tout ce que ça suppose, de publier un roman...

Je me rappelle très bien du jour où je me suis dit : « Je veux écrire un roman ». C’était un jour d’octobre 2015 et je me suis mise à chercher une histoire. J’ai un tempérament qui fait que je peux mettre très longtemps avant de décider une chose, plusieurs années même, mais une fois que j’ai pris une décision, je suis sûre d’aller au bout. J’ai donc fait une première tentative avec une idée qui m’était venue mais je me suis arrêtée au bout de quelques chapitres car je n’entendais pas ma « voix » d’écrivain. Je trouvais que mon texte sonnait faux, ne me ressemblait pas. Je me suis alors demandée : qu’est-ce que tu veux écrire exactement ? L’idée de Presque ensemble m’est venue alors que j’étais en voyage de presse à Las Vegas. J’étais dans ma chambre d’hôtel au 26ème étage. Il y avait des grandes baies vitrées qui donnaient sur la ville. Le fait de regarder l’activité aussi folle d’une ville comme Las Vegas derrière une vitre, sans le son, m’a plongée dans une atmosphère étrange, comme si je regardais la réalité de façon distanciée. Freud dit que c’est d’ailleurs le propre du névrosé que de regarder la vie avec la sensation d’être derrière une vitre. Toujours est-il que cet état a été propice à l’inspiration puisque j’ai eu l’idée de la première scène le jour même. J’ai eu l’image de la rencontre entre Nicolas et Victoire dans un bar le soir de la finale de la Coupe du Monde de 1998, et j’ai écrit les premières pages là-bas.

De retour en France, j’ai continué à écrire, chapitre après chapitre. Je sentais que je tenais le fil de quelque chose qui était important pour moi, et que je ne voulais pas lâcher. La pire des choses pour un écrivain - et sa plus grande peur - c’est d’abandonner. Or je sentais qu’il y avait quelque chose en moi qui voulait que je termine cette histoire, même si elle n’était pas facile à écrire. J’avais en tête un modèle de construction précisément inspiré de Perec : l’histoire d’un jeune couple, de la fin du 20eme siècle jusqu’au début du 21ème siècle.

J’ai mis un an à terminer ce roman car en parallèle j’écrivais un autre livre, de journaliste cette fois, en collaboration avec l’historien Fabrice d’Almeida qui est paru en octobre 2016, Sur les traces des serial killers (éd. de La Martinière). Je travaillais sur ce livre la journée et sur mon roman les soirs et les week-ends.

« Au bout d’un an d’écriture en solitaire, j’ai traversé

une période de doute... j’ai eu besoin

d’un regard extérieur, celui d’un éditeur »

En octobre 2016 je n’étais pas entièrement satisfaite du résultat mais j’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs éditeurs car au bout d’un an d’écriture solitaire je traversais une phase de doute. J’avais envie de reprendre le manuscrit mais j’avais besoin de mener ce travail sous le regard d’un éditeur. Après plusieurs refus je suis partie en décembre en Malaisie, assez démoralisée. J’étais à Penang, une ville charmante aux bâtiments coloniaux anglais décrépits, lorsque Laurent Laffont, le directeur des éditions Lattès, m’a appelée pour me dire qu’ils acceptaient de publier mon manuscrit. Bien sûr, ça a été une grande joie. Je suis rentrée à Paris en mars et mon éditrice Anne-Sophie Stefanini m’a proposé une publication en janvier 2017. Comme j’avais un peu de temps devant moi j’ai commencé à retravailler certains passages dont je n’étais pas très contente, puis au fur et à mesure je me suis replongée dans le texte et je l’ai énormément réecrit. J’ai aussi rajouté une centaine de pages, ce qui fait qu’à la fin je me suis demandée si l’éditeur accepterait toujours de le publier ! Heureusement ça été le cas. Je pense que j’ai beaucoup gagné en force entre la première et la deuxième version. La première était plus sèche, en ce sens plus influencée par Perec, et pouvait à ce titre être perçue comme un exercice de style, un « à la manière de ». Dans la deuxième version j’ai donné plus de place au lyrisme, à la poésie du quotidien, qui rendait l’histoire plus vibrante.

Presque ensemble nous propose de suivre, sur une grosse quinzaine d’années, le parcours d’amour et de vie de deux personnages, Nicolas et Victoire, qui se sont rencontrés vous le disiez dans un bar à Paris le 12 juillet 1998, jour fameux de ce 3-0 face au Brésil après lequel, dixit le regretté Thierry Roland, on pouvait « mourir tranquille ».

Je lis peu de romans, j’ai beaucoup aimé le vôtre : il est bourré d’humain pour le meilleur et pour le moins glorieux, de tous les questionnements qu’on peut se poser et que nos générations se posent. Quelques illusions, et souvent pas mal de désillusions, mais des désillusions qui n’étonnent pas tant que ça, parce qu’on n’est plus tout à fait dupes. On s’identifie à eux (parfois beaucoup), à leurs joies, à leurs galères du quotidien. On se voit à travers eux revivre ce qu’on a vécu, dans le privé ou dans l’actu. Aucun trentenaire, pour ne parler que d’eux, de nous, ne sera indifférent à cette lecture je pense. Qu’est-ce qu’il y a de vous dans ce livre, Marjorie Philibert ? Jusqu’à quel point n’est-il pas autobiographique ?

Je ne savais pas que Thierry Roland avait dit ça, si j’avais su je l’aurais mis en exergue du livre ! Plus sérieusement, de dire qu’après la victoire des Bleus on peut mourir tranquille, ça résume bien l’euphorie un peu irréelle qui régnait à ce moment-là. Comme un doux sentiment de victoire qui flottait, et que le pays n’avait plus de problèmes. Mais comme vous le dites, les désillusions des personnages n’étonnent pas tant que ça le lecteur parce qu’on vit dans une époque sans illusions. J’ai mis bien sûr beaucoup de choses de moi, précisément cette désillusion, qui est autant le propre de l’époque que celle de la jeunesse, du moment où on confronte ses rêves d’adolescent à la réalité de la vie d’adulte. Les désillusions sont même un passage obligé dans les romans d’apprentissage du 19ème siècle, de Balzac à Stendhal, et la leçon de ces grands romanciers réalistes est que pour pouvoir survivre dans une société qui voit la naissance de l’industrialisation et l’accélération du capitalisme, il faut faire le deuil de certains de ses idéaux. C’est ce qu’illustrent les personnages des Illusions perdues, Lucien de Rubempré qui s’aliène pour atteindre la reconnaissance sociale parisienne et son double David Séchart qui choisit de mener une vie dans l’ombre, loin du tumulte du monde mais paisible à Angoulême.

« La désillusion de Victoire et Nicolas est surtout

générationnelle : les interdits et les idéaux

de l’époque de leurs parents ont disparu »

La désillusion de Nicolas et Victoire est cependant autre. Il y a bien sûr le constat que le monde du travail n’est pas tel qu’on l’imaginait, que les études qu’on a menées n’ont pas grand rapport avec leur débouché final et que le travail qu’on peut trouver (car les opportunités ne sont pas si nombreuses) n’a pas grand sens. Il y a aussi la désillusion du couple, mais pas tant que ça : ils mènent une vie modeste dans leur deux-pièces rue de la Glacière, mais précisément pour cette raison, ils arrivent au début de leur histoire à se ménager des moments de bonheur à travers des choses simples comme partir en week-end ou prendre un chat. Mais il y a surtout une désillusion générationnelle que subissent beaucoup de trentenaires, qui si on peut dire est propre à un changement d’époque, à savoir que leurs parents les ont élevés en fonction d’idéaux largement influencés par 68, et que le temps que leurs enfants arrivent à l’âge adulte ces idéaux ont disparu. Les parents de Victoire l’ont ainsi élevée dans une grande permissivité sexuelle, en l’encourageant à l’adolescence à avoir des expériences qui l’épanouiraient, or pour la génération de Victoire la liberté sexuelle est un acquis, il n’y a plus rien à conquérir, on est plutôt passés à une ère où la relation humaine est menacée par la valorisation du consumérisme sexuel. Ce qui fait que lorsqu’elle vit ses premières expériences extra-conjugales, celles-ci n’ont pas le frisson de l’interdit, mais la renvoient plutôt face à un vide existentiel, du fait de la facilité et de la banalité de la chose.

« Notre génération n’a pas connu de guerre, mais

elle subit des changements extrêmement

rapides et perturbants... »

Ce livre n’est pas autobiographique au sens où je n’ai pas eu une si longue expérience du couple et de la cohabitation, j’ai plutôt voulu fuir ce modèle. Par contre j’ai vécu cette perte des idéaux, ce sentiment dont mes personnages ne sont pas forcément conscients, celui de faire partie d’un monde en train de disparaître, en raison de l’accélération de l’économie de marché, de la mondialisation à marche forcée qui se répercute directement sur nos vies. Ainsi entre le moment où j’ai commencé mes études de journalisme en 2004 et aujourd’hui, j’ai vu un nombre grandissant de plans sociaux, de licenciements, de journaux qui mettaient la clef sous la porte. J’ai le sentiment d’avoir appris un métier qui est en train de se terminer (ou comme certains journalistes disent pudiquement de « se transformer »). Nous sommes une génération qui certes n’a pas connu de guerre, qui a la chance de bénéficier des progrès de la technologie mais qui subit pourtant des changements extrêmement rapides et perturbants.

Quels sentiments vous inspirent Victoire, Nicolas, ces deux personnages que vous avez vraiment réussi, je trouve, à rendre touchants, attachants, bref vivants ? Imaginons que vous puissiez, à un moment du récit, n’importe lequel, vous changer en personnage du livre pour prévenir ou conseiller telle ou tel, changer le cours des choses, quel moment, et que feriez-vous ?

« On est beaucoup plus l’héritier de l’histoire

de ses parents qu’on ne l’imagine »

Quand j’ai commencé l’écriture du roman, Victoire et Nicolas étaient un peu la quintessence de tout ce que je détestais dans la vie (les pauvres). Ils étaient à mes yeux, lâches, passifs, ordinaires, sans panache, purs produits d’une époque d’où l’insolence comme moteur artistique et social a disparu. Puis au fur et à mesure, je me suis mise à m’attacher à eux. Le temps passé ensemble, je suppose. J’ai compris qu’ils n’avaient pas forcément eu le choix, et que qu’on le veuille ou non, on est beaucoup plus l’héritier de l’histoire de ses parents qu’on ne l’imagine. Et puis, l’attachement qu’ils éprouvent l’un pour l’autre les sauve en quelque sorte. À la fin Victoire fait le bilan de leur vie et se rend compte que la somme de toutes les banalités vécues ensemble a malgré tout constitué une vraie histoire d’amour, une histoire de quinze ans, qui aura été, à l’un et à l’autre, la plus importante de leur vie.

« Elle se rallongea sur son lit et repensa à sa vie avec lui, en une énigme obsédante. Il y avait eu leur rencontre. Il y avait eu le cinéma. Il y avait eu les milliers d’heures passées côté à côte à dormir, faire le ménage ou regarder la télévision, dont ils ne se souviendraient jamais. Il y avait eu tout ce temps à tourner en rond, toutes ces journées où ils auraient pu se dispenser de vivre. Il y avait eu Ptolémée. Il y avait eu l’appartement, les voisins, les sorties, les vacances. Il y avait eu les gens et les villes. Il y avait eu tout ce qu’il y avait partout. À présent, elle s’en rendait compte, leur histoire avait été la principale aventure de leur vie.  »

Dans ce roman, on voit notre monde tel qu’il est, pas forcément des plus réjouissants : la place croissante de l’individualisme, pour ne pas dire des égoïsmes, d’un matérialisme sans âme, avec très peu finalement de visées « plus grandes que soi » comme disent les Anglo-saxons. Est-ce qu’il est plus ou moins difficile de s’y épanouir qu’à d’autres époques, pour vous ? On parle beaucoup du manque de transcendance de nos jours, vous en pensez quoi ?

« On se moque volontiers des déclinistes... mais

n’oublions pas que Houellebecq reste

l’écrivain français le plus lu à l’étranger... »

Les Anglo-Saxons ont en effet une expression, « Bigger than life » que j’adore, et qui s’applique à tout, au fait de prendre l’Eurostar comme à celui de changer de couleur de cheveux. De fait les Anglais sont excellents pour pointer l’écart entre la mesquinerie du quotidien et nos rêves de grandeur, alors que nous Français avons parfois un peu de mal avec l’autodérision. Effectivement l’époque actuelle me donne le sentiment d’une absence de légèreté, d’insolence. Je suis consciente des limites du « C’était mieux avant » : nos parents ont connu effectivement les Trente Glorieuses qui furent une période exceptionnelle de croissance, mais la génération de nos grands-parents a vécu deux guerres mondiales, ce que personne ne voudrait revivre. Cependant je me sens assez proche du constat de Zweig qui datait le déclin de la société occidentale de 1914. L’Europe a connu une apogée - intellectuelle, artistique, politique - et un rayonnement sans précédent au début du siècle et en un sens la Première guerre mondiale a marqué le début du déclin. Nous ne faisons que poursuivre ce déclin. Aujourd’hui on se moque volontiers des déclinistes qui seraient des sortes de néo-réacs nostalgiques. Mais l’écrivain français le plus lu à l’étranger reste quand même Houellebecq, qui a construit son oeuvre autour de cette vision.

Partir à l’autre bout du monde pour fuir un quotidien qui oppresse et qui use, tout plaquer de ces habitudes et de cette routine sans but pour se sentir utile "ailleurs" (et, donc, de préférence "loin"), comme le fait Nicolas à la fin du récit, c’est quelque chose qui vous chatouille ?

« À défaut de grandeur, Nicolas trouve dans

l’humanitaire à l’étranger un dépassement de la

petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris »

C’est quelque chose que j’ai commencé à mettre en place il y a quatre ans, quand j’étais à la fois insatisfaite de mon métier de journaliste et de ma vie à Paris. Tous les hivers, je pars quelques mois en Asie du Sud-Est, où j’emmène mon travail, puisqu’aujourd’hui je vis essentiellement de mes livres. Mais c’est un exil de confort, et non comme Nicolas pour trouver un sens à ma vie. D’ailleurs, Nicolas, (qui devient de plus en plus lucide au fil des années) perd rapidement ses illusions sur l’humanitaire en arrivant aux Philippines. Cependant je n’aimerais pas partir définitivement, car je suis attachée à Paris, à la France, à sa vie intellectuelle et culturelle et moi qui ai grandi à l’étranger en raison d’un père diplomate, je ressens le besoin d’avoir un « port d’attache ». Mais disons que la tentation du bout du monde peut être d’autant plus forte que la société est de plus en plus dure et offre de moins en moins, précisément, de sens. Ce que Nicolas découvre aux Philippines c’est l’éternel choc de l’Occidental arrivant en Asie : une sorte d’indifférence souriante aux tracas de l’individu, un prix négligeable accordé à la vie humaine, qui permet parfois de relativiser certaines choses. À défaut de grandeur, il y trouve du moins un dépassement de la petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris. Victoire, elle, veut transcender sa condition en faisant un enfant seule, en enterrant le rêve du couple, ce qui est un choix fait par de plus en plus de jeunes femmes aujourd’hui.

Lors d’une interview que vous avez donnée au mag Twenty au mois de janvier, on vous a demandé ce que serait pour vous la liberté aujourd’hui. Moi j’ai envie que vous me disiez ce qu’est à ce stade de votre parcours votre conception du "bonheur". Est-ce que l’idée que vous vous en faites est très différente de la vôtre il y a dix ou quinze ans ?

« Ma conception du bonheur ? Préserver

cet équilibre entre voyage et écriture... »

Ma conception est évidemment très personnelle. Le bonheur serait de continuer la vie qui est la mienne, où j’ai trouvé une sorte d’équilibre entre voyager et écrire. Qui sont certainement les deux choses que je préfère dans la vie.

C’est quoi vos projets, vos rêves pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Du bonheur, de l’amour et des ventes !

Un message pour quelqu’un, n’importe qui ?

J’ai dédié ce livre à ma grand-mère qui aura 97 ans en avril car c’est une femme exceptionnelle qui m’a appris à affronter la vie.

Un dernier mot ?

« Quand t'as vingt et un ans, la vie est nette comme une carte routière. C'est seulement quand t'arrives à vingt-cinq que tu commences à soupçonner que tu tenais la carte à l'envers... et à quarante que t'en as la certitude. Quand t'atteins les soixante, alors là, crois-moi, t'es définitivement largué. »

Stephen King

 

LA QUESTION EN + (Q. : 30/03- R. : 03/04)

Nabilla Benattia, starlette du néant qui voit se former autour d’elle, au salon du Livre, une cohue de badauds et de journalistes, attroupement que ne connaîtront jamais des centaines, des milliers d’auteurs ayant pourtant plus certainement contribué à la culture avec un grand "C"... en tant qu’auteur(e ?), en tant qu’observatrice de notre société, ça vous inspire quoi ? Et-ce que, véritablement, ça dit quelque chose de notre époque ?

« La célébrité ne contribue pas à la valorisation

de l’art mais à celle de l’argent »

D’abord je crois que pour un auteur il n’y a rien de pire que de se dire qu’on contribue à la culture avec un grand "C". Je déteste les majuscules, pour moi ça renverrait plutôt au "C" de connerie... Un auteur ne doit pas avant tout chercher à faire partie des institutions, pour citer un génie absolu qui était Roland Topor, un artiste c’est toujours celui qui marche à côté des plates-bandes, qui cherche les papiers gras sur la pelouse. Et un jour brusquement ou au contraire lentement, quelques personnes commencent à trouver que les papiers gras, c’est formidable. C’est alors qu’un attroupement de badauds et de journalistes comme vous dites se forme et qu’on commence à décréter que seuls les papiers gras ont de la valeur et que par exemple le type qui regarde les choses depuis un toit, par exemple, n’a pas d’importance. Jusqu’au jour où tout le monde veut monter sur un toit... etc etc.

Voilà pour résumer ce que je pense du rapport de l’auteur à la célébrité, à savoir qu’il faut être conscient qu’elle ne fait que contribuer non pas à la valorisation de l’art mais à celle de l’argent. Parfois les deux se croisent et c’est tant mieux, sauf que la célébrité des uns, même quand elle est méritée, vient toujours constituer un obstacle à celle de ceux qui arrivent après, parce qu’on attend d’eux qu’ils rentrent dans des cases, qu’ils délivrent non pas quelque chose de nouveau, mais quelque chose qui ressemble à ce qu’on connaît déjà parce que c’est rassurant. Quant à Nabilla, se comparer à elle n’a pas grand sens dans la mesure où elle attire évidemment au salon du Livre un autre public, qui ne lit pas forcément et que ses ventes ne retirent rien par exemple, à celles des auteurs des éditions de Minuit. Sans compter que certains littérateurs n’ont pas nécessairement beaucoup plus d’intellect qu’elle, sans avoir ses attributs physiques...

 

Marjorie Philibert

 

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21 janvier 2017

Bruno Birolli : « Ce roman évoque d'abord la permanence des défis qui se posent à un être humain... »

Il y a un an, le grand reporter Bruno Birolli, qui fut pendant vingt-trois ans correspondant Asie du Nouvel Obs., répondait à mes questions pour un long entretien autour de deux de ses ouvrages sur l’histoire du Japon, Ishiwara, l’homme qui déclencha la guerre (Armand Colin-Arte Éditions, 2012) et Port-Arthur (Economica, 2015). J’ai le plaisir de l’accueillir à nouveau dans les colonnes de ce blog, en tant cette fois qu’auteur de roman : Le music-hall des espions, sa première oeuvre de fiction (éd. TohuBohu, 2017) est le premier d’une série de livres à venir, intitulée La suite de Shanghai. On est plongé dans le Shanghai (mais pas que !) des concessions internationales, celui des guerres intestines et des espions, à l’aube de la déflagration mondiale dont les premiers feux s’allumèrent dans l’Asie des années 30. Un récit riche, captivant et touchant, aux personnages attachants... On attend la suite. Moi, je vous le recommande, et celui là je le relirai ! Merci Bruno Birolli... Bonne lecture, agrémentée ici de quelques images et sons d’époque qu’il a sélectionnés à ma demande (partie 2) ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Bruno Birolli: « Ce roman évoque

d’abord la permanence des défis

qui se posent à un être humain... »

LA SUITE DE SHANGHAI - LE MUSIC-HALL DES ESPIONS

Le music-hall des espions

Le music-hall des espions, éd. TohuBohu, 2017.

 

Partie I: l’interview

Qu’est-ce que ça implique, d’écrire de la fiction  quand on est journaliste ? Cette envie (fantasme ?), vous l’aviez depuis longtemps ?

J’ai toujours eu envie d’écrire de la fiction. Le journalisme a été pour moi le moyen de voir le monde, d’accumuler des expériences et ensuite de les utiliser. C’est un programme que j’ai établi vers l’âge de 25 ans. J’avais essayé d’écrire un roman et, au bout d’une centaine de pages, j’ai compris que je n’avais rien à raconter et me suis dit : « Vivons d’abord ! »

Racontez-nous la genèse (l’idée, son mûrissement) et les premiers pas (construction, écriture, édition...) de cet ouvrage ?

En 2004 ou 2005, j’ai lu le papier d’un universitaire américain sur l’affaire Gu Shunzhang, un agent secret du Parti communiste chinois, dont la couverture était magicien de music-hall et dont le Parti communiste chinois avait ordonné l’exécution de tous les proches parce qu’il était accusé d’avoir trahi. L’histoire m’a frappé, notamment à cause de ce métier de magicien qui suggère une part d’illusions : où est le vrai du faux ?… Ça collait très bien avec Shanghai, cette ville divisée en trois municipalités et où, quand on traversait une rue, on entrait dans un monde où la police, les lois… étaient différentes. En plus il y avait l’extraterritorialité qui faisait que les ressortissants de certains pays - 14 en tout je crois - étaient jugés par des tribunaux indépendants selon les lois de leur pays d’origine. À quoi s’ajoutent de multiples communautés séparées par la langue, les moeurs… Comment discerner le bien du mal dans un tel dédale ? Shanghai devient alors une représentation de la vie où on est obligé de prendre à l’aveuglette des décisions, sans savoir vraiment si on a raison ou tort, et quelles en seront les conséquences. Dans le cas de ce roman, les décisions se révèlent catastrophiques, évidemment.

« Les personnages de mon roman doivent se définir

dans le vide moral du monde du renseignement »

Il faut préciser aussi que l’espionnage, et le contre-espionnage dans une certaine mesure, ne connaissent pas le bien et le mal, ils ne sont régis que par des intérets politiques. Un roman policier tourne toujours autour de l’idée de justice, pas une histoire d’espion. Les personnages de ce roman doivent se définir dans ce vide moral qu’est le renseignement. Chacun a sa recette. N’est-ce pas encore une fois un peu ce qui se passe dans la vie réelle, où on est tiraillé entre ses intérêts et ses sentiments ?

Mais le drame du magicien, injustement accusé, n’aurait pas suffit. Il fallait un « subplot », et j’ai eu la chance - si on peut dire - d’être plaqué extrêmement brutalement par une femme. C’est elle qui m’a inspiré le personnage de Natalia et m’a permis d’aborder le thème de la perte de l’être aimé, cette  « brûlure » dont parle George Steiner…

Je suis parti en août 2012 de quatre scènes : la découverte des cadavres - rapportée en détail dans la presse de l’époque -, l’arrestation du magicien à Hankou alors qu’il projetait d’assassiner Chiang Kai-shek, une embuscade sur une route de digue - à la fois un clin d’œil à Un américain bien tranquille de Graham Greene et pour soulager la hantise que j’ai toujours éprouvée dans une voiture qui roule sur ce genre de route -, et un enterrement - le sentiment de la perte irrémédiable.

Quel est votre rapport aux œuvres de fiction de manière générale ? Vos références dans l’absolu, et pour la composition de votre roman en particulier ?

Je ne lis pas beaucoup de romans, j’ai quelques auteurs fétiches mais c’est plus le cinéma qui m’inspire.

Comment vous y êtes-vous pris pour l’aspect « documentation », pour restituer au plus fidèle et au mieux les lieux et l’époque ?

J’ai lu tout ce qui avait été publié à l’époque à Shanghai. Il y avait une presse anglophone très active, et même un quotidien en français… Plus des mémoires - notamment de policiers -, des guides de voyages, des films d’actualités, des photos, les cartes… La publicité dans la presse est une source étonnamment riche d’informations sur une ville et ses habitants pour qui s’y intéresse.

Je suis allé aussi sur place. Mon premier voyage à Shanghai remonte à 1992. La rue où vit Petit Woo existait il y a deux ans, la bijouterie où a lieu l’arrestation aussi… J’ai quelques regrets : le Venus Café a été rasé, entre autres.

« La réalité a plus d’imagination

que les meilleurs romanciers »

Certains chapitres reproduisent ce qui a été longuement raconté par la presse. L’attentat dans la gare du Nord a été décrit en détail par les journaux, le récit de l’attaque japonaise vient lui aussi de reportages, etc. La réalité a plus d’imagination que les meilleurs romanciers. Pourquoi se priver de ce qu’elle offre ? Il ne restait plus qu’à puiser dans ce matériel et à faire travailler mon imagination en complément.

Les personnages principaux de votre roman sont richement dépeints ; souvent ils ont quelque chose de touchant. On ne s’attache pas forcément à tous (Frell, Swindon...), mais peu d’entre eux laissent indifférents : je citerais Fiorini et Desfossés bien sûr, l’émouvante  Natalia et Yiyi côté féminin, le magicien et le colonel... Parlez-nous un peu d’eux ? Quelle est, pour ce qui les concerne, la part d’invention pure, et la part d’emprunt à des personnes existantes, rencontrées par vous ?

Je trouve votre jugement sévère sur Swindon. C’est le seul véritable espion de la bande. Pourquoi aide-t-il Fiorini et le magicien à la fin ? Je ne sais pas mais j’aime croire qu’il a un mouvement de sympathie qui triomphe de son cynisme.

Desfossés, c’est le lecteur. Imaginez-vous balancé d’un coup au milieu de ces hommes qui ont fait et font la guerre alors que vous n’avez jamais combattu, et dans une ville et un pays dont vous ignorez tout ! Desfossés ne comprend pas tout ce qui se passe autour de lui - et les autres personnages ne maîtrisent pas davantage les évènements. Je me méfie beaucoup des gens qui disent « connaître très bien l’Asie ». C’est aussi absurde que de dire qu’on sait ce que sera l’avenir en France. Je peux dire sans grand risque qu’en mai 2017, si Fillon, Le Pen, ou Macron est élu(e), la situation en France sera radicalement différente, au moins politiquement. Qui oserait assurer qu’il sait celui de ces trois candidats qui sera élu, et ce qui se passera ensuite ?

J’ai passé presque trente ans en Asie ; avec le temps, on décrypte certains mécanismes, on peut anticiper certaines réactions, sentir certains problèmes mais il y a toujours un flou, une sorte de brouillard, que je trouve d’ailleurs très agréable. Et ce livre baigne dans ce flou - du moins c’est une de mes intentions.

« Il n’y a plus beaucoup d’hommes de l’envergure 

de Fiorini, de nos jours... »

Fiorini est un modèle moral d’homme qui prend ses responsabilités et va au bout de lui-même. À mon avis, il n’y a plus beaucoup de types de cette envergure à notre époque. C’est une chance par certains aspects, nos problèmes quotidiens sont des plaisanteries comparés à ceux auxquels ont fait face les gens pendant l’entre-deux-Guerres. Pointer à Pôle-Emploi n’a rien d’agréable certes, mais c’est incomparablement moins dramatique que la guerre dans les tranchées, ou de se définir face au fascisme.

Chu m’a été inspiré par trois personnes. Une de ces personnes est un fonctionnaire de la police chinoise avec qui, par une bizarrerie du métier de journaliste, j’ai été assez longuement en contact. Le second est un Israélien, je vous laisse deviner son métier. Enfin, j’emprunte certains traits du caractère de Chiang Kai-shek, un homme peu commode, frugal, mais habité par la certitude d’incarner la Chine.

Natalia a été facile à décrire, j’ai vécu avec une femme qui lui ressemblait beaucoup. Même chose pour Yiyi...

Si vous deviez, l’espace d’un instant, mettre un « focus » sur un de ces personnages ?

Evidemment, c’est Fiorini. C’est un type intelligent, pas un intellectuel ; il n’a probablement pas beaucoup lu mais c’est un homme d’un bloc qui essaye d’être en accord avec lui-même - ce qui n’est pas facile. Il incarne une valeur un peu trop négligée de nos jours : la seule réponse à l’imbécillité humaine est la solidarité. Et c’est ce qui le distingue et le fait agir. Il m’a été inspiré par certains combattants de 1914 qui n’ont jamais haï l’ennemi, le traitant en camarade parce qu’ils partageaient les mêmes souffrances et avaient plus d’affinités avec le type d’en face qu’avec les planqués de l’arrière. Fiorini est ce genre d’homme.

Qu’est-ce qu’il y a de « vous » dans ces personnages ? Est-ce que certains des traits des uns et des autres sont les vôtres ?

« Desfossés, c’est moi à trente ans ! »

Desfossés, c’est moi à trente ans ; en arrivant en Asie, j’avais sa désinvolture, son goût des boîtes de nuit… Et je ne comprenais pas grand-chose à cet environnement étranger à tout ce que je connaissais. C’est assez amusant d’avoir un personnage qui vous incarne : on peut le maltraiter, lui faire commettre des maladresses… et Desfossés en commet pas mal. Je me garde bien de me prendre pour Fiorini.

Si vous pouviez intervenir à un endroit, un seul, de votre histoire, sur quoi auriez-vous agi ? Qu’est-ce que vous auriez essayé de « changer » dans le déroulé de ces évènements ?

On ne peut plus rien changer. J’ai réfléchi pas mal à cette question, mais la façon dont le livre est construit, on ne peut rien changer, sinon il s’effondrerait. Pour parler franchement, le premier tiers m’a posé beaucoup de problèmes, la traque du magicien est trop réaliste, trop rigide et trop proche d’une véritable enquête de police basée sur des interrogatoires. C’est difficile à rendre vivant, car les interrogatoires ne laissent pas vraiment voir la psychologie des personnages, ce sont des énumérations de faits. L’autre difficulté a été de faire de Shanghai à la fois un personnage à part entière et le miroir dans lequel se reflètent ces personnages pris dans un piège sans issue.

Ce récit, c’est aussi, dans un monde de flics, de diplomates et d’agents secrets, un patchwork de sentiments et comportements humains très contrastés : ici un cynisme froid et sans pitié sous couvert de réalisme ; là une lueur d’humanité, quelques moments de bravoure généreuse. Est-ce que, dans votre parcours de journaliste notamment, vous avez rencontré dans ces milieux cet éventail de profils ?

Quand on est correspondant à l’étranger, comme les communautés étrangères en Asie ne sont pas tellement nombreuses, on fréquente des gens qu’on ne rencontrerait pas dans son pays d’origine et on finit par nouer des sympathies inattendues du type de celles qui unissent Fiorini, Desfossés, Chu, Swindon, le magicien… Et, à défaut de connaître les secrets professionnels de ces gens, qu’ils se gardent bien de confier, on arrive à percevoir leurs personnalités au fil du temps.

Le Shanghai que vous nous racontez n’a pas grand chose d’exotique, c’est celui des concessions occidentales, d’une « modernisation » un peu crasseuse et à marche forcée, avec en fond des luttes féroces entre factions rivales et d’inquiétants  bruits de bottes (japonaises). Qu’est-ce qu’elle vous inspire, cette époque, en tant que journaliste féru d’histoire ?

J’ai répondu un peu plus haut en partie, à savoir pourquoi Shanghai sert de cadre à ce roman. Je dois ajouter que Shanghai était dans les années 1920 et jusqu’à 1937 (année de l’invasion japonaise) une ville extrêmement moderne, la troisième place financière du monde, une sorte de laboratoire de la modernité avec tout ce qu’elle comporte de progrès technique, d’ouverture sur le monde, de révolution intellectuelle et artistique et de violence sociale. Le Parti communiste chinois en a fait une sorte de bordel gigantesque, ce n’était pas le cas. En vérité, jusqu’en 1937, la ville ne cesse de se développer très vite et était plutôt en ordre.

« C’est dans la concession de Shanghai

qu’on trouve le plus de policiers par habitant

de tout l’empire français » 

Cependant, c’était une ville hautement militarisée. En 1927 par exemple, 27 000 soldats étrangers étaient casernés dans les deux concessions. Et on m’a dit que la Concession française avait le ratio le plus élevé de policiers par nombre d’habitants de tout l’empire français. Et ce, parce que la ville était le théâtre d’enlèvements, de meurtres, d’attaque à main armée presque tous les jours. On a donc beaucoup de cinémas, du jazz à foison, une liberté de la presse inconnue ailleurs, des universités performantes, et aussi des policiers, des gangsters, des mendiants, des agents secrets…

Est-ce que l’époque dont on parle, celle où la Chine était à peine indépendante, et en tout cas sous influence étrangère, a joué pour beaucoup dans l’activisme nationaliste qu’on lui connaît aujourd’hui - et est-ce qu’on n’a pas tendance à négliger grossièrement cet aspect de sa psychologie ?

Oui, en fait Chiang Kai-shek était un nationaliste fervent. Et beaucoup de thèmes de propagande repris par le Parti communiste après 1949 viennent de Chiang Kai-shek. Par exemple, dire que l’attentat de Moukden commis en 1931 par les Japonais en Mandchourie marque une « journée d’humiliation nationale » est un slogan immédiatement propagé par le Kuomintang - le parti de Chiang Kai-shek. Les mouvements de boycott et de résistance à l’agression japonaise qui servent d’arrière-plan à l’intrigue sont initiés par Chiang Kai-shek. Il y a continuité d’une certaine façon sur ce point entre le régime nationaliste et le régime communiste.

Une question d’actu liée, alors que Donald Trump prend ses fonctions de président des États-Unis : le nouveau locataire de la Maison blanche semble menacer de remettre en cause la position de reconnaissance d’une « Chine unique » (c’est l’affaire taïwanaise). Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Ça m’inspire que Donald Trump ne sait pas de quoi il parle. Je reviens de Taiwan, et le gouvernement taiwanais évite de verser de l’huile sur le feu. En fait tout le monde a intérêt que le statu quo qui prévaut depuis près de quarante ans continue. Les Américains, en premier, qui n’ont aucune envie de voir tester leur soutien militaire à Taiwan.  
  
L’évolution prévisible des relations entre la Chine et le Japon vous inquiète-t-elle, à court et moyen terme ?

« La montée des réflexes nationalistes, en Chine 

comme au Japon, est des plus inquiétantes »

C’est sans doute le facteur le plus déstabilisant en Asie. Objectivement personne n’a intérêt à un conflit et le statu quo est préférable, même s’il ne règle rien et ne fait que repousser la solution de problèmes qui traînent depuis des années. Mais il y a le facteur émotionnel. Le gouvernement chinois n’a plus grand chose à offrir pour unir l’opinion derrière lui sauf une dérive nationaliste. Et le gouvernement japonais actuel fait de même. Or, le nationalisme quand il dégénère en hystérie de masse devient incontrôlable et entraîne le pire.

On en revient à votre roman, à cette expérience nouvelle : que vous a-t-elle appris ? Est-ce qu’il y a, après coup, des choses que vous feriez différemment ? Qu’est-ce qui vous rend satisfait, fier ?

Il y a certains points qui ne me satisfont pas entièrement - notamment le premier tiers comme je l’ai mentionné. Disons que c’est un point de départ, j’ai pas mal appris. Cette expérience devrait m’assurer de ne pas répéter les mêmes erreurs, mais je peux en commettre de nouvelles.

Est-ce que vous diriez que la fiction, quand elle s’inscrit dans sa trame dans des faits historiques et qu’elle est bien faite, est le meilleur des moyens d’appréhender, et d’intégrer des événements d’histoire ?

Peut-être mais ce roman pose surtout des problèmes humains. Ce n’est pas le passé qui a la priorité mais la permanence des défis qui se posent à un être humain, même si la ville et l’époque ont été recrées le plus fidèlement possible.

La suite de Shanghai, en BD, voire en série ou films, moi je pense que ce serait bien... et vous, vous y avez pensé ?

« Je crois que ce livre est facilement adaptable 

en images ; c’est mon intention première... »

J’ai pensé plus ce premier livre en référence au cinéma, à la BD ou au jeu vidéo qu’à la littérature. Je crois qu’il est facilement adaptable en images, c’était mon intention première.

Un scoop, sur la suite des évènements ?

D’abord écrire les prochains romans de La suite de Shanghai. Le deuxième volume, déjà bien avancé, et qui devrait paraître en janvier 2018, se déroulera en partie dans les studios de cinéma de Shanghai, avec encore une fois, des éléments véridiques et des personnages ayant réellement existé. J’ai une piste pour le troisième volume mais elle reste à affiner.

Parlez-nous de vos autres projets ?

Recréer Shanghai m’a donné le goût des paysages urbains. Je suis en train de travailler sur un projet de livre très graphique concernant une ville asiatique qui associera photos, textes, dessins… L’idée est de construire un livre purement subjectif, une vision fragmentée comme celle d’un passant dans une rue et cette fragmentation constitue une continuité, continuité entre la mémoire, le passé, le présent, l’avenir… Ce n’est pas facile à expliquer mais cette idée, qui me tient à cœur, sera, si elle se réalise, une bouffée d’air frais pendant l’écriture du second volume, puisque ce sera un travail collectif et non solitaire comme la rédaction d’un roman.

Que peut-on vous souhaiter ?

D’être en bonne santé pendant les vingt années à venir pour mener à bien tous mes projets.

Un message pour quelqu’un, n’importe qui ?

« Les retours des lecteurs me seront précieux 

pour appréhender la suite... »

Je suis curieux de connaître la vision des lecteurs. Quand on lit un livre, on fait le même travail d’adaptation qu’un cinéaste qui adapte un roman à l’écran. Je suis curieux de savoir quels points intéressent, comment l’histoire est interprétée, etc. Par pure curiosité et aussi par intérêt : écouter les lecteurs permet de recadrer le récit du prochain livre.

Un dernier mot ?

Enjoy ! bien sûr, parce que lire, c’est d’abord un plaisir.

 

Bruno Birolli 2017

 

 

Partie II: Images et sons choisis, par Bruno Birolli

Pour accompagner le livre et se plonger dans l’ambiance noir-jazzy

du Shanghai des concessions, fin des années 1920-années ’30...

Yiyi 1930s-shanghai-ballroom

« Thé dansant à Shanghai »

 

Policiers

« Policiers chinois, indiens et européens de la police

du Settlement (Concession internationale) »

 

Coolies Fokien rd _ Marché de rue No-1

« Marché de Fookien Road (Concession internationale) »

 

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« Vue aérienne du Bund »

 

nanjing road_1917

« Nanking Road »

 

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« Vue du Hangpu (Whangpoo, la rivière qui baigne le Bund) »

 

 

 

 

 

 

 

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7 octobre 2013

Augustin Trapenard : "Antoine de Caunes a gagné son pari"

"À ce stade, ce n’est même plus une passion : c’est une névrose obsessionnelle !" Cet amour des livres, Augustin Trapenard le partage avec bonheur et un enthousiasme communicatif avec les téléspectateurs du Grand journal (Canal +), avec les auditeurs du Carnet du libraire et du Carnet d'or (France Culture). Il a accepté d'évoquer pour Paroles d'Actu les débuts d'Antoine de Caunes à la tête du talk phare de la chaîne cryptée. Et de nous livrer quelques précieux conseils de lecture. Je l'en remercie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

AUGUSTIN TRAPENARD

Chroniqueur littéraire au sein du "Grand journal" de Canal +

 

"Antoine de Caunes a gagné son pari"

 

Augustin Trapenard

(Photo proposée à ma demande par Augustin Trapenard)

 

 

Q : 26/08/13

R : 06/10/13

 

 

Paroles d'Actu : Bonjour Augustin Trapenard. Vous êtes depuis la saison dernière en charge de la chronique littéraire du Grand journal de Canal +. Quel bilan tirez-vous de l'expérience jusqu'ici ?

 

Augustin Trapenard : Un bilan plus que positif puisque le Grand Journal de Canal Plus est la seule émission d’infotainment du paysage audiovisuel à faire le pari d’une chronique littéraire. Ce qui compte pour moi, c’est de pouvoir partager avec le plus grand nombre le plaisir de la lecture et de donner la possibilité d’approfondir un sujet d’actualité par le prisme d’un livre. Par ailleurs, je dois dire que je m’amuse beaucoup, tous les soirs, avec la fine équipe constituée par Antoine de Caunes.

 

 

PdA : L'émission s'est renouvelée en 2013-2014. Michel Denisot a, effectivement, cédé son fauteuil à Antoine de Caunes, qui a promis de faire du programme un "show à l'américaine". Quel regard portez-vous sur la nouvelle mouture du Grand journal ?

 

A.T. : Il est vrai qu’une partie du Grand Journal d’Antoine de Caunes s’inspire des show américains tant dans la forme que dans le ton. J’ai moi même été soufflé par la créativité de certaines rencontres imaginées avec les artistes invités : c’est une façon de faire de la télévision qui n’existait pas en France. Cela dit, la première heure reste très axée sur l’actualité, dans le sillage du Grand Journal de Michel Denisot. Après plus d’un mois, il me semble qu’Antoine a gagné son pari : lémission est renouvelée et le public est au rendez-vous.

 

 

PdA : La littérature... Vous en parlez avec passion à chacune de vos interventions. Vous l'avez d'ailleurs enseignée, à l'ENS de Lyon. D'où vous vient cet amour des livres ?

 

A.T. : À ce stade, ce n’est même plus une passion : c’est une névrose obsessionnelle ! J’ai toujours été un rat de bibliothèque et je me souviens même avoir fait le pari, tout petit, de lire tous les livres du monde. Ce que j’aime aujourd’hui dans l’acte de lire, c’est la possibilité de prendre son temps et de réfléchir. C’est une gageure à l’heure de l’urgence généralisée et de la course à la rentabilité.

 

 

PdA : Quels sont les ouvrages récents (disons, cinq ans maximum) qui vous ont particulièrement plu, touché, marqué ?

 

A.T. : J’aime les romans qui interrogent autant le monde que l’écriture, les romans qui me rappellent que la littérature est un art. À ce titre, j’ai été particulièrement marqué, cette rentrée, par le western poétique de la Française Céline Minard (Faillir être flingué, Rivages) et par le grand roman amérindien de Louise Erdrich, (Dans le silence du vent, Albin Michel).

 

 

PdA : Votre liste des chefs d'œuvre ultimes, intemporels, à avoir lu au moins une fois dans sa vie ?

 

A.T. : Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, Tendre est la nuit de Fitzgerald et Le bruit et la fureur de Faulkner. Pour commencer. Je n’en cite que trois mais soudain je pense à dix autres…

 

 

PdA : Dans quel univers de littérature, dans la peau de quel personnage ou type de personnages choisiriez-vous de vivre si vous en aviez la possibilité, ne serait-ce que pour quelques heures ?

 

A.T. : Peut-être dans le peau d’Alice, qui pénètre le temps d’un rêve, dans un pays des merveilles entièrement dédié au langage. Le pays des merveilles, n’est-ce pas celui de la lecture ?

 

 

PdA : Quels sont vos projets ? Vos envies ? Vos rêves ? Que peut-on vous souhaiter, cher Augustin Trapenard ?

 

A.T. : De continuer à m’amuser, tant sur Canal Plus que sur France Culture où j’officie du lundi au vendredi à 14h55 dans Le Carnet du libraire, et le samedi à 17h00 dans Le Carnet d’or. Deux émissions dédiées au plaisir de lire qui me tiennent vraiment à cœur.

 

 

PdA : Quelque chose à ajouter ? Merci infiniment !

 

A.T. : C’est moi qui vous remercie pour ces « Paroles d’actu » drôlement bien ficelées.

 

 

 

Les rendez-vous sont pris ! Merci pour tout, cher Augustin Trapenard. Et vous, quels sont les livres que vous aimeriez inviter les autre lecteurs à découvrir ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

  

Vous pouvez retrouver Augustin Trapenard...

 

Sur Canal Plus : Le Grand journal (du lundi au vendredi, à 19h10) ;

 

Sur France Culture :

 

Sur Facebook, ainsi que sur Twitter.

 

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8 août 2013

Clément Bénech : "L'écrivain est une miette..."

Lui aussi, il en vaut la peine... François-Henri Désérable ne tarit pas d'éloges à son endroit. Lors de l'interview qu'il m'avait accordée le mois dernier, l'auteur de l'émouvant Tu montreras ma tête au peuple (aux éditions Gallimard, je vous le recommande avec enthousiasme) eut ces mots pour celui qui, comme lui, compte parmi les révélations littéraires de l'année : "J’ai un ami, jeune (21 ans), talentueux, qui vient de publier son excellent premier roman, L’été slovène, chez Flammarion. Il s’appelle Clément Bénech, et il y a, chez lui, du Modiano, du Toussaint, du Parisis et du Chevillard. Ce qui n’est pas mal, tout de même…". Je n'avais alors jamais entendu parler de ce jeune auteur. Les critiques, elles, ne l'ont pas laissé filer, et c'est heureux. "Le Monde des livres", "Les Inrocks", "Télérama", pour ne citer qu'eux, ont salué la qualité de cette première oeuvre. L'histoire d'un amour mis à l'épreuve d'un cadre différent, d'un monde inconnu, le temps d'un été... Le lecteur se laisse prendre par le récit : il découvre, s'étonne, sourit, est ému. Il le vit. Et se dit que, décidément, il va falloir retenir ce nom : Clément Bénech. Rencontre avec un auteur de talent. Il a 21 ans. Il est mature, lucide. Il a l'avenir devant lui. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer.  EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

CLÉMENT BÉNECH

Auteur de L'Été slovène, du blog Humoétique

 

"L'écrivain est une miette"

 

Clément Benech

(La photo de Clément Benech est signée Julie Biancardini)

 

 

Q : 25/07/13

R : 07/08/13

 

 

Paroles d'Actu : Bonjour Clément Benech. Vous avez 22 ans, êtes étudiant en Lettres et l'auteur d'un roman, L'été slovène, édité chez Flammarion depuis le mois de mars. Qu'aimeriez-vous ajouter pour que l'on vous connaisse mieux, à ce stade de l'entretien ?

 

Clément Benech : J'ai un chat très mignon qui s'appelle Sushi et qui adore faire des bêtises.

 

 

PdA : Vous m'avez dit avoir commencé à écrire après le bac. Quelques pensées, quelques poèmes, quelques nouvelles par-ci par-là avant, j'imagine ?

 

C.B. : Là-dessus, je n'ai pas menti. Mais en CM2, comme tout le monde, j'ai écrit quelques poésies sur la cour de récré ou les crayons de couleur...

 

 

PdA : Quelques mots sur votre blog, Humoétique ? Un post, chaque jour à midi... difficile de s'y tenir ? ;-)

 

C.B. : Merci de me rappeler à mon devoir, j'ai un retard monstre. C'est un blog que j'ai commencé en hommage à celui d'Éric Chevillard, et qui vit maintenant de sa vie propre. Il m'a fait rencontrer des gens qui sont devenus des amis, et il me procure une plate-forme de liberté totale.

 

 

PdA : Quels sont les livres, les lectures que vous érigeriez volontiers au rang de références ?

 

C.B. : La Salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, Le Portrait de Dorian Gray, puis Proust, Modiano et Chevillard. Emmanuelle Pireyre, qui a eu le prix Médicis cette année, m'intéresse aussi beaucoup.

 

 

PdA : L'été slovène, c'est l'histoire d'un couple un peu bancal pour lequel un séjour en Slovénie aura l'effet, disons, d'un révélateur... Sous votre plume, très talentueuse, le lecteur ira de découverte en découverte... Y a-t-il un peu de vous, de votre vie dans ce récit ?

 

C.B. : Un peu, oui. Mais je vous gâcherais la lecture en vous disant en quelle proportion...

 

 

PdA : De l'ébauche d'une idée... à une publication chez Flammarion. Vous nous racontez ?

 

C.B. : J'ai eu la chance d'intéresser la revue Décapage pour la publication d'une nouvelle. Puis, la revue étant chez Flammarion...

 

 

PdA : L'accueil critique qu'a reçu L'été slovène a été très bon jusqu'ici. Je pourrais citer "Le Monde des livres", "Les Inrocks", "Télérama"... Ou encore François-Henri Désérable, auteur de Tu montreras ma tête au peuple (à lire !), qui affirme qu'il y a chez vous "du Modiano, du Toussaint, du Parisis et du Chevillard". La canicule ambiante mise de côté, vous réussissez à garder la tête froide ? ;-)

 

C.B. : Je mentirais en vous disant que ça ne m'atteint pas. Mais il faut garder la tête froide, comme vous dites, se rappeler quelle suite de hasards a présidé à votre publication (au-delà d'un éventuel talent) et voir que de nombreux auteurs talentueux sont encore dans l'ombre. Et puis comme dirait Hervé Le Tellier, le marché du livre en France n'équivaut après tout qu'à 10 % du chiffre d'affaires de Renault... L'écrivain est une miette.

 

 

PdA : Je sais qu'un bon auteur ne fait pas nécessairement un bon commercial, mais bon, ça ne coûte rien d'essayer... Que souhaiteriez-vous dire à nos lecteurs pour leur donner envie de découvrir, de feuilleter, d'acheter "L'été slovène" ?

 

C.B. : Vous y perdriez moins que j'y gagnerais.

 

 

PdA : À part la lecture... vos loisirs, vos espaces d'évasion ?

 

C.B. : Le basket, le chant sous ma douche, et les œuvres complètes de François-Henri Désérable.

 

 

PdA : Quels sont vos projets pour la suite Clément ?

 

C.B. : Je suis sur un nouveau projet qui m'occupe beaucoup l'esprit, un portrait de femme qui se passe à Berlin. Et je vais étudier deux ans à Bordeaux, à l'IJBA (Institut de Journalisme Bordeaux-Aquitaine, ndlr), à la rentrée.

 

 

PdA : Vos rêves ?

 

C.B. : Faire un film avec mon frère. Et je ne serais pas fâché de voir la chute du régime nord-coréen avant ma mort.

 

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

 

C.B. : Bonne nuit.

 

 

PdA : Quelque chose à ajouter ? Merci infiniment.

 

C.B. : Du beurre, pour ne pas que le gratin colle. Merci à vous, Nicolas.

 

 

 

L'été slovène

 

 

 

Merci, Clément ! Tous mes voeux les plus chaleureux pour la suite... Et vous, qu'avez-vous pensé de cet ouvrage, L'été slovène ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

 

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Vous pouvez retrouver Clément Benech...

 

Sur le site des éditions Flammarion pour L'été slovène ;

 

Sur son blog Humoétique.

 

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